LETTRES de Saint Jérôme.
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LETTRES de Saint Jérôme.
Bonjour à tous,
Ce qui suit vient du livre suivant, en plusieurs tomes :
Comme d'habitude, nous insérerons des liens bleus dès la parution des matières.
Bonne et pieuse lecture à tous.
Bien à vous.
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* Préliminaires.LETTRES.DEUXIÈME CLASSE,COMPRENANTLES LETTRES ÉCRITES À ROME,DEPUIS L'AN DU CHRIST 380 JUSQU'À L'ANNÉE 385.
* XVIII. A EUSTOCHIUM.
* XIX. À MARCELLA: — Sur la maladie de Blésilla. — * XX. À MARCELLE: — Sur la mort de Léa. — * XXI. À MARCELLA.: — Éloge d'Asella. — * XXII. À PAULA: Sur la mort de Blésilla, sa fille.— * XXIV. À MARCELLA. — * XXV. À MARCELLA.—* XXVI. À MARCELLA. — * XXVII. À MARCELLA.LETTRES.TROISIÈME CLASSE.
* XXX. À PAMMACHIUS.
* XXXI. À PAMMACHIUS: — pour les livres contre Jovinianus.
* XXXII. À DOMNION: — apologétique.
* XXXIII. À PAMMACHIUS: — sur la meilleure manière de traduire.
* XXXV. À HÉLIODORE: — Éloge funèbre de Népotianus.
* XXXVIII. À PAMMACHIUS: — Contre les hérésies de Jean, évêque de Jérusalem.
* XXXIX. À THÉOPHILE: — Contre Jean de Jérusalem.
* XLIII. À CTÉSIPHON: — Contre Pélage.LETTRES.QUATRIÈME CLASSE,DEPUIS L'AN 388 JUSQU'À L'AN 400.
* XLIV. PAULA ET EUSTOCHIUM À MARCELLA — Sur les lieux saints. — * XLV. À MARCELLA. — * XLVI. À MARCELLA. — Sur ses présents.— * L. À PAULIN, PRÊTRE. — De l’étude des Écritures. — * LIV. À PAMMACHIUS.LETTRES.CINQUIÈME CLASSE,LES LETTRES À THÉOPHILE ET À AUGUSTIN,
PUIS LES LETTRES DES MÊMES PÈRES
À SAINT JÉRÔME.
* LVIII. À THÉOPHILE. — * LIX. AU MÊME. — * LX. THÉOPHILE À JÉRÔME. — * LXI. JÉRÔME À THÉOPHILE. — * LXII. THÉOPHILE À JÉRÔME. — * LXIII. ÉPIPHANE À JÉRÒME. — * LXIV. JÉRÔME À THÉOPHILE. — * LXV. AUGUSTIN À JÉRÔME. — * LXVI. À AUGUSTIN. — * LXVII. AUGUSTIN À JÉRÔME. — * LXVIII. AUGUSTIN À JÉRÔME. — * LXIX. JÉRÔME À AUGUSTIN. — * LXX. AUGUSTIN À JÉRÔME. — * LXXI. JÉRÔME À AUGUSTIN. — * LXXII. AUGUSTIN À JÉRÔME. — * LXXIII. AUGUSTIN À PRÆSIDIUS. — * LXXIV. JÉRÔME À AUGUSTIN. — * LXXV. JÉRÔME À AUGUSTIN. — * LXXVI. AUGUSTIN À JÉRÔME. — * LXXVII. JÉRÔME À AUGUSTIN. — * LXXVIII. À MARCELLINUS ET ANAPSYCHIAS.LETTRES.SIXIÈME CLASSE,DEPUIS L'AN DU CHRIST 400 JUSQU'À l'ANNÉE 420.
* LXXXIV. À OCÉANUS, — sur la mort de Fabiola.
* LXXXVI. À EUSTOCHIUM: — Épitaphe de Paula ; sa mère.
* LXXXVII. À PAMMACHIUS ET À MARCELLA.
* XCVI. À LA VIERGE PRINCIPIA : — Épitaphe de la veuve Marcella.
Dernière édition par Louis le Mar 30 Jan 2024, 10:00 am, édité 69 fois
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
Préliminaires, (pages LXXVII-LXXVIII) :
Pour le texte de ces Lettres, nous avons suivi Martianay ; et si quelquefois nous avons cru devoir l’abandonner, nous nous sommes fait un devoir d'indiquer jusqu'au moindre changement.
Il eût été possible d'assigner aux Lettres un ordre meilleur, une liaison plus logique; mais alors l'édition bénédictine se fût trouvée intervertie ; nous aurions mis une nouvelle confusion dans un travail où les divisions diverses ne sont déjà pas uniformes.
Nous avons conservé l'orthographe des noms propres, quand elle a paru de nature à ne pas choquer nos habitudes françaises. Il n'y a ni opportunité, ni mérite à écrire Eustochie, au lieu d’Eustochium; Lee, au lieu de Lea; et souvent des noms perdent toute leur grâce, toute leur euphonie, en subissant les métamorphoses par lesquelles on les fait passer.
C'est la première fois que le texte des Lettres de saint Jérôme paraît dans un format commode, et qu'il est ainsi détaché des Œuvres de ce Père. Nous l'avons collationné avec grand soin sur l'édition bénédictine ; la ponctuation, fort négligée dans Martianay, est ici plus systématiquement rigoureuse.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 132-135.A EUSTOCHIUM.
Ecoute, ô ma fille, et vois, et prête l'oreille, et oublie ton peuple, et, la maison de ton père, et le roi sera épris de ta beauté 1. C'est ainsi que, dans le quarante-quatrième psaume, Dieu parle à l'âme, pour l'inviter à sortir de son pays et de sa famille, suivant l'exemple d'Abraham, à laisser les Chaldéens, dont le nom signifie semblable aux démons, puis à se fixer dans la région des vivants, que le Prophète appelle ailleurs de ses soupirs, quand il dit : Je crois que je verrai un jour les biens du Seigneur dans la terre des vivants 2. Mais ce n'est point assez de sortir de votre pays, si vous n'oubliez votre peuple et la maison de votre père, et si vous ne méprisez la chair pour vous unir aux embrassements de l'époux.
Ne regarde point derrière toi, et ne t'arrête point dans toute cette contrée, mais sauve-loi en la montagne, de peur que tu ne sois pris avec les autres 1. Il ne faut pas, après avoir mis la main à la charrue 2, regarder derrière soi, ni revenir des champs à sa maison 3, ni, après avoir revêtu la robe du Christ, descendre du toit pour prendre un autre vêtement 4.
Chose merveilleuse ! un père exhorte sa fille à ne plus songer à son père. Le père dont vous êtes nés est le démon, et vous voulez accomplir les désirs de votre père, est-il dit aux Juifs 5.... Et ailleurs: Celui qui commet le péché est enfant du diable 6. Sortis d'abord d'un tel père, c'est par lui que nous sommes noirs, et, après la pénitence, avant que nous soyons montés au faite de la vertu, nous disons : Je suis noire, mais je suis belle, ô filles de Jérusalem 7. Je suis sortie de la maison de mon enfance, j ai oublié mon père ; je renais en Christ [renascor in Christo]. Quelle récompense reçois-je pour cela? Le voici : El le roi sera épris de ta beauté. Voilà donc le grand sacrement.
C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils ne feront tous deux, non plus comme autrefois, qu'une seule chair, mais qu'un seul esprit. Votre époux n'est ni fier, ni superbe ; il a pris pour femme une éthiopienne. Dès que vous voudrez entendre les sages maximes de ce véritable Salomon, et, que vous serez venue à lui, il vous avouera tout ce qu'il fait, et le roi vous introduira dans sa chambre ; il aura le secret merveilleux de changer votre couleur, et alors on pourra dire de vous : Quelle est celle-ci qui s'élève toute blanche ?
Si je vous écris ceci, chère Eustochium…
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(1) Ps. XLIV. 11. 12. — (2) Ps. XXVI. 13. — (1) Gen. XIX. 17. — (2) Luc. IX. 62. — (3) Matth. XXIV. 17. — (4) Ibid. 18. — (5) Joan. VIII. 44. — (6) I. Joan. III. 8. — (7) Cant. I. 5.
Dernière édition par Louis le Lun 26 Oct 2020, 2:59 pm, édité 1 fois (Raison : Réorganisation du fil.)
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 137-139.A EUSTOCHIUM.SUITE
Si je vous écris ceci, chère Eustochium, ma souveraine (car je dois appeler ma souveraine l'épouse de mon maître), c'est afin de vous donner à comprendre, dès le début , que je ne veux point ici faire l'éloge de la virginité , que vous avez jugée excellente et que vous avez embrassée, ni énumérer les ennuis du mariage, ces incommodités de grossesse, ces cris d'enfants , ces jalousies inquiétantes, ces infidélités d'un époux, cet embarras du ménage, ni tant de choses regardées comme des biens, et que la mort nous enlève. Les femmes mariées occupent aussi un rang dans l'Eglise, elles peuvent user du mariage avec honnêteté, et conserver sans tache la couche nuptiale ; mais je veux vous montrer qu'au sortir de Sodome, vous avez à craindre le malheur de la femme de Loth. Il n'y a point de flatterie dans cet écrit ; un flatteur est un agréable ennemi. Je ne veux rien étaler de ces fleurs de rhétorique, ni vous placer déjà parmi les anges, ni, après vous avoir exposé le bonheur de l'état virginal, mettre le monde à vos pieds. Je ne veux pas que votre résolution vous inspire de l'orgueil, mais de la crainte. Vous marchez toute chargée d'or, vous devez éviter le voleur.
Cette vie est un stade pour les mortels ; nous combattons ici pour être couronnés ailleurs. L'on ne marche jamais en sûreté parmi les serpents et les scorpions. Mon glaive , dit le Seigneur, s'est enivré de sang dans les cieux 1, et vous, vous espérez trouver la paix sur une terre qui produit des épines et des ronces, et que mange le serpent! Nous avons à combattre, non point contre des hommes de chair et de sang, mais contre les principautés et les puissances de ce monde, c'est-à-dire, de ce siècle ténébreux, contre les esprits de malice répandus dans l'air 1.
Nous sommes environnés de bataillons innombrables d'ennemis; tout en est plein. Une chair fragile, et qui bientôt sera poussière, soutient seule tous leurs assauts. Mais lorsqu'elle sera dissoute, lorsque sera venu le prince de ce monde, et qu'il n'aura rien trouvé en elle, alors, pleine de sécurité, vous entendrez le Prophète dire : Vous ne craindrez ni les alarmes de la nuit, ni la flèche qui vole durant le jour, ni la contagion qui marche dans les ténèbres, ni les attaques du démon du midi. — Il en tombera mille à votre côté, et dix mille à votre droite, mais la mort n'approchera point de vous 2 . Que si, troublée par leur multitude, et tremblante à chaque mouvement qu'excite la passion, vous vous disiez à vous-même dans votre pensée : Que ferons-nous ? Elisée vous répondra : Ne craignez pas, car il y a plus de gens avec nous qu'il n'y en a avec eux 3; et il priera et dira : Ouvrez, Seigneur, les yeux de votre servante, afin qu'elle voie 4. Alors, ouvrant les yeux, vous verrez un char de feu, prêt à vous enlever dans les airs, comme Elie; et, joyeuse, vous chanterez : Notre âme a été délivrée, ainsi que le passereau, du filet de l'oiseleur; le filet a été rompu, et nous avons été délivrés 5 .
Tant que nous sommes retenus dans ce fragile corps…
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(1) Is. XXXIV. 5. — (1) Ephes. VI. 12. — (2) Ps. XC. 5. 6. 7. — (3) IV. Reg. VI. 16. — (4) IV Reg. VI. 17. — (5) Ps. CXXIII. 6.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 139-143.A EUSTOCHIUM.SUITE
Tant que nous sommes retenus dans ce fragile corps, tant que nous avons ce trésor en des vases d'argile, tant que l'esprit désire contre la chair et la chair contre l'esprit, la victoire n'est jamais certaine. Le démon, notre adversaire, comme un lion rugissant, tourne sans cesse autour de nous, cherchant qui dévorer.
Vous amenez les ténèbres, dit le psalmiste, et voilà la nuit; alors toutes les bêtes de la forêt passeront. — Les lionceaux rugissent pour leur proie, et demandent à Dieu leur pâture 1 . Le diable ne veut ni les hommes infidèles, ni ceux du dehors, ni ceux dont le roi d'Assyrie a rôti les chairs dans une chaudière ardente; c'est de l'Eglise du Christ qu'il se plaît à arracher ses victimes. Ses mets sont choisis, comme ceux dont parle Abacuc 2. Il désire abattre Job ; et, après avoir dévoré Judas, il demande les apôtres à cribler.
Le Sauveur n'est pas venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive. Lucifer est tombé, lui qui se levait le matin; et celui qui était nourri dans les délices du paradis a mérité d'entendre ces terribles paroles : Quand vous élèveriez votre nid aussi haut que l'aigle, je vous en arracherai 3, dit le Seigneur. Car il avait dit en son cœur : J'établirai mon trône au-dessus des astres, — Et je serai semblable au Très-Haut 4. C'est pour cela que Dieu dit chaque jour à ceux qui descendent par l'échelle que Jacob vit en songe : Je l'ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut; — mais vous mourrez comme des hommes, et comme un roi vous tomberez 5.
Le diable est tombé en effet le premier; et comme Dieu se trouve dans l'assemblée des dieux et qu'il juge les dieux, étant au milieu d'eux l'Apôtre écrit à ceux qui cessent d'être des dieux : Puisqu'il y a parmi vous des jalousies et des disputes, n'êtes-vous pas charnels, et ne vous conduisez-vous pas selon l'homme 6?
Si l'Apôtre, ce vase d'élection, choisi pour annoncer l'Evangile du Christ, s'applique à réprimer dans son corps les aiguillons de la chair, le feu des passions, et le soumet à la servitude, de peur qu'en prêchant aux autres, il ne vienne lui-même à être réprouvé; s'il ne laisse pas de sentir en ses membres une loi qui combat la loi de l'esprit, et de se voir mené captif sous la loi du péché; si, après avoir souffert la nudité, les jeûnes, la faim, la prison, les fouets, les supplices, revenant à lui-même il s'écrie : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort 1 ? pensez-vous que vous deviez être en sécurité?
Prenez garde, je vous prie, que Dieu ne dise un jour de vous : La vierge d'Israël est tombée, et il n'y a personne pour la relever 2. Je le dirai hardiment : Dieu qui peut tout, ne peut pas cependant relever une vierge de sa chute. Il peut bien absoudre de la peine, mais il ne veut point couronner une vierge corrompue. Craignons de voir s'accomplir en nous cette prophétie: Les vierges les plus sages failliront 3. Faites attention aux paroles du Prophète: Les vierges sages failliront, car il est aussi des vierges déréglées. Quiconque, est-il dit, aura regardé une femme pour la convoiter a déjà commis l'adultère dans son cœur 4. La virginité périt donc même par l'âme seule. Ce sont là ces vierges déréglées, ces vierges de corps et non d'esprit, ces vierges folles qui n'ayant pas d'huile, sont exclues de la salle nuptiale.
Or, si celles qui sont vierges, ne sont pas cependant, à cause de quelques autres fautes, sauvées par la virginité du corps, qu'adviendra-t-il à celles qui…
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(1) Psal. CIII. 20. 21.— (2) Habacuc. I. 16. — (3) Abdias. — (4) Is. XIV. 13. 14. — (5) Ps. LXXXI. 6. 7. — (6) I. Cor. III. 3. — (1) Rom. VII. 24. — (2) Amos. V. 2. — (3) Amos. VIII. 13. — (4) Matth. V. 28.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 143-147.A EUSTOCHIUM.SUITE
Or, si celles qui sont vierges, ne sont pas cependant, à cause de quelques autres fautes, sauvées par la virginité du corps, qu'adviendra-t-il à celles qui ont prostitué les membres du Christ et changé le temple de l'Esprit saint en lupanar? Descendez, asseyez-vous dans la poussière, vierge, fille de Babylone; asseyez-vous sur la terre; il n'y a plus de trône pour la fille des Chaldéens ; on ne vous appellera plus désormais tendre et délicate. — Attachée à la meule de l'esclavage, les cheveux couverts de cendre, jetez au loin cette écharpe qui orna votre épaule; dépouillez-vous de votre chaussure, passez les fleuves. — Votre ignominie sera dévoilée 1, votre opprobre mis à découvert. Après avoir partagé la couche du Fils de Dieu, après avoir reçu les baisers de l'époux chéri, celle dont le Prophète avait dit : La reine est restée debout à la droite, revêtue d'une robe d'or où brille une merveilleuse variété 2, celle-là sera dépouillée ; on lui mettra sous les yeux les actions honteuses qu'elle cacha; elle s'assiéra aux eaux de la solitude, son vase posé à terre ; elle ouvrira ses jambes à tous les passants et sera souillée jusques à la tête.
Il eût mieux valu s'engager sous la loi d'un mari, marcher dans les lieux de plaine, que de tomber dans les profondeurs de l'enfer pour avoir voulu s'élever trop haut.
Qu'elle ne devienne point, je vous en conjure, une ville prostituée, la cité de Sion de peur qu'en un lieu où résida la Trinité, les démons ne viennent faire leurs danses, les sirènes et les hérissons bâtir leurs nids. Que la bandelette pectorale ne soit pas déliée, mais, dès que la passion chatouillera les sens, ou que les feux secrets de la volupté nous brûleront d'une douce flamme, alors écrions-nous : Le Seigneur est mon aide, je ne craindrai pas ce que l'homme pourrait me faire 3.
Lorsque l'homme intérieur aura commencé à hésiter un peu entre le vice et la vertu dites alors : Pourquoi es-tu triste, ô mon âme, pourquoi te troubles-tu? Espère au Seigneur, parce que je lui rendrai des actions de grâce, comme à celui qui est le salut, la lumière de mon visage et mon Dieu 1.
Ne laissez pas les pensées se fortifier. Qu'il ne grandisse en vous rien de ce qui est de Babylone, rien de ce qui est confusion. Pendant que l'ennemi est faible encore, tuez-le ; que la malice, de peur que la zizanie ne vienne à croître, soit étouffée dans son germe. Ecoutez le Psalmiste disant : Malheur à vous, fille de Babylone; heureux celui qui vous rendra les maux que vous nous avez faits! — Heureux celui qui prendra vos petits enfants , et les brisera contre la pierre 2 ! Comme il est impossible que les feux d'une concupiscence née avec nous, et qui s'insinue jusque dans la moelle de nos os, ne viennent pas assaillir nos sens, on loue, on estime bienheureux celui qui, lorsqu'une pensée impure s'élève en son âme, la tue aussitôt et la brise contre la pierre ; or, la pierre, c'est le Christ 3.
Oh ! combien de fois moi-même, retenu dans le désert, et dans cette vaste solitude qui…
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(1) Is. XLVII. 1. 2.— (2) Ps. X LIV. 10. — (3) Ps. LV. — (1) Psal. XLII. 5. — (2) Ps. CXXXVI. 8, 9. — (3) I Cor. X. 4.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 147-151.A EUSTOCHIUM.SUITE
Oh ! combien de fois moi-même, retenu dans le désert, et dans cette vaste solitude qui, dévorée des feux du soleil, n'offre aux moines qu'une demeure affreuse, je croyais assister aux délices de Rome ! Je m'asseyais seul, parce que mon âme était pleine d'amertume. Mes membres étaient couverts d'un sac hideux, et mes traits brûlés avaient la teinte noire d'un Ethiopien. Je pleurais, je gémissais chaque jour, et si le sommeil m'accablait malgré ma résistance, mon corps décharné heurtait contre une terre nue. Je ne dis rien de ma nourriture ni de ma boisson, car, au désert, les malades eux-mêmes boivent de l'eau froide, et regardent comme une sensualité de prendre quelque chose de cuit.
Eh bien ! moi qui, par terreur de l'enfer, m'étais condamné à cette prison, habitée par les scorpions et les bêtes farouches, je me voyais en imagination transporté parmi les danses des vierges romaines. Mon visage était pâle de jeûnes, et mon corps brûlait de désirs; dans ce corps glacé, dans cette chair morte d'avance, l'incendie seul des passions se rallumait encore. Alors privé de tout secours, je me jetais aux pieds de Jésus-Christ, je les arrosais de larmes, je les essuyais de mes cheveux, et je domptais ma chair indocile par des jeûnes de plusieurs semaines.
Je ne rougis pas de mon malheur ; au contraire, je regrette de n'être plus ce que j'ai été. Je me souviens que plus d'une fois je passai le jour et la nuit entière à pousser des cris et à frapper ma poitrine, jusqu'au moment où Dieu renvoyait la paix dans mon âme. Je redoutais l'asile même de ma cellule ; il me semblait complice de mes pensées. Irrité contre moi-même, seul je m'enfonçais dans le désert. Si je découvrais quelque vallée plus profonde, quelque cime plus escarpée, j'en faisais un lieu de prière et une sorte de prison pour ma chair misérable.
Souvent, le Seigneur m'en est témoin, après des larmes abondantes, après des regards long-temps élancés vers le ciel, je me voyais transporté parmi les chœurs des anges et triomphant d'allégresse je chantais : Nous courrons après vous, attirés par l'odeur de vos parfums 1.
S’ ils soutiennent des assauts pareils, ceux même qui, dans un corps tout abattu, ne sont assiégés que par les pensées, que ne souffre pas une jeune fille qui vit au milieu des délices ? L’Apôtre nous l'apprend : Elle est morte, quoiqu'elle vive 1.
Si donc je peux donner quelque conseil, si l'on veut m'en croire sur mon expérience, le premier avis que je donne, la première grâce que je demande, c'est qu'une épouse du Christ évite le vin comme un poison. Ce sont là les premières armes du démon contre la jeunesse. L'avarice ébranle moins, l'orgueil enfle moins, l'ambition séduit moins. Nous pouvons sans peine nous dépouiller des autres vices, mais celui-ci est un ennemi renfermé dans nous. Où que nous allions, nous le portons avec nous. Le vin et la jeunesse, voilà un double foyer de volupté. Pourquoi jeter de l'huile dans la flamme? Pourquoi entretenir le feu dans un faible corps tout brûlant déjà ?
Paul écrit à Timothée : Ne buvez pas d'eau, mais usez d'un peu de vin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies2 . Voyez pour quels motifs l'Apôtre permet de boire du vin. C'est dans la vue de remédier à des douleurs d'estomac et à de fréquentes maladies. Et de peur que nous n'allassions, par hasard, nous faire de nos maladies un prétexte, il ordonne de prendre fort peu de vin parlant plutôt en médecin qu'en apôtre, quoique du reste, un apôtre soit un médecin spirituel, et craignant que Timothée, accablé sous le poids de ses infirmités ne pût accomplir sa mission évangélique. D'ailleurs, il se souvenait bien d'avoir dit lui-même : Le vin est une source de dissolution. Et encore : Il est bon de ne point manger de chair, de ne point boire de vin 3: Noé but du vin, et s'enivra 4. Au sortir du déluge, dans un âge encore grossier, alors que la vigne venait seulement d'être plantée, peut-être ne savait-il pas que le vin enivrât.
Et, afin que vous compreniez qu'en toutes choses l'Ecriture est mystérieuse…
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(1) Cant. I. 3. — (1) I. Tim. V. 6. — (2) I. Tim. V. 23 — (3) Rom. XIV. 21. — (4) Gen. IX. 21.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 151-155.A EUSTOCHIUM.SUITE
Et, afin que vous compreniez qu'en toutes choses l'Ecriture est mystérieuse, (car la parole de Dieu est une perle qui peut être percée de tout côté), après l'ivresse, remarquez-le-bien, suivit la nudité du corps, et l'intempérance enfanta l'impureté. Le ventre s'emplit et s'étend d'abord, et par suite, les divers membres se remuent et s'agitent. Le peuple mangea, dit l'Écriture, et il but, et ils se levèrent pour danser 1.
Loth, cet ami de Dieu , qui fut sauvé sur la montagne, et qui, seul, de tant de milliers d'hommes, avait été trouvé juste, est enivré par ses filles ; quoiqu'elles s'imaginassent que le monde avait péri, et qu'elles agissent ainsi plutôt dans le désir d'avoir des enfants, que par passion, cependant elles savaient bien que cet homme juste ne ferait que dans l'ivresse une telle action. Enfin, il ignora ce qu'il avait fait, et, quoique la volonté n'ait aucune part au crime, l'erreur toutefois ne laisse pas d'être coupable. De cette union vinrent les Moabites et les Ammonites, ces ennemis d'Israël, qui, non pas même après la quatorzième génération n'entrèrent jamais dans l'assemblée du Seigneur 2.
Elie fuyait Jézabel, et, fatigué, se reposait sous un chêne dans la solitude; un ange vient à lui, le réveille et lui dit : Lève-toi et mange.— Elie regarda, et il vit auprès de sa tête un pain cuit sous la cendre et un vase d'eau 3. Est-ce, par hasard, que Dieu ne pouvait pas lui envoyer un vin délicieux, des mets choisis et des viandes assaisonnées?
Elisée invite à dîner les fils des prophètes, et, leur servant des herbes sauvages, il entend les convives s'écrier tous : La mort est dans ce vase 1. L'homme de Dieu ne s'emporta point contre les cuisiniers, car il n'était pas habitué à une table plus splendide ; mais jetant un peu de farine sur ces herbes, il en corrigea l'amertume, par la vertu du même esprit avec lequel Moïse avait adouci les eaux de Mara Note 1. Et ceux qui étaient venus pour s'emparer de lui, qu'il avait privés des yeux du corps et des yeux de l'esprit, qu'il avait introduits dans Samarie, sans qu'ils s'en doutassent, comment voulut-il qu'on les reçût? vous allez l’apprendre: Faites-leur servir du pain et de l'eau, afin qu'ils mangent et qu'ils boivent, et qu'ils s'en retournent vers leur maître 2.
On pouvait servir à Daniel, avec les plats du roi de Babylone une table plus opulente ; néanmoins, Abacuc lui porte le dîner de ses moissonneurs, c'est-à-dire, une nourriture grossière 3. Aussi le prophète fut-il appelé homme de désirs, parce qu'il ne mangea pas de ce pain délicieux et qu'il ne but pas le vin de la concupiscence 4.
Ils sont innombrables les témoignages divins de l’Écriture, qui condamnent les mets recherchés…
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(1) Exod. XXXII. 6. — (2) Deut. XXIII. 3. — (3) III. Reg. XIX. 5. 6. — (1) IV. Reg. IV. 40. — (2) IV. Reg. VI. 22. — (3) Dan. XIV. 32. 33. — (4) Dan. IX. 23.
Note (1) : MARA. — En hébreu, mara signifie amertume. Voyez l'Exode,chapitre XV.
Dernière édition par Louis le Ven 30 Oct 2020, 5:20 am, édité 1 fois
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 155-157.A EUSTOCHIUM.SUITE
Ils sont innombrables les témoignages divins de l’Écriture, qui condamnent les mets recherchés, et qui louent les mets simples. Mais comme je n'ai pas dessein de parler ici du jeûne, et que, pour traiter la matière à fond, il faudrait un titre et un volume particuliers, que ce soit assez de ces quelques mots sur un sujet si étendu. Au reste, d'après le modèle que je viens de vous en donner, vous pourrez vous-même ramasser les passages de cette nature, et observer comment le premier homme, pour avoir obéi à son ventre plutôt qu'à Dieu, fut relégué dans cette vallée de larmes ; comment, au désert, le démon tenta le Seigneur par la faim ; comment l'Apôtre s'écrie : Les aliments sont pour l'estomac, et l'estomac pour les aliments, et un jour Dieu détruira l'un et l'autre 1; comment il parle des hommes sensuels, qui se font un Dieu de leur ventre 2, car chacun adore ce qu'il aime. C'est pourquoi il faut soigneusement pourvoir à ce que le jeûne ramène dans le paradis ceux que l'intempérance en a chassés.
Mais, si vous voulez me répondre que, sortie d'une noble race, élevée dans les délices, dans la mollesse, vous ne pouvez pas vous abstenir de vin et de mets exquis, ni mener une vie si austère, je vous répondrai d'un ton ferme : Vivez donc à votre manière, vous qui ne pouvez vivre suivant la loi de Dieu. Ce n'est pas que Dieu, créateur et maître de toutes choses, prenne plaisir à nous voir dévorés par une faim cruelle, épuisés par de longues abstinences, consumés par des jeûnes rigoureux, mais c'est que la pudeur ne peut être en sûreté sans cela.
Ecoutez ce que Job, cet homme chéri de Dieu, et déclaré par lui simple et sans tache, pense du démon : Sa force est dans ses reins, et sa vertu consiste dans son nombril 3. Les parties génitales de l'homme et de la femme sont voilées sous d'autres termes. C'est pourquoi l'on promet à David qu'un enfant sorti de ses reins siégera sur son trône ; aussi soixante-quinze personnes sorties de la cuisse de Jacob 4 entrèrent en Egypte ; mais depuis que dans sa lutte avec le Seigneur, il eut le nerf de la cuisse séché 5, il ne procréa plus d'enfants. C'est pour cela aussi que ceux qui faisaient la Pâque reçoivent l'ordre de ceindre et de mortifier leurs reins avant de la célébrer 6.
Dieu dit aussi à Job : …
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(1) I. Cor. VI. 13. — (2) Philipp. III. 19. — (3) Job. XL. 11. — (4) Exod. I. 5. — (5) Gen. XXXII. 25. — (6) Exod. XII. 11.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 157-161.A EUSTOCHIUM.SUITE
Dieu dit aussi à Job : Ceins les reins comme un guerrier 1. Jean se ceignait d'une ceinture de peau. Les apôtres reçoivent ordre de se ceindre les reins, et de tenir les lampes de l'Évangile. Mais à Jérusalem qui est trouvée couverte de sang, dans le champ de l'erreur, il est dît en Ezéchiel : On ne vous a point coupé le conduit par où vous receviez la nourriture dans le sein de votre mère 2. Toute la force du diable contre les hommes git donc dans les reins ; toute la force contre les femmes est encore dans les reins.
Voulez-vous savoir si je dis la vérité? voici des exemples : Samson, plus fort que le lion, plus dur que le rocher, qui seul et sans armes avait poursuivi mille Philistins armés, s'amollit dans les embrassements de Dalila. David, choisi selon le cœur de Dieu, et qui tant de fois, de sa bouche sainte, avait chanté le Christ à venir, David, se promenant sur le toit de sa maison, est séduit par la nudité de Bethsabée, et joint à l'adultère l'homicide. Ici, remarquez en passant, qu'un seul regard peut nous perdre, jusque dans notre maison. C'est pourquoi ce prince pénitent dit à Dieu : J'ai péché contre vous seul, et j'ai commis le mal en votre présence 3; car il était roi et ne craignait personne. Salomon, par la bouche duquel la sagesse avait rendu ses oracles, qui avait écrit sur tant de matières depuis les cèdres du Liban, jusques à l'hysope qui naît dans les murailles, s'éloigna du Seigneur, en aimant les femmes. Et, de peur que quelqu'un ne se tienne point en garde contre les liens du sang, nous voyons Amnon brûler, pour sa sœur Thamar, d'une passion criminelle.
Je ne saurais dire sans honte combien de vierges tombent chaque jour; combien l'Eglise, mère affligée, en voit périr dans son sein, sur combien d'astres un ennemi superbe élève son trône, combien de rochers perce la couleuvre pour y établir sa retraite. On en trouve souvent qui sont veuves avant d'avoir été mariées, et qui cachent sous un habit modeste une conscience flétrie. Si leur grossesse, si les vagissements de leurs enfants ne les trahissaient, elles marcheraient la tête levée, et le pas affecté. D'autres savent se rendre stériles, et commettent un homicide sur un enfant qui n'est point encore né. Quelques-unes, s'apercevant qu'elles ont conçu de leur coupable amour, cherchent des breuvages qui les fassent avorter, et comme il arrive souvent qu'elles périssent elles aussi, elles descendent aux enfers chargées de trois crimes, homicides d'elles-mêmes, adultères de Jésus-Christ, parricides d'un enfant qui n'est point encore né.
Voilà celles qui ont coutume de dire : Tout est pur pour les purs 1; ma conscience me suffit ; Dieu demande un cœur pur; pourquoi m'abstiendrais-je des viandes qu'il a créées pour mon usage ? Et si quelquefois elles veulent plaisanter et se mettre de belle humeur, dès qu'elles se sont gorgées de vin, joignant le sacrilège à l'ivresse, elles disent : A Dieu ne plaise que je m'abstienne de boire le sang du Christ ! la vierge qu'elles voient pâle et triste, elles l'appellent malheureuse, moinesse, manichéenne Note (2) . Elles sont conséquentes, car, avec la vie qu'elles mènent, le jeûne est une hérésie.
Voilà celles qui marchent en public d'une manière affectée; qui, par des regards furtifs…
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(1) Job. XXXVIII. 3. — (2) Ezech. XVI. 4. — (3) Ps. L. 6. — (1) Tit. I. 15.
Note (2) :MANICHÉENNE.— Elles donnaient le nom de Manichéennes à celles qui jeûnaient, parce que les Manichéens ne mangeaient point de chair, s'imaginant que, lorsqu'on tuait un animal, la substance de Dieu , qui, selon eux, y était attachée, s'en séparait tout-à-coup. Ils s'abstenaient aussi de vin; ils condamnaient l'usage des œufs, du lait et du fromage, comme étant des créatures du mauvais principe.[/sup][/sup]
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 161-163.A EUSTOCHIUM.SUITE
Voilà celles qui marchent en public d'une manière affectée ; qui, par des regards furtifs, attirent après elles une foule de jeunes gens, et qui méritent d'entendre toujours ces paroles du prophète : Vous vous êtes fait un front de prostituée ; vous ne savez pas rougir 1. N'avoir sur leurs habits que de légers filets de pourpre, se coiffer négligemment, afin que les cheveux tombent avec plus de mollesse ; porter une chaussure simple, un voile qui voltige sur leurs épaules, des manches courtes et serrées ; marcher d'un pas brisé et avec nonchalance : voilà toute leur virginité. Qu'elles aient des personnes pour les louer; que, sous le nom de vierges, elles mettent à plus haut prix la perte de leur innocence; nous ne cherchons point, nous, à plaire à de pareilles femmes.
J'ai honte de le dire; ô crime ! cela est déplorable, mais vrai. Comment s'est introduit dans les Églises ce fléau des Agapètes Note 3 ? D'où vient, hors de l'état nuptial, cet autre nom d'épouses ? Bien plus, d'où vient ce nouveau genre de concubines ? Je dirai plus : d'où viennent ces courtisanes qui se donnent à un seul homme ? Il est des gens qui ont la même maison, la même chambre, souvent aussi le même lit, et qui nous appellent soupçonneux, lorsque nous pensons quelque chose. Le frère se sépare de sa sœur, qui professe la virginité ; la sœur, qui est vierge, méprise son frère qui vit dans le célibat, et cherche ailleurs un autre frère ; feignant l'un et l'autre d'embrasser un même genre de vie, ils cherchent des consolations spirituelles auprès de personnes étrangères, afin de lier avec elles un commerce charnel. Ce sont des gens de cette espèce que désigne Salomon, dans les Proverbes quand il dit, en termes si méprisants : Quelqu'un peut-il cacher du feu dans son sein, sans voir ses vêtements brûler ? — Peut-on marcher sur des charbons ardents, sans consumer ses pieds ? 2
Maintenant que j'ai démasqué et repoussé loin de…
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(1) Jer. III. 3 — (2) Prov. VI. 27. 28.
Note (3) :AGAPÈTES. — Ce mol signifie bien-aimées, et il est dérivé du grec. Dans la première Eglise, les agapètes étaient des vierges qui vivaient en communauté, et qui servaient les ecclésiastiques par pur motif de charité et de religion. Les meilleures choses s'altèrent avec le temps; et, comme l'a dit un ancien, corruptio optimi pessima. Il est probable que la fréquentation des agapètes et des ecclésiastiques occasiona des désordres et des scandales ; c'est ce que semble insinuer saint Jérôme. Voyez Bergier, Dictionnaire de théologie, au mot AGAPÈTES.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 163-167.A EUSTOCHIUM.SUITE
Maintenant que j'ai démasqué et repoussé loin de nous celles qui ne veulent pas être vierges, mais seulement le paraître, c'est à vous que je vais adresser mon discours, à vous qui, étant la plus distinguée des vierges de Rome, devriez mettre un soin d'autant plus grand à ne pas vous priver tout à la fois et des biens présents et des biens futurs. Et certes, les chagrins de l'état nuptial, les tristes incertitudes qui s'y rattachent, vous les avez connus par un exemple domestique, puisque votre sœur Blésilla, votre aînée selon la nature, votre inférieure selon la grâce, s'est trouvée veuve après sept mois de mariage. O malheureuse condition humaine et qui ne sait rien de l'avenir ! Elle a perdu la couronne de la virginité, et les douceurs du mariage. Quoiqu'elle soit maintenant dans le second degré Note 4 de continence, néanmoins quelle croix pensez-vous que ce soit de temps en temps pour elle de voir en sa sœur chaque jour ce qu'elle a perdu elle-même, et de sentir que, tout en se privant avec plus de difficulté d'un plaisir qu'elle a goûté, sa continence est pourtant d'un moindre prix que la vôtre ? Qu'elle vive néanmoins sans inquiétude, sans chagrin ; car le centième comme le soixantième fruit de la chasteté vient du même germe Note 5.
Je voudrais que vous n'eussiez point de liaison avec les femmes mariées; je voudrais que vous ne fréquentassiez pas les personnes de qualité ; je ne voudrais pas que vous vissiez souvent ce que vous avez méprisé pour vous consacrer à l'état virginal. Si une femme du commun se fait d'ordinaire un mérite d'avoir pour mari un juge ou un homme constitué en quelque dignité ; si les courtisans se hâtent d'accourir auprès d'une impératrice, pourquoi compromettez-vous la gloire de votre époux ? pourquoi vous empressez-vous autour de la femme d'un homme mortel, vous l'épouse de Dieu ? Apprenez à montrer en ceci un saint orgueil ; sachez que vous êtes au-dessus d'elles.
Du reste, je ne désire pas que vous évitiez la compagnie seulement de celles qui, fières de la dignité de leurs maris, s'environnent d'un troupeau d'eunuques, et dont les vêtements sont tissus de légers fils d'or; évitez encore celles qui sont veuves par nécessité plutôt que par inclination, non pas qu'elles aient dû souhaiter la mort de leurs maris, mais parce qu'elles n'ont pas profité volontiers de l'occasion qu'elles avaient de vivre dans la continence. Satisfaites d'avoir changé d'habits seulement, elles ne changent rien à leur luxe ni à leur vanité. Une troupe d'eunuques précède leurs superbes litières Note 6, et à les voir le visage plein et vermeil, on ne croirait pas qu'elles ont perdu leurs époux ; l'on dirait, au contraire, qu'elles cherchent à se marier. Leurs maisons sont pleines de flatteurs, pleines de festins. Les clercs eux-mêmes qui devraient les instruire et leur inspirer une crainte respectueuse, les embrassent au front, et quand ils étendent la main, comme pour les bénir, du moins vous le croiriez, c'est pour recevoir, sachez-le bien, le prix de leurs indignes complaisances. Elles cependant, qui s'aperçoivent que les prêtres ont besoin de leur appui, deviennent fières. Comme elles ont éprouvé la domination maritale, elles préfèrent la liberté du veuvage, et sont appelées chastes et nonnes ; puis, après des festins équivoques, elles rêvent d'apôtres.
Prenez pour compagnes celles que les jeûnes abattent, celles dont le visage est pâle, celles que recommandent et leur âge et leur vie…
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Note (4) : SECOND DEGRÉ. Le premier degré de chasteté, c'est celui des vierges; le second, celui des veuves, et le troisième, celui des femmes mariées.
Note (5) — Saint Jérôme fait allusion à ce verset de saint Matthieu, XIII. 8. : « Une partie de la semence tomba dans « une bonne terre , et les graines donnèrent leurs fruits : l'un cent, l'autre soixante , l'autre trente pour un. » Le nombre cent marque ici la chasteté des vierges; le nombre soixante, celle des veuves, et le nombre trente, celle des personnes mariées. Ainsi, le nombre soixante, dont parle Jérôme, est pour Blésilla, qui était veuve, et le nombre cent, pour Eustochium, qui était vierge.
Note (6) : LITIÈRES.— Le texte porte caveas basternarum. Il s'agit ici d'une sorte de voiture ou de chariot, fermé de tous côtés, qui avait emprunté le nom des peuples Bastarnes. L'usage de ce chariot passa de ces peuples aux Romains et même à nos premiers rois, comme on peut s'en convaincre par Grégoire de Tours. C'est à la basterne que Boileau fait allusion dans son Lutrin. Le mot caveas désigne la partie supérieure de la basterne, qui avait, sans doute, quelque ressemblance avec nos voitures actuelles. Peut-être, dans la traduction, fallait-il employer tout simplement le terme de basterna.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 167-171.A EUSTOCHIUM.SUITE
Prenez pour compagnes celles que les jeûnes abattent, celles dont le visage est pâle, celles que recommandent et leur âge et leur vie ; qui chantent tous les jours en leurs cœurs : Où conduisez-vous vos brebis, où les faites-vous reposer au milieu du jour 1 ? qui disent du fond de l'âme : Je désire d'être dégagée des liens du corps, et de me voir avec le Christ 2. Soyez soumise à vos parents ; imitez votre époux. N'allez que rarement en public Note 7; cherchez les martyrs dans votre chambre; car vous ne manquerez jamais de prétexte pour sortir, si vous le faites toutes les fois que vous en aurez besoin.
Mangez avec modération, et ne remplissez jamais de viandes votre estomac. On voit plusieurs vierges, qui, prenant du vin avec sobriété, s'enivrent par l'excès des viandes. Lorsque, la nuit, vous vous lèverez pour prier, s'il vous vient quelques rapports, que ce soit d'inanition et non pas de réplétion. Lisez souvent, apprenez le plus que vous pourrez. Que le sommeil vous surprenne les livres sacrés à la main; si votre tête s'incline sous la fatigue, qu'elle tombe sur les pages saintes. Jeûnez chaque jour, et ne mangez pas jusques à satiété. Que sert-il de s'épuiser par un jeûne de deux ou trois jours, si l'on mange ensuite avec excès, pour se dédommager de cette abstinence ? Un estomac surchargé appesantit bientôt l’âme, et, semblable à une terre mouillée, produit les épines des passions.
Si jamais vous sentez l'homme extérieur soupirer après cette fleur d'adolescence; si, après avoir pris de la nourriture, la séduisante pompe des passions vient vous flatter dans votre couche, saisissez le bouclier de la foi, pour éteindre les traits enflammés du démon. Ils sont tous adultères, et leurs cœurs sont semblables à un âtre brûlant 3.
Mais vous, qui marchez en la compagnie du Christ, soyez attentive à ses paroles, et dites : Notre cœur n'était-il pas embrasé en chemin, lorsque Jésus nous découvrait les Ecritures 1 ? Et encore : Votre parole est toute brûlante, et votre serviteur la chérit 2. Il est difficile à l'âme humaine de ne pas aimer quelque chose Note 8, et il faut nécessairement que notre cœur soit entraîné à une affection quelconque. L'amour de la chair est étouffé par l'amour de l'esprit; un désir est éteint par un autre désir. Tout ce qui diminue d'un côté s'accroît de l'autre. Répétez souvent, et ne cessez de dire sur votre couche : Durant les nuits j'ai cherché celui que chérit mon âme 3, — Faites donc mourir, dit l'Apôtre, les membres de l'homme terrestre qui est en vous 4. C'est pourquoi il disait encore avec confiance : Je vis, ou plutôt ce n'est plus moi qui vis, mais c'est Jésus-Christ qui vit m moi 5. Celui qui mortifie son corps, et qui passe dans le siècle ainsi que dans une ombre, ne craint pas de dire : Je suis devenu comme une outre exposée à la gelée 6. Tout ce qu'il y avait d'humide en moi s'est desséché ; mes genoux se sont affaiblis dans le jeûne, et j'ai oublié de manger mon pain 7 .— A la voix de mes gémissements, ma peau s'est attachée à mes os 8.
Soyez la cigale des nuits ; …
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(1) Cant. I. 6. — (2) Phil. I. 23. — (3) Os. VII. 4. — (1) Luc. XXIV. 32. — (2) Ps. CXVIII. 140. — (3) Cant. III. 1. — (4) Coloss. III. 5. — (5) Gal. II. 20. — (6) Ps. CXVIII. 83. — (7) Ps. CI. 5. — ( 8 ) Ps. VI. 7.
Note (7) — Saint Jérôme ne permet pas à Eustochium de sortir, même pour aller visiter les tombeaux des martyrs, et il veut qu'elle se contente de les honorer en particulier et dans sa chambre. C'est que, en effet, sous les dehors d'une apparente dévotion, se cache plus d'une fois un pitoyable étalage de vanité.
Note ( 8 ) : IL EST DIFFICILE À L'ÂME HUMAINE DE NE PAS AIMER QUELQUE CHOSE.— Mot que Massillon semble avoir traduit par cette pensée : « Il faut aux cœurs, et aux cœurs surtout d'un certain caractère, un objet déclaré qui les occupe et les intéresse. » Carême, Sermon sur la tiédeur.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 171-175.A EUSTOCHIUM.SUITE
Soyez la cigale des nuits ; baignez, toutes les nuits, votre couche de vos pleurs ; veillez et devenez comme le passereau dans la solitude 9. Chantez de cœur, chantez aussi d'esprit 10 : Bénissez le Seigneur, ô mon âme, et n'oubliez jamais ses nombreux bienfaits. — Il pardonne toutes vos iniquités ; il guérit toutes vos langueurs. C'est lui qui a racheté votre vie de la mort 1. Et qui de nous peut dire du fond du cœur : Je mangeais mon pain comme la cendre, et je mêlais ma boisson avec mes larmes 2?
Est-ce qu'il ne faut pas pleurer, est-ce qu'il ne faut pas gémir, puisque le serpent m'invite encore à manger du fruit défendu? puisque, après m'avoir chassé du paradis de la virginité, il veut me vêtir de ces tuniques de peau, qu’Elie, retournant au paradis, jeta sur la terre? Qu'ai-je de commun avec la volupté, elle qui passe si vite? Qu'ai-je affaire de cette douce et mortelle harmonie des sirènes? Je ne veux point être soumis à la peine qui fut portée contre l'homme: Vous enfanterez dans la douleur et dans les angoisses 3. Cette loi est faite pour la femme et non pour moi : — Et vous vous attacherez à votre époux. — Qu'elle donne ses affections à un mari, celle qui n'a point le Christ pour époux. Et enfin : Vous mourrez de mort. Voilà où aboutit le mariage ; ma profession ne connaît point de sexe. Que celles qui sont mariées aient leur temps et leur titre; moi, ma virginité est consacrée en Marie et en Jésus-Christ.
Quelqu'un dira : Quoi, vous osez calomnier le mariage qui a été béni de Dieu ? — Ce n'est pas mal parler du mariage que de lui préférer la virginité. Personne ne compare le mal avec le bien. Que les femmes mariées se glorifient aussi, puisqu'elles marchent après les vierges. Dieu dit à l'homme : Croissez et multipliez-vous 1, et remplissez la terre. Qu'il croisse et qu'il se multiplie celui qui doit remplir la terre; ils sont dans le ciel ceux qui marchent comme vous. Croissez et multipliez-vous; cet ordre n'a été accompli qu'après le bannissement du paradis, après la nudité, après les feuilles du figuier, qui marquaient par avance les désirs déréglés du mariage. Qu'ils se marient ceux qui mangent leur pain à la sueur de leur front, pour qui la terre ne produit que des chardons et des épines, pour qui l'herbe est étouffée sous les ronces. Ce que je sème porte du fruit au centuple. Tous n'entendent pas la parole de Dieu, mais ceux à qui il est donné de l'entendre 2. Qu'un autre soit eunuque par nécessité, moi, je veux l'être par mon propre choix. Il est un temps d'embrasser, et un temps de s'éloigner des embrassements; — un temps de disperser les pierres, et un temps de les ramasser 3.
Depuis que de la dureté des nations il est sorti des enfants d'Abraham, les pierres saintes ont commencé, à rouler sur la terre. Car elles passent à travers les tourbillons de ce monde; et, dans le char de Dieu, elles volent avec la célérité des roues. Qu'ils se fassent des tuniques de peaux ceux qui ont perdu la tunique sans couture, et que charment les vagissements d'un enfant qui, dès le premier instant de sa vie, pleure le malheur d'être né. Eve était vierge dans le paradis terrestre; après qu'elle eut été revêtue de tuniques de peaux, alors commença le mariage. Votre patrie est le paradis; conservez les droits de votre naissance, et dites : O mon âme, rentre dans ton repos 4.
Et, afin que vous sachiez que la virginité est naturelle à l'homme…
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(9) Ps. CI. 8. — (10) I. Cor. XIV. 15. — (1) Ps. CXII. 2. 4. — (2) Ps. CI. 10. — (3) Gen. III. 16. — (1) Gen. I. 28 — (2) Matth. XIX. 11. — (3) Eccl. III. 5. — (4) Ps. CXIV. 7.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
.LETTRE XVIII.Pages 175-179.A EUSTOCHIUM.SUITE
Et, afin que vous sachiez que la virginité est naturelle à l'homme, que le mariage est une suite du péché, une chair vierge naît du mariage, qui donne dans le fruit ce qu'il avait perdu dans la ruine. Un rejeton naîtra de la tige de Jessé; une fleur s'élèvera de ses racines 1. Le rejeton est la mère du Seigneur, rejeton simple, pur, franc, qui n'est mêlé d'aucun germe étranger, et qui est fécond, dans son unité Note 9, à la manière de Dieu. La fleur du rejeton, c'est le Christ; lui qui dit : Je suis la fleur des champs et le lis des vallées 2. C'est lui encore qui, dans un autre endroit, est figuré par la pierre détachée d'une montagne, sans la main de l'homme 3, le Prophète nous marquant par là qu'un homme vierge devait naître d'une femme vierge; car la main est prise pour l'action même du mariage, comme dans cet endroit : Sa main gauche est sous ma tête, et il m'embrasse de sa droite 4.
Ce sens est confirmé par ce que fit Noé en introduisant deux à deux dans l'arche les animaux impurs, car le nombre impair est un nombre pur. Moïse et Jésus Navé reçoivent l'ordre de marcher nu-pieds sur une terre sainte. Les apôtres, eux aussi, sont envoyés sans chaussure à la prédication de l'Evangile nouveau, afin que le poids et les liens des chaussures ne les embarrassent pas. Aussi, les soldats, après s'être partagé par le sort les vêtements du Sauveur, ne trouvèrent point de chaussure à prendre, car le maître ne pouvait avoir ce qu'il avait interdit à ses serviteurs.
Je loue les noces, je loue le mariage, mais c'est parce qu'il enfante des vierges ; je prends une rose dans les épines, de l'or dans la terre, une perle dans un coquillage. Est-ce que celui qui laboure labourera tout le jour? Ne doit-il pas goûter le fruit de ses travaux? On ne saurait mieux honorer le mariage, qu'en aimant beaucoup ce qu'il produit. O mère, pourquoi porter envie à votre fille? Elle a été nourrie de votre lait, formée de vos entrailles ; elle a grandi en votre sein. Vous avez conservé sa virginité avec une pieuse sollicitude. Trouvez-vous mauvais qu'elle ait mieux aimé épouser un roi qu'un soldat? Elle vous a rendu un grand service, car vous êtes devenue la belle-mère de Dieu.
Quant aux vierges, dit l'Apôtre, je n'ai point de commandement du Seigneur 1. Pourquoi? parce que lui-même avait embrassé la virginité, non point d'après un ordre, mais d'après son propre choix. Car, il ne faut pas écouter ceux qui prétendent qu'il eut une femme, puisque, parlant de la continence, et exhortant les chrétiens à une virginité perpétuelle, il dit : Je voudrais que tous les hommes fussent en l'état où je suis moi-même. Et plus bas : Or, je dis aux personnes qui ne sont point mariées ou qui sont veuves, qu'il leur est bon de demeurer dans cet état, comme j'y demeure moi-même 2. Et ailleurs : N’avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous des femmes, comme font les autres apôtres 3? Et pourquoi donc n'a-t-il pas reçu de commandement du Seigneur touchant la virginité? — Parce qu'il y a plus de mérite à faire une chose sans contrainte et à l'offrir; parce que, si la virginité eût été commandée, le mariage semblait détruit. D'ailleurs, il était trop dur de forcer la nature de contraindre l'homme à mener sur la terre une vie angélique, et de condamner en quelque sorte l'œuvre du Créateur.
Autre fut la béatitude, sous l'ancienne loi :…
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(1) Is. XI. 1. — (2) Cant. II. 1. — (3) Dan. II. 34. — (4) Cant. II. 6. — (1) I. Cor. VII. 25. — (2) I. Cor. VII. 8. — (3) I. Cor. IX. 5.
Note (9) — Le texte de saint Jérôme porte unione fecunda. Erasme a cru que cet endroit était corrompu, et s'est déchaîné contre les corrupteurs. Il s'est imaginé qu'il fallait lire : Ad conchœ similitudinem Dei unione fecundat c'est-à-dire, comme il l'explique lui-même, que la Vierge, semblable à la nacre, a produit une perle, qui est Dieu; et il prétend que le mot unio, dans ce passage, signifie une perle. Martianay a eu raison de s'en tenir aux manuscrits, qui portent tous : Ad similitudinem Dei unione fecunda. Saint Jérôme se sert de cette même expression, dans son Commentaire sur le chapitre XIIIe d'Osée. Ainsi, la difficulté consiste dans le mot unione, qui signifie, en cet endroit, non point union, et encore moins une perle, mais unité, comme il est aisé de le prouver par saint Jérôme lui-même, puisqu'il emploie assez souvent le mot unione pour unitate. « Perfectus est numerus, qui unione retinetur » , dit-il dans son Commentaire sur le chapitre Ve d'Amos; et plus bas : « Decas decima unione completur. » Voyez encore le Commentaire sur le XLe chapitre d'Ezéchiel.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 179-183.A EUSTOCHIUM.SUITE
Autre fut la béatitude, sous l'ancienne loi : Heureux, disait-on, celui qui a des enfants dans Sion, et une famille dans Jérusalem ! Et : Maudite soit la femme stérile qui n'enfante point. Et : Vos enfants, comme de jeunes oliviers, environneront votre table 1. Puis, l'on promettait de grandes richesses ; l'on assurait qu'il n'y aurait pas de malades dans les tribus.
On nous dit aujourd'hui: N'allez pas croire que vous soyez un tronc desséché 2 ; car, au lieu de fils et de filles, vous avez dans les cieux une place pour l'éternité. Aujourd'hui l'on bénit les pauvres, et Lazare est préféré au riche couvert de pourpre. Maintenant, celui qui est faible se trouve être plus fort. L'univers était vide; et, pour ne rien dire de ce qu'il y avait alors de typique, la seule bénédiction consistait dans le grand nombre d'enfants. Voilà pourquoi Abraham, déjà vieux, s'unit à Céthura 3; pourquoi aussi Lia rachette, avec des mandragores, le droit d'entrer dans la couche de Jacob 4; pourquoi encore la belle Rachel, figure de l'Eglise, se plaint de sa stérilité.
Mais enfin, la moisson s'augmentant peu à peu, le moissonneur a été envoyé. Elie était vierge, Elisée était vierge, beaucoup d'entre les fils des prophètes étaient vierges aussi. Il est dit à Jérémie : Vous, ne prenez point de femme 5. Sanctifié dans le sein de sa mère, ce prophète, à l'approche de la captivité, reçoit ordre de ne point se marier. L'Apôtre nous dit la même chose en d'autres termes : Je crois que la vie célibataire est avantageuse à l'homme, à cause des misères de la vie présente, je veux dire qu'il est avantageux à l'homme de ne se point marier 6. Quelle est cette fâcheuse nécessité qui nous prive des joies du mariage ? C'est que le temps est court; ainsi, il faut que ceux mêmes qui ont des femmes soient comme s'ils n'en avaient point 7 .
Nabuchodonosor approche. Le lion s'est élancé hors de sa tanière. Que me reviendra-t-il d'un mariage qui doit donner des esclaves à ce prince superbe ? Pourquoi mettre au monde des enfants dont le prophète déplore la destinée, disant ; La langue de l’enfant encore à la mamelle, s'est attachée à son palais, dans l'ardeur de sa soif: Les petits enfants ont demandé du pain, et personne n'était là pour leur en donner 1.
C'était dans les hommes seulement que l’on trouvait, comme nous l'avons dit, cette vertu de continence…
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(1) Ps. CXXVII. 3. — (2) Is. LVI. 3. — (3) Gen. XXV. 1. — (4) Gen. XXX. 14. 15. — (5) Jer. XVI. 2. — (6) I. Cor. VII. 26. — (7) I. Cor. VII. 29. — (1) Jer. Theren. IV. 4.
Dernière édition par Louis le Lun 12 Oct 2020, 6:20 am, édité 1 fois (Raison : Orthographe.)
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 183-187.A EUSTOCHIUM.SUITE
C'était dans les hommes seulement que l’on trouvait, comme nous l'avons dit, cette vertu de continence; Eve enfantait toujours dans les douleurs. Mais, depuis qu'une vierge a conçu dans son sein, et qu'elle nous a donné cet enfant qui devait porter sur son épaule le signe de sa domination, le Dieu, le Fort, le Père du siècle futur 2 , la femme à été affranchie de la malédiction. La mort était venue par Eve ; la vie est venue par Marie Note 10. Aussi la virginité a-t-elle brillé plus richement dans les femmes, parce qu'elle a commencé par la femme. Aussitôt que le Fils de Dieu est venu dans le monde, il s'est formé à lui-même une nouvelle famille, afin d'avoir aussi des anges sur la terre, lui qui était adoré par des anges dans le ciel.
Alors la chaste Judith coupa la tête d'Holopherne. Alors Aman Note 11, et ce nom veut dire iniquité, périt dans le feu qu'il avait allumé lui-même.
Alors Jacques et Jean laissèrent leur père, leurs filets, leur nacelle, et suivirent le Sauveur, renonçant ainsi aux affections du sang, aux liens du siècle et aux affaires domestiques.
Alors, pour la première fois, on entendit ces mots : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, et prenne sa croix, et qu'il me suive 3; car, aucun soldat ne marche au combat avec sa femme. Le Christ ne permet pas à un disciple d'aller, suivant son désir, rendre les derniers devoirs à son père. Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel des nids, mais le Fils de l'homme n'a point où reposer sa tête 1.
C'est pour nous apprendre à ne pas nous attrister, si par hasard nous sommes logés à l'étroit. Celui qui n'est point marié s'occupe du soin des choses du Seigneur et des moyens de plaire à Dieu. — Mais celui qui est marié s'occupe du soin des choses du monde et des moyens de plaire à sa femme 2. La femme est partagée ; mais la vierge, elle qui n'est point mariée, s'occupe des choses du Seigneur, afin d'être sainte de corps et d'esprit. Et la femme, qui est mariée, s'occupe des choses du monde et des moyens de plaire à son mari.
Toutes les sollicitudes, tous les embarras qui accompagnent le mariage, il me semble que je les ai retracés en peu de mots, dans le livre que j'ai publié contre Helvidius, touchant la virginité perpétuelle de la bienheureuse Marie. Il serait trop long de répéter ici les mêmes choses; si quelqu'un le trouve bon, il peut recourir à ce petit traité.
Mais, afin qu'on ne m'accuse pas d'omettre entièrement ces détails, je dirai que, l'Apôtre nous ordonnant de prier sans cesse, que celui qui remplit les devoirs du mariage ne pouvant pas prier, ou bien nous prions toujours, et nous sommes vierges, ou bien nous cessons de prier, pour satisfaire aux obligations du mariage. Si une vierge se marie, dit encore l'Apôtre, elle ne pèche point; mais toutefois ces personnes-là souffrent dans leur chair des afflictions et des peines3.
Au reste, dès le commencement de cet écrit, j'ai averti que je ne dirai rien ou presque rien des misères du mariage. Je répète maintenant la même chose, afin que si vous voulez savoir de combien d'embarras une vierge se trouve affranchie, à combien de peines une femme est sujette dans le mariage, vous lisiez le traité de Tertullien Note 12, adressé à un philosophe son ami, et les autres livres sur la virginité ; et le bel ouvrage du bienheureux Cyprien ; et les écrits du pape Damase Note 13 , sur le même sujet, en prose comme en vers ; et l'opuscule que notre Ambroise Note 14 a récemment adressé à sa sœur, dans lequel il déploie tant d'éloquence, que tout ce qui relève la gloire de la virginité, il le recueille , le dispose, et l'exprime d'une manière admirable.
Pour nous, il nous faut prendre une autre route…
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(2) Is. IX. 6. — (3) Matth. XVI. 24. — (1) Luc. IX. 58. 61. — (2) I, Cor. VII, 32. 33. — (3) 1. Cor. VII 28.
Note (10 ) LA MORT ÉTAIT VENUE PAR ÈVE, LA VIE EST VENUE PAR MARIE.—Voilà pourquoi l'Eglise, dans une de ses hymnes, dit à la Vierge :Mutans Evæ nomen.
Note (11) — Sous le nom d'Aman et d'Holopherne, saint Jérôme veut parler des perles que la continence a causées au démon, et des victoires que les vierges ont remportées sur lui.
Note (12) — Cet ouvrage de Tertullien est perdu. Saint Jérôme en parle encore dans son premier livre contre Jovinianus, et dit que Tertullien le composa clans sa jeunesse. « Tertullianus, cura adhuc esset adolescens, lusit in hac materia. » Page 157, édition Martianay.
Note (13) — Cet écrit et ce poème sur la Virginité, par le pape Damase, sont aujourd'hui perdus. Dans le chapitre CIIIe des Hommes illustres, saint Jérôme dit, en parlant de Damase: « Elegans in versibus componendis ingenium habuit, multaque et brevia opuscula heroico metro edidit. » Il nous reste quarante pièces de vers et plusieurs lettres de cet illustre pontife. Voyez l'édition de ses Œuvres, donnée à Paris en 1672, in-8°.
Note (14) — Ce fut en 377 que saint Ambroise composa pour sa sœur Marcellina ce traité des Vierges.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 187-189.A EUSTOCHIUM.SUITE
Pour nous, il nous faut prendre une autre route. Nous ne louons pas seulement la virginité, mais nous enseignons les moyens de la conserver. Et il ne suffît pas de connaître le bien, si l'on ne s'attache fortement au parti que l'on a pris, car, dans le premier cas, c'est la raison qui agit, et dans le second, c'est la constance; beaucoup savent connaître ce qui est bon, mais peu s'y attachent d'une manière durable. Celui qui persévérera jusqu'à la fin , dit le Sauveur, celui-là sera sauvé1. Et encore : Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus 2.
Je vous conjure donc, et devant Dieu, et devant le Christ Jésus, et devant ses anges choisis, de ne pas facilement porter en public les vases du temple du Seigneur, que les prêtres seuls ont la liberté de voir, et cela, de peur qu'un objet profane ne regarde le sanctuaire du Seigneur. Oza, pour avoir porté la main à l'arche , qu'il ne lui était pas permis de toucher, fut frappé d'une mort subite. Jamais toutefois un vase d'or et d'argent ne fut plus précieux, aux yeux du Seigneur, que le temple d'un corps virginal. L'ombre a disparu ; c'est le règne de la vérité maintenant. Sans doute vous parlez en toute simplicité ; même, vous êtes douce et prévenante pour des inconnus, mais des yeux impudiques voient bien autrement. Ils ne savent pas contempler la beauté de l'âme, mais seulement celle des corps. Ezéchias montre aux Assyriens le trésor du Seigneur, mais les Assyriens ne devaient pas voir ce qui pouvait exciter leur convoitise. Aussi, dans les fréquentes guerres qui bouleversèrent la Judée, les vases de Dieu furent-ils pris d'abord et transportés à Babylone. Au sein de ses orgies, avec ses troupeaux de concubines (comme le comble du vice est de profaner les choses saintes), Balthazar boit dans les vases sacrés.
Ne prêtez point l'oreille aux mauvais discours. Souvent, ceux qui laissent échapper quelques paroles indécentes, ne le font que pour sonder vos sentiments, et pour voir si vous écoutez volontiers un pareil langage, si vous éclatez de rire à chaque parole plaisante. Tout ce que vous dites, ils le louent ; tout ce que vous désapprouvez, ils le condamnent: ils admirent votre enjouement, votre piété, votre franchise.
«Voilà, disent-ils, une véritable servante du Christ ; voilà la candeur même. Elle n'est point comme cette vilaine, cette malpropre, cette grossière, cette farouche, qui peut-être n'a point de mari, seulement parce qu'elle n'en a pas trouvé, »
Par un malheureux penchant qui nous est naturel, nous écoutons volontiers ceux qui nous flattent ; et, tout en disant que nous sommes indignes de leurs louanges, alors même qu'une rougeur brûlante nous couvre la figure, le cœur ne laisse pas néanmoins de se réjouir à ces éloges.
L'épouse du Christ est l'arche du testament…
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(1) Matth. XXIV. 13. — (2) Matth. XX. 16.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 189-193.A EUSTOCHIUM.SUITE
L'épouse du Christ est l'arche du testament; toute dorée par dedans et par dehors, elle est dépositaire de la loi du Seigneur. Comme il n'y avait dans l'arche que les tables du testament, de même il ne doit y avoir en vous aucune pensée extérieure. C'est là, sur ce propitiatoire, comme sur les ailes des chérubins, que le Seigneur veut s'asseoir. Il vous envoie ses disciples, pour vous délier comme l'ânon de l'Evangile, et pour vous affranchir des inquiétudes du siècle, afin qu'abandonnant les pailles et les briques de l'Egypte vous suiviez Moïse dans le désert, et que vous entriez dans la terre de promission. Qu'il n'y ait personne pour vous arrêter, ni père, ni sœur, ni parents, ni frère; le Seigneur a besoin de vous. Que s'ils veulent s'opposer à vos desseins, qu'ils redoutent les fléaux qu'éprouva Pharaon, lorsque, refusant au peuple d'Israël la liberté d'aller adorer le Seigneur, il endura les calamités dont parle l'Ecriture.
Jésus entra dans le temple, et jeta dehors tout ce qui ne servait point au sanctuaire ; car il est un Dieu jaloux, et ne veut pas que l'on fasse de la maison de son Père une caverne de voleurs. Autrement, lorsque l'on compte de l'argent quelque part, que l'on y vend des colombes, que l'on y immole la simplicité, que le cœur d'une vierge y est agité de mille soins divers et occupé des affaires du siècle, alors le voile du temple se déchire aussitôt, l'Epoux se lève irrité, et dit : Voilà que votre maison sera abandonnée 1.
Lisez l'Evangile, et voyez comment le Sauveur préfère à l'empressement de Marthe le repos de Marie assise à ses pieds.
Sans doute, Marthe, avec tout le zèle que demande l'hospitalité, préparait à manger au Seigneur et à ses disciples; le Seigneur cependant lui dit: Marthe, Marthe, vous vous inquiétez et vous vous troublez de beaucoup de choses; — cependant, peu de choses sont nécessaires, ou plutôt une seule chose est nécessaire; Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera point ôtée 2.
Soyez aussi Marie, vous, et préférez à la nourriture du corps celle de l'âme. Laissez à vos sœurs l'embarras du ménage, et le soin de recevoir le Christ en leur maison. Une fois le fardeau du siècle jeté de côté, asseyez-vous aux pieds du Seigneur, et dites : J’ai trouvé celui que mon âme cherchait ; je l'arrêterai, et ne le laisserai point aller1. Et qu'il vous réponde : Ma colombe est unique, elle est parfaite ; il n'y a qu'elle pour sa mère, elle est le choix de celle qui l'a engendrée 2, c'est-à-dire, de la céleste Jérusalem.
Que toujours vous habitiez dans le secret de votre chambre…
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(1) Matth. XXIII. 38. — (2) Luc. X. 41. 42. — (1) Cant. III. 4. — (2) Cant. VI. 8.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 193-196.A EUSTOCHIUM.SUITE
Que toujours vous habitiez dans le secret de votre chambre, que toujours votre époux y joue avec vous. Priez-vous? c'est à lui que vous parlez. Faites-vous quelque lecture? c'est lui qui s'entretient avec vous. Lorsque vous serez endormie, il viendra par derrière la muraille; il étendra sa main à travers les treillis, et vous vous sentirez émue à son aspect 3. Réveillée alors, et vous levant, vous direz : Je suis blessée d'amour. Et il vous dira de nouveau : Vous êtes un jardin fermé, ma sœur, mon épouse ,une source scellée 4 .
Gardez-vous de sortir de votre maison, et de voir les filles d'une région étrangère, quand même vous avez pour frères les patriarches, quand même vous vous glorifiez d'avoir pour père Israël. Dina sort de chez elle, et perd son innocence. Je ne veux pas que vous cherchiez votre époux dans les places publiques. Je ne veux pas que vous alliez parcourir les détours de la ville, quand vous diriez : Je me lèverai et je parcourrai la ville; dans les chemins sur les places, je chercherai celui que chérit mon âme 5; quand vous demanderiez : Avez-vous vu celui que chérit mon cœur ? 6 Personne ne daignera répondre.
Votre époux ne peut se trouver sur les places publiques. Il est petit, il est étroit le sentier qui conduit à la vie 1
Enfin l'on ajoute : Je l'ai cherché, et ne l'ai point trouvé; je l'ai appelé, et il ne m'a pas répondu 2. Et plût à Dieu que vous n'eussiez d'autre chagrin, que de ne l'avoir pas trouvé ! Vous serez encore blessée, dépouillée, et vous direz dans votre douleur : Les gardes qui parcourent la ville m'ont trouvée ; ils m'ont frappée et m'ont blessée; ils m'ont enlevé mon voile 3.
Or, si, pour être sortie de sa maison, elle souffre de pareilles choses celle qui avait dit : Je dors et mon cœur veille 4; mon bien-aimé est pour moi comme un faisceau de myrrhe Note 15; il dormira sur mon sein 5, que nous arrivera-t-il, à nous, qui ne sommes encore que de jeunes filles, qui restent dehors, lorsque l'épouse entre dans la chambre de l'époux ?
Jésus est jaloux, il ne veut pas que d'autres voient votre visage. Vous aurez beau lui dire pour vous justifier : Je me suis couvert le visage de mon voile je vous ai cherché, et j'ai dit : Vous, que chérit mon âme, apprenez-moi où vous faites paître votre troupeau, où vous reposez au milieu du jour, de peur que, rencontrant les troupeaux de vos compagnons, je ne sois obligée de me cacher le visage 6.
Indigné, plein de courroux il dira : Si vous ne vous connaissez pas, ô la plus belle d'entre les femmes, sortez et allez sur les traces des troupeaux; conduisez vos chevreaux dans les lentes des pasteurs 7.
Quoique vous soyez belle, et que votre époux épris de vos charmes, vous aime plus que toutes les autres femmes, néanmoins, si vous ne vous connaissez pas, si vous ne veillez à la défense de votre cœur avec tout le soin possible; si vous ne vous dérobez pas aux regards des jeunes gens, vous sortirez de son lit et vous ferez paître ces boucs, qui doivent être mis à la gauche.
Ainsi donc, Eustochium, ma fille…
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(3) Cant. V. 4. — (4) Cant. IV. 12. — (5) Cant. III. 2. — (6) Ibid. — (1) Matth. VII. 14. — (2) Cant. V. 6. — (3) Ibid. 7. — (4) Ibid. V. 2. — (5) Ibid. I. 12. — (6) Cant. I. 6. — (7) Ibid. 7.
Note (15) : FAISCEAU DE MYRRHE.— Saint Jérôme, dans l'explication du psaume XLIVe, adressée à Principia , dit que le mot stactes signifie la fleur de la myrrhe. Nous avons donc cru ne pas nous éloigner de l'auteur, en traduisant l'expression stactes par faisceau de myrrhe.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 196-199.A EUSTOCHIUM.SUITE
Ainsi donc, Eustochium, ma fille, ma souveraine, ma compagne, ma sœur, car vous êtes ma fille par l'âge, ma souveraine par le mérite, ma compagne par la profession religieuse, ma sœur par la charité, écoutez le prophète Isaïe, disant : Mon peuple, entrez dans l'intérieur de vos maisons, fermez vos portes, tenez-vous caché quelques moments, jusqu'à ce que la colère du Seigneur soit passée 1 .
Que les vierges folles errent çà et là ; pour vous, demeurez avec votre époux dans le secret de votre maison , parce que si vous fermez votre porte, et si, d'après le précepte évangélique , vous priez votre père dans le secret, il viendra, cet époux, il frappera à la porte, et dira : Je suis à la porte, et je frappe ; si quelqu’un m'ouvre, j'entrerai, et je souperai avec lui, et lui avec moi 2 .Vous lui répondrez aussitôt avec empressement : C'est la voix de mon bien-aimé qui frappe à ma porte.— Ouvrez-moi, ma sœur, mon amie, ma toute belle 3.
N'allez pas lui dire : J'ai ôté ma tunique, comment la revêtir encore ? j'ai lavé mes pieds? comment les souiller encore 4 ? Levez-vous aussitôt, et ouvrez, de crainte que si vous tardez, il ne passe outre, et qu'alors, affligée de son absence, vous ne disiez : J'ai ouvert à mon bien-aimé; il était passé.
Et qu'est-il besoin de fermer la porte de votre cœur à votre époux ? Qu'elle soit ouverte au Christ et fermée au démon, suivant ces paroles : Si l'Esprit de celui qui a la puissance s'élève contre vous, ne quittez point votre place 5. Daniel se retirait dans le haut de sa maison, car il ne pouvait demeurer en bas, et il ouvrait sa fenêtre du côté de Jérusalem. Vous aussi ouvrez vos fenêtres, mais d'un côté par où puisse entrer la lumière, par où vous puissiez voir la cité du Seigneur. N'ouvrez pas ces fenêtres dont il est dit : La mort est entrée par les fenêtres 1.
Ce que vous devez éviter encore, c'est…
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(1) Is. XXVII. 20.— (2) Apoc. III. 20. — (3) Cant. V. 2. — (4) Ibid. 3 — (5) Eccl. X. 4. — (1) Jer. IX. 21.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 199-201.A EUSTOCHIUM.SUITE
Ce que vous devez éviter encore, c'est de vous laisser prendre aux. attraits de la vaine gloire : Comment, dit Jésus, pouvez-vous croire, vous qui recherchez l’estime des hommes? 2 Voyez quel mal c'est que celui qui met un obstacle à la foi ! Pour nous, disons: Vous seul êtes ma louange 3. Et encore : Que celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur 4. Et de plus : Si je voulais encore plaire aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ 5. Et encore : A Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose, qu'en la croix de notre Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, et par qui je suis crucifié pour le monde 6 . Et encore: Nous nous glorifierons tous les jours en vous; 7— Mon âme se glorifiera dans le Seigneur 8 .
Lorsque vous ferez l'aumône, que Dieu seul vous voie. Lorsque vous jeûnez, que votre visage soit joyeux. Que vos vêtements ne présentent ni une propreté étudiée, ni une saleté dégoûtante, ni une singularité bizarre Note 16, de peur que la foule des passants ne s'arrête pour vous regarder, et que l'on ne vous montre au doigt. Votre frère est mort Note 17, l’on apprête les funérailles de votre jeune sœur Note 18 ; prenez garde qu'en rendant souvent aux autres ces tristes devoirs, vous ne mouriez aussi vous-même.
Ne désirez de paraître ni plus religieuse, ni plus humble qu'il ne faut, et ne cherchez point la gloire, tout en la fuyant. Car, beaucoup de gens, soigneux de dérober aux autres la connaissance de leur pauvreté, de leurs aumônes et de leurs jeûnes, recherchent l'approbation des hommes, par là même qu'ils semblent la mépriser davantage; de la sorte, on recherche avec une singulière avidité une gloire que l'on a l'air de dédaigner. Je trouve bien des personnes exemptes de ces passions qui livrent tour-à-tour le cœur de l'homme à la joie, au chagrin, à l'espérance, à la crainte. Il est très-peu de gens qui soient étrangers à la vaine gloire; et celui-là est le meilleur qui présente, ainsi qu'un beau corps, le moins de défauts possibles.
Je ne vous avertis point de ne pas vous glorifier de vos richesses, de ne pas vous vanter de l'illustration de votre naissance, de ne pas vous préférer aux autres. Je connais votre humilité, je sais que vous dites du fond de l'âme : Seigneur, mon cœur ne s'est point enorgueilli, et mes yeux ne se sont point élevés 1. Je sais que chez vous, comme chez votre mère, cet orgueil, qui a précipité le démon, ne saurait trouver accès. Il est donc inutile de vous écrire à ce sujet; car c'est une folie insigne de vouloir apprendre à quelqu'un ce qu'il sait déjà.
Mais je vous dis cela, dans la crainte que vous ne ressentiez de l'orgueil pour avoir méprisé l'orgueil du siècle; de crainte qu'une vanité secrète ne vous porte, après avoir cessé de plaire par des vêtements enrichis d'or, à plaire encore par un extérieur négligé; de crainte que si vous veniez dans l'assemblée des frères ou des sœurs, vous ne preniez le siège le plus bas, et ne vous confessiez indigne d'une place plus honorable. N'allez pas, à dessein, et comme épuisée par les jeûnes, affecter une voix faible; ou bien, imitant la démarche d'une personne défaillante, vous appuyer sur les épaules d'un autre.
Car, il y a des vierges qui…
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(2) Joan. V. 44. — (3) Jer. XVII. 14. — (4) I. Cor. I. 31; II. Cor. X. 17. — (5) Gal. I. 10. — (6) Gal. VI. 14. — (7) Ps. XXXIII, 2. — ( 8 ) Ibid. XXXIII. 3. — (1) Ps. CXXX. 1.
Note (16) — Saint Jérôme ne permet à la piété chrétienne rien d'affecté, rien de singulier, rien de rebutant, ni d'âpre, ni de farouche. A Dieu ne plaise que nous blâmions l'austérité, l'abstinence, la solitude, l'esprit de pénitence et de mortification, vertus nécessaires à l'âme, et consacrées par Jésus-Christ! A Dieu ne plaise, non plus, que, pour entretenir le commerce et la société de la vie , nous disions qu'il est permis au chrétien de s'accommoder aux mœurs du temps ! Ce n'est point à lui à céder au vice ; il doit faire aimer la vertu. Or, pour la faire aimer, que faut-il? la pratiquer telle qu'elle est. Une vertu tout unie est toujours de bonne foi, et la bonne foi est ce qui plaît, ce qui engage et entraîne les cœurs.
Deux de nos prédicateurs modernes ont développé cette morale avec éloquence, et c'est notre saint docteur qui leur a fourni, à l'un et à l'autre, l'autorité dont ils appuient cette morale. Le premier, le P. de La Rue, dans un sermon sur les moyens de se sanctifier dans le monde, s'exprime ainsi :
« Pourquoi vous distinguer par un extérieur grossier ? Cette affectation, dit saint Jérôme, convient aussi mal au chrétien que la molle propreté, l'air chagrin aussi peu que l'air enjoué, l'incivilité aussi peu que la petitesse étudiée : Nec affectare sordes, etc. C'est la morale de saint Jérôme. Il ne parle point autrement. Son zèle se déployait contre ceux qui ne connaissent point d'autre sainteté que celle qui est hérissée d'impolitesse, de rusticité et de dureté. : Tam crassæ rusticitatis, quam illi solam pro sanctitate habent. Tout solitaire qu'il était, austère et rigoureux à lui-même, il gardait dans sa conduite un tempérament de prudence et de simplicité, qui rendait la pénitence même désirable , et faisait souhaiter d'être austère comme lui. » Avent, page 43.
« Notre loi, dit l'ancien évêque de Senez, M. de Beauvais, n'est incompatible qu'avec les vices; elle ne corrige point les abus par d'autres excès ; elle laisse au fanatisme et à la superstition cette rusticité cynique qui, selon la remarque d'un saint docteur, fait peut-être toute la vertu , toute la sainteté des esprits durs et farouches: Tam crassæ rusticitatis. etc. » Sermon sur les vertus sociales, tome III, page 14 et 15.
Observez que la censure de saint Jérôme ne porte que sur l'habillement; ses imitateurs l'ont étendue, et surtout en ce qui concerne le caractère. Autrement, le B. Joseph Labre, saint François d'Assise, saint Jean-Calybite ne seraient pas à l'abri du reproche, et pourtant il n'y avait ni fanatisme ni superstition dans leur manière de se vêtir, ou plutôt de se dépouiller; L'évêque de Senez borne sa censure à la rusticité de mœurs et de langage, qui est, en effet, aussi contraire à l'esprit de l'Evangile, qu'à celui de la société où nous vivons : Quæcumque honesta, quæcumque amabilia. Et encore dirons-nous avec le Sage: Vir amabilis ad societatem. La preuve que telle était la morale de saint Jérôme et du pieux évêque, c'est un autre morceau du même discours, qui lui a été également fourni par notre grand docteur.
« Ecoutez, dit-il, le témoignage d'un saint, aussi célèbre par l'austérité de ses mœurs que par son érudition. Enfermé dans la caverne de Bethléhem, et partagé entre les fatigues de l'étude et celles de la pénitence, Jérôme est consulté par des personnes vertueuses, alarmées de vivre au milieu du tumulte du monde et de ses dangers. Ames pieuses , qui pourriez éprouver aussi les mêmes alarmes, entendez la réponse du saint solitaire : Il n'importe où votre corps habite, pourvu que votre âme soit hors du siècle : Nihil refert ubi sitis, modo extra sæculum sitis.Ce n'est point la solitude, c'est la vertu qui fait les saints; vivre en solitaire au milieu du monde, est aussi contraire à l'ordre du ciel que de vivre en homme du monde au milieu du cloître.» Serm., tome III, page 11 , 13.
Note (17) : VOTRE FRÈRE EST MORT. — Eustochium n'avait qu'un frère, appelé Toxotius , et qui était vivant lorsque saint Jérôme écrivit cette lettre, puisque ce Père remarque, dans l'éloge funèbre de Paula, que le petit Toxotius était présent quand elle s'embarqua vers l'an 385, pour aller à Jérusalem. « Parvus Toxotius, dit-il, supplices manus tendebat in littore. » C'est donc du beau-frère d'Eustochium, c'est-à-dire du mari de Blésilla, que saint Jérôme veut parler, puisque nous avons vu, dans cette lettre même, que Blésilla, sœur d’Eustochium, était veuve.
Note (18) : LES FUNÉRAILLES DE VOTRE SOEUR. — C'est de Blésilla que saint Jérôme veut parler. Ce qu'il a dit déjà de cette illustre veuve fait voir qu'elle n'était point morte encore lorsqu'il écrivit cette lettre. Aussi parle-t-il seulement de l'apprêt de ses funérailles. Peut-être avait-elle alors cette dangereuse maladie dont il est question dans une lettre de saint Jérôme à Marcella. Ce qu'il y a de certain , c'est qu'elle mourut vers ce temps-là ; car Jérôme , étant encore à Rome, écrivit sur sa mort une lettre de condoléance à Paula, sa mère, la même année qu'il écrivit celle-ci à Eustochium , c'est-à-dire, vers l'an 384.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 201-205.A EUSTOCHIUM.SUITE
Car, il y a des vierges qui montrent un visage exténué, afin que leurs jeûnes paraissent devant les hommes 2. Sitôt qu'elles aperçoivent quelqu'un, elles gémissent, elles baissent les yeux, se cachent le visage, et découvrent à peine un œil pour se conduire. On les voit paraître avec un habit brun, une ceinture de cuir, des mains et des pieds tout sales, tandis que le ventre, qui ne saurait être aperçu, regorge de nourriture. C’est pour elles que l'on chante chaque jour ces paroles du psaume : Le Seigneur dissipera les os de ceux qui se plaisent à eux-mêmes1. On en voit d’autres, déposant les habits de leur sexe, prendre des vêtements d'hommes, rougir d'être nées femmes, se couper les cheveux, et, d'un visage d'eunuque, marcher effrontément la tête levée. Il en est qui revêtent des cilices, et qui portent des capes faites avec art; pour vouloir revenir à l'enfance, elles imitent les chouettes et les hiboux.
Mais, de peur que je ne semble parler des femmes seules, je vous avertis aussi de fuir ces hommes que vous verrez chargés de chaînes ; qui, malgré la défense de l'Apôtre, laissent croître leurs cheveux comme les femmes 2, portent une barbe de bouc, un manteau noir, et marchent les pieds nus au plus fort de l'hiver. Tout cela, c'est la livrée du diable. Tel fut autrefois cet Antimus, tel a été naguère ce Sophronius, dont Rome a gémi. On voit ces sortes de gens pénétrer dans les maisons des personnes de distinction, entraîner des femmes chargées de péchés, qui apprennent toujours, et ne parviennent jamais à connaître la vérité 3; affecter un air de tristesse et manger furtivement la nuit afin de prolonger leur prétendu jeûne.
J'ai honte de dire le reste, dans la crainte de sembler faire une satire, et non pas donner des conseils. Il y en a d'autres, et je parle de ceux de ma profession, qui recherchent le sacerdoce et le diaconat, pour voir plus librement les femmes. La parure fait tout leur soin; ils veillent à ce que leurs habits soient parfumés, et que la peau de leurs pieds soit bien unie. Leurs cheveux sont bouclés avec le fer; leurs doigts brillent du feu des diamans ; et, de crainte de l'humidité, à peine si leur pied effleure la terre. Vous croiriez voir de jeunes époux, plutôt que des prêtres.
Quelques-uns font toute leur étude et leur occupation de savoir les noms, la demeure et la manière de vivre des matrones. Je vais vous décrire exactement, en peu de mots, un de ces clercs, qui est le roi dans cet art, afin que, par le caractère du maître, vous reconnaissiez les disciples. Dès que le soleil commence à paraître, il se lève en toute hâte, règle l'ordre de ses visites, choisit les chemins les plus courts, et cet importun vieillard pénètre presque vers la couche des personnes endormies. Voit-il un coussin, une nappe élégante, ou quelque meuble de ce genre, il le loue, l'admire, le touche, et, se plaignant de manquer de ces choses-là, il arrache plutôt qu'il n'obtient; car chaque matrone craint de blesser le courrier de la ville. Il est ennemi de la chasteté, ennemi des jeûnes; il juge d'un diner par l'odeur des viandes; il est très-friand du mets qu'on appelle communément pappezo. Il a une langue cruelle, sans honte; sa bouche est toujours ouverte à la médisance. Où que vous alliez, c'est le premier objet qui s'offre à vos yeux. Existe-t-il des nouvelles? c'est lui ou qui les débite, ou qui enchérit sur ce que disent les autres. À chaque heure, il change de chevaux, et il les a si élégants, si fiers, que vous le croiriez parent du roi de Thrace Note 19.
Un ennemi rusé nous tend des embûches de tout…
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(2) Matth. VI. 16. — (1) Ps. LII. 6. — (2) I. Cor. XI. 14. — (3) II. Tim. III. 6. 7.
Note (19) — Le roi de Thrace dont il s'agit ici s'appelait Diomède. Il en est question dans Lucrèce, De natura rerum, V: Et Diomedis equi spirantes naribus ignem.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 205-209.A EUSTOCHIUM.SUITE
Un ennemi rusé nous tend des embûches de tout genre. Le serpent était le plus rusé de tous les animaux que le Seigneur avait placés sur la terre; 1 ce qui fait dire à l'Apôtre : Nous connaissons ses artifices 2. Trop de recherche, ou trop de négligence dans les habits messied également à un chrétien. Si vous ignorez quelque chose, si vous doutez de quelque chose dans les Ecritures, consultez un homme que sa vie recommande, que son âge mette à l'abri des soupçons, que la renommée ne repousse pas, et qui puisse dire : Je vous ai fiancés à cet unique époux, qui est le Christ, pour vous présentera lui comme une vierge toute pure 3.
Si vous ne trouvez personne qui puisse vous éclairer, il vaut mieux ignorer quelque chose et être en sûreté, que de s'instruire en courant du danger. Songez que vous marchez au milieu des pièges, et que plusieurs vierges, qui avaient vieilli dans une chasteté inviolable, ont vu, sur le seuil même du trépas, la couronne échapper de leurs mains.
Si vous avez pour compagnes dans votre nouvelle carrière quelques vierges d'une condition servile, ne vous élevez pas contre elles, ne vous enflez point comme étant leur maîtresse. Vous avez commencé d'avoir un même époux, vous psalmodiez ensemble. Vous recevez ensemble le corps du Christ, pourquoi n'auriez-vous pas la même table? Tâchez de conquérir encore des âmes. Que la gloire des vierges serve d'encouragement à d'autres vierges. Si vous en voyez quelqu'une qui soit faible dans sa foi, accueillez-la ; cherchez à la consoler, à la caresser, et faites en sorte que sa pureté devienne un gain pour vous.
Si quelqu'autre, pour s'affranchir de la servitude, déguise ses pensées, représentez-lui ouvertement ce que dit l'Apôtre : Il vaut mieux se marier que de brûler 4. Mais ces vierges et ces veuves, oisives et curieuses, qui, de maison en maison, visitent les matrones, et qui surpassent en impudence les parasites de théâtre, repoussez-les comme une chose contagieuse. Les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs 1. Elles n'ont soin que de leur ventre, et de ce qui le concerne de plus près. Ces femmes-là ont coutume de donner des conseils, et de dire : Ma chère enfant, usez de ce que vous possédez, profitez de la vie; réservez-vous quelque chose à vos enfants ? Adonnées au vin et au plaisir, elles conseillent tout ce qu'il y a de mal, et amollissent, pour les plier à la volupté, les âmes les plus fermes. Quand elles ont mené une vie sensuelle et secoué le joug du Christ, elles veulent se marier, — ayant leur condamnation, en ce qu'elles ont faussé leurs premiers serments 2.
Ne vous piquez pas d'érudition, n'allez pas non plus traiter en vers lyriques des matières joyeuses. N'imitez pas la molle délicatesse de quelques femmes, qui affectent de ne parler qu'entre leurs dents et du bout des lèvres, qui bégaient sans cesse, et ne prononcent les mots qu'à demi, regardant comme grossier tout ce qui est naturel, et par là se plaisant à corrompre jusqu’au langage même. Quelle union peut-il y avoir entre la lumière et les ténèbres? — Quel accord entre le Christ et Bélial 3? Que fait Horace avec le Psautier, Virgile avec les Evangiles, Cicéron avec l'Apôtre? Est-ce que votre frère n'est pas scandalisé de vous voir assise dans un lieu consacré aux idoles ? Et, quoique tout soit pur pour ceux qui sont purs, que l'on ne doive rien rejeter de ce qui se mange avec action de grâces, cependant nous ne pouvons pas boire en même temps le calice du Christ et le calice des démons. Je vous rapporterai l'histoire de mon malheur…
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(1) Gen. III. 1. — (2) II. Cor. II.11. — (3) Ibid. XI. 2. — (4) I. Cor. VII. 9. — (1) I. Cor. XV. 33. — (2) I. Tim. V. 11. 12. — (3) II. Cor. VI. 14. 15.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XVIII.Pages 210-214.A EUSTOCHIUM.SUITE
Il y a quelques années, qu'ayant quitté ma maison, les auteurs de mes jours, ma sœur, mes proches, et, ce qui coûte plus à laisser que tout cela, une table où j'avais coutume de faire bonne chère, j'allais à Jérusalem pour entrer dans la sainte milice ; je ne pus me passer des livres que j'avais réunis à Rome avec beaucoup de soin et de travail. Ainsi, homme faible et misérable, je jeûnais avant de lire Cicéron. Après plusieurs nuits passées dans les veilles, après les larmes abondantes que le souvenir de mes fautes passées arrachait du fond de mon cœur, je prenais Note 19a Plaute.
Lorsque ensuite, revenant à moi, je m'attachais à lire les Prophètes, leur langage me semblait rude et négligé. Aveugle que j'étais et incapable de voir la lumière, je ne m'en prenais point à mes yeux, mais au soleil. Pendant que l'antique serpent m'abusait ainsi, une fièvre violente, pénétra, vers le milieu du carême, jusque dans la plus intime partie de mon corps tout épuisé, et, sans me laisser de repos, chose incroyable, elle consuma tellement ces membres malheureux, que mes os se tenaient à peine entre eux. Cependant, on apprête mes funérailles; un reste de chaleur vitale, tant mon corps était déjà froid ne se faisait plus sentir que dans les palpitations d'un cœur tiède encore.
Alors, je me crus transporté en esprit devant le tribunal du juge suprême : là, je fus tellement ébloui de l'éclat dont brillaient tous ceux qui étaient présents, que, prosterné contre terre, je n'osais pas regarder en haut. Interrogé sur ma profession, je répondis que j'étais chrétien. Et le juge alors : Tu mens, dit-il; tu es cicéronien et non pas chrétien car, où est ton trésor, là aussi est ton coeur1 . Je me tus aussitôt, et, au milieu des coups de verges, car il avait ordonné qu'on me frappât, j'étais déchiré plus encore par les remords de ma conscience, en songeant à ce verset du psaume : Qui est-ce qui vous confessera dans le sépulcre 2 ? Je me mis à crier, et à dire en gémissant: Ayez pitié de moi, Seigneur, ayez pitié de moi 3. Ces paroles retentissaient au milieu des coups de verges.
Enfin, ceux qui étaient présents, s'étant jetés aux pieds du juge, le priaient de pardonner à ma jeunesse, et de me donner le temps de me repentir d'une faute, dont il pourrait me punir plus tard, si jamais je lisais les livres des auteurs païens. Pour moi, qui, dans une si fâcheuse extrémité, aurais voulu promettre bien davantage encore, je commençai à jurer par son nom, à le prendre à témoin, et à dire : Seigneur, s'il m'arrive jamais d'avoir ou de lire des livres profanes, que je passe pour un homme qui vous a renié. Remis en liberté, après un tel serment, je revins sur cette terre; et, au grand étonnement de tous ceux qui m'entouraient, j'ouvris des yeux baignés de larmes si abondantes que les plus incrédules étaient convaincus de ma douleur.
Et ce n'avait point été là un de ces songes vains, qui souvent nous abusent. J'en atteste ce tribunal devant lequel je me suis prosterné ; j'en atteste ce jugement redoutable, qui m'a épouvanté si fort. Fasse le ciel que je ne sois jamais appliqué à une telle question ! J'avais les épaules meurtries, je sentais encore les coups à mon réveil ; aussi devins-je plus passionné pour la lecture des livres saints que je ne l'avais été pour celle des œuvres profanes.
Un vice que vous devez éviter encore, c'est…
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(1) Matth. VI. 21. — (2) Ps. VI. 6. — (3) Ibid. LVI. 2.Note de Louis : La note suivante, j’en conviens, dépasse très largement la norme rencontrée jusqu’ici, dans les longueurs des notes de ce travail sur les Lettres de saint Jérôme; mais je crois qu’elle pourrait être intéressante, ne serait-ce que pour mettre un peu de lumière, si je puis dire, sur le songe que S. Jérôme essaie d’expliquer succinctement, ici, à la vierge Eustochium.
J’ai mis cette note sous la balise SPOILER pour ne pas allonger indûment la présentation de celle-ci sur le forum.
Merci, d’avance, de votre indulgence. Bien à vous.
- Spoiler:
Note (19a) PLAUTE. — Dans quelques éditions il y a : Plato sumebatur in manibus. La leçon de Martianay est plus conforme à l'ensemble du texte, et se trouve confirmée par d'autres passages de saint Jérôme, où nous voyons qu'il lisait Plante avec une sorte de prédilection. C'est là-dessus que roulent les réflexions suivantes de Lessing, qui, nous l'espérons, ne paraîtront pas déplacées dans ces notes:
« Saint Jérôme se délassait par les plaisanteries de Plaute, lorsque, après de longues veilles, il avait pleuré les égarements de sa jeunesse. Quoi qu'en disent certains censeurs atrabilaires, ce goût ne me paraît ni incompréhensible ni blâmable. Un délassement honnête serait-il défendu à un chrétien ? S'amuser du vice, en le tournant en ridicule, et déplorer d'en avoir été l'esclave, ne me paraissent pas des sentiments contradictoires. Je croirais plutôt qu'on peut fort bien faire l'un et l'autre. On considère le vice comme une chose indigne de l'homme, qui le dégrade en le précipitant dans des démarches houleuses et contraires à la raison, ou on le regarde comme une transgression de nos devoirs, qui, en provoquant la colère de Dieu, doit nous rendre nécessairement malheureux. On en rira dans le premier cas, et l'on versera des larmes de repentir dans le second.
« La bonne comédie, d'un côté, et l'Ecriture sainte, de l'autre, produiront, chacune, leur effet. Je n'aurais pas une trop bonne opinion de l'homme qui se bornerait à pleurer ses vices, sans jamais rire des folies qu'il aurait faites en s'y livrant. Peut-être son repentir ne serait-il fondé que sur la crainte du châtiment. Mais celui qui rit du vice, le méprise en même temps, et cela prouve son intime conviction que Dieu n'a pas défendu en despote de le fuir, mais que la dignité et le bonheur de l'homme lui en imposent également le devoir.
« On m'objectera peut-être : Comment saint Jérôme pouvait-il se permettre de lire tant de passages trop libres qu'on trouve fréquemment dans les comédies de Plaute?
« Je répondrai à cela que tout est pur pour ceux dont le cœur est sans tache. Je pourrai encore dire à ces juges hypocrites que le caractère des personnages mis en scène par Plaute, et les circonstances où il les faisait agir, exigeaient une touche un peu libre; je pourrais même ajouter que rien de ce qu'ils blâment tant, n'a été écrit dans la vue de scandaliser, mais bien dans celle de corriger; cependant, pour sentir ces vérités, il faudrait de leur part plus de bonne volonté et de réflexions qu'ils ne peuvent y en mettre.
« Ils doivent donc se contenter de l'assurance qu'il y a des hommes dont la pensée est aussi, peu souillée par la lecture des passages prétendus indécents de Plante, que leur propre imagination peut l'être par l'histoire de Bethsabé ; et saint Jérôme fut sans doute de ce nombre. » Recueil de pièces intéressantes, concernant l'antiquité , etc., traduites de différentes langues; Paris, an V (1796), in-8°, tome I, page 293.
Plaute ne se montra pas plus scrupuleux que ses devanciers grecs et latins. L'art sortait à peine de l'enfance; les ébauches de Livius Andronicus et de Névius, succédant aux improvisations fescennines, n'avaient guère formé le public. Plaute donc eut à faire son éducation. Comme Molière, il fut auteur, acteur, directeur; comme notre grand poète, il fut accusé d'être trop ami du peuple, de faire grimacer ses figures, de prodiguer les bons mots à l'adresse des plus hauts étages qui, au théâtre, doivent être les plus bas, verba ad summam cavcam spectantia. Ce qu'il y a de curieux, c'est que Plaute lui-même sentait et condamnait son cynisme. Dans le prologue des Captifs, comédie touchante, sans intrigues d'amour, sans marchés de débauches , sans friponneries d'esclaves, exception unique sur le théâtre ancien , il promet qu'on n'entendra pas un de ces vers indécents que l'on ne peut répéter ; que l'on ne verra pas de personnages infâmes, et il tient parole, sauf quelques légers écarts. Si toutes ses pièces étaient dans ce goût, on s'étonnerait moins que saint Jérôme en fit ses délices, et surtout qu'il prit plaisir à les expliquer aux enfants.
Le songe de saint Jérôme a été pour différents auteurs l'occasion de remarques paradoxales et assez inutiles, ce nous semble. Dans son Essai historique et critique sur le goût; Paris, 1736, page 115, l'abbé Cartaud de La Vilate, parle de cette vision avec une inconcevable légèreté.
« Les anges, dit-il, fouettèrent saint Jérôme pour avoir taché d'imiter Cicéron, ou peut-être pour l'avoir su mal imiter, comme l'a cru Erasme. Soit que cette pieuse aventure ait quelque chose de réel, ou qu'il faille l'expliquer comme une parabole, elle nous prouve toujours que saint Jérôme regardait comme une indécence chrétienne les parures du langage. Le procédé des anges eut son effet. La manière d'écrire de ce saint imite assez le portrait qu'on nous fait de sa personne, dans le fond d'une grotte, un caillou d'une main, un crucifix de l'autre, un livre à ses pieds et une peau d'ours sur ses épaules. »
Erasme est loin de traiter ainsi saint Jérôme.; voici les propres paroles dont il se sert dans un dialogue intitulé Ciceronianus ; Flagris ab imitatione Ciceronis depulsus est, dit-il, et il n'y a rien là de ce que l'abbé Cartaud de La Vilate prétendait y trouver. Saint Jérôme peut-il être taxé de mensonge pour avoir employé, tantôt le mot songe, tantôt le mot histoire, en racontant que, pendant son sommeil, il fut battu de verges par les anges, parce qu'il était cicéronien ? Telle est la question que Sergardi, poète et orateur, qui florissait en Italie, au XVIIe siècle, discuta gravement et résolut de même, dans une lettre composée en latin, et insérée au tome IV de ses Œuvres, page 274, édition de Lucques, 1783, in-8º. Voici ce que cette lettre présente d'essentiel :
« De pareilles contradictions sont faciles à détruire, si l'on réfléchit que les Pères de l'Eglise ont très-fréquemment accommodé leur style aux personnes, aux lieux et aux temps. Saint Augustin, par exemple, en combattant les manichéens, parait favorable aux pélagiens ; réfute-t-il les pélagiens, il semble sourire aux manichéens; cependant vous ne trouverez jamais en lui un contempteur de la grâce divine, ni un destructeur de la liberté humaine.
« Ne nous étonnons donc pas si, parlant à une vierge, et insinuant avec une douce éloquence les préceptes du Christ dans son âme, saint Jérôme appelle histoire le songe dont il lui fait le récit, exagère les coups qu'il a reçus, et montre, pour ainsi dire, ses épaules meurtries. Ce savant homme devait, usant de l'art des rhéteurs, employer les couleurs les plus vives pour pénétrer plus profondément dans l'esprit d'une vierge, et la détourner, par son exemple, des lectures profanes. Mais lorsqu'il écrit son apologie contre Rufin, on ne saurait dire qu'il manque à la vérité en prétendant que l'histoire qu'il a racontée à Eustochie n'est qu'un songe. Il ne devait pas en agir de même avec une vierge noble et pudique qu'avec son fougueux et jaloux adversaire; il devait employer un style différent, suivant qu'il s'adressait à l'un ou à l'autre; son but, en écrivant à la première, était de l'exhorter à conserver sa virginité ; en écrivant au second, il cherchait à le percer des traits de son éloquence.
« Quiconque connaît l'histoire sacrée, a dû remarquer que les écrivains de l'Afrique l'emportaient par la vigueur sur les autres écrivains , et qu'ils ne furent jamais favorables aux détracteurs de la morale; aussi saint Jérôme, quand il s'élève contre cette classe d'hommes, respire toute l'âpreté de son Afrique et toute l'austérité de la grotte de Bethléhem. Ne lui faisons donc pas un crime si, en réprimant l'arrogance de Rufin, il confond une histoire avec un songe, et se sert de ce dernier mot dans une nouvelle acception.
« Mais ce n'est pas seulement sur de telles raisons que je veux appuyer la justification de saint Jérôme : ce serait compromettre la dignité de cet écrivain que de le défendre avec de si faibles armes. Eh bien ! qu'il ait appelé histoire ce qu'il avait vu dans son sommeil, détruit-il par cette expression l'idée d'un songe? Je pense, quant à moi, que l'histoire n'étant autre chose qu'une série de faits transmise à la mémoire de la postérité, on pourrait fort bien appeler de ce nom un récit fait par quelqu'un de ce qu'il a vu, de ce qui lui est arrivé en songe.
« Au reste , je crois qu'il faut bien se pénétrer de la différence qui existe entre les songes vrais et les songes vains ; car les premiers sont des avertissements que le Ciel nous envoie pour éclairer nos esprits, ce qui est souvent arrivé aux prophètes et aux hommes chéris de Dieu; les seconds ne sont autre chose que les effets de l'imagination qui ne nous représentent rien de réel, et font illusion à nos esprits par de fausses images. C'est pour cela que les poètes ont feint qu'il y avait dans les enfers deux portes: de l'une sortaient les songes vrais ; de l'autre, les songes vains.
« Aussi, lorsque saint Jérôme rapporte qu'il fut transporté devant le tribunal du Christ, ne l'attribuez pas, s'écrie-t-il, au sommeil ou à ces vains songes qui nous abusent. (») Il avait en effet reconnu que ce n'était point un songe vain, mais un songe vrai, et qu'il avait été amicalement interpellé par Dieu même de renoncer dorénavant à toute érudition profane. En disant à Rufin, tu m'objectes mon songe, il ne se contredit donc pas. Un songe de la nature de ceux qui sont vrais, fut celui qu'il appela histoire; et ce qu'il avait éprouvé pendant que son esprit était hors de lui par l'assoupissement total de tout son corps, ne pouvait être autre chose qu'un songe.
« A la vérité, les extases, les visions et les ravissements affectent seulement les esprits; l'enveloppe terrestre du corps ne peut se flatter de les éprouver; cette orgueilleuse pourriture qui nous environne, ne mérite pas d'assister aux colloques divins, et de jouir d'un bien immortel par une béatitude anticipée.
« Toutefois on pourrait m'objecter que les vestiges de coups de verges que montra saint Jérôme après son sommeil, témoignent que ce n'était point son esprit, mais son corps, qui se trouvait devant le souverain Juge; et qu'ainsi la contradiction qu'on oppose existe réellement. Je ne reviens pas sur ce que j'ai dit des Pères qui ont pu nous paraître outrés, lorsque l'occasion les a portés à grossir ou diminuer certaines choses; mais je croîs qu'il est encore un moyen de justifier les plaies de saint Jérôme.
« On n'ignore pas que nos corps se ressentent quelquefois des accidents dont notre âme est atteinte ; une expérience journalière nous apprend que les femmes enceintes impriment à leurs enfants la marque des objets qu'elles ont vivement désirés. N'a-t-il donc pas pu arriver que saint Jérôme, averti en songe et atterré par la présence du souverain Juge, saisi par la crainte des verges, ait conservé quelques traces réelles du songe qu'il avait eu ?
« La liaison la plus étroite existe entre l'âme et le corps, et je croirais volontiers que de même que le corps agit sur l'âme par le moyen des organes, ainsi l'âme dans la partie qui lui est soumise peut, semblable à un locataire, faire quelques changements à sa maison. Je pense qu'il faut aussi remarquer que, lorsque nous sommes ravis par le sommeil ou par une extase, l'âme franchit les bornes de la nature, s'efforce de briser les liens de sa prison corporelle et de se délivrer elle-même. Dans cette lutte de l'esprit, nos membres, faibles de leur nature, composés de boue, agiles par un mouvement violent, doivent nécessairement souffrir quelque chose, et recevoir ainsi une impression extérieure. C'est pourquoi le témoignage des coups dont les membres de saint Jérôme auraient été frappés en songe ne répugne point à la raison. Je pense donc l'avoir entièrement justifié du soupçon de mensonge élevé contre lui.»
M. Péricaud, dans un écrit de 14 pages d’impression, a réuni beaucoup de choses relatives au songe de saint Jérôme. La faute, comme il l'observe, que se reprochait le noble solitaire, consistait, non pas dans le soin qu'il prenait de se former un bon style, en lisant les auteurs profanes, mais dans l'ardeur excessive qu'il apportait à cette étude.
Au reste, Jérôme, dans une lettre à Magnus, fait voir, par l'exemple de saint Paul et des plus célèbres écrivains ecclésiastiques, qu'un auteur chrétien peut se servir, ainsi qu'il le faisait lui-même, des écrits que nous a laissés l'antiquité profane.
Chacun sait, en effet, que saint Paul s'est appuyé de l'autorité d'Aratus , Act. XVII, 28; — d'Epiménide , Cor. XV, 33; — de Ménandre , Tit. L, 12; et que Festus lui répondit, après le beau discours qu'il avait prononcé devant Agrippa : Insanist Paule, multæ te litteræ ad insaniam convertunt, Act. XXVI, 24.
Ne sait-on pas aussi que saint Augustin, quoiqu'il eût demandé à Dieu pardon des pleurs que lui avait fait verser l'auteur de l'Enéide sur les malheurs de Didon, n'en cite pas moins très-souvent Virgile , et qu'il eut toute sa vie une grande prédilection pour Cicéron , surtout pour son Hortensius , dont la lecture avait, comme il le confesse, contribué à sa conversion?
La religion n'est certes pas incompatible avec l'amour des lettres profanes; on peut être en même temps chrétien et cicéronien ; les Bossuet, les Fénélon, les Fléchier, les Massillon, et tant d'autres génies que l'Eglise gallicane ne nomme qu'avec orgueil, n'en étaient pas moins chrétiens, et, qui plus est, très-bons chrétiens, quoiqu'on puisse les placer au premier rang parmi les imitateurs des beaux modèles que nous offre l'éloquence sublime des grands maîtres de la Grèce et de Rome.
Dans ses Commentaires sur cette Lettre XVIII[/sup]e[/sup], Erasme se moque avec raison de ceux qui disent : « Vapulavit Hieronymus quod Ciceronem legerit, et qui se garderaient bien d'étudier les lettres profanes. « Mira quadam religione sic ab omnibus bonis abstinent litteris ut nec sacras attingant, ne forte imprudentes incidant in aliquod verbum Ciceronis, et cum Hieronymo vapulent, et tum sibi videntur Apostolis proximi si quam spurcissime loquantur. »
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