LETTRES de Saint Jérôme.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XLIII.Pages 91-95.À CTÉSIPHON, CONTRE PÉLAGE.SUITE
Vous donc, merveilleux docteur, soutenez ce que vous avez avancé, appuyez de votre éloquence les belles et sublimes pensées de votre esprit, et ne vous réservez pas la liberté de les désavouer quand il vous plaira; ou bien, si vous vous êtes trompé comme tout homme peut se tromper, avouez-le de bonne foi, et réconciliez les esprits que vos opinions ont partagés. Rappelez-vous que des soldats même ne voulurent pas déchirer la tunique du Sauveur.
Vous voyez la division qui règne parmi les frères, et vous riez, et vous vous réjouissez de ce que les uns portent votre nom, les autres celui du Christ. Imitez Jonas, et dites : Si je suis cause de cette tempête, prenez-moi, et jetez-moi dans la mer 1. Ce fut par humilité qu'il consentit à être précipité dans l'abîme, afin de représenter en sa personne la glorieuse résurrection du Christ. Vous, par orgueil, vous montez jusqu'au ciel, afin que Jésus dise de vous: Je voyais Satan tomber des cieux comme la foudre 2.
Quant à ce qu'on nous objecte, que l'Écriture sainte donne le nom de justes à plusieurs personnes, comme Zacharie et Élisabeth, Job, Josaphat, Josias, et beaucoup d'autres que nomment les Livres sacrés, je dois, si Dieu m'en fait la grâce, répondre fort au long dans l'ouvrage que je vous ai promis. Je me bornerai à dire, en cette lettre, que l'Écriture les appelle justes, non point qu'ils n'aient commis aucun péché, mais parce que la pratique de presque toutes les vertus les a rendus recommandables. Nous voyons, en effet, que Zacharie est privé de l'usage de la parole; que Job se condamne lui-même; que Josaphat et Josias, auxquels l'Écriture donne expressément le nom de justes, ont fait des actions désagréables au Seigneur; car celui-là donna du secours à un roi impie Note (12), et fut repris par un prophète; celui-ci, malgré la défense que lui avait faite le Seigneur, par la bouche de Jérémie, alla au-devant de Néchao, roi d'Égypte, et fut tué; l'un et l'autre cependant sont appelés justes.
Ce n'est point ici le lieu de parler de tout le reste, car vous m'avez demandé une lettre et non pas un livre. Je veux le faire à loisir, mon livre, et avec le secours du Christ, détruire tous leurs vains raisonnements par l'autorité des saintes Écritures, dans lesquelles Dieu parle tous les jours aux croyants.
De grâce, avertissez et conjurez toute votre sainte et illustre famille de se précautionner contre cette infâme hérésie, qui est pleine de corruption, et qu'un petit homme sans nom, ou trois hommes tout au plus, s'efforcent de répandre partout, et que, dans une maison jusqu'ici remplie de vertu, de sainteté, l'on ne voie pas régner un jour la présomption, le dérèglement et le libertinage. Faites-leur bien comprendre que prêter appui à des gens de ce caractère, c'est composer une société d'hérétiques, c'est former un parti contre le Christ, c'est nourrir ses ennemis, et qu'en vain ceux qui le protègent se flattent d'être dans de bons sentiments, si leurs actions démentent leur foi.
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(1) Jon. I. 12. — (2) Luc. X. 18.
Note (12): Ce roi impie, c'est Achab, roi d'Israël.
FIN de cette Lettre.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XXXII.Pages 124-127.À DOMNION, APOLOGÉTIQUE.
Il y a dans ta lettre de l'amitié et des reproches tout à la fois: amitié de ta part, puisque tes avis empressés font voir que tu crains pour moi là même où il n'y a rien à craindre; reproches de la part de mes ennemis, et de ceux qui, toujours attentifs aux fautes de leur prochain, parlent contre leur frère et tendent des pièges au fils de leur mère 1.
Tu m'apprends, en effet, que ces hommes-là, ou plutôt je ne sais quel moine occupé sans cesse dans les carrefours, dans les marchés et sur les places à colporter des nouvelles, à débiter des sornettes, à médire de l'un et de l'autre, et qui, à travers la poutre de son œil, s'efforce d'arracher la paille qu'il voit dans l'œil d'autrui, déclame contre moi, et qu'il déchire impitoyablement les livres que j'ai publiés au sujet de Jovinianus.
Tu ajoutes que ce grand dialecticien Note (1) de votre ville, cet appui de la famille de Plaute Note (2), n'a pas même lu les catégories d'Aristote, ni son livre de l'interprétation, ni ses lieux communs, ni même ceux de Cicéron, et que dans une société d'ignorants, ou à table, au milieu d'un cercle de femmes, il arrange des syllogismes qui ne prouvent rien, et réfute, par la subtilité de son argumentation, mes prétendus sophismes. J'étais bien simple de m'imaginer qu'il est impossible d'apprendre tout cela sans le secours des philosophes, et qu'il vaut mieux savoir effacer que savoir écrire.
En vain donc ai-je traduit les commentaires d'Alexandre Note (3); en vain un habile maître m'a-t-il introduit à l'étude de la logique, et, pour ne rien dire des sciences profanes, en vain ai-je appris les saintes Écritures à l'école de Grégoire de Nazianze et de Didyme; en vain ai-je appelé à mon aide l'érudition des hébreux, et me suis-je appliqué, depuis ma jeunesse jusques à présent, à méditer chaque jour la loi, les prophètes, les Évangiles et les Apôtres.
Il s'est trouvé un homme parvenu au comble du savoir sans le secours d'un maître, plein d'un esprit surnaturel, qui tient de lui-même tout ce qu'il sait; un homme plus éloquent que Cicéron, plus subtil qu'Aristote, plus sage que Platon, plus érudit qu'Aristarque, plus laborieux qu'Origène[s], plus versé que Didyme dans la science des Écritures, supérieur à tous les écrivains de son siècle; un homme enfin qui, dit-on, sur quelque sujet que vous lui proposiez, se vante de pouvoir, à la manière de Carnéades, soutenir l'affirmative et la négative, c'est-à-dire parler pour et contre la justice.
Le monde est à l'abri de tout danger, et les causes pour succession, ou bien celles qui vont au tribunal des Centumvirs Note (4) sont enfin délivrées des gouffres de la chicane, puisque ce grand homme, dédaignant le barreau, a passé dans l'Église.
Qui donc, s'il eût soutenu le contraire, aurait pu être innocent? Quel est le criminel que son éloquence n'eût pas sauvé, dès qu'il aurait commencé à marquer sur ses doigts la division de son discours, et à tendre les filets de ses syllogismes?
Car, en frappant du pied, en regardant fixement ses auditeurs, en ridant le front, en faisant un geste, en arrondissant ses périodes, il n'aurait pas manqué d'étourdir ses juges et de leur faire aussitôt illusion. Et quoi de merveilleux, si un homme possédant à fond la langue latine, connaissant tous les secrets de l'éloquence, remporte sur moi, qui suis éloigné de Rome depuis long-temps, qui n'ai aucun usage de la langue latine, qui suis à demi grec, à demi barbare ?
N'a-t-il pas, dans une controverse, écrasé du poids de son éloquence, Jovinianus, ce redoutable adversaire, ce sublime génie, dont personne n'entend les écrits, et qui écrit seulement pour lui et pour les Muses ?
Je te prie donc, très-cher père, de l'avertir qu'il cesse de parler contre…
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(1) Psal. XLIX.
Note (1) : CE GRAND DIALECTICIEN. — C'est une ironie , car la ville de Rome avait des orateurs, et les ergoteurs venaient de la Grèce.
Note (2) : CET APPUIS DE LA FAMILLE DE PLAUTE. — C'est-à-dire, qui mérite d'avoir le premier rôle parmi les comédiens que Piaule produit sur la scène.
Note (3) : ALEXANDRE. — Alexandre, né vers la fin du 2e siècle, à Aphrodisée, ville de la Carie, se livra à l'étude de la philosophie péripatéticienne, fut un de ceux qui connurent le mieux la doctrine d'Aristote, et qui ont le mieux expliqué ses ouvrages. Nous avons encore ses commentaires. Voyez la Biog. univ. , art. ALEXANDRE D'APHRODISÉE.
Note (4) : CENTUMVIRS. — Les Centumvirs étaient des magistrats établis pour juger les différends du peuple. On tirait de chacune des trente-cinq tribus qu'il y avait à Rome, trois personnes qui composaient ce tribunal.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XXXII.Pages 129-131.À DOMNION, APOLOGÉTIQUE.SUITE
Je te prie donc, très-cher père, de l'avertir qu'il cesse de parler contre un état qu'il a embrassé; de combattre par ses discours la chasteté dont il fait profession par ses vêtements; de comparer aux vierges les femmes mariées, lui qui est vierge ou qui vit à présent dans la continence (car, c'est à lui de voir ce qu'il en est), puis de ne pas se mesurer si long-temps en vain avec un adversaire d'une éloquence redoutable.
J'apprends encore qu'il rend volontiers de fréquentes visites aux vierges et aux veuves dans leurs cellules, et que, fronçant le sourcil, il discute au milieu d'elles sur les saintes lettres. Que peut-il enseigner à ces femmes, dans le secret de leur demeure? A ne mettre aucune différence entre les vierges et les femmes mariées, à profiter des beaux jours de la jeunesse; à manger, à boire, à fréquenter les bains, à rechercher une propreté affectée, à ne point dédaigner les parfums? Ou bien leur enseigne-t-il à conserver la chasteté, à jeûner, et à mortifier leur corps ? Assurément il ne leur donne que des leçons de vertu.
Qu'il tienne donc en public le même langage qu'il leur tient en particulier. Ou, s'il enseigne en particulier ce qu'il enseigne en public, il faut le séparer de la compagnie des jeunes filles.
Au reste, je suis étonné qu'un jeune homme, qu'un moine disert, comme il croit l'être; de la bouche duquel les grâces semblent couler; qui met tant d'élégance, tant de sel et de finesse dans sa conversation, ne rougisse pas de hanter les maisons des nobles, de s'empresser auprès des matrones, de combattre notre religion, de torturer la foi du Christ dans des batailles de mots, et, au milieu de tout cela, de calomnier son frère.
Si donc il est persuadé que je suis dans l'erreur (car nous péchons tous en beaucoup de choses, et ne point faire de fautes en parlant, c'est être parfait 1), il devait, ou me reprendre, ou m'interroger par lettres. C'est ainsi qu'en a usé le noble et savant Pammachius à qui j'ai répondu le mieux qu'il m'a été possible, en lui expliquant, dans une lettre assez longue, le sens que j'avais donné à chaque chose. Il aurait imité du moins la délicatesse dont tu as fait preuve, en faisant une liste par ordre des endroits de mon livre qui pouvaient scandaliser quelques personnes, et en me priant de les corriger ou de les expliquer; il aurait dû ne pas me croire assez peu sensé pour écrire, dans le même livre, et en faveur du mariage, et contre le mariage.
Qu'il épargne sa réputation, qu'il épargne la mienne...
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(1) Jacob. III. 2.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XXXII.Pages 131-133.À DOMNION, APOLOGÉTIQUE.SUITE
Qu'il épargne sa réputation, qu'il épargne la mienne, qu'il ménage la gloire du nom chrétien, qu'il sache que ce n'est point en parlant, ni en courant de part et d'autre, mais en gardant le silence et en se confinant dans la retraite, que l'on remplit les devoirs de moines. Qu'il lise ce que dit Jérémie : Heureux l'homme qui porte le joug dès sa jeunesse ! — Il sera assis solitaire, et il se taira, parce qu'il l'a posé sur lui! 2.
S'il a reçu la verge de censeur, pour en faire usage contre tous les écrivains, et s'il se croit érudit parce qu'il entend les livres de Jovinianus, suivant ce que dit le proverbe: Un bègue comprend mieux que personne un autre bègue, nous sommes loin, nous tous, de mériter le nom d'écrivain, au jugement de cet Attilius Note (5). Jovinianus lui-même, cet écrivain qui n'a aucune teinture des lettres, a eu droit de lui dire: « Si les évêques me condamnent, ce n'est point par justice, mais par cabale. »
Je ne veux pas avoir pour juge tel ou tel, dont l'autorité peut m'accabler au lieu de m'instruire. Que l'on m'oppose un homme dont j'entende le langage, et dont la défaite entraîne celle de tous les hommes à la fois. Croyez-m'en:De sa haute vaillance
J'ai fait plus d'une fois la dure expérience,
Et, dans plus d'un combat, mes yeux ont vu de près,
De quel bras foudroyant il fait voler ses traits.TRAD. DE DELILLE.
Il est courageux, robuste et ferme au combat, il sait tantôt présenter le flanc à l'ennemi, tantôt fondre sur lui, tête baissée. Souvent on l'a vu, sur les places publiques, déclamer contre moi depuis le matin jusques au soir; il a les reins et la vigueur d'un athlète; il est d'une belle corpulence. Je crois qu'en secret il vit selon mes principes. Du reste, il ne sait pas rougir, et ne se met guère en peine de ce qu'il dit, pourvu qu'il parle beaucoup; il s'est fait une haute réputation d'homme éloquent, et ses paroles se trouvent d'ordinaire dans la bouche des beaux esprits.
Combien de fois, en des réunions, n'a-t-il pas poussé ma patience à bout, et ne m'a-t-il pas échauffé la bile !
Combien de fois en est-il sorti de confusion, après m'avoir lui-même chargé d'injures ! Mais ces choses n'appartiennent qu'au vulgaire, et le moindre de mes disciples peut en faire autant.
C'est à nos livres que j'en appelle, pour transmettre notre mémoire à la postérité. Parlons par nos écrits, afin que le lecteur puisse à loisir juger de nous. Et si je suis le chef d'un grand nombre de disciples, lui aussi le deviendra des Gnathoniciens et des Phormioniciens[/i] Note (6) qui prendront son nom.
Il n'y a pas grand mérite, mon cher Domnion, à jaser au coin des rues, et…
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(2) Thren. III. 27. 28.
Note (5) : ATTILIUS. — Marius Attilius Régulus, étant censeur s'acquitta de sa charge avec beaucoup de sévérité. Valère Maxime, II, 9, rapporte que, après la bataille de Cannes, il dégrada plusieurs chevaliers romains.
Note (6) : GNATHONICIENS , PORMIONICIENS — Gnathoniciens, du nom de Gnatho, fameux parasite, que Térence, dans son Eunuque, introduit sur la scène. Phormioniciens, du nom de Phormio, autre parasite, qui a fourni au même poète le titre d'une de ses comédies.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE XXXII.Pages 134-139.À DOMNION, APOLOGÉTIQUE.SUITE
Il n'y a pas grand mérite, mon cher Domnion, à jaser au coin des rues, et dans les boutiques des apothicaires, ni à juger de tout le monde; à dire Celui-ci a bien parlé, celui-là a mal parlé; un tel connaît les Écritures, cet autre radote; celui-ci est un babillard, celui-là n'est encore qu'un enfant. De qui donc a-t il reçu le droit de juger tout le monde? Aboyer dans les carrefours contre le premier venu, entasser des injures contre quelqu'un, noircir sa réputation, c'est le propre des bouffons et de ces hommes toujours disposés à la chicane. Qu'il prenne son style, qu'il écrive, qu'il se remue un peu, et nous montre, par quelque ouvrage, de quoi il est capable. Qu'il nous fournisse l'occasion de répondre à sa docte éloquence. Je puis le mordre à mon tour, si je veux, et, après les outrages qu'il m'a prodigués, le déchirer à belles dents. Et moi aussi j'ai étudié les lettres,Nous aussi, nous avons fréquenté les rhéteurs.JUVEN. Sat. I. 15.
On peut dire aussi de nous :Évitez ce serpent, à vous mordre il s'apprête.HORAT. I. Sat. IV. 31.
Mais j'aime mieux être disciple de celui qui dit: J'ai abandonné mon corps à ceux qui me frappaient, et je n'ai point détourné mon visage de ceux qui me couvraient de confusion et de crachats 1; de celui qui ne répondait point aux injures par des injures 2, et qui, après avoir reçu des soufflets, enduré la croix , les verges, les blasphèmes, pria enfin pour ceux qui le crucifiaient, en disant: Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font 1. Et moi aussi je pardonne à mon frère son erreur; je sens qu'il a été séduit par les artifices du démon. Au milieu d'un cercle de femmes, il se piquait d'érudition et d'éloquence.
Lorsque mes faibles ouvrages parurent dans Rome, il me prit en horreur comme un rival, et se fit une gloire de me combattre, afin qu'il n'y eût personne au monde qui n'eût à essuyer les dédains de son éloquence, excepté ceux à l'autorité desquels il est obligé de céder, quoiqu'il ne les ménage pas d'ailleurs, et qu'il les craigne plus qu'il ne les respecte. Il a voulu, sans doute, cet homme habile, pareil à un vétéran, frapper deux adversaires d'un même coup d'épée, et montrer aux peuples qu'il n'y a dans l'Écriture d'autre sens, que celui qu'il veut bien y voir.
Qu'il daigne donc m'instruire de ses sentiments par écrit, et corriger, non point par ses reproches, mais par ses instructions, cette démangeaison de parler, dont il m'accuse. Alors il verra qu'il n'en est pas d'une dispute réglée comme d'une dispute du milieu d'un festin, et que l'on ne raisonne pas sur les dogmes de la loi divine parmi des hommes instruits, comme parmi les fuseaux et les corbeilles des jeunes filles. Il va maintenant tête levée, il fait grand fracas en public, il condamne le mariage, et s'il se trouve avec des femmes enceintes, au milieu d'enfants qui crient au berceau, près du lit des personnes mariées, il supprime ce que l'Apôtre a dit, il le supprime, pour attirer sur moi seul l'aversion publique. Mais, quand on en sera venu aux écrits, lorsque nous serons pied contre pied, lorsqu'il m'opposera ou qu'il m'entendra lui opposer quelque passage des Écritures, alors il suera, alors il restera muet; Epicure ne se trouvera pas présent, Aristippe Note (7) sera bien loin ; les porchers Note ( 8 ) ne viendront pas là, on n'y entendra point grogner la truie Note (9) pleine.Ce fer n'est pas novice à venger mon injure,
Et le sang quelquefois a suivi sa blessure.ENEID. XII. 50.
Au reste, s'il ne veut point écrire, s'il pense ne devoir employer contre moi que les calomnies qu'il écoute, malgré la vaste étendue des terres, des mers, des régions qui nous séparent, qu'il écoute du moins cette déclaration que je fais à haute voix: Je ne blâme point les noces, je ne condamne point le mariage. Et, afin qu'il connaisse mes sentiments d'une manière plus positive, je consens à ce que tous ceux qui, pour la crainte peut-être qu'ils éprouvent la nuit, ne sauraient coucher seuls, prennent une femme.
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(1) Is. L. 6. — (2) I. Petr. II. 23. — (1) Luc. XXIII. 34.
Note (7) : EPICURE , ARISTIPPE. — Ces philosophes faisaient consister le bonheur dans les plaisirs, el leur doctrine, en cela, s'accordait avec celle de Jovinianus.
Note ( 8 ) : LES PORCHERS. — C’est-à-dire , les sectateurs do Jovinianus et les partisans du mariage.
Note (9) : LA TRUIE. — Jovinianus , ennemi déclaré de la chasteté.
Fin de cette Lettre.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LXXXIV.Pages 275-277.JÉRÔME À OCÉANUS.Sur la mort de Fabiola.
II y a plusieurs années que j'écrivis à Paula, cette femme vénérable, et que j'essayai de la consoler de la perte cruelle qu'elle venait de faire, par la dormition de Blésilla. Il y a quatre ans que j'envoyai à l'évêque Héliodore l'épitaphe de Népotianus, ayant mis à le composer tout ce que la douleur pouvait me laisser de forces. II y a environ deux ans que j'adressai à mon cher Pammachius, au sujet de la pérégrination soudaine de Paulina, une courte lettre, car j'aurais eu honte d'en écrire davantage à un homme aussi éloquent, et de lui représenter des choses qu'il trouvait en lui-même, ce qui aurait été bien moins consoler un ami, que vouloir, par une sotte vanité, instruire un homme rempli de perfections.
Aujourd'hui, mon fils Océanus, vous m'imposez une tâche à laquelle je me sens porté par inclination et obligé par devoir: c'est de rendre nouveau, en racontant des vertus nouvelles, un sujet déjà usé. Dans ces lettres consolatoires, il s'agissait de soulager l'affliction d'une mère, la tristesse d'un oncle, le chagrin d'un mari, et, suivant la diversité des personnes, de chercher dans les Écritures différents remèdes. Maintenant, vous me donnez à louer Fabiola, la gloire des Chrétiens, l'admiration des Gentils, le sujet des larmes de tous les pauvres, la consolation des moines. Quelque vertu que j'aborde en premier lieu, elle paraîtra médiocre en comparaison de ce qui suivra. Parlerai-je de ses jeûnes ? — Mais ses aumônes sont plus considérables. Louerai-je son humilité ?— Mais l'ardeur de sa foi la surpasse.
Dirai-je qu'elle rechercha une extrême simplicité, et que, pour condamner les vêtements de soie, elle porta des vêtements plébéiens, des vêtements comme ceux des esclaves? — Mais c'est chose plus glorieuse pour elle d'avoir surmonté l'orgueil de l'esprit, que d'avoir méprisé la magnificence des vêtements. Il est plus difficile de se défaire de la vanité que de l'or et des pierreries.
Après avoir rejeté ces vaines parures, nous nous faisons gloire quelquefois de porter des vêtements sales, et nous offrons à l'estime du peuple une pauvreté vénale. La vertu cachée et renfermée dans le secret de la conscience ne veut que Dieu pour son juge. Il faut donc que je loue Fabiola d'une manière toute nouvelle, et que, abandonnant les régies des rhéteurs, je commence cet éloge par sa conversion et par sa pénitence.
Quelque autre, peut-être, se souvenant de l'école, représenterait ici ce…
Dernière édition par Louis le Ven 02 Juil 2021, 6:55 am, édité 2 fois (Raison : Insertion du lien sur Pammachius, et celui sur Héliodore.)
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LXXXIV.Pages 277-281.JÉRÔME À OCÉANUS.Sur la mort de Fabiola.SUITE
Quelque autre, peut-être, se souvenant de l'école, représenterait ici ce Q. Maximus Note (1), dontLes délais triomphants ont sauvé la patrie,ÉNÉID. VI . 846.
et étalerait toute la famille des Fabius. Il dirait leurs combats, décrirait leurs batailles, puis, en montrant que Fabiola descend d'une si noble ligne d'aïeux, ferait voir dans la tige ce qu'il ne pourrait trouver dans les branches. Moi, qui aime l'étable de Bethléem et la crèche du Seigneur, où une mère vierge mit au monde un enfant Dieu, je chercherai la gloire de la servante du Christ, non pas dans la noblesse que lui donnent les anciennes histoires, mais dans l'humilité de l'Église.
Or, comme il se rencontre, dès l'entrée de mon discours, une sorte d'écueil, et une tempête formée par la médisance des ennemis de Fabiola, qui lui reprochent d'avoir quitté son premier mari, pour en épouser un autre; je ne la louerai de sa conversion qu'après l'avoir justifiée du crime dont elle est accusée.
Son premier mari avait, dit-on, de si grands vices, qu'une femme perdue, qu'une vile esclave n'eût pas même pu les souffrir. Si je voulais en retracer la peinture, je ternirais la vertu d'une femme qui aima mieux se voir accusée d'être la cause de leur divorce que perdre de réputation une partie d'elle-même, en découvrant les désordres de son mari. Je dirai seulement qu'elle n'a fait que ce que devait faire une honnête femme, une chrétienne.
Le Seigneur défend au mari de quitter son épouse, si ce n'est pour cause d'adultère, et, s'il la quitte pour cette raison, elle ne doit pas se remarier 1. Tout ce qui est ordonné aux hommes ayant lieu nécessairement pour les femmes, il n'est pas moins permis à une femme de quitter son mari, quand il est adultère, qu'il ne l'est à un mari de répudier sa femme, quand elle est infidèle. Si un homme se joint à une femme prostituée, il devient un même corps avec elle 2; donc la femme qui a un mari impudique et débauché ne fait qu'un même corps avec lui.
Autres sont les lois des Césars, autres celles du Christ; autres les enseignements de Papinianus, Note (2) autres ceux de notre Paul. Chez ceux-là, on lâche la bride à l'incontinence des hommes, et, après avoir condamné l'adultère seulement, on permet les débauches des lupanars et les passions ancillaires, comme si c'était la condition des personnes, et non pas la corruption de la volonté qui fit la gravité du crime. Chez nous, ce qui est interdit aux femmes, est également interdit aux hommes; pareille est la servitude, pareils sont les devoirs.
Fabiola donc, à ce que l'on dit…
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(1) Matth. V. 31. 32. — (2) I. Cor. VI. 16.
Note (1) : MAXIMUS. — Il ruina l'armée d'Annibal, en évitant la bataille, et rétablit par là les affaires de la république. C'est ce qui lui fit donner le nom de Temporiseur, cunctator.
Le vers de Virgile est emprunté d'Ennius.
Note (2) : PAPINIANUS. — Célèbre jurisconsulte, qui vivait au IIe siècle de notre ère.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LXXXIV.Pages 281-283.JÉRÔME À OCÉANUS.Sur la mort de Fabiola.SUITE
Fabiola donc, à ce que l'on dit, quitta un mari vicieux; elle le quitta, parce qu'il était coupable de tel et tel crime; elle le quitta, — et je l'ai presque dit, — pour des choses dont tout le voisinage murmurait, mais qu'elle seule ne découvrit point. Que si on la blâme de ce que, étant séparée de lui, elle se maria, j'avouerai facilement sa faute, pourvu qu'il me soit permis de montrer qu'elle fut dans la nécessité de la commettre.Il vaut mieux, dit l'Apôtre, se marier que de brûler 1.
Fabiola était toute jeune, elle ne pouvait garder la viduité. Elle sentait dans ses membres me loi qui s'opposait à la loi de l’esprit2, et qui la traînait captive et malgré elle à la concupiscence. Elle crut qu'il valait mieux confesser ouvertement sa faiblesse, et se couvrir, en quelque façon, de l'ombre d'un misérable mariage, que de tomber dans les péchés des courtisanes pour conserver la gloire de n'avoir eu qu'un seul mari.
Le même Apôtre veut que les jeunes veuves se marient, qu'elles procréent des enfants, qu'elles ne donnent à l'ennemi aucun sujet de médisance , et aussitôt il expose la raison de ce vouloir: C’est, dit-il, que quelques-unes déjà sont retournées en arrière, pour suivre Satan 1. Ainsi donc, intimement convaincue qu'elle avait eu raison de quitter son mari, et ne connaissant pas la force de l'Évangile, qui retranche aux femmes , durant la vie de leurs maris, toute liberté de se remarier, Fabiola reçut une blessure imprévue, tandis qu'elle cherchait à éviter plusieurs blessures du démon.
Mais pourquoi m’arrêter à des choses anciennes et oubliées…
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(1) I. Cor. VII. 9. — (2) Rom. VII. 23. — (1) I. Tim. V. 14. 15.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LXXXIV.Pages 283-285.JÉRÔME À OCÉANUS.Sur la mort de Fabiola.SUITE
Mais pourquoi m’arrêter à des choses anciennes et oubliées ; pourquoi excuser une faute dont elle a témoigné tant de repentir? Qui le croirait?
Fabiola rentrée en elle-même, après la mort d'un second mari, dans un moment où les veuves, peu soigneuses de leur conduite, ont accoutumé, après avoir secoué le joug de la servitude, de vivre avec plus de liberté , d'aller aux bains, de courir par les places publiques, de promener des visages de courtisanes, — Fabiola se couvrit du sac, pour confesser publiquement sa faute, puis à la vue de toute la ville de Rome, avant le jour de Pâques, dans la basilique appelée du nom de ce Latéranus Note (3), à qui un César fit autrefois trancher la tête, elle se mit au rang des Pénitents, et les cheveux épars, le visage défait, les mains sales, vint prosterner, au milieu des pleurs de l’évêque, des prêtres, de tout le peuple, sa tête couverte de cendre. Quel péché n'expierait point une telle douleur? Quelles taches, si invétérées fussent-elles, ne seraient point effacées par tant de larmes ?
En confessant trois fois qu'il aimait Jésus, Pierre obtint le pardon du crime qu'il avait commis, en le reniant trois fois 1.
Les prières de Moïse firent pardonner le sacrilège qu'avait commis Aaron, en permettant que l'on fondit le veau d'or 2.
David, cet homme saint et rempli de mansuétude, expia, par un jeune de sept jours, l'homicide et l'adultère dont il s'était rendu coupable. Il était couché sur la terre, il se roulait dans la cendre, et, oubliant sa puissance royale, cherchait la lumière dans les ténèbres. N'envisageant que celui qu'il avait offensé, il disait d'une voix lamentable : C'est contre vous seul que j' ai péché ; c'est en votre présence que j'ai fait le mal. Et encore : Rendez-moi la joie de votre assistance salutaire, et fortifiez-moi par votre Esprit souverain 3.
Ainsi donc, celui qui, par ses vertus, m'avait appris comment je puis ne pas tomber quand je suis debout, me montre encore par sa pénitence , comment je dois me relever quand je suis tombé.
Fut-il jamais prince plus impie que le roi Achab, dont l'Écriture dit : Achab n'eut point d'égal en méchanceté; il était vendu pour faire le mal en présence du Seigneur 4. Elie lui reprocha la mort de Naboth , et le menaça de la colère du Seigneur, en lui disant: Tu l'as tué, et de plus tu possèdes son bien 5. Mais voilà que j’amènerai le mal sur toi, et que je détruirai la postérité 6, et le reste. Ce prince, aussitôt déchira ses vêtements, couvrit sa chair d'un cilice, jeûna revêtu d'un sac et marcha la tête baissée contre terre 7. Alors le Seigneur dit à Elie Thesbyte : N'as-tu pas vu Achab humilié devant moi. Puis donc qu'il s'est humilié à cause de moi, je n'amènerai point le mal sur ses jours 8.
Oh ! l'heureuse pénitence qui attira sur lui les regards de Dieu, et qui par l'aveu des fautes commises, changea l'arrêt que Dieu avait prononcé dans sa fureur…
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(1) Joan. XXI. 15-17. — (2) Exod. XXXII. — (3) Ps. L. 6. 14. — (4) III. Reg. XXI. 25. — (5) Ibid. 19. — (6) Ibid. 21. — (7) Ibid. 27. — ( 8 ) Ibid. 29.
Note (3) : LATÉRANUS; — Plautius Latéranus eut la tête tranchée pour avoir conspiré contre Néron. Son palais était situé sur le mont Célien. L'empereur Constantin y fît bâtir une magnifique église, que l'on appelle Saint Jean de Latran, du nom de Latéranus. Étonnante révolution que celle qui substitue une église du Christ au palais d'un seigneur romain !
Dernière édition par Louis le Lun 26 Déc 2022, 11:32 am, édité 1 fois (Raison : Orthographe)
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LXXXIV.Pages 287-289.JÉRÔME À OCÉANUS.Sur la mort de Fabiola.SUITE
Oh ! l'heureuse pénitence qui attira sur lui les regards de Dieu, et qui par l'aveu des fautes commises, changea l'arrêt que Dieu avait prononcé dans sa fureur. Dans les Paralipomènes 1, nous voyons que la même chose arriva au roi Manassès; dans le prophète Jonas 2, au roi de Ninive; dans l'Évangile, au publicain 3. Le premier d'entre eux se rendit non-seulement digne de pardon, mais encore mérita de recouvrer son royaume; le second arrêta la colère imminente de Dieu; le troisième, frappant sa poitrine à coups de poings, n'osant pas lever les yeux au ciel, s'en retourna beaucoup plus justifié par l'humble confession de ses fautes, que le pharisien, par la vaine ostentation de ses vertus.
Ce n'est point ici le lieu de louer la pénitence, ni de dire, comme si j'écrivais contre Montanus ou contre Novatus, qu'elle est une hostie qui apaise le Seigneur 4; que le sacrifice agréable à Dieu, est un cœur contrit 5; qu'il aime mieux la pénitence du pécheur que sa mort 6; qu'il dit lui-même: Lève-toi, lève-toi, Jérusalem 7, et beaucoup d'autres choses que nous font entendre les trompettes des prophètes. Je ne dirai que ce qui peut être utile à ceux qui me liront, et convenir à mon sujet.
Fabiola n'eut point honte de Jésus-Christ sur la terre, et Jésus-Christ ne rougira point d'elle dans les cieux. Elle découvrit à tout le monde sa blessure, et Rome ne peut, sans verser des larmes, en voir les cicatrices sur ce corps pâle et défait. Elle se montra avec des vêtements déchirés, la tête nue, la bouche close; elle n'entra point dans l'Église du Seigneur, mais comme Marie, sœur de Moïse, elle s'assit hors du camp et séparée des autres, jusqu’à ce que le prêtre qui l'avait chassée vînt lui-même la rappeler. Elle descendit du trône de ses délices Note (4), elle tourna la meule, fit de la farine; se déchaussa pour passer le torrent de larmes 2; s'assit sur des charbons, qui lui servirent à la purifier. Ce visage, par lequel elle avait plu à un second mari, elle le meurtrissait; elle haïssait les pierreries, ne pouvait voir les linges précieux, et fuyait les vains ajustements. Elle s'affligeait comme si elle eût commis un adultère , et recourait à toutes sortes de remèdes pour guérir une seule plaie.
Je me suis long-temps arrêté à sa pénitence et m'y suis arrêté comme en un passage difficile…
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(1) II. Paral. XXXIII.12. 13. — (2) Jon. III. 10. — (3) Luc. XVIII. 42. 43. — (4) Ps. XXVI. 6. (?). — (5) Ibid. L. 19. — (6) Ezech. XVIII. 23. — (7) Is. LX. 1. — (1) Num. XII. 15. — (2) Is. XLVII. 1-14. secundum LXX.
Note (4) : ELLE DESCENDIT, etc. — Ce sont là autant d'expressions métaphoriques dont le prophète Isaïe se sert pour décrire l'humiliation et la ruine de Babylone.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LXXXIV.Pages 289-291.JÉRÔME À OCÉANUS.Sur la mort de Fabiola.SUITE
Je me suis long-temps arrêté à sa pénitence et m'y suis arrêté comme en un passage difficile, pour ne rencontrer ensuite aucun obstacle, lorsque s'ouvrira devant moi le vaste champ de sa louange.
Une fois rétablie dans la communion des fidèles, sous les yeux de toute l'Église, que fit donc Fabiola?
En ces jours heureux, elle n'oublia point les jours mauvais, et, après le naufrage, ne voulut pas s'exposer encore aux périls de la navigation; au contraire, tout son patrimoine qui était considérable, et qui répondait à sa naissance, elle l'éparpilla et le vendit, et en destina l'argent à subvenir aux nécessités des pauvres. La première, elle fonda un hôpital Note (5), pour y ramasser les malades abandonnés dans les rues, et soulager tant de malheureux accablés de langueurs, consumés de faim.
Maintenant, décrirai-je ici les diverses infirmités des hommes, ces nez coupés, ces yeux crevés, ces pieds à demi brûlés, ces mains livides, ces ventres gonflés, ces cuisses décharnées, ces jambes enflées, ces chairs putrides et rongées d'où sortent une fourmilière de vers ?
Combien de fois Fabiola ne porta-t-elle point sur ses épaules des personnes languissantes de jaunisse et couvertes de crasse?
Combien de fois ne lava-t-elle pas des plaies toutes purulentes que d'autres ne pouvaient pas même regarder? Elle donnait, de ses propres mains, à manger aux pauvres, et rafraîchissait de quelques petites boissons des cadavres expirants.
Je sais que beaucoup de personnes riches et vertueuses ne pouvant, sans une profonde répugnance, faire de telles actions, exercent par le ministère d'autrui de semblables œuvres de miséricorde, et sont charitables avec leur argent, puisqu'elles ne le sont pas avec leurs mains. Certes, je ne les blâme pas , et je suis loin d'attribuer à un manque de foi cette délicatesse de leur naturel; mais si je pardonne à la faiblesse de leur estomac, je puis bien élever jusqu'aux cieux l'ardeur et le zèle d'une âme parfaite.
La Foi, quand elle est grande, surmonte ces dégoûts. Je sais en quoi le riche, couvert de pourpre, manqua jadis à Lazare, et quel juste châtiment reçut un esprit superbe 1 . Cet homme que nous méprisons, que nous ne pouvons pas même regarder, et dont la vue seule nous soulève le cœur, il est semblable à nous ? il est formé du même limon que nous , il est composé des mêmes éléments que nous ; tout ce qu'il souffre nous pouvons le souffrir. Regardons ses plaies comme les nôtres , et toute cette dureté d'âme que nous sentons pour lui, s'amollira devant les bienveillantes pensées que nous avons pour nous-mêmes.Non, quand j'aurais cent bouches et cent voix, quand…__________________________________________________________
1 Luc. XVI.
Note (5) : ELLE FONDA UN HÔPITAL. — Le tableau que saint Jérôme trace des infirmités réunies dans cet hôpital, nous rappelle un semblable tableau tracé par la main de Fléchier:
« Voyons la reine dans les hôpitaux où elle pratiquait ses miséricordes publiques, dans ces lieux où se ramassent toutes les infirmités et tous les accidents de la vie humaine; où les gémissements et les plaintes de ceux qui» souffrent remplissent l'âme d'une tristesse importune; où l'odeur qui s'exhale de tant de corps languissants porte dans le cœur de ceux qui les servent le dégoût et la défaillance; où l'on voit la douleur et la pauvreté exercer à l'envi leur funeste empire, et où l'image de la misère et de la mort entre presque par tous les sens. C'est là que s'élevant au dessus des craintes et des délicatesses de la nature, pour satisfaire à sa charité, au péril de sa santé même, on la vit, toutes les semaines, essuyer les larmes de celui-ci, pourvoir aux besoins de celui-là, procurer aux uns des remèdes et des adoucissements à leurs maux, aux autres des consolations de l'esprit et des secours pour la conscience. » Orais. fun. de Marie-Thérèse d'Autriche, pag. 237, édit. Lefèvre.
Saint Jérôme n'est-il pas plus énergique et plus saisissant que Fléchier? Où trouver dans la phrase compassée de l'orateur moderne des traits comme celui-ci: Præbebat cibos propria manu, et spirans cadaver sorbitiunculis irrigabat: Elle donnait, de ses propres mains, à manger aux pauvres, et rafraîchissait de quelques petites boissons des cadavres expirants ?
Dernière édition par Louis le Sam 21 Aoû 2021, 6:57 am, édité 1 fois (Raison : Orthographe.)
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LXXXIV.Pages 293-295.JÉRÔME À OCÉANUS.Sur la mort de Fabiola.SUITENon, quand j'aurais cent bouches et cent voix, quand j'aurais une parole de fer, je ne pourrais pas dire les noms de toutes les maladies,ÉNÉID. VI. 625.
Auxquelles Fabiola sut apporter de si grands adoucissements qu'il y eut beaucoup de malheureux qui, se trouvant en bonne santé, envièrent le sort des malades. Au reste, elle ne fut pas moins libérale envers les Clercs, les Moines et les Vierges. Quel monastère ne se vit pas soutenu par ses largesses? Quel pauvre tout nu ou alité, ne reçut pas d'elle des vêtements pour se couvrir ? quelle espèce d'indigence ne secourut-elle pas avec zèle et avec une charité empressée ? Rome était trop étroite pour sa miséricorde. Elle parcourait donc les îles et toute la mer Étrusque. Elle allait elle-même, ou envoyait des personnes fidèles et vertueuses répandre ses bienfaits dans la province des Volsques Note (6), et dans les secrètes anfractuosités des mers où résidaient les chœurs des moines. Elle vint tout-à-coup à Jérusalem, et contre l'attente de tout le monde. Plusieurs personnes accoururent la recevoir, et elle demeura quelque temps dans notre monastère. Quand je me rappelle ses entretiens, il me semble que je la vois encore.
Bon Dieu! avec quelle ferveur, avec quelle attention elle s'appliquait à l'étude des volumes sacrés! Affamée qu'elle était de cette divine lecture, elle parcourait les Prophètes, les Évangiles et les Psaumes, proposant des difficultés et conservant avec soin, dans son cœur, les réponses que j'y faisais. Elle ne se lassait jamais d'apprendre; à mesure qu'elle avançait dans la science, elle redoublait d'application, et semblables à une huile que l’on jette sur le feu, les connaissances qu'elle acquérait ne faisaient qu'augmenter son ardeur.
Un jour, nous avions entre les mains le livre des Nombres, elle demanda avec modestie ce que signifiait cette multitude de noms, pourquoi l’on joignait chaque tribu, tantôt à l’une, tantôt à l'autre; comment il se pouvait faire que Balaam, simple devin, eût tellement prédit les mystères qui regardent le Christ, que nul presque des prophètes n'en ait parlé si clairement? Je lui répondis comme je pus, et il me sembla qu'elle était contente de la réponse.
Continuant donc sa lecture, elle tomba sur l'endroit où l'on fait le dénombrement de toutes les mansions du peuple d'Israël, depuis sa sortie d'Égypte jusqu'au fleuve du Jourdain. Comme elle me demandait les raisons de chaque chose, j'hésitai sur quelques endroits, j'en expliquai d'autres bien aisément, et il y en eut plusieurs où je confessai tout simplement mon ignorance.
Alors, elle se mit à me presser davantage, et, comme s'il ne m'eût pas été permis d'ignorer ce que j'ignorais, elle me pria avec instance d'éclaircir ses doutes, s'avouant néanmoins indigne de comprendre de si grands mystères. Qu'ajouter enfin? Confus de lui refuser ce quelle demandait, je lui promis un traité spécial sur cette question. Je n'ai pu, jusqu'à présent, tenir ma promesse, Dieu le permettant ainsi, je crois, pour que je consacre cet ouvrage à la mémoire de Fabiola, et que, maintenant qu'elle est revêtue de ces habits sacerdotaux, dont je parle dans le premier volume Note (7) que je lui dédiai, elle ait la joie d'être enfin arrivée, par le désert de ce monde, à la terre de promission. Mais poursuivons ce que nous avions commencé.
Pendant que nous cherchions une demeure digne d’une femme si distinguée…
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Note (6) : VOLSQUES — Anciens peuples d'Italie: ils habitaient le pays qui fait aujourd'hui partie de la campagne de Rome.
Note (7) : DANS LE PREMIER VOLUME. — Saint Jérôme fait ici mention de deux traités qu'il a dédiés à Fabiola; l'un, touchant les vêtements du grand prêtre, l'autre, touchant les divers campements des Israélites dans le désert.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LXXXIV.Pages 297-299.JÉRÔME À OCÉANUS.Sur la mort de Fabiola.SUITE
Pendant que nous cherchions une demeure digne d'une femme si distinguée, qui voulait vivre dans la solitude, sans toutefois s'éloigner de la retraite où vécut Marie, voilà que soudain arriva, de divers endroits, une nouvelle qui fit trembler l'Orient: de l'extrémité des Palus Méotides, entre les glaces du Tanaïs et la cruelle nation des Gètes, là où les rochers du Caucase, barrières d'Alexandre, retiennent ces peuples barbares, étaient accourus des essaims de Huns, qui, volant çà et là sur des chevaux rapides, remplissaient de carnage et d'effroi tous les lieux qu'ils traversaient. L'armée romaine était alors absente, et retenue en Italie par des guerres civiles Note ( 8 ).
Hérodote raconte que, sous Darius, roi des Mèdes, cette nation assujettit, durant vingt années, tout l'Orient, et se fit payer, par les Égyptiens et les Éthiopiens, un tribut annuel. Dieu veuille désormais éloigner de l'empire romain des hôtes semblables. On les voyait arriver partout à l'improviste, et, allant plus vite que le bruit de leur irruption, ces barbares n'épargnaient ni la religion, ni l'âge, ni la dignité des personnes; ils n'avaient pas même pitié de la faible enfance. D'innocentes créatures, qui n'avaient pas encore commencé à vivre, recevaient déjà la mort, et, sans connaître leur infortune, riaient entre les bras et parmi les épées de leurs meurtriers. La rumeur commune, c'était que ces barbares venaient à Jérusalem, et que, attirés par la soif de l'or, ils couraient vers cette ville. On en réparait les murailles, qui avaient été négligées en temps de paix. Antioche était assiégée, et Tyr, pour se séparer de la terre, cherchait son île ancienne.
Nous alors, nous fumes forcés de préparer des vaisseaux, de nous tenir sur le rivage, d'être en garde contre l'arrivée des ennemis, et, malgré la violence des vents, d'appréhender moins le naufrage que les barbares ; nous ne songions pas tant à sauver notre propre vie qu'à préserver la chasteté des vierges. Il y avait alors quelque division parmi nous, et cette guerre domestique surpassait la guerre. Quant à moi, je ne pus quitter l'Orient où j'avais établi ma demeure, et où me retenait un ancien amour pour les Lieux saints.
Mais Fabiola, qui portait tout avec elle, et qui était étrangère en toute cité, retourna dans sa patrie, pour vivre pauvre là où elle avait été riche, pour habiter chez les autres, après avoir logé tant de monde chez elle, et enfin, — car je ne veux pas insister trop long-temps, — elle y retourna pour donner aux pauvres, à la vue de Rome toute entière, ce qu'elle avait vendu aux yeux mêmes de Rome. Tout ce que je regrettai, ce fut de voir perdre aux lieux saints leur ornement le plus précieux. Rome recouvra ce qu'elle avait perdu, et l'effronterie de ceux qui avaient déchiré sa réputation, fut confondue par le témoignage que les Gentils rendaient à sa vertu.
Que d'autres louent sa miséricorde, son humilité, sa foi; je louerai plus encore la ferveur de son esprit…
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Note( 8 ) : GUERRES CIVILES. — Ces guerres avaient été excitées par Arbogaste, qui, après avoir fait assassiner l'empereur Valentinien le Jeune, avait élevé Eugénius sur le trône. Théodose étant allé, en 394, combattre ce tyran, avait mené avec lui les légions romaines, et lorsque, en 395, les Huns se jetèrent sur les terres de l'empire, ces légions étaient encore en Italie.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LXXXIV.Pages 299-303.JÉRÔME À OCÉANUS.Sur la mort de Fabiola.SUITE
Que d'autres louent sa miséricorde, son humilité, sa foi; je louerai plus encore la ferveur de son esprit. Le livre que j'écrivis dans ma jeunesse, pour engager Héliodorus à venir au désert, elle le savait par cœur, et, en regardant les murailles de Rome, elle se plaignait d'être là captive. Oubliant son sexe, oubliant sa faiblesse, et ne désirant que la solitude, elle demeurait là où était son cœur. Les conseils de ses amies ne pouvaient la retenir à Rome, d'où elle souhaitait de s'échapper comme d’une prison. Elle disait qu’une charité trop prudente et trop ménagère est une espèce d'infidélité. Elle ne laissait point à d'autres le soin de distribuer ses aumônes, mais donnant tout sans réserve, elle désirait de recevoir elle-même l'aumône pour l'amour du Christ. Elle se bâtait si fort, elle était si impatiente de tout retard, qu'on eût dit qu'elle allait partir pour l'éternité. Ainsi, comme elle s'y préparait toujours, la mort ne put la surprendre.
Pendant que je fais l'éloge de cette noble femme, tout-à-coup mon cher Pammachius me vient en l'esprit. Paulina dort, afin qu'il veille, lui. Elle a précédé son mari, afin de laisser au Christ un serviteur. Il est l'héritier de sa femme, et d'autres sont les possesseurs de l'héritage.
Ils contestaient, Fabiola et lui, à qui le plus tôt dresserait, au port de Rome, la tente d’Abraham; et c'était entre eux à qui se surpasserait en charité. Ils ont vaincu tous deux, tous deux ont été vaincus. Chacun avoue sa victoire et sa défaite, car ils ont accompli tous deux ce que l'un et l'autre souhaitaient. Ils unissent leurs biens, ils associent leurs volontés, afin d'affermir par la concorde ce que l'émulation aurait pu ruiner.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Ils achèvent un hospice, la foule y accourt, et il n'y a plus d’affliction dans Jacob, ni de douleur en Israël 1. Les mers amènent à la terre des personnes qu'elle reçoit dans son sein, et Rome y envoie des pèlerins se fortifier sur le doux rivage contre les fatigues de la navigation. Ce que fit une fois Publius dans l'île de Malte, et envers un seul Apôtre 1, ou plutôt, — car je ne veux pas donner lieu à la controverse, — ce qu’i! fit envers un navire, ceux-ci le font assez fréquemment et envers plusieurs personnes; on ne se contente pas de soulager les pauvres dans leurs besoins, mais par une libéralité qui s'étend â tout le monde, on pourvoit même aux besoins de ceux qui ont quelque chose. L'univers entier apprit donc en même temps qu'un Xénodochium Note (9) avait été construit au port de Rome. La Bretagne le sut en été; l'Égypte et la Parthie le savaient au printemps.
Ce qui est écrit…
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(1) II. Num. XXIII. 21, Secundus LXX. — (1) Act. XXVIII. 7.
Note (9) :
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
Fin de cette Lettre.LETTRE LXXXIV.Pages 303-307.JÉRÔME À OCÉANUS.Sur la mort de Fabiola.SUITE
Ce qui est écrit, que tout se change en bien pour ceux qui craignent le Seigneur 2, on en vit l'accomplissement à la mort d'une si noble femme. Comme elle avait, en quelque sorte, pressenti ce qui devait lui arriver, elle avait écrit à plusieurs moines de venir près d'elle, pour la décharger d'un fardeau qui lui était fort pénible, car elle voulait, avec l'inique mammona, se faire des amis qui la reçussent dans les tabernacles éternels 3. Ils vinrent, ils furent ses amis; le sommeil des justes la trouva telle qu'elle voulait être, et, après avoir rejeté le poids qui l'accablait, elle s'envola plus légère vers les cieux.
Rome fit voir, à la mort de Fabiola, combien elle l'avait admirée, durant sa vie. Elle n'avait point encore rendu son âme à Jésus-Christ,Que, déjà volant au loin, la Renommée, messagère d'un si grand deuil,ÉNÉID. XI. 139.
avait rassemblé aux funérailles de Fabiola tout le peuple de la Cité. On entendait résonner le chant des psaumes, et les voûtes sublimes des temples retentissaient de l'alléluia.Un chœur de jeunes gens et un chœur de vieillards célèbrent en leurs chants la gloire de cette noble femme et ses hautes vertusÉNÉID. VII. 287.
Non, les triomphes de Fabius sur les Gaulois, de Papyrius sur les Samnites, de Scipion sur Numance, de Pompée sur les peuples du Pont, ne sont rien auprès des triomphes de Fabiola. Ils vainquirent des corps; elle dompta des esprits de malice. J'entends encore le bruit de cette foule qui se hâte, qui accourt de tous côtés à ses funérailles. Les places, les portiques, les toits des maisons ne pouvaient contenir les spectateurs. Rome vit alors tous ses citoyens réunis; chacun croyait avoir part à la gloire de l'illustre pénitente. Rien d'étonnant si les hommes se réjouissaient du salut de celle dont la conversion réjouissait les anges dans les cieux 1.
Voilà quel présent mon esprit vous offre, en sa vieillesse, ô Fabiola, et quel tribut suprême je paie à votre mémoire. J'ai souvent loué des vierges, des veuves et des femmes mariées, dont les vêtements furent toujours blancs, et qui suivent l'Agneau partout où il va 2. Heureuse louange, de ne s'être souillé d'aucune tache durant, toute la vie ! Mais loin d'ici la médisance, loin d'ici l'envieuse calomnie. Si le père de famille est bon, pourquoi votre œil est-il méchant ? 1 La brebis qui était tombée entre les mains des voleurs, le Christ l’a rapportée sur ses épaules 2. Il y a plusieurs demeures auprès du Père 3. Là où abonda le péché, là aussi a surabondé la grâce 4, et celui à qui l’on remet plus aime davantage 5.
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(2) Rom. VIII. 28. — (3) Luc. XVI. 9. — (1) Luc. XV. 6.. — (2) Apoc. XIV. 4. — (1) Matth. XX. 15. — (2) Luc. XV. 5. — (3) Joan. XIV. 2. — (4) Rom. V. 20. — (5) Luc. VII. 43.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LIV.Pages 289-291.À PAMMACHIUS.
Quand une plaie est guérie, si la médecine entreprend de n'y laisser aucune cicatrice et de rendre à la peau sa couleur première, elle ne fait que renouveler le mal, en cherchant la beauté du corps. Moi de même, tardif consolateur, qui me suis tu mal à propos l'espace de deux ans, je crains bien de parler aujourd'hui plus mal à propos encore, et, en touchant la plaie de votre cœur que la raison et le temps ont fermée, de la rouvrir maintenant par un souvenir douloureux. II faudrait avoir des oreilles bien dures, des entrailles véritablement formées de roc, nourries du lait des tigresses d'Hyrcanie, pour pouvoir, sans verser des larmes, entendre le nom de votre Paulina. Une rose naissante qui n'est qu'en bouton, qui n'a pas senti s'épanouir son calice, ni s'étaler l'ambitieux orgueil de ses riantes feuilles, quel homme pourrait, d'un œil impassible, la voir cueillie avant le temps et fanée ? Un bijou précieux a été brisé, une verdoyante émeraude a été réduite en pièces. Ce qu'il y a de merveilleux dans la santé, c'est la maladie qui le fait connaître. Nous savons mieux ce que nous avions, quand nous ne l'avons plus.
On lit dans l'Évangile, que trois grains étant tombés en une bonne terre, ils rendirent : le premier, cent ; le second, soixante; le troisième, trente 1. Je trouve là un symbole de trois sortes de récompenses que le Christ a données à trois femmes unies et par le sang et par la vertu. Eustochium cueille les fleurs de la virginité ; Paula mène une laborieuse vie de veuve. Paulina a conservé pure et chaste la couche conjugale. C'est dans le noble entourage de telles filles qu'elle a reçu ici-bas tout ce que le Christ nous promet pour les cieux.
Et, afin qu'une même maison produisit quatre personnes d'une éminente sainteté, et que les hommes ne le cédassent point en vertu aux femmes, on voit s'adjoindre à elles Pammachius Note (1), véritable chérubin d'Ézéchiel, qui est à la fois parent, gendre, époux, frère bien aimant, car dans les alliances spirituelles, on ne connaît pas les noms relatifs au mariage. Jésus lui-même conduit ce quadrige. C'est de ces coursiers que parle Abacuc, lorsqu'il dit: Monte sur tes coursiers, et ils seront le salut du peuple 2. Leur vitesse est inégale, mais ils courent avec la même ardeur à la victoire. Ils sont d'une couleur différente, mais d'une volonté uniforme, et portent le joug du même aurige, n'attendant pas les coups de fouets, mais volant tout en feu à la voix seule du guide.
Disons quelque chose aussi des philosophes…
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(1) Matth. XIII. 8.— (2) Abacuc. III. 8.
Note (1) : PAMMACHIUS était beau-frère d’Eustochium, gendre de Paula, et mari de Pauline.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LIV.Pages 291-295.À PAMMACHIUS.SUITE
Disons quelque chose aussi des philosophes. Il y a, suivant les stoïciens, quatre sortes de vertus, et tellement unies; tellement inséparables qu'on ne peut se flatter d'en avoir aucune dès qu'on ne les a pas toutes ensemble; ce sont: la prudence, la justice, la force, la tempérance. Chacun de vous possède toutes ces vertus, et les possède à un souverain degré. On loue spécialement en vous la prudence; en votre mère, la justice; dans la vierge Eustochium, la force; dans l'épouse, la tempérance.
Quel homme plus sage, en effet, que celui qui, méprisant la folie du monde, a suivi le Christ, vertu de Dieu, sagesse de Dieu ?
Quelle femme plus sage qu'une mère qui, distribuant ses richesses à ses enfants, leur montre, par le mépris des richesses, ce qu'ils doivent aimer ?
Quelle vierge plus courageuse qu'Eustochium, qui a fait triompher la virginité du faste de la noblesse, de l'orgueil d'une naissance consulaire, et qui, la première a soumis au joug de la pudeur ce que Rome présente de plus illustre ?
Quelle tempérance, comme celle de Paulina, qui, lisant ces paroles de l'Apôtre : Le mariage est honorable, et la couche nuptiale est sans tache 1, puis n'osant aspirer, ni au bonheur de sa sœur, ni à la continence de sa mère, aima mieux cheminer en sûreté par d'humbles routes que de marcher d'un pas chancelant sur les hauteurs ?
Au reste, dès qu'elle fut engagée dans le mariage, elle ne pensa, jour et nuit, qu'à vivre au second degré de chasteté, une fois que son mariage aurait été prospère; faible femme, elle se mit à la tête d'une grande œuvre, et engagea son mari à seconder son dessein 2, car elle n'abandonnait pas cet époux, son compagnon dans les voies du salut, mais elle l'attendait. Comme elle avait fait par plusieurs fausses couches une triste expérience de sa fécondité, elle espéra toujours avoir des enfants, et voulut, malgré sa faiblesse, écouter les empressements de sa belle-mère, l'inquiétude de son mari. Elle eut en quelque façon le sort de Rachel, et, au lieu d'un fils de sa douleur 1 et de sa droite Note (2), elle enfanta son mari à la vie qu'elle désirait embrasser. J'ai appris de gens dignes de foi qu'elle n'avait jamais eu dessein de s'assujettir à ce premier commandement de Dieu : Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre 2, ni de se soumettre au devoir conjugal, mais qu'elle n'avait souhaité d'avoir des enfants que pour donner des vierges au Christ.
Nous lisons que la femme du prêtre Phinéès, ayant appris que l'arche du Seigneur était captive, et se sentant saisie d'une subite douleur d'entrailles, enfanta Ichabod Note (3), puis, en le mettant au monde, expira entre les mains des femmes qui la secouraient 3. L'enfant de Rachel fut nommé Benjamin, c'est-à-dire fils de la force et de la droite; celui de la femme de Phinéès, qui fut un noble prêtre de Dieu, reçut un nom relatif à l'Arche. Après la dormition et le sommeil de Paulina, l'Église a enfanté à la vie monastique Pammachius, comme un fils posthume, et cet homme, qui compte parmi ses ancêtres comme parmi ceux de son épouse une longue suite de sénateurs, s'enrichit aujourd'hui par ses aumônes, s'élève par son humilité.
L'Apôtre écrit aux Corinthiens :…
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(1) Heb. XIII. 4 — (2) Virgil. Æneid. — (1) Gen. XXXV 18. — (2) Ibid. I. 28. — (3) I. Reg. IV. 19-20.
Note (2): Saint Jérôme fait allusion à la mort de Rachel, qui mourut en mettant au monde un enfant qu'elle appela, pour cette raison, Ben-oni c'est-à-dire, fils de ma douleur, et que Jacob nomma Ben-iamin c'est-à-dire, fils de ma droite
Note (3): ICHABOD veut dire, en hébreu : Qu'est devenue la gloire, parce que les Israélites avaient perdu toute leur gloire, en perdant l'Arche d'alliance.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LIV.Pages 295-301.À PAMMACHIUS.SUITE
L'Apôtre écrit aux Corinthiens : Considérez votre vocation , mes frères ; il y en a peu de sages entre vous, et peu de nobles 4. Les commencements de l'Église naissante demandaient cela, pour que le grain de sénevé crût peu à peu jusqu'à devenir un grand arbre, et que le levain de l'Évangile fit enfler insensiblement toute la pâte de l'Église 1. Rome possède de nos temps ce que le monde n'avait point encore vu. Autrefois il était rare que des sages, des puissants, des nobles, fussent chrétiens; maintenant, il est beaucoup de sages, de puissants, de nobles qui se font moines.
Mon Pammachius est le plus sage, le plus puissant, le plus noble d'eux tous. Grand parmi les grands, distingué parmi les gens distingués, il est [maintenant] le premier des solitaires. Voilà les enfants que Paulina nous a légués à sa mort, et que, pendant sa vie, elle désirait d'avoir. Réjouis-toi, stérile qui n'enfantes point; triomphe et pousse des cris, de joie, toi qui n'enfantes point 2, car tu as tout-à-coup mis au monde autant d'enfants qu'il y a de pauvres à Rome.
Les pierreries éclatantes qui ornaient jadis le cou et la figure servent maintenant à rassasier la faim de l'indigence. Les vêtements de soie, les vêtements sur lesquels l'or s'étendait en fils précieux, sont changés en simples vêtements de laine, qui repoussent le froid et ne mettent point à nu la vanité. Ce qui faisait jadis l'ameublement de la mollesse, la vertu le consacre aujourd’hui. Cet aveugle, qui tendait la main, et qui souvent demandait l'aumône là où il n'y avait personne, est aujourd'hui l'héritier de Paulina, le cohéritier de Pammachius. Cet homme estropié, et forcé de traîner tout son corps, la main d'une tendre jeune fille le soutient. Ces portes qui vomissaient une foule de courtisans, sont aujourd'hui assiégées par des pauvres. L'un est un hydropique, qui porte la mort dans son sein ; l'autre, un muet, qui n'a pas seulement de quoi demander l'aumône, mais qui la demande d'une manière d'autant plus touchante, qu'il n'a pas de langue pour la demander. Ici, c'est un enfant, tué, en quelque sorte, dès le berceau, et qui mendie, mais non pas pour lui. Là, c'est un homme pourri de jaunisse, et qui survit à son cadavre.Non, quand j'aurais mille langues, quand j'aurais mille bouches,
je ne pourrais compter ces tourments divers.ÉNEID. VI. 623
C'est au milieu d'une telle escorte que Pammachius parait en public il soulage le Christ dans ses pauvres, et reçoit de leurs haillons un nouvel éclat. Bienfaiteur des infortunés, candidat des indigents, voilà comment il se hâte vers le ciel. Les autres maris jettent sur les tombes de leurs femmes des violettes, des roses, des lis, des fleurs empourprées, et adoucissent, par ces pieux offices, la douleur qu'ils éprouvent.
Notre Pammachius, lui, répand ses aumônes, comme un baume sacré, sur les saintes reliques et les ossements vénérables de Paulina. C'est avec ces odeurs qu'il parfume la tombe où reposent ses cendres, car il sait qu'il est écrit: De même que l'eau éteint le feu, de même l'aumône efface le péché. 1 Ce qu'il y a de force dans la miséricorde, ce qu'elle doit obtenir d'insignes récompenses, le bienheureux Cyprien le montre en un grand volume, et Daniel le fait assez voir, quand il dit à un roi impie, que, s'il veut l'écouter, il se sauvera en donnant l'aumône aux pauvres 2. La mère se réjouit de ce que sa fille a un tel héritier. Elle n'a pas de regret de voir en des mains étrangères des richesses qui servent à soulager ceux-là mêmes à qui elle les destinait. Elle se félicite bien plutôt de ce que ses désirs sont remplis; sans qu'elle ait aucune peine; car la dispensation est toujours la même, quoique la main dispensatrice ait changé.
Qui jamais aurait cru qu'un…
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(4) I. Cor. I. 26..— (1) Luc. XIII. 19. 21. — (2) Is. LIV. 1; Gal. IV. 27. — (1) Eccl. III. 33.— (2) Dan IV. 24.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LIV.Pages 301-303.À PAMMACHIUS.SUITE
Qui jamais aurait cru qu'un petit-fils de consuls, la gloire et l'ornement de la famille des Furius Note (5), paraîtrait un jour avec un vêtement de couleur triste et sombre au milieu des sénateurs couverts de pourpre, qu'il ne rougirait pas des regards des hommes de son rang, mais qu'il rirait de ceux qui riraient de lui ? Il est une confusion qui mène à la mort, et il est une confusion qui mène à la vie 1. La première vertu du moine, c'est de mépriser les jugements des hommes, et de se rappeler toujours ce que dit l'Apôtre:Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas le serviteur du Christ 2. C'est dans ce sens que le Seigneur dit aux prophètes qu'il les avait établis comme une ville d'airain, comme un diamant, comme une colonne de fer 3, afin qu'ils ne tremblassent pas devant les injures du peuple, mais que, par l'inflexibilité de leur front, ils domptassent l'impudence d'une foule moqueuse. Les esprits façonnés et bien faits sont plus accessibles à la confusion qu'à la crainte, et ceux que les supplices ne peuvent ébranler se laissent dompter quelquefois par la honte. Ce n'est pas peu de chose dans un homme d'une haute naissance, dans un homme éloquent, dans un homme riche, d'éviter, sur les places publiques, la compagnie des grands, de se mêler à la foule, de s'attacher aux pauvres, de s'unir aux gens simples, et, puissant seigneur, de se faire peuple. Plus il s'humilie ainsi, plus il s'élève.
Une perle brille au milieu des ordures, une pierre précieuse rayonne même dans la boue. C'est ce que Dieu promet, quand il dit: Ceux qui me glorifient, je les glorifierai 1. Que d'autres entendent cela de la vie future, alors que notre chagrin se changera en allégresse, et que, le monde passant, la couronne des saints ne passera pas; moi, dès à présent, je vois s'accomplir ce qui est promis aux saints. Avant de servir le Christ de toute son âme, Pammachius était connu au sénat, mais il y en avait bien d'autres que lui qui portaient les insignes proconsulaires. Le monde entier est plein de ces sortes de dignités. Pammachius était au premier rang, mais avec beaucoup d'autres; supérieur à ceux-ci, il était inférieur à ceux-là. Si éclatante soit-elle, une distinction devient peu de chose, quand elle est prodiguée, et les gens de mérite ne font nul cas des dignités que possèdent tant d'hommes qui en sont indignes. De là vient que Cicéron dit excellemment de César: En voulant élever aux emplois certaines gens, il déshonora les emplois, sans faire honneur aux personnes.
Aujourd'hui toutes les Églises parlent de Pammachius. Le monde qui, jusqu'ici, avait ignoré qu'il fût riche, le voit avec admiration dans la pauvreté. Quoi de plus illustre que le consulat ? — C'est un honneur d'un an, et, lorsqu'un nouveau consul est venu, l'autre cesse d'être ce qu'il était. Les lauriers se perdent parmi la foule des conquérants, et les triomphes sont flétris souvent par l'ignominie des triomphateurs. Ce qui jadis ne sortait pas des mains patriciennes, et que la noblesse possédait seule; ces dignités dont Marius, le vainqueur de la Numidie, des Teuthons et des Cimbres, fut jugé indigne, à cause de la bassesse de sa naissance, et que Scipion, tout jeune qu'il était, mérita par sa vertu, c'est maintenant la milice qui les obtient seule ; des hommes jadis grossiers, la palme brillante les revêt.
Nous avons donc plus reçu que nous n'avons donné…
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(1) Eccli. IV. 25. — (2) Gal. I.10. — (3) Jerem. I. 18; Ezech. III. 9. — (1) I. Reg. II. 30.
Note (5) : Saint Jérôme fait descendre son ami de Furius Camillus.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LIV.Pages 305-307.À PAMMACHIUS.SUITE
Nous avons donc plus reçu que nous n'avons donné. Nous avons quitté peu de chose, et nous possédons de grands biens. Le Christ nous livre au centuple ce qu'il nous a promis. Isaac avait autrefois semé dans ce champ, lui qui, disposé à la mort, sut, avant les temps de l'Évangile, porter la croix évangélique. Si vous voulez être parfait, dit-il, allez, vendez tout ce que vous avez, donnez-en le prix aux pauvres, et suivez-moi. 1 Si vous voulez être parfait.
Toujours les grandes choses sont à la libre volonté de ceux qui écoutent. De là vient que l'Apôtre ne commande point la virginité, parce que le Seigneur, parlant de ceux qui se sont faits eunuques pour gagner le royaume du ciel, ajoute aussitôt : Que celui qui peut comprendre, comprenne 2, car cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde 3. Si vous voulez être parfait.
On ne vous impose pas de nécessité, et c'est afin que le vouloir ait toute sa gloire. Si donc vous voulez être parfait, et vous rendre semblable aux Prophètes, aux Apôtres, au Christ, vendez, non pas une partie de votre bien, de peur que l'appréhension de l'indigence ne vous soit une occasion d'infidélité, et que vous ne périssiez avec Ananias et Sapphira, mais vendez tout ce que vous possédez 4 , puis, quand vous l'aurez vendu, donnez-en le prix aux pauvres, et non pas aux riches, non pas aux superbes. Donnez au pauvre de quoi subvenir à ses nécessités, non pas au riche de quoi augmenter ses trésors.
Quand vous lirez ces paroles de l'Apôtre: Vous ne lierez point la gueule au bœuf qui foule le grain 5; et encore: Le mercenaire est digne du prix de son travail 6; et encore : Ceux qui servent à l'autel ont part aux oblations de l'autel 1, souvenez-vous en même temps de ces autres paroles: Ayant le vêtement et la nourriture, nous sommes contents 2.
Là où vous verrez fumer les plats, cuire à petit feu les oiseaux du Phase; là où il y aura une pesante vaisselle d'argent, des coursiers rapides, de jeunes esclaves bien frisés, des vêtements précieux, de riches tapis, là il y aura aussi un homme plus riche que celui qui veut faire des largesses. C'est une sorte de sacrilège que de donner le bien des pauvres à des gens qui ne sont pas pauvres.
Mais cependant, pour s'élever au comble de la perfection, et acquérir une vertu consommée…
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(1) Matth. XIX. 21. — (2) Ibid. 12.— (3) Rom. IX. 16. — (4) Act. V. — (5) I. Tim. V. 18. — (6) Luc. X. 7.— (1) I. Cor. IX. 13. — (2) I. Tim. VI. 8.
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LIV.Pages 307-309.À PAMMACHIUS.SUITE
Mais cependant, pour s'élever au comble de la perfection, et acquérir une vertu consommée, il ne suffit pas de mépriser les richesses, de distribuer tout son bien, ni de rejeter ce que l'on peut et perdre et trouver en un moment. Cratès, de Thèbe, a fait cela; Antisthène a fait cela, beaucoup d'autres en ont usé de même, que nous savons avoir été fort vicieux. Un disciple du Christ doit faire plus que le philosophe du monde, animal de gloire, vil esclave de la faveur et des applaudissements populaires. Il ne suffit pas que vous méprisiez les richesses, si vous ne suivez le Christ. Or, celui-là suit le Christ qui abandonne le péché, et qui embrasse la vertu.
Nous savons que le Christ est la sagesse. Voilà ce trésor qui naît dans le champ des Écritures, cette pierre précieuse pour laquelle on donne beaucoup de bijoux Note (6). Que si vous aimez une femme captive, c'est-à-dire la sagesse du siècle, et si vous êtes épris de sa beauté, coupez-lui les cheveux 3, et le charme de ses cheveux, l'ornement de ses paroles, aussi-bien que ses ongles, faites- le mourir, enlevez-le. Lavez-la avec ce nitre du Prophète 1, puis prenez votre repos avec elle, et dites: Sa main gauche est sous ma tête, et sa droite m'embrasse 2; alors cette captive vous donnera de nombreux enfants, et, de Moabite, elle deviendra Israélite.
Le Christ est la sanctification, sans laquelle personne ne verra la face de Dieu. Le Christ est la rédemption 3; il est en même temps le rédempteur et le prix du salut. Le Christ est tout, afin que ceux qui ont tout quitté pour le Christ, retrouvent tout en lui, et puissent dire hautement: Le Seigneur est mon partage 4.
Je m'aperçois que vous brûlez d'ardeur pour les divins enseignements…
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(3) Deut. XXI. 14. — (1) Jerem. II. 22. — (2) Cant. II. 6. — (3) I. Cor. I. 30. — (4) Ps. XV. 5.
Note (6) : — Allusion à ce que Dieu ordonne dans le Deutéronome, XXI, 11-13: « Si vous voyez parmi les captifs une femme belle, que vous aimiez et que vous vouliez épouser, Vous l'introduirez dans votre maison; elle rasera sa chevelure, et se coupera les ongles ; Après cela, vous viendrez vers elle, et elle sera votre épouse.»
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Louis- Admin
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LIV.Pages 309-313.À PAMMACHIUS.SUITE
Je m'aperçois que vous brûlez d'ardeur pour les divins enseignements, et que vous n'allez point, avec la témérité de certains esprits, enseigner ce que vous ne sauriez pas, mais que vous apprenez d'abord ce que vous devez enseigner. Vos lettres, simples et naturelles, se sentent des Prophètes, se sentent des Apôtres. Vous n'affectez point une pompeuse éloquence, et vous ne vous étudiez pas non plus, comme les enfants, à finir vos périodes par de petites pensées brillantes et ampoulées. L'écume enflée se dissipera en un moment, et la tumeur, quelque grande qu'elle soit, est toujours contraire à la santé. On connaît ce mot de Caton : Assez tôt, si assez bien. Autrefois, jeunes que nous étions, nous nous raillâmes de cette maxime, qu'un habile orateur citait dans son exorde. Vous vous souvenez, je pense, de notre erreur commune, et vous rappelez que l'Athénée tout entier retentissait de ces paroles: Assez tôt, si assez bien. — Heureux seraient les arts , disait Fabius Note (7), si les artistes seuls en jugeaient ! On ne peut connaître un poète, à moins que l'on ne puisse composer des vers.
On ne comprend pas les philosophes, à moins qu'on ne connaisse leurs divers systèmes. Jamais les choses faites par la main, et qui tombent sous les yeux, ne sont mieux jugées que par les ouvriers. Ce qu'il y a de fâcheux dans nous, vous le pouvez remarquer, c'est qu'il faut nous livrer au jugement du public, et que tel censeur est redoutable dans la foule, qui, lorsque vous le voyez seul, est méprisable.
Je vous ai dit cela en passant, afin que, vous trouvant satisfait de l'approbation des hommes instruits, vous en veniez à vous inquiéter peu des vains discours que les ignorants pourraient tenir sur votre compte , mais que chaque jour, initié au Christ, initié aux Patriarches, vous vous nourrissiez de l'esprit des Prophètes.
Soit que vous lisiez, soit que vous écriviez, soit que vous veilliez, soit que vous dormiez, que toujours Amos Note ( 8 ) retentisse à vos oreilles comme une trompette.
Que ce clairon transporte votre âme; excité par cet amour; cherchez dans votre lit celui que votre âme désire 1, et dites avec confiance: Je dors, et mon cœur veille 2. Quand vous l'aurez trouvé, quand vous le tiendrez, ne le laissez point aller 3. Que s'il vous arrive de dormir un peu, et qu'il vous échappe des mains, n'allez pas aussitôt perdre espoir. Sortez sur les places, conjurez les filles de Jérusalem de vous dire où il est, puis vous le trouverez couché à l’heure du midi, fatigué, enivré d'amour, humide de la rosée de la nuit, se reposant au milieu de ses compagnons, à l'ombre des arbres du jardin, et respirant l'odeur de mille aromates. Là, donnez-lui vos mamelles 4, afin qu'il suce le lait de votre science, qu'il se repose au sein de ses héritages, comme une colombe qui a les ailes argentées, et dont les plumes de dedans sont éclatantes comme l'or 1. Ce petit enfant qu'on engraisse de beurre et de miel 2, et qu'on nourrit sur des montagnes fertiles, deviendra bientôt un jeune homme, et ne tardera guère à dépouiller vos ennemis, à enlever les richesses de Damas, à vaincre le roi d'Assyrie.
J'apprends que vous avez fait élever…
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(1) Cant. III.1. — (2) Ibid. V. 2— (3) Ibid. III. 4. — (4) Ibid. VII. 12. — (1) Ps. LXVIII. 14. — (2) Is. VII. 15.
Note (7) : FABIUS. — Quintilien.
Note ( 8 ) : Allusion à ces mots du second chapitre d'Amos : « Morietur in sonitu Moab, in clangore tubæ; » (v. 2. ?) et à ces autres du chapitre IIIe : « Si clanget tuba in civilate, et populus non expavesect ? » (v. 6 ?)
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LIV.Page 313.À PAMMACHIUS.SUITE
J'apprends que vous avez fait élever un xénodochium au port Romain, et planté sur les rives d'Ausonie un rejeton de l'arbre d'Abraham Note (9). Comme Énée, vous asseyez votre nouveau camp, et, sur les bords du Tibre, là où jadis il fut contraint par la faim de manger les croûtes fatales qui lui servaient de table Note (10 ), vous bâtissez notre Viculus, c'est-à-dire une maison de pain Note (11 ), et vous rassasiez par une satiété soudaine une faim de longue durée. Courage, vous voilà nôtre désormais, vous êtes arrivé au plus haut point; du pied de la montagne, vous êtes parvenu à la cime. Premier entre les moines, dans la première ville du monde, vous suivez le premier patriarche Note (12 ). Que Lot, dont le nom signifie qui décline , choisisse les champs , et, d'après la lettre de Pythagore Note (13) , qu'il suive la gauche, la voie la plus facile Note(14). Quant à vous, préparez-vous un tombeau, avec Sara, dans les lieux escarpés et pierreux, qu'il y ait près de vous la cité des lettres, et, après avoir exterminé les géants, fils d'Énac, ayez pour héritiers la joie et les ris. Abraham était riche en or, en argent, en troupeaux, en terres, en vêtements; il avait un si grand nombre de serviteurs, qu'il put soudain, en ne choisissant que les plus jeunes, former une armée, et défaire quatre rois qu'il poursuivit jusqu’à Dan, et devant lesquels cinq rois avaient fui.
Après avoir enfin si souvent exercé l'hospitalité, il…
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Note (9): Allusion à cet arbre dont il est parlé dans la Genèse, XVIII, 4, et sous lequel Abraham donna à manger aux trois anges qui lui apparurent dans la vallée de Mambré. Saint Jérôme nous dit, en son Epitaphium Paulæ, que cet arbre était un chêne dont on voyait encore la place, de son temps.
Note (10): Allusion à une fable que raconte Denys d'Halycarnasse. Lorsque la flotte des Troyens fut arrivée au pays des Laurentins, et qu'elle eut campé sur les bords de la mer, on manqua d'eau douce; à l'instant, des fontaines sortirent de dessous terre, et fournirent de l'eau à l'armée. On offrit ensuite des sacrifices, et l'on servit à manger, après s'être assis à terre. On éleva des tables de persil sauvage, qu'on mit en monceaux, et l'on arrangea par-dessus des pains, pour manger plus proprement. Comme la faim fit dévorer ces pains, un des fils d'Énée, ou quelqu'un de ses compagnons, s'écria: Nous mangeons nos tables. A ces mots, tous firent grand bruit, et dirent que l'oracle s'accomplissait. En effet, ils avaient reçu cette réponse, ou à Dodone, comme le rapportent quelques historiens; ou, selon d'autres, à Erythie, bourgade du mont Ida, où résidait une sibylle. On leur avait ordonné de naviguer vers l'occident, jusqu'à un lieu où ils mangeraient leurs tables. Voyant que la prédiction était accomplie, ils se laissèrent guider par un cheval, et bâtirent des maisons dans l'endroit où il se reposa. Antiquités romaines, I, 13.—Virgile, Énéide, VII, 107 et suivantes.
Note (11): Saint Jérôme donne à un hôpital, où on nourrit les pauvres, le nom de Bethléhem, qui signifie en hébreu, maison de pain.
Note (12): Abraham.
Note (13): Déjà nous avons remarqué, dans les notes sur la lettre à Léa, que Pythagore représentait toute la vie de l'homme sous la figure d'un Y, dont la branche droite marque le chemin de la vertu, qui est rude et difficile; et la branche gauche, les routes du vice, qui sont aisées et agréables.
Note (14): Par la ville des lettres, il entend Cariathsepher, qui signifie en hébreu, ville des lettres, comme il est dit au chapitre Ve des Juges. Cette ville n'était pas éloignée d'Hébron, où Sara mourut et fut ensevelie.
Saint Jérôme fait ensuite allusion à lsaac, dont le nom, dans la langue hébraïque, signifie ris, et qui fut héritier de Sara, sa mère. Il se sert de toutes ces allusions pour engager Pammachius à marcher dans les sentiers étroits de la vertu, à s'éloigner du monde, à s'appliquer à l'étude, à vaincre ses passions, afin de goûter tranquillement les solides plaisirs que donne la sagesse.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LIV.Pages 313-317.À PAMMACHIUS.SUITE
...Abraham était riche en or, en argent, en troupeaux, en terres, en vêtements; il avait un si grand nombre de serviteurs, qu'il put soudain, en ne choisissant que les plus jeunes, former une armée, et défaire quatre rois qu'il poursuivit jusqu’à Dan, et devant lesquels cinq rois avaient fui.
Après avoir enfin si souvent exercé l'hospitalité, il mérita, lui qui ne repoussait pas les hommes, de recevoir le Seigneur. Il ne chargea pas ses serviteurs, ni ses servantes de prendre soin de ses hôtes, et le bien qu'il fît, ne le partagea pas avec ses gens, crainte de l'affaiblir; mais regardant comme une bonne fortune l'arrivée des étrangers, il leur rendit seul, avec Sara, les devoirs de l'humanité. Lui-même leur lava les pieds, lui-même leur apporta sur ses épaules un veau gras de son troupeau; comme un serviteur, il se tint debout pendant que ses hôtes mangeaient, et, ne mangeant pas alors, leur présenta les viandes apprêtées par les mains de Sara.
L'amitié que je vous porte, frère très cher, m'engage à vous parler ainsi, afin que vous offriez au Christ non pas seulement votre argent, mais encore vous-même, comme une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu, pour lui rendre un culte raisonnable 1, et que vous imitiez le Fils de l'Homme, qui est venu non pas pour être servi, mais pour servir 2. Les devoirs que le patriarche rendait aux étrangers, il les rendit à ses serviteurs et à ses disciples, lui qui était leur maître et leur seigneur.
L'homme peut donner peau pour peau, et tout ce qu'il possède, l'abandonner pour sauver sa vie; — mais frappez sa chair, dit le diable, et s'il ne vous maudit point en face ! 3... L'antique ennemi sait qu'il est plus difficile de lutter avec les plaisirs qu'avec les richesses. On rejette facilement ce qui est en dehors de soi, mais la guerre intérieure est plus périlleuse. Ce qui n'est que joint, nous le disjoignons; ce qui est uni étroitement, nous le brisons, en le désunissant. Zachée était riche, les apôtres étaient pauvres. Celui-là rendit le quadruple de ce qu'il avait ravi, et distribua aux pauvres la moitié de ce qui lui restait; il reçut le Christ chez lui, et le salut vint à sa maison 1. Cependant, comme il était tout petit, et qu'il ne pouvait atteindre à la hauteur apostolique, il ne fut pas mis au nombre des douze Apôtres. Or, ceux-ci, quant aux richesses, ne quittèrent rien; mais quant au vouloir, ils quittèrent le monde tout entier.
Si nous offrons au Christ nos richesses et notre âme, il les recevra avec joie; mais si nous donnons à Dieu ce qui est dehors; au diable, ce qui est dedans, le partage est injuste, puis l'on nous dit: Est ce que votre offrande, quelque bonne qu'elle soit, ne vous rends pas criminel 2, dès que vous faites un partage inique ?
De ce que vous êtes le premier de race patricienne, qui ayez embrassé la vie monastique, n'allez pas vous enorgueillir, mais...
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(1) Rom. XII.1. — (2) Matth. XX. 28. — (3) Job. II. 4. 5. — (1) Luc. XIX. 8. — (2) Gen. IV. 7.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
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Re: LETTRES de Saint Jérôme.
LETTRE LIV.Pages 317-319.À PAMMACHIUS.SUITE
De ce que vous êtes le premier de race patricienne, qui ayez embrassé la vie monastique, n'allez pas vous enorgueillir, mais humiliez-vous plutôt, sachant que le Fils de Dieu s'est fait fils de l'homme. Si fort que vous vous abaissiez, vous ne serez jamais plus humble que le Christ. Soit, vous marchez nu-pieds, vous vous revêtez d'une sombre tunique, vous vous confondez avec les pauvres; vous entrez noblement dans la cellule de l'indigence; vous êtes l'œil des aveugles, la main des faibles, le pied des boiteux; vous-même vous portez de l'eau, vous coupez du bois, vous allumez le feu, mais où sont les chaînes, où sont les soufflets, où sont les crachats, où sont les fouets, où est le gibet, où est la mort ?
Et quand vous auriez fait tout ce que je viens de dire, votre Eustochium et Paula vous surpasseraient encore, si ce n'est par leurs œuvres; du moins par le mérite que la délicatesse de leur sexe imprime à ces œuvres mêmes, Je n'étais point à Rome, et le désert, — plût à Dieu qu'il m'eùt retenu toujours ! — le désert me captivait, lorsque, du vivant de Toxotius Note(15) votre beau-père, elles étaient dans le siècle; mais j'apprends que celles qui ne pouvaient souffrir la saleté des rues, qui se faisaient porter par les bras des eunuques, qui marchaient difficilement sur un sol inégal, qui regardaient comme un fardeau un vêtement de soie, comme un incendie la chaleur du soleil, j'apprends que, défigurées aujourd'hui sous des vêtements de couleur triste, et pleines de force en comparaison de ce qu'elles étaient, elles préparent les lampes, ou attisent le feu; balaient les appartements, apprêtent les légumes, jettent les faisceaux d'herbes dans les chaudières bouillantes, dressent les tables, présentent les vases, servent les mets, et s'occupent à mille emplois. Or, un nombreux chœur de vierges habite avec elles; ne pourraient-elles pas se décharger sur d'autres de pareils ministères ? Mais elles ne veulent point être surpassées dans les travaux corporels par celles-là mêmes que surpasse leur force d'esprit et de cœur.
Si je parle de la sorte, ce n'est pas que je doute de la vivacité de votre zèle, mais c'est afin de vous animer dans votre course, et d'exciter votre ardeur dans la lutte que vous soutenez vaillamment.
Nous, dans cette province, nous avons construit un monastère, et, tout près une hôtellerie, afin que si Joseph et Marie viennent encore à Bethléhem, ils y trouvent une retraite; mais nous sommes tellement accablés du grand nombre de moines qui se rendent ici de toutes les parties du monde, que nous ne pouvons ni abandonner l'œuvre commencée, ni faire au delà de nos forces. Ainsi, comme il nous est presque arrivé ce que dit l'Évangile, et que, voulant bâtir une tour, nous n'avons pas d'abord, supputé les dépenses 1, je suis forcé d'envoyer dans la patrie mon frère Paulinianus, afin qu'il vende les villulæ à moitié ruinées, qui ont échappé aux mains des barbares, puis les biens de nos pères; et que, laissant là un ouvrage entrepris en faveur des saints, nous ne venions pas à exciter le rire des envieux et des médisants.
En achevant cette lettre, je me rappelle qu'à votre quadrige, à votre cercle il manque Blésilla , et que j'oubliais presque de parler de celle qui, la première d'entre vous, est allée vers le Seigneur. Véritablement, vous cinq, vous voilà séparés en trois, et en deux; Blésilla goûte un doux sommeil avec Paulina sa sœur; vous, au milieu des deux autres, vous volerez plus aisément vers le Christ.
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(1) Luc. XIV, 28.
Note (15) : TOXOTIUS. — Mari de la sainte Paule et père de Paulina, que Pammachius avait épousée.
Fin de cette Lettre.
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