LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres

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Message  Monique Ven 23 Juil 2021, 8:20 am

XVI



De quoi et comment Marie Niel fut guérie



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Nous devons à l'extrême obligeance de M. le chanoine Billard, aumônier de Notre-Dame de la Providence à Vitteaux (Côte-d'Or), plusieurs mémoires sur les faits d'Ars. Voici d'abord un récit très intéressant qu'il a bien voulu rédiger sous la dictée de Sœur Amélie-Marie (1) déjà octogénaire, mais « qui garde toute sa lucidité d'intelligence et de mémoire ».



*

* *



J'avais une cousine qui s'appelait Marie Niel et que ma mère me défendait de fréquenter parce qu'elle était mondaine : elle s'adonnait en effet à la toilette plus que son rang ne le comportait et elle aimait la danse. Cependant, à part la vanité et l'amour du plaisir, il n'y avait rien d'extérieurement répréhensible dans sa conduite, et elle m'aurait volontiers recherchée malgré l'austérité dans laquelle ma mère nous élevait.

Cette cousine avait trois sœurs qui ne partageaient pas ses goûts de mondanité. Elle en était l'aînée.

Toutes nous habitions le même village, Epertully, à quelques lieues de Chalon-sur-Saône.

Or il advint qu'une sœur de Marie Niel, la plus jeune peut-être, tomba dans une maladie de langueur pour laquelle tous les remèdes furent impuissants. Comme on parlait beaucoup, à cette époque, du saint Curé d'Ars c'était vers 1851  et des guérisons nombreuses qui lui étaient attribuées, Marie reçut de ses parents la permission de se joindre à une pieuse caravane de son village ou des environs, qui se rendait à Ars.

Dès son arrivée, elle voulut faire ce que tous les pèlerins faisaient : se confesser. C'était au fond le moyen le plus facile et le plus sûr de pouvoir parler à M. Vianney. Après sa confession, elle lui demanda de bien vouloir guérir sa sœur malade, car c'était dans l'espoir d'obtenir surnaturellement cette guérison que les parents avaient consenti au voyage.

« Vous guérirez, mon enfant, lui répondit le serviteur de Dieu.

Mais, mon Père, ce n'est pas moi qui suis malade, c'est ma sœur.

Vous guérirez, mais allez près de sainte Philomène : vous prierez, vous achèverez votre examen de conscience car votre confession est incomplète, et puis vous reviendrez. »

Elle obéit, probablement assez troublée. Elle pria, chercha dans sa conscience les péchés qu'elle avait pu oublier, et quand elle crut que sa déclaration serait au point, elle s'en retourna prendre son rang afin de pouvoir de nouveau aborder M. le Curé.

Son accusation achevée, elle pose une seconde fois à son confesseur la question qui lui tenait le plus à cœur et à laquelle avait semblé se dérober M. Vianney :

« Mon Père, ma sœur guérira-t-elle ?

Oui, vous guérirez, mon enfant, mais retournez à la chapelle de sainte Philomène et demandez-lui avec instance qu'elle vous éclaire sur votre état de conscience, car votre confession n'est point complète. Et ensuite vous reviendrez. Je vais prier pour vous. »


Elle s'en alla de plus en plus troublée. Elle pria cette fois de tout son cœur sainte Philomène de faire la lumière dans son âme : elle vit clairement alors ce que ses examens superficiels ne lui avaient jamais découvert, et ce fut tout en larmes, les larmes d'une vive contrition, qu'elle vint se remettre humblement à la suite des personnes qui attendaient. Or il y en avait beaucoup. Mais M. le Curé, qui la tenait à l'œil, lui fit un signe et l'appela avant son tour. Il trouva à ses pieds une pénitente : la frivolité de sa vie, à cette heure, lui était révélée. Après l'avoir entendue, le saint prêtre lui dit : «  À présent, mon enfant, vous êtes guérie. » Il lui donna les avis salutaires qui devaient régler sa nouvelle vie et lui indiqua ce qu'elle avait à faire pour bien élever ses plus jeunes sœurs.

Avant de sortir du saint tribunal, la pénitente s'enhardit à poser une troisième fois la question qui jusqu'alors n'avait point reçu de réponse :

« Mais, mon Père, et ma sœur malade ?

Mon enfant, dans un an votre sœur malade sera guérie. »




À son retour, Marie Niel parut toute transformée ; elle était méconnaissable. Ma mère ne craignait plus pour moi sa compagnie, car elle était devenue plus fervente que moi dans le service de Dieu. J'éprouvai de grandes difficultés du côté de mes parents, quand ils surent que je voulais me faire religieuse ; personne plus que Marie Niel ne m'aida à en triompher.

À la date indiquée par M. Vianney, sa sœur malade s'endormait dans le Seigneur.

À quelques années de là, elle-même, après avoir donné de grands exemples d'édification à tout son entourage, entrait à Paris, au noviciat des Augustines. Elle reçut le nom de Sœur Nathalie. Ses deux jeunes sœurs, plus tard, vinrent la rejoindre.

Sœur Nathalie fut placée à l'hôpital Cochin, où elle se fit remarquer par son dévouement aux malades et aux pauvres du quartier, au point qu'elle mérita le surnom de « Sœur Rosalie » (2). Une de ses sœurs fut envoyée en Bretagne, je ne me rappelle plus dans quelle maison. La troisième remplit sa mission de servante des malades.



Puis-je ajouter qu'en revenant d'Ars, ma cousine m'avait apporté comme souvenir, bien qu'on nous tînt éloignées l'une de l'autre, une petite chaîne qui se passait au bras en signe d'esclavage de la Sainte Vierge et un petit livre de prières composé par M. le Curé d'Ars ?

Ce bracelet ne quittait pas mon bras, et je récitais chaque jour l'une de ces prières pour obtenir la chasteté avec la grâce de connaître ma vocation. J'avais environ quatorze ans, et je ne savais que bien vaguement ce qu'est la chasteté et ce qu'est une vocation. J'ai attribué à la récitation constante de cette prière de n'avoir jamais eu le moindre doute sur ma vocation religieuse.

Une de nos Mères (supérieure générale) m'a fait quitter un jour cette petite chaîne et m'a ôté mon livre de prières. Ils ne m'ont pas été rendus et ç'a été pour moi un gros chagrin.

Mais je me demande quelle idée j'ai eue de vous raconter tout cela !... Toutefois, puisque vous me dites que vous y avez pris intérêt, je suis contente.


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(1) Dans le monde Mlle Anne Flèche

(2) Sœur Rosalie dans le monde Jeanne-Marie Rendu (1787-1856) originaire de Comfort, dans l'Ain, était cette religieuse de Saint-Vincent-de-Paul que son dévouement rendit populaire à Paris pendant l'épidémie de choléra et l'insurrection de Saint-Merri.


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Message  Monique Sam 24 Juil 2021, 8:34 am

XVII



« Vous serez très heureuse »
(1)


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Mlle Benoîte Merle, native de Feurs (Loire), avait l'avantage d'habiter depuis son bas âge chez un oncle curé qui, vu sa santé délicate, l'avait toujours traitée un peu en enfant gâtée. Et voilà que, aux environs de ses vingt ans, Benoîte avait parlé de se cloîtrer chez les Bénédictines de Pradines !



L'oncle, plus attentif en l'occurrence à la voix de la nature qu'à celle de la grâce, répondit par un non catégorique aux confidences de la nièce ; d'autres parents firent chorus. Puis, pour mieux embrouiller les choses, le confesseur de la jeune fille, d'autres prêtres encore l'approuvèrent dans sa vocation, en lui conseillant toutefois d'aller ailleurs qu'à Pradines : sa santé ne supporterait pas le poids d'une règle austère ; son caractère surtout ne pourrait se faire aux assujettissements de la vie cloîtrée, etc. D'où pour la pauvre enfant une perplexité bien torturante.



Mais Ars luisait comme un phare à l'horizon de cette âme. Au mois d'août 1857, Benoîte profite d'une occasion qui s'offre : elle verra M. Vianney. Mais c'est l'éternelle histoire : trop de monde dans l'église ! La jeune fille prend une résolution héroïque : elle ne sortira pas du lieu saint qu'elle n'ait parlé au serviteur de Dieu !



Benoîte avait compté sans sa belle-mère, qu'elle accompagnait. Force lui fut, le soir, de retourner à l'hôtel. Le lendemain, quand elle revint à l'église, la nef était encombrée comme la veille ; le confessionnal se trouvait assiégé. Et les voyageuses devaient repartir entre dix et onze heures ! Cependant, la pauvre jeune fille avait un si véhément désir de parler au Curé d'Ars, que, après la messe, elle se mit à la suite d'une cinquantaine de personnes qui attendaient leur tour. Vaine attente ! Les heures passaient ; le moment d'aborder M. Vianney semblait ne devoir jamais venir.

Elle n'y comptait plus, quand, une petite demi-heure avant le départ de la voiture, le saint sortit du confessionnal, congédia la pénitente qui avait déjà pris place à la grille et fit s'agenouiller là Benoîte, muette de surprise. Alors, sans lui laisser le temps d'ouvrir la bouche, il dit à cette inconnue avec la plus tranquille assurance :

« N'est-ce pas, mon enfant, il s'agit de votre vocation ? Oui, c'est la volonté du bon Dieu : faites-vous religieuse. Vous serez très heureuse en religion. Le premier obstacle ne tardera pas à disparaître. Attendez un peu ; le bon Dieu vous donnera la force de sa grâce pour vaincre les autres difficultés.

Mon Père, je désire entrer chez les Bénédictines de Pradines.

Oui, mon enfant, c'est là qu'il faut aller. Si le démon vous tourmente, il ne vous pourra rien. Soyez humble et obéissante. »

Cela dit, il la renvoya.



Le premier obstacle dont avait parlé le Curé d'Ars, n'était-ce pas l'opposition formelle de l'oncle curé au départ de sa nièce ? Celle-ci l'avait bien compris. Or l'obstruction ne dura pas. Et voici comment : le synode provincial tenu à Lyon en 1850 avait décrété qu'à l'avenir « aucun prêtre du diocèse ne pourrait avoir, logeant sous son toit, une personne du sexe au-dessous de trente-cinq ans » ; les décisions de ce Synode ne furent promulguées par le cardinal de Bonald qu'en août 1851, pendant ou peu après le séjour de Benoîte à Ars. L'oncle curé dut, en conséquence, ramener la nièce chez son père... Et ainsi le premier obstacle fut levé.

Quant aux autres difficultés, le diable s'en mêlant, il fallut à la jeune fille deux années pour les vaincre. Enfin, après bien des luttes, bien des actes de patience, elle put entrer au noviciat de Pradines où elle devait devenir Mère Sainte-Gertrude, bénédictine professe.

Le saint Curé lui avait prédit encore : « Si le démon vous tourmente, il ne vous pourra rien ». En effet, pendant les sept premières années de sa vie religieuse, Mère Sainte-Gertrude fut assaillie de tentations et de peines intérieures très pénibles. Mais « depuis lors elle ne croit pas qu'il puisse y avoir une religieuse plus contente dans sa vocation, sinon celles qui, par un avancement plus parfait dans la vertu, ont mérité de goûter Dieu davantage ».


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(1) Ce récit est tiré d'une relation adressée en janvier 1881 et certifiée « en tout conforme à la vérité » à M. l'abbé Ball par l'héroïne de l'histoire, Mlle Benoîte Merle, en religion Mère Sainte-Gertrude. (Documents, N° 97)


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Message  Monique Dim 25 Juil 2021, 9:15 am

XVIII



Les larmes de la Sœur Valeyre

à qui il fut annoncé qu'elle persévérerait



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La Sœur Benoîte Valeyre, Fille de la Charité, décédée vers 1895 à Shanghaï, était une religieuse extrêmement édifiante. Très pieuse, très régulière, elle était en même temps très gaie : elle savait raconter ses souvenirs avec un entrain qui faisait le charme des récréations. Malgré sa gaieté, Sœur Valeyre semblait avoir le don des larmes. Lui parler de ces multitudes païennes qui ignorent Dieu, c'était provoquer chez elle un déluge de pleurs. Même chose arrivait si on rappelait en sa présence quelque scène de la Passion de Notre-Seigneur.

D'où pouvait bien lui, venir ce don extraordinaire ? Ne serait-ce pas d'une visite qu'elle fit, étant encore dans le monde, au saint Curé d'Ars ? Voici en tout cas ce qu'elle raconta un jour à ses compagnes pendant une récréation :



« J'avais vingt ans. J'étais vaniteuse. Je plaisais ; je le pensais du moins, et cette pensée, cette illusion peut-être, m'emplissait d'un secret contentement... Et pourtant comment expliquer cela ? Que c'est bizarre ! on dirait parfois deux âmes dans une et pourtant j'avais quelque peu le désir de me donner au service de Dieu dans la personne des pauvres. Tout en soignant ma toilette et ma coiffure qui l'eût cru ? je songeais, là, devant ma glace, à demander mon admission parmi les Filles de Saint-Vincent-de-Paul !

Mais... mais... petite personne prudente malgré tout, je ne me pressais pas de demander mon admission. Ces parures que j'aimais tant, il faudrait les abandonner. Je tremblais d'y revenir après leur avoir dit un trop peu sincère adieu. L'une de mes amies, bien meilleure que moi, n'était-elle pas entrée dans cette famille religieuse pour en sortir peu après ? Pareille confusion, moi ? pensai-je. Oh ! Jamais ; j'en mourrais de honte !

Ma famille habitait aux environs de Lyon, et dans la contrée on parlait beaucoup du Curé d'Ars. Dieu, à ce qu'on disait, donnait à ce saint prêtre des lumières spéciales pour débrouiller les vocations.

C'était bien mon affaire ; car, au fond, je devenais malheureuse. J'avais fini par comprendre qu'on n'est pas sur terre pour nouer élégamment des rubans ou faire boucler des frisettes. Eh, mon Dieu ! Je partis pour Ars sans grand émoi, plus heureuse, semblait-il, de me payer un joli petit voyage que d'aller à l'audience d'un saint... Mais tranquillisez-vous : les saints sont fins je crois me rappeler qu'on attribue cette réflexion au Curé d'Ars lui-même et je fus bien attrapée.



A mon tour, c'est-à-dire après de longues heures d'attente, je me confessai. M. Vianney me fit une exhortation que j'écoutai faut-il l'avouer ? assez froidement. Alors, mes amies, la scène changea.

« Comment ! me dit-il d'une voix perçante et sur un ton irrité, comment ! Vous ne pleurez pas encore vos vanités ? Allez à l'autel de sainte Philomène. Allez-y prier et pleurer. Vous reviendrez une autre fois. »

La foudre fût tombée à mes pieds que je n'eusse pas été plus atterrée. Docilement, je me rendis à la chapelle de sainte Philomène. Je m'y agenouillai. Et moi la sèche vaniteuse, la froide orgueilleuse qui ne pleurait jamais, je me mis à fondre en larmes. A fondre, c'est le mot.

Mes larmes durèrent toute la soirée, se prolongèrent toute la nuit, continuèrent la journée suivante... C'est la figure encore toute baignée de pleurs que j'attendis mon tour au confessionnal.

Me reconnaissant avant que j'eusse articulé une syllabe, le Curé d'Ars me dit avec bonté : « Vous avez pleuré assez comme ça, mon enfant ». Puis, pesant bien sur les mots, il ajouta : « Entrez dans la communauté des Filles de la Charité... Vous n'en sortirez pas ».

Je lui obéis aveuglément ; car mes troubles étaient revenus. Mais, cette fois, j'avais confiance : la parole d'un saint éclairait ma route. Je suis entrée, et je ne suis pas sortie. »




Tel fut le récit de la Sœur Benoîte Valeyre. Plusieurs de ses compagnes l'entendirent, notamment la Sœur Constance Hambro, chargée de la pharmacie à l'hôpital central de Pékin, et la Sœur Germaine Porret, supérieure de l'hôpital Saint-Vincent du Pé-Tang.

L'une et l'autre ont transmis ces curieux détails au R. P. Dutilleul, lazariste, missionnaire au Pé-Tang, un ami d'Ars, qui s'est fait une joie de les communiquer à Mgr Convert.


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Message  Monique Lun 26 Juil 2021, 9:07 am

XIX



Le cadeau inutile



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Mme Sermet-Décroze, d'Arbignieu, en plus d'une bonne chrétienne, était une femme de tête. Et elle avait son plan bien arrêté. Trois filles l'encadraient, dont le destin était réglé, ou presque. En tout cas, pour Anthelmine, l'aînée, jeune personne de dix-huit printemps, c'était chose entendue : Anthelmine était jolie, paraissait s'en douter, aimait la toilette : on marierait Anthelmine ; le fiancé était en chemin. Quant à Josephte, pieuse petite de seize ans, elle était faite pour la vie religieuse, c'était trop clair. La troisième fille ne donnant encore que de vagues signes de vocation, on verrait.

Ce on, c'était l'excellente maman, qui, toutefois, n'osant se fier aveuglément à ses propres lumières, partit pour Ars un beau jour de 1855. Désireuse d'être seule pour des affaires si graves et qui demandaient le secret, elle laissait à Arbignieu ses trois filles. A vrai dire, Mme Sermet n'était pas absolument sûre que ses projets correspondissent aux désirs de ses deux aînées. Pourtant, pendant le long voyage qu'elle fit, depuis les montagnes qui encerclent Belley jusqu'à l'humble village des Dombes, elle réfléchit encore, et s'affermit dans ses résolutions. Elle consulterait donc M. Vianney pour la forme, et c'est forte de son approbation qu'elle reviendrait auprès de ses filles.

Qu'on juge de son soudain haut-le-corps, lorsqu'elle entendit, le saint Curé lui dire de sa petite voix tranquille :

« Inutile, mon enfant, de vous entretenir dans ces pensées. Non, votre Josephte ne sera pas religieuse ; pas elle, pas elle ; une autre le sera chez vous, et plus tôt que vous ne pensez. »



Cette autre, qui était-ce, sinon la plus jeune des demoiselles Sermet-Décroze, celle pour qui on verrait ? Josephte n'entrerait pas au couvent, soit ! Mais puisqu'on marierait Anthelmine, il fallait aller au plus pressé. En passant par Lyon, au retour d'Ars, la mère fit pour son aînée l'emplette d'une belle robe. Toutefois, comme elle tenait à rendre compte de son voyage à M. l'abbé Martinand, curé d'Arbignieu, et à prendre ses conseils, elle eut le courage de garder caché le cadeau destiné à Anthelmine.

M. l'abbé Martinand écouta avec intérêt le récit de sa paroissienne et déclara, pour conclure, qu'il ne comprenait pas les décisions du Curé d'Ars... Peut-être aussi, ajouta le digne pasteur, y avait-il confusion dans les souvenirs de Mme Sermet-Décroze ?... Enfin qui vivrait verrait.



Le moment était donc venu d'étaler l'élégante robe aux regards de la fiancée de demain. Or la chatoyante soie lyonnaise ne produisit pas sur Mlle Anthelmine l'effet attendu.

« Ce n'est point là ce qu'il me faut, ma mère, déclara-t-elle. Cette robe m'est inutile : je veux me consacrer à Dieu dans la vie religieuse. »

A sa cadette Mme Sermet parla ensuite du couvent. Mais Josephte lui fit entendre par un geste significatif que le cloître était loin de sa pensée. Elle songeait à convoler en justes noces, et elle se maria en effet environ un an plus tard, le 26 février 1857, âgée seulement de dix-sept ans.

Sa sœur aînée, entrée d'abord au noviciat des Surs Maristes établi alors à Bon-Repos, mourut à vingt-cinq ans, nous le nom de Sœur Saint-Cyrille, au pensionnat de Saint-Étienne.



Et c'est M. l'abbé Denis Martinand, à qui Mme Sermet-Décroze avait révélé les prédictions du saint Curé avant leur accomplissement, qui a raconté comment elles se réalisèrent à M. Bertrans, vicaire général de Belley, dans une lettre du 11 septembre 1863. (1)


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(1) Les Annales de Marie (dirigées par les Pères Maristes de Lyon) ont établi une enquête sur différents faits d'intuition attribués au saint Curé d'Ars. Dans le N° du 15 mars 1928, il est question du cas de Sœur Saint-Cyrille, et nous avons trouvé là de quoi compléter le récit de M. l'abbé Martinand.


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Message  Monique Mar 27 Juil 2021, 7:38 am

XX



« Vous n'êtes pas encore à Saint-Charles ? »



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« Mon enfant, disait un jour M. Vianney à une jeune pénitente, vous désirez être religieuse... Allez à Saint-Charles : c'est là que le bon Dieu vous veut... Oh ! la belle vie : aimer le bon Dieu, le faire aimer en apprenant le catéchisme aux enfants !... Que c'est beau !... Ô mon enfant, remerciez Dieu d'une si belle vocation. »

Cela se passait vers 1854. De retour à Lyon où elle habitait, Mlle Marie-Pierrette C... alla postuler son entrée en religion auprès de la Révérende Mère Sainte-Apollinaire, supérieure des Religieuses de Saint-Charles. Marie-Pierrette toussait alors un peu. « Mon enfant, lui dit la Révérende Mère, chez nous les emplois sont pénibles, les classes nombreuses. Vous ne me paraissez pas assez forte pour supporter notre genre de vie. Peut-être ferez-vous bien de chercher une autre communauté. »

Marie-Pierrette se retira. Les yeux rougis par les larmes, elle se demandait si elle avait bien compris les paroles du saint Curé d'Ars... Ou bien c'est lui qui s'était trompé ?... Quel trouble, quelle perplexité dans l'âme de la pauvre enfant !



Au cours des cinq années qui suivent, elle se présente en plusieurs communautés, où la même déception l'attend. La voici enfin au port désiré ; elle le pense du moins : les Filles de Saint-Vincent-de-Paul viennent de l'admettre comme postulante. Assez joyeuse, elle se prépare à entrer. Mais un dernier doute la saisit. Elle part pour Ars. Après un jour et deux nuits d'une fiévreuse attente, elle s'agenouille de nouveau aux pieds du saint confesseur. M. Vianney ne l'a pas revue, n'a pas entendu parler d'elle depuis cinq ans. Marie-Pierrette n'a même pas le temps d'ouvrir la bouche.

« Eh ! quoi, mon enfant, lui jette l'homme de Dieu, vous n'êtes pas encore à Saint-Charles ?... Hâtez-vous : le bon Dieu vous y attend.

Mais, mon Père, on ne peut pas m'y recevoir à cause de ma santé. Je vais entrer chez les Surs de Saint-Vincent-de-Paul.

Non, non, mon enfant, c'est à Saint-Charles qu'il faut aller. Je vais prier pour vous, et l'on vous recevra... Ô mon enfant, que vous êtes heureuse ! Que c'est beau de passer sa vie à aimer Dieu et à le faire aimer ! Quelle belle vocation ! »


Au lieu d'être bouleversée comme on pourrait le croire, Marie-Pierrette se sentit toute rassérénée, et ce fut avec pleine confiance qu'elle se présenta de nouveau à Saint-Charles. Sa demande fut agréée. Le 26 juillet 1860, elle devenait Sœur Sainte-Mélanie.

Longtemps Sœur Sainte-Mélanie se dévoua à l'éducation des petits enfants. Nommée en 1900 supérieure à Ampuis, dans le Rhône, elle en était expulsée le 1er octobre 1904 par l'inique loi contre l'enseignement congréganiste.

Elle mourut pleine d'âge et de mérites, le 28 mars 1910, dans la maison de retraite de sa congrégation, heureuse de proclamer jusqu'à son dernier jour que le saint Curé d'Ars ne s'était point trompé. (1)



(1) Les détails de ce récit proviennent d'une religieuse de Saint-Charles qui les tenait de Mère Sainte-Mélanie elle-même.


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Message  Monique Mer 28 Juil 2021, 8:01 am

XXI



L'image qui révèle un avenir



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Mlle Eugénie Seurre, née en 1827, à Charolles, près de Paray-le-Monial, était l'enfant gâtée de parents fort riches. Bien qu'élevée très chrétiennement, elle ne voulait pas entendre parler des religieuses, dont elle ignorait d'ailleurs le genre de vie, ayant pris des leçons uniquement à la maison paternelle. Une de ses amies vint un jour lui faire ses adieux avant d'entrer au couvent ; la jeune espiègle ne trouva pas pour l'encourager et féliciter d'autres mots que ceux-ci : « Oh ! La sotte ! ».

Pourtant, chose inexplicable inexplicable à qui refuse de voir l'action de Dieu dans les âmes Mlle Seurre, aux heures plus recueillies, se surprenait à rêver d'une existence utile, où l'on se dévoue, où l'on se sacrifie pour le bonheur d'autrui, et alors l'idée de la vie religieuse se présentait... Mais bientôt elle la rejetait comme un cauchemar. Elle préférait rester dans le monde, où, pensait-elle, tout devait lui sourire ; son père ne lui avait-il pas révélé le chiffre probable de sa dot : 400.000 francs !



En 1848 ou 1849 elle avait alors de vingt-deux à vingt-trois ans cette petite originale fit un premier pèlerinage à Ars. Ce lui était facile en prenant un bateau sur la Saône.

« Mon Père, dit-elle au début de sa confession selon la formule consacrée, il y a tant de jours que...

Oui, mon enfant, interrompit le saint Curé, vous vous êtes confessée et vous avez communié à l'occasion de telle fête... Vous auriez mieux fait de vous en abstenir.

Oh ! mon Père, interrogea la pénitente effrayée, aurais-je donc fait une mauvaise communion ?

Non, je ne dis pas cela. Mais vous n'aviez pas assez de contrition. »


Ainsi éclairée sur l'état de sa conscience, Eugénie comprit que jusque-là elle avait été une tiède, une négligente. Elle tint à faire une confession générale et reçut l'absolution avec toutes les marques d'un vif et profond repentir.



Lors d'un nouveau pèlerinage, une sévère leçon lui fut donnée, qu'elle accepta de bonne grâce il y avait déjà en elle quelque chose de changé ! Agenouillée sur une chaise grossière, elle changeait fréquemment de position.

« Mon enfant, lui dit M. Vianney qui passait près d'elle, vous êtes bien mal à l'aise là-dessus. Vous seriez mieux à genoux par terre, n'est-ce pas ? Ça vous conviendrait mieux. »

Elle s'éloignait d'Ars plus soucieuse, plus mécontente d'elle-même... avec le désir d'y revenir encore.



« Mon Père, questionna-t-elle à un troisième voyage, voudriez-vous me dire ce qu'il faut que je fasse ?

Ce qu'il faut que vous fassiez, mon enfant ?... Vous le savez très bien ; je n'ai pas à vous le dire. »


Sans plus attendre, Mlle Seurre quitte le confessionnal et se retire dans l'une des chapelles qui s'ouvrent dans la nef. Elle a hâte de réfléchir, de prier, de pleurer seule. La tête dans ses mains, elle voudrait, dirait-on, cacher à ceux qui l'entourent le trouble de son cœur.

Mais sur ses pas M. Vianney lui-même est sorti du confessionnal. Il va droit à la sacristie, s'accoude à cette vieille crédence qui jadis lui servit de pupitre quand, jeune curé, il composait ses longues instructions du dimanche et, de son écriture tremblée et nerveuse, il trace quelques mots au revers d'une image de piété. Puis s'adressant à une pénitente assise près de la sacristie :

« Allez porter ceci, je vous prie, madame, à une jeune personne vêtue d'une robe à petits carreaux blancs et jaunes et que vous trouverez à tel endroit de l'église. »

Il n'y avait pas à s'y tromper, le signalement état exact. La dame fit la commission, et Mlle Seurre accepta l'image. Elle lut : Celui qui fera et enseignera brillera au ciel comme une étoile. (1)



Tout un programme d'avenir, toute une vie était contenue pour Mlle Seurre en ces quelques paroles. Elle comprit : sa vocation serait de se consacrer à l'éducation chrétienne de la jeunesse.

Entrée à la maison-mère des Sœurs de Nevers, elle y fit profession le 2 juillet 1853, sous le nom de Mère Victoire. Mère Victoire devint en 1864 supérieure du magnifique pensionnat de Notre-Dame-des-Anges. Elle mourut en prédestinée le 29 janvier 1914, à l'âge de quatre-vingt-sept ans. Le seul regret qu'elle manifestât en ses vieux jours, c'était de n'avoir pas répondu immédiatement à l'appel de Dieu inscrit par le saint d'Ars sur l'image bénie : nature ardente sur laquelle les vanités mondaines gardaient encore trop d'emprise, elle ne s'y était décidée qu'après deux années d'hésitation et de combats. Mais alors elle s'était donnée tout entière.

Mère Victoire aimait à refaire par la pensée le pèlerinage d'Ars. Lui parlait-on d'un malade à convertir : « Je vais demander cela au saint Curé Vianney et à sa petite sainte Philomène », avait-elle coutume de répondre. (2)


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(1) Inspiré de Daniel, XII, 3

(2) Ces détails proviennent en majeure partie dune élève de la vénérable religieuse qui les a transmis à Mgr Convert le 9 juillet 1925. Les tenant de son ancienne maîtresse, elle les certifiait d'une rigoureuse exactitude. Nous avons complété notre récit grâce à une lettre adressée à Mgr Convert par M. le Curé de Saint-Étienne de Nevers le 4 août 1920.


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Message  Monique Jeu 29 Juil 2021, 6:40 am

XXII



« Tout ira bien »



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Les confidences suivantes proviennent d'une Visitandine qui a demandé que ne fussent indiqués ni son nom ni son monastère. Mais cette relation est absolument authentique. Elle porte d'ailleurs en elle-même tous les caractères d'une parfaite sincérité. On y trouvera de bien intéressants détails sur l'accueil, l'éloquence et la piété de saint Jean-Marie Vianney.



J'avais beaucoup entendu parler du Curé d'Ars, que tout le monde regardait comme un saint gratifié de surnaturelles connaissances. J'avais donc le vif désir de le voir, de lui parler d'une chose qui pour moi était de la plus grande importance (1). J'avais eu déjà la pensée de lui écrire ; quand, toujours bonne pour ceux qui se confient en elle, la Providence exauça les souhaits de mon cœur.



Au mois de juillet 1857, mon frère dut se rendre à Lyon pour y subir les épreuves du baccalauréat. Il fut convenu que toute la famille, père, mère, sœur, l'accompagnerait.

Ars, je le savais, n'est pas très loin de Lyon. J'exprimai donc à mes parents ma pieuse envie de parler au saint Curé. Ils accédèrent tout de suite à ma demande.

Au port de Frans, nous prîmes la diligence jusqu'au petit village, où nous arrivâmes vers midi pour le repas.

A l'hôtel, nous liâmes conversation avec un monsieur qui paraissait très bien. Il se trouva que mon père et lui faisaient partie de la conférence de Saint-Vincent-de-Paul ; les propos devinrent plus intimes.

« Ma fille, dit mon père, désire beaucoup parler à M. le Curé d'Ars.

Ce n'est pas facile en ce moment, reprit l'interlocuteur, néanmoins je tâcherai de procurer à mademoiselle cette entrevue. Qu'elle se trouve demain, dans la matinée, auprès de la cure. A ce moment, M. le Curé sort pour se rendre à l'église ; c'est l'occasion la plus favorable. »




Après dîner, nous entrâmes dans la petite église d'Ars. A gauche, la foule encombrait une chapelle où nous vîmes un tableau qui représentait le Curé d'Ars guéri par le secours de sainte Philomène. Impossible de voir plus loin que l'entrée ; là stationnait une personne de haute taille qui assurait l'ordre en faisant pénétrer ou sortir un à un les pèlerins.

Pendant ce temps, M. Vianney se tenait à son confessionnal de la chapelle Saint-Jean-Baptiste. Quand il voulut se rendre â la sacristie, il y eut un remuement irrésistible de la foule. On se serrait à s'étouffer ; quelques femmes criaient leurs recommandations, d'autres appelaient : « Mon Père ! Mon Père ! ».

Lui, avec une inlassable patience, s'avançait en souriant. « Oui, mon enfant », répondait-il à gauche, à droite. Et c'était comme une apparition de la bonté.

Pour moi, il me fut impossible de m'approcher : mais je ne m'en émus guère, puisque le lendemain je devais parler au saint.



A l'heure indiquée, nous étions, mes parents et moi, près de la porte du presbytère. Notre bon protecteur s'y trouvait aussi.

Bientôt M. Vianney parut et fit quelques pas vers le clocher. Je m'approchai de lui et de ce seul mot : « Mon Père » je voulus lui faire comprendre toute mon angoisse et tout ce que j'attendais de lui.

Il s'arrêta pour fixer sur moi un regard qui allait jusqu'à l'âme et il me dit sur un ton d'interrogation : « Mon enfant ? ». Était-ce pour éprouver ma foi ou bien n'avait-il pas compris le mot que j'avais murmuré à son oreille ? Je répétai simplement, sans explication : « Mon Père ! ».

Avec un sourire du ciel, il me dit alors : « Mon enfant, faites une neuvaine à sainte Philomène, et tout ira bien. Ô mon Père, merci ! » m'écriai-je avec une profonde et reconnaissante émotion.

Ces paroles furent pour moi l'huile de joie au milieu des larmes, et depuis ce jour le Laudate Dominum est sur mes lèvres et dans mon cœur. Par son regard, par sa parole, par son âme, le saint prêtre m'a fait comprendre pour toujours quel éternel bienfait nous vient de la souffrance.



Vers onze heures, nous assistâmes tous ensemble à ce que l'on appelait le catéchisme. Ce fut une exhortation sur le ciel. Il disait « mes enfants », bien qu'il n'y eût aucun enfant dans l'assistance. Les mots étaient articulés avec effort, la voix, d'une extrême faiblesse, paraissait venir d'un autre monde ; elle saisissait, émouvait incroyablement.

De temps en temps, une toux qui ressemblait à un cri trahissait ses souffrances, mais l'amour de Dieu et le zèle des âmes l'emportaient. Il termina par ces mots, avec un accent indéfinissable : « Le ciel ! Le ciel ! Quel bonheur ! Nous verrons Dieu !... Nous le posséderons !... ». Et des larmes coulèrent de ses yeux, noyèrent sa voix. Il descendit de chaire au milieu du silence...



Le soir, nous assistâmes à la prière. Il était encore dans la petite chaire de l'église. Ses regards étincelants mais doux attachés au tabernacle, de la même voix faible il égrenait les invocations toujours répétées avec le même accent d'amour : « Bénie soit la très sainte et immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie ! » et les fidèles répondaient : « À jamais ! Ainsi soit-il ! »


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(1) Sa vocation de Visitandine et l'opposition que sans doute on y mettait.


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Message  Monique Ven 30 Juil 2021, 8:04 am

XXIV



Les souvenirs de Mère Floribert



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Originaire de Bény, petite localité située au nord du département de l'Ain, elle s'appela d'abord Rosalie Darnand. Entrée en 1856 au noviciat de la congrégation de Saint-Joseph de Bourg, soixante-deux ans plus tard, en 1918, toujours active et vaillante malgré ses quatre-vingt-deux ans, elle remplissait, à Bourg même, les lourdes et délicates fonctions de supérieure de la Maternité.

C'est en cette année 1918, dans la soirée du 15 décembre, que Mère Floribert voulut bien raconter ses souvenirs d'Ars à M. le chanoine Joly, aumônier de la Providence de Bourg, qui, revenu chez lui, les consigna immédiatement.



« ... Oh ! si vous voulez, il y a des souvenirs plus extraordinaires. Mais, puisque, dans ma jeunesse, j'ai eu la grande faveur de me confesser au Curé d'Ars, de l'entendre prêcher, de recevoir ses conseils, oui, je comprends, il ne faut pas laisser cela tomber tout à fait dans l'oubli.

Donc Rosalie Darnand avait vingt ans, et elle désirait ne plus vivre dans le monde. Une tante religieuse semblait d'ailleurs lui ouvrir le chemin. Cette bonne tante était sœur enseignante à Genay.

Or, en 1856, l'année de mes vingt ans, ma tante m'emmena passer quelques jours à Genay. J'étais sur le point d'entrer au noviciat. Genay est loin de Bény, puisque pour aller d'un bourg à l'autre, il faut traverser presque tout le département ; mais, très peu loin de Genay, il y a Ars.

Au retour de ces petites vacances, je fis halte bien volontiers dans la paroisse illustrée par M. Vianney. Je pus même me confesser à lui. J'avoue qu'il ne me dit rien de bien particulier. J'étais une âme bien simple, oh ! oui. Je lui parlai de ma vocation ; il me dit de la suivre. Et ce fut tout.

Après quelques mois de postulat, je reçus le saint habit et voyez comme le bon Dieu arrange tout ! je fus envoyée tout près d'Ars, à Savigneux, qui n'en est pas distant de trois kilomètres. Dans ce temps-là, dès la prise d'habit, on faisait son noviciat dans une communauté particulière.

Souvent, le jeudi, les religieuses de cette petite communauté allaient, avec quelques pensionnaires, assister au catéchisme que le saint faisait chaque jour de la semaine. L'après-midi, nous avions le plaisir de revoir nos Sœurs d'Ars chargées depuis une dizaine d'années de la maison de la Providence, fondée par M. Vianney. J'ai bien connu aussi la dévouée Catherine Lassagne, qui en avait été la première directrice.

Pour assister au catéchisme du saint, nous nous glissions comme nous pouvions dans le vestibule ou dans le fond de l'église. Plusieurs fois, il fallut, faute de places disponibles, rester à la porte. Je crois encore entendre sa voix grêle et élevée. Ses paroles partaient de son cœur comme des fusées d'amour. Ce qui me frappait surtout, c'était de voir de grands messieurs debout près de la chaire, qui demeuraient là sans un mouvement, comme retenant leur souffle, les yeux fixés sur le vénérable prêtre. Toute l'assistance, du reste, écoutait avec une attention profonde.

A d'autres moments, j'ai vu le saint Curé sortir de son confessionnal et faire signe à des personnes qu'il discernait dans la foule de passer avant leur tour.



M. Vianney avait accepté d'être le « confesseur extraordinaire » des religieuses de Savigneux. A tous les quatre-temps nous nous allions donc le trouver. C'était dans la matinée, vers neuf heures, que nous arrivions à l'église. À cette heure-là, le saint se trouvait d'habitude dans un confessionnal placé derrière le maître-autel où il recevait les messieurs, prêtres ou laïques. À peine prévenu de notre arrivée, il quittait ce confessionnal et il se rendait à celui de la chapelle de saint Jean-Baptiste en écartant de ses mains nerveuses les chaises qui lui barraient le passage. A ce moment, il n'y avait pas toujours foule sous le clocher et dans la nef, parce que les femmes, à qui l'on distribuait des numéros d'ordre, sortaient aux abords de l'église pour prendre l'air.

Les confessions que j'ai faites à M. Vianney du temps que j'étais à Savigneux ne m'ont pas laissé, non plus, d'impressions bien spéciales. Le saint Curé était assez bref avec ses pénitents, et il n'était pas plus long pour nous.



*

* *



En 1858, les religieuses de Savigneux furent rappelées à la maison-mère. Nous allions donc changer de résidence. C'était du moins à prévoir. Je me plaisais beaucoup dans ce pays, et mes compagnes non moins que moi. Nous ne pûmes cacher notre peine à M. Vianney à qui nous allâmes faire nos adieux.

« On va vous envoyer bien loin, nous dit-il. Mais allez-y avec confiance : vous y ferez beaucoup de bien. »

Puis il fouilla dans une de ses poches et il en tira un chapelet à gros grains monté en argent qu'il donna à ma supérieure... Il chercha encore dans sa poche. Hélas ! Plus rien.

« Allons, mon enfant, me dit-il, ne vous inquiétez pas. Vous aussi, vous aurez un souvenir. »

Il me conduisit jusqu'au palier de sa chambre. Du seuil, je l'observais. Il ouvrit, au-dessous de sa bibliothèque, un petit meuble qui s'y voit encore et il y prit un livre qui était à son usage. Il me le donna. Mon Dieu ! Que j'étais heureuse ! C'était la Pratique de l'amour de Jésus-Christ, par saint Alphonse... Oh ! certes, je ne vaux pas grand chose ; mais tout de même ce livre, soit à cause du grand saint qu'il me rappelle, soit aussi par son contenu, a bien contribué, je crois, à me maintenir dans les sentiments dont doit vivre une religieuse. Et j'en demeurerai jusqu'à la fin reconnaissante à celui qui, pendant deux ans, fut un peu mon Père en Dieu. Je conserve son cadeau comme une précieuse relique.



Ainsi que l'avait fait entrevoir le Curé d'Ars, les religieuses de Savigneux furent envoyées à ce qui semblait être, dans ce temps-là, le « bout du monde » de notre Congrégation. Les Sœurs de Saint-Joseph possédaient une école « bien loin », dans la Nièvre, en un pays minier appelé Vieillemanay. Là, tout en nous consacrant à l'éducation des enfants, nous nous occupions encore de soigner des malades ; on nous chargea même de distribuer les aumônes aux pauvres. Par ces moyens divers, je ne suis pas éloignée de penser, faible instrument que j'étais entre les mains divines, qu'il se fit « beaucoup de bien » en ce pays, comme l'avait promis le saint Curé, pendant les vingt-cinq années que nous y vécûmes, ma chère supérieure de Savigneux et moi.



Ah !... J'oubliais de dire que j'avais une sœur un peu plus jeune que moi qui aspirait à la vie religieuse. Ma Josephte c'était son nom aurait tant voulu venir avec moi ! Je lui conseillai de consulter, comme je l'avais fait moi même, le saint Curé d'Ars. « Oui, mon enfant lui répondit le serviteur de Dieu, mais pas encore. » Josephte, docile, attendit.

M. Vianney ne s'était pas trompé. Survinrent de cruels deuils de famille qui laissèrent à ma pauvre petite sœur tout le soin du ménage. Ce n'est que plus tard qu'elle put à son tour réaliser le vœu de son cœur. Devenue Sœur Isidorine, elle mourut jeune, mais heureuse, à Izernore. »




Un essuyant une grosse larme, la vénérée Mère Floribert, dont le regard paraissait comme perdu en de lointains horizons cessa de conter ses souvenirs.


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Message  Monique Sam 31 Juil 2021, 6:58 am

XXV



Il ne s'était pas trompé



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Certes oui, elle ne lui cacherait pas son dépit ; elle dirait sa pensée à ce curé de village, réputé un saint, qui lui avait conseillé d'entrer comme prétendante à la Charité de Lyon ! Or elle n'avait pas eu assez de santé pour mener cette existence si dure de religieuse d'hospice. Depuis un an, atteinte d'une maladie que la Faculté déclarait sans remède, elle vivait dans sa famille contre son gré !... Donc le Curé d'Ars s'était trompé, lourdement trompé, et elle venait le lui apprendre !

Ainsi, un jour de juillet 1859, dans la diligence partie de Lyon, ronchonnait une jeune personne originaire de Chevinay, dans le Rhône. Mlle Marie Regipas accomplissait pour la seconde fois le pèlerinage d'Ars. Mais où était-elle, l'enthousiaste pèlerine d'il y avait deux ans ? Ce n'était plus qu'une voyageuse lasse et morose, prête à exhaler sa mauvaise humeur.



La voiture s'arrêta devant l'église, et comme Mlle Régipas en descendait, un monsieur se présenta, qui lui dit : « Mademoiselle, M. le Curé vous attend au confessionnal,

Moi ?

Oui, vous, mademoiselle. Je suis M. Julien. Me trouvant de service à l'église pour empêcher les pèlerins de se précipiter sur notre saint Curé, je viens de l'entendre me dire : « Allez vers l'omnibus qui va arriver et priez la demoiselle qui en descendra la première de venir me parler tout de suite. »


Donc, M. Vianney connaissait l'arrivée de cette pénitente rébarbative que personne ne lui avait annoncée, il savait de science certaine quelle voiture l'avait amenée, et enfin que cette demoiselle serait la première à en descendre ! Tant de merveilleuses précisions troublèrent profondément notre voyageuse. Elle sentait le reproche expirer sur ses lèvres. Elle se trouva bien petite quand elle s'agenouilla aux pieds de l'homme de Dieu. Et c'est timidement qu'elle commença :

« Mon Père, vous m'avez conseillé d'entrer à la Charité et j'en ai été renvoyée pour cause de maladie.

Mon enfant, répliqua immédiatement le saint, je vous ai retenue d'aller ailleurs, mais pour rentrer dans votre communauté, vous y rentrerez. »


II ne s'expliqua pas davantage.

Que penser cependant d'une décision si nette ?... Le directeur de la Charité qui avait renvoyé la jeune prétendante avait-il abandonné son poste ? Non. Le mal dont souffrait l'expulsée était-il guéri ? Pas plus qu'auparavant. Alors ?... Mlle Marie Regipas, confiante malgré tout, trouva le courage de se représenter à la Charité de Lyon peu de temps après son pèlerinage d'Ars.

Elle y fut reçue sans opposition. Elle y devait vivre de longues années au chevet des malades.



M. Ball, qui s'est attaché à commenter les faits d'intuition afin de mettre en un relief plus saisissant la sainteté de M. Vianney, termine ainsi son enquête sur le cas de Mlle Marie Regipas :

« Ce fait donne une double preuve du don d'intuition surnaturelle dont a été doué le vénérable Curé d'Ars.

Outre l'annonce qu'il fit à cette personne de sa rentrée certaine dans la communauté malgré les obstacles subsistants qui avaient motivé sa sortie, il la vit en route pour Ars et connut le moment précis de son arrivée.

Et tout cela sans que rien au monde eût pu naturellement le lui faire connaître, ni de la part de Mlle Marie qui ne lui avait ni écrit ni fait écrire ni fait savoir d'aucune autre manière qu'elle venait ou devait venir et qui arrivait inopinément, confondue avec le flot des pèlerins qui abordaient chaque jour à Ars par toutes les voies ni de la part d'autres personnes qui ne pouvaient connaître ni annoncer d'avance ce qu'elles ne savaient pas.

Cette relation a été reçue le 3 juin 1879 de la bouche même de Mlle Marie Regipas, qui la certifie de tout point conforme à la vérité. »
(1)


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(1) Documents, N° 62


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Message  Monique Dim 01 Aoû 2021, 8:54 am

XXVI



Les récits de Sœur Dosithée



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Dans l'après-midi du dimanche 25 janvier 1914, à la Providence de Vitteaux (Côte-d'Or), la doyenne de la maison, Sœur Dosithée, prenait sa petite récréation d'après vêpres en compagnie de plusieurs de ses compagnes. La conversation, cette après-midi-là, paraissait particulièrement intéressante et animée. Pourtant Sœur Dosithée était la tranquillité même, du moins depuis que les ans avaient alourdi son pas et courbé ses vaillantes épaules. Sur les entrefaites, M. le chanoine Billard, aumônier, s'approcha du vénérable groupe.

« Ah ! fit-il en souriant, je devine ce qu'il y a... Voilà la bonne Sœur Dosithée partie dans ses souvenirs d'Ars !... »

M. Billard ne se trompait pas. Effectivement, Sœur Dosithée revivait à ce moment les meilleures heures de sa jeunesse. Et elle se racontait à ses compagnes, simplement, gaiement, une béatitude empreinte en son visage d'où semblaient disparues les rides.



« Oui, affirmait la religieuse, peu de temps après mon noviciat, placée à Tart-le-Haut, j'étais devenue poitrinaire. Je crachais mes poumons. Aussi le médecin avait-il dit à ma supérieure : « Votre petite Sœur Dosithée partira avec les feuilles ». Cela se passait au mois de mai 1853. II y a donc soixante et un ans de cela. Et je vis encore !... Votre docteur, Sœur Dosithée, me direz-vous, n'y voyait pas bien clair. Oh ! Attendez. Sans un autre qui y voyait plus clair que lui, je ne serais plus de ce bas monde.

J'avais entendu parler du Curé d'Ars. En 1853, sa renommée était universelle. Puisqu'il faisait des miracles, ce saint prêtre, pensai-je, me guérira bien, s'il le veut. Je montrai une telle confiance en ses intercessions que mes supérieures me permirent de faire le pèlerinage. « Ce sera à ses risques et périls », avait répliqué le docteur, plutôt bourru ce jour-là, à qui l'on avait soumis mon désir... Bref, je partis. Dans la voiture qui m'emporterait vers le village tant souhaité montèrent encore deux religieuses de notre Congrégation et une dame en grand deuil.

Chemin faisant, nous parlâmes d'Ars et des raisons qui nous y conduisaient. Pour moi, il n'y avait pas grande confidence à faire : ma pauvre mine exprimait assez que j'étais une malade en quête de la guérison. La dame en noir épancha longuement sa douleur. Hélas ! son mari, chrétien très négligent, avait été, peu de jours auparavant, frappé de mort subite... Que d'instances pourtant sa femme avait faites auprès de lui pour l'amener à remplir les devoirs essentiels ! « Plus tard, je te le promets », répondait-il invariablement. Et plus tard n'arrivait jamais. Et, plus tard ne s'était pas réalisé, puisque la mort était survenue, foudroyante. « Ah, gémissait la malheureuse veuve, moi qui avais tant prié pour lui !... Plus rien à espérer maintenant. Il est damné, il est damné !... »

Nous ne savions que dire, mes Sœurs et moi, pour consoler un tel chagrin. Les paroles de la foi et de l'espérance chrétiennes ne servaient, eût-on dit, qu'à rendre plus profond son désespoir. Aussi restâmes-nous silencieuses pendant les dernières heures du voyage, nous contentant d'égrener nos chapelets ou d'échanger des paroles de piété à la rencontre de quelque église. »



*

* *



Les quatre voyageuses atteignirent « sur le soir » le village d'Ars. Avec un empressement bien compréhensible, elles gravirent la rampe qui monte à la vieille église. Des étrangers se tenaient devant la grande porte, tout attentionnés aux récits d'un Frère de la Sainte-Famille de Belley. Ce religieux, qui n'était autre que le Frère Jérôme, Sacristain de l'église d'Ars, racontait à de braves pèlerins certains prodiges dus aux prières de son saint Curé.

« Vous arrivez à merveille, mes Sœurs et Madame, dit aimablement le Frère à nos voyageuses. M. le Curé, par extraordinaire, est parvenu aujourd'hui à confesser tout son monde. C'est, je crois bien, la première fois que je vois cela depuis que je suis ici ! En ce moment, il est à la sacristie. Si vous voulez le voir, profitez de l'occasion unique. »

Mais les voyageuses, et surtout la pauvre Sœur Dosithée, se sentaient bien lasses après avoir roulé dans leur voiture mal suspendue sur les chemins cahoteux de la Bresse et des Dombes.

« Demain nous le verrons, si vous le voulez bien, mon Frère, répondit la jeune religieuse.

En effet, il nous faut chercher un logement, expliqua une autre.

Ah ! mes chères Sœurs, objecta Frère Jérôme, méfiez-vous : demain pourrait bien ne pas ressembler à aujourd'hui.

Eh bien, j'y vais, conclut d'un ton résolu la dame en deuil, qui pénétra dans l'église, tandis que ses compagnes de route redescendaient la rampe et s'engageaient dans le village.

Cette femme, quand elle retrouva les religieuses au moment où elles revenaient vers l'église pour la prière du soir, leur parut toute changée. Son regard n'avait plus cette fixité douloureuse si pénible à voir. Elle semblait consolée et pacifiée.

« Ô mes Sœurs, s'écria-t-elle, il savait déjà mon malheur. Mais il m'a dit de ne pas désespérer. Oh ! Que j'ai donc bien fait de prier sans me décourager ! « Votre mari est sauvé, m'a assuré le saint Curé d'Ars... Rappelez-vous, a-t-il ajouté, le miserere que vous récitiez pour lui. »



*

* *



Le lendemain, nos religieuses se mordirent les doigts de n'avoir pas suivi le conseil du bon Frère Jérôme. Harassées, elles se levèrent un peu moins tôt que de coutume, et, en arrivant à l'église, elles la trouvèrent remplie. De très grand matin, des voitures avaient déversé dans Ars une nuée de visiteurs. Beaucoup voulaient se confesser. Et lorsque les Sœurs eurent pénétré dans l'étroite nef, de nouveaux pèlerins survinrent. « Ce fut, racontait Sœur Dosithée, une telle cohue que j'étais soulevée plus que je n'avançais vers le confessionnal. » Tout le monde eût voulu arriver à la fois à la chapelle de saint Jean-Baptiste.

Cependant la jeune religieuse suffoquait au milieu de cette foule. L'une des dames préposées au bon ordre en prévint-elle M. Vianney ou celui-ci, par une de ces intuitions si fréquentes qui lui désignaient, sans qu'il les vît de ses yeux, tel malade ou tel infirme perdu dans le remous humain, aperçut-il Sœur Dosithée près de défaillir ?... La vénérable Sœur passa ce détail dans son récit. Quoi qu'il en soit, quelqu'un la prit par la main et la guida au milieu de la presse étouffante, en intimant à haute voix qu'il fallait laisser passer cette religieuse que le saint lui-même appelait.

La petite grille de fer qui sépare de la nef la chapelle de saint Jean-Baptiste se rouvrit donc pour donner passage à Sœur Dosithée. A l'entrée de cette chapelle se tenaient déjà trois personnes en train de préparer leur confession : deux prêtres et une jeune demoiselle. Le confessionnal se trouvait vide à ce moment. Et ce fut avec un saisissement bien compréhensible que la religieuse aperçut soudain le Curé d'Ars agenouillé sur le marchepied de l'autel et lisant dans son bréviaire. C'est ainsi que parfois, fatigué à l'excès par les confessions, il prenait, en priant, quelques minutes de détente.



« Je pus l'examiner là tout à loisir, contait Sœur Dosithée. Je remarquai ses cheveux taillés par devant et assez longs par derrière. Son corps ne paraissait être qu'un paquet d'os ; ses bras et ses jambes, des baguettes. Un débris de mouchoir retenait ses bas en guise de jarretières.

Il ferma son bréviaire et rentra au confessionnal. La jeune fille s'y présenta la première ; mais elle en sortit presque aussitôt. Et j'entendis M. le Curé qui disait : « Allez, ma fille, vous mieux préparer et, quand vous serez prête, vous reviendrez ». Toute rougissante, cette demoiselle alla se mettre dans un coin de la chapelle. Sans doute avait-elle été distraite comme moi par la vue du Curé d'Ars en prière.



L'un des prêtres se disposait à s'agenouiller au saint tribunal, quand M. Vianney reparut. Il s'adressa à ce prêtre dont l'air de distinction et peut-être de suffisance m'avait frappé.

« Que désirez-vous ? lui demanda-t-il d'un ton assez sec.

Monsieur le Curé, je pars prêcher, et auparavant je voudrais me confesser.

Mais pourquoi venir ici ? Il existe d'autres confesseurs... Vous prêcherez, soit, mais vos paroles porteront « peu de fruit ».


Cela dit, M. Vianney s'adressa à l'autre prêtre dont j'avais remarqué le genre simple et modeste.

« Vous aussi, vous partez prêcher, lui dit le saint. Allez donc, vous ferez beaucoup de bien. »

Cependant le Curé d'Ars invita à s'agenouiller dans le confessionnal celui des ecclésiastiques à qui il venait de faire un accueil si peu engageant. L'autre prêtre se confessa ensuite. Et ce fut bientôt mon tour. J'étais encore fort impressionnée, je l'avoue, par ce que je venais de voir et d'entendre.

Quand j'eus reçu l'absolution, M. Vianney me demanda : « Pourquoi désirez-vous guérir, ma Sœur ?

Eh ! mon Père, lui répondis-je, vous le savez bien. Je ne désire la santé qu'afin de pouvoir donner aux enfants l'instruction chrétienne.

Allez, ma fille, prier sainte Philomène de vous guérir. Tandis que vous serez dans sa chapelle, je penserai à vous. »

J'allai dans cette chapelle, je priai, et je me sentis guérie. J'étais bien faible encore. Mais enfin le mal était arrêté. J'en eus aussitôt la ferme conviction. Et comme j'étais remplie de joie et de reconnaissance à la pensée de cette guérison vraiment miraculeuse !

Je tins à demeurer dans le village d'Ars plusieurs jours encore pour y prolonger mon action de grâces. »




*

* *



L'heureuse miraculée avait à cœur aussi de revoir le saint thaumaturge, afin de le remercier et, si possible, de recevoir ses derniers conseils.

Comme elle ne pouvait plus guère espérer lui reparler dans l'église, à son confessionnal même, on suggéra à la religieuse de l'attendre entre l'église et le presbytère, soit avant, soit après son rapide repas de midi. Elle pensa qu'il lui serait plus facile de le voir au moment où il sortirait de la cure ; car dans le temps où il rentrait, c'est-à-dire après son catéchisme de onze heures qui réunissait d'ordinaire tous les pèlerins présents dans le village, il y avait autour de lui trop de monde.

Par malheur pour elle, ce midi-là, Sœur Dosithée trouva entassés à la porte du presbytère le plus grand nombre de ceux qui venaient de voir passer M. Vianney. Voir un saint, quelle grande et rare chose ! Ceux qui avaient contemplé tout à l'heure cette physionomie si austère, si immatérielle à la fois et si attirante voulaient la contempler une fois de plus, afin de l'emporter dans leur mémoire pour jamais.

Mais écoutons Sœur Dosithée déroulant l'écheveau de ses vieux souvenirs.



« Il faisait chaud et M. le Curé avait laissé ouverte la fenêtre de sa chambre. Bien distinctement alors, j'ai entendu le diable qui lui parlait. »

À cet endroit de son récit, M. le chanoine Billard crut devoir interrompre Sœur Dosithée.

« Le diable, ma Soeur !... Que dites-vous là ?... N'était-ce pas tout simplement un visiteur en train de s'entretenir avec M. Vianney ?

Ah ! mais non, répliqua vivement la Soeur. D'abord personne n'avait pénétré dans la cure avec M. le Curé. Puis il était impossible de s'y méprendre. C'était bien le démon, je vous assure. Oh ! quelle voix abominable ! Cette voix n'avait rien d'humain. Le cri d'un animal enragé qui aurait articulé des mots. Il était en fureur. Et il jurait, il jurait !... Rien que d'y penser, j'en frissonne encore.

Est-ce que vous entendiez M. le Curé lui répondre ?

Oui. Il ne semblait pas ému. D'ailleurs, il ne répondait qu'en peu de mots, et avec beaucoup de calme. »




« Sur ces entrefaites, poursuivit Sœur Dosithée, je fus abordée par une personne qui me dit : « Ma Sœur, vous désirez sans doute parler à M. le Curé ? Dans ce cas, je crois devoir vous engager à ne pas l'attendre ici. Lorsqu'il y a trop de monde à sa porte, il a l'habitude de sortir par cette autre que je vais vous indiquer ». Je la suivis. Et c'est bien en effet par là que M. Vianney sortit.

Il me reconnut tout de suite. « Ma Sœur, me dit-il, vous n'êtes pas bien là où vous êtes. On va vous envoyer à La Roche-en-Brenil. Vous y serez bien au spirituel. » Sans plus réfléchir à cette prédiction, je lui demandai de prier pour moi et je lui tendis un louis de 20 francs pour qu'il célébrât des messes à mes intentions. « Oui, ma Sœur, me répondit-il, je dirai vos messes. » Il me salua et glissa les 20 francs dans une de ses poches. Il en avait une, paraît-il, où il mettait l'argent qu'il donnerait en aumônes dans la journée, et une autre où il déposait les honoraires des messes à célébrer.

Ensuite, M. Vianney se dirigea vers l'église. Mais il n'eut pas le temps d'en faire le tour en traversant le cimetière. Il lui fallut, bon gré, mal gré, retrouver la foule qui l'attendait. Les gens accouraient déjà à sa rencontre.

La première personne qui eut l'avantage de l'aborder était une mère de famille désolée de l'inconduite de son fils. « Si vous l'aviez mieux élevé, commença par dire le saint Curé, vous n'en seriez pas là. » Cependant il ne la laissa pas sur cette semonce méritée. Il lui donna des conseils, lui promit l'aide de ses prières et l'assura que Monique retrouverait Augustin.



Je pénétrai dans l'église sur les pas du saint, continua Sœur Dosithée. Déjà la nef et toutes les chapelles latérales, sauf celle dédiée à saint Jean-Baptiste, étaient combles. Et dans l'église il y avait un service d'ordre sévère. Par une habitude déjà vieille de plus de vingt ans, M. le Curé alla s'agenouiller devant le maître-autel, récita quelques Pater et Ave en alternant avec les pèlerins, puis, sans regarder personne, les yeux comme fermés aux choses de la terre, il se rendit à son confessionnal.

Au bout de peu de temps, il se fit tout un émoi dans l'assistance pressée, où bien des personnes attendaient depuis plusieurs jours peut-être la faveur d'être admises à l'audience du saint. Une religieuse venait d'entrer, l'air et le pas décidés, et qui prétendait forcer la consigne. Une dame surveillante vint vers elle et l'arrêta. « Il faut, dit-elle à haute voix, que je parle tout de suite à M. Vianney. »

Et cette religieuse, au milieu des murmures trop justifiés des pèlerins, bouscula la surveillante et fit si bien qu'elle parvint jusqu'à la chapelle de saint Jean-Baptiste... Je n'en revenais pas d'un tel sans-gêne, de tant d'audace. « Qu'est-ce que c'est qu'une religieuse pareille ? » pensai-je toute scandalisée. Et ce que je pensais, toute l'assistance, révoltée, le disait assez haut, et de différentes manières.

Quelques instants se passèrent. Le silence s'était rétabli dans l'église. Qu'allait-il arriver ? Je devinai que M. Vianney était sorti de son confessionnal. En effet, on entendit le bruit de sa voix. La conversation entre ces deux personnes que je ne voyais pas fut courte.

A notre grande surprise, nous revîmes cette religieuse si arrogante sortir de la chapelle la tête basse et l'air toute confuse. M. Vianney parut sur le degré, à l'entrée de la chapelle.

« Allez, disait-il sur un ton véhément, allez, et ne reparaissez plus dans cette église sous ce costume qui n'est pas le vôtre ! »

Ce fut pour nous tous, et spécialement pour moi, un vrai soulagement. Cette impertinente n'était donc pas une religieuse !

Le lendemain, j'étais encore à Ars. Je me trouvais à l'église quand je vis cette personne rentrer, mais dans un costume civil de coupe élégante. Pourtant quelle différence entre aujourd'hui et hier ! Aujourd'hui, j'avais devant moi une véritable pénitente. Elle avançait les mains jointes et les yeux baissés.

J'ai su depuis que c'était une actrice. Elle avait parié qu'elle viendrait bien à bout de tromper ce petit curé de campagne à qui l'on prêtait oh ! bien gratuitement et par naïveté, disait-elle un pouvoir de seconde vue. Et qu'est-ce qui fut attrapé ? Pas le Curé d'Ars, mais elle, la jolie actrice. Pour elle comme pour d'autres venus avant elle dans le village en curieux ou en moqueurs s'était réalisé le dicton : tel est pris qui croyait prendre ! Cette fille du démon je puis bien l'appeler ainsi se laissa cueillir dans les filets du bon Dieu. Car elle se confessa et se convertit tout de bon aux pieds du Curé d'Ars. »



*

* *



« Pour moi, en m'en revenant dans ma petite bourgade de Tart-le-Haut, je me mis à réfléchir à certaines paroles de l'homme de Dieu. Il m'avait prédit que je serais mieux à La Roche-en-Brenil. Je ne savais pas que nous avions une maison à la Roche. Je questionnai, l'air de rien, une de mes compagnes de voyage.

« Combien y a-t-il donc de religieuses dans notre maison de La Roche-en-Brenil ?

Notre maison de La Roche-en-Brenil ?... repartit ma compagne après un silence. Où avez-vous donc la tête aujourd'hui, ma Sœur Dosithée ?

Mais sur mes épaules, comme d'habitude, lui répondis-je en riant.


Cependant elle me regardait avec stupéfaction... Chemin faisant, nous parlâmes d'autre chose, et il ne fut plus question entre nous de La Roche-en-Brenil. Je pensai : j'aurai mal entendu ce que m'a dit le saint Curé d'Ars. Car, après ma guérison si évidemment miraculeuse et due à ses prières, je ne pouvais admettre qu'il m'eût fait une fausse prédiction.



Or, au mois d'août suivant, une lettre de mes supérieures m'annonçait que j'étais désignée pour une fondation d'école... à La Roche-en-Brenil ! Et même c'était moi qui recevais la première mon obédience pour cette œuvre où devaient travailler trois religieuses de notre Congrégation.

Que s'était-il donc passé ? Ceci. M. le comte de Montalembert le grand orateur catholique était allé visiter M. Vianney et lui avait demandé où trouver des institutrices pour ouvrir des écoles. « Les nouvelles Sœurs de Vitteaux, avait répondu le Curé d'Ars, feront votre affaire. »

Mais comment M. Vianney pouvait-il prévoir que je serais envoyée dans une nouvelle école, à celle de La Roche-en-Brenil, et que j'y serais bien au spirituel ? C'est justement en cela que consistait cette prophétie où longtemps je n'avais vu que du feu.

A La Roche-en-Brenil, M. le Curé, très bon, se montra tout dévoué pour nous. Dès la rentrée, nous eûmes plus de deux cents élèves, dont cinquante à soixante petites filles de l'hospice. Beaucoup de ces enfants étaient de la dernière ignorance. N'ayant jamais vu de religieuses, plusieurs en nous parlant, les premiers jours, nous appelaient monsieur !

Mais cela changea vite. Nous eûmes bientôt, de la part de nos élèves, de douces consolations. Mme de Montalembert, si distinguée, si charitable, fit d'abord la classe avec nous. Grâce à de belles récompenses, elle sut établir une grande émulation parmi tout notre petit monde. La population nous montra bientôt une véritable sympathie. Je me sentais moi-même heureuse, comme portée par la grâce.

Et j'étais vaillante de corps et de cœur. Oh ! Les beaux jours de La Roche-en-Brenil !... Que de tout cela Dieu soit béni et son grand serviteur d'Ars, remercié ! »



*

* *



Ainsi s'acheva dans la soirée du dimanche 25 janvier 1914 le récit de la bonne Sœur Dosithée que M. le chanoine Billard, aumônier de Vitteaux, a bien voulu recueillir en deux fois. La seconde fois (4 décembre 1926), le digne aumônier, qui « a depuis l'enfance un faible pour le Curé d'Ars qu'il invoque tous les jours », déclarait avoir gardé une si vive impression des confidences de la vénérée religieuse qu'il les retrouvait, après douze années, intactes dans sa mémoire.



Ce récit devait être d'ailleurs comme le « chant du cygne » de Sœur Dosithée. Aveugle depuis longtemps déjà, mais d'esprit toujours très lucide, elle faisait, par sa prière continuelle, l'édification de sa communauté : son grand bonheur, sa joie unique, aurait-on pu dire, était de se tenir en la présence du Saint-Sacrement. Elle demeurait chaque jour de longues heures à la chapelle.

Sœur Dosithée s'alita pour ne plus se relever dans la semaine qui suivit l'entretien qu'on vient de lire. Elle mourait, dans la quatre-vingt-neuvième année de son âge, le 11 février 1914.


A suivre...
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Message  Monique Lun 02 Aoû 2021, 9:04 am

XXVII



Une future Supérieure Générale



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Fille d'un riche armateur, Mlle Victorine Morgera avait passé son enfance à Naples, sa jeunesse à Marseille, où elle suivait les cours du pensionnat Saint-Joseph. Elle désira se faire religieuse, mais se heurta au refus formel de son père. Seule pour lutter, elle ne savait que devenir, lorsque la pensée lui vint, un jour de 1858, de consulter le Curé d'Ars. M. Morgera ne s'opposa pas au voyage ; cependant il n'accorda à sa fille que le temps nécessaire. « Pourvu que je puisse voir ce bon saint une minute, songeait-elle, cela suffira. » Elle ne croyait pas penser si juste.



Elle réussit à l'approcher dès son arrivée, alors qu'il se rendait de l'église à la cure. M. Vianney regarda cette enfant et sembla lire dans ses yeux. Elle n'eut pas le temps de lui dire un mot.

« Entrez chez les Sœurs de Saint-Joseph, lui jeta-t-il en passant. Elles auront besoin de vous. »

Mlle Morgera ne le revit plus. Mais elle s'éloigna pleine de confiance et tout à fait résolue à brusquer les choses, s'il le fallait.

Elle n'en eut pas besoin, car son père s'inclina en chrétien qu'il était devant la décision du Curé d'Ars. Peu après son pèlerinage, Victorine entrait au noviciat où elle devenait Sœur Marie-Angèle.



En 1902, l'année noire pour tant de religieuses enseignantes, la Congrégation de Saint-Joseph faillit être emportée dans la tourmente. Mais celle à qui saint Jean-Marie Vianney avait prédit quarante-quatre ans plus tôt qu'un jour les Sœurs de Saint-Joseph auraient besoin d'elle se trouvait à la barre comme Supérieure Générale. La barque ne sombra pas. Pour défier l'orage et le vaincre, il n'avait pas moins fallu que la fermeté sereine, l'intelligence hors ligne, l'invincible confiance en Dieu, jointes à la connaissance des affaires et aux relations étendues, de la Révérende Mère Marie-Angèle. (1)


------------



(1) Ces détails ont été communiqués, le 4 août 1926,à M. le chanoine Louis Joly par Mme Gaillard, de Drom (Ain), qui les tenait directement de Mère Marie Angèle dont elle avait été l'élève, en 1880, au premier pensionnat des Sœurs de Saint-Joseph à Bourg.


A suivre...
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Message  Monique Mar 03 Aoû 2021, 7:50 am

XXVIII



D'une mère qui, sans le vouloir, mit sa fille au couvent


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Une demoiselle N. M. que M. le chanoine Ball n'a pas désignée de façon plus claire  était fille unique. Créature charmante, elle faisait la joie de ses parents, l'objet de toute leur tendresse. Et comme la famille n'était pas sans fortune, les meilleurs partis de Saint-Bonnet-de-Tussieux, le village de l'Isère où Mlle N. M. avait vu le jour, se disputaient sa main. Seulement, elle ne savait sur lequel arrêter son choix. Elle désirait bien faire, la chère enfant, et connaître sur son avenir la volonté de Dieu ; aussi, tout naturellement, finit-elle par songer à l'interprète visible de cette volonté, le Curé d'Ars.

Le voyage était long, mais il valait la peine.

Tombée aux pieds de l'homme de Dieu, elle lui ouvrit candidement son cœur.

« Mon Père, vous voyez mes incertitudes. Veuillez me dire, je vous prie, quel est parmi tous ces partis qui se présentent celui que Dieu m'a réservé.

Aucun de ces partis n'est fait pour vous, mon enfant.

Aucun, mon Père ?

Vous avez 20.000 francs de dot, et ces jeunes gens n'en ont pas autant. Attendez, mon enfant, et vous ne tarderez pas à rencontrer un époux bien digne de vous. »




Mlle N. M. accueillit docilement la décision du Curé d'Ars. Un seul détail avait suffi d'ailleurs pour asseoir sa conviction : dans ses confidences au serviteur de Dieu, aucune allusion à la fortune paternelle, ni à la dot promise... et cette somme de 20.000 francs dont parlait tout bonnement le saint était précisément celle que ses parents lui destinaient !...

Tout d'abord, elle ne vit dans le conseil rien de bien extraordinaire. Elle repartit le cœur en paix. Après tout, elle n'aurait qu'à attendre : la prédiction s'accomplirait.

Or elle était loin de soupçonner le sens véritable de l'oracle. Elle roulait encore sur la route de Saint-Bonnet lorsque soudain elle sentit s'opérer dans son âme une révolution étrange : il lui semblait que toutes ses inclinations étaient changées. Les toilettes qu'elle aimait et qu'elle portait si bien ? Vanité que tout cela. Les plaisirs ? Fumée et désenchantement. Un établissement dans le monde ? Quelle source de dissipation et de tristesse ! Pourrait-elle y remplir selon ses vœux, ses devoirs de religion ?... Oh ! La solitude, le recueillement, la prière !... Oh ! Le cloître !...



La jeune fille est rentrée à la maison. Elle est toujours l'enfant douce, empressée, souriante que sa mère a connue... Et pourtant elle est méconnaissable ! Elle abandonne ses parures préférées, elle surpasse par son assiduité à l'église les paroissiennes les plus dévotes. Qu'est-ce à dire ? Et ces pauvres soupirants dont il n'est plus question !... Décidément, le voyage d'Ars a troublé la tête de cette enfant !...

Enfin, quelle stupeur, quel chagrin, lorsque, n'en pouvant plus de son secret, Mlle N. M. révéla tout à son père et à sa mère ! Elle avait renoncé, leur déclara-t-elle, à tout projet de mariage... Point d'époux hors de Celui qui pourrait la rendre heureuse éternellement.

« Toi religieuse ! s'écriait la mère... Toi perdue pour nous !... Ah ! Cela, jamais !... Choisis tel fiancé qu'il te plaira ; soit, nous l'acceptons d'avance... Nous te défendons de penser à autre chose !... »



La lutte entre les parents et cette fille chérie dura des semaines. Des deux côtés, on demeurait irréductible. Un jour enfin, la mère eut une inspiration géniale : ah ! c'était le Curé d'Ars qui avait mis cette idée-là dans la tête de sa fille, eh bien, c'est lui qui l'en arracherait !

Elle part seule pour Ars, aborde en effet M. le Curé, lui expose, avec l'éloquence du désespoir, que son enfant n'est point faite pour la vie du cloître, que certainement il y a erreur, etc.

« Eh quoi ! ma bonne, se contenta de répondre le saint avec un sourire entendu, vous venez me demander d'enlever à votre fille la pensée de se faire religieuse, et c'est vous-même qui devez la conduire au couvent ! »

L'entretien se termina sur ces mots. La dame, qui s'était agenouillée au confessionnal, se releva indignée. C'est là, ronchonnait-elle, cet homme que l'on considère comme un prophète ! En vérité, il peut annoncer d'autres événements que celui-là s'il veut qu'ils s'accomplissent ! Il prédit que je conduirai ma fille au couvent, moi !... »




A Saint-Bonnet-de-Tussieux, quelques semaines se passent encore. Rien n'a changé dans les dispositions de la jeune fille, rien non plus dans l'opposition de ses parents. Il faut pourtant que cela finisse ! Mais voici qu'une nouvelle combinaison a germé dans le cerveau inventif de la mère. Eh ! Mon Dieu, qui s'en étonnerait ? Cette mère, aveuglée par une affection trop naturelle, juge des choses d'après son cœur. Seulement, selon le mot de l'Évangile, « les païens n'agissent pas d'autre manière ». Cette mère qui se déclare chrétienne ne l'est pas assez encore. Sa foi va grandir par le sacrifice.

Elle s'était dit : cette enfant a d'abord songé au mariage, puis elle n'en a plus voulu. On lui a mis en  tête de se faire religieuse ; elle ignore ce qu'est le cloître ; mais qu'elle le voie de près, qu'elle s'y enferme !... Dans quinze jours, elle sera heureuse d'en sortir !... Déjà la mère semblait avoir oublié la prophétie de M. Vianney.

Cet aller... puis ce retour ! Ce serait parfait. Le père trouva l'idée fort ingénieuse ; la jeune fille, à part soi, ne pensa qu'à l'aller et jugea excellente cette première partie du plan. Tout le monde était donc content, et le départ du foyer n'eut rien de dramatique.

La mère, là-bas, quitta sa fille avec un courageux « au revoir ! ». Elle la reprendrait bientôt, guérie complètement de ses folles idées !...



La jeune fille ne revint jamais.

L'étrange prédiction du Curé d'Ars s'était réalisée tout entière. La mère s'en ressouvint plus tard, et reconnaissant là une sagesse supérieure qui mène à son but suavement et fortement toute vie et toute chose, elle acquiesça à la divine volonté, elle adora la main qui amoureusement lui avait ravi cette fille unique. D'ailleurs, la chère enfant se disait heureuse de son choix et comblée dans ses désirs. (1)


------------



(1) « Cette relation, conclut M. Ball, a été faite par Mme la comtesse de Saint-Cyr, domiciliée dans sa propriété à Saint-Bonnet-de-Tussieux. Elle la certifie conforme à la vérité. » (Documents, N° 65)


A suivre...
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Message  Monique Mer 04 Aoû 2021, 9:28 am

Sixième partie : ÉVÉNEMENTS DIVERS


*
**




I



Pie IX et Napoléon III


Les extraits de lettre qui vont suivre nous montreront comment le Curé d'Ars, qui ne lisait point les gazettes, qui humainement se trouvait fort peu au courant des affaires de ce bas monde, confiné qu'il était dans son confessionnal, a porté sur les hommes et sur les choses des appréciations d'une impeccable justesse. Là encore, il nous apparaît éclairé et guidé par une lumière supraterrestre.

Il s'agit dans ces extraits du pape et de l'empereur.

Pie IX, prisonnier de la révolution entre les murs de son palais du Quirinal, s'en était enfui, habillé en simple prêtre, dans la voiture de l'ambassadeur de Bavière, le 24 novembre 1848. Accueilli filialement à Gaëte par Ferdinand II, roi de Naples, il ne devait revenir à Rome que le 12 avril 1850. Cependant, en France, les langues allaient leur train : comme toujours, beaucoup jugeaient le Souverain Pontife selon leurs opinions préconçues ou leurs passions. Que la parole du saint Curé d'Ars n'a-t-elle retenti alors plus haut et plus loin !

Quant à Napoléon III, qui n'était encore à cette époque-là que le « prince-président » Louis-Napoléon, il était provisoirement en faveur - M. de Maubou nous dira tout à l'heure pourquoi. Mais saint Jean-Marie Vianney, on le verra, ne s'y laissait pas prendre. Il ne pouvait qu'approuver évidemment l'heureuse détente qui suivit l'accès au pouvoir du futur empereur ; mais de loin, perçant cette âme indécise et trouble, il prophétisait ce que la politique ferait d'un chef d'État qui eût réalisé de nobles desseins, s'il avait eu le courage de regarder plus haut que la politique.



*

* *



...En 1849, pendant que le grand pape Pie IX était en exil à Gaëte, je me trouvais à Ars en visite auprès du vénérable Curé.

Un Espagnol âgé, qui avait occupé une position assez élevée auprès de don Carlos, lorsque ce prince, après la mort de Ferdinand VII, fit la guerre pour monter sur le trône d'Espagne, m'accosta un jour et ensemble nous fîmes une promenade solitaire à une distance assez éloignée de l'église d'Ars.

Pendant cette promenade, l'Espagnol se mit à récriminer avec une sorte de violence contre le Saint-Père qui avait accordé certaines libertés à son peuple au moment de son exaltation au trône pontifical. Je ne partageai pas ses idées, et après une heure environ de promenade nous nous séparâmes.

Pendant ce temps, M. Vianney n'était pas sorti de l'église, tantôt en chaire pour le catéchisme, tantôt dans son confessionnal qui était entouré d'une multitude de femmes : c'était avant midi, dans les instants qui leur étaient plus spécialement consacrés. Il avait donc été absolument impossible à M. le Curé ni de nous voir, ni d'entendre notre conversation, ni d'en avoir la moindre connaissance par qui que ce fût.

Or, un moment après midi et lorsqu'il venait de prendre son petit repas, j'eus le bonheur de le rencontrer près de l'église. Après l'échange de quelques mots, il s'arrêta brusquement et me dit ces paroles qui ne se sont jamais échappées de ma mémoire :

« Ô mon ami, combien les voies des hommes sont différentes des voies de Dieu ! On vous a dit ce matin que le Saint-Père, de retour à Rome, devrait déposer la puissance pontificale. Eh bien, vous le verrez, vous, Pie IX sera l'un des plus grands papes qui aient gouverné l'Église. »

La même année, je fis une autre visite au bon Curé pour lui demander conseil sur une détermination que j'avais à prendre. J'étais sollicité pour une position d'une certaine importance dans le gouvernement que le président de la République Louis-Napoléon organisait alors.

Le président venait de rendre le Panthéon au culte catholique ; il avait appelé M. de Falloux au ministère de l'Instruction publique : il avait nommé une commission pour préparer la grande loi sur la liberté d'enseignement. Louis-Napoléon paraissait donc vouloir établir un gouvernement véritablement catholique.

Je demandai à M. Vianney sa pensée sur la proposition qui m'était faite. Après m'avoir écouté avec une bienveillance marquée, il s'arrêta un instant, les yeux baissés vers la terre, comme pour s'inspirer par la réflexion ou, peut-être, par la prière. Tout à coup il se tourne vers moi, et d'un ton assuré :

« Non, non, mon ami, n'acceptez aucun emploi du nouveau gouvernement. Louis-Napoléon sera un jour un adversaire de l'Église. »

Ce qui arriva plus tard me fit comprendre sans peine que ces paroles du Curé d'Ars avaient été des paroles prophétiques. (1)


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(1) D'une lettre adressée à M. le chanoine Ball, 8 septembre 1878


A suivre...
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Message  Monique Jeu 05 Aoû 2021, 7:41 am

II



Pour recevoir M. l'Inspecteur


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Un pénitent agréablement surpris, ce fut M. Godfert, instituteur à Bourg-Saint-Christophe, dans l'Ain. La veille de l'Ascension de 1855 ou de 1856, il attendait son tour pour se présenter au confessionnal de M. Vianney et il s'en trouvait loin encore, car une trentaine d'hommes le précédaient, assis soit dans les stalles soit sur les bancs disposés dans le chœur lorsque M. Vianney, sortant de la sacristie aujourd'hui disparue qui s'ouvrait directement dans le sanctuaire du côté de l'évangile, lui fit signe de se présenter immédiatement. M. Godfert se hâta d'obéir.

Il se confessa, mais ce fut pour s'entendre dire ensuite : « Mon enfant, vous reviendrez demain après les vêpres ». M. Godfert ne protesta pas : on ne proteste pas contre la décision d'un saint. A l'heure fixée, il se retrouvait aux genoux de M. Vianney, qui, cette fois, lui donna l'absolution. Puis, sur un ton d'insistance : « Mon enfant, repartez chez vous dès demain ».

Ayant confié à sa femme le soin de ses écoliers ils n'étaient pas bien nombreux, les écoliers de Bourg-Saint-Christophe M. Godfert avait pensé ne rentrer que le samedi soir... N'était-il arrivé rien de fâcheux à la maison ? Assez inquiet, l'instituteur s'éloigna d'Ars dès le vendredi matin. Il parcourut le plus rapidement qu'il put les dix lieues qui le séparaient de son école.

« Que s'est-il passé en mon absence ? demanda-t-il bien vite à son épouse.

Mais rien que je sache, répondit Mme Godfert.

Alors, qu'a voulu dire le Curé d'Ars ?... »


M. Godfert raconta l'histoire. Ni lui ni sa femme n'y comprenaient rien.



Le lendemain, tout s'expliqua. Dès sept heures du matin, survenait M. l'Inspecteur d'Académie, « en tournée des écoles ». M. Godfert le reçut avec assurance. Les élèves une fois en classe, l'inspection se fit selon le rite habituel.

M. l'inspecteur se déclara très satisfait...

Mais quel soupir de soulagement s'échappa des lèvres de M. Godfert, lorsque la berline de son chef hiérarchique eut disparu au tournant de la route !... Notre pèlerin d'Ars était allé là-bas sans demander le congé nécessaire. Qu'en eût-il été s'il était revenu à Bourg-Saint-Christophe seulement dans la soirée du samedi ? Le Curé d'Ars heureusement en savait plus long que le brave instituteur.

Bien entendu, M. et Mme Godfert ne firent pas confidence de l'aventure. Seulement, le 29 avril 1878, ils vinrent ensemble à Ars, alors qu'ils habitaient non loin, à Monthieux, et ils racontèrent le fait à M. le chanoine Ball, qui s'empressa d'en noter tous les détails. (1)


------------


(1) Documents, N° 33


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Message  Monique Ven 06 Aoû 2021, 8:39 am

III



La pouponne en nourrice



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En mai 1858, Mme Godfert, dont le mari était toujours instituteur à Bourg-Saint-Christophe, désira consacrer quelques jours à une sérieuse retraite où elle ferait une revue de toute sa vie. Mais voilà qu'à l'heure de se mettre en route, elle apprit que sa petite, une enfant de sept mois qui était en nourrice, allait lui être rendue. Son mari l'engagea à partir quand même.



Or, dès son arrivée dans Ars, une vive inquiétude la saisit : n'allait-on pas rapporter la pouponne pendant son absence ? Le plus simple encore, en pareil cas, était de consulter M. Vianney. Mme Godfert se mit sur son passage.

« Mon Père, lui demanda-t-elle, puis-je être tranquille ? Puis-je rester un peu ici ? Ne va-t-on pas me rendre mon enfant.... ? »

Elle n'eut pas le temps d'expliquer que la petite se trouvait en nourrice et qu'il était question de l'en ramener. Le saint Curé lui répondit avec une calme assurance :

« Non, mon enfant, pas encore, vous pouvez être tranquille ; dans quelques jours seulement on vous la rapportera ».



Pleinement confiante dans cette parole, la jeune maman prit tout le temps désirable pour satisfaire sa dévotion. Le nourrisson ne revint à Bourg-Saint-Christophe que huit jours plus tard.

Et c'est en présence de cette petite, alors bien grandie puisqu'elle avait vingt ans, que, le 29 avril 1878, Mme Godfert fit à M. le chanoine Ball le récit de la charmante aventure. (1)


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(1) Documents, N° 35


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Message  Monique Sam 07 Aoû 2021, 7:53 am


IV



Le « bon » numéro et le « mauvais »


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En France, les femmes ne sont pas moins patriotes que les hommes, c'est entendu ; mais généralement les mères ne voient pas sans appréhension ni chagrin leurs grands fils entrer à la caserne : elles pressentent qu'il y a là plus d'un danger pour le corps et pour l'âme. Donc rien d'étonnant qu'au temps jadis ces expressions : un bon numéro, un mauvais numéro, aient été créées par des mamans inquiètes. Un bon numéro, c'était celui qui gardait le fils à sa famille ; le mauvais l'en éloignait pour sept ans. Il se cachait là-dessous autant d'égoïsme qu'on voudra, mais, en vérité, on s'explique assez bien qu'à l'époque où le sort désignait les futurs soldats, beaucoup de mamans, pour ne pas dire toutes, fissent des vœux pour la négative.

Et c'était bien le cas de cette bonne dame Guilhermet, née Adrienne Berthier, une Lyonnaise, dont le fils atteignait l'âge de la conscription.

Peut-être avait-elle des raisons spéciales de s'inquiéter ; bref elle prit, un jour de 1856, la route du village d'Ars.

« Mon fils Georges sera-t-il soldat ? » demanda-t-elle au saint Curé.

M. Vianney, dans l'occurrence, n'avait pas à se prononcer sur la question du service militaire, mais sur ce simple fait particulier : en cette année 1856, le jeune Georges Guilhermet va-t-il, ou non, entrer à la caserne ?

« Allez en paix, répondit le saint d'un ton assuré, votre fils ne sera pas soldat. »

Georges tira au sort le numéro 261, que Mme Guilhermet trouva non seulement bon, mais très bon, puisqu'il exemptait son « chéri ». (1)



*

* *



Mme Cinier, d'Ars, n'eut pas autant de bonheur. Écoutons M. le chanoine Ball nous conter le fait :



Lorsque Antoine Cinier fut arrivé à l'âge de la conscription, sa mère alla trouver M. Vianney et lui offrit l'honoraire d'une messe afin que son fils tirât un bon numéro et fût exempté du service militaire. M. le Curé répondit avec la plus grande assurance :

« Mère Cinier, faites tout ce que vous voudrez. Votre fils attrapera le sort ».

Ce qui voulait dire en langage du pays : il tirera un mauvais numéro.

Prédiction qui fut réalisée à la lettre, comme toute la famille Cinier peut en rendre témoignage. (2)


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(1) Documents BALL, N° 69 (témoignage de Georges Guilhermet lui-même, 19 octobre 1879)

(2) Documents, N° 25


A suivre...
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Message  Monique Dim 08 Aoû 2021, 8:47 am

V



Des candidats qui ont de la chance



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M. le chanoine Billard, aumônier des Sœurs de la Providence de Vitteaux, dans la Côte-d'Or, qui est un fidèle et grand ami d'Ars, adressait à Mgr Convert, le 27 avril 1921, le récit qui, à son sentiment, « n'a rien que de très ordinaire pour Ars », mais qui pour nous est aussi intéressant qu'extraordinaire.



*

* *



J'ai reçu aujourd'hui la visite d'une dame respectable de Vitteaux et de ses deux filles, qui m'ont fait connaître le fait suivant dont a été l'objet l'un des membres de leur parenté.

C'était en 1857 ou 1858. M. G..., receveur de l'enregistrement à Autun, avait l'un de ses fils au petit séminaire de cette ville. Le jeune homme se préparait à passer son baccalauréat. Or, vu son peu d'assiduité au travail ou quelque autre défectuosité dans ses études, il n'était rien moins que rassuré sur le succès de son examen, dont la réussite pourtant lui était nécessaire pour la carrière qu'il rêvait.

Le père, anxieux plus encore peut-être que le fils, à qui il avait fait, pendant un an, donner des leçons spéciales par l'un des directeurs de la maison, résolut, dans sa foi de chrétien, de faire le voyage d'Ars, uniquement pour demander à M. Vianney, dont le pouvoir sur le cœur de Dieu était devenu proverbial, de réciter une prière pour le succès de l'examen.

Il s'était fait accompagner de son épouse. Ils trouvèrent l'église comble. Impossible, cette première journée, de pouvoir aborder M. le Curé. La journée du lendemain s'écoulait et la file des pénitents qui devaient les précéder leur paraissait interminable. M. le Receveur ne pouvait pas rester un jour de plus : il lui fallait, le jour suivant, se tenir à son bureau. Aurait-il le crève-cœur de s'en revenir sans avoir dit au saint Curé le mot qui lui brûlait les lèvres et qui, lui semblait-il, aurait dissipé ses angoisses ? Mais non, sa foi ne devait pas rester sans récompense.

Voici que, à l'heure où l'insuccès de sa démarche lui paraissait définitif, passe près de lui le sacristain ou celui qu'il regarde comme tel. Il le saisit par son vêtement, lui dit que, depuis deux jours, il s'efforce en vain de parler à M. le Curé, que sa femme et lui sont obligés de repartir sans attendre davantage, avec la tristesse de n'avoir pu lui exposer l'objet de leur requête. Celui-ci lui répond que M. le Curé est débordé et que chacun doit passer à son tour. « Mais ne voudriez-vous pas lui demander pour moi seulement un instant d'entretien ? » L'air et le ton suppliant de cet homme inconnu, tout décontenancé de l'inutilité de son voyage, émeuvent son interlocuteur : « Je veux bien essayer », réplique-t-il. Et il s'en va vers le confessionnal de M. Vianney.

Quelques instants s'écoulent ; le messager reparaît. S'approchant de M. G... perplexe, il lui rend ce compte sommaire de sa mission :

« Votre fils sera reçu et tous les élèves du petit séminaire avec lui. C'est tout ce que m'a chargé de vous dire M. le Curé ».

Ébahissement du père :

« Mais M. le Curé ignore ce que j'avais à lui dire.

Oh ! M. le Curé n'a pas besoin de toutes ces explications. »




Il est facile de deviner les émotions du retour. Elles ne firent que s'accroître, ainsi que la vénération pour le grand serviteur de Dieu, qui n'avait plus que quelques mois à passer sur cette terre avant de recueillir dans le ciel son immense poids de gloire, quand le succès fut constaté de tous les élèves présentés cette année au baccalauréat, sans aucune exception, par le petit séminaire d'Autun.



Tel est le récit que vient de me faire en la présence de ses deux filles Mme B..., cousine du jeune homme en question, et qui, par l'âge, ne doit pas être très distante de celui-ci, s'il vit encore.

Ce fait, assurément, n'a rien que de très ordinaire pour Ars, à cette époque où le miraculeux était pain quotidien. Il m'a semblé néanmoins qu'il aurait encore pour vous quelque intérêt et trouverait sa place dans votre collection des faits et gestes de votre saint prédécesseur. Je vous l'envoie tel quel et au courant de la plume. Si de quelque façon, un jour ou l'autre, il vous paraissait devoir édifier le public, je vous prierais seulement de taire le nom de la personne mise en scène qui a une descendance directe et qui n'a point été pressentie. C'est l'unique restriction qui m'ait été demandée.


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Message  Monique Lun 09 Aoû 2021, 7:10 am

VI



Soldat, sergent et sous-lieutenant



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Savoyard comme saint François de Sales, puisqu'il était de Pont-de-Beauvoisin, le bon Frère Athanase, avant d'entrer dans la congrégation de la Sainte-Famille, s'appelait Jacob Planche, mais son prénom, bien qu'israélite, désignait déjà un rude chrétien.

Il s'installa à Ars comme directeur de l'école le 10 mars 1849 et gagna, dès la première entrevue, les vives sympathies de M. Vianney.

Son frère, Jean-Baptiste Planche, servait alors comme simple soldat dans l'armée de Charles-Albert, roi de Piémont et Sardaigne. Et Charles-Albert était en guerre avec l'Autriche. Frère Athanase se hâta de recommander Jean-Baptiste aux prières du saint Curé. Celui-ci répondit sans hésitation :

« Soyez tranquille. Il ne partira pas. »

Vers la fin de mars, on apprenait que, le vendredi 23, il s'était livré à Novare une grande bataille, où les troupes sardes avaient été battues à plates coutures ; mais une lettre rassurante arrivait dans le même temps au Frère Athanase : le bataillon dont faisait partie Jean-Baptiste Manche était resté à Turin.



Lorsque, quatre ans plus tard, éclata la guerre entre les Russes et les Turcs, des contingents sardes, anglais et français s'en allèrent aider les « Fils du Prophète » évidemment, cela ne valait pas les Croisades ! Jean-Baptiste Planche, toujours sous les drapeaux, était devenu sergent.

« Monsieur le Curé, demanda le Frère Athanase à M. Vianney, ne prierez-vous pas cette fois encore pour Jean-Baptiste ? Cette expédition lointaine...

Il n'en sera pas »,
se contenta de répondre le serviteur de Dieu.

Cette prédiction se vérifia d'une façon d'autant plus frappante que le sergent Planche, ayant fait instance auprès de ses chefs pour obtenir de suivre son bataillon qui se préparait au départ, se vit retenir en Piémont comme... comptable militaire.



Quand donc pourrait-il donner du champ à ses ardeurs belliqueuses ? Le Frère Athanase n'avait pas été sans l'avertir que les prières du Curé d'Ars entravaient leur essor. Aussi, lorsque, en 1859, le Piémont, aidé de la France, soutint le choc contre l'Autriche, Jean-Baptiste Planche, devenu sous-lieutenant, demanda-t-il à son frère de ne pas faire prier cette fois M. Vianney : il voulait absolument, disait-il, « tâter de la guerre ».

Comme on le pense bien, le Frère Athanase ne se crut point tenu au secret. En accompagnant M. le Curé dans sa chambre après la prière du soir, il lui confia ses appréhensions. Le lendemain, à la sacristie, le saint bénit pour Jean-Baptiste une petite médaille d'argent.

« Tenez, dit-il au Frère Athanase qui était là présent pour le service des messes, envoyez-lui cette médaille. Il ne lui arrivera rien. »

Le sous-lieutenant prit part, en cette guerre d'Italie, aux combats les plus meurtriers. Tous les officiers de son régiment, à l'exception de sept, furent tués. Et lui, que protégeait la prière d'un grand ami de Dieu et que ne quitta pas un instant sa médaille d'Ars, il revint sain et sauf, sans la moindre blessure, de cette courte mais rude campagne. (1)


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(1) Documents BALL, N° 28.


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Message  Monique Mar 10 Aoû 2021, 8:26 am

VII



« Plaidez ! »



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Son merveilleux don d'intuition, le Curé d'Ars s'en est servi même pour des affaires toutes temporelles. Voici comment il conseilla une locataire expulsée. On remarquera avec quelle décision il permet à cette Lyonnaise de défendre son bon droit.

Nous avons retrouvé ce récit dans la volumineuse correspondance adressée à M. l'abbé Toccanier après la mort de son saint prédécesseur.



*

* *


Lyon, 20 février 1866



Monsieur,



Ne voulant pas vous laisser ignorer un miracle que le saint Curé d'Ars, M. Vianney, a fait en ma faveur, je viens vous en donner le détail.

Lorsque je restais rue Gentil, en 1857, je fus obligée de déménager pour cause de démolition, du temps que l'on construisait la Rue impériale.

J'avais un bail de trois ans à finir.

M. Poncet, l'entrepreneur, me fit offrir 100 francs d'indemnité. Ne sachant que faire, je pris le parti d'aller demander au saint Curé s'il fallait accepter un arrangement ou entreprendre un procès.

M. le Curé me répondit : « Ce n'est pas vous qui voulez plaider ? Vous avez un avocat ? ». Je lui dis que oui. Alors, il me répondit : « Point d'arrangement, plaidez. Vous y gagnerez ».

Ce que je fis. J'ai plaidé. J'ai gagné mon procès : on m'a donné 500 francs.

Je rendis grâces à Dieu d'avoir suivi le conseil du saint Curé.



Jeanne Achard,

Rue Lainerie, N° 16, Lyon


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Message  Monique Mer 11 Aoû 2021, 7:22 am

VIII



Trois prédictions pour un seul



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C'était un jour de 1854, vers midi. Un jeune homme et une jeune fille venus de La Voulte-sur-Rhône, dans l'Ardèche, se tenaient assis dans un coin de l'église d'Ars. Tous deux, frère et sœur, étaient las du long voyage. M. le Curé venait d'achever son catéchisme, et de nombreux pèlerins s'apprêtaient à courir vers l'étroit passage qui conduit au presbytère.

« Tâche donc de le voir là, dit la sœur à son frère. Moi, je t'attendrai ici. »

Dominique Métras se glissa à travers la foule et il eut la chance de ne pas être trop éloigné de M. Vianney, quand celui-ci, bénissant, consolant, encourageant, se dirigeait vers la porte de sa cure.

« Mon Père, interrogea-t-il, pensez-vous que je tirerai un bon numéro ? »

Un bon numéro était bien quelque chose d'intéressant pour un cœur que n'embrasait pas à fond l'amour des armes. Là encore, sans aborder la question de principe, le bon saint répondit avec commisération :

« Mon ami, si vous pouvez vous assurer, faites-le ».

Par ces paroles, M. Vianney pensait avertir Dominique d'avoir à se chercher un remplaçant, selon la coutume d'autrefois. Le Curé d'Ars lui-même n'avait-il pas fait ainsi, en 1809, dans le temps qu'il était appelé sous les drapeaux. Convaincu que le sort lui serait défavorable, Dominique avait hâte, la date du tirage au sort étant assez rapprochée, de repartir pour La Voulte-sur-Rhône. Et le saint ne voulait point retarder son départ. Dominique en eut immédiatement la preuve.



La foule vit avec étonnement M. Vianney revenir sur ses pas et rentrer à l'église. Personne ne lui avait parlé de Mlle Métras. Cependant il alla droit à elle, pour l'inviter à le suivre au confessionnal. Lorsqu'elle en sortit, elle était radieuse : les lumières surnaturelles que le serviteur de bleu venait de répandre dans son âme l'avaient emplie de paix et d'allégresse. En voyant sa sœur si heureuse, Dominique se sentit réconforté et consolé.

Le frère et la sœur quittèrent Ars le jour même.



Le tirage au sort eut lieu. La prédiction du saint se réalisa. Sur 125 conscrits le jeune Métras n'eut que le numéro 21. Bien portant et bien constitué d'ailleurs, pour lui pas d'illusion possible : il serait soldat de Napoléon III... s'il ne se payait pas un remplaçant. Il en trouva un, et demeura dans sa famille.



*

* *



Un peu plus tard, M. Dominique Métras partait pour Paris. Hélas ! Au mois d'octobre 1855, nous le retrouvons bien malade : atteint de la fièvre typhoïde, il est transporté à l'hospice de Lariboisière. Le cas déjà grave est bientôt désespéré. La famille prévenue, Mlle Métras vole près de son pauvre frère. Dominique ne la reconnaît pas. Dans une résolution soudaine, elle quitte Paris le lendemain même de son arrivée ; elle laisse là le moribond. Elle va vers le suprême espoir, Ars !

« Mon Père, dit-elle au saint Curé qu'elle est allée attendre là où Dominique l'abordait l'année précédente, mon Père, j'ai laissé mon plus jeune frère très malade... »

Elle n'eut pas le temps d'achever.

« Oui, mon enfant, répondit le saint, il a une maladie à perdre ou la vie ou l'esprit.

Ah ! il est perdu !

Non, mon enfant ; car la prière le sauvera : en vous en allant chez vous, vous ferez la communion à Notre-Dame de Fourvière. Je m'unirai d'intention. »




Quel bonheur ! Il vivrait donc ! Mlle Métras s'arrête à Lyon, monte à la chapelle de Fourvière, y communie et revient à La Voulte-sur-Rhône, où elle rassure sa famille angoissée.

Quatre jours ne s'étaient pas écoulés depuis son départ d'Ars qu'une lettre arrivait à La Voulte. L'adresse, d'une écriture tremblée, était de la main de Dominique. Il était sauvé ! Le mieux s'était produit à l'heure même où la jeune fille communiait à Fourvière et où sans doute le saint d'Ars unissait ses supplications aux siennes.



*

* *



Un an s'était passé. Le 15 novembre 1856, Dominique Métras s'embarquait pour Buenos-Ayres. Il se rendait à une concession située dans les terres de l'Argentine, à quelque cinquante lieues de la capitale. De là il lui serait extrêmement difficile de correspondre avec la France.

Dominique n'écrivit pas. Après neuf mois écoulés, Mme Métras, mourante d'inquiétude, délégua sa fille auprès de M. Vianney.

« Non, mon enfant, votre frère n'est pas mort, répondit en souriant le bon saint ; il se porte même très bien. Retournez vite chez vous pour rassurer votre famille. Vous direz à votre mère qu'avant peu elle recevra des nouvelles. »

Effectivement, quatorze jours plus tard, Mme Métras recevait une lettre que son fils s'était enfin décidé à écrire et qui, timbrée de Buenos-Ayres il y avait une quarantaine de jours, ramenait la joie dans tous les cœurs.

A cette époque, point de lignes télégraphiques sous-marines, point de câblogrammes capables de devancer le courrier postal. Le Curé d'Ars n'en avait pas moins vu et lu la petite lettre de Dominique cachée dans les flancs du grand voilier en route pour la France, et il en disait la teneur quatorze jours avant sa venue !



« Tous ces faits qui m'avaient été racontés sommairement à Ars en juin 1878, note M. le chanoine Ball, m'ont été détaillés et certifiés véritables par M. Dominique Métras lui-même dans une lettre datée du 19 juillet suivant. » (1)


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(1) Documents, N° 43


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Message  Monique Jeu 12 Aoû 2021, 8:35 am


IX



Elle et ses quatre filles



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Vers le milieu de 1859, c'est-à-dire quelques semaines seulement avant la mort de M. Vianney, Mme de Bourbon-Busset vint le consulter sur une question très épineuse, humainement insoluble. Le saint Curé trancha la difficulté comme en se jouant.

Ensuite, sans dire qui elle était, Mme de Bourbon-Busset dit simplement :

« Veuillez, mon Père, me bénir, ainsi que ma famille.

Oui, répondit le saint avec une bienveillance marquée, je vous bénis, vous et vos quatre filles. »


Vous et vos quatre filles ! Il y avait là plus d'intuitions différentes que de mots. En effet, dans le court entretien qu'elle venait d'avoir avec lui, Mme de Bourbon-Busset n'avait pas dit au Curé d'Ars qu'elle était mère, qu'elle restait veuve avec des enfants, que ces enfants étaient des filles et que ces filles étaient au nombre de quatre. Elle n'avait d'ailleurs parlé à personne dans le village où elle ne demeura que le temps nécessaire, et l'on n'avait pas pu renseigner M. Vianney à son sujet.

Elle vit toujours dans ce fait une vue surnaturelle évidente. Elle aimait à le conter. Bien des fois, son gendre, M. le comte de Chabrol, l'entendit de ses lèvres, et c'est lui qui, en septembre 1878, rencontrant à La Louvesc, près du tombeau de saint François Régis, M. le chanoine Ball, fournit à ce dernier les détails de ce récit. (1)


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(1) Documents, N° 70.


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Message  Monique Ven 13 Aoû 2021, 6:43 am

X



Spirituel et temporel



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M. Chamonard, briquetier à Saint-Romain-des-Iles (Saône-et-Loire), vivait éloigné des pratiques religieuses. Toutefois, souffrant beaucoup et n'y trouvant point de remède, il consentit après bien des instances à faire le voyage d'Ars en compagnie de sa femme. C'était en 1851. Mme Chamonard désirait depuis longtemps voir et entendre M. Vianney. Et le but principal de son pèlerinage, on le devine, serait la conversion plus encore que la guérison de son pauvre mari.

Ils arrivèrent dans le village à l'heure où M. le Curé commençait son catéchisme. Mal disposé, M. Chamonard refusa de suivre sa femme à l'église. Il demeura au bas des rampes. Mais, planté là comme un piquet, il se mit à songer que tout de même il manquait un spectacle curieux : tous ces badauds serrés autour d'un curé qui, à ce qu'on disait, opérait des prodiges. Bizarre état d'esprit ! M. Chamonard était venu chercher un soulagement à ses maux, et il n'avait pas confiance dans le thaumaturge !

Il prit donc le parti de monter à l'église. Il s'arrêta au bénitier, sans doute parce que la foule emplissait la nef, mais probablement ne désirait-il pas aller plus loin. En restant là, il reprendrait plus facilement la porte.

Or quelque chose survint, qui retint M. Chamonard dans l'église d'Ars plus de temps qu'il ne l'eût souhaité. A peine entré, M. Chamonard examine M. Vianney. De son côté, M. Vianney assis dans la chaire basse des catéchismes, darde son regard sur le nouveau venu, mais un regard si pénétrant, si impérieux qu'il le cloue à sa place. M. Chamonard se disposait à sortir. Impossible ! Comme magnétisé, il ne peut ni s'asseoir, ni s'agenouiller, ni remuer d'aucune manière.

Et voilà que, debout contre le bénitier, il s'est mis à suivre les explications du Curé d'Ars. Celui-ci, après l'avoir quitté des yeux, le dévisage encore. Cette fois, le regard du saint n'est plus chargé que d'un doux reproche. M. Chamonard a tressailli : une lumière inattendue vient de dissiper ses ténèbres ; il comprend l'indignité de sa vie, et aussi l'éminente sainteté de ce petit curé de campagne...



Le catéchisme est fini. M. Chamonard n'a pas quitté l'église. Quelle surprise pour sa femme de l'y retrouver ! Elle l'emmène sur le perron.

« Tu es donc venu au catéchisme, interroge-t-elle. Tu as entendu le Curé d'Ars ?

Oh ! répond M. Chamonard avec une sorte d'enthousiasme, non seulement je l'ai entendu, mais j'ai ressenti que ce n'est pas un homme ordinaire. »


M. Chamonard paraissait comme ébloui par cette lumière intérieure qui venait de le pénétrer jusqu'au fond de l'âme.

« Mais en ce cas, reprit la pieuse épouse, il faut voir M. le Curé de plus près et lui parler.

Oh ! Moi, lui parler ! Non, je n'en suis pas digne. Toi, si tu veux, parle-lui de moi ; demande-lui de prier pour ma guérison. »


Mme Chamonard obtint de s'agenouiller à la porte du confessionnal sans y entrer. Là elle se contenta de recommander à M. Vianney la santé de son mari. Le saint Curé, qui, humainement, ne pouvait savoir si cet étranger de passage était le même qu'il avait vu à son catéchisme, ni connaître l'état de sa conscience, non plus que les préoccupations intimes de son épouse, répondit aussitôt à la femme agenouillée :

« Oh ! Les douleurs ne sont pas le plus gros. Il faudrait d'abord guérir l'âme... Mon enfant, vous avez entrepris une mission qui ne fait que commencer. »



*

* *



Au retour d'Ars, M. Chamonard fut soulagé de ses douleurs. Mais quatre ans plus tard, une tumeur le fit beaucoup souffrir et le força même à s'aliter des journées entières.

Un jour que sa femme entrait dans sa chambre, il lui dit avec émotion : « Oh ! Que tu es donc restée longtemps sans venir ! Si tu étais venue plus tôt, tu aurais vu le Curé d'Ars. Il était là il n'y a qu'un instant. (1). Il faudra bien que je retourne là-bas.

Mais tu as rêvé, mon ami, répliqua Mme Chamonard.

Du tout. J'étais bien éveillé... Je dors si peu d'ailleurs !... Oui, il faudra que nous retournions là-bas.

Eh bien, soit ! Nous irons à Ars, promit Mme Chamonard, mais un peu plus tard : tu es trop fatigué à présent.

Oh ! reprit le malade, dès que je me sentirai un peu mieux, nous irons. »


Trois semaines s'écoulèrent, pendant lesquelles M. Chamonard ne cessa de parler d'Ars. On était au début d'octobre. Le malade ne souffrait guère moins et l'arrière-saison s'annonçait brumeuse et froide. Enfin Mme Chamonard céda.

L'avant-veille de la Toussaint lundi 30 octobre 1855 les deux pèlerins revoyaient le village d'Ars. Malgré son état de faiblesse, M. Chamonard voulut coûte que coûte assister au catéchisme du saint. Cette fois-ci encore, comme il y avait quatre ans, demeuré au fond de l'église, il écoutait avidement cette parole qui lui paraissait plus qu'humaine.

Or, à peine descendu de la petite chaire, M. Vianney, au lieu d'aller soit au confessionnal, soit à la cure, se dirigea tout droit vers le pauvre malade. La tumeur qui le minait avait rendu M. Chamonard méconnaissable ; mais le saint Curé, qui ne l'avait vu qu'une seule fois, de loin, et depuis des années, savait que c'était lui. Lui prenant la main d'un geste affectueux :

« Eh bien, mon ami, lui disait-il, vous revoilà ! ». Puis, sans desserrer sa douce étreinte, il le mena à la sacristie.

« Nous sommes venu pour faire une bonne confession, lui suggéra l'homme de Dieu. C'est convenu, n'est-ce pas ? »

Et, avec sa délicieuse charité, il expliqua au malade que, chaque jour, il viendrait le prendre ainsi dans l'église pour le conduire au confessionnal, et qu'il lui donnerait tout le temps de se bien confesser.

M. Chamonard comptait, d'après les dires de M. Vianney, recevoir l'absolution le samedi afin de pouvoir communier le dimanche. Mais voilà que, dès le jeudi, jour des Morts, M. Vianney changea d'avis.

« C'est aujourd'hui, déclara le Curé d'Ars, que vous allez terminer votre confession. Il faut rentrer chez vous tout de suite ; des affaires pressantes l'exigent. »

Et, le lendemain matin, bien avant sa messe, il fit communier M. et Mme Chamonard pour leur permettre de repartir au plus tôt.



Dès leur retour à Saint-Romain-des-Iles, les époux Chamonard durent parer à de graves difficultés qui sans doute fussent devenues insurmontables par le fait d'une plus longue absence. Or cela, M. Vianney n'avait pu le prévoir qu'inspiré d'En-Haut.

M. Chamonard en demeura frappé. Pendant les six mois qu'il vécut encore, il ne tarissait pas d'éloges sur le Curé d'Ars qu'il regardait non seulement comme un homme extraordinaire, mais comme « une intelligence descendue du ciel » ainsi s'exprime M. Ball en son rapport très circonstancié. Il en parla de la sorte jusqu'à sa mort, qui fut celle d'un prédestiné.



*

* *


Privée de son mari, Mme Chamonard envisagea l'avenir avec épouvante. Comment dirigerait-elle, sans être conseillée, sa maison de commerce ? La longue maladie de M. Chamonard n'avait pas rendu les affaires bien brillantes. Et la veuve ne comptait guère sur l'aide de sa famille pour élever ses deux enfants, âgés l'un de neuf ans, l'autre de six... Enfin, à présent, elle trouvait si grand, si vide, ce logis où son pauvre mari était mort et dont une partie allait demeurer inhabitée ! Non, elle ne pourrait vivre au milieu de si douloureux souvenirs ! Mme Chamonard songea bientôt à quitter Saint-Romain pour Mâcon, où l'éducation de ses enfants se ferait du reste en des conditions meilleures.

Cependant, avant de prendre une décision définitive, elle voulut consulter une fois encore le Curé d'Ars. Ah ! Ce prêtre, il n'avait pas les courtes vues du commun des hommes ! Il guiderait une mère malheureuse au milieu de ses perplexités.



Six mois environ après le décès de son mari, en octobre ou en novembre 1856, Mme Chamonard revenait donc vers le saint d'Ars. Elle ne put arriver au village qu'à la tombée de la nuit. Évidemment, elle ne pourrait parler le soir même à M. Vianney. Toutefois, comme un certain nombre de personnes, malgré l'heure tardive, se plaçaient entre l'église et la cure afin de le saluer à son passage, Mme Chamonard se joignit à elles.

Et en sortant de l'église, le serviteur de Dieu, qui ne savait rien de son voyage, l'appela, et, pour lui parler plus à loisir, il la fit entrer dans la cour du presbytère. Mme Chamonard lui confia ses chagrins, ses ennuis, ses projets d'avenir.

« Non, non, répondit M. Vianney avec fermeté, je ne veux pas que vous quittiez Saint-Romain. Vous resterez là. Votre maison est destinée à devenir une grande maison de commerce. Vos enfants vous aideront et feront votre consolation. »

Puis, lui ayant souhaité une bonne nuit, il la congédia.

Inquiète encore malgré de si réconfortantes paroles, Mme Chamonard eut une entrevue nouvelle avec le saint Curé. Il la retrouvait toute en larmes.

« Oh ! c'est inutile de vous faire du chagrin, lui dit-il suavement. Je viens de devant mon crucifix : c'est la volonté de Dieu que vous restiez dans votre maison avec vos enfants. Et contre la volonté de Dieu il n'y a rien à faire. »



De retour à Saint-Romain-des-Iles, Mme Chamonard se mit courageusement à l'œuvre. « Si M. le Curé vous a parlé ainsi, lui avait affirmé la personne chez qui elle logeait à Ars, soyez sans crainte : il en sera comme il l'a dit. Obéissez. »

Elle obéissait, et s'en trouva bien.

Ses enfants en grandissant firent sa consolation. Après quelques temps de veuvage, elle épousa un véritable homme de bien, M. Genairon, qui fit grandement prospérer ses affaires par l'installation, à côté de la tuilerie, d'une importante scierie mécanique. Mme Genairon mourut pleine de jours et de mérites, gardant jusqu'à la fin pour le saint Curé d'Ars le plus pieux et le plus reconnaissant des souvenirs. (2)





(1) Après avoir relaté ces paroles de M. Chamonard, M. Ball fait cette remarque qu'il met entre parenthèses : « M. Vianney, bien entendu, n'avait pas quitté sa paroisse ce jour-là. Ce ne pouvait être qu'une apparition, M. Chamonard ne dormant pas. »

En effet, il semble qu'il y ait eu ici non pas une bilocation proprement dite, mais une apparition surnaturelle opérée par Dieu, que le Curé d'Ars en ait eu conscience ou non.

« Les visions corporelles ou extérieures, explique le chanoine Saudreau, se font à l'aide de la vue, l'être qui en est l'objet prenant un corps ou du moins l'apparence d'un corps... Les visions imaginatives dont l'objet a également une forme matérielle mais est perçu par le sens intérieur de l'imagination, forment la seconde espèce de visions... Ces visions sont plus fréquemment données dans l'état de veille... Les âmes les moins vertueuses, les pécheurs eux-mêmes, comme aussi les plus grands saints, peuvent avoir des visions corporelles et imaginatives » (L'état mystique, Paris, Amat, 1921, pp. 210-211)

De telles apparitions ou visions peuvent avoir pour but de consoler une âme, de la convertir. Dans le fait présent, c'est afin d'inspirer à une âme trop imparfaite encore le désir d'un nouveau pèlerinage où elle reviendra tout à fait à la foi et aux pratiques religieuses que Dieu permet l'apparition qui revêt la forme du Curé d'Ars.


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(2) Les détails de ce récit, sauf ceux qui ont trait aux dernières années de Mme Genairon, sont empruntés à un rapport de M. le chanoine Ball. Mme Genairon, venue en pèlerinage à Ars le 25 avril 1878, « en assure la vérité de tous points ». (Documents, N° 34)


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Message  Monique Sam 14 Aoû 2021, 8:59 am

XI



Un veuvage consolé



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En cette année 1845, Mme Ferrière, née Virginie Pitiot, faisait à Ars son premier pèlerinage. Elle habitait Feurs, dans le département de la Loire, et avait deux enfants, un garçon et une fille.



Après sa confession, elle parla spécialement à M. Vianney de son garçon, qui était élève au petit séminaire de Largentière.

« C'est bien, dit le saint Curé, il sera prêtre et fera votre consolation pendant votre veuvage.

Mais, mon Père, se récria la pénitente, mon mari se porte bien. Rien ne m'annonce que...

Je vous dis, mon enfant, que votre fils fera votre consolation pendant votre veuvage. »




La prédiction se vérifia. Ce fils fut ordonné prêtre le 10 juin 1854. Contre toute prévision, le père mourut en 1858 ; Mme Ferrière lui survécut dix-huit ans, pendant lesquels son cher abbé fit véritablement sa consolation.



Et c'est lui, qui, étant aumônier des Dames Ursulines de Beaujeu (Rhône), de passage à Vichy avec sa sœur, raconta ce trait à M. Ball le 23 août 1879. (1)


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(1) Documents, N° 68


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Message  Monique Dim 15 Aoû 2021, 8:28 am

XII



« Et dépêchez-vous !... »


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Par le décès du dernier de ses parents, survenu en 1854, une jeune personne des environs de Montpellier se trouvait maîtresse d'une fortune considérable, maîtresse aussi de son avenir... Elle se sentait inclinée vers la vie religieuse, mais, détachée et prudente, elle eût voulu, avant d'entrer au couvent, disposer de ses grands biens.

Dans ces dispositions, elle se rendit à Avignon où elle ferait une retraite chez les Dames du Sacré-Cœur. Elle y reçut les directions d'un pieux jésuite, le R. P. Pascalin, dont les réponses toutefois ne lui parurent pas assez catégoriques ; si bien que d'Avignon elle partit pour Ars.

C'était la première fois qu'elle y allait ; elle n'y connaissait personne ; personne ne l'y connaissait. Arrivée dans la soirée, elle se rendit immédiatement à l'église. Elle put se glisser jusque dans la chapelle de sainte Philomène.

M. Vianney était alors à son confessionnal, et la voyageuse inconnue songeait qu'il était là tout près, dans la chapelle de saint Jean-Baptiste, séparée seulement par un mur de celle de sainte Philomène. Pourtant quand pourrait-elle aborder l'homme de Dieu ? N'importe ! Elle patienterait.

M. Vianney quitta son confessionnal vers huit heures, récita en chaire la prière du soir et, sans être passé devant la chapelle de sainte Philomène tout obscure en son renfoncement, il sortit de l'église par le vestibule. Il n'avait donc pu apercevoir l'étrangère. A la fermeture des portes, elle supplia qu'on voulût bien la laisser dans son petit coin. On l'y laissa.



Le lendemain, de très bonne heure, les portes se rouvrirent. M. Vianney revint à l'église par le vestibule, dit à haute voix cinq Pater et cinq Ave, à genoux devant le maître-autel, puis, au lieu de se rendre directement à son confessionnal, comme il en avait l'habitude, il se dirigea vers la chapelle de sainte Philomène où certainement personne ne lui avait été signalé.

Et, dans l'obscurité encore profonde, il se rendit tout droit à l'inconnue qui priait. « Mademoiselle, lui dit-il, vous êtes pressée. Venez, je vous ferai passer la première. »

Toute surprise, elle le suivit à son confessionnal. Au milieu de ses explications :

« Cela suffit, mon enfant, dit l'homme de Dieu, je connais votre affaire. Disposez votre fortune de telle et telle manière ; faites telle et telle bonne œuvre. Et dépêchez-vous, car vous n'avez pas de temps à perdre. »

Il était entré dans les particularités les plus exactes, les plus minutieuses qui supposaient chez lui une connaissance parfaite de la situation et de la fortune de cette inconnue.



Dans la matinée, elle repartit pour Avignon, où, dès son retour, elle revit le P. Pascalin.

« Comment, mon Père, lui demanda-t-elle, avez-vous fait pour informer aussi rapidement le Curé d'Ars de ma venue, de mes désirs et de l'état de mes affaires ? Votre lettre lui était donc arrivée avant moi ?

Mais, ma chère enfant, je n'y comprends rien. Je n'ai pas eu le temps matériel de prévenir M. Vianney. D'ailleurs n'étais-je pas lié moi-même par un secret inviolable ? »




Directeur et pénitente demeurèrent convaincus que le serviteur de Dieu n'avait pu être si bien informé que d'une façon surnaturelle.

Revenue au pays natal, la riche héritière s'empressa de régler toutes choses selon les lumières de M. Vianney, puis elle regagna Avignon pour s'y faire religieuse.

Or elle était à peine dans cette ville qu'un matin, au sortir d'une messe où elle avait communié, elle fut atteinte du choléra. Elle mourut le jour même. « Dépêchez-vous, avait conseillé le saint, vous n'avez pas de temps à perdre ! »

Qu'elle avait bien fait de l'écouter ! (1)


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(1) « Cette relation fut écrite, sur la demande de Mme la comtesse des Garets d'Ars, par le R. P. Pascalin, de la Compagnie de Jésus, directeur de Mlle N... à Avignon. Il la certifie en tout conforme à la vérité. » (Documents BALL, N° 66)


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Message  Monique Lun 16 Aoû 2021, 8:16 am

XIII



Un meurtre évité



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Par une lettre adressée de Toulouse le 8 août 1905, M. le docteur Desjardins, médecin-major de première classe en retraite, officier de la Légion d'honneur, a fait parvenir aux archives du presbytère d'Ars un récit étonnant écrit sous la dictée de Madame E..., veuve d'un commandant de cavalerie. Cette dame, à qui des rhumatismes interdisaient de tenir la plume, avait gardé un souvenir très net des faits étranges qui vont suivre.



*

* *



En l'année 1873, j'allai, avec mon mari et un ménage ami, rendre visite à M. l'abbé Rousset, curé d'un village de la Bresse dont j'ai oublié le nom. Ce bon prêtre, qui avait bien connu M. Vianney, nous retint à déjeuner, puis mena ses hôtes à la pêche. Je ne les suivis pas, me trouvant indisposée, et je restai avec la servante, une fille de haute taille, qui me fit prendre le thé. Et tout en causant, elle me fit ce récit extraordinaire :



« J'avais dix-neuf ans, et j'étais dans l'orphelinat des Sœurs d'Autun. Désireuse de gagner ma vie et quelque argent pour mes vieux jours, je demandai qu'on me permît d'aller à Lyon pour y chercher une place ; la Mère Supérieure me confia à une dame qui se rendait dans cette ville, et qui devait faire, en s'y rendant, un détour pour consulter le Curé d'Ars.

Quand nous entrâmes à l'église, M. Vianney était dans sa chaire des catéchismes, expliquant en termes fort simples le signe de la croix. Je haussai les épaules en l'entendant, surprise qu'un curé d'aussi grand renom eût si peu d'éloquence. Il m'aperçut et s'arrêta un instant de parler pour me dire :

« Eh ! là-bas, la grande, venez me trouver à la sacristie tout à l'heure, quand j'aurai fini le catéchisme ; j'ai quelque chose à vous dire. »

Le catéchisme fini, j'allai donc le trouver.

« Vous vous êtes moquée de la parole de Dieu, me dit-il, ma parole est simple, mais c'est la parole de Dieu ; il faut toujours la respecter, quel qu'en soit l'interprète... Vous allez partir pour Lyon, ajouta-t-il sans que je lui eusse raconté quoi que ce fût. Sachez, mon enfant, qu'un grand danger vous y attend. Quand vous y serez engagée, pensez à moi et priez Dieu. »



Nous arrivâmes à Lyon, et pendant trois jours je ne trouvai rien. Alors, j'entrai dans un bureau de placement. Deux hommes attendaient là. Je leur exposai mon affaire.

« Ah ! dit l'un d'eux, vous cherchez une place ? Moi justement je cherche une bonne. »

Arrangement pris, il ajouta :

« Il faut aussi que ma femme vous voie : venez me trouver cette après-midi à trois heures, à telle adresse. »

Il habitait La Mulatière.



J'y arrivai à l'heure convenue. Mon Dieu, que la route me parut longue ! J'arrivai enfin au point où la Saône se jette dans le Rhône. Là, des bateaux, des travailleurs. Mais à un tournant, je me trouvai dans un désert où s'élevait une maison unique et j'aperçus sur le seuil mon homme qui me faisait signe d'avancer...

Soudain, une peur terrible me prit. Me souvenant des paroles du Curé d'Ars, je poussai un cri vers Dieu et je m'enfuis à toutes jambes. De son côté, l'autre, le misérable, s'était élancé et, se mettant à ma poursuite, cherchait à me jeter un lasso autour du cou... Il n'y put parvenir et dut s'arrêter à l'approche des mariniers.

J'ai su depuis que j'avais failli tomber entre les mains du trop célèbre Dumollard, qu'on a surnommé l'assassin des bonnes... Quand ce criminel a été arrêté, j'ai témoigné contre lui en cour d'assises... Mais avouez que sans le Curé d'Ars !... »


A suivre...
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