LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
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XXI
Le cas de conscience
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Vers l'année 1855, M. l'abbé Félix Bernard, vicaire à Saint-Agricole d'Avignon, se trouvait, par le fait de son ministère, en face d'un cas de conscience fort difficile à résoudre et qui le préoccupait extrêmement. La question était si délicate qu'il ne pouvait prendre conseil de personne en Avignon.
Malgré les difficultés du voyage, M. Bernard se décida à partir pour Ars. Dès son arrivée, il se rendit à l'église. Là, il constata aisément que la renommée n'exagérait point : pas une place libre dans la nef ; à peine une dans les chapelles latérales. Le voyageur pensa que jamais il n'aborderait le saint Curé. Décidé à regagner sa paroisse de Saint-Agricole, il chercha cependant où loger jusqu'au lendemain. Il trouva une chambre à l'hôtel de Notre-Dame-des-Grâces, proche du presbytère.
Vers une heure de l'après-midi, M. Vianney visita dans le village une personne malade. Il s'en revenait vers l'église, escorté comme de coutume par une foule compacte, lorsque, déviant du chemin direct, il prit par la place qui longe le chevet de l'église, et se dirigea vers Notre-Dame-des-Grâces. Sans mot dire, il écarta doucement les gens qui l'entouraient, pénétra dans l'hôtel et monta à la chambre de M. Bernard.
On juge de la stupéfaction du prêtre avignonnais qui n'eut pas de peine à reconnaître, debout devant lui et souriant, celui dont les traits, grâce à l'imagerie, étaient devenus si populaires. Le Curé d'Ars ! M. l'abbé Bernard n'eut que le temps de le saluer.
« Mon cher ami, lui dit le saint, vous êtes donc venu me consulter pour telle affaire. J'aime mieux ne pas vous faire attendre. » Et ayant donné la réponse, claire, précise, définitive, il se retira.
Le R. P. Bernard, dominicain de la province de Lyon, neveu de l'ancien vicaire de Saint-Agricole (1), entendit bien des fois son oncle raconter ce trait. « Mon oncle, dit le religieux, fondait en larmes chaque fois qu'il pensait à ce miracle. »------------
(1) M. l'abbé Bernard devint chanoine et aumônier du lycée d'Avignon
A suivre...
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Quatrième partie : Annonces de conversion ou de reniements
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I
L'avenir de deux fillettes
La petite Siochon, de Montmerle, près d'Ars, souffrait de convulsions infantiles. La famille délégua auprès de M. Vianney une de ces bonnes vieilles qui « faisaient des voyages ». Au temps du saint Curé, cette industrie pieuse fut assez florissante : elle permettait aux personnes retenues chez elles d'accomplir un vœu par procuration.
Arrivée pendant le catéchisme, cette femme se tint sur le seuil de l'église, attendant que M. le Curé passât au presbytère. Or, aussitôt finie son instruction, le saint, fendant la foule, se dirigea vers la grande porte.
« Vous venez, dit-il à la voyageuse, prier pour cette petite de Montmerle. Eh bien, elle est guérie. Mais faites brûler un cierge à sainte Philomène pour la remercier. »
La bonne femme, dès son retour, put constater que la fillette avait recouvré la santé et, aux explications qu'on lui donna, elle comprit que la guérison s'était opérée à la minute même où le saint avait déclaré : « L'enfant est guérie ».
A quelque temps de là, on amena au thaumaturge la petite miraculée, et avec elle une fillette de son âge. Il bénit ces deux innocentes.
« Savez-vous, lui demanda-t-on, ce qu'elles deviendront plus tard ? »
Alors, le saint regarda avec un sourire la protégée de sa chère petite sainte.
« Celle-ci ? répondit-il. Oh ! quelle belle vie consacrée à servir Notre-Seigneur dans la personne de ses membres souffrants ! »
Puis, se tournant vers l'autre et jetant sur elle un regard de commisération, il se mit à pleurer, à sangloter.
« Pauvre petite ! gémit-il. Triste vie, triste mort ! »
En effet, cette enfant, pieuse pendant sa jeunesse, parvenue à l'âge des passions, s'y livra d'une manière éhontée et finit dans la débauche.
Son amie, engagée dans une voie combien meilleure, devint religieuse hospitalière de Sainte-Marthe et mourut en prédestinée à l'hôpital de Pont-de-Veyle.
Et c'est elle-même qui a fait ce récit à M. l'abbé Heinrich, curé de Tramoyes, dans l'Ain, de qui nous tenons ces détails.
A suivre...
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II
« Le papa n'est pas gentil »
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C'est en 1921 seulement, à quatre-vingt-trois ans sonnés, que Mme Barrois, une paroissienne de Saint-Pierre-du-Gros-Caillou, confia à l'un des vicaires, M. l'abbé Laminette, ses souvenirs d'Ars, qui remontaient à 1847. « Soixante-quinze ans après, c'est bien tard ! » se récriera-t-on peut-être. Mais, outre qu'il n'est jamais trop tard pour révéler des choses intéressantes, ajoutons, avec l'abbé Laminette, que Mme Barrois était encore en 1921 « une personne à l'intelligence très lucide ». Du reste, plus d'une fois déjà elle avait raconté son histoire sans qu'on en communiquât le détail au presbytère d'Ars. Heureusement, M. le vicaire de Saint-Pierre-du-Gros-Caillou y a pensé. « Il fallait observer, dans la narratrice, rapporte-t-il, la vivacité du regard qui semblait contempler le saint Curé et revivre la scène lointaine. »
*
* *
En 1847, dans la région d'Ars, il y avait une famille dont la mère n'était pas heureuse parce que le père se comportait comme un homme sans foi. Leur fille, qui avait neuf ans, était malheureuse aussi, parce que son papa faisait pleurer sa maman. « Oh ! ma petite, disait souvent celle-ci, il faut bien prier pour le papa. Le papa n'est pas gentil ! »
Ce que ces paroles signifiaient, l'enfant avait peine à le comprendre. Tout ce qu'elle savait, c'est que sa mère avait de grands chagrins. On parlait beaucoup du Curé d'Ars à l'école où allait l'enfant. On disait qu'il « consolait les affligés ». Elle demanda ce que ces mots-là, au juste, voulaient dire. Une maîtresse les lui expliqua. Elle comprit. Alors, il se fit dans sa petite tête tout un travail : oui, elle aussi, puisqu'elle était une affligée, elle irait demander au bon Curé d'Ars de la consoler !
Un beau soir, toute seule, à la sortie de l'école, elle partit. Ars, où était-ce ? Elle l'ignorait. Elle marcha sur une route qui devait l'y mener, pensait-elle. A force de marcher, elle arriva dans un grand village inconnu. La nuit tombait.
« C'est ici Ars, madame ? demanda l'enfant à une femme qu'elle rencontra.
Tu vas à Ars, ma petite ? Mais ce n'est pas tout à fait le chemin ici.
Oh ! moi qui voudrais tant parler à M. le Curé !... »
La pauvrette avait une telle sincérité dans la voix, une telle candeur dans le regard, que la femme en fut touchée.
« Ma petite, lui dit-elle maternellement, tu dois avoir faim. Et il fait noir. Viens à la maison. »
Le jeune voyageuse fut donc hospitalisée, restaurée et logée pour la nuit. Le lendemain, les gens de foi qui l'avaient recueillie, au lieu de la renvoyer chez elle, la firent conduire à Ars en voiture.
L'impression qu'éprouva en pénétrant dans l'église du saint cette enfant de neuf ans fut si forte que, soixante-quinze années plus tard, elle semblait la ressentir encore. Elle se crut perdue dans cette foule. Ah ! songeait-elle, il ne me verra pas, et je ne lui parlerai jamais !
Pauvre petit cœur endolori ! Tout au fond de l'église, la tête dans ses mains, la fillette pleurait, secouée par les sanglots... Or la porte de la sacristie s'était ouverte et là-bas, sous l'arcade sombre du clocher, le Curé d'Ars faisait un geste d'appel.
« Moi, mon Père ?... Vous m'appelez, mon Père ?... » questionnaient des pèlerins que paraissait désigner la main tremblante. Mais le saint leur faisait signe que non. Cependant, il insistait.
« Mais c'est vous, ma petite fille, c'est vous qu'il appelle ! Allez donc ! » dirent soudain à l'enfant de charitables voisines.
Et tout le monde fut étonné de voir s'avancer vers le Curé d'Ars, toute seule comme elle était venue, cette chétive gamine aux yeux pleins de larmes.
Dès qu'elle fut agenouillée au confessionnal de la sacristie, M. Vianney lui dit avec une grande douceur :
« Mon enfant, vous allez vous confesser bien vite, car chez vous on est inquiet et l'on vous cherche... Aimez bien le bon Dieu !... Vous vivrez longtemps, ma petite... Oh ! vous aurez des croix, beaucoup de croix... Mais ne vous tourmentez plus : le papa fera une mort bien chrétienne... Écoutez, mon enfant, la prière que vous réciterez chaque jour : Mon Dieu, venez en moi, pour que vous demeuriez en moi et que je demeure en vous... ».
Que de fois la fillette devenue jeune fille, puis épouse, puis veuve, se les redit, ces paroles du saint restées si profondément gravées dans sa mémoire ! Fidèle à la recommandation de M. Vianney, elle répétait, dans ses prières quotidiennes, la belle invocation qu'il lui avait apprise.
« Hélas ! confiait-elle à M. l'abbé Laminette, à neuf ans je ne comprenais guère ce que c'était que des croix. Je ne l'ai que trop bien compris plus tard !... Mais enfin, mon père fit une mort très chrétienne, et moi, me voilà bien vieille. Toutes les prédictions du saint Curé d'Ars à mon endroit se sont réalisées. »
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III
« Oui, mais plus tard »
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Pendant l'été de 1858, Mme Victor, de Chalon-sur-Saône, amenait son mari à M. Vianney. Tous deux revenaient d'un voyage à Lyon. Arrivés dans Ars à la tombée de la nuit, ils ne purent aborder qu'en passant M. le Curé, qui leur dit d'attendre au lendemain matin pour se confesser.
Ils allèrent à l'hôtel et, au point du jour, Mme Victor se leva pour se rendre à l'église.
« Tu viens ? demanda-t-elle à son mari.
Oui, oui, répondit M. Victor, mais laisse-moi me reposer un peu. Je te rejoindrai tout à l'heure. »
M. Victor ne pratiquait pas. Il avait soixante ans, et, à mesure qu'il avançait en âge, sa femme le suppliait de penser à son âme. Elle avait justement profité d'un voyage à Lyon pour ménager à son mari cette halte d'Ars.
M. Vianney fit approcher Mme Victor bien avant son tour. Or, en entrant au confessionnal, elle l'entendit qui pleurait à sanglots. Interdite, elle songeait : Serait-ce à cause de moi qu'il pleure ? J'ai de grandes peines, il est vrai, mais il ne me connaît pas... Sans paroles, elle esquissait machinalement un signe de croix, lorsque le saint lui dit parmi ses larmes :
« O mon enfant, que d'épreuves vous avez !... Mais consolez-vous, vous aurez une belle couronne dans le ciel ! »
Dominant enfin sa propre émotion, Mme Victor put se confesser. Puis, l'absolution reçue, elle confia au serviteur de Dieu qu'elle espérait la fin de ses peines, car son mari, disposé sans doute à se confesser, se trouvait à l'église dans le groupe des hommes. Du confessionnal, M. Vianney ne pouvait les apercevoir, rangés qu'ils étaient autour du chœur.
« Non, non, mon enfant, répondit-il tristement, il n'y est pas... Il n'y est pas... Je vous assure qu'il n'y est pas.
Mais, mon Père, s'il n'est pas encore à l'église, il va y venir. Il me l'a promis.
Oh ! non, mon enfant ! Je vous dis même qu'il ne viendra pas... Seulement, mettez-lui une médaille.
Mon Père, il n'en voudra pas.
Si, mon enfant. Je vous la bénirai demain après ma messe, et vous la lui donnerez. Il l'acceptera.
Mon Père, insista Mme Victor, mon pauvre mari se convertira-t-il ? »
Ici, le saint Curé parut réfléchir un moment, puis il répondit :
« Oui, mais plus tard. »
Rentrée à l'hôtel, Mme Victor constata qu'en effet son mari n'avait pas bougé. Elle lui raconta son entretien avec M. Vianney. M. Victor en montra quelque étonnement, et ce fut tout.
Le lendemain, comme nos deux voyageurs se rendaient à la voiture, ils croisèrent l'homme de Dieu qui jeta sur M. Victor un long regard. Le pécheur endurci en reçut une commotion, mais il s'éloigna d'Ars sans avoir parlé au saint et pour n'y plus revenir.
Toutefois, l'heureuse prédiction devait se réaliser. Transformée par son pèlerinage, devenue angéliquement patiente et douce, Mme Victor fit peu à peu la conquête d'une âme si chère. Son mari se convertit à l'heure de la mort. Il avait quatre-vingts ans. (1)------------
(1) D'après un récit de Mme Victor adressé de Chalon-sur-Saône à M. le chanoine Ball, le 29 janvier 1878 (Documents, N° 7)
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IV
Du fond de l'abîme
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Le rapport de M. Ball sur ce cas sans exemple débute ainsi : « Un prêtre haut placé dans le clergé certifie le fait suivant relatif à une dame de sa connaissance qu'il ne croit pas pouvoir nommer ». (1)
Cette dame, qui vivait à Paris dans le désordre, passait un certain temps chaque année aux environs de Nice. Là, semblait-il, elle retrouvait un peu de calme, et parfois, poussée par le remords, elle tombait aux genoux d'un prêtre dont les exhortations, malheureusement, étaient toujours demeurées vaines. Un jour, comme elle reprenait le chemin de la capitale, il l'engagea à passer par Ars. Elle y alla.
Peu instruite des choses de la foi, ou simplement trop oublieuse peut-être, elle nourrissait contre la religion et ses ministres quelques-uns de ces préjugés calomnieux qui traînent partout. C'est ainsi que, plongeant les yeux dans la sacristie dont la porte se trouvait ouverte, elle aperçut M. Vianney entouré de pèlerins qui lui offraient soit des honoraires de messes, soit des aumônes pour ses bonnes œuvres. « Encore un prêtre d'argent ! » se dit notre Parisienne.
Or, à peine formulait-elle cette pensée téméraire, que le Curé d'Ars se retourna vivement et jeta sur elle un regard si pénétrant, si visiblement chargé de reproche, qu'elle en fut comme foudroyée : elle se sentit devinée.
Dans l'après-midi, elle se tenait avec une autre dame sur la place, à l'endroit où se dressait alors le calvaire. M. Vianney, qui revenait de visiter un malade, se dirigea vers ces personnes inconnues. « Vous, madame, intima-t-il à la Parisienne, suivez-moi !... Quant à vous, dit-il à l'autre, vous pouvez vous retirer : vous n'avez pas besoin de mon ministère. »
Les deux dames se séparèrent, et la pécheresse marcha aux côtés du serviteur de Dieu. Mais, s'arrêtant sous un des noyers de la place, « il lui dévoila de point en point toute sa conduite ». Il lui rappela, en finissant, le jugement odieux porté le matin même :
« Vous avez condamné un ministre du Seigneur, vous l'avez cru capable de détourner à son profit l'argent qu'on lui confiait !... »
Elle n'avait pas eu le temps de placer une parole ; personne au monde n'avait mis ce prêtre au courant de ses pensées et de ses déportements. Effrayée d'être ainsi démasquée, elle trouva cet échappatoire :
« Monsieur le Curé, voulez-vous entendre ma confession ?
Votre confession, repartit le saint, serait inutile. Je lis dans votre âme, j'y vois deux démons qui l'enchaînent : celui de l'orgueil et celui de l'impureté. Je ne puis vous absoudre que si vous ne retournez pas à Paris, et, connaissant vos dispositions, je sais que vous y retournerez. »
Le regard douloureux, la voix angoissée, il lui fit connaître comment « elle descendrait jusqu'aux dernières limites du mal ».
« Mais, se récria la pécheresse, je suis incapable de commettre pareilles abominations !... Alors, je suis damnée !
Je ne dis pas cela, mais, désormais, comme ce sera dur pour vous de vous sauver !
Que faut-il donc que je fasse ?
Venez demain matin ; je vous le dirai. »
La nuit suivante, en sa chambre d'hôtel, cette femme, dont l'âme paraissait suspendue entre la justice de Dieu et la miséricorde, ne dormit guère. Dans son presbytère, le Curé d'Ars ne cessa d'intercéder pour elle. M. Ball a écrit : « Il passa la nuit en prières, en pénitences et en austérités. »
Le lendemain, par un tour de faveur qui s'explique, la Parisienne entrait au confessionnal. Le saint lui redit, avec son audace tout apostolique, combien Paris lui serait fatal.
« Mais, mon Père, objectait-elle, ces liens qui m'y rattachent, qui m'y retiennent !... Il faudrait qu'on m'en éloigne malgré moi.
Eh bien ! répliqua l'homme de Dieu, c'est malgré vous que vous quitterez Paris et que vous retournerez à cette maison de là-bas d'où vous venez. Là, si vous voulez sauver votre pauvre âme, vous ferez telles et telles mortifications. »
« Régime excessivement pénible et austère », ajoute M. Ball.
La pénitente ne présentant pas les signes d'amendement exigés, elle partit d'Ars après une confession incomplète, sans absolution. Elle reprit la route défendue ! Elle revit Paris et elle s'enlisa dans ces « abominations » dont elle se croyait incapable... Enfin, un dégoût insurmontable la saisit. Elle ne pensa plus qu'à fuir, épouvantée d'elle-même. Et du fond de l'abîme, elle criait vers Dieu...
Revenue à Nice, elle rencontra le prêtre qui lui avait conseillé le voyage d'Ars. Elle lui avoua qu'elle n'aurait jamais la force de se soumettre aux prescriptions du saint Curé.
« Vous les suivrez coûte que coûte, lui fut-il répondu. Je vous l'ordonne à mon tour ! »
Elle promit ; elle s'y essaya, elle y persévéra pendant trois mois. Dieu bénit ses courageux efforts : « ses dispositions d'esprit et de cœur, écrit M. Ball, étaient tellement changées qu'elle ne comprenait plus comment elle avait pu autrefois aimer ce qui aujourd'hui lui causait tant d'horreur. »
Et voici comment le prudent chanoine clôt son rapport :
« Le prêtre qui a fait ce récit et qui a connu tous les détails des faits qui y sont relatés ne met pas en doute que le vénérable Curé d'Ars n'ait été éclairé de lumières surnaturelles toutes spéciales pour lire ainsi, dans le fond de la conscience de cette dame, les secrets les plus intimes, les pensées les plus cachées, et pour lui indiquer avec précision non seulement ce qui devait lui arriver, mais encore les remèdes sûrs pour la sortir de l'abîme dans lequel elle était tombée. Et tout cela, sans qu'elle ait pu même lui faire soupçonner ni l'état de son intérieur, ni le pays qu'elle habitait, ni celui où elle devait retourner. »------------
(1)Documents, N° 22
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V
Ce qui fut annoncé à une religieuse
née d'une famille protestante
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Le 2 octobre 1874, Sœur Marie Gonzague, de la Congrégation lyonnaise de Saint-Joseph, dans le monde Mlle Richard-Heydt écrivait de la maison de retraite de Vernaison (Rhône), à M. l'abbé Joseph Toccanier, deuxième successeur à la cure d'Ars de saint Jean-Marie Vianney, cette lettre pleine de bonne foi où se trouvent contés plusieurs faits d'intuition :*
* *
Au mois de septembre 1845, je fus amenée à Ars malgré moi. J'étais loin de croire tout ce qu'on disait de merveilleux du saint Curé ; j'éprouvais même un certain éloignement pour sa personne. Ma supérieure voulut m'y conduire elle-même ; ma santé laissait beaucoup à désirer ; j'étais menacée de graves infirmités qui, au dire des médecins, devenaient incurables. Jeune encore, je ne pouvais me résigner à mener une vie inutile dans la communauté. J'aimais mes emplois, la vie active ; comment me résoudre à en faire le sacrifice ? Telles étaient mes dispositions en arrivant à Ars.
Au moment où nous descendions de voiture, on sonnait le catéchisme. Ma supérieure voulut y aller. Je la suivis. En entrant dans l'église, je vis M. le Curé monter à sa petite chaire. Nos yeux se rencontrèrent. Alors, saisie d'une espèce de vertige, je tombai à genoux toute troublée.
Un instant après, je me sens tirée par une femme que je crois être Mlle Catherine Lassagne, laquelle, me prenant par la main, me dit de venir plus près ; autrement je n'entendrais pas. Elle me fit donc placer, en dépit de tout le monde, devant la petite chaire. Je pus entendre quelque chose sur la conformité à la volonté de Dieu, le prix des souffrances, l'amour du bon Dieu. Je pleurai tout le temps. Mes sentiments à l'égard du saint étaient changés.
Après le catéchisme, nous pûmes aborder M. le Curé, qui me dit : « Commencez une neuvaine à sainte PhIlomène », sans doute pour ne pas m'affliger. Le lendemain, par un tour de faveur, je pus lui parler à la sacristie. J'étais troublée, inquiète, je n'avais pu faire mon examen pour la confession. C'était la nuit dans mon âme. M. le Curé me fit signe de me mettre à genoux. J'obéis. A l'instant, la lumière se fit. Je commençai une confession de neuf ans, c'est-à-dire depuis mon entrée au noviciat. Une chose était douteuse ; je la donnai comme telle.
« Vous avez fait cela », me dit le saint Curé.
Tout de suite, je me le rappelai. Il me parla encore après l'absolution ; je me souviens entre autres de ces paroles :
« Oh ! mon enfant, bénissez le bon Dieu. Que vous êtes heureuse ! Vous êtes pure ! Résignez-vous à la volonté du bon Dieu : la souffrance mène au ciel...
Mais, mon Père, lui dis-je, je suis toute jeune et déjà incapable de me rendre utile... » Et je pleurai...
« Mon enfant, répliqua le serviteur de Dieu, vous ne serez pas inutile ; vous irez en Corse et vous y travaillerez. Ne vous êtes-vous pas offerte en sacrifice à Notre-Seigneur pour le salut de vos parents ? »
Je me rappelai alors qu'un jour, pleurant sur l'état actuel de mon père et de ma mère qui étaient protestants, je m'offris à Notre-Seigneur pour qu'ils ne mourussent pas hors de l'Église catholique. J'avais oublié ce détail, et personne au monde n'en avait reçu la confidence.
J'étais de plus en plus étonnée et comme hors de moi-même. Je sanglotais, mais que ces larmes étaient douces ! Je me voyais environnée d'une lumière céleste. J'entendis encore ces consolantes paroles :
« Mon enfant, vous aimerez bien le bon Dieu avant de mourir ».
Quelle joie profonde, quelle paix, quelle résignation dès ce moment envahirent mon âme !... Avant mon départ, j'abordai encore le saint, et lui recommandai l'âme de mon père. Levant les bras au ciel et le visage illuminé, M. Vianney me dit :
« Pendant trois mois donnez à Notre-Seigneur tout ce que vous ferez de prières et de bonnes œuvres pour le salut de votre père. »
Puis s'adressant à ma supérieure et lui parlant de moi :
« Soyez tranquille, elle est résignée à devenir sourde et à souffrir. Avant de mourir, elle aimera tant le bon Dieu ! »
Trois mois plus tard, jour pour jour, mon père fut frappé d'apoplexie ; il perdit la parole, conservant cependant toute sa connaissance. Il manifesta le désir de voir un prêtre catholique, qu'il désigna. Le prêtre vint et le fit entrer dans le giron de l'Église. Peu après il mourait. Déjà ma mère avait abjuré, et elle vécut comme une sainte jusqu'à la fin de sa vie.
*
* *
M. l'abbé Toccanier, qui communiqua cette lettre aux juges du procès apostolique inchoatif (1), atteste que les prédictions du saint Curé d'Ars se sont en effet pleinement réalisées dans la personne de Sœur Marie-Gonzague. Neuf mois après son voyage d'Ars, elle fut envoyée en Corse pour sa santé, sans en avoir témoigné aucun désir. Là, ses infirmités s'aggravèrent. Devenue sourde, elle demeura pendant vingt-cinq ans dans l'île, aide précieuse en son couvent, aussi utile que ses autres compagnes, auprès des élèves internes, qu'elle comprenait au seul mouvement des lèvres...------------
(1) Folio 326. M. le chanoine Ball a inséré aussi cette déposition dans ses Documents (N° 2)
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VI
Emile Combes
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Il est certain que, dans le temps de sa fervente jeunesse, alors qu'il devait avoir de vingt à vingt et un ans, celui qui, devenu président du Conseil, préparerait avec tant d'acharnement et réaliserait en France la séparation de l'État d'avec l'Église, fit le pèlerinage d'Ars. Émile Combes, né en 1835, à Roquecourbe, près de Castres, avait pris la soutane au grand séminaire d'Albi. Avec trois confrères il partit, pendant les vacances de 1855 ou de 1856, pour consulter saint Jean-Marie Vianney...
A l'époque où Combes manifesta un sectarisme suraigu, il fut question plus d'une fois de son entrevue avec le Curé d'Ars ; mais on ne savait trop ce qu'il en fallait croire à cause des déformations possibles de la légende. En 1924, une lettre adressée à Mgr Convert semble donner sur le fait des précisions authentiques. La lettre est de Mme Gasc-Loup, nièce de M. Fabre, l'un des compagnons de pèlerinage d'Émile Combes.
Avec le futur président du Conseil se rendirent donc à Ars M. l'abbé Fabre, M. l'abbé Pillac qui devint curé de la cathédrale de Castres et M. l'abbé Donnet qui fut, dans cette ville, aumônier du Carmel. Les quatre voyageurs étaient alors tonsurés seulement ou clercs minorés tout au plus.
M. Vianney les reçut avec sa bonté habituelle et leur adressa quelques paroles d'encouragement. Ces jeunes ecclésiastiques insistèrent pour connaître leur avenir. Alors, après s'être recueilli, le saint dit aux abbés Pillac et Donnet : « Vous ferez deux bons prêtres ».
A l'abbé Fabre il dit : « Vous ne serez pas prêtre, car vos parents s'y opposeront ». Ce qui arriva, en effet.
Enfin, ayant relevé la tête et regardé l'abbé Combes dans les yeux, il lui dit : « Vous, vous ferez beaucoup de mal à l'Église ».
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VII
« Cela ne tardera pas »
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Mme Gouzon, née Madeleine Duranton, domiciliée à Moulins, faisait, en avril 1859, le pèlerinage d'Ars. Son père se tenait éloigné des sacrements et des pratiques religieuses ; tremblant pour le salut d'une âme si chère, Mme Gouzon venait demander au serviteur de Dieu le secours de ses intercessions. Après s'être confessée, elle confia donc à M. Vianney ses peines et ses désirs.
« Oui, répondit le saint, avant sa mort il se convertira.
Mais, mon Père, répliqua la pénitente, il faudrait bien qu'il se convertisse sans tarder afin d'avoir le temps de faire pénitence.
Oh ! mon enfant, cela ne tardera pas. »
Moins de cinq mois après, M. Vianney n'était plus. Là-haut, sans doute, il continuait de prier pour le pécheur dont il avait annoncé la conversion comme prochaine. Effectivement, au mois de mars de l'année suivante, à l'approche des pâques, M. Duranton se confessa dans les sentiments d'un véritable converti. Il s'adonna avec une piété touchante aux pratiques de la vie chrétienne.
Six semaines après sa conversion, il faisait la plus édifiante des morts.
Trois ans plus tard, le 18 février 1863, Mme Gouzon, venue en action de grâces sur la tombe du serviteur de Dieu, contait ces choses touchantes à M. Toccanier. (1)------------
(1) Documents Ball, N° 15
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VIII
L'enfant prodigue (1)
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M. l'abbé Guillaumet, supérieur du collège de l'Immaculée-Conception de Saint-Dizier, dans la Haute-Marne, faisait le pèlerinage d'Ars avec un jeune homme de dix-sept ans. Ce jeune homme, qui appartenait à une excellente famille, avait reçu une bonne éducation, mais était devenu irréligieux. C'était un ancien pénitent de M. Guillaumet, lequel, du reste, s'intéressait toujours à lui.
Le supérieur se confessa au saint Curé, puis il dit : « Je vous ai amené un jeune homme que je vous recommande ». Le précoce libertin consentit, de fait, à se présenter devant M Vianney.
Pendant le repas du soir qui suivit, M. Guillaumet fut étonné du silence de son compagnon. Il a été touché, songeait-il, et il allait s'en féliciter intérieurement, quand l'autre, sortant enfin de son mutisme :
« Monsieur le Supérieur, je ne suis pas content de vous.
Pourquoi, mon ami ?
Vous avez révélé toutes mes confessions au Curé d'Ars.
Oh ! pour cela, non ! Je me suis borné, je vous l'affirme, à lui dire que je vous recommandais à lui.
Mais, monsieur, vous étiez seul à connaître mon passé... Or, le Curé d'Ars m'a dit tout ce que j'avais fait. Il n'y avait que vous à pouvoir le lui révéler ! »
Là-dessus, le jeune homme se leva de table, irrité.
M. Guillaumet ne voulut à aucun prix demeurer sur cette impression fâcheuse : il était si sûr de sa discrétion absolue ! Il parvint à revoir M. Vianney ; il lui rapporta les paroles de ce pauvre enfant et le supplia de le détromper.
Ah ! répliqua le saint, il n'y a rien à faire d'ici longtemps avec ce jeune homme. Il suivra son évolution. Il fera une maladie grave, dont il mourra. Mais en ce temps-là, vous serez encore supérieur à Saint-Dizier. On vous appellera près du malade ; c'est vous qui le réconcilierez avec Dieu, et vous lui ferez faire une sainte mort. »
Or, après une existence éloignée de toute religion, l'ancien pénitent de M. Guillaumet mourut vers l'âge de cinquante ans, et dans les circonstances mêmes qu'avaient prévues et prophétisées le Curé d'Ars.-----------
(1) Tous les détails de ce récit proviennent de M. le chanoine Maucotel, supérieur du grand séminaire de Verdun, qui les tenait directement du vénérable M. Guillaumet.
A suivre...
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
IX
Apostasie
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En 1855 ou 1856, deux jeunes filles de Bény, couturières de leur état, entreprenaient dès une heure du matin, un dimanche, le pèlerinage d'Ars. Elles partaient à pied, avec le dessein d'entendre la messe en route. Ce qu'elles firent d'ailleurs avec dévotion. Toutes deux étaient fort pieuses, et elles souhaitaient vivement se confesser au saint d'Ars et communier de sa main.
L'une s'appelait Célestine Robin ; de l'autre, nous ne dirons que le prénom, Clémence. Clémence était, on le pensait du moins, la jeune personne la plus accomplie de la paroisse. Assidue chaque matin à l'audition de la messe, admise à la communion fréquente, bonne ouvrière, les mères de famille la proposaient comme modèle à leurs enfants.
A vol d'oiseau, il y a de Bény à Ars environ cinquante kilomètres. Malgré leur ardeur juvénile, ces pèlerines de vingt ans n'arrivèrent qu'à la nuit tombante au terme du voyage.
Dès le lendemain, de bonne heure, elles prenaient rang parmi les pénitentes de M. Vianney. Leur attente fut relativement courte, puisque, le mardi, après sa messe, le saint Curé les entendait en confession. Toutefois, leur déception fut grande. A toutes deux il conseilla de rentrer le jour même dans leur paroisse natale pour y communier le mercredi matin.
Le retour fut moins joyeux que l'aller. Clémence surtout paraissait triste, et sa mélancolie alla croissante jusqu'à l'arrivée à Bény. A l'approche de la maison, elle dit à Célestine Robin :
« Je ne suis pas contente de mon pèlerinage. Si j'avais su, je ne serais pas allé voir M. Vianney.
Pourquoi donc ?
Il m'a dit que j'apostasierai.
Toi ?
Oui. Voici ses paroles : « Mon enfant, le bon Dieu vous fait beaucoup de grâces dont vous ne faites pas bon usage. Vous apostasierez ». Je n'ai pas bien compris. Qu'est-ce que cela veut dire : apostasier ?
Cela veut dire... je ne sais pas bien, moi non plus. Il me semble qu'apostasier, c'est changer de religion... Mais, ma pauvre Clémence, quelle religion vas-tu donc choisir ? »
Célestine Robin plaisantait. Là-dessus, les deux amies se séparèrent.
Clémence devait demeurer à Bény deux ou trois ans encore. Elle ne pensait plus, apparemment, à la prédiction du Curé d'Ars. Elle quitta la paroisse pour aller aider une vieille tante, qui était domestique chez M. Chanal, curé de Vandeins, non loin d'Ars.
A la mort de M. Chanal, on fut étonné du mécontentement que montra Clémence de n'avoir pas été mise dans son testament. Mais, par ailleurs, rien de répréhensible dans sa conduite. Peu après, elle se maria avec un homme sans religion, employé de chemin de fer à Mézériat, la station voisine de Vandeins. Elle eut trois enfants.
Il est à croire que les abus de grâce se multiplièrent dans l'existence de cette pauvre femme. Elle abandonna peu à peu ses pratiques religieuses : de défaillance en défaillance, elle tomba dans l'impiété, au point de réclamer, avant de mourir, des obsèques civiles.
Réellement, elle avait apostasié.
Le Curé d'Ars, dans une intuition prophétique, avait vu le résultat définitif des mille reniements partiels, des mille petites lâchetés d'une âme abandonnée à la tiédeur. Sans doute n'avait-il pas connu les circonstances occasionnelles d'une si lamentable chute ; car il lui eût signalé plus nettement l'abîme.
Il y a là un mystère des jugements de Dieu. Il y a là aussi un avertissement qui peut n'être que salutaire à des âmes attentives. Cet avertissement, saint Paul l'a formulé dans sa première Epître aux Corinthiens : « Ainsi donc, que celui qui croit être debout prenne garde de tomber. » Et au livre de l'Apocalypse, voici ce que dit le Seigneur : « Aussi, parce que tu es tiède et que tu n'es ni froid ni chaud, je vais te vomir de ma bouche ».
Ajoutons que les jugements de Dieu sont impénétrables et qu'un suprême acte de repentir à l'instant de la mort peut sauver une âme déchue. C'était la pensée finale de Célestine Robin, lorsque, retirée au bourg de Saint-Étienne-du-Bois, elle contait avec larmes l'histoire de sa compagne infortunée. (1)------------
(1) Célestine vivait encore en 1903, époque où Mgr Convert, originaire de Saint-Étienne-du-Bois, consigna sous sa dictée ces détails lamentables.
A suivre...
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
X
Le professeur de grand séminaire et l'aumônier de prison
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Parmi les prélats français qui, le dimanche 8 janvier 1905, assistèrent dans Saint-Pierre de Rome à la béatification du Curé d'Ars, se trouvait Mgr Delannoy, évêque d'Aire et Dax. Peu de jours avant son retour en la première de ses villes épiscopales, il tint à faire part aux élèves du grand séminaire de ses impressions encore très vives. Et il leur conta tout au long l'audience particulière que lui avait accordée Pie X :
« Très Saint Père, avait dit Mgr Delannoy, Votre Sainteté sait-elle que j'ai le bonheur d'avoir connu le nouveau bienheureux ? »
Fort intéressé par ces paroles qui annonçaient sans doute quelque piquant récit comme en savait faire le spirituel évêque le bon Pie X insista, pria son interlocuteur de bien prendre son temps, ajoutant que « le Pape serait tout oreilles, pour entendre parler du très sympathique Curé d'Ars ».
Voici ce que, entre autres choses, Mgr Delannoy conta à Sa Sainteté :
Dans les premières années de son ministère à Lille, alors qu'il était aumônier de la prison militaire, il avait fait le voyage d'Ars. Un de ses meilleurs amis, directeur de grand séminaire, l'accompagnait. Les deux pèlerins furent autorisés à pénétrer ensemble dans la sacristie, où le saint Curé confessait depuis plusieurs heures.
Le directeur de séminaire n'eut pas même le temps de décliner son titre. Comme il entrait le premier, le serviteur de Dieu lui dit à brûle-pourpoint :
« Monsieur l'Abbé, comment n'êtes-vous pas encore parti pour les Missions-Étrangères ? »
Or, c'est seulement à son confesseur et à de très rares intimes que le professeur de dogme avait jusque-là fait confidence d'un cher désir depuis longtemps caressé. Certainement personne n'avait pu en parler au saint vieillard... Mais celui-ci lisait dans le cœur du jeune prêtre. Il y voyait, autour de ce désir de l'apostolat lointain, des hésitations, des craintes, la peur du sacrifice. D'une voix impérieuse il ajouta, donnant le conseil qui briserait tous les obstacles :
« Aussitôt revenu chez vous, faites vos paquets et partez. Telle est la volonté de Dieu ».
Le missionnaire de demain inclina la tête en silence. Tout ce qu'il avait voulu savoir, à présent il le savait. Il fit quelques pas vers la vieille crédence où il s'accouda, tandis qu'à son tour son compagnon passait à l'audience du serviteur de Dieu.
*
* *
A l'abbé Delannoy M. Vianney révéla deux secrets.
Sur le premier l'évêque d'Aire et Dax n'a jamais consenti à dire le moindre mot. C'était son secret, à lui. On a pensé et avec grande raison, qu'il s'agissait de son futur épiscopat.
Le second secret concernait les dispositions intérieures d'une âme dont M. Delannoy avait alors la responsabilité. « Soyez tranquille, lui dit le saint, sur votre condamné de la prison militaire. Il va se convertir et faire une bonne mort. »
Là encore, le Curé d'Ars donnait une preuve de ce don surnaturel d'intuition qui lui permettrait de lire d'avance au livre fermé des divines miséricordes. L'abbé Delannoy, qui pensait lui confier tout autre chose, n'avait sans doute pas dessein de lui parler de son soldat. Tout au plus l'eût-il recommandé aux prières du saint. En tout cas, il n'en avait rien dit, lorsque, spontanément, le Voyant lui en parla. Ce malheureux, le conseil de guerre l'avait condamné à être fusillé, et l'abbé Delannoy redoutait pour lui l'impénitence finale.
Quelques jours plus tard, dès son retour à Lille, l'aumônier courait à la prison militaire. Il y trouva le condamné dans un état d'esprit tout nouveau : la grâce avait réalisé dans cette âme un travail extraordinaire.
L'abbé Delannoy n'eut pas de peine à comprendre que là-bas, dans l'humble village, un saint avait intercédé pour son pauvre soldat. Le condamné reçut avec une touchante piété tous les secours de la religion et fit une fin très chrétienne.
*
* *
Cependant que devenait notre professeur de dogme ?
Dans la sacristie d'Ars, il n'avait pas osé interroger M. Vianney. Le saint Curé lui avait communiqué « la volonté de Dieu » sur un ton si affirmatif, qu'il en était resté, devait-il avouer dans la suite, comme « assommé ». Mais, pendant le voyage de retour, les objections revinrent, troublantes. Très ému encore et passablement effrayé d'une décision qu'il eût désirée peut-être moins péremptoire et d'exécution moins immédiate, il dit à son confrère :
« Vous savez, mon cher ami, quelle réputation... trop méritée, j'ai dans le diocèse. Je suis l'homme impratique par excellence, et avec cela phénoménalement distrait. Il n'est guère de jours où, pendant mon cours de théologie, mes élèves ne me voient chercher partout mes lunettes, alors que je les porte bien ostensiblement relevées au-dessus des yeux. Il n'est pas de mois où je n'essaye, au moins une fois, de sortir de ma classe, non point par la porte, mais par le placard aux balais qui l'avoisine d'un mètre. Mon rabat est constamment égaré, quand je n'en ai pas deux à la fois passés dans mon col, l'un par devant, l'autre par derrière, car vous savez ma manie, quand je travaille, de faire glisser à gauche ou à droite ce petit « machin »qui m'écorche le cou...
Tout cela n'indique-t-il pas que je ne m'adapterai jamais comme il convient à cette vie des Missions qui demande tant d'à-propos et de savoir-faire ? Je vous avoue que je vois là une contre-indication sérieuse à mon désir d'être missionnaire. En vérité, ai-je bien la vocation apostolique ? »
A ces objections, l'abbé Delannoy, qui n'avait pas à se prononcer, coupa court d'un mot :
« Mais mon cher ami, le Curé d'Ars... ». C'en fut assez. L'autre avait compris.
« Vous avez raison, dit-il après un silence, si je ne vois pas clair, je ne puis douter, tant il y avait d'autorité dans sa parole, que le Curé d'Ars ait vu clair pour moi. »
Au grand étonnement de tous, le directeur de grand séminaire, peu de jours après son pèlerinage d'Ars, entrait au séminaire des Missions-Étrangères. Envoyé en Extrême-Orient, il y eut une longue et féconde carrière. Preuve que le prophète d'Ars ne s'était pas trompé, quand il disait : « Partez ! »
*
* *
Quant à M. Delannoy, promu à l'épiscopat, un certain nombre d'années plus tard, d'abord sur le siège de la Réunion, puis pendant près de trente ans sur le siège d'Aire et Dax, il eut un ministère particulièrement béni de Dieu, et si, comme c'est fort probable, le Curé d'Ars lui avait conseillé de s'y préparer par une vie exemplaire, on put constater aisément combien la prédiction s'était trouvée heureuse et la préparation efficace.
Mgr Delannoy fut rappelé à Dieu en août 1905. Il avait accompli son dernier voyage ad limina pour assister à la glorification du saint Curé dont la rencontre avait fait sur lui, en sa jeunesse sacerdotale, une si profonde impression, dont les conseils avaient eu sans doute sur sa vie une si bienfaisante influence.
A suivre...
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
XI
Pour un vieillard
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Ce qui suit est extrait d'une lettre de M. l'abbé Bleton, curé de Chenôves, en Saône-et-Loire, adressée au sanctuaire d'Ars en juillet 1916.
... Le saint Curé a montré une bonté particulière à un de mes grands-pères. Ce vieillard n'était pas hostile à la religion, mais ne la pratiquait pas depuis bien des années. Ayant entendu parler par ma mère de M. Vianney, il exprima le désir d'aller le voir. Malgré son grand âge il avait quatre-vingts ans passés il voulut faire à pied le voyage de Vergisson à Mâcon, c'est-à-dire onze kilomètres. Arrivé au port de Franc par bateau, il voulut encore aller à pied de là jusqu'à Ars, malgré les instances de ma mère pour prendre une voiture.
Il fut récompensé de sa bonne volonté. Quand il entra dans l'église, il la trouva comble. Depuis quelques instants, il se tenait derrière la foule, quand le vénérable Curé, sans sollicitation de personne, vint le chercher et l'emmena avec lui à la sacristie. Le Curé d'Ars devait toucher alors à ses dernières années : d'après ma mère, il paraissait, en traversant la foule au bras du vieillard, aussi âgé que lui.
Mon grand-père, après s'être confessé, resta quelques jours à Ars. Rentré à Vergisson, il récitait chaque jour son chapelet. Sa piété ne s'est pas démentie jusqu'à sa mort.
Quoique le fait soit minime à côté de tant d'autres, je souhaite qu'il concoure à la gloire de Dieu et à celle de son serviteur...
A suivre...
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
XII
Le « capitaine Pigerre »
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Voici un récit stupéfiant et qu'on pourrait juger incroyable si les détails n'en provenaient d'hommes sages, prudents, au courant des choses mystiques et merveilleuses. C'est M. le docteur Boissarie qui les publia le premier en 1902 dans les Annales de Notre-Dame de Lourdes ; lui-même les tenait de plusieurs Sœurs des Prisons de Marie-Joseph congrégation fondée en 1805 au Dorat, et qui se consacre à la réhabilitation soit des prisonnières, soit des libérées . Ces religieuses, dont l'une venait d'être guérie à Lourdes étaient accompagnées d'une ancienne détenue qui avait bien connu, elle aussi, l'héroïne de cette histoire.
Dans sa belle vie du Curé d'Ars, M. Joseph Vianey a rappelé ces faits au chapitre des conversions. L'écrivain, comme doyen de la Faculté des Lettres de Montpellier, était bien placé pour se documenter à souhait.
Un jour de 1858, se trouvait dans le village d'Ars une grande jeune fille à l'air décidé, au regard provocateur, qui était venue là en curieuse. Elle n'avait que vingt ans et se livrait déjà aux pires désordres. Malgré cela, elle aussi, elle voulait voir celui qu'on appelait le saint. Oh ! simplement le voir, puis s'en retourner. Elle fut servie au delà de ses désirs.
A midi, M. Vianney sortit de son église. Il souriait aux enfants, bénissait les infirmes, consolait les affligés. Soudain, son suave sourire s'éteignit. Il avait aperçu Louise Gimet c'était le nom de la pécheresse.
« Malheur à vous ! lui dit-il d'un voix sifflante, vous ferez beaucoup de mal... »
L'avenir déroulait à son regard intime ses perspectives de mystère. Puis la voix se fit moins dure :
« Mais Notre-Seigneur, dans sa miséricorde, aura pitié de vous... Vous vous convertirez, grâce à cette dévotion que vous conservez pour sa divine Mère. »
Et le saint s'éloigna, laissant Louise Gimet comme figée sur place.
Une telle fille avait donc gardé de la dévotion à la Sainte Vierge : l'habitude peut-être de réciter quelques ave en son honneur ? En tout cas, un jour, elle en fournit une preuve frappante. Passant dans une rue de Lyon, elle entendit un jeune homme parler grossièrement de Notre-Dame de Fourvière ; aussitôt elle se retourna et d'un revers de main administra au goujat une gifle formidable.
Malheureusement, peu après son voyage d'Ars, elle donna son nom à la franc-maçonnerie et se lia à des garibaldiens de marque. Elle conçut dès lors une haine folle pour ce que ces dangereux imbéciles nommaient le parti prêtre. Le seul mot de jésuite la mettait en fureur.
*
* *
Au mois de mars 1871, la Commune éclata, saturnale impie, comédie sinistre, qui montra une fois de plus à la France ce qu'elle deviendrait, livrée au jacobinisme des « purs ». Louise Gimet, qui avait quitté Lyon pour Paris, dédaigna le rôle de pétroleuse ; on devine à quoi se réduisaient ses précédents exploits militaires : d'elle on fit un capitaine le capitaine Pigerre ! Elle en revêtit le costume : képi à trois galons, ceinture rouge, hautes bottes et grand sabre.
Plus ardente dans sa rage, plus altérée de sang que les hommes, elle se démène comme une furie. Le 5 avril, paraît le décret sur les otages : l'archevêque de Paris, Mgr Darboy, est arrêté le premier ; des prêtres, des religieux, des laïques, accusés sans aucune raison de complicité avec les troupes versaillaises, sont jetés en diverses prisons. Le pseudo-capitaine Pigerre rôde aux alentours avec sa compagnie de scélérats pour que nul de ces jésuites ne s'échappe. D'autres mégères, stylées par cette femme funeste, surveillent les fédérés dont le zèle ne paraît pas assez brûlant.
Le dimanche 21 mai, l'armée vengeresse est entrée dans Paris ; la bataille va se poursuivre, de barricade en barricade, jusqu'au samedi 27. Le mercredi, dans la soirée, six des principaux otages sont extraits de la Grande-Roquette. Mgr Darboy, le président Bonjean, les abbés Deguerry et Allard, deux jésuites, les Pères Clerc et Ducoudray, sont alignés contre le mur. Et la voix forcenée qui crie : En joue... Feu !... est celle d'une femme. Le peloton d'exécution est commandé par le capitaine Pigerre ! Détail répugnant et terrible : comme après la troisième décharge, l'archevêque respirait encore, la satanique Lyonnaise l'acheva à coups de crosse sur la tête, puis elle piétina le cadavre.
La scène qui se déroula le vendredi 26 fut plus effroyable encore. Vers quatre heures du soir, quarante-huit otages sont amenés dans la cour de la Roquette : quatre civils, trente-quatre militaires, le jeune abbé Seigneret, séminariste, deux prêtres du clergé de Paris, MM. Planchat et Sabatier, quatre religieux des Sacré-Cœurs de Picpus, trois jésuites, parmi lesquels le saint et célèbre Père Olivaint, supérieur de la résidence de la rue de Sèvres, grand prédicateur, grand directeur de consciences. (1)
« Pigerre » est là. Une joie féroce la possède. On lui a indiqué dans le groupe les trois jésuites, des vrais, des authentiques ! Elle sollicite la « faveur » de les exécuter de sa main.
Les victimes furent traînées à la rue Haxo. De la Roquette jusque là la route est longue et montante un vrai chemin de croix ! La boucherie dura une heure. L'une des mégères qui entouraient le faux capitaine donna le signal du massacre en se précipitant sur l'abbé Planchat et en lui brûlant la cervelle. On avait poussé les otages devant le numéro 83, une maison en construction où siégeaient les chefs de la Commune. Le Père Olivaint se tenait là, calme et recueilli, encadré de ses deux confrères. Le capitaine Pigerre s'élança vers lui. « Madame, lui dit l'éminent religieux qui sous ce déguisement devinait une femme, ce costume ne vous sied point. » Elle l'insulta. Des fusils visaient les trois jésuites. Pigerre fit signe qu'on la laissât faire. Elle tira. Sans un cri, le Père Olivaint s'effondra dans la poussière.
De partout les détonations éclataient. Parmi les quarante-huit victimes, beaucoup râlaient encore. « Allons, les braves, hurla un fédéré, à la baïonnette ! » Quand, peu de jours après on retira les martyrs de la fosse où les bandits les avaient jetés, on constata que le P. de Bengy, un des confrères du P. Olivaint, avait reçu à lui seul soixante-douze coups de baïonnette... (2)
Plus tard, Pigerre avoua qu'elle avait tué de sa main treize prêtres. La monstrueuse femme venait de réaliser en sa plénitude la prédiction du Curé d'Ars : « Malheur à vous !... Vous ferez beaucoup de mal. »
Prise les armes à la main sur une barricade le lendemain même du drame affreux, elle fut condamnée à mort. Un sursis qu'obtint pour elle la Supérieure de Saint-Lazare la sauva.*
* *
« Je veux votre âme, et je l'aurai », lui redisait cette religieuse. En même temps, dans cette âme dévoyée et misérable retentissaient parfois d'autres paroles entendues voilà quinze ans dans la pieuse paix du village d'Ars : Mais Notre-Seigneur, dans sa miséricorde, aura pitié de vous... Vous vous convertirez grâce à cette dévotion que vous conservez pour sa divine Mère.
Elle consentit à faire une sorte de retraite, à réfléchir sur son passé. Dans sa cellule, on avait déposé un recueil de sermons prêchés par sa pure et sainte victime, le R. P. Olivaint. La grâce aidant, cette lecture la remua, la toucha d'une façon extraordinaire. « Se peut-il, soupira-t-elle, que j'aie tant détesté de si saints religieux ! Je ne pouvais entendre prononcer leur nom sans une sorte de rage, et voici que c'est l'un d'entre eux, celui à qui j'ai montré le plus de haine, qui me ramène à Dieu ! Cette retraite, en effet, décida de sa conversion.
A l'expiration de sa peine, Louise Gimet demanda, comme d'autres condamnées, à rester parmi les « enfants de Marie ». Et, dans ce groupe des Madeleines, elle commença une existence de piété, de mortification, de sacrifices qui devait se poursuivre pendant une vingtaine d'années. En vérité, elle expiait et rachetait ses crimes.
Ce ne fut pas sans des réactions redoutables. Par instants, on eût dit qu'en la pauvre Louise le maudit « capitaine Pigerre » cherchait à reparaître. Enfin, elle sortit victorieuse de ces luttes. Au milieu de tels combats, elle avait, à plusieurs reprises, sollicité la faveur d'être conduite rue de Sèvres, sur le tombeau du Père Olivaint. Là-haut, le martyr, pardonnant, priait pour elle. Près de ses restes précieux, Louise retrouvait la paix. Au témoignage des Surs, elle y fut même guérie d'une plaie à la jambe qui la faisait beaucoup souffrir. Ô l'ineffable mansuétude des saints !
C'est à Montpellier, dans la Solitude de Nazareth, que Louise Gimet acheva de vivre. Là, on admira dans l'ancienne communarde un des beaux miracles de la grâce : transformée à fond, elle édifiait les Soeurs de Marie-Joseph par sa dévotion si tendre envers la Sainte Vierge dont elle portait la médaille ostensiblement sur son cœur, par sa douceur inaltérable, par sa courageuse charité : elle sollicitait comme une faveur de ne pas quitter les mourants, afin de leur parler jusqu'à la fin des divins pardons : qui, plus qu'elle-même en savait la profondeur ?
Notre-Seigneur, dans sa miséricorde, aura pitié de vous. Sur son lit de mort, elle fit écho à ces paroles lointaines. Comme on lui demandait si elle avait peur du jugement de Dieu, elle eut cette réponse étonnante pour qui connaissait le passé : « Je me suis jetée tout entière dans les bras de sa miséricorde. Qu'ai-je à craindre ?...------------
(1) Notons ici en passant que le R. P. Olivaint avait une dévotion particulière pour le Curé d'Ars. Il dirigeait d'ailleurs dans les voies de la perfection une sainte âme sur laquelle M. Vianney avait exercé une profonde influence : la Mère Marie de la Providence, fondatrice de la congrégation des Auxiliatrices du Purgatoire. Pour lui administrer les derniers sacrements, le 9 janvier 1870, le P. Olivaint revêtit un surplis, don de l'abbé Toccanier, qui avait appartenu au saint Curé d'Ars.
(2) Cf. R. P. LECANUET, L'Église de France sous la troisième République, Paris, 1910, t. I, pp. 96 à 126
A suivre...
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Cinquième partie :
Annonces de guérison ou de mort
*
**
I
A la date précise
Le 31 août 1864, se présentait à la maison des Missionnaires d'Ars une personne de Virigneux, village du canton de Saint-Galmier, dans la Loire. Elle se nomma Mlle Claudine Venet et demanda à parler à l'un de ces messieurs, car elle avait quelque chose de pas ordinaire à dire sur le saint Curé Vianney.
Ce fut M. Ball qui vint, étant l'enquêteur officiel de la cause d'Ars. Il vit, qui l'attendait, une bonne vieille fille à l'aspect modeste, mais dont une joie discrète illuminait le regard...
Claudine Venet raconta son histoire. Elle parut, en effet, au prudent M. Ball dépasser tellement en extraordinaire les faits merveilleux qu'il avait ouï conter jusque là, qu'il se la fit répéter. Enfin, convaincu de la sincérité de Mlle Venet, il lui demanda de vouloir bien signer elle-même la copie de sa déposition.
Voici la stupéfiante histoire.
*
* *
Pour la première fois, le 1er février 1850, Claudine, alors sourde et aveugle, s'était fait conduire à Ars. Une fièvre cérébrale lui avait enlevé l'ouïe et la vue. Elle n'était plus qu'une épave humaine. Cependant, elle n'avait pas oublié que, dans le département de l'Ain, au village d'Ars, il existait un prêtre si saint qu'il opérait des miracles. Elle demanda qu'on la menât vers lui.
Il ignorait tout de Claudine Venet : personne ne la lui avait recommandée, il ne l'avait jamais vue. La charitable amie qui la conduisait la fit s'arrêter sur le petit perron qui précède l'église d'Ars. Elle la laissa seule un instant, désireuse d'apprendre où se trouvait M. Vianney.
Or celui-ci arriva. Très simplement, sans lui adresser la parole, il prit Claudine par la main ; si bien que, durant une minute, elle put se croire guidée par sa compagne. Il introduisit l'aveugle dans la sacristie, la fit s'agenouiller au confessionnal, la bénit...
Soudain, ce fut pour Claudine Venet une surprise immense. Elle était aux pieds d'un prêtre inconnu. Mais il ne pouvait être que le saint d'Ars ; car, elle l'aveugle, elle voyait, elle la sourde, elle entendait !...
Elle se confessa... Elle croyait vivre dans un rêve. Guérie, mon Dieu, quel miracle !... Le thaumaturge la ramena à la réalité.
« Mon enfant, lui dit-il avec une douce compassion, vous resterez sourde l'espace de douze ans, jusqu'au 18 janvier...
Jusqu'au 18 janvier de 1862, mon Père ?
Oui, mon enfant. »
Ecrasée par cette prédiction, à laquelle le prodige de tout à l'heure l'obligeait à croire, si étrange dans sa précision fût-elle, Claudine Venet baissa la tête en un douloureux silence.
« C'est la volonté de Dieu qu'il en soit ainsi », conclut M. Vianney en pesant sur les mots.
Du moins, à présent, elle voyait. Tout à l'heure, elle percevait distinctement les paroles du prêtre. En se séparant de lui, elle comprit que de nouveau ses oreilles se fermaient.
A suivre...
Monique- Nombre de messages : 13764
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
II
« Par un déluge... »
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Vers 1840, Blanche Paire, une excellente fille du bourg de Cherier, dans le département de la Loire, fit le pèlerinage d'Ars. Elle se confessa au saint Curé et s'en revint paisiblement chez elle.
Cependant, quelque chose la tracassait. Elle s'en ouvrit à des voisines.
« Je ne sais pas, confiait-elle, ce qu'a voulu me dire M. le Curé d'Ars. Il m'a annoncé que je périrais par un déluge... Comment, moi qui ne veux plus quitter mon pays, pourrais-je périr par un déluge ?
Tu auras mal compris », lui répondait-on.
En effet, lorsqu'on habite le bourg de Cherier, périr par un déluge est une idée plaisante. Le bourg de Cherier, c'est ce village groupé autour d'un clocher carré, sans flèche que l'on aperçoit de toute la plaine de Roanne, planté au sommet des premiers contreforts des Monts de la Madeleine, à 825 mètres d'altitude ! Sur ce plateau, il y a de l'eau, certes, beaucoup d'eau parfois dans les prés, mais au milieu de ce site de montagne on ne découvre qu'un humble ruisselet, juste suffisant pour un bain de pied, même en hiver !
Ce n'est pas à Cherier que Blanche Paire devait « périr par un déluge ». Dans un des premiers jours d'août 1844, sa provision de farine étant épuisée, elle mit dans un sac une mesure de blé, puis elle alla au moulin, situé à vingt-cinq minutes de chez elle, sur la paroisse de Moulins-Cherier, dans une vallée où court l'Isable, rivière qui tarit en été. Ainsi, ce jour-là, l'Isable était à sec et, à vrai dire, n'existait plus.
Blanche attendit que le meunier lui remplît un sac de farine en échange de son blé, quand soudain éclata un orage d'une violence inouïe. L'Isable grossit rapidement et, bientôt devenu dangereux, il battit les murs avec fureur. « Partons vite ! », cria le meunier. Ceux qui étaient là le suivirent, sauf Blanche Paire qui semblait ne pas entendre. « Venez, venez !... Mais venez donc ! » hurlait l'homme parmi les mugissements du torrent et de la tempête. Elle n'en fit rien. Cependant la crue grandissait sans cesse. Alors Blanche, affolée, se réfugia dans la chambre du meunier. L'eau l'y atteignant, elle monta sur le lit. Tout à coup, sous la poussée des flots vainqueurs, un mur céda. Cramponnée au matelas que l'eau emportait, la pauvre fille roula dans le torrent. On lui jeta au passage des cordes et des planches. Elle ne put les saisir. On l'entendit longtemps pousser des cris affreux. Enfin, le matelas s'étant retourné, Blanche disparut, et ce fut la mort rapide. Tout ce qu'on put faire en ces minutes tragiques fut de prier pour elle ; son corps fut retrouvé à quelque cent mètres plus bas, auprès du cadavre d'une vache que la rivière avait charrié depuis le village du Bancillon.
Cette fois encore, le Curé d'Ars ne s'était pas trompé : guidé par une intuition infaillible, il avait vu jadis par avance cette malheureuse périssant par un déluge. Sans doute aussi par avance avait-il recommandé son âme à Dieu.
De cet accident étrange les registres paroissiaux ont gardé le souvenir. Voici en effet ce qu'on y peut lire:
Paroisse de Moulins-Cherier,
commune de Cherier,
canton de Saint-Just-en-Chevalet
(Loire)
Le 7 août 1844, nous, curé soussigné avons donné la sépulture ecclésiastique à Blanche Paire, du bourg de Cherier, noyée dans le torrent de l'Isable, dont les eaux l'ont emportée jusqu'à la planche Nodain, sans qu'il ait été possible de lui porter secours, au moment d'une forte, subite et imprévue inondation. Elle s'était réfugiée dans le moulin au moment de la pluie et, arrivée dans la petite chambre à coucher du meunier de M. Guyonnet (le maire de Cherier à cette époque), les eaux se sont emparées de la chambre, et cette malheureuse fille, pour se dérober aux eaux, est montée sur le lit du meunier, sur lequel elle a été emportée par le torrent. Elle était âgée de 43 ans.
R. Giroud, curé.
A suivre...
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
III
La « jambe d'or » et les onze médailles
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Saint-Pierre d'Albigny se cache dans les monts de la Savoie, à quelque trente kilomètres au delà de Chambéry. C'est de cette paroisse lointaine qu'arrivait à Ars, un jour de 1847, une pieuse femme, Mme Marie Gex, avec un de ses fils âgé de onze ans qu'un genou infirme rendait boiteux. Au dire des médecins, le mal était incurable. Aussi, la mère, n'écoutant que sa foi, avait-elle courageusement entrepris un si pénible voyage pour demander au saint Curé un miracle de plus.
Les deux voyageurs gravirent le perron qui accède à l'église. Mais les cahots de la voiture ayant fatigué le petit boiteux, sa mère le fit asseoir sur le muret du cimetière, puis se mêla aux pèlerins qui s'entassaient dans la nef.
Ô surprise ! Presque aussitôt un remous se produit parmi les pèlerins. M. Vianney s'avance précédé d'un frère qui demande passage. Il s'approche de Mme Gex, la dépasse, lui fait signe de le suivre dehors. Le voilà auprès du jeune infirme, qu'il caresse.
« Ma bonne dame, votre enfant ne guérira pas, déclare-t-il, mais consolez-vous : sa jambe est une jambe d'or pour le ciel. »
Puis, sans les compter, il remit des médailles à la maman. « En voici onze, dit-il. Une pour vous, une autre pour votre mari, le reste pour vos enfants. »
Mme Gex prit les onze médailles sans objecter que sa famille n'atteignait pas encore un chiffre aussi élevé... Or, dans son mystérieux calcul, le serviteur de Dieu ne s'était pas trompé. Les enfants Gex finirent bien par atteindre le nombre de neuf. Et, à mesure des naissances, chaque nouveau venu reçut sa médaille d'Ars.
Sur ces neuf enfants, une fille s'est faite religieuse elle est devenue, au Brésil, supérieure provinciale des Sœurs de Saint Joseph de Chambéry , quatre fils ont été honorés du sacerdoce : un premier fut curé dans le diocèse de Chambéry ; un second fit partie de la Société des Missions-Étrangères de Paris ; un troisième s'engagea dans les Missions africaines de Lyon ; le quatrième enfin, à cause de cette jambe qui serait d'or pour le ciel, ne put suivre ses frères dans le ministère actif ; il choisit la vie contemplative et mourut religieux à l'abbaye de Haute-combe. (1)------------
(1) Les détails de ce double fait d'intuition ont été communiqués à Mgr Convert par M. le chanoine Bois, curé de la paroisse même de Saint-Pierre-d'AIbigny
A suivre...
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
IV
L'envol d'un petit ange
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Quand M. l'abbé Raymond, qui fut de 1845 à 1853 à l'auxiliaire du saint Curé d'Ars, raconte que le serviteur de Dieu, de novembre à mars, ne passait pas moins de onze à douze heures par jour au confessionnal, il veut parler sans doute des huit années où il demeura son vicaire. De 1853 à 1859, où vraiment le pèlerinage battit son plein, il y eut des jours d'hiver où M. Vianney dut rester à entendre ses pénitents pendant plus d'heures encore.
En tout cas, au début de février 1856, il fallut près de trois jours à une personne de Meximieux pour l'aborder.
Mme Mollin venait lui demander la guérison de sa petite fille âgée de cinq ans. La mignonne était infirme et ne pouvait poser les pieds à terre ; mais elle joignait si gentiment les mains pour prier !... De plus, Mme Mollin devait remettre à M. Vianney deux lettres que lui avaient confiées des mères affligées comme elle : l'une recommandait son fils que l'on disait poitrinaire et que les médecins avaient abandonné ; l'autre réclamait les suffrages du Curé d'Ars pour le sien qu'on allait opérer d'une ankylose.
Arrivé dans le village le vendredi 1er février, Mme Mollin passa à l'église le reste de la journée : la foule envahissait la nef, les chapelles latérales, le chœur même. Le soir venu, découragée, elle remit ses deux lettres à un missionnaire de Pont-d'Ain qui était là, M. l'abbé Malfroy, en le priant, sans plus d'explications, de les faire passer à M. le Curé. Pour elle, il ne lui restait qu'une chose à faire : s'en retourner.
Toutefois, la nuit portant conseil, elle se retrouvait le lendemain à l'église. Oui, fallût-il attendre deux ou trois jours encore, elle parlerait au saint Curé de sa pauvre petite !... Or le second jour ressembla au premier : Mme Mollin assista dans l'église à la cérémonie de la Chandeleur, à la messe, aux vêpres... Mais point d'audience !
Et ce fut l'aurore du dimanche. Cette fois, elle serait plus heureuse, car, à force de patience, en avançant d'un rang à l'autre, Mme Mollin avait dépassé la table de communion et se trouvait placée tout près de la sacristie. Forcément, M. Vianney la coudoierait presque quand il traverserait le sanctuaire.
Justement, il parut. Mais aussitôt, ce matin-là, un irrésistible élan se produisit dans la foule ; Mme Mollin dut reculer. Soudain, le saint fit un geste.
« Laissez venir cette femme, s'écria-t-il. Elle n'a pas le temps d'attendre davantage. »
Ce fut elle qui entra, la seconde, au confessionnal. Là, elle ne fit que dire ses péchés. Le saint Curé ajouta quelques mots d'exhortation, qu'elle eut, à cause de la rumeur des bancs et des chaises, le regret de ne pas bien saisir. M. Vianney ne s'était inquiété ni de son nom, ni de son pays. Cependant, l'absolution donnée, il tira de sa poche les deux lettres venues de Meximieux.
« Dites, continua-t-il, à la femme qui a son fils malade que ce jeune homme guérira sûrement, moyennant une neuvaine et une messe en l'honneur du saint Cœur de Marie, une neuvaine et une messe en l'honneur de la petite sainte Philomène. Quant à l'autre mère qui m'écrit pour son fils dont le bras est raide, il ne faut pas qu'elle permette l'opération : il guérira aussi, moyennant les mêmes prières. »
Cela dit, M. Vianney rendait les lettres à Mme Mollin.
« Mais, mon Père, protesta-t-elle, et ma petite fille estropiée ?... Il n'y aura donc que moi à ne rien obtenir ?
Ah ! soupira le saint, ce serait bien dommage d'enlever ce petit ange au bon Dieu. Il est pour lui ! »
Onze heures sonnaient. Avant de donner la communion à Mme Mollin, M. Vianney lui dit encore :
« Mon enfant, veuillez aller me chercher cette personne qui est coiffée d'un béguin et qui doit se trouver dans la chapelle de sainte Philomène. »
Cette femme, inconnue de M. le Curé et qui ne l'avait jamais vu elle-même, fut stupéfaite de se savoir ainsi devinée : pressée de repartir, elle se disposait à quitter l'église !
De retour à Meximieux, Mme Mollin vit se réaliser les trois prédictions de saint Jean-Marie Vianney : les deux jeunes gens guérirent à la suite des prières et le « petit ange » que réclamait le ciel s'y envola doucement (1)------------
(1) Mme Mollin, femme de foi profonde et de grand bon sens, a consigné elle-même tous ces détails dans une lettre adressée, le 22 novembre 1874, à Mlle Burlet, directrice du bureau de poste d'Ars. (Documents, N° 14)
A suivre...
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
V
« Il a besoin de vous »
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M. l'abbé Louis Cartier, de Nice, neveu et filleul du héros de cette histoire, a été heureux d'en adresser les détails à Mgr Convert par une lettre de mars 1925.
*
* *
Lors de mon dernier pèlerinage à Ars, en septembre 1911, j'ai eu l'occasion de raconter un trait merveilleux de la vie du saint Curé. Un ecclésiastique d'Ars me fit promettre d'écrire et de communiquer mon récit au successeur de saint Jean-Marie Vianney. Je m'exécute, un peu tardivement, pour rendre hommage à la vérité, en donnant une preuve de plus des dons surnaturels dont fut gratifié le Curé d'Ars. Voici le fait en toute sa simplicité, tel qu'il m'a été raconté par la personne qui fut l'objet de cette maternelle attention de la Providence :
« Le Curé d'Ars était un grand saint ; il lisait dans les consciences et il convertissait les plus grands pécheurs. Je désirais me confesser à lui et j'ai eu ce bonheur.
J'arrivai à Ars après un long et pénible voyage en diligence. La petite église était remplie de gens en prière ; de chaque côté du confessionnal de M. Vianney, une file interminable de pénitents attendaient patiemment leur tour. Quand quelqu'un devait s'absenter pour un moment, il avait soin de faire garder sa place pour ne pas la perdre. Je me mis à la suite, et bientôt d'autres pénitents se rangèrent après moi.
J'étais là depuis une demi-heure à peine quand je vis le saint Curé sortir de son confessionnal, les mains jointes sur la poitrine, et se diriger gravement et à pas lents vers la porte de l'église. Il avait l'attitude et le recueillement d'un saint. Son extrême maigreur le rendait diaphane. Mes yeux étaient fixés sur lui et mon cœur battait très fort dans ma poitrine. Arrivé devant moi, il s'arrêta et, d'une voix frêle et exténuée, il me dit : « Mon enfant, venez », et il me fit signe de le suivre.
Je le suivis tout émue jusqu'à son confessionnal. Avant d'y rentrer, il me dit : « Mettez-vous là ». Je m'agenouillai, et aussitôt le bon saint Curé entendit ma confession. Puis il me consola et me fortifia par des paroles que lui seul savait dire.
Au moment où j'allais me retirer du confessionnal, le bon Curé ajouta sur un ton d'extrême bonté :
« Mon enfant, dans une demi-heure une diligence partira d'Ars ; vous la prendrez pour rentrer chez vous. Votre mari est gravement malade, il a besoin de vous et il vous attend. Cependant ne vous troublez point, soyez sans inquiétude : il ne mourra pas. »
Après une fervente prière faite à l'autel de sainte Philomène, je quitte Ars, non sans quelque appréhension, mais cependant calme dans ma douleur. J'étais soutenue par cette parole du saint Curé : « Votre mari ne mourra pas ». J'avais hâte d'arriver, et la diligence ne roulait pas assez vite à mon gré. Enfin j'arrive et je me précipite au chevet de mon cher malade que je trouve en pleine convalescence. Il était en parfaite santé au moment de mon départ pour Ars ; une maladie grave l'avait saisi peu après. Je m'informe et je constate qu'au moment précis où le vénérable Curé m'avait dit de quitter Ars, mon cher malade était au plus mal et que presque au même instant la crise qui paraissait être mortelle se dénouait favorablement. Il avait vraiment besoin de moi, car il n'avait auprès de lui que des domestiques. »
Ce malade était M. Louis-Martin Rosset, mon oncle maternel et mon parrain, propriétaire et négociant à Saint-Jean-de-Maurienne. Il était lui-même un fervent catholique, un véritable homme de bien. Très touché de ce qui s'était passé à Ars, il voulut en faire le pèlerinage et se confesser aussi au saint Curé.
Je reprends la narration de ma tante :
« Votre parrain, quelque temps après, voulut se confesser au saint Curé, mais il ne le put et le regretta beaucoup. Il partit pour Ars où il débarquait au moment où l'on portait le viatique à M. Vianney (1). Il eut toutefois la consolation de le voir, grâce à un ecclésiastique de ses amis qui lui remit son cierge ; il put ainsi entrer dans la chambre du mourant avec les prêtres qui accompagnaient le Saint-Sacrement. Il est le seul laïque qui ait assisté à cette cérémonie. Il en remercia le bon Dieu et en conserva le plus religieux souvenir. »
Ce dernier pèlerinage à Ars me permet de situer le premier qui vraisemblablement a dû avoir lieu un an environ avant la mort du saint Curé, et tout au plus dans les vingt derniers mois de sa vie.
Ma tante m'a raconté cet épisode de sa vie en 1872, année où je commençai mes études au petit séminaire de Saint-Jean-de-Maurienne. Cette première confidence me fit une grande impression que je n'ai pas oubliée ; mais, pendant les vingt ans qu'elle vécut encore, elle me le raconta plus de cinquante fois, de sorte que je puis garantir presque le mot à mot du récit qui, dans sa bouche, n'a jamais eu de variante.------------
(1) C'était donc le samedi 30 juillet 1859, à trois heures de l'après-midi.
A suivre...
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
VI
« Le bon Dieu les appelle »
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Une après-midi de juillet 1857, M. Pommerel, instituteur à Saint-Trivier-sur-Moignans, chef-lieu de canton de l'Ain, faisait son dernier quart d'heure de classe, lorsque arriva M. Cointy, maire de la commune. Le maire, en homme qui est chez lui à l'école, vint tout droit au bureau du magister sans s'inquiéter des écoliers, heureux, du reste, de la diversion. « Eh ! Pommerel, commença-t-il d'un ton jovial, je t'emmène. Viens, nous allons prendre un bain en Saône. »
L'agglomération de Saint-Trivier est bien à quatre kilomètres de la grande rivière, mais, en vérité, le Moignans, sous-affluent minuscule de la Saône, n'avait pas le tirant d'eau requis pour un bain complet. M. Pommerel accepta l'invitation.
M. le Maire, disparu un moment, revint conduisant sa voiture où avaient pris place avec lui son frère et M. Clayette, greffier de la justice de paix. L'instituteur s'installa lui aussi dans le véhicule, qui partit rapidement dans la direction de Montmerle...
La Saône n'était pas très chaude. Bientôt l'un des baigneurs se plaignit d'avoir froid, puis les autres. On regagna la berge en claquant des dents. La pluie tomba pendant le retour. Bref, les quatre amis rentrèrent à Saint-Trivier grelottants.
L'instituteur, jeune et solide, s'en tira avec un gros rhume. Mais, le surlendemain de la déplaisante baignade, les trois autres gardaient le lit. Deux surtout, le maire et le greffier, inquiétèrent tout de suite le docteur Hernandez qu'on avait fait venir jusque de Bourg-en-Bresse. M. Seignemartin, curé de Saint-Trivier, qui les estimait beaucoup, ne se montra guère plus rassuré. Toutefois, leur état n'était qu'alarmant encore. Tout espoir n'était pas perdu.
Le curé de Saint-Trivier pria M. Pommerel de vouloir bien se rendre à Ars. L'instituteur partit, muni d'une lettre à l'adresse de l'abbé Martin, l'un des missionnaires qui, en cette saison, aidaient M. Toccanier. Une lettre était le seul moyen pratique d'atteindre rapidement M. Vianney.
L'instituteur de Saint-Trivier trouva l'église pleine de gens. « Je ne sais pas si vous pourrez voir M. le Curé lui déclara l'abbé Martin, quand il eut la lettre en main. Enfin je vais essayer de le faire sortir du confessionnal. Allez vers la porte de la sacristie. »
Amené par le missionnaire, le Curé d'Ars aborde M. Pommerel. Celui-ci lui explique qu'il vient de la part de M. Seignemartin et ajoute :
« Monsieur le Curé, est-ce que mes deux amis vont mourir ? »
M. Vianney joignit les mains et se recueillit. Des larmes lui vinrent aux yeux.
« Mon pauvre ami, répondit-il, le bon Dieu les appelle, mais ils feront une bonne mort. »
Puis il donna à M. Pommerel deux médailles en lui recommandant de les passer au cou des malades.
Lorsque son messager revint d'Ars, M. Seignemartin l'attendait aux premières maisons de Saint-Trivier. Il remarqua son air consterné.
« Eh bien ? interrogea le prêtre.
Hélas ! ils vont mourir, monsieur le Curé, ils vont mourir !
Je vais les administrer. Vous viendrez avec moi ?
Oui, monsieur le Curé. »
Ce furent des scènes navrantes autant qu'édifiantes. M. Cointy et M. Clayette, ayant fait leur sacrifice avec une générosité toute chrétienne, reçurent les derniers sacrements en de beaux sentiments de foi. Le maire mourut le premier ; le greffier, deux jours plus tard, le suivait dans la tombe. (1)------------
(1) C'est M. Pommerel lui-même, en retraite à Saint-Trivier-sur-Moignans, qui, au cours de l'année 1909, fournit ces renseignements à M. l'abbé Renoud, missionnaire d'Ars
A suivre...
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
VI
« Le bon Dieu les appelle »------------
Une après-midi de juillet 1857, M. Pommerel, instituteur à Saint-Trivier-sur-Moignans, chef-lieu de canton de l'Ain, faisait son dernier quart d'heure de classe, lorsque arriva M. Cointy, maire de la commune. Le maire, en homme qui est chez lui à l'école, vint tout droit au bureau du magister sans s'inquiéter des écoliers, heureux, du reste, de la diversion. « Eh ! Pommerel, commença-t-il d'un ton jovial, je t'emmène. Viens, nous allons prendre un bain en Saône. »
L'agglomération de Saint-Trivier est bien à quatre kilomètres de la grande rivière, mais, en vérité, le Moignans, sous-affluent minuscule de la Saône, n'avait pas le tirant d'eau requis pour un bain complet. M. Pommerel accepta l'invitation.
M. le Maire, disparu un moment, revint conduisant sa voiture où avaient pris place avec lui son frère et M. Clayette, greffier de la justice de paix. L'instituteur s'installa lui aussi dans le véhicule, qui partit rapidement dans la direction de Montmerle...
La Saône n'était pas très chaude. Bientôt l'un des baigneurs se plaignit d'avoir froid, puis les autres. On regagna la berge en claquant des dents. La pluie tomba pendant le retour. Bref, les quatre amis rentrèrent à Saint-Trivier grelottants.
L'instituteur, jeune et solide, s'en tira avec un gros rhume. Mais, le surlendemain de la déplaisante baignade, les trois autres gardaient le lit. Deux surtout, le maire et le greffier, inquiétèrent tout de suite le docteur Hernandez qu'on avait fait venir jusque de Bourg-en-Bresse. M. Seignemartin, curé de Saint-Trivier, qui les estimait beaucoup, ne se montra guère plus rassuré. Toutefois, leur état n'était qu'alarmant encore. Tout espoir n'était pas perdu.
Le curé de Saint-Trivier pria M. Pommerel de vouloir bien se rendre à Ars. L'instituteur partit, muni d'une lettre à l'adresse de l'abbé Martin, l'un des missionnaires qui, en cette saison, aidaient M. Toccanier. Une lettre était le seul moyen pratique d'atteindre rapidement M. Vianney.
L'instituteur de Saint-Trivier trouva l'église pleine de gens. « Je ne sais pas si vous pourrez voir M. le Curé lui déclara l'abbé Martin, quand il eut la lettre en main. Enfin je vais essayer de le faire sortir du confessionnal. Allez vers la porte de la sacristie. »
Amené par le missionnaire, le Curé d'Ars aborde M. Pommerel. Celui-ci lui explique qu'il vient de la part de M. Seignemartin et ajoute :
« Monsieur le Curé, est-ce que mes deux amis mourir ? »
M. Vianney joignit les mains et se recueillit. Des larmes lui vinrent aux yeux.
« Mon pauvre ami, répondit-il, le bon Dieu les appelle, mais ils feront une bonne mort. »
Puis il donna à M. Pommerel deux médailles en lui recommandant de les passer au cou des malades.
Lorsque son messager revint d'Ars, M. Seignemartin l'attendait aux premières maisons de Saint-Trivier. Il remarqua son air consterné.
« Eh bien ? interrogea le prêtre.
Hélas ! ils vont mourir, monsieur le Curé, ils vont mourir !
Je vais les administrer. Vous viendrez avec moi ?
Oui, monsieur le Curé. »
Ce furent des scènes navrantes autant qu'édifiantes. M. Cointy et M. Clayette, ayant fait leur sacrifice avec une générosité toute chrétienne, reçurent les derniers sacrements en de beaux sentiments de foi. Le maire mourut le premier ; le greffier, deux jours plus tard, le suivait dans la tombe. (1)------------
(1) C'est M. Pommerel lui-même, en retraite à Saint-Trivier-sur-Moignans, qui, au cours de l'année 1909, fournit ces renseignements à M. l'abbé Renoud, missionnaire d'Ars
A suivre...
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
VII
« Dans trois semaines vous reviendrez »
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M. l'abbé Henri Côte, aumônier de l'Hôtel-Dieu de Lyon, est un fervent du sanctuaire d'Ars. Il aime à y venir en pèlerinage, il en visite toujours avec une douce émotion les remarquables souvenirs. Le voici, en cette matinée du 27 avril 1927, dans le modeste parloir du nouveau presbytère, fixant maintes fois son bon regard sur une image du saint Curé apposée au mur. Très simplement, il raconte de vieux et chers souvenirs qui sont ceux de sa vénérée mère.
« Ma mère a aujourd'hui quatre-vingt-sept ans. Brisée par l'âge, elle conserve cependant une lucidité parfaite. Que de fois elle m'a parlé d'Ars !
Louise Écuyer c'est son nom de jeune fille eut une enfance souffreteuse. A dix-sept ans, des douleurs rhumatismales commencèrent à lui déformer les membres, les jambes en particulier, qui demeuraient inertes. Au plus fort de ses crises, la malheureuse infirme ne remuait pas plus qu'un cadavre.
C'était en 1857, l'époque où peut-être le village d'Ars reçut le plus de visiteurs et où le saint dut passer ses journées presque entières au confessionnal. Une de mes grandes-tantes eut l'idée de conduire à M. Vianney cette pauvre enfant qui souffrait à faire pitié. Bénéficiant d'un tour de faveur, les deux voyageuses se confessèrent au serviteur de Dieu.
Guérirai-je jamais, mon Père ? demanda la malade.
Oui, mon enfant, répondit le bon saint. Et dans trois semaines vous reviendrez ici sans le secours de personne. »
Ce qui eut lieu en effet. Louise Ecuyer refit dans le délai fixé et complètement guérie le pèlerinage d'Ars.
Ma mère, continue M. l'abbé Côte, a gardé du saint Curé, de sa physionomie, de ses paroles, une impression si nette, si profonde, que depuis elle a vécu pour ainsi dire de ses souvenirs et qu'une de ses grandes joies a été de communiquer à tous les siens le culte de saint Jean-Marie Vianney. Je crois bien ne pas l'avoir revue une seule fois, cette chère vieille maman, surtout pendant ces dernières années, sans qu'elle m'ait conté fût-ce pour la centième fois ! quelque détail qui pour elle comme pour moi conserve le charme et la fraîcheur de l'inédit.
« Oh ! Henri, me disait-elle un jour, si tu l'avais entendu quand il parlait du ciel !... On aurait dit qu'il venait d'entrer en extase. Les yeux levés, il semblait en face d'une vision, comme saint Jean. De grosses larmes coulaient le long de ses joues. Nous non plus, à le voir ainsi, nous ne pensions plus à la terre. Et il pleurait tellement qu'à la fin il ne pouvait plus parler ; mais il ne cessait de fixer en haut ses yeux remplis de larmes... Quel bien cela nous faisait ! Un incrédule aurait cru au ciel rien que de le voir ainsi. Et il y en eut bien sûr qui furent convertis par de telles larmes ! »
Le Curé d'Ars révéla à ma mère plusieurs choses intimes dont elle a voulu garder le secret. J'aime à penser que ma vocation sacerdotale fut de ces choses-là...
En tous cas, ma vénérée mère a été heureusement moins discrète au sujet de cette tante qui l'accompagna lors de son premier pèlerinage. C'était une personne extrêmement pieuse. Le saint lui fit les révélations les plus consolantes ; il lui affirma, par exemple, qu'elle n'avait point perdu la grâce baptismale. »
A suivre...
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
VIII
Un double diagnostic
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Un jour de 1857, une dijonnaise, Mlle Bony, se présentait au Curé d'Ars. Depuis longtemps elle souffrait et aucun médecin n'avait caractérisé son mal. Lasse des consultations, elle recourait à des lumières d'un ordre supérieur. Sans autre préambule, Mlle Bony demanda : « Veuillez me dire, mon Père, quel est le mal dont je souffre depuis un si grand nombre d'années.
Mon enfant, répondit le serviteur de Dieu, c'est une maladie de cœur ; vous prendrez encore des remèdes ; ils vous soulageront, mais ils ne vous guériront pas. »
Une célébrité médicale consultée un peu plus tard, après un sérieux examen de la malade, confirma le diagnostic intuitif du Curé d'Ars. Il prescrivit des calmants, mais il ne guérit pas ce pauvre cœur, qui bientôt cessa de battre.
Mlle Bony avait posé une seconde question au serviteur de Dieu :
« Ma jeune amie Maria Bailly guérira-t-elle ? » Cette personne souffrait tellement des yeux qu'elle ne pouvait plus supporter la lumière du jour. De Maria Bailly jamais M. Vianney n'avait entendu parler encore.
« Oui, mon enfant, assura le saint sans hésitation, cette demoiselle guérira. »
En effet, Maria recouvra l'usage normal de la vue. Elle est morte religieuse à la Providence de Vitteaux.
C'est une parente de l'ancienne pénitente du Curé d'Ars, Mme veuve Jacotot, née Bony, qui en 1891, a témoigné de ces deux faits par devant M. le chanoine Ball. (1)-------------
(1) Documents, N° 74
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
IX
La jambe « droite »
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Charles Cretin, originaire de Déservillers, dans le Doubs, en travaillant comme valet de ferme dans la région sud de la Haute-Saône avait fait la connaissance d'une jeune fille de Beaumotte-les-Pins, Marie Boussière. Il l'épousa et l'amena dans son pays, où il continua son métier de cultivateur. C'était en 1849. Le 15 mars de l'année suivante, une petite fille, Marie-Philomène, vint mettre une joie nouvelle en ce foyer uni et chrétien. Le père avait alors trente ans, la mère vingt-trois.
Malheureusement, peu de temps après, un accident grave vint assombrir ce pur bonheur. Charles Cretin, dans une visite qu'il fit à la famille de sa femme, reçut d'un beau-parent, au cours d'une querelle, un vilain coup à la jambe. La plaie s'envenima, obligeant Charles à garder le lit une bonne partie de la journée. Puis ce fut l'immobilisation complète.
On quitta la ferme de Déservillers, dont les champs restaient en friche, et on alla s'établir à Beaumotte-les-Pins... Hélas ! La plaie de la jambe, loin de s'améliorer, empirait plutôt ; la gangrène menaçait ; les médecins parlèrent d'amputation.
Quelle désolation dans la famille ! Charles avait une sœur, Hortense, qui, sous le nom de Sœur Zoïle, avait pris le voile chez les religieuses de la Charité de Besançon. On la tenait au courant de l'état de son pauvre frère. Dès que Sœur Zoïle connut la décision des médecins, elle écrivit qu'elle s'y opposerait de toutes ses forces tant qu'on n'aurait pas consulté le Curé d'Ars. Elle supplia même ses supérieures de lui permettre le pèlerinage. Ce qu'elle obtint.
Et la réponse du saint fut celle-ci : « Ne faites pas l'amputation. Il guérira, mais il aura la jambe droite ».
L'événement justifia parfaitement la prédiction. Charles Cretin guérit et vécut encore de longues années. Tous les ans, il revenait au pays natal. Les anciens de Déservillers se rappellent fort bien l'avoir vu marcher dans les rues du village en boitant sans doute puisque sa jambe était droite, mais quelquefois sans même s'appuyer sur un bâton. (1)------------
(1) Ainsi se clôt la relation d'où ce récit est tiré. (Lettre de M. l'abbé Charles Court, curé de Déservillers, 28 août 1916)
A suivre...
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
X
Le voyage sans lendemain
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Entre 1830 et 1840 M. le chanoine Ball ne précise pas davantage deux paroissiennes de Neulise (Loire) où Pierre Bossan a construit une église remarquable, Mlle Garel et Mme veuve Mercier, firent de compagnie le pèlerinage d'Ars. Toutes deux jouissaient d'une parfaite santé. Quand de la route de Villefranche elles aperçurent l'humble église tant désirée, toutes deux se promirent bien qu'elles auraient plus d'une fois dans leur vie le bonheur de voir le saint Curé et de recevoir ses conseils.
Ce souhait s'était ancré si profondément dans leur esprit que, sans s'être concertées l'une et l'autre, Mlle Garel et Mme Mercier ne purent s'empêcher, au confessionnal, d'en faire confidence à M. Vianney. Mais, pour chacune, la réponse fut différente.
A Mme Mercier : « Oui, mon enfant, dit le bon saint, vous reviendrez quand vous voudrez. »
A Mlle Garel : « Oh ! non, mon enfant, vous ne reviendrez pas. »
« L'événement, explique M. Ball, confirma pleinement ces prédictions. Mlle Garel qui était alors pleine de vie et bien loin de songer à une mort si prompte, ne fit guère ce pèlerinage qu'une année avant le grand voyage de l'éternité, et pendant cette année il ne lui fut pas donné de revoir Ars ; tandis que Mme Mercier y retourna plusieurs fois, ainsi que le vénérable Curé le lui avait annoncé. »
Marie Jourlin, une Lyonnaise, amie des deux voyageuses, venue à Ars en 1886 et de qui le chanoine Ball tenait ces détails, les « attestait en tout conformes à la stricte vérité ». (1)------------
(1) Documents, N° 83
A suivre...
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Re: LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres
XI
L'âme du père et les yeux de l'enfant
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Si le Curé d'Ars, par une compassion de cœur qu'il tenait du cœur même de son divin Maître, s'apitoyait sur les misères corporelles et s'efforçait de les soulager, combien plus volontiers se penchait-il sur les pauvres âmes blessées pour les soigner et les guérir ! Le fait qui va suivre en sera la preuve.
A la suite d'un accident, le petit garçon des époux Sauzet, de Cirey, près de Beaune, avait contracté une maladie des yeux. Six années de soins assidus ne semblèrent qu'aggraver le mal : hélas ! l'enfant devenait aveugle... A neuf ans !
Mme Sauzet, femme de foi profonde, ayant entendu parler du Curé d'Ars, supplia son mari, un indifférent, hélas !, d'aller trouver celui dont on racontait, en Bourgogne et bien au delà, les prodiges. M. Sauzet, très ennuyé d'une mission dont il comprenait l'utilité possible mais dont il se sentait peu digne, se décida à partir.
Il apprit, en entrant à l'église d'Ars, que M. Vianney confessait à ce moment les hommes dans la sacristie. Pénitent de rencontre, M. Sauzet prit place au dernier rang. Combien resterait-il là, les bras ballants, le cœur et les lèvres sans prière ? Beaucoup moins qu'il ne le craignait.
Un pénitent sort de la sacristie. Derrière lui une ombre blanche se profile. Une main osseuse dessine un geste. Des têtes se retournent vers M. Sauzet. « C'est vous qu'il appelle », lui souffle quelqu'un. M. Sauzet se lève, indécis.
« Oui, vous ! a dit le saint d'un ton sans réplique. Venez, mon ami. »
M. Sauzet, médusé, se présente. La porte se referme.
« Pourquoi êtes-vous venu ? interroge M. Vianney.
C'est que, monsieur le Curé, j'ai un enfant malade.
Malade, votre enfant ? Il l'est moins que vous.
Mais non, moi je ne suis pas malade.
O mon ami, le mal de l'âme est bien plus grave que celui du corps ; et votre âme est dans un si triste état ! »
Ce disant, M. Vianney semblait enfoncer le regard de ses yeux bleus jusqu'aux profondeurs de cette âme. L'étranger en avait comme la sensation ; il frissonna. En vérité, ce prêtre lisait dans son passé : depuis près de douze ans qu'il était marié, M. Sauzet n'était guère entré à l'église qu'à l'occasion des enterrements, avec un vague signe de croix et pour de non moins vagues prières.
« Mon ami, poursuivit M. Vianney, vous avez un reste de foi. Votre enfant guérira. Mais auparavant, il faut vous confesser. »
M. Sauzet ne savait plus où il en était. Il tomba à genoux. Il commença à raconter sa vie, mais, faute d'examen préalable, il oubliait des choses d'importance. M. Vianney l'aida de ses lumières :
« Mon ami, ne vous souvenez-vous pas de telle chose... et de telle autre ?...
Non, mon Père, répondit coup sur coup le pénitent, bien ennuyé.
Eh bien, mon ami, allez à l'autel de sainte Philomène. Elle vous éclairera. »
Docilement, comme poussé par une force intérieure, M. Sauzet s'en alla auprès de la statue de la petite sainte. Alors, à ses regards se déchira le voile du passé. Il resta dans le village cinq jours encore, au cours desquels il se confessa dans les dispositions les meilleures. Sa conversion fut tellement définitive que « depuis lors il vécut constamment en bon chrétien et fit la consolation de sa famille qui jusque-là avait vu avec grande douleur son éloignement de Dieu ».
Rentré à Cirey, il ne trouva pas son fils guéri ; au contraire, pendant un mois le pauvre petit parut plus souffrant. Mais on gardait confiance dans la promesse du saint. On allait écrire pour lui demander de continuer ses prières quand une personne se présenta chez M. Sauzet de la part du Curé d'Ars.
« Il vous assure, dit-elle, que votre petit aveugle va guérir. »
A partir de cet instant, les yeux de l'enfant s'améliorèrent d'heure en heure ; le septième jour, il s'éveilla avec les yeux les plus limpides, les plus beaux qui se puissent imaginer. (1)------------
(1) « Ce récit, atteste M. le chanoine Ball, a été fait par Mme Sœur Marie-Aglaé Sauzet, sœur de l'enfant guéri, dans une lettre adressée de Cirey à M. l'abbé Toccanier le 2 octobre 1872. » (Documents, N° 29)
A suivre...
Monique- Nombre de messages : 13764
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