LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres

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Message  Monique Mar 17 Aoû 2021, 7:21 am

XIV



Pierre Bossan et Fourvière



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Érigée en exécution d'un vœu porté le 8 octobre 1870 devant l'autel de la chapelle antique par Mgr Ginoulhiac, la basilique de Fourvière est l'ex-voto splendide des Lyonnais.

« Nous faisons vœu, avait solennellement déclaré l'archevêque, de prêter un généreux concours à la construction d'un nouveau sanctuaire à Fourvière ; si la Très Sainte Vierge, notre Mère immaculée, préserve de l'ennemi la ville et le diocèse de Lyon. »

A cette heure-là, les Allemands occupaient Dijon. Ils n'allèrent pas plus loin. Restait à réaliser la promesse des Lyonnais. Ce fut rapide. Pas besoin de chercher un architecte : il était trouvé ; son plan était fait et avait reçu déjà des approbations nombreuses, celles du Curé d'Ars en particulier.

Pierre Bossan était employé à la « Société des usines à gaz » fondée à Lyon en 1847, lorsqu'il fut envoyé en Italie comme « architecte industriel ». Il s'ignorait alors ; la terre de beauté lui révéla sa vocation et son génie : dans les séjours qu'il fit soit à Palerme, soit à Rome, il s'éprit d'art religieux, puis se mit à crayonner des plans, dont l'un, dessiné avec plus d'amour, semblait destiné à une construction de rêve où il eût voulu réunir toutes les magnificences de Salomon : une basilique de Fourvière, construction idéale à laquelle personne en France ne songeait peut-être et qui pouvait rester un rêve toujours : on y prodiguerait les marbres les plus rares, les mosaïques les plus somptueuses, les vitraux les plus étincelants... Et l'édifice tout entier, par sa forme extérieure, par sa décoration symbolique, serait un hymne à Celle que l'Église nomme la Tour d'ivoire, la Maison d'or.



Pierre Bossan revint au pays natal. En 1851, il fit pour la première fois, en compagnie de ses sœurs Rosine et Thérèse, le pèlerinage d'Ars. Il y revint seul plus tard et montra à M. Vianney son plan de Fourvière. « Oh ! mon ami, s'écria le saint Curé, que ce sera beau, que ce sera beau !... Ce sera un monument d'action de grâces. »



Quand se construirait-il ? Le Voyant ne l'avait pas indiqué ; mais l'architecte emportait d'Ars une invincible confiance.



Que de raisons pourtant, de se décourager ! Pendant une douzaine d'années, l'esquisse de la future basilique serait présentée tour à tour à l'archevêché de Lyon, à la Société des Architectes, aux Beaux-Arts de Paris ; passerait sous les yeux d'un jury romain, puis de Pie IX lui-même. Partout des éloges !... Survint la guerre ! Adieu le beau projet de Fourvière ! Or, contre toute prévision, ce fut la guerre qui amena la décision et la rapide mise en œuvre.



En attendant, malgré les pires pronostics, l'architecte savait que sa basilique couronnerait un jour le coteau marial ; bien avant que ne fût posée la première pierre, il voyait debout le monument, fierté et sauvegarde de la cité lyonnaise.



*

* *



Un vicaire général de Lyon, Mgr Bonnardet, en a témoigné par la lettre ci-après, adressée à Mgr Convert.



Lyon, juillet 1912.



En mars 1866, le cardinal de Bonald ayant exposé, dans la salle des Pas-Perdus de l'archevêché, les plans que M. Bossan avait dressés pour la basilique de Fourvière, l'opinion publique s'émut en sens divers, et il s'éleva dans la presse une polémique très vive entre les admirateurs de ce style si neuf et si original et les tenants des anciennes architectures.

Voici la note qu'insérait l'Écho de Fourvière quelques semaines après l'exposition : « À partir du 19 mars, les plans de la basilique de Fourvière ont été exposés, sur l'ordre de Mgr de Bonald, dans la salle des Pas-Perdus de l'archevêché, où ils ont été diversement appréciés. » L'Écho de Fourvière, mécontent de la polémique très vive qui s'éleva alors dans les journaux, ne signale que d'un mot les divergences d'appréciation. Mais dès lors, on crut que tout était fini et que l'on ne parlerait plus de ces plans.

Le vénérable cardinal ne s'était point attendu à cette levée de boucliers. Craignant cette sorte d'agitation qui se manifestait, il retira les plans exposés, et les adversaires aussi bien que les amis furent unanimement persuadés qu'il ne serait plus question de ces projets. Du reste, l'opinion étant ainsi divisée, on ne pouvait pas espérer recueillir les sommes énormes nécessaires à une pareille entreprise.

On ne parla donc plus du tout de la reconstruction de Fourvière.



Or, durant les vacances de 1868 ou 1869, je fis avec Mme Servier-Million et ses deux filles aînées le pèlerinage d'Ars.

Au retour, nous nous trouvâmes, dans la voiture qui faisait le service d'Ars à Villefranche, seuls avec M. Bossan.

Mme Servier, qui connaissait beaucoup l'éminent architecte, lia aussitôt conversation avec lui, et tout naturellement, nous lui exprimions ensemble le très grand regret que nous éprouvions à voir totalement abandonnés les merveilleux projets de Fourvière, dont on ne parlait plus depuis bien longtemps.

A ces condoléances M. Bossan répondit avec le plus grand calme et l'assurance la plus parfaite :

« Je suis à cet égard bien tranquille. Le saint Curé d'Ars m'a dit que l'église se construirait et qu'elle se construirait en action de grâces. »

M. Bossan ignorait entièrement à la suite de quels événements devait un jour s'élever un monument de reconnaissance, mais il ne doutait point de la réalisation future de la parole du saint.

Je puis attester que j'ai entendu ce témoignage de la bouche même du pieux artiste, et il ne m'a pas été difficile de me le rappeler lorsque, trois ans après environ le 8 octobre 1870 Mgr Ginoulhiac prononça, dans la douleur de nos désastres, le vœu d'où est sortie l'entreprise de notre belle basilique.

En foi de quoi j'ai signé le présent écrit.

A. BONNARDET, vicaire général



Si Pierre Bossan ne vit pas le complet achèvement de l'édifice rêvé, il en vit, du moins, poser la première pierre, le 7 décembre 1872 ; il eut la consolation, lé 2 juin 1884, de saluer la croix dressée à la façade principale... Il s'éteignit très pieusement en 1888.

Trois ans après, le 1er mai 1891, le cardinal Foulon célébrait pour la première fois la messe à l'autel majeur de la basilique. Le 16 juin 1896, Mgr Coullié procédait aux cérémonies grandioses de la consécration.


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Message  Monique Mer 18 Aoû 2021, 8:59 am

XV



Les conseils du fils



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En 1857 ou 1858, une dame du Vivarais prenait le chemin d'Ars. Sa situation d'affaires était des plus embrouillées. Elle avait bien, à ce sujet, pris conseil d'un de ses fils, prêtre judicieux et prudent ; mais les décisions du fils n'étant pas au goût de la mère : « Il me faut quelqu'un de plus savant que toi », avait-elle répliqué. Elle allait, de ce pas, au directeur le plus couru de toute la Chrétienté.



La dame entra dans l'église d'Ars et se mêla aux pèlerins. « Seigneur, murmurait-elle, qu'il va donc falloir attendre avec tous ces gens-là ». M. Vianney lui en épargna la peine.

Il traverse les rangs, s'arrête devant notre Vivaraise :

« Eh ! lui dit-il sans rudesse, qu'êtes-vous venue faire ici ?... Pourquoi ne pas vous en rapporter aux avis de votre fils ? Il vous a donné la bonne réponse. Il faut vous retourner et faire ce qu'il vous conseille. »

Stupeur de la dame, qui crut aux lumières du saint Curé et... à celles de son fils !



C'est l'abbé lui-même qui, pèlerin d'Ars en septembre 1879, conta ce trait à M. le chanoine Ball. (1)


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(1) Documents, N° 71


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Message  Monique Jeu 19 Aoû 2021, 7:59 am

XVI



Les quatre-vingt-onze ans du frère Néopolin



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Quel était son nom de famille, à ce vieux Frère Néopolin et de quel pays venait-il ? Il paraissait lui-même ne plus se le rappeler. Il avait bien autre chose à penser en cette maison de retraite où s'achevait sa longue et féconde carrière. Il passait des heures à rouler dans ses doigts les grains de son chapelet. Mais toujours un souvenir, bien ancien pourtant, rayonnait dans sa mémoire.



Né à Cormoranche-sur-Saône, dans l'Ain, le 23 septembre 1825, Paul Beaudet, dit Bourneuf, s'était mis, comme son père et tous ses aïeux peut-être, à travailler la terre. Sa jeunesse fut pieuse et pure. Et tandis qu'il retournait la glèbe, il songeait à la bonté de Dieu qui fait croître le blé pour la nourriture de l'homme et qui a donné aux oiseaux une voix si ravissante. Parfois lui-même il chantait des cantiques. Cependant, à certaines heures, l'idée lui venait qu'il pourrait réaliser une œuvre plus utile que de cultiver le froment et la vigne. Faire du bien, ruminait-il, je voudrais faire du bien ! Mais comment ? Il avait dépassé sa vingt-cinquième année. Et il n'ignorait pas que l'instruction est bien utile, nécessaire même le plus souvent, à qui veut faire du bien.

Ce paysan ne fait-il pas souvenir de cet autre qui, vers 1805, nourrissait des pensées toutes semblables parmi les collines du Lyonnais ? Dans les champs de Dardilly, Jean-Marie Vianney, tout en priant, en chantant et en remuant la terre, pensait à consacrer son existence au service de Dieu. En 1851, Jean-Marie Vianney était prêtre depuis bientôt quarante ans, et c'est lui qu'un jour de cette année-là un jeune homme de Cormoranche vint trouver dans son église d'Ars.

Le pénitent hésitait sur le choix d'un état de vie. Le saint Curé lui déclara sans hésitation aucune :

« Il faut entrer chez les Frères des Écoles chrétiennes. Vous y deviendrez vieux ».


L'année suivante, Paul Bourneuf se présentait au noviciat. Là, non seulement on le forma à toutes les vertus du bon religieux ; on lui fit encore reprendre ses études. Il ne lui restait que peu de notions de ses lointaines années d'écoles. Or le Frère Néopolin devint et fut, tout le temps qu'il professa, un excellent instituteur.

Il enseigna d'abord pendant dix ans à Lyon. Puis ses supérieurs le mirent successivement à la tête des écoles de Moras (Drôme), de Saint-Genest-Lerpt (Loire) et enfin de Davézieux (Ardèche) où il laissa la réputation d'un saint religieux et d'un parfait éducateur.

Il termina ses jours à la maison de retraite de Caluire. Comme le lui avait annoncé le saint Curé d'Ars, pour lequel il eut toujours une particulière dévotion, il devint vieux. Il mourut le 17 décembre 1916 à l'âge de quatre-vingt-onze ans, dans la soixante-cinquième année de sa vie religieuse.


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Message  Monique Ven 20 Aoû 2021, 8:16 am

XVII



« Ce sera bien juste, bien juste »



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En l'année 1913, l'année de ses quatre-vingt-deux ans, Frère Maximien se décidait enfin à transcrire, dans un court mémoire, ses souvenirs d'Ars tant de fois contés, et si nets, si vivants encore, qu'ils lui semblaient d'hier. Nous en donnons ici ce qui est intuition ou prédiction.



*

* *



Lorsqu'en 1846, à seize ou dix-sept ans, je voulus me faire Frère, mon père me conseilla d'entrer chez les Frères de La Valla (Maristes) ; moi, je désirais aller au Puy, à Paradis. Mon père, cordonnier, qui avait déjà fait le voyage d'Ars, se rendit de nouveau auprès du saint Curé et lui exposa son désir et le mien. La réponse fut : « Laissez-le aller où il veut ».

Trois ans après, pendant une visite que je faisais à mes parents, M. le Curé de Riotord (Haute-Loire), et ses vicaires m'engagèrent à me faire prêtre. Ils se chargeaient des dépenses nécessaires.

« Ne décidons rien, dit mon père, j'irai à Ars. » Mon père porta donc le cas au saint Curé qui lui dit :

« Serait-ce votre fils dont vous m'avez parlé il y a trois ans ?

Oui, mon Père, c'est lui-même.

Laissez-le où il est, laissez-le où il est. »




Quand mon frère aîné fut du tirage au sort, mon père se rendit encore à Ars pour le recommander aux prières du saint, afin qu'il obtînt pour lui un bon numéro. Dans une famille de douze enfants et pas riche, c'eût été une bien grosse affaire de voir partir l'aîné pour si longtemps.

« Faites, dit M. le Curé, une neuvaine à sainte Philomène. » Puis, après un instant, il ajouta : « Ce sera bien juste, bien juste ».

Le jour de la révision, mon frère, son tour venu, allait entrer dans la salle lorsqu'on annonça que le contingent était complet. Le numéro 84 le complétait. Mon frère avait le numéro 85.

C'était bien juste.

J'ajoute que je dois à ce grand saint bien des grâces obtenues par son intercession et tout particulièrement une faveur qui m'amène aussi souvent que je puis à son tombeau.

Je lui recommande ma dernière heure qui sonnera bientôt.


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Message  Monique Sam 21 Aoû 2021, 8:35 am

XVIII



Secondes noces



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En 1846, un brave chrétien de la Saône-et-Loire restait veuf avec deux fillettes, l'une âgée de quatre ans, l'autre de deux. Les premiers mois de deuil passés, il songea que ces petites avaient besoin d'une mère, mais une autre femme aimerait-elle assez les chères orphelines ?

En ses perplexités, le père alla consulter le Curé d'Ars.



« Ne craignez pas, lui répondit le saint, de prendre une nouvelle épouse. Celle que vous choisirez sera très bonne pour vos enfants. N'ayez aucun souci de leur avenir : toutes deux seront religieuses. »

Il en arriva comme avait prédit le serviteur de Dieu.



Dans une seconde alliance, le père retrouva une véritable mère pour ses petites filles. Et lorsque celles-ci, vers leurs vingt ans, manifestèrent le désir d'entrer en religion, il put leur dire qu'il s'y attendait, et il leur fit connaître la révélation qu'il en avait reçue du Curé d'Ars. (1)


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(1) « C'est de l'une de ces religieuses que nous tenons le fait », assurent les Sœurs de l'hospice de Saint-Jean-de-Losne (Côte-d'Or) dans une relation adressée en 1913 à Mgr Convert.


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Message  Monique Dim 22 Aoû 2021, 8:13 am

XIX



La petite aveugle



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Dans l'humble paroisse de Saint-Martin-de-Commune, à quelque douze kilomètres au nord du Creusot, vivait une famille pauvre, les Lebeau. Pour comble d'infortune, Françoise, la cadette des filles, était devenue aveugle. Elle ne pouvait se résigner à son malheur. Des personnes charitables s'intéressèrent à l'infirme, notamment une châtelaine, Mlle de Mury, qui la conduisit à Ars. M. Vianney la consola, lui fit faire un acte sérieux de résignation, et elle repartit d'auprès de lui avec un certain espoir de guérir un jour.

Aussi, demanda-t-elle un peu plus tard à refaire ce long voyage. Pourtant, elle n'osa en parler à Mlle de Mury. Cette fois, c'est avec sa mère qu'elle partit, mais à pied, en mendiante. On s'est mis, depuis bon nombre d'années à faire des pèlerinages dits de pénitence ; un certain confortable, nécessaire d'ailleurs quand on va loin, les accompagne. Le pèlerinage de nos deux pauvresses n'eût pas déparé la série. Après avoir mangé le pain de la charité, elles s'arrêtaient la nuit dans les étables... Elles réalisèrent plusieurs fois ce voyage. Oh ! Revoir la lumière du jour, le visage de sa mère, Françoise eût bien fait mille lieues pour cela !...

Or, par une intuition céleste, le saint Curé connut à chaque fois leur présence. Sachant leur détresse, il allait chercher derrière tous les autres pèlerins ces chrétiennes admirables.



A un dernier pèlerinage, Françoise n'y tint plus :

« Enfin, mon Père, vais-je guérir ? »

Le saint hésitait à répondre. Il se recueillait pour mieux entendre les conseils d'En-Haut et les redire à cette enfant. « Pourrais-je guérir, mon Père ? insista la petite aveugle.

Mon enfant, murmura la douce voix du prêtre avec un accent qui n'était plus de la terre, oui, vous pourriez guérir...

Ô mon Père !...

Mais si le bon Dieu vous rendait la vue, votre salut serait moins assuré. Mon enfant, si vous voulez garder votre infirmité, vous irez au ciel, où même, je puis vous l'annoncer, vous aurez une belle place... »


Des pauvres yeux éteints sur les joues émaciées il coulait des larmes.

« Choisissez, mon enfant ! »

L'admirable saint venait de découvrir à cette pauvre petite combien sublime est la vocation de la souffrance, la valeur d'une âme immortelle, l'ineffable faveur d'un Dieu éternellement plus connu et mieux aimé.

« Mon Père, dit-elle, je choisis de rester aveugle. »


Levant une main tremblante d'émotion sur l'héroïque jeune fille, M. Vianney la bénit. Mais Françoise Lebeau voulut parler encore. Une inquiétude lui restait :

« Que deviendrai-je, mon Père, lorsque mes parents seront morts, lorsque mes frères et mes sœurs se seront mariés tous les sept ?... Ne leur serai-je pas un jour à charge ?

Tranquillisez-vous, ma petite. Vos frères et vos sœurs vivront très vieux, auront soin de vous, et quand la première mourra, les autres suivront à peu près tous les deux ans. »



Or, conclut M. l'abbé Chopin, curé de Saint-Clément-lès-Mâcon, de qui proviennent ces détails émouvants lettre du 6 février 1911 « l'aveugle décéda la première en janvier 1895. Elle avait été griffée par un chat à la figure. Elle est morte d'un chancre qui lui avait rongé le nez, la lèvre, la joue droite, ou plutôt elle est morte de faim, ne pouvant plus s'alimenter.

Elle est restée dans la maison paternelle, seule avec son frère qui ne s'est pas marié, et, malgré sa cécité complète, elle a pu lui préparer ses repas jusqu'à la fin. Je sais bien qu'ils se composaient surtout d'une soupe et d'un plat de pommes de terre en robe de chambre, mais n'est-ce pas chose providentielle que l'infirme n'ait jamais mis le feu à ses vêtements ?

Quelques temps après sa mort, un incendie détruisit sa pauvre masure.

Ses frères et ses sœurs sont morts âgés de quatre-vingt à quatre-vingt-dix ans.

Ma grand'mère était une des sœurs de l'aveugle. Elle est décédée en 1905 à quatre-vingt-huit ans. La dernière de la famille vient de mourir au pays, à l'âge de quatre-vingt-dix ans.

Mon enfance fut bercée au récit des merveilles opérées par le Curé d'Ars et j'attribue ma vocation sacerdotale aux souffrances et aux épreuves de la pauvre aveugle. »


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Message  Monique Lun 23 Aoû 2021, 8:30 am

XX



Le soldat de Crimée



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Vers 1852, Mme Arbin, de Reyrieux (Ain), vint à Ars avec une de ses filles âgée d'environ neuf ans, consulter M. Vianney au sujet de son fils. Celui-ci avait atteint sa vingtième année et donc devait prochainement tirer au sort.



Mme Arbin arrive devant l'église, mais la foule est telle qu'elle ne peut se frayer un passage. « Quand et comment pourrons-nous aborder M. le Curé ? » se demandait-elle, anxieuse. Pendant qu'elle se livrait à ses réflexions, un Frère sort de l'église, parcourt les rangs et apercevant une femme accompagnée de sa petite fille et vêtue d'une robe violette, murmure tout bas : « Oui, c'est bien cette dame que m'a désignée M. le Curé ». Et s'approchant d'elle : « Madame, veuillez me suivre ; M. le Curé vous appelle ».

Elle se rend à la sacristie, conduite par le Frère. La voici en présence du saint Curé qui lui dit : « Madame, votre fils va tirer au sort, n'est-ce pas ? Avez-vous de quoi lui acheter un remplaçant ?

Non, monsieur le Curé.

Eh bien, vous reviendrez me trouver après le tirage au sort.

Ô mon Dieu ! s'écria Mme Arbin, il va donc être soldat ?... »


Et elle se retira consternée.



Le tirage au sort eut lieu quelque temps après et donna en effet au jeune homme un numéro qui l'incorporait à l'armée.



Nouvelle visite de Mme Arbin au Curé d'Ars qui, ainsi que la première fois, l'envoie chercher par le Frère. A peine en présence de M. Vianney, la pauvre mère se met à pleurer. « Oh ! Ma bonne, ne pleurez pas comme ça, lui dit l'homme de Dieu. Votre fils servira sept ans ; il sera de deux grandes guerres ; mais qu'il couse cette médaille dans ses habits, il ne lui arrivera jamais rien ; il vous reviendra sain et sauf. »

Selon la prédiction, le jeune Arbin fit bien deux grandes guerres : les campagnes de Crimée et d'Italie ; il vit, en certains combats, tous ses compagnons d'armes tomber à ses côtés ; pour lui, il revint indemne, sans une égratignure.



Sa sœur, témoin de la prophétie et de sa réalisation, était appelée assez souvent dans les châteaux de la localité, chez les de Saint-Trivier, chez les du Pasquier, pour redire cette histoire : « Ils m'ennuient, disait-elle, en me faisant toujours répéter la même chose », et elle déclarait n'y plus vouloir retourner.

Le fait a été raconté à Mgr Convert, le 22 décembre 1923, par Mme veuve Dupuy, aujourd'hui paroissienne d'Ars, mais originaire de Reyrieux. Elle a entendu ce récit vingt fois de la bouche même de Mme Arbin et de sa fille. Mme Arbin a dû mourir en 1876.


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Message  Monique Mar 24 Aoû 2021, 7:53 am

XXI



« Pour ta fille »



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Le fait d'intuition si intéressant qu'on va lire nous a été communiqué par M. l'abbé Monnet, prêtre retraité à Ars, qui eut le bonheur dans son enfance d'être béni par le saint Curé. Lui-même l'a entendu conter par Mme Jallat, de la Gardette, qui habite à Lyon-Vaise, rue Duchère.



« Mon père, M. Sébastien Germain, était né en 1815, tout près d'Ars, à Misérieux. Mais son enfance se passa en grande partie chez une tante maternelle, Marie Filliat, qui habitait le saint village. La famille Filliat était très estimée de M. Vianney. Celui-ci prit pour servant de messe le petit Sébastien, qui s'acquitta toujours de cette fonction avec le plus grand plaisir. Il aimait à nous en reparler.

Un jour, ce cher père me prit à part. J'étais bien jeune encore, mais assez instruite déjà pour comprendre l'importance du cadeau qu'il allait me faire. Et voici ce qu'il me raconta :

« Tu sais, comme moi, ma petite Marie, que tu as trois frères plus âgés que toi. Avant de t'avoir, je les aimais bien ; malgré cela, mon ardent désir était d'avoir aussi une fille. Je résolus d'aller revoir le saint Curé d'Ars pour le prier d'en demander une pour moi au bon Dieu.


C'était vers la mi-juillet 1859. Déjà M. Vianney était bien fatigué il n'avait plus qu'une vingtaine de jours à vivre sur la terre.

Il m'aimait bien toujours. Dès qu'il m'aperçut, il me bénit. Il avait des chapelets dans sa main. Avant que je lui eusse expliqué pourquoi j'étais venu :

« Tiens, mon Sébastien, me dit-il en me donnant, un par un, quatre chapelets, ils seront pour tes enfants.

Mais, monsieur le Curé, je n'ai que trois enfants, trois garçons !

Le quatrième sera pour ta fille », répondit le saint. « Je le remerciai, songeant à part moi : Quelle joie, si cela pouvait arriver !


Eh bien, dans le courant de 1860, le bon Dieu me donna une petite fille. Et cette petite fille s'appela Marie. Et c'est toi, mignonne.

Mais mon chapelet ?

Le voilà ! »




« Et ce disant, mon père, tout heureux, me remettait cet humble chapelet aux grains de bois, à la chaînette de fer. Je conserve encore précieusement cette douce et chère relique. »


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Message  Monique Mer 25 Aoû 2021, 7:49 am

XXII



Les souvenirs de Mme Morgon



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Mme veuve Morgon, qui s'était retirée en 1908 chez les Religieuses du Saint-Sacrement de Mâcon, aimait à rappeler qu'elle était une ancienne pèlerine d'Ars. Devenue aveugle, elle voulut dicter ses souvenirs. C'eût été dommage de les laisser mourir avec elle. Après le décès de cette pieuse dame, survenu le 14 janvier 1916, la Communauté du Saint-Sacrement en adressa la copie au presbytère d'Ars.



*

* *



Avant de terminer ma carrière bien avancée déjà, puisque j'ai maintenant quatre-vingt-cinq ans, je tiens à redire à la louange du Curé d'Ars ce que furent les bienfaisants effets d'une protection qui, après avoir été le réconfort et le soutien de ma vie, jette encore sur mes vieux jours un rayon de douce espérance.

C'était en 1857. J'étais jeune alors : j'avais vingt-sept ans. Mariée depuis quatre années, j'avais déjà deux enfants. Depuis longtemps j'entendais parler des merveilles d'Ars et, mue plutôt par la curiosité que par l'esprit de foi, je résolus d'y aller. A ce moment, la foule enthousiaste entourait le saint. Je n'ignorais pas combien c'était difficile de l'approcher, et arrivée au terme de mon voyage, je confiai mon embarras au sacristain de l'endroit. « Tenez-vous près de la porte de la cure, me dit-il, et lorsque vous le verrez prendre ce petit sentier qui va vers la Providence, approchez-vous de lui. »

Mon attente ne fut pas longue. Quelques minutes après en effet, je vis sortir M. Vianney. Je ne dirai pas l'impression que produisirent sur moi ce corps usé par la pénitence, cette figure émaciée d'où rayonnaient deux grands yeux où semblait s'être concentrée toute la vie. Mais je ne perdis pas un instant et, de crainte que la foule ne l'approchât, je le saisis par le bras. Habitué sans doute à ces sortes de démonstrations, il se laissa faire avec simplicité et je cheminai vers la Providence quelques minutes avec lui, moments précieux trop vite passés, hélas ! et qui ont laissé dans mon âme des traces inoubliables.

La conversation s'engagea. Je lui parlai de mes préoccupations de famille, de mon mari dont je désirais vivement la conversion.

« Ô mon enfant, me répondit-il avec bonté, il n'est pas difficile à ramener, non plus que les personnes qui sont autour de vous ; mais priez beaucoup pour sa conversion ; par la prière, vous obtiendrez tout ce que vous demanderez. »

Il ajouta :

« Vous aurez à pleurer la mort de quatre de vos enfants, mais ce seront des anges qui prieront pour vous !... »

Que dire de mon âme au contact de ce saint ? Je la sentais transfigurée, les choses de la terre s'effaçaient autour de moi ; une vie chrétienne inconnue jusqu'alors se déroulait à mes yeux et insensiblement prenait la place des préoccupations trop humaines qui m'avaient suivies à Ars.

J'eus le bonheur de traverser ainsi avec lui la place et de l'accompagner jusqu'à la maison de la Providence. Là, il fixa sur moi son regard pénétrant et me dit :

« Quant à vous, mon enfant, vous finirez vos jours dans une maison religieuse ».

J'avoue qu'un doute traversa mon esprit. Comment, moi, mère de famille, pouvais-je finir mes jours dans une maison religieuse ?... Puis il ajouta toujours avec cette bonté qui le caractérisait :

« Au revoir, mon enfant, songez à mes conseils et surtout mettez-les en pratique. »

Ce furent ses dernières paroles ; je ne devais plus le revoir sur la terre.

Je demeurai longtemps émue et recueillie. Je n'osais quitter cette terre d'Ars où je venais de recevoir de si vives impressions de sainteté. Rentrée à la maison, je parlai peu à mon mari de ces prédictions ; mais, éclairée par le serviteur de Dieu, je me préparai, dans le silence et le recueillement, aux grandes épreuves qui devaient m'atteindre. Je perdis, en effet, quelques années après, trois de mes petits anges enlevés subitement par le croup dans la même quinzaine. Un an après, un de leurs petits frères allait les rejoindre : les épreuves, loin de m'abattre, me laissèrent pleine de confiance dans la protection du saint Curé.

Je traversai la vie soutenue par cette pensée et lorsque, bien longtemps après, j'eus la douleur de perdre mon mari, en même temps m'était ménagée la grande consolation de le voir revenir à Dieu, ainsi que mon père et mon frère pour la conversion desquels j'avais beaucoup prié, suivant le conseil de M. Vianney.

C'est alors que je songeai à entrer dans une maison de famille tenue par des religieuses, et, lorsque pour la première fois je franchis le seuil de la chapelle du Saint-Sacrement, quelle ne fut pas ma surprise d'apercevoir tout au fond de la chapelle, animée par la flamme d'une petite lampe, la physionomie du bon Curé qui semblait me dire ces paroles oubliées depuis longtemps : « Mon enfant, vous finirez vos jours dans une maison religieuse ! ». La dernière prédiction était accomplie.

Et maintenant, affaiblie que je suis par l'âge, privée de la vue, ma mémoire qui se refuse à garder toutes choses a conservé intact le souvenir des événements d'Ars. Je revois comme si c'était hier la figure souriante du saint et je l'entends me dire : « Courage, mon enfant ! ». Le courage, il me l'a obtenu tous les jours de ma vie. Arrivée au seuil de l'éternité où je me prépare à aller le rejoindre bientôt, je compte sur lui pour adoucir mes derniers moments et dans un cantique d'action de grâces, je ferai monter cette dernière louange : « Béni soyez-vous, ô mon Dieu, qui avez donné de tels saints à la terre ! ».


A suivre...
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Message  Monique Jeu 26 Aoû 2021, 8:15 am

XXIII



Une promesse de longue vie



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Le 15 janvier 1927, une foule recueillie accompagnait à l'église, puis au cimetière de Châteauneuf-de-Gadagne (Vaucluse), la dépouille mortelle de Mlle Marie Vatton, décédée à l'âge de quatre-vingt-deux ans. Mlle Vatton était une bonne chrétienne et que chacun dans la paroisse estimait. Bien que toute contrefaite et de frêle apparence, elle avait toujours étonné ses compatriotes par son endurance, son entrain, sa gaieté. Mlle Marie Vatton était une ancienne pèlerine d'Ars. Présentée au saint Curé dans sa petite enfance, elle avait été l'objet de l'une de ses prédictions. Voici en quelles circonstances :



A l'âge de neuf ans c'était donc en 1854 à la suite d'une forte frayeur, Marie devint malade et tomba dans un dépérissement qui inquiéta son père et sa mère. Un grand médecin d'Avignon, consulté, déclara que le mal s'était porté à la moelle épinière et qu'il n'y voyait aucun remède.

Sans espoir du côté de la terre, ces bons chrétiens de Châteauneuf se tournèrent vers Dieu, et la pensée leur vint de s'adresser à ce prêtre dont il était si souvent question dans la région avignonnaise. Le père se décida à conduire au Curé d'Ars la pauvre petite infirme. Présentée à M. Vianney, l'enfant, en apercevant ce visage si austère et si amaigri, donna des signes d'épouvante. Mais, penché vers elle avec son divin sourire, le saint la bénit, et Marie retrouva son calme. M. Vatton dit sa peine, puis montra les billets ou ordonnances de divers docteurs qui ne laissaient aucun espoir de guérison.

« Les médecins se trompent, répliqua l'homme de Dieu. Cette enfant restera contrefaite, oui ; mais elle vivra beaucoup plus longtemps que d'autres, et elle sera le soutien de sa famille. »

Rassuré par un tel langage, M. Vatton fut heureux, à son retour, de communiquer à sa chère femme des paroles qui démentaient si formellement le jugement pessimiste des docteurs...

Hélas ! Sans aller apparemment plus mal, cinq ou six mois après le voyage d'Ars, la petite Marie ne semblait pas devoir guérir... Que faire ? M. Vatton ne voulut pas consulter de nouveau les médecins. Il avait vu tant de sainteté rayonnant de M. Vianney qu'il chercha à le revoir encore. Il reprit avec son enfant, toujours dolente, le chemin de l'humble village.

M. Vatton se plaça, tenant sa fille dans ses bras, sur le passage du saint, au moment où, après le catéchisme, il revenait au presbytère. Il y avait beaucoup de personnes avides de le voir et de lui parler. M. Vianney discerna immédiatement au milieu de la foule les deux pèlerins de Châteauneuf-de-Gadagne. Mais, entouré, pressé comme il était par tout ce monde, il se contenta de leur jeter en passant : « Il n'y a rien de changé à ce que je vous ai dit. Ayez confiance ! »

Les événements ne tardèrent pas à donner raison au saint Curé. L'enfant revint à la santé. Elle resta sans doute contrefaite, mais elle ne fut jamais malade dans la suite. Elle parvint ainsi jusqu'à ses quatre-vingt-deux ans, et fut réellement, comme l'avait prédit M. Vianney, le « soutien de sa famille », à laquelle elle rendit d'immenses services.

Toute sa vie, Mlle Marie Vatton demeura reconnaissante envers son grand bienfaiteur d'Ars, dont, il est vrai, elle n'avait conservé qu'un assez vague souvenir. (1)


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(1) Ces détails nous ont été communiqués par M. l'abbé Félix Boutin, curé de Châteauneuf-de-Gadagne, qui les tenait du frère de la défunte, M. Hippolyte Vatton, âgé de soixante-dix ans lorsque mourut sa sœur Marie. Il avait entendu maintes fois conter ces faits à ses excellents parents qui se faisaient eux-mêmes un bonheur de glorifier le Curé d'Ars dans le cercle de leur famille.


A suivre...
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Message  Monique Ven 27 Aoû 2021, 8:37 am

XXIV



Le Mousquet



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La famille des Garets d'Ars, au temps où vivait le saint Curé, comptait parmi ses relations le marquis et la marquise de Barruel. Les de Barruel descendent tout droit de sainte Jeanne de Chantal, comptant dans leur lignée Mmes de Simiane, de Grignan et de Sévigné . Tour à tour les enfants du marquis et ils étaient en nombre passaient avec les enfants du comte des Garets, maire d'Ars, une partie de leurs vacances. Et naturellement, on ne manquait pas de les présenter à M. Vianney, qui se plaisait à les bénir.

Vers 1857, époque où le pèlerinage se fit plus dense que jamais, M. de Barruel avait envoyé au château d'Ars ses deux fils aînés. Le saint montra une sympathie particulière aux deux frères, à cause sans doute de cette lointaine aïeule élevée à la gloire des autels. Le plus jeune des deux, tempérament pacifique s'il en fut, avait alors quinze ans. Il eut l'avantage, après avoir pris son tour comme les autres pénitents, de s'agenouiller, dans la sacristie, aux pieds de saint Vianney. Et quand il eut reçu l'absolution :

« Vous, mon ami, vous porterez le mousquet, lui dit brusquement l'homme de Dieu.

Oh ! mon Père, répliqua le jeune homme, comme humilié de cette prédiction, ce sont les simples soldats qui portent le mousquet. Moi, si jamais...

Vous porterez le mousquet »
, réitéra M. Vianney. Et il congédia son jeune pénitent avec un gracieux sourire.

Deux ans plus tard, le pape Pie IX, menacé par le Piémont, faisait appel à la jeunesse catholique du monde. Le pénitent du Curé d'Ars, qui déjà peut-être avait oublié la prophétie, brûla de voler au secours du Saint-Père. Malgré son vif désir, il ne put s'engager dans les tirailleurs Franco-Belges du général Lamoricière ; mais, lorsque le 1er janvier 1861, fut organisé, sous les ordres du colonel de Becdelièvre et du commandant Athanase de Charette, le corps des Zouaves Pontificaux, le jeune de Barruel était déjà dans Rome, prêt à s'inscrire. Incorporé des premiers, il recevait le matricule 173.

Quand, peu de jours après son enrôlement, un beau matin de gel, il se vit manœuvrant tant bien que mal son gros fusil, il se souvint du « mousquet » annoncé par le Curé d'Ars. Et un sourire lui vint, avec une prière du cœur adressée au bon saint qui était allé, il y a dix-huit mois, recevoir, là-haut, sa récompense.

« Au moins, dit le zouave novice, faites que je le porte comme il faut, mon mousquet, pour la gloire de Dieu et la défaite de ses ennemis ! »

Le vaillant soldat fut exaucé. Bientôt caporal, il se signalait à l'affaire du Pas-de-Corrèze, contre les hordes garibaldiennes. Sa brillante conduite en ce combat lui valut même les galons de sergent.

Malheureusement, atteint par de graves accès de malaria, le sergent de Barruel dut quitter, au bout de deux années, son cher régiment. Une de ses meilleures joies était de prendre part aux réunions annuelles des anciens Zouaves Pontificaux, où il ne manquait guère de raconter l'histoire de son « mousquet ».



FIN DU DEUXIEME TOME
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