Somme de la Foi catholique contre les Gentils.
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Re: Somme de la Foi catholique contre les Gentils.
De l’âme.LXXXIXRéponses aux objections précédentes.SUITE
La conclusion que l'on tire de la dernière objection n'a rien de nécessaire. Lors même que la formation du corps de l'homme précéderait la création de son âme, ou réciproquement, il ne s'ensuit pas que le même homme est antérieur à lui-même; car l'homme ne consiste pas uniquement dans son corps ou seulement dans son âme. Il est vrai qu'une de ses parties a la priorité sur l'autre; mais il n'y a en cela aucune difficulté; car, à raison du temps, la matière est avant la forme. Nous considérons ici la matière en tant qu'elle est en puissance pour la forme, et non comme actuellement perfectionnée par la forme; car, dans le second cas, leur existence est simultanée.
Donc, au point de vue du temps, le corps humain précède l'âme quand il est en puissance pour elle, c’est-à-dire tant qu'il ne la possède pas encore; mais alors il n'a pas actuellement la nature humaine, qui ne lui convient qu'en puissance. Lorsqu'il est devenu actuellement quelque chose d'humain, et cela a lieu à l'instant où il reçoit en quelque sorte sa perfection de l'âme humaine, il n'est ni antérieur ni postérieur à l'âme, mais tous deux existent simultanément.
De ce que le principe actif du …
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
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Re: Somme de la Foi catholique contre les Gentils.
De l’âme.LXXXIXRéponses aux objections précédentes.SUITE
De ce que le principe actif du sperme produit seulement le corps et non pas l'âme, il ne s'ensuit pas que l'opération de Dieu et celle de la nature restent incomplètes, comme on veut l'établir par le septième argument; car c'est la puissance divine qui donne l'existence au corps et à l'âme, quoiqu'elle forme le corps par le moyen d'un agent naturel, qui est la vertu inhérente au sperme, et qu'elle produise l'âme immédiatement. On ne peut pas dire davantage que l'action de la vertu spermatique s'exerce imparfaitement, puisqu'elle rend parfait son objet propre.
Il est vrai que la semence renferme virtuellement en elle tout ce qui…
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De l’âme.LXXXIXRéponses aux objections précédentes.SUITE
Il est vrai que la semence renferme virtuellement en elle tout ce qui n'excède pas la puissance active du corps, comme l'herbe, la paille, les entre-nœuds et les autres parties; mais cela ne prouve pas, ainsi qu'on le prétend dans la huitième objection, que le sperme contient aussi virtuellement la partie de l'homme qui n'est aucunement soumise à la puissance active propre au corps.
La neuvième difficulté qu'on nous oppose, savoir que…
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De l’âme.LXXXIXRéponses aux objections précédentes.SUITE
La neuvième difficulté qu'on nous oppose, savoir que les opérations de l'âme se développent dans la même proportion que les parties du corps, à mesure que la génération de l'homme approche de son terme, ne nous force pas d'admettre que l'âme humaine et le corps procèdent du même principe; mais elle établit uniquement que les parties du corps doivent être disposées d'une certaine manière pour que l'âme puisse se livrer à ses opérations.
Ce qu'on nous objecte en dixième lieu, que…
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De l’âme.LXXXIXRéponses aux objections précédentes.SUITE
Ce qu'on nous objecte en dixième lieu, que la figure du corps est déterminée par la forme de l'âme, et que, pour cette raison, l'âme se prépare à elle-même un corps qui lui ressemble, est vrai sous un rapport et faux sous un autre. S'il s'agit de l'âme du père, on est dans la vérité; mais on se trompe si l'on a en vue l'âme du sujet engendré; car le principe qui forme les premières et les principales parties du corps n'est pas dans l'âme du sujet engendré, mais dans l'âme de l'être générateur, comme nous l'avons démontré un peu plus haut.
Toute matière reçoit pareillement sa configuration d'après sa forme; cependant cette configuration résulte de l'action de la forme productrice et non de l'action de l'être produit.
La onzième objection s'appuie sur…
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De l’âme.LXXXIXRéponses aux objections précédentes.SUITE
La onzième objection s'appuie sur ce que le sperme a la vie à l'instant même de son émission. Mais on voit assez, par ce que nous avons déjà observé, qu'il n'est vivant qu'en puissance, et, par conséquent, il n'est pas actuellement en possession d'une âme, mais virtuellement. A mesure que la génération progresse, il reçoit, par l'effet de la vertu spermatique, une âme végétative et une âme sensitive, qui ne demeurent pas, mais disparaissent lorsque l'âme raisonnable vient prendre leur place.
On a tort de prétendre, dans…
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Re: Somme de la Foi catholique contre les Gentils.
De l’âme.LXXXIXRéponses aux objections précédentes.SUITE
On a tort de prétendre, dans le douzième argument, que l'âme existe pour le corps, parce que le corps est formé avant l'âme.
Un être peut exister pour un autre en deux manières: d'abord, parce que sa fin est l'opération, ou la conservation de cet autre, ou bien tout ce qui est une conséquence naturelle de l'existence, et, en ce sens, l'être qui existe pour un autre lui est postérieur: tels sont les vêtements par rapport à l'homme, et les instruments de son art pour l'ouvrier; une chose existe encore pour une autre quand elle existe à cause de son être, et, dans ce cas, ce qui existe pour un autre être a la priorité de temps, mais il est postérieur dans l'ordre de la nature. C'est de cette seconde manière que le corps existe pour l'âme, comme toute matière pour sa forme. Il en serait autrement si le corps et l'âme ne se réunissaient pas dans un être commun, ainsi que l'enseignent ceux qui refusent d'admettre que l'âme est la forme du corps.
XC. Le corps humain est le seul qui soit uni à une substance intellectuelle, comme à sa forme.
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De l’âme.XCLe corps humain est le seul qui soit uni à une
substance intellectuelle, comme à sa forme.
Puisque nous avons prouvé [ch. 57] qu'une substance intellectuelle, qui est l'âme humaine, est unie au corps en qualité de forme, nous avons à rechercher maintenant s'il existe quelque substance de même nature qui s'unisse à un autre corps comme étant aussi sa forme. Nous connaissons [ch. 70] le sentiment d'Aristote touchant la question de savoir si les corps célestes ont une âme intellectuelle, et nous avons vu que saint Augustin ne décide rien à ce sujet (1); c'est pourquoi nous allons nous occuper en ce moment des corps élémentaires. Or, il est évident qu'il n'est point de substance intellectuelle unie, en qualité de forme, à un corps élémentaire autre que le corps humain.
En effet :
1° Si une substance intellectuelle est unie à un autre corps, ce corps est mixte ou simple. — Or, elle ne peut s'unir à un corps mixte; car, de tous les corps mixtes, c'est surtout celui-là qui devrait avoir, à raison de son genre, une complexion en parfait équilibre, puisque les corps mixtes ont une forme d'autant plus noble que leurs éléments sont combinés suivant une plus juste proportion. Par conséquent, si le corps qui a la plus noble de toutes les formes, c'est-à-dire une substance intellectuelle, est mixte, son tempérament doit être exempt de tout vice; et c'est pour cette raison que nous jugeons de la bonté de l'intelligence d'après la souplesse de la chair et la sûreté du tact, qui sont pour nous les indices d'une complexion exactement proportionnée. Or, la complexion qui offre au plus haut degré ce caractère est celle du corps humain. Donc, si une substance intellectuelle s'unit à un corps mixte, ce corps est nécessairement de même nature que celui de l'homme. La forme sera également de même nature que l'âme humaine, si c'est une substance intellectuelle. Donc il n'y aura aucune différence spécifique entre cet animal et l'homme.
— Cette substance intellectuelle ne peut pas davantage être unie comme forme à un corps simple, tel que l'air, l'eau, le feu ou la terre. En effet, chacun de ces corps se ressemble dans son tout ou dans ses parties; car une partie de l'air et l'air tout entier ont une nature identique et sont dans la même espèce, puisqu'ils se meuvent ensemble; et il en faut dire autant des autres. Or, les moteurs semblables doivent avoir des formes qui se ressemblent. Si donc quelque partie de l'un de ces corps, de l'air, par exemple, est animée par une âme intellectuelle, l'air tout entier et toutes ses parties seront animés de la même manière. Or, il n'en est évidemment pas ainsi; car nous n'apercevons aucune opération qui indique la vie dans les parties de l'air ou des autres corps simples. Donc il n'est point de substance intellectuelle qui s'unisse comme une forme à quelque partie de l'air ou d'autres corps semblables.
2° S'il est une substance intellectuelle qui s'unisse à quelque corps simple en qualité de forme…
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(1) Saint Augustin, Enchirid. c. 58. — Voyez la fin du ch. 70. => Saint Augustin s'exprime ainsi à ce sujet : « II ne me paraît pas bien assuré que le soleil, la lune et tous les astres appartiennent à la même société que les anges. Plusieurs les considèrent seulement comme des corps lumineux privés de sentiment et d'intelligence » [Enchirid., ch. 58].
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substance intellectuelle, comme à sa forme.SUITE
2° S'il est une substance intellectuelle qui s'unisse à quelque corps simple en qualité de forme, elle aura seulement une intelligence, ou bien avec elle les autres puissances, savoir celles qui appartiennent à la partie sensitive ou nutritive, comme cela a lieu dans l'homme.
— Or, si elle n'a que l'intelligence, son union avec le corps est complètement inutile; car toute forme unie à un corps a une opération propre qui s'exerce par le corps. Or, l'intelligence n'a aucune opération qui concerne le corps, si ce n'est en tant qu'elle lui donne le mouvement, puisque l'opération même de connaître et, pour la même raison, celle de vouloir, ne s'exercent pas au moyen d'un organe corporel. Les mouvements auxquels sont soumis les éléments ont pour cause leurs moteurs naturels, c'est-à-dire leurs principes générateurs, et ils ne se meuvent pas eux-mêmes. Le mouvement qu'ils en reçoivent n'exige donc point qu'ils soient animés.
— Si, au contraire, la substance intellectuelle que l'on suppose être unie à un élément, ou à quelqu'une de ses parties, renferme les autres parties de l'âme, comme ces parties font aussi partie de certains organes, ce corps élémentaire sera nécessairement composé d'organes divers; ce qui répugne à sa simplicité.
— Donc une substance intellectuelle ne peut s'unir en qualité de forme à un élément ou à l'une de ses parties.
3° Plus un corps se rapproche de la matière première et plus il est infime,…
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substance intellectuelle, comme à sa forme.SUITE
3° Plus un corps se rapproche de la matière première et plus il est infime, parce qu'il est plus en puissance et que son acte est moins complet. Or, les éléments sont plus près de la matière première que les corps mixtes, puisqu'ils sont eux-mêmes la matière prochaine de ces derniers. Donc, par leur espèce, les corps élémentaires sont inférieurs aux corps mixtes. Donc, puisque la forme la plus noble appartient au corps le plus excellent, il est impossible que la plus noble de toutes les formes, qui est l'âme intelligente, soit unie aux corps élémentaires.
4º Si les corps élémentaires, ou quelques-unes de leurs parties, étaient animés par les âmes les plus nobles, c'est-à-dire par des âmes intelligentes, les corps seraient moins éloignés de la vie à mesure qu'ils se rapprocheraient des éléments. Or, nous ne voyons rien de semblable, mais c'est plutôt le contraire qui a lieu; car les plantes ont moins de vie que les animaux, quoiqu'elles soient plus près de la terre, et la vie des minéraux, qui s'en rapprochent davantage encore, est absolument nulle. Donc aucune substance intellectuelle ne s'unit à un élément ou à quelqu'une de ses parties comme sa forme.
5° L'excès de l'un des principes contraires détruit la vie dans tous…
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5° L'excès de l'un des principes contraires détruit la vie dans tous les moteurs sujets à la corruption : par exemple, la chaleur et le froid, l'humidité et la sécheresse, lorsqu'ils sont excessifs, donnent la mort aux animaux et aux plantes. Or, c'est surtout dans les corps élémentaires que les principes contraires peuvent arriver à cet excès. Donc ces corps sont dans l'impossibilité de vivre, et, par conséquent, nulle substance intellectuelle ne peut s'unir à eux comme leur forme.
6º Quoique les éléments soient indestructibles dans leur tout, cependant, chacune de leurs parties est soumise à la corruption, puisqu'elles renferment des principes contraires. Si donc certaines parties des éléments se trouvent unies à des substances douées de connaissance, elles doivent surtout posséder la faculté de discerner les agents capables de les corrompre. Cette faculté consiste dans le sens du toucher, qui a la propriété de distinguer le chaud, le froid et les autres principes contraires; c'est pourquoi tous les animaux en sont pourvus, comme d'une chose nécessaire, pour les préserver de la destruction. Or, ce sens ne saurait être inhérent à un corps simple, puisque son organe propre n'a pas en lui actuellement les principes contraires, mais seulement en puissance; ce qui ne convient qu'aux corps mixtes dont les éléments sont en équilibre. Donc les parties des éléments ne peuvent être animées par des âmes capables de connaître.
7º Tout corps qui a une vie quelconque par son âme subit un mouvement local. En effet, le mouvement des corps célestes, si toutefois ils sont animés, est circulaire; celui des animaux parfaits est progressif; le mouvement des coquillages consiste dans la dilatation et la contraction; celui des plantes, dans la croissance et le décroissement, et ces derniers sont locaux sous quelque rapport. Or, nous n'apercevons dans les éléments aucun mouvement imprimé par une âme, mais seulement un mouvement naturel. Donc ce ne sont pas des corps vivants.
Si l'on se retranche à dire que…
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substance intellectuelle, comme à sa forme.SUITE
Si l'on se retranche à dire que, bien que la substance intellectuelle ne s'immisce pas au corps élémentaire ou à l'une de ses parties comme sa forme, elle s'unit cependant avec lui en sa qualité de moteur, nous répondons :
1º Cela est impossible par rapport à l'air ; car les parties de l'air n'étant pas limitées par elles-mêmes, chaque partie déterminée ne peut avoir un mouvement propre, qui demande, pour être réalisé, qu'une substance intellectuelle lui soit unie.
2° Si quelque substance intellectuelle est unie naturellement à un certain corps, comme le moteur l'est à son propre mobile, la vertu motrice de cette substance est nécessairement limitée au corps mobile auquel elle est naturellement unie; car la vertu active du propre moteur ne s'étend pas, lorsqu'il produit le mouvement, au-delà de son propre mobile. Or, il nous paraît absurde de prétendre que la vertu active d'une substance intellectuelle ne dépasse pas, dans l'acte de mouvoir, telle partie déterminée d'un élément, ou un certain corps mixte. Donc on ne peut affirmer qu'une substance intellectuelle est unie naturellement à un corps élémentaire en qualité de moteur, à moins qu'elle ne lui soit unie aussi comme étant sa forme.
3° Le mouvement d'un corps élémentaire peut avoir pour cause d'autres principes qu'une substance intellectuelle. Donc il est inutile qu'à raison de ce mouvement des substances intellectuelles soient unies naturellement à des corps élémentaires.
Cette démonstration détruit l'opinion fausse d'Apulée et de quelques philosophes platoniciens, qui ont enseigné que les démons sont des animaux aériens par le corps, raisonnables par l'esprit, passifs par l'âme, et éternels par la durée; et aussi l'erreur des païens, qui croyaient les éléments animés, et pour cette raison les honoraient comme des dieux. Nous renversons également une autre opinion qui attribue aux Anges et aux démons des corps qui leur sont naturellement unis et de même nature que les éléments supérieurs ou inférieurs (2).
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(2) Cette note est libellée en latin; sur demande, nous la publierons. Bien à vous. (S. Aug. De civit. Dei, l. VIII , c. 14, 15 et 16).
Des substances séparées...
Dernière édition par Louis le Ven 29 Sep 2023, 9:46 am, édité 1 fois (Raison : Précision dans la note.)
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Re: Somme de la Foi catholique contre les Gentils.
24 septembre 2023
Des substances séparées.XCIIl existe des substances intellectuelles non unies à des corps.
On peut prouver, par tout ce qui précède, l'existence de substances séparées qui ne sont en aucune manière unies à des corps. En effet :
1° Nous avons démontré [ch. 70] qu'après la destruction du corps la substance de l'intelligence demeure comme devant toujours durer.
S'il est vrai, comme le veulent certains auteurs, que cette substance qui survit soit unique pour tous les hommes, elle est nécessairement séparée du corps à raison de son être; et nous obtenons ainsi ce que nous cherchons à établir, savoir qu'une certaine substance intellectuelle subsiste indépendamment du corps.
Si, au contraire; les âmes intelligentes restent en nombre, lorsque les corps sont détruits, plusieurs substances intellectuelles pourront subsister sans corps, puisque nous avons prouvé [ch. 83] que les âmes ne passent pas d'un corps dans un autre. Or, c'est par accident que les âmes se trouvent séparées des corps; car naturellement elles sont la forme des corps; et ce qui est essentiel doit précéder ce qui n'est qu'accidentel. Donc il y a des substances intellectuelles antérieures aux âmes par nature, et qui, en vertu de leur essence, subsistent sans les corps.
2° Tout ce qui entre dans la raison constitutive [ou nature] du genre doit être également compris dans la raison de l'espèce, tandis que certaines choses qui entrent dans la raison de l'espèce ne sont pas comprises dans celle du genre: par exemple, la qualité d'être raisonnable est dans la raison constitutive de l'homme et non dans celle de l'animal. Or, tout ce qui est dans la raison de l'espèce sans appartenir aussi au genre ne se retrouve pas nécessairement dans toutes les espèces dont se compose le genre; car il existe une multitude d'espèces d'animaux sans raison. La substance intellectuelle doit, en vertu de son genre, subsister par elle-même, puisque nous avons vu qu'elle a une opération propre [ch.50 et 51]; et la raison constitutive d'une chose qui subsiste par elle-même ne demande pas qu'elle soit unie à une autre chose. Donc il n'est pas dans la raison de la substance intellectuelle d'être unie à un corps en vertu de son genre, quoique cela entre dans la raison d'une certaine substance intellectuelle, qui est l'âme. Donc quelques substances intellectuelles ne sont pas unies à des corps.
3º Une nature supérieure touche, par son degré le plus bas…
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Des substances séparées.XCIIl existe des substances intellectuelles non unies à des corps.SUITE
3º Une nature supérieure touche, par son degré le plus bas, le degré le plus élevé de la nature inférieure. Or, la nature intellectuelle est supérieure à la nature corporelle et elle la touche par une de ses parties, qui est l'âme intelligente. Donc, de même que le corps perfectionné par l'âme occupe le premier degré dans le genre des corps, de même aussi l'âme intelligente unie au corps doit être au dernier degré dans le genre des substances intellectuelles. Donc il existe des substances intellectuelles non unies à des corps et supérieures à l'âme dans l'ordre de la nature.
4º Si l'on rencontre dans quelque genre que ce soit un être imparfait, d'après l'ordre de la nature, on trouvera un autre être qui sera parfait dans le même genre; car le parfait vient naturellement avant l'imparfait. Or, les formes qui résident dans des matières sont des actes imparfaits, parce qu'elles n'ont pas un être complet. Donc certaines formes sont des actes parfaits, parce qu'elles subsistent par elles-mêmes et que leur espèce est complète. Or, toute forme subsistant par elle-même, sans matière, est une substance intellectuelle; car la séparation d'avec la matière constitue l'être intelligible [ch.51]. Donc il existe des substances intellectuelles non unies à des corps; et il n'y a pas de corps sans matière.
5° La substance est possible sans la quantité…
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Re: Somme de la Foi catholique contre les Gentils.
Des substances séparées.XCIIl existe des substances intellectuelles non unies à des corps.SUITE
5° La substance est possible sans la quantité, quoique la quantité soit impossible sans la substance; car la substance des autres genres est la première dans l'ordre de temps, de raison et de connaissance. Or, il n'y a point de substance corporelle sans quantité. Donc le genre de la substance en comprend quelques-unes qui peuvent exister sans corps. Or, toutes les natures possibles sont dans l'ordre des choses; autrement l'univers serait incomplet; et il n'y a pas de différence entre l'être et la puissance pour celles qui doivent durer toujours. Donc certaines substances, qui subsistent sans corps, sont placées au-dessous de la première substance, qui est Dieu et n'est renfermée en aucun genre [liv. I, ch.25 ], et au-dessus de l'âme unie à un corps.
6º Lorsque deux choses entrent dans la composition d'un tout, si l'une d'elles, et la moins parfaite, existe par elle-même, la seconde, qui est plus parfaite et n'a pas autant besoin de la première, existera aussi par elle-même. Or, nous connaissons une substance composée d'une substance intellectuelle et d'un corps [ch. 68]; et le corps subsiste par lui-même, ainsi que le prouvent tous les corps inanimés. Donc, à plus forte raison, doit-il exister des substances intellectuelles qui ne sont pas unies à des corps.
7° La substance est proportionnée à l'opération de la chose, parce…
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XCII Du nombre des substances séparées..Des substances séparées.XCIIl existe des substances intellectuelles non unies à des corps.SUITE
7° La substance est proportionnée à l'opération de la chose, parce que l'opération est l'acte et le bien de la substance qui opère. Or, connaître est l'opération propre de la substance intellectuelle. Donc la substance intellectuelle doit être dans la condition qui convient à cette opération. Or, comme l'opération de connaître ne s'exerce pas au moyen d'un organe corporel, elle peut se passer du corps, à moins qu'il ne s'agisse des formes intelligibles qui viennent des objets sensibles. Ce dernier mode de connaissance est imparfait; car on ne connaît parfaitement qu'autant qu'on a la perception de choses intelligibles en raison de leur nature, et si l'on connaît seulement ce qui n'est pas intelligible en soi, mais le devient par un acte de l'intelligence, une telle manière de connaître est incomplète. Si donc, dans un même genre, le parfait doit exister avant l'imparfait, il doit y avoir au-dessus des âmes humaines, qui arrivent à connaître par les images, d'autres substances intellectuelles connaissant les choses qui sont intelligibles en elles-mêmes, sans le secours des objets sensibles, et qui sont, par conséquent, entièrement séparées des corps par leur nature.
8º Aristote fait ce raisonnement : Le mouvement continu et régulier, indéfini en soi, ne peut venir que d'un moteur qui n'est mû lui-même ni essentiellement ni par accident, comme il a été prouvé [liv. I, ch.13]; et plusieurs moteurs sont nécessaires pour produire plusieurs mouvements. Or, le mouvement du ciel est continu, régulier et, autant qu'il est en lui, indéfini; et outre le mouvement premier, il y a encore dans le ciel une foule d'autres mouvements qui ont le même caractère, comme le prouvent les observations astronomiques. Donc il doit exister plusieurs moteurs qui ne sont mus ni essentiellement ni par accident (1). Or, nul corps ne meut s'il n'est mû lui-même [liv. I, ch.13 ]; et le moteur incorporel, uni à un corps, est mû accidentellement lorsque le corps est en mouvement, ainsi qu'il arrive pour l'âme. Donc il faut admettre plusieurs moteurs non corporels qui ne sont pas non plus unis à des corps. Or, les mouvements célestes ont pour cause une intelligence [liv. I, ch.20 ]. Donc il existe un certain nombre de substances intellectuelles non unies à des corps.
Nous sommes d'accord en cela avec saint Denys, qui dit, en parlant des Anges : « On les conçoit immatériels et incorporels (2). »
Nous réduisons ainsi à néant l'erreur des Sadducéens, qui n'admettaient l'existence d'aucun esprit (3); l'opinion des anciens philosophes naturalistes, aux yeux de qui toute substance est corporelle (4) ; la doctrine d'Origène, qui enseigne qu'en dehors de la Trinité divine, nulle substance ne peut subsister sans corps; et en général, les divers systèmes qui attribuent à tous les Anges, bons ou mauvais, des corps qui leur sont naturellement unis.
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(1), (2), (3) et (4). Ces notes sont libellées en latin; sur demande, nous les publierons. Bien à vous.
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Des substances séparées.XCIIDu nombre des substances séparées.
Aristote s'efforce de prouver, non-seulement qu'il existe quelques substances intellectuelles sans corps, mais, de plus, que leur nombre est égal à celui des mouvements observés dans le ciel, et qu'il n'y en a ni plus, ni moins.
Il établit d'abord qu'il n'y a dans le ciel aucun mouvement que nous ne puissions apercevoir, parce que tout mouvement céleste est produit par le changement de position d'un astre, qui est une chose sensible ; car les orbites transportent les astres, et le mouvement du véhicule a pour cause [finale] le mouvement de l'objet transféré (1).
Il en vient ensuite à montrer qu'il n'y a point de substance séparée qui ne produise quelque mouvement dans le ciel. La raison qu'il en donne, c'est que les mouvements célestes étant coordonnés par rapport aux substances séparées, comme avec leurs fins, s'il existait d'autres substances séparées que celles qu'il énumère, il y aurait également d'autres mouvements coordonnés avec elles, comme avec leur fin, sans quoi ces mouvements seraient imparfaits.
Il conclut de là que les substances séparées ne sont pas en plus grand nombre que les mouvements connus, ou que l'on pourra découvrir dans le ciel, surtout en considérant qu'il n'y a pas plusieurs corps célestes de la même espèce, en sorte que nous puissions ignorer encore quelques mouvements (2).
Cette conclusion ne nous paraît pas nécessaire. Lorsqu'une chose existe pour une fin, sa nécessité se tire de la fin, ainsi que le Philosophe lui-même l'enseigne, mais non réciproquement (3).
C'est pourquoi, si nous admettons ce qu'il dit, que les mouvements célestes sont coordonnés avec les substances séparées, comme avec leurs fins, il ne s'ensuit pas nécessairement que l'on peut connaître le nombre des substances séparées par le nombre de ces mouvements. On peut, en effet, supposer que certaines substances séparées sont supérieures par leur nature à celles qui sont les fins prochaines des mouvements célestes, de même que les instruments d'un art existent à cause de ceux qui s'en servent pour agir, et cependant rien ne s'oppose à ce que d'autres hommes n'opèrent pas immédiatement au moyen de ces instruments, mais donnent seulement des ordres à ceux qui sont chargés de l'opération. C'est pour cela qu'Aristote lui-même ne nous donne pas cette raison comme nécessaire, mais simplement comme probable ; car il dit au même endroit :Aristote a écrit:« Il est raisonnable de penser que tel est le nombre des substances et des principes immobiles et sensibles. Cela est-il nécessaire? Nous laissons à d'autres plus habiles de résoudre cette question » (4).
Il nous reste donc à prouver que les substances intellectuelles séparées des corps dépassent de beaucoup en nombre les mouvements célestes.
1º Les substances intellectuelles dominent par leur genre toute la…
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(1) Voyez d'abord le passage rapporté dans la note 1 du chapitre précédent. [Cette note 1 est libellée en latin; sur demande, nous la publierons. Bien à vous]. Aristote continue ainsi : — « Texte LATIN » : sur demande, nous la publierons. Bien à vous.
— (2) Les découvertes successives faites par l'astronomie, au moyen des divers instruments inventés et perfectionnés dans les siècles derniers, prouvent combien Aristote se serait trompé, s'il avait réellement voulu affirmer, comme une chose certaine, qu'il ne pouvait exister d'autres mouvements, et par conséquent, d'autres corps célestes que ceux qui furent observés de son temps,
— (3), (4) Ces notes sont libellées en latin / grec; sur demande, nous la publierons. Bien à vous.
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Re: Somme de la Foi catholique contre les Gentils.
Des substances séparées.XCIIDu nombre des substances séparées.SUITE
Il nous reste donc à prouver que les substances intellectuelles séparées des corps dépassent de beaucoup en nombre les mouvements célestes.
1º Les substances intellectuelles dominent par leur genre toute la nature corporelle. Le degré qu'elles occupent est donc en proportion de la distance qui les sépare des corps. Or, quelques substances intellectuelles, supérieures aux substances corporelles seulement à raison de leur genre, sont cependant unies à des corps dont elles sont les formes [ch.68 et 70]; et parce que l'être des substances intellectuelles ne dépend nullement du corps, sous le rapport du genre [ch. 91], nous arrivons à des substances de cette nature, d'un ordre plus élevé, qui, n'étant pas unies à des corps, comme leurs formes, n'en sont pas moins les propres moteurs de corps déterminés.
De même, la nature de la substance intellectuelle ne dépend pas davantage de l'acte moteur, puisque cet acte ne vient qu'après leur principale opération, qui est celle de connaître. Donc il y a encore des substances intellectuelles d'un degré supérieur, qui ne sont les moteurs d'aucun corps, mais sont au-dessus de tous les moteurs.
2º De même que l'action de l'être qui agit en vertu de sa nature est déterminée par sa forme naturelle…
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Des substances séparées.XCIIDu nombre des substances séparées.Il nous reste donc à prouver que les substances intellectuelles séparées des corps dépassent de beaucoup en nombre les mouvements célestes.SUITE
2º De même que l'action de l'être qui agit en vertu de sa nature est déterminée par sa forme naturelle, ainsi l'action de l'être qui agit par son intelligence est déterminée par sa forme intellectuelle; nous avons un exemple de cela dans les agents artificiels. Si donc il y a entre l'agent qui obéit à la nature et l'être qui reçoit son action une certaine proportion, à raison de la forme naturelle du premier, il y aura également entre l'agent qui agit avec intelligence et le sujet de l'action produit par elle, une proportion qui reposera sur la forme intellectuelle, en sorte que cette forme intellectuelle sera telle qu'elle pourra être introduite par l'action de l'agent dans la matière devenue sujet.
Les propres moteurs des sphères, qui impriment le mouvement par l'intelligence, doivent donc, si nous voulons raisonner avec Aristote, être doués d'intelligences telles qu'elles nous soient révélées par les mouvements de ces sphères, et réalisées dans les être composés de matière. Mais au-dessus de ces conceptions intelligibles, nous en trouvons d'autres plus universelles ; car l'intelligence voit les formes des choses comme plus universelles que n'est leur être dans les choses mêmes. D'où nous inférons que la forme de l'intelligence est plus universelle, tant qu'elle reste dans la spéculation, que lorsqu'elle en vient à la pratique, et qu'entre tous les arts qui ont pour fin une opération, le plan conçu par l'art qui dirige l'action est plus universel que l'idée de l'art qui l'exécute. Or, nous pouvons juger du degré qu'occupent les substances intellectuelles par le degré de l'opération intellectuelle propre à chacune. Donc il y a, au-dessus des substances qui sont les moteurs propres et prochains de sphères déterminées, d'autres substances intellectuelles.
3º L'ordre universel paraît exiger que les plus nobles des êtres l'emportent sur les plus vils …
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Des substances séparées.XCIIDu nombre des substances séparées.Il nous reste donc à prouver que les substances intellectuelles séparées des corps dépassent de beaucoup en nombre les mouvements célestes.SUITE
3º L'ordre universel paraît exiger que les plus nobles des êtres l'emportent sur les plus vils en quantité ou en nombre; car les plus vils semblent exister pour les plus nobles. Les plus nobles, qui existent en quelque sorte pour eux-mêmes, doivent donc se multiplier autant qu'il est possible. C'est pour cela que les corps incorruptibles, qui sont les corps célestes, dépassent tellement la quantité des corps sujets à la corruption, ou composés d'éléments, que ceux-ci sont peu de chose, comparés aux premiers.
De même donc que les corps célestes excellent sur les corps élémentaires, comme l'incorruptible sur le corruptible, ainsi les substances intellectuelles sont, relativement à tous les corps, à la même distance qui sépare l'être immuable et immatériel de l'être muable et matériel. Donc les substances intellectuelles séparées sont plus nombreuses que tous les êtres matériels ensemble. Donc leur nombre n'est pas limité à celui des corps célestes.
4º Ce n'est pas la matière, mais la forme…
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Des substances séparées.XCIIDu nombre des substances séparées.Il nous reste donc à prouver que les substances intellectuelles séparées des corps dépassent de beaucoup eu nombre les mouvements célestes.SUITE
4º Ce n'est pas la matière, mais la forme, qui multiplie les espèces des êtres matériels. Or, les formes qui sont étrangères à la matière ont un être plus complet et plus universel que les formes qui lui sont inhérentes; car la matière ne reçoit ces dernières que suivant sa capacité. Le nombre des formes étrangères à la matière, et que nous appelons des substances séparées, n'est donc pas moindre que celui des espèces d'êtres matériels. Nous ne prétendons cependant pas pour cela que les substances séparées sont les espèces [ou types] des choses sensibles, comme l'ont fait les disciples de Platon (5). Parce qu'ils ne pouvaient arriver à la connaissance de ces substances que par les objets sensibles, ils en ont conclu qu'elles sont de même espèce que ces objets, ou plutôt qu'elles en sont les types. Ils ressemblent en cela à un homme qui, ne voyant de ses yeux, ni le soleil, ni la lune, ni les autres astres, et entendant dire qu'il existe des corps incorruptibles, leur donnerait les même noms qui conviennent aux corps corruptibles, dans la pensée qu'ils appartiennent à la même espèce; ce qui est impossible.
Il est également contradictoire de dire que les substances immatérielles sont de la même espèce que les êtres sensibles, ou bien qu'elles en sont les types, puisque la matière entre dans la raison constitutive de l'espèce de ces derniers, quoique ce ne soit pas cette matière déterminée qui est le principe prochain de l'individu : par exemple, la chair et les os sont compris dans la raison constitutive de l'espèce humaine, mais non cette chair et ces os qui sont les principes prochains de Socrate et de Platon. Nous ne considérons donc pas les substances séparées comme les espèces des êtres qui tombent sous nos sens, mais comme d'autres espèces qui excellent autant sur ces êtres qu'une substance pure sur celle qui est mélangée. Par conséquent, ces substances doivent être en plus grand nombre que les espèces d'êtres matériels.
5° La multiplication de l'être intelligible s'étend beaucoup plus loin que celle de l'être matériel…
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(5) Cette opinion des disciples de Platon a beaucoup d'affinité avec la doctrine de leur maître touchant les idées. Voyez à ce sujet la note 4 du ch. 74. => Cette note 4 est libellée en latin; sur demande, nous la publierons. Bien à vous.
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Des substances séparées.XCIIDu nombre des substances séparées.Il nous reste donc à prouver que les substances intellectuelles séparées des corps dépassent de beaucoup eu nombre les mouvements célestes.SUITE
5° La multiplication de l'être intelligible s'étend beaucoup plus loin que celle de l'être matériel ; car notre intelligence conçoit bien des choses dont la matière n'est pas susceptible. D'après ce principe, on peut toujours prolonger mathématiquement une ligne droite qui est finie, mais la nature empêche de le faire; notre raison comprend également que la raréfaction des corps, la vitesse des mouvements et la diversité des figures puissent s'augmenter jusqu'à l'infini [ou indéfiniment], quoique les lois naturelles s'y opposent. Or, l'être des substances séparées est intelligible à raison de leur nature. Donc, si l'on considère ce qui est propre à chaque genre et ce qui constitue sa raison, on voit que ces substances peuvent se multiplier dans une plus grande proportion que les êtres matériels. Or, il n'y a aucune différence entre l'être et la puissance des choses qui ont une durée sans fin. Donc le nombre des substances séparées dépasse celui des corps matériels.
Nous pouvons invoquer sur ce point le témoignage de la Sainte-Écriture, qui dit : Un million [d'Anges] le servaient, et mille millions se tenaient devant lui [Dan., VII, 10)]. Saint Denys nous dit aussi que le nombre de ces substances excède toute la multitude des êtres matériels.
Nous détruisons ainsi cette fausse opinion, que le nombre des substances séparées est égal à celui des mouvements célestes ou des sphères, et l'erreur de Rabbi Moïse (6), d'après lequel le nombre d’Anges indiqué dans les livres saints ne doit pas être pris pour un nombre de substances séparées, mais simplement pour certaines puissances inhérentes aux êtres inférieurs, comme si, par exemple, on donnait à la vertu [ou appétit] concupiscible le nom d'esprit de concupiscence, et ainsi des autres.
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(6) Rabbi Moïse, nommé aussi Maïmonide et Ben Maïmon ou fils de Maïmon, est en grande réputation parmi les Juifs. Il naquit à Cordoue vers l'an 1139. Il étudia sous les plus habiles maîtres, et en particulier sous Averrhoès. Après avoir fait de grands progrès, il se rendit en Égypte et devint médecin du sultan Saladin et de ses deux successeurs immédiats. On lui doit plusieurs ouvrages écrits eu arabe et en hébreu, entre autres un Abrégé du Talmud. Ses principes théologiques et philosophiques rencontrèrent d'abord quelque opposition ; mais ils finirent par s'accréditer.
XCIII. Il n'existe pas plusieurs substances séparées dans une même espèce.
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Des substances séparées.XCIIIIl n'existe pas plusieurs substances séparées dans une même espèce.
Ce que nous avons déjà dit des substances séparées nous servira à prouver qu’il n'y en a pas plusieurs dans une même espèce. En effet :
1º Nous avons démontré [ch.51] que les substances séparées sont des quiddités [ou essences] subsistantes (1). Or, c'est l'espèce de la chose qui détermine la définition, qui est l'énoncé de l'essence; c'est pourquoi les essences subsistantes sont aussi des espèces subsistantes. Donc il ne peut exister plusieurs substances séparées sans qu'il y ait également plusieurs espèces.
2º Les êtres identiques sous le rapport de l'espèce et différents par le nombre ont une matière. Or, la différence qui résulte de la forme est le principe de la diversité spécifique, tandis que celle qui vient de la matière produit la diversité numérique; et les substances séparées n'ont absolument aucune matière qui fasse partie de leur être, ou bien avec laquelle elles soient unies en qualité de formes. Donc il ne peut y en avoir plusieurs dans une même espèce.
3º Il y a plusieurs individus dans les espèces d'êtres qui sont sujets à la corruption, afin que la nature de l'espèce, qui ne peut se perpétuer dans un seul, se conserve par le nombre. C'est pour cela qu'il n'y a qu'un seul individu, même dans chacune des espèces des corps incorruptibles. Or, la nature de chaque substance séparée se conserve très bien dans un seul individu, puisqu'elles sont indestructibles [ch.55]. Donc il ne doit pas y avoir, dans cet ordre de substances, plus d'un individu de la même espèce.
4º Le principe spécifique excelle, dans tous les êtres, sur le principe constitutif de l'individu, qui n'est pas compris dans la raison de l'espèce. Les espèces, en se multipliant, ajoutent donc beaucoup plus à la bonté et à la perfection de l'univers que ne pourrait le faire la multiplicité des individus d'une seule espèce. Or, ce sont principalement les substances séparées qui font la perfection de l'univers. Donc la perfection de l'univers demande qu'il y ait beaucoup de ces substances d'espèces diverses plutôt qu'un grand nombre dans une même espèce.
5º Les substances séparées sont plus parfaites que les corps célestes. Or, la perfection des corps célestes est la raison pour laquelle chaque espèce ne renferme qu'un individu, soit parce que chacun d'eux est composé de toute la matière propre à son espèce, soit parce qu'un seul individu a, dans toute sa plénitude, la puissance de réaliser dans l'univers la fin qui est assignée à l'espèce, comme on peut le remarquer surtout dans le soleil et la lune. Donc, à plus forte raison, il ne doit y avoir qu'un individu dans chaque espèce de substance séparée.
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(1) Les deux termes quiddité et essence peuvent s'employer ici comme synonymes. Cependant, si l'on fait attention à leur étymologie, on verra qu'il y a quelque différence entre eux, La quiddité est l'entité de la chose considérée par rapport à la définition qui énonce ce qu'elle est [quid]. Relativement à l'être [esse] ou existence actuelle ou possible, cette même entité s'appelle essence. Elle prend le nom de nature lorsqu'il s'agit de son aptitude à réaliser son opération propre.
XCIV. Les substances séparées et l’âme ne sont pas de la même espèce.
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Re: Somme de la Foi catholique contre les Gentils.
Des substances séparées.XCIVLes substances séparées et l’âme ne sont pas de la même espèce.
En partant des mêmes principes, nous pouvons encore démontrer que l'âme n'appartient pas à la même espèce que les substances séparées. En effet :
1º La différence est plus considérable entre l'âme humaine et une substance séparée qu'entre les diverses substances séparées. Or, les substances séparées sont d'espèces différentes [ch. 93]. Donc, à plus forte raison, cette différence existe entre les substances séparées et l'âme.
2° Chaque chose a un être propre qui est conforme à la raison constitutive de son espèce; car l'espèce change avec le mode d'existence. Or, l'âme humaine et les substances séparées n'ont pas un même mode d'existence, puisque le corps ne peut en aucune manière participer à l'être d'une substance séparée, comme il participe à l'être de l'âme humaine, laquelle est unie au corps sous le rapport de l'être, de même que la forme est unie à la matière. Donc l'âme humaine est d'une autre espèce que les substances séparées.
3º On ne peut ranger dans la même espèce l'être qui a en lui-même son principe spécifique, et celui qui n'est pas spécifié par lui-même, mais fait seulement partie d'une espèce. Or, toute substance séparée est spécifiée par elle-même, et il n'en est pas ainsi de l'âme, qui n'est qu'une partie de l'espèce humaine. Donc l'âme n'appartient pas à la même espèce que les substances séparées, à moins que l'on ne prétende que l'homme est de même espèce que ces substances; ce qui répugne.
4º On distingue l'espèce d'une chose par son opération propre; car l'opération fait apprécier la puissance, et la puissance est le signe indicateur de l'essence. Or, connaître est l'opération propre de la substance séparée et de l'âme intellectuelle. Mais ces deux substances ne connaissent pas de la même manière; car l'âme connaît par le moyen des images, ce qui n'a pas lieu pour la substance séparée, qui n'a pas d'organes corporels dans lesquels puissent se produire les images. Donc l'âme humaine et les substances séparées ne sont pas de même espèce.
XCV. Comment on peut distinguer le genre et l'espèce des substances séparées.
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Re: Somme de la Foi catholique contre les Gentils.
Des substances séparées.XCVComment on peut distinguer le genre et l'espèce des substances séparées.
Nous devons rechercher maintenant sur quoi repose la diversité d'espèce des substances séparées. Lorsqu'il s'agit d'êtres matériels appartenant à des espèces diverses renfermées dans un même genre, la raison constitutive du genre est dans le principe matériel, et la différence spécifique vient du principe formel: la nature sensitive, par exemple, est pour l'homme le principe matériel, comparée à la nature intellectuelle, d'où se tire la différence spécifique de l'homme, savoir la qualité d'être raisonnable. Si donc les substances séparées ne sont pas composées d'une matière et d'une forme [ch.50], nous ne voyons pas en quoi consistent leur genre et la différence qui en détermine les espèces.
Il faut donc observer que les espèces diverses possèdent suivant certains degrés la nature de l'être. La division la plus générale de l'être comprend l'être parfait, c'est-à-dire celui qui existe par lui-même et actuellement, et l'être imparfait, ou celui qui est dans un autre et n'existe qu'en puissance. Si l'on examine en particulier tous les êtres, on voit qu'une espèce est placée au-dessus d'une autre, parce qu'elle a un degré de plus de perfection : par exemple, les animaux sont supérieurs aux plantes, et parmi les animaux, ceux qui ont la faculté de la locomotion l'emportent encore sur les autres qui restent immobiles. De même pour les couleurs, il y a plus de perfection dans une espèce que dans l'autre, selon qu'elle se rapproche davantage de la blancheur. C'est ce qui fait dire à Aristote que les distinctions établies entre les êtres ressemblent aux nombres: on change l'espèce d'un nombre en retranchant ou en ajoutant une unité, et, pour la même raison, si l'on ajoute ou si l'on retranche une différence à la définition, l'espèce n'est plus la même (1).
Ce qui détermine l'espèce, c'est donc que la nature commune est limitée à tel degré de l'être; et parce que, dans les composés d'une matière et d'une forme, la forme est comme le terme de la chose, et que la chose terminée par elle est une matière ou un principe matériel, la raison du genre doit être prise dans le principe matériel, et la différence spécifique dans le principe formel. Par conséquent, la différence et le genre, aussi bien que la matière et la forme, ont pour résultat un être unique. De même que la nature constituée par la matière et la forme est une et parfaitement identique, ainsi la différence n'ajoute au genre aucune nature qui lui est étrangère, mais elle détermine [ou restreint] en quelque manière la nature même du genre. Si, par exemple, on prend pour genre l'animal qui a des pieds, celui qui a seulement deux pieds constitue une différence, et cette différence n'ajoute évidemment au genre rien qui lui soit étranger.
La conséquence qui découle clairement de là est donc…
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(1). Cette note est libellée en latin; sur demande, nous la publierons. Bien à vous.
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