LES INTUITIONS DU CURÉ D'ARS - Chanoine Francis Trochu - Aumonier de l'Adoration à Nantes - Docteur en lettres

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Message  Monique Mer 02 Juin 2021, 8:04 am

VI



Un veuf et une famille nombreuse



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M. l'abbé Raymond, qui de curé de Savigneux devint pour huit années, de 1845 à 1853, l'auxiliaire de M. Vianney, avait une sœur qui se sentait la vocation au mariage. Seulement, elle souhaitait n'avoir que peu d'enfants et s'était bien promis de ne pas épouser un veuf.

Jeanne Raymond avait vingt-sept ans quand un soupirant se présenta. Ce jeune homme était protestant ; Jeanne paraissait prête à l'agréer, quand, sur les instances de son frère l'abbé, elle consentit à venir consulter le saint. Elle habitait Beauregard, localité proche d'Ars.

« Ne vous mariez pas avec ce jeune homme, lui dit le serviteur de Dieu. Dans quelque temps, il se présentera un autre parti : c'est ce qu'il vous faut... Vous aurez beaucoup de peines, d'ennuis... et de nombreux enfants. »

De retour à Beauregard, Mlle Raymond, bien que la prophétie ne fût guère de son goût, congédia le soupirant, et attendit.

Un veuf, M. Gloppe, vint à son tour. Malgré ses répugnances passées, Jeanne l'agréa. Le mariage eut lieu. Quatorze enfants furent l'apanage de ce foyer chrétien. Sans doute, comme l'avait annoncé le saint d'Ars, pour élever tout ce monde il fallut bien des veilles, de durs travaux, de fréquentes inquiétudes, mais sur cette grande et belle famille planait la bénédiction d'un saint.



Mme Gloppe en reçut, un jour de 1857, une preuve tangible. Un de ses enfants, à l'âge de trois ans, ne marchait pas encore. C'était pour la mère sa peine la plus accablante. Enfin, n'y tenant plus :

« Le Curé d'Ars le guérira, dit-elle à son mari. Viens, je lui porte le petit tout de suite.

Mais, répliqua M. Gloppe, tu ne verras pas M. Vianney aujourd'hui même. Tu sais bien que l'église regorge de monde.

Il me reconnaîtra bien. »


Et sur ces mots cette femme de foi prit le chemin d'Ars. Elle trouva dans l'église le concours habituel des pèlerins. Pourtant elle avait eu raison d'espérer. Une voix faible et grêle, mais capable de subjuguer l'océan, jetait un nom au delà de cette foule :



« Madame Gloppe !... Madame Gloppe, venez donc !... Je sais que vous n'avez pas beaucoup de temps. »

La mère s'avança, serrant son pauvre petit infirme dans ses bras.

« C'est votre enfant ? interrogea le saint. Qu'est-ce que vous me demandez ?

Oh ! Qu'il marche, monsieur le Curé, qu'il marche !

Il faut demander cela à sainte Philomène.

Mais d'abord vous, monsieur le Curé, bénissez-le ! »




M. Vianney mit ses mains sur la tête du petit. Aussitôt, l'enfant se débattit pour échapper à sa mère. Il marcha. Il était guéri.



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(1) Ces détails ont été donnés le 12 mai 1913 par l'un des frères du jeune miraculé, M. Gloppe, de Limonest (Rhône), père de l'éditeur de musique de Lyon, à M. l'abbé Renoud, alors missionnaire d'Ars.


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Message  Monique Jeu 03 Juin 2021, 8:47 am


VII



« Mariez-les »



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Voici un fait d'intuition particulièrement délicieux. Bien qu'il ait paru déjà dans notre biographie du Curé d'Ars (pages 574-575), nous n'hésitons pas à le publier dans ce volume, parce qu'il nous sera loisible d'en donner ici la documentation complète. Elle est contenue dans un billet que déposa au presbytère d'Ars, pendant la grande guerre, un noble pèlerin accouru du front.



Ars, le 7 mai 1918



Monsieur le Curé,



A cette époque si troublée où la voix du canon domine tout, vous avez dû être bien surpris ce matin en voyant arriver à Ars un pèlerin que vous pouviez connaître, mais que rien ne vous faisait attendre.

Il venait du pays vosgien, face à l'ennemi, pour prier le saint Curé de protéger nos pauvres soldats et sa famille.

Il était venu, il y a quarante-sept ans, faire un premier pèlerinage à Ars, la veille de son engagement au 5e chasseurs à cheval, conduit par son père, le comte Édouard de Warren, et par sa mère, la comtesse Pauline de Warren. Un ami l'accompagnait, qui se préparait alors à Saint-Cyr et qui est aujourd'hui général commandant sur le front.

Depuis ce jour béni où il se recommandait ainsi que son ami au saint Curé Vianney, il ne cessa d'espérer y revenir pour un deuxième pèlerinage.

Habitant les Vosges avec sa nombreuse famille, il aimait à parler d'Ars avec toutes les personnes qui y étaient allées, et il se sentait lui-même religieusement attiré vers elles.

Un jour  c'était à Saint-Dié  la Providence lui fit rendre visite à une grande dame de son pays, la baronne de Lacomble, dont le fils était receveur particulier des Finances en cette ville.

Or, sans qu'elle fût renseignée le moins du monde sur la dévotion particulière qu'il avait lui-même pour ce saint prêtre, cette pieuse baronne se mit à lui parler de M. Vianney.

Voici en quelques mots son récit, que je vous transmets très fidèlement, car il m'est resté gravé dans l'esprit et dans le coeur.




*

* *



« J'étais veuve, j'avais deux fils. J'appris un jour que le cadet s'était épris d'une charmante jeune fille de quinze ans, alors que lui en avait à peine dix-huit !

Bientôt je reçus une lettre où ce grand garçon, tout en me demandant mon consentement avec une affectueuse délicatesse, se disait résolu à poursuivre son idée. Nous échangeâmes des lettres ; rien ne put l'ébranler dans sa décision.

J'étais seule et je ne savais auprès de qui prendre conseil.

Cependant on parlait beaucoup de la sainteté de M. le Curé Vianney. Après de ferventes prières, je résolus d'entreprendre le pèlerinage d'Ars. Mais cette pauvre petite paroisse était si lointaine !... Oh ! Ce n'était pas un voyage d'agrément, bien sûr. C'était vers 1848. On allait à Paris en diligence, et à plus forte raison à Ars avec le même véhicule. Rien ne me rebuta.

Après trois jours de diligence, j'arrivai enfin, n'ayant pas cessé de prier tout le long du chemin, demandant à Dieu de connaître sa volonté. J'avais vaincu une première difficulté, celle du voyage, mais je n'avais pas pensé à la seconde qui était de pouvoir aborder le saint Curé.

Malheureusement, je ne pouvais séjourner que peu d'heures dans le village, et j'appris que, pour parler à M. Vianney, il fallait attendre indéfiniment son tour !



J'entrai à l'église... Depuis la grande porte jusqu'au confessionnal, pas une place n'était libre ! Assise au tout dernier rang, au delà du bénitier, je me désolais et songeais à repartir.

Malgré moi, pourtant, mes yeux se fixaient sur la chapelle de saint Jean-Baptiste où confessait le Curé d'Ars. Et de quel cœur je priais !...

Alors, quels ne furent pas mon étonnement, mon émotion, quand je vis soudain un prêtre à cheveux blancs sortir de la chapelle et prendre dans la nef une direction qui semblait être la mienne ! Il s'avance, en effet, sans s'attarder nulle part... Il me regarde... C'est bien vers moi qu'il vient... J'étais plus morte que vive. Il s'arrête, il se penche, il murmure à mon oreille :

« MARIEZ-LES, ILS SERONT TRÈS HEUREUX ! »

Et il retourne à son confessionnal.

Or tout le monde avait ignoré mon voyage, personne n'avait pu annoncer ma visite à M. Vianney, et il ne m'avait jamais vue.

Dieu lui avait accordé une fois de plus, pour moi, une mère inquiète et troublée, ce don merveilleux d'intuition qui lui faisait lire dans les âmes pour les éclairer ou les réconforter au milieu de leurs doutes comme au milieu de leurs défaillances ».




*

* *



Comment, cher Monsieur le Curé, aurais-je pu, après ce récit d'un témoin aussi authentique et d'une âme si vraiment pieuse, ne pas désirer revenir à l'endroit où a eu lieu ce fait que j'appellerais un miracle ? Car tout s'est passé ainsi que M. Vianney l'avait prédit. Le ménage de Lacomble fut très heureux et donna toujours le bon exemple.

Confiant encore dans l'intercession de votre saint prédécesseur, je suis venu à Ars, Monsieur le Curé, pour obtenir bien des grâces. Je vous supplie de les demander pour moi, certain d'être exaucé en déposant ma requête aux pieds de sainte Philomène.

Veuillez agréer l'hommage de mon profond respect,




Vicomte Anselme de WARREN.


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Message  Monique Ven 04 Juin 2021, 5:25 am


VIII



« Quatre âmes au lieu d'une »



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L'aimable commentaire de Pie X ajoute un trait suffisamment piquant à cette histoire pour qu'elle soit sauvée de l'oubli.

Le saint pontife, recevant en audience privée le R. P. Pupey-Girard, de la Compagnie de Jésus, lui parla de sa dévotion envers le Curé d'Ars, dont la statuette ornait son bureau de travail.

« Et moi aussi, reprit le religieux, je l'aime beaucoup et je lui dois reconnaissance.

Pourquoi donc ? questionna le pape.

Parce que, Très Saint-Père, sans le Curé d'Ars il y a grande probabilité que je ne serais pas ici. »


Et Pie X, tout oreilles, écouta cette histoire :



Mlle Léonie Girard habitait Cerdon, dans l'Ain. Fort pieuse, elle se plaisait à visiter la chapelle de Notre-Dame de Préau, où l'on se rend en pèlerinage. C'est qu'elle désirait avoir le dernier mot sur sa vocation. Elle était allée plusieurs fois à Ars sans résultat bien appréciable, il faut le dire. Elle se confessait à M. Morand, aumônier de la Visitation de Bourg, et elle se sentait grand attrait pour cette communauté. Aussi avait-elle refusé jusque-là tous les partis qui s'étaient présentés. Sa mère, de son côté, restait sur ses positions, décidée à ne point fermer la porte aux prétendants. Enfin, après une scène qui fut pour elle sans grand charme :

« Ma mère, déclara la jeune fille, je ferai ce que me dira le Curé d'Ars.

Eh bien, ma fille, va le trouver ! »


Melle Léonie se mit en route.



Elle put se confesser à M. Vianney, qui lui dit pour finir : « Mariez-vous ! ».

À ce conseil, ou plutôt à cet ordre, la pauvre pénitente se mit à pleurer.

« Mariez-vous ! réitéra le Curé d'Ars.

Soit, mon Père, je vous obéirai. Mais vous voudrez bien m'écrire cela au bas de cette lettre. »


M. Vianney y consentit, et, déposant le papier sur sa vieille crédence, il y traça ces mots de sa grande écriture tremblée : Mariez-vous avec le parti qu'on vous propose.

Cela s'était passé en 1858. Le mariage eut lieu vers la mi-juillet de 1859. Le mari, jeune homme à l'âme très droite, très généreuse, était malheureusement peu pratiquant ; sa femme le convertit. De cette union naquirent deux enfants : une fille qui, devenue religieuse, se vit élevée à la charge de Supérieure générale des Oblates de Saint-François-de-Sales ; un fils, l'heureux bénéficiaire de l'audience pontificale... Et le père étant mort, la mère s'était faite religieuse dans la même congrégation que sa fille !...



La conclusion de l'histoire ? Ce fut Pie X qui la donna.

« Le Curé d'Ars, dit Sa Sainteté en riant de bon cœur, le Curé d'Ars était un malin : il y a eu ainsi quatre âmes données à Dieu au lieu d'une. » (1)


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(1) « Ce récit, certifie Mgr Convert qui en a recueilli le détail, m'a été fait le 22 août 1929, dans la sacristie d'Ars par le R. P. Pupey-Girard lui-même. »


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Message  Monique Sam 05 Juin 2021, 9:02 am

IX



La petite dernière



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Mlle Marie Monnier, de Bresse-sur-Grosne, paroisse de la Saône-et-Loire, éprouvait de grands ennuis. Fille unique, elle pensait à la vie religieuse, tandis que son père la poussait au mariage. Les partis avantageux ne manquaient pas, mais Marie recevait chaque demande par une moue trop significative... Pourtant elle n'eût pas voulu contrarier son excellent père. Cela devenait un supplice.

Dans ces conjonctures, Marie se souvint de son ancienne directrice de pension, personne de bon jugement et de bon conseil. Elle fit, pour la consulter, le voyage de Chalon-sur-Saône... et en définitive, après maintes explications et bien de la réflexion, l'ancienne maîtresse s'avoua aussi embarrassée que son ancienne élève. Que faire ?

« Ah ! s'écria enfin la directrice du pensionnat, j'y pense. Si vous alliez, ma petite Marie, consulter ce prêtre de l'Ain dont on dit des choses si merveilleuses ?... Ne pénètre-t-il pas les secrets des cœurs ?... »



Séance tenante, Mlle Marie Monnier se résolut au pèlerinage. Un jour de mai, elle arrivait à Ars. Elle fit part à M. Vianney des projets paternels et de ses propres désirs.

« Mon enfant, répondit le bon saint, vous êtes fille unique. Vos parents tiennent à vous marier. Mariez-vous. Mais n'épousez pas le jeune homme que votre père vous présente : telle n'est pas la volonté de Dieu. Prenez celui qui est venu auparavant : il est chrétien ; avec lui vous serez heureuse... De ce mariage, mon enfant, vous aurez trois filles, et l'honneur de la vie religieuse, qui n'est pas pour vous, sera réservé à l'une d'elles. »

Mlle Monnier sortit toute impressionnée du confessionnal. Un détail l'avait beaucoup frappée : le saint lui avait dit qu'elle était fille unique, et elle avait eu soin de n'en pas parler. Alors le reste serait donc vrai aussi : ce mariage avec le jeune homme timide, déjà renvoyé à ses occupations par le veto paternel, puis ces trois filles, cette religieuse dont elle serait la mère ?... Marie quitta Ars, rassérénée et confiante.



Les relations reprirent avec le soupirant éconduit. On le connaissait peu ; mais il était, sans le savoir, le protégé du Curé d'Ars : le titre parut suffisant à la famille. Bientôt Mlle Marie Monnier devenait, par son mariage, Mme Rochu.

Deux filles vinrent coup sur coup apporter au jeune foyer leur sourire. Mais la troisième ? Car le saint d'Ars avait bien dit : trois filles. Cette troisième, cette petite dernière, on l'attendit pendant onze années. Elle fut la préférée, la choyée de son père et de sa mère... Il y avait sur elle une bénédiction.

A dix-huit ans, elle entrait à la Visitation d'Autun, où elle émit ses premiers vœux le 17 novembre 1878.

C'est une autre demoiselle Rochu-Monnier, devenue Mme Bauzon et habitant Montceau-les-Mines, qui a conté tout cela à M. Ball, peu après la profession de sa sœur. « La visitandine, écrivait en terminant son enquête notre notaire ecclésiastique, fait l'édification de toute la communauté par la sainteté admirable de sa vie. Toutes les personnes qui la connaissent regardent sa vocation comme venant du ciel, tant elle est appropriée à tous les besoins de son âme, comme à toutes ses dispositions. » (1)


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(1)Documents N° 56.


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Message  Monique Dim 06 Juin 2021, 9:12 am

Deuxième partie : Vieilles filles


**
*

I



Ce qui fut dit à Mlle Charvet





Mlle Philiberte Charvet, tailleuse de son état, habitait Saint-Étienne-sur-Chalaronne, dans l'arrondissement de Trévoux. C'est le pays de la plaine, la Dombes, dont les vallonnements légers épousent les courbes des ruisseaux ou des rivières ; c'est aussi dans l'Ain la partie relativement tempérée ; car dans le montagneux Bugey, par exemple, en certaines années, il fait, d'octobre en mars, un froid terrible. Et les gens de la Dombes, habitués à leur climat humide, n'émigrent pas sans quelque imprudence parmi ces hauteurs-là.

Vers 1846, Mlle Charvet, personne pieuse, sage et rangée, fut demandée pour servante par M. le curé de Souclin. Souclin est une paroisse située dans les premiers contreforts des montagnes du Bugey.

La demande de M. le curé de Souclin laissa Mlle Charvet perplexe. Pour couper court à toute hésitation, avant de dire oui ou non, elle voulut prendre l'avis de M. Vianney. Ars, d'ailleurs, est assez proche de Saint-Étienne-sur-Chalaronne.

« Mon Père, dit-elle quand elle aborda le saint Curé, je suis demandée comme servante...

Non, mon enfant, n'allez pas où l'on vous demande ; l'air y est très vif : vous tomberiez malade, et quand vous reviendriez chez vous, vous auriez perdu vos pratiques et vous en seriez bien fâchée. »




Bien qu'elle eût appris déjà au sujet du Curé d'Ars des choses surprenantes, l'étonnement de Mlle Charvet fut profond de se voir devinée ou mieux, connue à ce point. M. Vianney ne l'avait jamais vue, sans aucun doute aussi n'avait jamais entendu parler d'elle ; puis comment le saint savait-il qu'elle avait des pratiques, comme une tailleuse peut en avoir, et qu'on lui offrait de venir dans un pays de montagnes où l'air est spécialement vif : ce qui est vrai de la paroisse de Souclin où la brise d'été elle-même est parfois plutôt réfrigérante ?...

Il n'en fallait pas tant pour convaincre Mlle Philiberte Charvet. Elle écrivit tout de suite à M. le curé de Souclin qu'elle ne pouvait se mettre à son service, pour raison de santé.



Elle s'en retourna à Saint-Étienne-sur-Chalaronne, où elle reprit son aiguille, tout en continuant d'aider aux uvres paroissiales.

Quelques mois plus tard, M. l'abbé Jambon, curé de Saint-Étienne, étant tombé malade, Mlle Charvet repartit pour Ars à la tête d'une délégation de pieuses paroissiennes.

Ensemble elles solliciteraient du serviteur de Dieu la guérison de leur pasteur.

Arrivées de nuit, elles prirent un peu de repos, puis, vers deux heures du matin, elles entrèrent à l'église. Mlle Charvet, on ne sait par quel tour de faveur, put aborder presque aussitôt M. Vianney, dans la chapelle même de saint Jean-Baptiste ; de là, il est facile de le constater, on ne voit rien de ce qui se passe dans la nef. « Faites approcher les personnes qui sont avec vous », dit le saint. Elles vinrent et il les bénit toutes ensemble, sans leur donner le temps d'indiquer le but de leur voyage.

Vers huit heures, les paroissiennes de M. Jambon purent entrer à la sacristie où elles virent un instant M. Vianney, qui venait de célébrer sa messe.

« Mon Père, dit Mlle Charvet, nous vous recommandons bien notre curé.

Faites ce que vous voudrez, répondit le serviteur de Dieu, c'est son heure. »


M. le curé de Saint-Étienne-sur-Chalaronne décéda deux ou trois jours plus tard.



En novembre 1878, Mlle Philiberte Charvet, revenue en pèlerinage, raconta ses souvenirs à M. Ball à qui elle en garantit la parfaite exactitude. « La personne, atteste le vénéré chanoine, me paraît tout à fait digne de foi. » (1)


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(1) Documents, Nos 57 et 58.


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Message  Monique Lun 07 Juin 2021, 8:21 am

II



La mission d'Etiennette Descombes



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Dans la petite ville industrielle de Cours (Rhône), où se fabriquent de si bonnes couvertures, les anciens n'ont pas encore perdu le souvenir d'une petite vieille nommée Étiennette Descombes qu'ils connurent plus que centenaire. Fille d'un pauvre menuisier, elle était née à Cours en 1766, c'est-à-dire vingt ans avant que naquit à Dardilly l'enfant qui serait un jour le Curé d'Ars.



Étiennette vit M. Vianney pour la première fois vers 1828, ayant dépassé la soixantaine. Elle désirait consulter le saint au sujet d'une œuvre à laquelle elle avait voué sa vie : la prière pour les âmes souffrantes. Elle y trouvait bien quelques déboires et se demandait, en des heures tristes, si ses loisirs ne seraient pas mieux employés à telle autre œuvre de piété ou de zèle.

L'abbé Vianney fit à Étiennette Descombes le plus gracieux accueil.

« Votre mission, lui dit-il, est belle et très agréable à Dieu. Oh ! Des messes, des messes pour les âmes du purgatoire ! Quoi de plus précieux ? Faites-en une ample moisson : Dieu vous en donnera la grâce, il vous bénira, il vous accordera de longues années encore pour le bonheur de ces pauvres saintes âmes. »



Étiennette revint au pays, plus confiante et plus entreprenante. Pour ainsi parler, elle « étendit son commerce », multiplia ses petites industries. On la vit quêter sans crainte à la porte de l'église, circuler dans les cafés et les hôtels, les jours de foire. Et toujours la même prière, dont les termes étonnaient parfois des hommes venus à Cours pour leurs affaires : « Un sou, s'il vous plaît, pour les âmes du purgatoire ». Jamais, dit-on, Annette ne fut ni insultée ni rabrouée. Personne n'eût accusé de supercherie cette bonne femme si originale, il est vrai, mais si pieuse, si honnête et qui vivait de rien.

Étiennette réservait tous ses sous pour ses chères clientes. Quand son petit sac était rempli, elle fermait sa porte, déposait sa clef chez une voisine et, chaussée de ses sabots, un morceau de pain dans sa poche, sûre de trouver en route le vivre et le couvert, elle partait pour Ars. Il lui fallait traverser le département du Rhône dans toute sa largeur, franchir les monts du Beaujolais. N'importe ! Ces cinquante kilomètres de chemins malaisés ne l'effrayaient pas.

Elle fit bien quarante fois le voyage. Âgée de cent ans, elle le faisait encore ! Elle confiait qu'elle trouvait l'aller plus dur que le retour : c'est qu'elle revenait d'Ars, le cœur tout épanoui, tout réchauffé.



M. Vianney célébrait lui-même quelques-unes des messes dont Étiennette lui apportait les honoraires ; il répartissait les autres entre ses confrères du voisinage. Il en fonda un certain nombre à perpétuité. C'est par milliers certainement qu'il faut compter les messes procurées aux âmes du purgatoire par les soins d'Étiennette Descombes.

« Faites-en une ample moisson », lui avait commandé le Curé d'Ars en 1828. Étiennette avait bien rempli son mandat.

« Dieu vous accordera de longues années », avait ajouté le saint. Étiennette mourut le 22 décembre 1873, à l'âge de cent sept ans.



Des choses merveilleuses se passèrent, assure-t-on, pendant l'année qui précéda sa mort. Étiennette était devenue aveugle. Des dames du pays furent heureuses et fières de la soigner et de la servir. Or, plusieurs fois, elles trouvèrent le ménage tout en ordre, alors que la porte était restée, jusqu'à leur arrivée, close à double tour : « Ce sont les âmes du purgatoire qui sont venues ce matin », expliquait en souriant la sympathique aveugle.

Ses funérailles furent un triomphe. Les usines de Cours furent fermées ce jour-là ; ouvriers et patrons, un nombreux clergé escortèrent l'humble dépouille à qui le conseil municipal avait assigné dans le cimetière une place de choix


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Message  Monique Mar 08 Juin 2021, 5:50 am

III



Les deux sœurs



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Voici, dans la vie de saint Jean-Marie Vianney, un des premiers faits d'intuition dont on ait gardé souvenance. La date en est connue : c'était le jeudi 14 août 1828 Il y avait donc dix ans et six mois qu'il se trouvait à Ars, et déjà sa réputation de vertu était assez grande pour qu'on vînt des localités voisines lui demander des conseils, voire même l'interroger sur les événements à venir.

En cette vigile d'Assomption, deux jeunes filles de Fareins la paroisse où justement à cette époque M. Vianney faillit devenir curé vinrent à Ars pour s'adresser à lui en confession. L'une s'appelait Marie Duclout ; l'autre, Eugénie Bernard. Eugénie était sur le point de se faire religieuse, malgré l'opposition pénible qu'elle rencontrait dans sa famille. Et elle désirait obtenir d'un prêtre que beaucoup déjà considéraient comme un saint un encouragement suprême.

Elle s'ouvrit à M. Vianney de sa pieuse détermination.

« Non, mon enfant, répondit le Curé d'Ars, vous ne vous ferez pas religieuse. Vous resterez auprès de vos parents et vous mourrez dans votre famille. C'est votre sœur qui sera religieuse.

Plaît-il, mon Père ?...

Votre sœur, et non vous... »


Mlle Bernard eût voulu répliquer qu'il y avait là erreur sur les personnes ; que sa sur Jeanne-Marie était mariée depuis peu à un cousin de santé robuste, Étienne Bernard ; qu'elle se trouvait fort heureuse en ménage... La pénitente n'en put dire aussi long, le guichet s'étant refermé.



Au retour, sur la route d'Ars à Fareins, Eugénie Bernard laissa échapper son secret.

« Sais-tu, Marie, ce que m'a dit M. Vianney ? Il m'a dit que ce serait Jeanne qui se ferait religieuse, pas moi. Que déciderais-tu à ma place ? »

Marie Duclout vénérait le Curé d'Ars.

« Tu n'as qu'à obéir, répondit-elle.

Oui, j'attendrai et je verrai venir »,
conclut Eugénie dont les yeux se mouillaient de larmes.

Elle se garda bien de révéler quoi que ce fût à sa sœur Jeanne-Marie.



Un an et demi après l'étrange pèlerinage, le couvent des Ursulines de Villefranche-sur-Saône se refermait sur une jeune femme en grand deuil. Étienne Bernard n'était plus. Après lui avoir rendu les derniers devoirs, Jeanne-Marie, éclairée par ce coup terrible sur l'inanité des terrestres bonheurs, accourait se donner à Dieu... Elle mourait sous le voile après douze années saintement remplies.

Et sa pauvre jeune sœur ? La paix descendit dans son âme. Elle attendit encore, encore. Les années s'écoulèrent pour elle au sein de sa famille. Elle se dévoua à ses vieux parents, vécut pieusement et humblement, pour s'éteindre parmi les siens en prédestinée.

C'est Marie Duclout, sa compagne d'autrefois, qui, devenue religieuse sous le nom de Sœur Saint-Lazare, refit le pèlerinage d'Ars et conta à M. l'abbé Toccanier ces événements dont elle avait été le témoin. (1)


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(1) M. Ball a pris également note de ces faits sous le N° 13 de ses Documents.


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Message  Monique Mer 09 Juin 2021, 8:50 am

IV



« Allez auprès d'elle »



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En 1857, il y avait à Montpellier une petite bonne qui se déplaisait chez ses patrons. Augustine Huet était normande, étant née à Mortagne-de-l'Orne. Elle souffrait de maintes choses : des exigences et de la mauvaise humeur de ses maîtres, d'être éloignée de sa mère... Et puis un vague désir de vie religieuse la tourmentait. En ses perplexités, le désir lui vint d'aller consulter le Curé d'Ars. Mais Montpellier n'en est pas très voisin. Les patrons d'Augustine lui défendirent de faire ce voyage.

Augustine « rendit son tablier » et partit.

Le mercredi 18 juillet, vers sept heures et demie du soir, elle arrivait à Ars.



Que de monde ! songea-t-elle en voyant l'église encombrée de pèlerins, elle qui s'attendait à une audience presque immédiate de M. le Curé. Elle remarqua que chacun des pénitents ne restait que peu de minutes au confessionnal. Mais ils étaient trop ! Cependant Augustine avait pu se faufiler d'un rang à l'autre jusqu'à un petit coin assez peu éloigné de la chapelle Saint-Jean-Baptiste. « Ce n'est rien que pour le voir sortir », avait-elle dit, en s'excusant, aux personnes qu'elle dépassait.

Le saint sortit de son confessionnal pour monter en chaire et réciter la prière du soir. Or, arrivé à la hauteur de la voyageuse, il arrêta sur elle son regard et il se mit à sourire. La jeune fille en fut à la fois impressionnée et rassurée.



L'église fermée, Augustine Huet se réfugia dans le vestibule du clocher. Vers une heure du matin, M. Vianney reparut. Un peu avant 6 heures, la petite bonne pouvait entrer au confessionnal. M. Vianney ne la laissa pas achever son confiteor.

« Mon enfant, lui dit-il sur un ton d'extrême bonté, vous voilà venue de bien loin... Vous avez beaucoup souffert dans la place que vous venez de quitter...

Mon Père...

Mon enfant, je sais, je sais... En ce moment, vous avez la pensée de vous replacer à Montpellier. Non, n'y retournez pas : les deux places qui vous sont offertes ne valent pas mieux l'une que l'autre... Ah ! et puis vous avez aussi l'idée du couvent. Non, pas ça non plus : le bon Dieu veut que vous restiez dans le monde. Sa volonté avant tout... Vous avez une mère, ma bonne petite fille. Il faut vous en aller auprès d'elle.

Mais, mon Père, ne savez-vous pas pourquoi je l'ai quittée?...

Mon enfant, allez auprès d'elle. Le bon Dieu l'exige de vous : c'est là votre mission.

Et quand faut-il aller ?

Mais tout de suite. Ne vous placez pas. Allez auprès de votre mère. Ne la quittez pas. »


Augustine Huet restait interdite. Comment ce prêtre, inconnu d'elle comme elle l'était de lui, avait-il appris tant de choses précises ? Toute saisie, elle se taisait. Enfin, surmontant son émotion :

« Si cela est, mon Père, je ne serai donc jamais religieuse ? »

A cette question, le Curé d'Ars garda le silence à son tour ; il lisait intérieurement l'avenir. Enfin :

« C'est vrai, le bon Dieu change ses desseins quand il lui plaît... Je ne vous dis donc pas non... Vous avez une bien grande confiance en Dieu, ma chère enfant... Il vous éprouvera, mais courage ! Priez avec ferveur la Sainte Vierge : elle est votre mère. Priez aussi beaucoup sainte Philomène et saint Jean : c'est par leur intercession que j'ai obtenu moi-même de grandes grâces... Je vais célébrer tout à l'heure ma messe, pendant laquelle vous communierez. Je vais prier pour vous... »



Augustine resta dans Ars deux jours encore. Elle se sentait tentée, malgré tout, de faire un nouvel essai à Montpellier. Mais puisque le Curé d'Ars ne le voulait pas !... Elle put l'aborder une dernière fois.

« Non, répliqua-t-il avec force, résignez-vous à la volonté de Dieu. Il faut tout de suite vous en aller chez votre mère. Et n'oubliez pas ce que je vous ai dit. »



Revenue en sa ville natale, Mlle Huet y trouva la souffrance. Cependant, forte des conseils du saint d'Ars, elle accomplit sa mission auprès de sa mère : sans doute de ramener cette âme aigrie à des sentiments meilleurs et de la préparer à une fin chrétienne.

Cela fait, Augustine sentit qu'elle avait accompli sa tâche sur la terre. Elle soupira devant Dieu, le suppliant de lui accorder tout de même un peu de paix avant la mort, avec la suprême joie de se consacrer à lui.

Elle entra dans une communauté, où elle vécut quelques années encore. (1)


------------


(1) Les sources de ce récit sont deux relations écrites, l'une en 1861, l'autre en 1877, par M. l'abbé Beaumont, curé de Saint-Langis-les-Mortagne, qui fut le directeur spirituel de Mlle Augustine Huet.


A suivre...
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Message  Monique Jeu 10 Juin 2021, 8:31 am

V



Celle que la Sainte Vierge avait conseillée


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Mlle Étiennette-Marie Vermorel, d'Arcinges, dans la Loire, sage personne de trente-cinq ans, était une âme de bonne volonté. En 1851 ou 1852  elle ne se remettait pas la date précise, lorsqu'elle conta son histoire à M. Ball le 26 septembre 1878  elle quittait ses gracieuses collines pour quelques jours, dans l'intention de faire une retraite auprès de M. Vianney : elle lui demanderait spécialement de la conseiller sur sa vocation.

Pour lui donner une idée complète de ses tendances, de ses goûts et aussi de ses faiblesses, elle voulut repasser aux pieds du saint toute sa vie. Elle s'était examinée longuement, méticuleusement. L'accusation terminée, elle dit :

« Mon Père, voilà tout ce que je me rappelle.

Mon enfant, répondit l'homme de Dieu, vous voulez sortir de cette confession aussi pure que vous étiez après votre baptême ? Eh bien ! Allez prier Notre-Dame des Sept-Douleurs. Elle vous fera connaître ce qui vous reste à dire. »


Étonnée mais docile, Mlle Vermorel alla dans la chapelle de l'Ecce Homo s'agenouiller devant la statue de la Vierge. Et en effet, après une courte prière, elle se remémora trois fautes anciennes qu'elle se hâta de revenir accuser.

« Allons, mon enfant, lui dit alors M. Vianney, il ne vous reste plus rien à confesser... Cependant, il y a encore quelque chose. Mais vous n'en avez aucune connaissance et vous ne vous en êtes jamais accusée... Telle faute... tel jour... à tel endroit... Vous en avez perdu tout souvenir. »

C'était vrai. Malgré des indications si nettes et tous ses efforts de mémoire, Étiennette ne voyait pas, ne comprenait pas.

« Quand vous passerez dans l'endroit, ajouta le saint, vous vous rappellerez. »



Effectivement, peu de jours après, passant par l'endroit désigné, elle se ressouvint de tout. Or cette faute, avant de l'oublier tout à fait, elle l'avait toujours gardée secrète, n'y voyant peut-être d'ailleurs qu'une chose sans gravité ; de plus, c'était la première fois qu'elle se confessait au Curé d'Ars, et cet incident de sa vie absolument effacé de sa mémoire, il venait de le lui rappeler avec les circonstances précises de lieu et de jour !



Mais, au confessionnal, M. Vianney avait donné à Mlle Vermorel une preuve non moins extraordinaire de sa surnaturelle clairvoyance. Lorsqu'elle aborda le sujet de sa vocation :

« Mon enfant, répondit le serviteur de Dieu, rappelez-vous l'entretien que vous avez eu avec la Sainte Vierge il y a une dizaine d'années et les paroles qu'Elle vous a dites au moment où vous lui demandiez quelle était votre vocation. Suivez toujours ses avis. »

Un entretien avec la Sainte Vierge !... Mais cela, c'était vrai encore ! Mlle Vermorel, qui décidément avait l'oubli facile, revécut soudain une scène émouvante de son humble vie.

Vers l'âge de vingt-cinq ans, demandée en mariage, elle était allée, toute perplexe, prier, dans l'église paroissiale, devant l'autel de la Sainte Vierge. Très pieuse, très simple et tendre aussi dans sa piété, elle parlait à Marie avec la même confiance, le même abandon, la même familiarité qu'elle l'eût fait en présence de sa mère selon la nature. Elle se savait seule dans l'église. Et voilà qu'une voix bien distincte se fit entendre :

« Reste comme tu es, mon enfant. Tu serviras mieux ainsi mon Fils que dans le mariage. »

A ces paroles, Mlle Vermorel se retourna vivement. Elle ne vit personne. Ç'avait été sa conviction intime qu'elle venait de recevoir une réponse du ciel.

Et depuis, elle y avait pensé de moins en moins ; elle avait fini par n'y plus penser du tout. Mais M. Vianney, qui savait tout cela sans que personne sur terre le lui eût révélé, car il tenait sa science de plus haut, ayant eu, comme il l'a dit lui-même, « le même maître que saint Pierre », M. Vianney connaissait par intuition la décision tombée des lèvres de Marie, et il y renvoyait tout simplement sa pénitente stupéfaite. (1)


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(1) « Cette double déposition, écrit M. Ball, m'a été faite à Ars, le 26 septembre 1878, par Mlle Vermorel elle-même, actuellement âgée de soixante-trois ans, et j'ai tous les motifs de croire à sa parfaite véracité. » (Documents, N° 44)


A suivre...
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Message  Monique Ven 11 Juin 2021, 9:28 am

VI



A l'heure des fiançailles



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« Notre ville de Tarare est à quarante kilomètres d'ici ; ce n'est pas le bout du monde, mais certainement je n'arriverai pas d'heure pour apporter chez nous, quelle qu'elle soit, la réponse que doit me donner M. Vianney ! Je suis là depuis ce matin ; les vêpres sont chantées ; il est cinq heures du soir... Je sens que ma patience s'en va !... »

Ainsi songeait, un dimanche, dans l'église d'Ars, Mlle Pauline Cornet. Sur les instances de sa mère, elle venait consulter M. le Curé au sujet de sa sœur Caroline, une jeunesse sur le point de se fiancer et qui se souciait fort peu, apparemment, d'avoir sur ses projets matrimoniaux l'avis du saint M. Vianney. Tout semblait si bien réglé que le futur était attendu par la famille en cette après-midi de dimanche où sans doute se feraient les fiançailles. La mère, il faut le croire, y sentait quelque secrète répugnance, on ne sait quelle crainte la hantait ; en tout cas, elle avait pressé Pauline d'aller consulter là-dessus le Curé d'Ars...

Trop tard !... L'heure avançait. Enfin, Pauline s'agenouilla au confessionnal du saint. Comme elle se sentait la conscience tranquille, l'audience fut courte.

« Mon Père, ma sœur Caroline est sans doute à se fiancer en ce moment...

Mon enfant, laissez faire : le Saint-Esprit va parler à son cœur. »


Pauline ne saisit pas ce que M. Vianney voulait dire ; mais elle retint précieusement ses paroles. Elle les comprendrait, une fois de retour.



Or, pendant ce temps-là, que se passait-il dans la famille Cornet, rue Écorcheboeuf, à Tarare ?... A l'instant où s'était éloignée Pauline, sa sœur était pleinement décidée au mariage. Et voilà qu'en cette après-midi de dimanche, Mlle Caroline se découvrait des dispositions toutes différentes. Il lui semblait sortir d'un rêve. La pensée de demeurer en l'état de virginité l'avait pénétrée si fortement qu'elle n'en pouvait détacher son cœur. Elle ne doutait pas que ce fût là une inspiration de Dieu.

Le prétendant arrive rue Écorcheboeuf. Il est sûr de sa conquête... Ciel ! Quel changement, quelle surprise ! Mlle Caroline le reçoit avec politesse, mais rien de plus. Il lui demande la raison de sa froideur. « Je ne sais pas comment je vous laisse venir, lui explique-t-elle. Je ne veux plus me marier. »

« L'étonnement de la mère Cornet ajoute M. Ball après avoir entendu ce récit de la bouche même de Mlle Pauline Cornet, « personne tout à fait digne de foi (1) » ne fut pas moins grand que celui du jeune homme ; car jusque-là, elle avait vu sa fille toute disposée au mariage et rien ne l'avait préparée aux paroles qu'elle venait d'entendre. L'affaire fut complètement rompue sans autre forme de procès et la prétendue est encore aujourd'hui demoiselle. »


------------



(1) À Ars, le 27 octobre 1878. (Documents, N° 55)


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Message  Monique Sam 12 Juin 2021, 8:38 am


VII



« Elle les enterrera tous »



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Un panier de provision au bras, Clémentine Viney avait attendu pendant deux jours son « tour de confesse ».

Une fois l'absolution reçue, elle déchargea dans le cœur du saint Curé le fardeau de ses peines. Que d'ennuis, que de préoccupations, mon Dieu ! Elle était placée à Besançon chez la veuve du baron Gros, une bien bonne dame, assurément. Mais l'aînée de ses deux enfants, Mlle Sophie, était si malade : elle souffrait de névralgies faciales, au point que les médecins avaient dû lui arracher toutes les dents. L'estomac s'était pris ; les docteurs n'en donnaient à Mlle Sophie que pour quelques mois. Elle allait mourir à vingt-huit ans et elle avait promis à sa fidèle Clémentine de la secourir toute sa vie !... La pauvre domestique voyait l'avenir bien noir. Aussi ses confidences s'achevèrent-elles sous un déluge de larmes.

« Ô mon enfant, consolez-vous, répondit M. Vianney, Mlle Sophie enterrera tous ses parents et vous secourra jusqu'à votre mort. »

Cela se passait en 1853.



Lorsque, de retour à Besançon, Clémentine Viney, toute impressionnée, fit part à Mme Gros de la prophétie du Curé d'Ars, ses confidences provoquèrent de belles protestations. Madame n'était-elle pas dans la force de l'âge et son fils Joseph, de trois ans plus jeune que Mlle Sophie, ne faisait-il pas honneur à sa mère par sa mine florissante ? Si Mlle Sophie, vouée à une mort prochaine, devait cependant survivre à sa mère et à son frère, cela devenait gai, en vérité toute la famille Gros disparue à brève échéance ! « Vous radotez, ma pauvre Clémentine », concluait Madame.

Or, malgré toutes les apparences, le dernier mot devait rester à saint Jean-Marie Vianney.



Mlle Sophie Gros, née à Besançon, le 24 avril 1825, du mariage du baron Auguste Gros et de Louise Noirpoudre de Sauvigny, devait mourir âgée de quatre-vingt-cinq ans, en mars 1910.

Elle garda chez elle et entoura jusqu'à la fin de soins affectueux la bonne Clémentine, qui mourut veillée par elle.

En 1887, elle perdit sa vénérée mère.

Son frère, le baron Joseph Gros, était décédé depuis plus de vingt ans, après avoir perdu sa chère épouse, Mathilde, fille du baron Guégain, qui lui avait laissé une fille, Louise. Louise, mariée à M. de Beauséjour en 1871, mourait quelque deux ans plus tard, laissant elle-même une fille, Marie. Mlle Marie de Beauséjour, petite-nièce de Mlle Sophie Gros, mariée en 1893 à M. O'Kerrins, décédait bientôt, mère d'une petite, Kate, qui a épousé M. de Charrent. Mme de Charrent est la seule survivante de la lignée des barons Gros.



Son arrière-grand'tante Sophie vit donc s'en aller tous les autres ! Elle acheva sa vie dans la paroisse Saint-Maurice de Besançon qu'elle édifia longuement et où demeure le souvenir de ses vertus et de ses bonnes œuvres. (1)



------------


(1) Les Annales d'Ars de mai 1904 ont relaté la prophétie du saint Curé au sujet de Mlle Sophie Gros. Les détails historiques concernant sa famille proviennent des renseignements précis qu'ont bien voulu nous communiquer M. Armand Noirpoudre de Sauvigny, cousin de Mlle Sophie Gros, et M. le chanoine Payen, curé de Saint-Maurice de Besançon.


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Message  Monique Dim 13 Juin 2021, 8:06 am

Troisième partie: Fondateurs et Fondations


**
*


I



Les Petites Sœurs Franciscaines de Jésus



La Congrégation des Petites Sœurs de Jésus, du Tiers Ordre de Saint-François-d'Assise, a pris naissance à Saint-Sorlin, dans le département du Rhône. Commencé bien pauvrement, comme tant de grandes et bienfaisantes choses, cet institut religieux s'est étendu jusque dans le Nord de la France. A l'heure actuelle, il héberge environ mille délaissés : orphelins ou orphelines, infirmes ou vieillards, sourdes-muettes, etc. Il compte deux établissements dans le diocèse de Belley : Ferney et Beaupont.

La bénédiction du saint Curé d'Ars est descendue, dès leur fondation, sur les Petites Sœurs de Jésus.

La fondatrice et l'une des religieuses qui lui succéderaient un jour dans le supériorat, Sœur Marie-François-d'Assise, dans le monde Louise Perret (1), vinrent consulter le saint plusieurs fois de 1855 à 1857.

Ce sont ces visites qu'a racontées au procès de canonisation Sœur Marie-François. Son récit contient de précieux détails non seulement sur le don d'intuition départi au Curé d'Ars, mais sur un don plus sublime encore.

Les témoignages de la religieuse ont été recueillis par le tribunal de la Cause siégeant à Ars même, dans la chapelle des Frères de la Sainte-Famille, le 8 août 1864.



*

* *



La première fois que j'ai rencontré M. Vianney, je l'ai consulté sur ma vocation. « Ma fille, me répondit-il, vous la saurez dans six mois. »

J'avais le désir le plus vif d'entrer en religion, mais, à cause d'une santé trop délicate, je pensais la chose impossible. Je crus donc que M. le Curé avait voulu me dire que ma mort arriverait dans six mois, et, de mon mieux, je m'y préparai.



Le délai indiqué expirait à Pâques. Je résolus de retourner à Ars pendant la semaine sainte pour y voir une dernière fois M. Vianney et y recevoir sa bénédiction.

Comme j'entrais à l'église, M. le Curé m'aperçut et me fit signe de le suivre à la sacristie. « Mon enfant, me dit-il aussitôt en souriant, vous pensiez bien mourir ces jours-ci. Non, votre carrière n'est pas finie. Courage, mon enfant ! Le bon Dieu vous bénira. »

J'insistai près de lui pour savoir ce que Dieu demandait de moi.

« Ah ! Mon enfant !... », s'écria-t-il. Puis, il se parla comme à lui-même dans un langage que je ne compris pas, pendant à peu près cinq minutes. Je le regardai : il ne me parut plus le même, il semblait comme hors des sens. Je crus qu'il voyait le bon Dieu, et, m'estimant bien indigne d'être en présence d'un si grand saint, je me retirai tout effrayée.



Notre vénérée supérieure revint alors dans son pays. Quelques jours après, elle entrait dans l'atelier où je travaillais moi-même. C'est alors que je fis sa connaissance, mais j'ignorais tous ses projets.

Au bout d'un an environ, nous fîmes toutes les deux le pèlerinage d'Ars.

Il se trouvait, ce jour-là, une foule considérable autour de M. Vianney. Il nous fit appeler par une personne du village.

Dès que nous fûmes toutes les deux près de lui, au confessionnal, il nous dit spontanément à l'une puis à l'autre : « Le bon Dieu vous veut ensemble. Répondez à son amour. Il veut vous faire de grandes grâces ».



Quelques temps après, nous nous retrouvions à Ars, où nous passâmes quatre jours.

M. le Curé ne nous dit rien, cette fois, d'extraordinaire, mais avant de partir il donna trois francs à ma vénérée supérieure, qui refusa d'abord, alléguant qu'elle avait assez d'argent pour le voyage. Sur les instances du saint, elle accepta.

En arrivant à Villefranche, ô surprise ! impossible de trouver notre bourse pour payer le voiturier. Les trois francs donnés par M. Vianney nous devenaient nécessaires.

Dans un troisième voyage, il dit à notre supérieure : « Partez vite !

Mais, monsieur le Curé, nous voudrions auparavant entendre la sainte messe.

Non, ma fille, partez à l'instant, car l'une de vous va tomber malade, et si vous attendiez, vous ne pourriez plus vous en aller.


Ma mère nous accompagnait dans ce voyage. Quoique très effrayée, notre supérieure ne nous dit rien des paroles du saint Curé, mais elle nous fit repartir tout de suite.

Deux heures avant d'arriver chez nous, je me trouvai tellement fatiguée que je me vis dans l'impossibilité de continuer la route. Ma supérieure et ma mère furent obligées de me porter ou de me traîner jusqu'au bout. Ce fut le commencement d'une maladie sérieuse qui dura quinze jours.



Quand nous fîmes cette visite, nous avions déjà quelques orphelines, mais pas encore de Congrégation. Quand il fut question d'en fonder une, nous nous trouvâmes en face de difficultés considérables. Personne ne nous encourageait. Même plusieurs prêtres des environs, loin de nous soutenir, disaient hautement que notre projet était une folie, que nous étions des présomptueuses et des entêtées.



Au milieu de ces contradictions, notre supérieure partit une fois de plus pour Ars.

Au moment où elle entrait dans l'église, M. Vianney y faisait le catéchisme. Dès qu'il l'eut terminé, il se rendit au confessionnal. Il dit à notre supérieure : « Mon enfant, ne vous découragez pas, c'est le démon qui parle par la bouche de ceux qui vous désapprouvent. Le bon Dieu veut votre œuvre. Aimez bien vos enfants, apprenez-leur à aimer le bon Dieu. »

Ces paroles rendirent à notre supérieure toute son énergie et tout son courage. Depuis, elle a continué sans hésitation l'œuvre qu'elle avait commencée.

Cette œuvre a prospéré. Nous avons trois orphelinats, nous avons des Sœurs dans deux orphelinats de garçons. La maison principale est à Saint-Sorlin, diocèse de Lyon, et renferme de cent soixante à cent quatre-vingts orphelines. Nous sommes quatre-vingts religieuses et trente prétendantes.

Il n'y a que sept ans que M. le Curé d'Ars a daigné encourager cette œuvre.


------------



(1) Sœur Marie-François d'Assise, née à Saint-Loup (Rhône) le 25 novembre 1829, devait décéder à cinquante ans, le 12 avril 1879.


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Message  Monique Lun 14 Juin 2021, 11:06 am


II



Le Très Révérend Père Chevalier



------------



C'est parmi bien des vicissitudes que sont nées et se sont accrues les deux Congrégations des Missionnaires du Sacré-Cœur et des Filles de Notre-Dame du Sacré-Cœur d'Issoudun. Quand, au lendemain du 8 décembre 1854, les abbés Chevalier et Maugenest songèrent à fonder une Société qui serait comme « le premier fruit de la définition de l'Immaculée Conception », ils n'avaient d'autres ressources, « au milieu d'une ville presque païenne, bien que tout le monde y fût baptisé », que leur zèle et les dons de la charité.

La première chapelle qu'ils dédièrent à Notre-Dame du Sacré-Cœur n'était qu'une étable qu'ils avaient transformée et ornée de leurs propres mains. Mais l'Église elle-même n'a-t-elle pas commencé à Bethléem ?... Cependant le R. P. Jules Chevalier demeurait encore partagés entre l'espérance et la crainte. Qui donc lui donnerait pleine confiance en l'avenir ?



Vers la mi-juillet 1859, il prend le chemin qu'ont foulé avant lui plusieurs fondateurs ou fondatrices d'Ordres : il se dirige vers Ars où il consultera M. Vianney que partout on appelle « un nouveau voyant d'Israël ».

Or « les grandes chaleurs de ce mois de juillet avaient cruellement éprouvé le saint vieillard... On ne pouvait entrer dans l'église d'Ars, réchauffée jour et nuit par un concours immense, sans être suffoqué. Il fallait que les personnes qui attendaient leur tour de confession sortissent à chaque instant pour retrouver, hors de cette fournaise, un peu d'air respirable. Lui, cependant, ne sortait pas ; il ne quitta jamais son poste de souffrance et de gloire... Mais il ne respirait plus, ou il ne respirait qu'un air vicié, brûlant, méphitique, impropre à entretenir la vie » (1). Aussi plusieurs fois, au cours de ce mois de juillet, le saint Curé était-il tombé de faiblesse ; puis « la toux aiguë, dont il souffrait depuis vingt-cinq ans, était plus continuelle et plus déchirante » que jamais.

C'est en de telles circonstances que le P. Chevalier se présentait dans Ars. Il demanda aussitôt à entretenir M. Vianney. Mais les Missionnaires qui assistaient l'auguste vieillard faisaient bonne garde, voulant lui épargner le plus possible les fatigues d'audiences trop multipliées. Enfin, on permit au jeune prêtre de parler à M. le Curé lorsque celui-ci passerait pour se rendre de la cure à l'église.

« Le saint écouta notre Père avec beaucoup d'intérêt, rapporte le confrère qui fut le confident de cet heureux événement, puis, lui donnant sa bénédiction, il lui dit : « Le ciel bénira votre œuvre, mais après bien des épreuves. Ayez courage et confiance. Quand serez-vous à Issoudun ?

Le 26 juillet, mon Père.

Eh bien, le 26 juillet, nous commencerons une neuvaine. Unissez-vous à nous avec votre confrère, et le Sacré-Cœur de Jésus vous protégera. »


« Quelques jours après, poursuit le narrateur, les journaux annonçaient la mort de M. Jean-Marie-Baptiste Vianney ; ce qui nous fit dire : « Le saint Curé d'Ars continue au ciel sa neuvaine pour notre œuvre ; il sera notre protecteur ». (2)



Ainsi cette neuvaine commencée sur la terre, le serviteur de Dieu était allé l'achever en paradis. Le soir du vendredi 29 juillet, exténué par un effort surhumain, il s'était couché pour ne plus se relever ; le mercredi suivant, avant l'aube, il rendait à Dieu son âme magnifique.



Après pareille entrevue et pareille promesse, le P. Chevalier n'avait plus qu'à marcher, plein de confiance, vers l'avenir. C'est ce qu'il fit.

Il n'eut pas lieu de s'en repentir. Sans doute les épreuves ne l'épargnèrent point, lui et sa société naissante. Mais justement les attaques, les confiscations, les expulsions, tout cela le Curé d'Ars le lui avait prédit. Grâce à Dieu, si les épreuves n'ont pas manqué, les succès sont venus et les consolations, ainsi que l'avait annoncé M. Vianney.

Aujourd'hui les œuvres fondées par le R. P. Chevalier sont fortement établies : le nom de Notre-Dame du Sacré-Cœur a parcouru le monde et y sème encore les prodiges ; les missions lointaines confiées aux Missionnaires d'Issoudun en Nouvelle-Guinée, en Nouvelle-Poméranie, aux îles Gilbert produisent d'admirables fruits de conversion et de salut.

La bénédiction du Curé d'Ars a toujours porté bonheur.


------------


(1) Abbé Monnin, Le Curé d'Ars, t. II, pp. 517-518

(2) Ces détails ont été communiqués, le 13 juillet 1917, à Mgr Convert, curé d'Ars, par le secrétaire du R. P. Supérieur Général des Missionnaires du Sacré-Cœur.


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Message  Monique Mar 15 Juin 2021, 8:45 am

III



Les Dominicaines du Tiers Ordre enseignant



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Dans les années qui suivirent leur fondation, les Dominicaines du Tiers Ordre enseignant rencontrèrent plus d'épines que de roses. C'est pourquoi, à l'exemple de leur éminent fondateur, le R. P. Lacordaire, qui vint visiter et entendre le Curé d'Ars en mai 1845, elles voulurent le consulter, douze ans plus tard, sur les destinées de leur Institut, pour qui alors l'avenir semblait aussi hasardeux que sombre. On verra comment saint Jean-Marie Vianney raffermit leur espérance. Et c'est la Prieure générale elle-même, la Révérende Mère Imelda du Saint-Esprit, qui va rendre compte de l'événement où elle se trouva mêlée dans cette lettre adressée à Mgr Convert.



*

* *



Couvent des Dominicaines à Sèvres, mars 1901



Monsieur le Curé,



Je suis heureuse, en répondant à votre demande, d'ajouter mon humble témoignage à tant d'autres qui ont glorifié votre illustre prédécesseur.

Notre fondation, qui suivit de près le rétablissement des Frères Prêcheurs en France, fut à ses débuts marquée du sceau de la croix. Un jour même, la situation paraissait désespérée, lorsque un premier et très précieux encouragement nous vint de M. Vianney. Une personne, désireuse d'entrer dans une communauté dominicaine mais ne sachant comment réaliser son projet, fit le voyage d'Ars afin de prendre les conseils du saint prêtre.

Dès les premiers mots, celui-ci la tranquillisa, l'assurant qu'une communauté, en formation à Paris, la recevrait volontiers. Et le saint homme lui parla longuement de notre pieuse fondatrice, de son ardent amour des âmes, de son œuvre obscure encore, mais « si chère au bon Dieu ». Il l'enthousiasma si bien que, lorsque le P. Bourard, de glorieuse mémoire, nous la présenta, elle était déjà toute nôtre. Ce qu'elle raconta de son entretien avec le Curé d'Ars ranima l'espoir dans nos cœurs. Elle y revenait souvent, surtout aux heures d'angoisses que Dieu ne nous ménageait pas.

Pour comble d'épreuves, notre fondateur, le P. Louis Aussant, premier prieur des Dominicains de Paris, nous fut prématurément enlevé. C'était un guide sûr, un appui de tous les instants. Nos tribulations redoublèrent alors ; l'avenir semblait fermé. Pour sortir d'embarras, nos Mères Fondatrices songèrent à se fusionner avec une communauté de Dominicaines établies en Bourgogne. Un voyage en Bourgogne ramenait naturellement à l'esprit le souvenir d'Ars. La circonstance était trop grave pour que nos Mères n'allassent pas y chercher lumière et réconfort.

C'était le lundi de Pâques 1857.

Elles entendirent la messe du vénérable Curé, puis, grâce au Frère Jérôme, elles obtinrent une prompte audience. M. Vianney les reçut debout dans la sacristie des hommes (1) qui murmuraient de cette préférence. Après qu'il eut écouté, recueilli, l'exposé des faits, une forte émotion le saisit et avec des larmes dans les yeux, à plusieurs reprises il s'écria :

« Oh ! La belle œuvre ! Oh ! La belle œuvre ! Comme le bon Dieu y sera glorifié !... Pas de fusion, pas de fusion ! Vous allez avoir une conférence où l'on vous proposera trois conditions. Vous refuserez.

Mais, monsieur le Curé, si nous devons rester seules et vivre de notre propre vie, comment sortir de nos difficultés ?

Consultez un avocat bien chrétien.

Où le prendre ?

Une personne de vos connaissances vous l'indiquera. »
Et, voyant dans une lumière prophétique se dérouler notre avenir, il ajouta :

« Votre œuvre s'établira sur des bases solides, vous commencerez à prospérer au troisième supérieur. »

Nos Mères, réconfortées, le quittèrent sur ces mots, non sans avoir reçu sa bénédiction.



La conférence eut lieu. Trois conditions y furent en effet proposées, dont l'une, de nous vouer exclusivement à l'instruction primaire. Or le but principal de notre Institut est l'éducation complète des jeunes filles. Ainsi qu'il avait été prédit, le projet de fusion avec un autre Institut échoua.

De retour à Paris, notre Mère reçut la visite de la personne amie annoncée par le Curé d'Ars ; elle nous mit en rapport avec M. Fontaine, d'Orléans, grand ami du P. Lacordaire et de Berryer.

D'après ses conseils, nous eûmes recours à l'Archevêché. M. l'abbé de Girardin fut notre premier supérieur. Le vénérable P. Eymard lui succéda. Enfin, le 21 novembre 1861, M. l'abbé Codant prenait en main notre direction et nos intérêts. Il nous ouvrit le diocèse de Versailles, nous installa à Sèvres... Et l'œuvre se mit à « prospérer avec le troisième supérieur ». Malgré certaines originalités, cet envoyé de Dieu était un prêtre au cœur vraiment sacerdotal.

Dix-huit années durant, c'est-à-dire jusqu'à sa mort, sans négliger toutefois un apostolat de plus en plus fécond, car c'était un grand convertisseur d'âmes, il se dévoua tout entier à « ses chères Dominicaines », se passionnant pour leurs saintes observances.

Grâce à son dévouement, la ruche primitive ne tarda pas à essaimer. Bucquoy et la Châtre reçurent des colonies venues de Sèvres ; plus tard, furent fondées encore les maisons d'Arcachon, d'Auteuil et de Roubaix.



Ce que je viens de dire touchant le don de prophétie de M. l'abbé Vianney, je suis prête à l'attester sous la foi du serment, car j'ai été témoin et de la prophétie et de son accomplissement total.

Malgré les menaces de l'avenir, nous nous remettons confiantes aux mains de Dieu, qui nous a donné par son serviteur des preuves si visibles d'une spéciale protection...


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(1) La sacristie la plus ancienne, la seule qui ait été conservée, avec le confessionnal où, en effet, M. Vianney confessait surtout les hommes.


A suivre...
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Message  Monique Mer 16 Juin 2021, 7:40 am

IV



Mère Marie de la Providence

et les Auxiliatrices du purgatoire
(1)


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Le Curé d'Ars aida puissamment Mlle Eugénie Smet de Mondhiver, la future Mère Marie de la Providence, dans la fondation des Auxiliatrices du purgatoire ; et cela sans l'avoir jamais vue, sans lui avoir jamais écrit. Mais avec son fin sourire, quand on lui parlait de cette personne du Nord elle était née à Loos, près de Lille, le 25 mars 1825  il répondait souvent : « Oh ! Je la connais ! » Voulait-il dire par là qu'il pénétrait de loin cette âme d'élite ou que réellement une sorte de vision la lui avait montrée ? Question difficile à résoudre.

Très pieuse, et d'une piété où se mêlait une compassion immense pour les âmes du purgatoire, Mlle Smet en était venue à rêver d'une congrégation qui se vouerait au soulagement de ces pauvres âmes. Son projet en effet ne lui sembla d'abord qu'un magnifique rêve : avait-elle bien l'étoffe d'une fondatrice ? Sa santé restait délicate, son cœur profondément attaché à des parents qui mourraient plutôt que de la laisser partir ; elle essuyait les douces ironies de son curé de Loos, de ses anciennes maîtresses de pensionnat elle avait passé sept ans au Sacré-Cœur de Lille  de Mgr Chalandon, évêque de Belley, qui, en 1850, l'avait rencontrée à Lille, tandis qu'il prêchait une retraite au Sacré-Cœur ; d'encouragements, nulle part.

« M. le curé de Loos, lui écrivait le prélat en retour de ses confidences, a bien raison de vous engager à n'être fondatrice de ce nouvel ordre que lorsque les bonnes œuvres à faire seront épuisées pour vous ». Eugénie Smet de Mondhiver s'occupait beaucoup des pauvres de la paroisse. Comme « il y aura toujours des pauvres », Mgr Chalandon opinait clairement pour que la jeune fille continuât de mener dans le monde une vie de piété et de charité.

Une sœur du cardinal Giraud, religieuse du Sacré-Cœur de Lille, était d'un avis tout semblable : « Je ne vous dirai pas : courage, lui mandait-elle. Je sais que vous en avez plus que de forces. Je vous dirai plutôt : ménagez-vous, n'entreprenez pas au-delà de ce que vous pouvez faire sans trop de fatigue. L'activité, il est vrai, est votre vie ; et dès lors que le but en est saint, le Seigneur bénira tout. J'admire que vous osiez songer à la vie religieuse, avec une mission pareille à la vôtre. La Providence semble s'expliquer assez clairement à votre égard. Soyez donc bien en paix ».



Or Mlle Smet, loin de retrouver la paix, souffrait de plus en plus d'entendre en son cœur l'appel intime de Dieu et de ne pouvoir le suivre. Heureusement mieux comprise de son confesseur, puis de M. le curé de Saint-Maurice de Lille, elle gardait confiance.

Pourtant quelles étaient ses aspirations les plus chères, son irrésistible attrait ? Quelque chose de si vaste, de si haut, de si difficile : la fondation d'une nouvelle congrégation dans l'Eglise ! Et on lui avait écrit : « J'admire que vous osiez songer à la vie religieuse ! » De là chez cette âme humble et timide les angoisses que l'on sait. Ah ! mon Dieu, soupirait-elle, qui sera mon guide et mon appui ?

La réponse de Dieu dépassa toutes ses espérances.



*

* *



Mlle Smet de Mondhiver avait entendu parler du Curé d'Ars. En juillet 1855, une idée fixe la saisit : c'est ce saint prêtre qui me fera connaître la volonté de Dieu !

Cependant, comment l'atteindre ? Eugénie entreprend une neuvaine de prières. Le neuvième jour, une de ses amies, Mlle Henriette Waymel, se présente.

« Nous partons, mon père et moi, annonce-t-elle, pour un long voyage. Au retour, dans deux mois, nous passerons par Ars. Avez-vous des commissions pour le saint de là-bas ?

Justement. Oh ! C'est le bon Dieu qui vous envoie. »


Et Eugénie, confiant ses anxiétés, pria Henriette de lui rapporter d'Ars une réponse aussi précise que possible.

Le 2 août, Mlle Smet rencontre son confesseur qui lui dit : « Ce matin, je me suis senti pressé de célébrer le saint sacrifice à votre intention, en demandant à Notre-Seigneur que M. Vianney soit éclairé à votre sujet dans la réponse qu'il doit vous donner par l'entremise de Mlle Waymel ».

Deux jours plus tard, on remet à Mlle Smet une lettre de son amie qui porte en tête : Ars, ce 2 août.

« Tu seras bien étonnée, ma chère Eugénie, écrit Henriette, de recevoir si vite de mes nouvelles. Notre itinéraire de voyage a été changé : au lieu de terminer par Ars, nous y sommes allés en premier.

Je n'ai rien compris à ce que M. le Curé m'a dit pour moi. Je n'ai compris que pour toi : Dites-lui qu'elle établira un ordre pour les âmes du purgatoire quand elle le voudra.

Voilà la réponse que je dois te donner. Je n'ai pu en savoir davantage. »




Plus tard, dans une lettre du 22 mars 1863, Mlle Waymel devait expliquer à Eugénie, alors fondatrice et première supérieure, qu'elle n'avait été, en ce pèlerinage, qu'une machine, qu'une étourdie. Extrêmement troublée, à la première entrevue, de ne pas comprendre M. Vianney, elle en oublia la commission de son amie ; puis, fort ennuyée de sa distraction, elle tint à la réparer coûte que coûte, mais ne put approcher le saint que le temps d'articuler une phrase. Aussitôt, sans en demander davantage, comme si déjà il eût été au courant de tout, le Curé d'Ars donnait la réponse désirée, « aussi précise que possible ».



Le 30 octobre suivant, Mlle Smet écrit, non pas au saint lui-même mais à M. Toccanier, son auxiliaire. Le 11 novembre, arrive la réponse, qui porte bien la marque du bon M. Toccanier.

« Votre si édifiante lettre m'est parvenue à Pont-d'Ain, au milieu d'une retraite prêchée par notre digne évêque, Mgr Chalandon...

A mon retour à Ars, le jour de la fête des Morts, selon votre désir, j'ai exposé vos demandes à mon saint Curé, le priant de les méditer devant Dieu avant de me donner la réponse... Il pense que c'est Dieu qui vous a donné l'idée d'un si sublime dévouement...

Vous pouvez être sûre de deux choses : c'est qu'il approuve votre vocation à la vie religieuse et la fondation de ce nouvel ordre qui, selon lui, prendra dans l'Eglise une rapide extension. »


« Pour sonder sa pensée intime à votre sujet, écrivait encore M. Toccanier à Mlle Smet quinze jours plus tard, je me suis permis de lui objecter la difficulté que vous trouviez dans une séparation pénible pour votre cœur, plus encore pour votre famille, et le vide que votre absence produirait dans une paroisse où vous étiez comme l'âme des bonnes œuvres. À mon grand étonnement, lui qui d'ordinaire ne conseille pas aux jeunes personnes de contrarier leurs parents mais d'attendre en patience leur consentement, n'a pas hésité pour vous. Il dit que les larmes que la tendresse naturelle fera verser à vos parents seront bientôt taries... »



Contre toute attente, alors qu'Eugénie n'osait confier son secret à sa mère, ce fut Mme Smet qui prit les devants et donna volontiers ce consentement qu'on supposait impossible à obtenir.

Le terrain déblayé, restait à bâtir. On peut se demander si, privée des directions du Curé d'Ars, Eugénie y fût arrivé : pas de santé, pas de ressources pécuniaires. M. Vianney conseille une neuvaine à sainte Philomène. Mlle Smet, qui souhaite tant guérir, demande au saint de vouloir bien s'unir à elle. « C'est aujourd'hui, écrit M. Toccanier le 9 janvier 1856, que commencera la neuvaine désirée. Les âmes du purgatoire sont intéressées à cette guérison. »

Puis, rappelant que M. Vianney a déjà conseillé à la future fondatrice de n'aller à Paris qu'après avoir amassé « des rentes suffisantes pour une première année », l'abbé Toccanier ajoute : « Vous me dites : Saint Vincent de Paul commençait avec rien. C'est vrai. Mais, ajoute mon bon Curé, saint Vincent de Paul était un grand saint ».



Le 25 mars, Mlle Smet partait pour Paris. Elle n'avait pas suivi jusqu'au bout les avis du Curé d'Ars : sans souci des « rentes suffisantes », elle se lançait à la manière de saint Vincent de Paul, emportée à son tour par la « folie de la croix » !

Eugénie cependant n'allait pas tout à fait à l'aventure : il existait dans la capitale, sur la paroisse Saint-Merry, un groupement pieux, l'œuvre du Suffrage pour les âmes du purgatoire, et même un vicaire de la paroisse avait réuni en communauté plusieurs adhérentes de cette œuvre. Elles perchaient c'est le mot  à un quatrième étage de la rue Saint-Martin, où pour vivre elles faisaient de la lingerie.

Mlle Smet apprendrait par expérience ce qu'il en coûte d'établir une communauté, surtout lorsqu'on se propose de mériter et de souffrir pour les âmes du purgatoire !



Forte de l'appui de l'archevêque Mgr Sibour, elle se met à l'ouvrage. Jamais elle n'avait dit avec tant de ferveur et de sincérité : Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien. La « communauté » naissante possède une chaise en tout ; on travaille, assises sur des lits repliés ; on se passe tour à tour les mêmes vieux châles pour assister à la messe.

De loin, Eugénie avait tendu la main oh ! très discrètement à son saint directeur d'Ars ; mais celui-ci savait trop bien ce que doivent être les Auxiliatrices, les Aides-nées des âmes souffrantes. Jamais il n'offrit d'autres secours que ses conseils et sa prière. « Mais, écrivait son auxiliaire dévoué, s'il ne vous donne pas directement, il pourra vous faire donner, en priant sainte Philomène, sa céleste économe d'en inspirer la pensée à des personnes capables de faire ces bonnes œuvres. »

Cela se réalisa merveilleusement.

Un jour, ne sachant que devenir, la fondatrice se demandait si elle ne devrait pas recourir à ses parents. Mais non ! Elle avait promis à Dieu de ne rien faire qui pût alarmer leur tendresse. Elle se contenta, étant à l'église, de dire à la Sainte Vierge : « Je vous demande, ma bonne Mère, d'inspirer à quelque âme charitable la pensée de nous donner cent francs ». La cuisinière l'attendait dans l'escalier pour lui exposer l'état de ses finances : « Impossible d'aller au marché, gémit cette pauvre fille, il ne me reste plus que cinq centimes ». Au même instant, survenait la concierge, haletante. Cette pauvre femme venait de rejoindre Mlle Smet au quatrième étage. « Excusez-moi, dit-elle, de mon oubli : j'avais à vous remettre cette enveloppe. » L'enveloppe contenait, dans une feuille blanche, un billet de cent francs.

Un matin, pendant la messe, la petite communauté recourait cette fois à saint Joseph pour réclamer une aumône de deux cents francs. Dans la journée, la fondatrice fait visite à une dame du grand monde. « Tenez, dit gentiment cette dame à la visiteuse prête à sortir, voici deux cents francs que saint Joseph veut que je vous donne. »

Une autre fois, c'est une petite fille qui frappe à la porte de la « communauté ».


« Que désirez-vous, mon enfant ? lui demande-t-on.

Madame, je viens chercher les bracelets...

Mais quels bracelets ?

Madame, les bracelets de perles qui vous ont été commandés par le magasin. »


Certainement, la petite se trompait de porte ou d'étage ou peut-être de maison. Du 22 de la rue Saint-Martin quelqu'un se rendit à l'adresse donnée par l'enfant. Le magasin en question fournit des commandes aux pauvres Auxiliatrices. Ce travail, moins appliquant que la lingerie rapporterait davantage et même rendrait plus aisée la vie de règle. L'humble communauté se mit donc à confectionner des bracelets de perles, et cela, par personne et par jour, rapportait 1fr.25.

Enfin, le 1er juillet 1856, on put louer des appartements plus spacieux au 16 de la rue Barouillère, et ce fut là véritablement la maison-mère des Auxiliatrices du purgatoire. Le 27 décembre, la Révérende Mère Marie de la Providence  dans le monde Eugénie-Marie-Joseph Smet de Mondhiver  et cinq de ses compagnes prononçaient leurs premiers vœux de religion.



Quelque chose de définitif venait de s'accomplir. Ce jour du 27 décembre, malgré les épreuves du présent et les menaces de l'avenir, fut un grand et joyeux jour. Le saint Curé d'Ars n'avait-il pas dit : « Ces croix sont des fleurs qui bientôt donneront leur fruit ? » Et encore : « Cette communauté ne peut manquer de réussir... Si Dieu est pour vous, qui sera contre vous ?... Une maison qui s'élève sur la croix ne craindra plus l'orage ni la pluie ; c'est le sceau divin. »



Toutefois un grave souci continuait de hanter la Mère Fondatrice. Ce travail manuel qu'on avait dû s'imposer pour assurer le pain quotidien à une société naissante ne serait qu'une nécessité transitoire, sinon la société cesserait d'être. Il fallait aux Auxiliatrices un emploi inspiré de la religion qui fût à la fois bienfaisant aux autres et sanctifiant pour elles-mêmes. Mais lequel ?

La petite société était installée depuis deux jours rue Barouillère et reprenait déjà l'enfilage des perles, lorsqu'une personne inconnue se présenta chez ces autres inconnues pour leur demander s'il ne leur serait pas possible de soigner une pauvresse du quartier.

C'est cela qu'il nous faut ! songea Mère Marie de la Miséricorde. On la pressait tout à l'heure de consacrer son institut à l'éducation chrétienne de l'enfance ; mais il lui avait semblé que telle n'était point la volonté de Dieu... et juste il était question d'une malade, de malades à soigner ! Pour cette œuvre de miséricorde elle se sentit tout de suite un irrésistible attrait. Elle s'en ouvrit au Curé d'Ars.

« Suivez ces idées, elles sont bonnes, fit répondre le saint... Vous réalisez ainsi dans sa plénitude l'esprit de Jésus-Christ, en soulageant en même temps ses membres souffrants sur la terre et dans le purgatoire. »

Les Auxiliaires ont trouvé la voie d'où elles ne sortiront plus.



*

* *



Jusqu'à la fin, M. Vianney leur montra une vive sympathie.

Le 1er janvier 1859, celui qu'il appelait son cher camarade, M. l'abbé Toccanier, se trouvait à Paris. Il visita la communauté. A son retour, le bon saint se montra avide de détails sur ses Auxiliatrices.

« J'ai parlé au bon Père d'Ars de sa famille spirituelle de Paris, écrivait M. Toccanier à Mère Marie de la Providence le 18 du même mois, j'en ai parlé au long, au large et avec plus de profondeur que jamais, puisque jusque-là vous m'aviez tenue cachée l'histoire des faveurs et des épreuves qui marquent l'origine de votre société.

« Que de grosses larmes d'attendrissement il a versées en m'entendant raconter l'héroïque patience de vos chères petites filles au faubourg Saint-Martin, essayant dix états pour vivre ; et toutes ces voies ineffables de la Providence pour vous procurer une maison, le pain de chaque jour !

Je concluais en disant : « Monsieur le Curé, toutes ces bonnes filles sont heureuses de souffrir avec vous pour les âmes du purgatoire ; comme vous elles s'occupent des pécheurs en veillant les pauvres malades, en ensevelissant les morts. Elles voudraient toutes vous voir. Priez bien pour elles.

Oh ! oui, les pauvres petites, elles le méritent bien... Leur œuvre est évidemment celle du bon Dieu.

Il est possible que la mère de cette famille vienne vous visiter.

Oh ! tant mieux ! J'aime mieux sa visite que celle d'une reine. Il fait bon voir ces belles âmes ! »

Peut-être M. Vianney n'avait-il point chargé son auxiliaire de transmettre à l'intéressée de semblables compliments ; mais l'abbé Toccanier devait connaître assez l'humilité de sa correspondante. Le désir de Mère Marie de la Providence ne se réalisa pas : elle ne fit jamais le voyage d'Ars ; d'ailleurs, le 4 août de cette année 1859, saint Jean-Marie-Baptiste Vianney quittait la terre d'exil.



Il avait promis une extension rapide aux Auxiliatrices. Mère Marie de la Providence, qui survécut de dix ans à son saint conseiller, eut la consolation d'établir son œuvre à Nantes en 1864 ; dans la mission chinoise du Kiang-Nan, à la fin de 1867 ; à Bruxelles, au début de 1870. Déjà Londres réclamait les Auxiliatrices, qui ne devaient s'y établir qu'en 1873... Et depuis l'arbre a grandi encore. « Ne serez-vous Auxiliatrices que dans un petit coin du monde ? avait dit sur un ton de doux reproche à la fondatrice hésitante le vicaire apostolique du Kiang-Nan de passage à Paris, le 4 août 1867.

Non, Monseigneur, répliquait Mère Marie de la Providence soudainement résolue, nous sommes Auxiliatrices dans tout l'univers ! »



Elle mourut en février 1871, après de longues souffrances héroïquement offertes pour les âmes du purgatoire. Aux heures les plus douloureuses, on l'avait vue prendre ce qu'elle appelait son chloroforme, c'est-à-dire son chapelet, relique de M. Vianney, et sur chaque grain, ne pouvant articuler autre chose, elle disait : Fiat !... Fiat, Jésus ! »
Le Père Olivaint, qui devait tomber le 26 mai suivant sous les balles des Communards, l'avait administrée le 16 janvier, revêtu, selon le désir exprimé par la mourante, d'un surplis du Curé d'Ars, don précieux de l'abbé Toccanier.


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(1) Les sources principales de ce récit sont, outre des documents manuscrits conservés aux archives d'Ars, l'ouvrage du P. Blot, Les Auxiliatrices du purgatoire, 5e éd., Lecoffre, 1874, et, même librairie, une Notice sur la Révérende Mère Marie de la Providence, avec une brochure parue à Paris, chez Retaux, en 1905 : Le bienheureux Curé d'Ars et la Société des Auxiliatrices du purgatoire.


A suivre...
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Message  Monique Jeu 17 Juin 2021, 8:18 am

V



La confiance du Père Chevrier


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Le 16 mars 1873, le saint homme de Tours, M. Dupont, mandait à son ami M. d'Avrainville :

« Une bonne personne m'écrivant d'Ars me donne le détail d'une œuvre qui consiste à ramasser, à Lyon, toutes sortes de gens qui n'ont point fait leur première communion. Me trouvant avoir aujourd'hui quelques minutes à moi, je vais vous donner copie du passage suivant de sa lettre :

« Il s'agit du Père Chevrier, me dit-elle, un fils bien-aimé du Curé d'Ars, qui chaque jour nourrit à Lyon dans son établissement pour les enfants qui n'ont pas fait leur première communion plus de cent cinquante personnes, sans avoir le sou du lendemain. C'est une suite de miracles de la Providence... L'autre jour, j'ai vu dans les rangs un homme de quarante ans... »




Le vénérable Antoine Chevrier, fondateur, à Lyon, de l'œuvre du Prado, fut bien en effet un des fils spirituels préférés de saint Jean-Marie Vianney.

En 1856, l'abbé Chevrier était depuis six ans vicaire à Saint-André, dans un quartier où vraiment tout restait à faire, lorsque, le jour de Noël, méditant devant la crèche, il résolut de partager, dans le service des pauvres, les humiliations et le dénuement de l'Enfant-Dieu. Peu après, il fit un pèlerinage auprès de M. Vianney et lui confia ses impérieux désirs :

« J'ai, dit-il, constamment présentes à la mémoire ces paroles de l'Évangile : Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, donnez-en le prix aux pauvres, puis venez et suivez-moi. Il me semble que Dieu m'appelle à cette vie de pauvreté et de perfection ; et cependant je ne voudrais pas renoncer au ministère paroissial ; sans cela, je n'hésiterais point à entrer dans un ordre religieux. »

Le saint Curé vit clair dans cette âme transparente, si généreuse et si belle.

« De telles inspirations viennent du ciel, répondit-il en substance. Vous rencontrerez de nombreuses difficultés, mais, si vous persévérez, vous ferez une abondante moisson d'âmes. »

Dans le courant de la même année, une personne de Lyon étant allée soumettre à M. Vianney plusieurs difficultés :

« Vous habitez Lyon ? interrogea le serviteur de Dieu. Alors pourquoi venez-vous de si loin ?... Vous avez un saint près de vous.

Ah ! monsieur le Curé, reprit la visiteuse, de grâce, indiquez-le-moi.

Il s'appelle l'abbé Chevrier.

Chevrier ? Ce nom m'est inconnu.

C'est qu'il est jeune encore. Mais la sagesse et la vertu chez lui ont devancé les années... Si vous vous confiez à lui, il vous mènera dans le bon chemin.

Monsieur le Curé, je ne demande pas mieux ; mais encore une fois, où le trouverai-je ?

Allez à Saint-André de la Guillotière ; il est vicaire de cette paroisse. Bientôt il la quittera ; il demeurera derrière la chapelle des Martyrs. Il a des projets pour l'exécution desquels vous pouvez l'aider. Allez, et dites-lui que c'est moi qui vous envoie. »


A d'autres personnes de Lyon le saint d'Ars donna semblable conseil. (1)



Parti dans la voie du renoncement, l'abbé Chevrier ne s'arrêta plus. Sur les conseils du Curé d'Ars, il quittait Saint-André de la Guillotière pour devenir l'aumônier de la Cité de l'Enfant-Jésus, une œuvre originale destinée au logement des nécessiteux et à l'instruction chrétienne des enfants pauvres. Alors ce fut pour l'abbé Chevrier, qui s'était fait pauvre avec les pauvres, l'acheminement vers la sainteté. M. Vianney l'avait initié aussi à la vie pénitente : le disciple était digne du maître !

Un jour, les enfants de la Cité de l'Enfant-Jésus firent, sous la conduite de leur aumônier, le pèlerinage d'Ars. Le bon Curé se montra ravi de les voir : il allait de l'un à l'autre, caressant et bénissant ces pauvres petits.



Cependant, toujours guidé par les lumières de son saint ami, l'abbé Chevrier s'appliquait plus spécialement à l'œuvre des premières communions, cherchant partout ceux-là, jeunes ou vieux, qui avaient laissé passer le temps sans s'approcher jamais de la sainte table... Puis son zèle rayonna sur ses confrères du sacerdoce : n'y en aurait-il point qui consentissent à mener avec lui la même vie de renoncement et de pauvreté, afin de mieux travailler à leur salut et à celui des pauvres gens ?



Mais pour réaliser un tel groupement il faudrait créer une œuvre nouvelle ; la Cité de l'Enfant-Jésus, due à l'initiative d'un pieux laïc, M. Rambaud, n'y pouvait suffire. Pourtant devenir fondateur à son tour ? L'humble M. Chevrier n'y consentirait jamais ! Heureusement, Ars donna son mot d'ordre : aller de l'avant, jeter les bases de cette grande œuvre qui serait la Providence du Prado.

En 1860, c'était chose faite. M. Chevrier pouvait quitter M. Rambaud  M. Rambaud, ayant reçu l'onction sacerdotale, était devenu l'aumônier de sa propre maison. Le saint Curé, il est vrai, n'était plus là pour encourager le nouveau fondateur. Mais celui-ci, à présent, travaillait avec confiance. « Le prêtre qui cherche la pauvreté, lui avait dit M. Vianney, trouve la richesse ». Sans avoir un sou en poche, celui qu'on appellerait désormais le Père Chevrier, trouvait de quoi payer chaque jour le pain de ses enfants et les dépenses de sa maison. « Toujours pauvre, et toujours de quoi suffire à tout ! » C'est que, à l'exemple de son admirable ami, il se considérait uniquement comme l'intendant de la divine Providence.



« Tout ce que le Curé d'Ars m'avait prédit, déclarera-t-il plus tard, m'est arrivé exactement. »



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(1) Cf. chanoine Chambost, Vie nouvelle du vénérable Père Chevrier, Vitte, Lyon-Paris, pp. 80-81


A suivre...
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Message  Monique Ven 18 Juin 2021, 7:47 am

VI



Une « mission » au Danemark



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C'était loin des rives de France, sur les côtes danoises, à l'aube du dimanche 11 mai 1856, en la fête de la Pentecôte. Un petit vapeur abordait au port de Copenhague que l'on devinait à peine, ce matin-là, à travers la froide brume. Un vent glacial soufflait en tempête, secouant les mâts, sifflant à travers les cordages. Les passagers étaient montés sur le pont, pâles et transis, heureux malgré tout de toucher enfin au terme du long voyage.

Parmi eux se trouvaient quatre femmes vêtues de noir qui semblaient tout à fait étrangères à ces contrées du Nord. Grelottantes dans leurs habits trop minces, elles s'étaient blotties les unes contre les autres, aussi près que possible de la cheminée du vapeur. L'une d'elles, presque évanouie, s'appuyait sur ses compagnes ; elle avait souffert horriblement du mal de mer pendant la traversée ; des vomissements de sang avaient épuisé ses forces. On eût dit une agonisante.

Ces quatre femmes étaient des Sœurs françaises, de la Congrégation de Saint-Joseph de Chambéry. « Sécularisées » pour la circonstance, elles apportaient, cachés au fond d'une malle, leurs vêtements de religion. Mais que venaient-elles faire en ce pays luthérien d'où tous les religieux, toutes les religieuses étaient chassés depuis trois cents ans ? Elles venaient, sur l'ordre de leurs supérieurs, renouer des traditions séculaires, replanter dans un sol, bien ingrat en apparence, l'arbre immortel de la vraie foi et de la vraie charité.

Les passagers du vapeur eurent bientôt fait d'escalader la passerelle et de s'élancer dans les bras qui se tendaient vers eux. Les quatre Françaises, que personne ne semblait attendre, débarquèrent après tous les autres. Bientôt le quai fut à peu près désert...



Cependant, tandis que la foule s'écoule vers la ville, une jeune fille s'est rapprochée de ces personnes vêtues de deuil. Elle les aborde et, dans un français suffisamment correct, elle leur demande : « Ne venez-vous pas de Chambéry ? ». Puis, sur leur réponse affirmative : « Eh bien, suivez-moi ».

En route on s'explique. Cette demoiselle habite Copenhague, mais elle a aussi habité en France, en Savoie. C'est là qu'elle est devenue catholique, étant gouvernante des enfants du marquis de Costa. Ce M. de Costa avait été « ministre de France » à Copenhague. Or elle, toute petite et humble qu'elle était, elle avait résolu, une fois revenue en Danemark, d'y amener les Sœurs de Saint-Joseph de Chambéry, qu'elle avait appris là-bas à estimer et à aimer.

Ah ! Cela n'avait pas été tout seul !... Cela même n'irait pas tout seul à l'avenir ; car il restait encore beaucoup à faire pour que réussît la fondation nouvelle. « Pensez donc, mes chères Sœurs, qu'il n'y a encore au Danemark que six cents catholiques ; et, comme la plupart sont des Allemands immigrés, c'est en allemand que, d'ordinaire, se font les prédications et les catéchismes.

Et combien de prêtres pour ces six cents catholiques ?

Trois, mes Sœurs, trois seulement. Et songez que le libre exercice du culte n'existe ici que depuis quinze ans pour les papistes.

Pour les papistes !

Oui, c'est ainsi que nous nomment les luthériens. Bien mieux, comme les immigrés catholiques habitent les quartiers les plus pauvres de Copenhague, savez-vous comment des journaux nous appelaient il y a peu de temps ?

D'un joli surnom, sans doute ?

Oui, appréciez la saveur et la charité des termes : « un rassemblement de gueux » !

Mon Dieu, nous n'y changerons pas grand chose !

Mais, pourtant, mes Sœurs, ici, après avoir passé dans l'opinion pour être pauvres, vous avez fini par passer pour être riches.

Riches, nous ?... Mais, mademoiselle, vous plaisantez.

Point du tout. On dit, parmi les catholiques de Copenhague, que vous êtes riches et que vous n'aurez nullement besoin du secours des fidèles pour bâtir un hôpital...

Bâtir un hôpital, nous !... Mais, ma chère demoiselle, il y a malentendu. Notre supérieure générale, Mère Marie-Félicité, compte bien, au contraire, que tout est prêt ici pour nous recevoir, que l'on va pourvoir à nos besoins, et que l'hôpital en question, ce sont des catholiques riches qui le feront construire.

Que dites-vous là, mes Sœurs ? Hélas ! Des catholiques riches, il n'y en a pas parmi nous. Nos prêtres qui vous ont demandées à Monseigneur l'archevêque de Chambéry ne l'ont fait que parce qu'ils vous croyaient capables...

Capables de bâtir nous-mêmes cet hospice !... Mais alors qui donc les a trompés à ce point ?...

Hélas ! Mes Sœurs, c'est moi, et sans le vouloir, croyez-le bien. Pour gagner les catholiques à votre cause, j'ai... exagéré un peu, beaucoup même peut-être...

Oh ! À présent, nous comprenons pourquoi notre Révérende Mère est demeurée si longtemps indécise. Pendant six mois, elle a attendu des renseignements... qui ne sont point venus. Il a fallu que Monseigneur l'Archevêque prît l'affaire en main. Parties de Chambéry voilà dix-huit jours, nous voici au port, enfin !...

Et avec quelle déception !

Non, mademoiselle, pour qui ne veut qu'obéir à Dieu il n'y a point de déception. D'ailleurs, nous sommes tranquilles.

Tranquilles !

Oui, car nous apportons avec nous les encouragements d'un saint, d'un saint encore vivant.

Vous connaissez un saint vivant, un vrai ?

Oui, mademoiselle, nous avons reçu, pour venir ici, les encouragements du CURÉ D'ARS.



*

* *



En devisant de la sorte, les Sœurs Anne-Thérèse, Marie-Stéphanie, Marie-Placide et Anne-Sophie, guidées par l'ancienne gouvernante des Costa, descendirent la rue de la Douane, puis suivirent la rue de Norvège, aujourd'hui rue de Bredgade.

C'était dans cette rue, où commence le quartier le plus élégant de Copenhague, qu'était situé l'asile destiné aux quatre religieuses de Saint-Joseph : une maisonnette, cachée dans le fond d'une cour et dont la seule partie vraiment habitable était un sous-sol ; l'étage, si l'on peut appeler cela un étage, consistait en un grenier éclairé d'une lucarne. L'immeuble apparaissait aussi peu gai que possible, et pour le rendre plus lugubre encore, il était adossé au mur d'un cimetière. Mais tout de suite le clair sourire des Sœurs françaises chassa cette tristesse, illumina cette ombre.

La visite du logis, composé de trois pièces, ne fut pas longue. En vérité, les nouvelles venues s'attendaient à quelque chose de mieux ! Tandis qu'elles prenaient quelque nourriture ce matin-là encore, il était inutile qu'elles songeassent à communier la jeune danoise continua de les questionner. Elle s'adressait de préférence à celle qui lui semblait conduire la petite troupe, à sœur Anne-Thérèse, qui, effectivement, était la supérieure. Malgré leur extrême fatigue, Sœur Anne-Thérèse et ses compagnes surent contenter leur introductrice en pays danois.



Voici en effet ce qui s'était passé à l'automne dernier. Mère Marie-Félicité était donc très indécise au sujet de l'envoi de ses Filles à Copenhague. Une crainte la torturait : ne suis-je pas gravement imprudente, pensait-elle, de songer à une telle fondation ? Enfin, un beau jour d'octobre 1855, la Supérieure générale prit avec elle Sœur Marie-Colombe, directrice de l'orphelinat de filles à Chambéry, et les voilà toutes deux en route pour Ars.

Elles arrivèrent dans le village un peu après onze heures du matin. C'était pendant que M. Vianney faisait aux pèlerins son catéchisme habituel. Comme en cette saison le nombre des étrangers allait diminuant, les deux religieuses purent pénétrer dans l'église et entendre le saint Curé.

Mère Félicité lui parla ensuite au confessionnal. Elle n'eut pas besoin d'entrer en beaucoup de détails. Sans hésiter, le serviteur de Dieu approuva cette fondation qu'avaient jusque-là désapprouvée tant de sages personnes consultées par la Supérieure.

« Allez en avant, dit le Curé d'Ars. Il sortira beaucoup de bien de cette mission. Le moment viendra où la province de Danemark aidera la maison-mère. »

Mère Félicité crut aux prédictions du saint, si invraisemblables qu'elles pussent paraître. Elle repartit pleine de confiance. Et ce sont ces paroles mêmes qu'elle avait transmises comme un encouragement, comme un espoir certain, comme un mot d'ordre venu du ciel, aux quatre « fondatrices » de la mission danoise.



*

* *



Dans la matinée, à dix heures, les Sœurs françaises assistaient à la grand'messe de la Pentecôte dans la pauvre église catholique de Saint-Ansgaire. Là, elles se confièrent à cet Esprit de lumière et de conseil dont le secours leur serait si nécessaire au milieu de la solitude, de l'abandon où, contre toute attente, elles se trouvaient jetées. Elles demandèrent courage, elles résolurent de rester, de tenir, quoi qu'il dût arriver. Oh ! Du courage, comme elles faisaient bien d'en demander !

Pour comprendre cela, il faut avoir l'idée exacte de la situation où se trouvait alors l'Église au Danemark. De par la constitution de 1849, elle pouvait vivre en liberté, c'est entendu. Mais en 1856, toute l'humiliation, toute l'oppression de trois siècles persécuteurs pesaient encore sur les papistes. Ceux-ci, malheureusement, pliaient sous le fardeau : demeurés peureux, tremblants, ils se cachaient, trop contents qu'on ne les inquiétât plus...

Et voilà que des religieuses étrangères survenaient dans le temps même où il leur plaisait, à eux, de garder l'incognito ! Mais elles allaient les trahir ; mais elles étaient pour eux un péril, ces Sœurs françaises ! Hélas ! Pendant des mois, les prêtres eux-mêmes dont les démarches avaient amené nos Sœurs à Copenhague dans l'espoir qu'elles relèveraient cette pauvre mission humiliée, les prêtres eux-mêmes, dont le curé de Saint-Ansgaire, ne pensèrent pas autrement.



Pourtant, il fallait vivre. Pour payer leur nourriture et leur loyer qui leur eût dit en partant de France qu'on ne leur fournirait même pas, au Danemark, un logement gratuit ? les religieuses de Saint-Joseph durent faire de la lingerie... Nouvelle déception ! Le grand magasin pour lequel elles travaillèrent d'abord, les volait à même, profitant de leur ignorance de la langue et des usages ! Elles fabriquèrent ensuite des fleurs artificielles. Un luthérien, qui avait visité Rome et qui en avait gardé quelque sympathie pour le Papisme, eut pitié de ces pauvres nonnes catholiques : il leur paya une seule rose cinquante écus.

Enfin, une grande dame protestante, la comtesse Holstein-Ledreborg, française d'origine, vint au secours des Sœurs de Saint-Joseph dans une heure des plus critiques. Sans cette bienfaitrice inattendue, leur fondation disparaissait. Des catholiques, trompés et méfiants, avaient écrit à l'archevêque de Chambéry pour réclamer leur rappel en France ! La comtesse, voyant nos religieuses près de perdre courage, les supplia de rester, afin de créer et de répandre un jour dans sa patrie d'adoption ces belles œuvres de bienfaisance qu'elle avait admirées, bien que protestante, en son cher pays natal. La grande dame promit aux exilées volontaires qu'elle se chargerait de leur nourriture et de leur entretien.



*

* *



Bien des fois, au milieu de leurs épreuves, Sœur Anne-Thérèse, Sœur Marie-Stéphane, Sœur Marie-Placide et Sœur Anne-Sophie s'étaient rappelées la prédiction du Curé d'Ars.

Allez de l'avant ! Elles s'étaient embarquées.

Il sortira beaucoup de bien de cette mission. Elles espéraient.

Le moment viendra où la province de Danemark aidera la maison-mère. Cela, par exemple, elles ne savaient qu'en penser, les pauvres Sœurs. Et pourtant cela arriva comme le reste ; l'événement justifia la prophétie entière.

Un beau matin, toutes quatre, prenant leur courage à deux mains, sortirent vêtues de leur habit de religion. Le curé de Saint-Ansgaire, les apercevant ainsi à l'instant où, tourné vers les fidèles, il allait entonner le Dominus vobiscum de la grand'messe, en demeura, dit-on, comme figé. Mais les fidèles approuvèrent l'audace des Sœurs et en devinrent eux-mêmes plus vaillants.

Six mois seulement après leur arrivée, elles avaient la joie de pouvoir travailler selon leur vocation et l'esprit de leur Institut. Une saltimbanque leur offrit de s'occuper de sa fillette, un malheureux petit être de vingt-deux mois dont elle avait disloqué ou plutôt brisé les membres pour en faire une acrobate. L'enfant reçut, dans leur pauvre logis, un accueil plein de tendresse. Bientôt une autre petite malheureuse était confiée aux religieuses de Saint-Joseph.

Puis on apprit dans les milieux plus aisés que ces religieuses s'occuperaient volontiers de l'instruction et de l'éducation des jeunes filles. Une dame anglaise fut la première à leur amener les siennes. Le bail du sous-sol venant à expirer, les Sœurs, grâce à un généreux donateur, M. Richard, originaire de la Savoie, louèrent, rue de Frédéricia, un appartement simple mais spacieux, où elles s'installèrent avec vingt écolières et six orphelines... Le bien, en vérité, commençait à sortir de cette mission !



Et aujourd'hui ?

Aujourd'hui, la province de Danemark compte environ 500 religieuses, réparties en 26 maisons. Elle a même essaimé, en envoyant deux colonies de Sœurs en Islande. Des écoles florissantes lesquelles il faut citer la grande école supérieure de Frédériksberg avec ses 500 élèves sont tenues là-bas par Saint-Joseph de Chambéry. Cet hôpital, très hypothétique, que les « riches » religieuses de France, selon l'espoir des catholiques danois, élèveraient sans qu'ils dussent bourse délier, a été construit en effet, mais bien après 1856. En 1874, s'élevait à Copenhague l'hôpital de Saint-Joseph, dû aux libéralités des catholiques... et même des protestants. Ceux-ci craignaient la « propagande ». « Ces dames n'ont pas besoin de dire un mot, répétait-on parmi eux ; leur présence seule suffit pour attirer les gens au catholicisme. » Mais, comme le généreux acheteur de la rose en papier, ils s'inclinèrent devant le dévouement des nonnes catholiques, et l'hôpital put avoir le développement rêvé. Plusieurs autres furent construits après celui-là : ceux de Frédéricia, de Reykjavik, de Horsens, d'Aarhus...

Décidément, le bien sort de cette mission.

Plus encore. Le moment est venu où la mission de Danemark a aidé et aide la maison-mère.

Quand une loi abominable ferma en France les écoles dirigées par les Sœurs françaises, la province de Danemark accueillit plusieurs religieuses âgées et aida les autres de ses ressources particulières. Actuellement encore, cette province s'intéresse à des œuvres très pauvres en des paroisses où les religieuses de Saint-Joseph de Chambéry secondent le clergé.

Ainsi, la province de Danemark se ressent toujours de ses origines quasi miraculeuses. C'est une fleur du Nord qui a été semée, qui a grandi, qui s'est épanouie sous la bénédiction de saint Jean-Marie-Baptiste Vianney, Curé d'Ars. (1)


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(1) Ce « fait d'intuition » a été conté d'après les souvenirs encore bien présents de la Révérende Mère Marie-Ambroisine, supérieure de l'école catholique d'Aalborg (Danemark). Cette religieuse a connu particulièrement la mère Marie-Colombe qui accompagna, en octobre 1555, sa Supérieure générale dans le voyage d'Ars. De plus, nous avons puisé maints détails dans Une page de l'histoire de la Mission dans le Nord. Les Sœurs de Saint-Joseph en Danemark, par H. Utke-Ramsing.


A suivre...
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Message  Monique Sam 19 Juin 2021, 9:16 am

VII



Les Pères Maristes à Bar-le-Duc



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La relation suivante date de 1901. Son auteur, M. le chanoine Raulx, alors doyen de Vaucouleurs, ayant eu, au cours d'un pèlerinage, un entretien des plus agréables avec ces Messieurs du presbytère, on lui avait demandé de vouloir bien rédiger ce remarquable fait d'intuition.



*

* *



Voici l'objet et le résultat de mes deux premiers pèlerinages à Ars.

D'abord en 1858. J'étais alors chargé d'une importante maison établie depuis quatre ans à Bar-le-Duc sous le nom d'Institution Saint-Augustin, et qui était devenue rapidement très prospère, tant se faisait sentir en cette ville le besoin d'éducation chrétienne.

Le recrutement du personnel ecclésiastique enseignant était, à cette époque, très difficile dans notre diocèse, à cause de la pénurie des prêtres pour le ministère paroissial ; il nous fallait avoir recours à des professeurs laïcs, et même conduire aux cours du lycée les élèves des classes supérieures.

Pour remédier à cet état de choses et assurer l'avenir de l'établissement, je ne trouvai d'autre moyen que de le confier à une congrégation religieuse. Après avoir vainement frappé à plusieurs portes, et sur le conseil de mon évêque, qui les connaissait, je m'adressai aux Pères Maristes de Lyon. Mes démarches, mes instances et mes prières demeurèrent sans résultat.

Ce fut alors que j'allai trouver le Curé d'Ars pour lui exposer mon projet, les difficultés qu'il rencontrait et le recommander à ses prières et à celles de sa chère petite sainte.

A peine m'eut-il entendu que, levant les yeux au ciel, il me dit :

« Ah ! Les Pères Maristes, ce sont de bons religieux ; j'ai connu leur Père fondateur, c'était un saint (1). Allez les voir, ils seront à Bar plus tôt qu'ils ne pensent et que vous ne l'espérez. »

C'était le jour même de la Nativité de la Sainte Vierge, 8 septembre 1858.



Encouragé par ces paroles et assuré de leur réalisation, j'allai dès le lendemain trouver ces bons Pères. En vain, cette fois encore.

Je reviens donc prendre la direction de la maison, mais sans découragement, et avec l'espoir que m'avait mis au cœur la parole du saint Curé.

Dans le courant de l'année suivante, je renouvelai ma demande à plusieurs reprises, et toujours même réponse : Impossible !

Aux vacances de 1859, je retournai à Lyon, passant encore à Ars pour recommander cette affaire aux intercessions du saint Curé, mort depuis peu de temps. A la rentrée, les Pères Maristes étaient installés à l'Institution Saint-Augustin de Bar-le-Duc.



Malheureusement, par suite de circonstances fâcheuses et très regrettables, ils se retirèrent au bout de dix ans. Mais quelques années après, un de leurs élèves, M. l'abbé Gaudain, reprenait l'œuvre sous le nom d'Écoles Fénelon et Saint-Augustin réunies, qu'il dirige encore aujourd'hui avec succès. Mais ces circonstances n'ôtent rien à la prophétie du saint Curé d'Ars, les Pères Maristes étant effectivement venus à Bar plus tôt qu'ils ne pensaient et que je ne l'espérais moi-même.


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(1) Le vénéré Jean-Claude Colin, ami personnel du saint Curé d'Ars. C'est même sous sa direction que le Curé d'Ars avait espéré finir ses jours : en 1853, il tenta de partir pour La Neylière, dans le Rhône, où le R. P. Colin venait d'établir une sorte de Trappe mitigée vouée à l'adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement. Voir notre Vie du Curé d'Ars (Vitte, Lyon), pp. 469 à 485.


A suivre...
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Message  Monique Dim 20 Juin 2021, 9:12 am

VIII



Les Petites Sœurs de l'Assomption



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Il y avait huit ans déjà en 1872 que les Petites Sœurs de l'Assomption faisaient auprès des malades l'apprentissage de leur zèle. Leur fondateur, le R. P. Pernet, n'avait pas encore obtenu pour son œuvre si belle l'institution canonique. Il était temps enfin d'y songer sérieusement.

A cet effet fut déléguée à l'Archevêché de Paris cette admirable Mère Marie de Jésus Mlle Antoinette Fage dans le monde qui avait voué sa vie à la congrégation naissante au milieu des plus rudes contradictions. Reçue par M. le vicaire général Caron, Mère Marie de Jésus exposa simplement et rondement le but et les constitutions des Petites Sœurs... Qu'allait répondre le porte-parole de Mgr Guibert ? La religieuse l'ignorait et n'était pas sans trembler un peu. Quant au fondateur, il attendait tranquillement, en sa petite cellule, le résultat d'une si importante démarche ; c'est qu'il en connaissait d'avance l'issue favorable : il avait son secret.

« Quoiqu'on ne parle pas beaucoup de vous, répondit M. Caron avec un bienveillant sourire, nous n'ignorons pas combien vous travaillez avec ardeur à répandre le bien : c'est une grande marque qu'une œuvre provient de Dieu, lorsqu'elle reste cachée comme la vôtre... »

C'était là l'annonce assurée de l'approbation officielle. Au retour de Mère Marie de Jésus, le R. P. Pernet put lui conter cette histoire qui faisait sa force et dont son biographe nous a laissé le récit :



Mlle Clotilde Molozoë, qui devint ensuite Sœur Marie-Philomène, sollicitait la faveur d'entrer à Grenoble siège de la maison-mère des Petites Sœurs de l'Assomption. Retenue longtemps dans le monde par de stricts devoirs de famille, elle confia au Père comment elle avait été soutenue dans cette épreuve.

Un jour qu'elle s'était rendue à Ars pour demander au saint Curé d'intercéder pour la guérison de sa mère malade, et en même temps lui dire ses peines, M. l'abbé Vianney lui avait répondu : « Mon enfant, consolez-vous, vous serez religieuse, mais dans une congrégation qui n'existe pas encore ».

Ceci se passait avant 1859. Or l'œuvre ne commença d'exister qu'en 1864. N'était-ce pas pour le fondateur une assurance nouvelle que l'œuvre des Petites Sœurs était bien voulue de Dieu, qui avait permis qu'elle eût été connue et annoncée d'avance par ce prêtre en qui tout le monde s'accordait à voir des signes manifestes de sainteté ? (1)



Le 2 juillet 1875, par l'entremise de M. le vicaire général Caron, qui donnait l'habit religieux aux Sœurs et recevait leurs premiers vœux, le cardinal Guibert était heureux de reconnaître canoniquement l'œuvre du R. P. Pernet.

Quant à Sœur Marie-Philomène, qui avait demandé à porter ce nom pour honorer la « chère petite sainte » du Curé d'Ars, admise à l'âge de trente-quatre ans dans cette congrégation qui enfin existait, elle s'éteignit comme une sainte après cinq années seulement de vie religieuse. L'ancienne pénitente de M. Vianney s'était souvenue fidèlement des leçons d'Ars.



D'elle, après sa mort, le R. P. Pernet faisait ce magnifique éloge : « C'était une âme virginale, une âme droite et sincère avec Dieu. Quand elle avait dit : « Mon Dieu, je vous aime, je me donne toute à vous », c'était vrai. De là, procédait une force qui, malgré la débilité de sa santé, la rendait capable de tous les sacrifices dans l'obéissance. Aussi son dévouement était-il sans bornes ».


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(1) Le Révérend Père Pernet, Paris, Rondelet, pp. 127-128


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Message  Monique Lun 21 Juin 2021, 9:17 am

Quatrième partie : Prêtres, Religieux, Missionnaires


**
*


« À la Trappe. Et restez-y !... »


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Le jeune Buaton, du village de Vallins, près de Thoissey, dans l'Ain, venait d'achever l'aveu de ses fautes.

« Est-ce tout ? interrogea M. Vianney.

Oh ! Oui, mon Père.

Mais cela... dans telle circonstance ?

C'est vrai. Je ne m'en souvenais plus. »


Après sa confession, le pénitent sollicita quelques conseils : il se déplaisait dans le monde ; peut-être était-il fait pour la vie religieuse, une vie de prière et de pénitence ?...

Le saint Curé trancha la question :

« Mon enfant, allez à la Trappe... »

Puis, accentuant fortement les derniers mots, il reprit : « Allez à la Trappe. Et restez-y ! »




Bientôt, notre jeune pèlerin, éclairé sur la voie à suivre, frappait à la porte de Notre-Dame d'Aiguebelle. Accueilli favorablement, il y prit la bure sous le nom de Frère Éléazar.

Frère Éléazar fut, pendant plusieurs mois, le novice idéal, fervent, vaillant, toujours souriant. Ensuite la tentation se déchaîna dans son âme ; la belle lumière rapportée d'Ars parut s'éteindre ; le monde que le jeune homme avait fui dans l'ardeur de ses vingt printemps, il en vint à se l'imaginer moins périlleux et plus aimable.



Décidément, il avait exagéré, en s'ensevelissant dans cette Trappe, en se condamnant au silence perpétuel, aux jeûnes et aux abstinences de chaque jour, à la perte de sa liberté. Oh ! Cela surtout !... Ne pouvais-je donc être heureux et rester bon chrétien dans la maison de mon père ? se redisait-il cent fois le jour, cent fois la nuit où il ne dormait plus... Pourquoi prétendre me sauver à si grand prix quand il est possible de le faire à si bon marché ?

Le tentateur parlait ainsi dans son âme, et Frère Éléazar croyait entendre seulement la voix de sa raison. Aussi n'osa-t-il pas découvrir ses troubles à son maître de noviciat. Une pensée unique, à présent, l'obsédait : partir ! Il fit le malade et, sous prétexte que le Père infirmier ne comprendrait rien à son état, il exprima le désir d'aller se faire soigner à l'hôpital de Montélimar. Ce qu'il n'eut garde de dire, de là, laissant son froc, il prendrait la route du pays natal.

Or à peine exprimait-il le désir d'être conduit à Montélimar qu'il se rappela la parole du Curé d'Ars : « Allez à la Trappe et restez-y ! »

De ce programme de sainteté il avait réalisé la première partie. Mais la seconde ?... Restez-y ! Tenaces, inoubliables, ces deux mots retentissaient dans l'âme découragée et ténébreuse. Soudain la lumière se fit ; le courage revint. La tentation d'inconstance était vaincue.

Après une existence des plus pleines et des plus édifiantes, Frère Éléazar devait mourir à Aiguebelle le 11 août 1883. (1)


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(1) D'après une relation du Révérendissime Père Abbé de Notre-Dame d'Aiguebelle (21 mai 1901)


A suivre...
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Message  Monique Mar 22 Juin 2021, 8:07 am

II



« N'y allez pas !... »



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Au même monastère de Notre-Dame d'Aiguebelle se présentait vers le même temps que le Frère Éléazar un jeune homme qui, lui aussi, était allé prendre les directions de M. Vianney.

« Je veux être trappiste, avait-il déclaré au serviteur de Dieu. J'ai soif de mortifications et d'austérités.

N'allez pas à la Trappe, avait répliqué le saint, n'y allez pas ! »




Il y était allé quand même. Les débuts furent heureux. Le novice se montrait régulier, pieux, obéissant ; les rudes pratiques de la règle lui étaient douces. Le Révérendissime dom Gabriel, à qui le novice avait dit la décision du Curé d'Ars, en venait à penser : Cette fois, le saint s'est trompé. Le maître des novices opinait lui-même dans ce sens.

Le jour de la profession approchait.



Subitement, sans prévenir personne, le jeune homme, pris de dégoût, quitta le monastère, où la surprise fut générale. Et plus jamais on n'eut de ses nouvelles. (1)


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(1) Mêmes sources que le trait précédent.


A suivre...
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Message  Monique Mer 23 Juin 2021, 7:54 am

III



Chez les Capucins


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Un capucin du couvent de Chambéry, le R. P. Edmond, s'était acquis une grande réputation comme prédicateur. Jeune encore, il réussissait spécialement dans les retraites prêchées aux jeunes gens des collèges et des séminaires. C'était un précurseur de ce grand apôtre de la jeunesse, si personnel, si attachant, si convaincant, qui a nom Mgr André Saint-Clair.

En 1858, le P. Edmond donna la retraite au petit séminaire de La Côte-Saint-André, dans l'Isère. Là, comme ailleurs, il obtint un succès merveilleux, enthousiasmant, électrisant son jeune auditoire. Tous les grands élèves s'empressèrent à son confessionnal, sauf un seul. C'était un rhétoricien, nommé Lasserre, et qui trouva bon de recourir à son confesseur habituel. Cependant, comme la retraite touchait à sa fin, il demanda à voir le P. Edmond, par curiosité peut-être ou crainte de passer pour original.

Le religieux le laissa parler, puis lui demanda :

« Sans doute, mon jeune ami, avez-vous pensé un peu à l'avenir au cours de cette retraite ?

Eh oui, mon Père ! Mais c'est si vague encore !... Pourtant, quand je lis les Annales de la Propagation de la Foi, il me semble que j'aimerais être missionnaire.

Très bien, mon ami.

Seulement, voilà. Dans quelle congrégation rentrer et comment m'y prendre ?



Oh ! Mon ami, ce n'est pas tellement difficile. Vous avez le choix : Missions-Étrangères de Paris, Maristes, Lazaristes, Jésuites, Dominicains... Et chez nous donc ! Il y a des Capucins, et beaucoup, dans les missions lointaines. J'espère bien moi-même y aller un jour. Pourquoi ne viendriez-vous pas avec moi ? »


A cette question, le jeune Lasserre demeura ébahi. Chez les Capucins, lui ! Il n'en avait jamais vu avant cette retraite, et il ne connaissait ces religieux que par les plaisanteries plus ou moins sottes que l'on fait sur leur habit ou sur leur nom. Voyant l'embarras de son visiteur, le P. Edmond se contenta de dire en le congédiant par une tape amicale : « Je le vois, pas encore, n'est-ce pas ? Mais cela viendra ».

Notre rhétoricien n'en put fermer l'œil de la nuit.



L'année suivante, le jeune Lasserre suivait le cours de philosophie au petit séminaire de Rondeau, lorsqu'une épidémie obligea le supérieur à licencier les élèves. Notre philosophe profita de ces vacances forcées pour faire le pèlerinage d'Ars. Il demeurait tourmenté sur sa vocation. Sans doute le saint Curé lui donnerait-il la clef de l'énigme.

« Je désirerais savoir, interrogea le pénitent, ce que le bon Dieu veut de moi.

Entrez chez les Capucins »
, répondit M. Vianney sans autre préambule.

Le séminariste eut un sursaut. Tiens, songea-t-il, c'est comme l'autre. « Mais, mon Père, êtes-vous sûr que c'est la volonté de Dieu ?

Oui, mon enfant.

En êtes-vous aussi sûr que de votre propre existence ?

Oui. Allez en paix ! »




Le jeune Lasserre, en effet, s'en alla en paix, la joie peinte sur le visage, l'âme assurée des desseins de Dieu.

Après quelques mois passés au grand séminaire de Grenoble, il entrait au noviciat des Pères Capucins. Il s'y forma à toutes les vertus d'un digne fils de saint François. Ordonné prêtre, puis envoyé à la mission d'Aden, il en deviendrait le vicaire apostolique.

Et extraordinaire ! le R. P. Edmond, parti comme missionnaire aux Iles Seychelles, dans l'Océan Indien, en était nommé vicaire apostolique. Cela se passait en 1889. L'ancien rhétoricien de la Côte-Saint-André, déjà évêque, fut désigné pour donner à l'ancien prédicateur de retraite la consécration épiscopale. Malheureusement le R. P. Edmond, devenu Mgr Dardel, survécut à peine à son élection. Au moment où il s'embarquait à Aden pour les Seychelles, Mgr Lasserre apprit que l'évêque nommé était à toute extrémité. Le dénouement fatal survint peu après.



C'est au cours de grandes fêtes qui eurent lieu au petit séminaire de la Côte-Saint-André en juillet 1902 pour l'inauguration d'une nouvelle chapelle, que Mgr Lasserre raconta l'histoire de sa vocation. (1)


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(1) Voir Annales d'Ars, janvier 1903


A suivre...
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Message  Monique Jeu 24 Juin 2021, 9:54 am

IV



A la Chartreuse



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Elle demeure bien suggestive en sa brièveté, cette attestation écrite par un moine de la Chartreuse dans le registre ouvert par M. Toccanier pour recueillir sur place quelques-uns des faits extraordinaires attribués au serviteur de Dieu :



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Je me suis présenté, le 26 octobre 1857, au vénérable M. Vianney qui m'a dit sans que je lui eusse fait aucune confidence préalable :

« Mon enfant, il faut vous faire chartreux, parce que votre salut est en danger si vous restez dans le monde ».



Ce sont ses propres paroles, qu'il a répétées à trois reprises différentes, et je déclare ici que je n'ai pas eu à me repentir d'avoir suivi ce conseil. Je crois qu'il lui a été inspiré par Celui qui se plaît à élever les pauvres : et de stercore erigens pauperem.



Frère ALPHONSE-MARIE, Chartreux


A suivre...
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Message  Monique Ven 25 Juin 2021, 10:36 am


V



Chez les Carmes Déchaussés


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Vers 1856, un prêtre du diocèse de Tournay passa par le village d'Ars. Un attrait le poussait à entrer chez les Carmes Déchaussés, mais il y voyait de nombreuses et graves difficultés. De quel esprit émanait cet appel ? Il semble qu'en pareil cas, un directeur simplement prudent eût conseillé au moins d'attendre des circonstances favorables.



M. Vianney trancha autrement la question. Il ignorait qu'il y eût des Carmes en Belgique ; à plus forte raison, ne pouvait-il, humainement parlant, connaître leur histoire en ce royaume d'où la Révolution française les avait autrefois chassés. Malgré cela, voici quelle fut sa décision :

« Entrez chez les Carmes, mon ami, et vous les aiderez à restaurer une de leurs provinces ».

Une de leurs provinces ! Mais les Pères Carmes n'en possédaient alors qu'une seule en Belgique, et personne ne songeait à y ressusciter ce que l'impiété révolutionnaire avait détruit soixante années auparavant.



Confiant en la parole du saint, le pèlerin d'Ars allait s'enfermer au noviciat de Bruges, où, son temps de probation accompli, il fit profession sous le nom de Berthold-Ignace de Sainte-Anne. Ayant exercé diverses charges dans son Ordre, il en devint définiteur général, et c'est à ce titre qu'en 1885 trente ans après la prédiction du Curé d'Ars qui se réalisait sans que rien l'eût fait prévoir le R. P. Berthold travailla à rétablir la province du Brabant. Il est mort en 1890. (1)


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(1) Annales d'Ars, septembre 1901


A suivre...
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Message  Monique Sam 26 Juin 2021, 7:47 am

VI



A la manière des « Fioretti »



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Les savoureux souvenirs d'enfance que ceux de M. l'abbé Salomon, successivement curé de Meximieux et de Trévoux, au diocèse de Belley ! Il lui avait été donné d'aborder familièrement le Curé d'Ars, d'en recevoir caresses et médailles, d'être l'objet d'une de ses vues extraordinaires car, à n'en pas douter, c'est de lui-même qu'il va s'agir tout à l'heure dans une histoire de vocation.

On goûtera un délicat plaisir à parcourir la poétique lettre, toute vibrante encore des affections et des émotions d'autrefois, que M. l'abbé Salomon envoyait de Meximieux, le 28 août 1905, à destination du presbytère d'Ars.



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Connaissez-vous ce livre charmant qu'on appelle les Fioretti ou les Petites fleurs de saint François ?

Si vous trouvez cet opuscule, lisez-le. Vous en serez émus et charmés.

C'est un recueil d'anecdotes délicieuses, d'épisodes exquis, de miracles poétiques, de dialogues pleins de grâce, dont l'auteur est resté inconnu et qui permet de suivre le pénitent d'Assise dans sa vie intime, comme dans sa vie de missionnaire à travers l'Ombrie et la Toscane...

Or la vie du Curé d'Ars pourrait fournir un livre semblable, car elle abonde en traits du même genre dans ses rapports avec les enfants, avec les humbles, avec les âmes naïves qui allaient à lui dans leur simplicité, dans leurs doutes et dans leurs détresses.

Et ce n'est pas le côté le moins attrayant du ministère de ce grand serviteur de Dieu.



J'ai eu, pour ma part, la bonne fortune de me trouver, tout petit enfant, dans le rayonnement de cette vie dont j'étais incapable de comprendre l'héroïsme mais dont je subissais la pénétrante impression. En effet, de 1856 à 1859, ma bonne mère conduisit souvent sa petite famille auprès du saint Curé. C'était notre grande récompense, la joie rêvée longtemps d'avance, que cette excursion au pays d'Ars !

Rien n'égale, dans mes souvenirs, le charme de ces voyages qui gardent pour moi, après de longues années, leur poésie et leur grâce séduisante. On prenait, je m'en souviens, la voiture sur la place Bellecour ; on suivait les quais et les rives enchanteresses de la Saône jusqu'à Neuville ; on traversait, ensuite de coquets villages : Genay, Massieux, Reyrieux. Puis, à la rude côte de Balmont, tout le monde descendait de la lourde diligence ; et les enfants, ivres de grand air, couraient après les papillons et cueillaient dans les haies embaumées toutes sortes de fleurs et de fruits sauvages.

Et l'arrivée à Ars au déclin du jour... la joie toujours débordante, le déballage des paquets dans la grande chambre de l'hôtel d'où la vue embrassait la petite place de l'église !...

Tout à coup au milieu de nos jeux : « Mes enfants, regardez, voici le Curé d'Ars », disait notre mère. Et nous regardions avidement ce vieillard maigre, au doux profil d'ascète, aux rides nombreuses, aux longs cheveux blancs, qui nous causait une impression étrange et comme surnaturelle.

Le lendemain, enhardis par la bonté infinie qui rayonnait des yeux bleus, souvent humides, de ce prêtre, nous nous approchions, avec la simplicité hardie et confiante de notre âge, pour lui demander une médaille.

Et lui souriait à la bande enfantine, se laissait complaisamment dépouiller de ses médailles, bénissait ces fronts candides.

Il était si accueillant, si attirant, malgré l'austérité de ses traits émaciés par les privations, qu'un jour j'eus l'heureuse audace de me suspendre à son bras, depuis la porte de l'église jusqu'au presbytère, au grand scandale mais à la profonde joie de ma pauvre mère qui m'embrassa ensuite avec une tendresse mêlée de fierté.

Comme ces images lointaines restent gravées au plus profond du cœur !



Mais j'ai parlé de petites fleurs : en voici une.

C'est une histoire vraie dans ses moindres détails. Elle montre l'aimable condescendance du saint prêtre pour les enfants qu'il aimait à l'exemple de Jésus.

Il y avait à Ars, en 1858, une Lyonnaise venue en pèlerinage.

L'aîné des garçons, un enfant de onze ans, était à la veille de faire sa première communion. De vagues pensées s'agitaient dans sa jeune tête ; et, un jour, il désira vivement savoir du bon Curé à quelle vocation Dieu le destinait. Sa mère l'encouragea dans son projet, et, pour lui laisser toute latitude dans sa démarche, elle s'abstint de l'accompagner et le confia à un jeune sous-diacre, ami de la famille, M. l'abbé Pacotte, qui est mort sous l'habit des Carmes déchaussés.

Le petit bonhomme était très ému, mais en même temps pénétré de l'espoir qu'il entendrait la voix de Dieu.

Il assista à la messe du serviteur de Dieu. Le saint sacrifice achevé, le Curé d'Ars, rentré à la sacristie, se dépouillait lentement des vêtements sacrés, plongé dans un recueillement qui touchait à l'extase, pendant que des hommes en grand nombre, prêtres et laïques, se tenaient près de la porte pour lui parler tour à tour.

Ce fut le petit qui eut son premier regard et son premier sourire.

« Que veux-tu, mon enfant ? lui demanda-t-il avec cette voix un peu cassée mais si douce qu'on n'oubliait plus quand on l'avait entendue une fois.

Monsieur le Curé, répondit l'enfant dont le cœur battait bien fort, mais dont les yeux limpides plongeaient avec confiance dans les yeux du saint, je voudrais savoir »


M. Vianney se recueillit sans cesser de regarder le petit qui attendait l'oracle divin... Puis, simplement, sans l'ombre d'une hésitation : « Tu seras un bon prêtre ». Et il le bénit d'un geste caressant.



Car il est devenu prêtre, cet enfant, et prêtre sans autre impulsion, sans autre signe extérieur de vocation que la parole du Curé d'Ars. Il semblait même que ses tendances fussent pour une vie plus brillante. Un moment, le monde l'attira ; ses amis, qui ne savaient point son histoire, crurent qu'il se préparait à Saint-Cyr ; mais, un beau jour, à l'étonnement général, il entra au grand séminaire, poussé par cette prédiction du Curé d'Ars qu'il n'avait jamais oubliée.



Cet enfant avait un frère, de six ans moins âgé que lui ; quand on parla le soir, en famille, de la réponse du Curé d'Ars, l'enfant de cinq ans resta songeur... Depuis quelques mois on l'avait mis au travail ; travail bien doux, sans doute, mais qu'il trouvait, lui, tout à fait insupportable. La vue seule de l'abécédaire lui causait des crises de larmes. Or, pendant qu'on parlait autour de lui du grand événement de la matinée, il ruminait un plan qu'il confia à sa maman.

Puisque le Curé d'Ars dictait ainsi la conduite et dévoilait l'avenir, il aurait aussi lui sa réponse...

« Je vais demander à M. le Curé, dit-il d'un ton décidé, si je dois apprendre à lire.

C'est bien, répondait la maman, demain tu feras comme ton frère ; mais tu obéiras au Curé d'Ars ?

Oui, maman. »



Le lendemain, vers midi, fidèle à son programme, le cher petit se rendit avec sa mère sur la place de l'église... et quand le bienheureux sortit pour prendre son frugal repas, il vit un tout petit enfant qui se précipitait à genoux et qui lui criait d'une voix toute tremblante : « Monsieur le Curé, faut-il que j'apprend ou que je jouille ? »

Le bon saint s'arrêta, frôla d'une caresse la joue de l'enfant, et avec ce sourire que devait avoir Jésus quand il accueillait les tout petits : « Joue, mon enfant, c'est de ton âge ». D'un bond, le bambin se releva, et courant à sa mère, il lui cria d'un accent de triomphe : « Maman, maman, le Curé d'Ars m'a dit qu'il fallait que je jouille ! »

N'est-ce pas un épisode d'idéale et fraîche beauté ?



Parfois l'avertissement prophétique se voilait sous une parabole.

Une excellente chrétienne, paroissienne de Châtillon-la-Palud, dans la Dombes, allait souvent à Ars.

Une année, elle s'y rendit au commencement du mois de mai, selon son habitude... M. Vianney, qui la connaissait bien, l'apercevant dans la foule, lui fit signe de s'approcher. « Ma fille, lui dit-il, il faut bien faire vos moissons cette année... »

La bonne dame, un peu interloquée, rentra chez elle et raconta la recommandation du Curé d'Ars, sans toutefois en bien comprendre le sens.

Trois mois après, elle mourait saintement. La moisson était faite, et bien faite... La mourante emportait aux pieds de Dieu une gerbe opulente de vertus et de mérites.



N'est-ce pas que ces petites fleurs d'Ars ont un parfum délicat et doux ?


A suivre...
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