HISTOIRE DE SAINT FRANCOIS DE XAVIER

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HISTOIRE DE SAINT FRANCOIS DE XAVIER - Page 8 Empty Re: HISTOIRE DE SAINT FRANCOIS DE XAVIER

Message  Monique Ven 22 Juil 2022, 7:47 am

Xavier s'élance vers les sept capitaines de vaisseau, membres du conseil ; il les embrasse en les suppliant de se charger chacun du radoub et de l'armement d'une fuste, et, sans leur donner le temps de répondre, il assigne à chacun la sienne avec tant de vivacité dans les mouvements, tant de grâce dans son exigence et d'entraînement dans ses paroles, que tous acceptent avec empressement et mettent aussitôt à l'œuvre plus de cent ouvriers, à leurs frais, autour de chaque vaisseau. En cinq jours, ils étaient en état d'être lancés en mer. Andrea Toscano, un des marins les plus capables, prit le commandement du Catur. Chaque capitaine commanda le vaisseau qu'il avait fait radouber, et reçut à son bord cent quatre-vingts soldats; don Francisco Deza reçut le commandement de la flotte.

L'héroïque Xavier demandait à partir avec l'armée navale; les habitants de Malacca s'y opposèrent vivement, se regardant comme abandonnés de Dieu, si le saint Père les quittait dans un moment de si grandes anxiétés pour eux. Ils se portèrent en masse chez le gouverneur pour le supplier de retenir le saint Père; don Francisco de Mello leur promit de demander cette faveur à leur apôtre vénéré, s'en remettant à sa décision :

« Allons-y tous ! s'écrièrent-ils aussitôt; allons trouver le saint Père! il aura pitié de nous; il restera avec nous; il ne pourra nous refuser! »

Xavier, en effet, ne put résister à leurs sollicitations et à leurs larmes:

Oui, mes bien chers frères, leur répondit-il, je demeurerai au milieu de vous pendant toute la durée de cette guerre ; je prierai avec vous pour le succès de notre vaillante armée, et j'espère que Dieu, combattant pour elle, elle nous reviendra victorieuse.


A suivre...
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Message  Monique Sam 23 Juil 2022, 7:07 am

Ces quelques paroles suffirent pour calmer la grande désolation du peuple.

La veille de l'embarquement, Xavier, réunit à l'église les officiers et les soldats de l'armée navale :

            Je vous accompagnerai, leur dit-il, et d'esprit et de cur. Vos familles m'ont supplié avec tant de larmes de rester au milieu d'elles pour les consoler et les soutenir pendant votre absence, que je n'ai pu résister à leurs instances et à leur douleur; muais je vous suivrai de mes vœux. Je lèverai les mains vers le Dieu des armées, pendant que vous chargerez l'ennemi du nom chrétien. Combattez vaillamment, non pour acquérir une gloire vaine et périssable, mais une gloire solide et immortelle ! Dans la chaleur du combat, portez vos regards sur le divin Sauveur crucifié dont vous soutenez la cause, et à la vue de ses adorables plaies, ne craignez ni les blessures ni la mort ! vous seriez trop heureux s'il vous était donné de lui rendre vie pour vie....

            Mon, Père, s'écrièrent à la fois tous ces braves guerriers, mon Père, nous jurons ici, devant Dieu et devant vous, de combattre les infidèles jusqu'à la mort ! Nous jurons de donner notre sang jusqu'à la dernière goutte à la cause de Jésus-Christ !

            Ce serment me touche profondément, reprit le Père de Xavier, dont les larmes trahissaient l'émotion. Jésus-Christ l'a entendu, il l'a reçu: vous êtes désormais la phalange de Jésus-Christ ! et je vais vous bénir en son nom.


Au même instant, ces braves guerriers fléchissent le genou, le grand apôtre appelle sur eux toutes les bénédictions célestes, puis, il entend la confession de chacun et leur donne ensuite la sainte communion.


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Message  Monique Dim 24 Juil 2022, 7:15 am

L'armée s'embarque le lendemain avec un enthousiasme qui semble présager la victoire. On lève l'ancre... Le vaisseau-amiral fait entendre un craquement épouvantable !... il se fait une Voie d'eau qui laisse à peine le temps de sauver l'équipage, et le bâtiment coule bas !... Le peuple couvrait la plage; il crie hautement contre le départ de la flotte, il demande qu'on renonce à cette expédition, il s'emporte contre le saint Père, malgré toute la vénération, tout l'amour qu'il lui inspire. L'équipage du vaisseau-amiral a été si près de périr, que ce peuple exaspéré par la crainte d'un nouveau malheur n'a plus conscience de ce qu'il dit ni de ce qu'il fait, et il accuse d'imprudence celui dont il refusait de se séparer deux jours auparavant.

Le gouverneur fait appeler le saint Père, que l'envoyé trouve à l'autel finissant la messe ; il s'approche pour lui parler; le saint apôtre lui fait sine d'attendre. Après la messe, Xavier dit à l'envoyé du gouverneur sans lui laisser le temps de parler

Allez dire à votre maître, de ma part, que nous ne devons pas nous laisser décourager par la perte d'un navire.

Il demeure ensuite quelque temps en action de grâces au pied de l'autel de la sainte Vierge, et on l'entend s'écrier de toute l'ardeur de son âme, avant de se retirer :

« Mon Jésus, l'amour de mon cœur ! regardez-moi d'un œil favorable ! considérez vos adorables plaies! souvenez-vous qu'elles nous donnent le droit de vous demander ce que nous désirons ! Et vous, Vierge sainte, soyez-moi propice !

Et il se relève et court à la forteresse où le conseil l'attendait

Eh quoi donc ! vous perdez courage pour si peu de chose? dit-il au gouverneur.

Mais, mon Père, le peuple est furieux ! C'est vous qui avez engagé cette désolante affaire...

Allons au port, senhor, tout cela va s'arranger, je vous le promets.


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Message  Monique Lun 25 Juil 2022, 7:34 am

L'équipage qui venait d'échapper à la mort était consterné. Xavier remonte tous les courages

Soyez fermés dans votre résolution, leur dit-il, malgré ce malheur que Dieu n'a permis que pour éprouver votre fidélité. Il vous a sauvés du naufrage, afin que vous puissiez remplir la promesse que vous lui avez faite avec serment !

Oui ! oui, mon Père ! nous tiendrons notre serment !


Tel est le cri unanime des soldats du vaisseau-amiral, auquel tous les autres répondent avec l'enthousiasme de la veille. Cependant le gouverneur, se laissant influencer par l'opposition des habitants, persiste à déclarer la guerre impossible... Alors s'élève un cri formidable dans les rangs de l'armée ; les capitaines se chargent de porter la parole au nom des équipages,et ils annoncent au gouverneur que les soldats préfèrent la mort à l'inaction ; qu'ils ont juré solennellement à Jésus-Christ de combattre les infidèles jusqu'à la dernière goutte de leur sang, et qu'ils ne cessent de répéter:

« Nous devons tout espérer des prières et des promesses du saint Père Francisco ! »

François de Xavier, sur cette dernière parole se lève, et du ton inspiré qui subjuguait tous les esprits, il dit au gouverneur et au conseil :


La faste perdue sera bientôt remplacée; avant le coucher du soleil, il nous viendra de meilleurs vaisseaux; je vous l'annonce de la part de Dieu !

Il y eut un moment de silence, après lequel il fut convenu qu'on remettrait la décision au lendemain. La journée fut bien longue pour tout le monde !... Le soleil était près de disparaître, lorsqu'on vint annoncer que, du clocher de Notre-Dame du Mont, on découvrait deux voiles venant du nord. La gouverneur les envoie reconnaître par un esquif : c'étaient deux vaisseaux portugais venant de Patane, mais ne devant pas mouiller à Malacca; ils appartenaient, l'un à Suarez Galega, et l'autre à son fils Baltasar ; chacun commandait le sien.


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Message  Monique Mar 26 Juil 2022, 6:06 am

Le Père de Xavier était en oraison à l'église Notre-Dame du Mont; on vient à lui.

            Mon Père, les capitaines des vaisseaux ne veulent pas mouiller, votre prédiction ne s'accomplira pas ! Xavier monte dans l'esquif qui a reconnu les navires portugais et va les joindre. A peine les capitaines ont-ils aperçu le saint Père, qu'il virent de bord, viennent à lui, l'accueillent avec vénération et se mettent à sa disposition, eux, leurs navires et leurs équipages pour le service de Dieu et pour celui du roi.

Ils furent reçus au milieu des bruyantes acclamations du peuple, et le lendemain matin, 25 octobre, Xavier ayant remis à l'amiral Deza l'étendard qu'il avait béni, la flotte leva l'ancre et partit.

Nous ne suivrons pas l'armée navale, puisque François de Xavier a renoncé à l'accompagner; nous attendrons avec lui, à Malacca, la nouvelle de son triomphe ou de sa défaite.

Un mois après le départ de la flotte, on n'en avait encore que des nouvelles indirectes, toutes plus alarmantes les unes que les autres; notre saint rassurait tout le monde et promettait les plus heureux succès. Cependant les jours se succédaient dans cette mortelle incertitude pour les familles, et ce peuple toujours prêt à tourner à tout vent, recommençait à se plaindre de Xavier; plusieurs Portugais allèrent même jusqu'à lui faire d'insultants reproches; mais l'angélique Père répondait à ces insultes par les plus douces paroles, et ajoutait

            Je vous répète, parce que j'en suis sûr, que la flotte reviendra triomphante.


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Message  Monique Mer 27 Juil 2022, 7:55 am

Il se passa bien des jours encore, bien des semaines, dans l'incertitude désolante du sort de l'armée ! Un jour de la fin de décembre, un dimanche, le saint apôtre prêchait dans la cathédrale, entre neuf et dix heures du matin. Il s'arrête soudain... les muscles de son beau visage semblent contractés par la souffrance, en même temps que ses yeux ouverts, et dont le regard élevé restait fixe, avaient une expression séraphique. Après quelques instants, il revient à son auditoire; mais il lui parle en termes énigmatiques, et tout ce qu'on peut comprendre c'est qu'il voit deux armées aux prises et qu'il en suit les mouvements et l'action avec une agitation qui se manifeste dans toute sa personne. Enfin, portant son céleste regard sur le crucifix placé devant lui, il s'écrie d'une voix suppliante :

« O Jésus, Dieu de mon âme ! Père de miséricorde ! je vous conjure humblement, par les mérites de votre sainte Passion, de ne point abandonner vos soldats ! »

Puis il baisse la tête, il s'appuie sur la chaire, demeure ainsi, comme abîmé par la douleur, pendant quelques moments, et se relevant ensuite tout radieux :

« Mes Frères ! Jésus-Christ a vaincu pour nous ! En ce moment même, les soldats de son saint nom achèvent de mettre en déroute l'armée ennemie ! Ils en ont fait un carnage effroyable ! nous n'avons perdu que quatre de nos braves soldats; vendredi prochain vous en recevrez la nouvelle, et avant peu nous reverrons notre flotte.

Le gouverneur et les principaux personnages de la ville ne doutèrent pas de la vision du saint Père; mais il n'en fut pas de même des femmes et des mères des marins ou des soldats. Et le doux et charitable Xavier, qui avait besoin de faire du bien à tous les cœurs comme à toutes les âmes, réunit toutes ces pauvres éplorées dans l'après-midi; il leur répéta tout ce qu'il avait dit le matin, il les consola et les fortifia si bien, qu'elles le quittèrent persuadées.


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Message  Monique Jeu 28 Juil 2022, 7:07 am

Le vendredi suivant, le vaisseau, commandé par don Manoel Godino, apporta la nouvelle d'une brillante victoire; la flotte suivit de près.

Notre saint conduisit le peuple sur le port pour la recevoir, et, tenant son crucifix élevé, il fit chanter, pendant le débarquement, des cantiques d'actions de grâces, auxquels tous les vainqueurs mêlaient leurs voix avec allégresse.

La présence du saint Père ajoutait à leur exaltation, car s'ils attribuaient la décision de la guerre à la puissance de son influence, ils en rapportaient le succès à la puissance de sa prière, et ils ne se lassaient pas de le lui dire avec les témoignages de la plus vive reconnaissance.

Tant d'éloges, tant d'applaudissements hâtèrent le départ de François de Xavier, qui d'ailleurs venait de séjourner quatre mois à Malacca. Il fit embarquer sur le vaisseau de Jorge Alvarez trois Japonais, dont nous parlerons plus tard; les trente jeunes gens qu'il avait emmenés des Moluques partirent dans le navire de Gonzalvo Fernandez; les uns et les autres étaient chaudement recommandés au recteur du collège de Goa qui les attendait. Xavier devant s'arrêter à la côte de la Pêcherie, pour y visiter ses chrétientés, partit sur un autre vaisseau faisant voile pour Cochin.


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Message  Monique Ven 29 Juil 2022, 6:51 am

CINQUIÈME PARTIE RETOUR
DANS LA PRESQU'ILE EN DEÇA DU GANGE.
(Janvier 1548 Mai 1549.)


I


François de Xavier devait éprouver, dans sa vie apostolique, tous les genres de souffrances, de privations et de dangers. Dieu voulait satisfaire pleinement l'ardent désir qu'il lui avait mis au cœur de souffrir beaucoup, de souffrir toujours pour son amour et pour sa gloire. Lui-même va nous raconter, dans un fragment d'une de ses lettres à ses Frères de Rome, sa périlleuse traversée de Malacca à la côte de Malabar.



Cochin, 20 janvier 1548.



« ... Mon retour de Malacca aux Indes a été accompagné des plus grands périls. Pendant trois jours et trois nuits Notre vaisseau â été ballotté par la tempête la plus violente et la plus opiniâtre. Je ne me rappelle pas en avoir jamais vu d'aussi affreuse. La plupart des passagers, saisis d'épouvante devant la mort qui se présentait à chaque instant sous les formes les plus horribles juraient de ne se plus exposer aux caprices du perfide élément, s'ils échappaient au danger présent. Les marchands se virent réduits à jeter leurs richesses à la mer. Au milieu de cet effroyable vacarme, j'étais en prière, implorant devant Dieu l'intercession de l'Église militante, de tous les religieux et amis de notre Compagnie et de tous les chrétiens; j'invoquais l'amour de Jésus-Christ pour l'Église; j'implorais les mérites de tous les bienheureux, et nommément du Père Pierre Lefèvre (1) et des autres saints de notre Compagnie, pour apaiser le courroux du Père céleste. Puis, pour obtenir de force, pour ainsi dire, le pardon de mes innombrables péchés, je m'adressais à la très-sainte Mère de Dieu, qui obtient de son divin Fils tout ce qu'elle demande, et, mettant toute mon espérance dans les mérites infinis de Jésus-Christ, notre Rédempteur, notre Sauveur, je jouissais, ainsi appuyé durant cette épouvantable tourmente, d'une paix dont je ne jouis certes pas maintenant que le péril est passé. Je suis vraiment tout confus, lorsque je pense que moi, le plus vil des hommes, j'ai été inondé de délices telles, que je répandais des larmes de bonheur, tandis que le danger que nous courrions faisait jeter aux uns des cris de douleur, et pousser aux autres des rugissements de désespoir. Je demandais à Notre-Seigneur de ne me pas délivrer de ce danger, s'il ne m'en réservait de semblables, ou même de plus grands encore, s'il est possible, dans la voie oit je me suis engagé pour la gloire de son saint nom !

« Dieu m'a fait connaître que je dois aux prières et aux saints sacrifices de nos Pères combattant encore sur la terre ou triomphant déjà dans le ciel, d'avoir été délivré de plusieurs peines qui assiégeaient mon esprit et de plusieurs dangers qui menaçaient mon corps. Je vous le dis pour rendre à Dieu et à vous, mes Frères bien-aimés, le tribut d'action de grâces que je vous dois et pour vous supplier d'unir les vôtres aux miennes, car je ne me dissimule pas mon insuffisance !

« Lorsque ma pensée se porte vers vous, vers ma Compagnie qui est ma mère, je ne tarirais plus ! Mais le départ des vaisseaux me presse et me force à clore ma lettre; je la terminerai par cette protestation :

« Si jamais je t'oublie, ô Compagnie de Jésus, ô ma mère ! que j'oublie ma main droite et que j'en perde l'usage ! »



1 Pierre Lefèvre était mort à Rome, le 1er août 1546. C'est la première fois que nous trouvons son nom dans les lettres de Xavier; tel était l'esprit d'abnégation de notre saint, qu'il ne donnait pas même un témoignage de souvenir particulier à ceux de ses Frères qu'il avait le plus aimés.


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Message  Monique Sam 30 Juil 2022, 6:40 am

Le danger qui valut à notre grand apôtre de si sensibles consolations, s'était présenté dans le détroit de Ceylan; le capitaine n'en avait jamais vu d'aussi désespéré. Xavier, comme il le faisait toujours à l'approche de la tempête, avait entendu les confessions et préparé l'équipage à la mort; puis, il s'était retiré dans une chambre, seul avec Dieu, et il y jouissait de toutes les consolations célestes, lorsque Francisco Pereira,voyant le péril augmenter, vient le trouver pour recueillir encore une de ses saintes paroles et recevoir sa dernière bénédiction.

Il voit le saint Père à genoux, le regard attaché sur son crucifix, et si loin de ce monde, qu'il semble ne rien voir, ne rien entendre, et ne pas se douter que le navire porte, dans le moment, sur un banc de sable, et que sa perte est inévitable, ainsi que celle de l'équipage. Pereira n'ose lui rien dire et se retire respectueusement.

Un instant après, Xavier, sorti de sa contemplation, vient demander au pilote la corde et le plomb du sondage: il fait descendre le plomb jusqu'au fond, en disant :

« Grand Dieu ! Père, Fils et Saint-Esprit, ayez pitié de nous ! »

Au moment même le vaisseau s'arrête, la mer se calme, on est remis au large, et on gagne heureusement le port de Cochin. Peu après son arrivée en cette ville, le grand Xavier reçoit la visite de plusieurs capitaines qui, prêts à faire voile pour Lisbonne, viennent mettre leurs navires à sa disposition; il en profite pour écrire en Europe.

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Message  Monique Dim 31 Juil 2022, 7:45 am

SAINT FRANÇOIS DE XAVIER AU ROI DE PORTUGAL.



« Cochin, 20 janvier 1548.



« SENHOR,



« Les lettres adressées à notre Société en Europe, et dans lesquelles je rends compte de l'état de la religion dans les contrées de Malacca et aux Moluques, vous auront été communiquées, sans doute, et auront satisfait votre désir de connaître ces détails. Le même paquet contenait ma réponse aux lettres dont vous avez daigné nous honorer, vous, Senhor, à qui l'affection et les bienfaits dont vous nous comblez ont acquis le titre de principal protecteur de notre Société sur la terre.

« Je laisse à ceux que le zèle de la religion porte d'ici au pied de votre trône, le soin de satisfaire Votre Altesse sur ce qui regarde la chrétienté dans les Indes en général. Outre les renseignements qu'il vous donneront, Votre Altesse recevra sur l'île de Ceylan un mémoire de Pedro Joam de Villa de Conde, fidèle ministre de l'Evangile, qui connaît parfaitement cette île. Il a rédigé ce mémoire avec la clarté, l'exactitude et l'étendue suffisantes pour l'allégement de sa conscience et de la vôtre, car il est aussi important pour lui de vous exposer la vérité, qu'il est important pour vous de la connaître. Ce mémoire est accompagné d'une lettre à votre adresse et de divers documents dont j'ai pris une entière connaissance. Votre Altesse agira selon sa prudence habituelle, si, dans les ordres qu'elle va donner, et dans la distribution d'emplois qu'elle va faire, elle profite de ces documents qui sont certains et fidèles. Je pense que nos frères auront rendu à Votre Altesse un compte exact et détaillé de la situation des Eglises de Comorin, de Goa et des autres, répandues dans les diverses parties des Indes et qui s'y étendent chaque jour.


« Quant à moi personnellement, après avoir mûrement pesé et examiné l'état des choses, je me suis demandé si j'exposerais à Votre Altesse ce qui me parait indispensable pour la propagation de l'Evangile et pour l'affermissement de la foi. Tous les jours mon ardeur pour la gloire et lé service de Dieu me faisait prendre le plume, et tous les jours le découragement la faisait tomber de mes mains. « Hélas! me disais-je, à quoi bon? Jamais, non, jamais mes projets ne seront accueillis!... » Senhor, à cette triste pensée, ma conscience se soulevait aussitôt; elle me demandait si c'était sans motif que le ciel m'inspirait ce dessein et m'y ramenait chaque jour? Alors je n'y pouvais voir que l'effet de sa volonté. « Mais, me disais-je encore, si je dépose aux pieds de Son Altesse le sujet de mes douleurs, cette lettre ne sera-t-elle pas un acte d'accusation contre mon Prince à l'heure de sa mort? et n'aggravera-t-elle pas la rigueur de ce dernier jugement, en lui ôtant le prétexte de l'ignorance? »

« Ah ! Senhor, croyez-moi, je vous en supplie ! ma perplexité a été grande ! car ma conscience me rend le témoignage que si je désire mourir ici sous le poids du jour et de la chaleur, c'est dans la vue de soulager Votre Altesse, autant que je le puis, de l'accablant fardeau qui pèse sur elle, et de la rassurer ainsi contre les chances terribles du jugement dernier. L'affection que vous avez pour notre Société est à mes yeux d'un si grana,prix, que je ne crois pas acheter trop cher votre bonheur futur, en souffrant toute espèce de tribulations et de contradictions. Entre mon devoir et le péril que vous courez, Senhor, telles sont les anxiétés qui ont déchiré mon âme, jusqu'au moment où j'ai pris le parti de remplir le devoir gaie m'impose ma conscience, en épanchant devant vous des sentiments trop longtemps comprimés.

« Senhor, voici ce qui me fait saigner le coeur et sécher de douleur

« Tous vos officiers, tous ceux qui sont à la tête des affaires, sont en proie à de sourdes jalousies, trop souvent dissimulées par des dehors de piété, et toujours coupables, toujours pernicieuses, elles les mettent en opposition perpétuelle; voilà pourquoi plusieurs choses essentielles au service de Dieu sont négligées. L'un dit : Mon droit est de faire cela, je n'en laisserai pas la gloire à un tel; un second : Ce que je ne fais pas, je ne souffre pas que d'autres le fassent; et un troisième se plaint que les autres ne font rien, tandis qu'il est surchargé. Au milieu de ces altercations, les passions fomentent; chacun écrit dans son intérêt, ne visant qu'à son avancement; l'égoïsme domine; le temps fuit et nul ne s'occupe des intérêts de la religion. Les mêmes causes produisent les mêmes effets dans le service de Votre Altesse : tout ce qui devrait contribuer à sa gloire et à ses intérêts est un accessoire de la plus faible importance.

« A ce mal je ne vois qu'un remède. Si on l'appliquait, l'Evangile ferait bientôt d'immenses progrès; les chrétiens indigènes, aujourd'hui méprisés, seraient protégés; nul Indien, nul Portugais n'oserait ni les persécuter ni les dépouiller de leurs biens.

« Il faudrait que Votre Altesse fit savoir, par des lettres de jussion, au vice-roi, aux gouverneurs qui habitent les Indes, et de vive voix à ceux qu'elle envoie ici pour y commander, que sa volonté expresse est de procurer, par tous les moyens possibles, l'établissement et l'extension de l'Evangile; qu'elle fera rendre à chacun un compte sévère de cette partie essentielle de ses devoirs, et qu'il sera puni ou récompensé selon qu'il l'aura bien ou mal remplie. Il serait à désirer que les lettres de jussion, fussent assez claires pour n'avoir pas besoin de commentaire; que, tout en faisant mention de nous nominativement, Votre Altesse déclarât que ce n'est ni sur aucun de nous en particulier, ni sur nous tous en général que sa conscience se repose, mais sur ceux qu'elle a investis de l'autorité, en quelque lieu que ce soit, et que tous les magistrats sont dans l'obligation de faire instruire des éléments de la religion tous les infidèles soumis à son empire.

«Il faudrait que le vice-roi et chaque gouverneur en particulier, en vous rendant compte de leur administration, vous exposassent avec détail la situation de la religion, chacun dans l'étendue de son ressort. Vous leur déclareriez que vous n'ajouterez foi qu'à leurs seuls renseignements. Vous engageriez votre parole royale, dans les brevets qui leur sont délivrés pour entrer en fonction, de punir sévèrement celui qui n'aura à présenter qu'un petit nombre de néophytes après sa gestion, puisque leur nombre peut s'accroître partout, chaque jour, si les magistrats y prêtent la mails.

« Je voudrais que ces ordonnances portassent le serment solennel de punir dans sa personne et dans ses biens, à son retour en Portugal, tout fonctionnaire qui aurait mis obstacle à la publication de l'Evangile; sa fortune devrait être confisquée au profit de la confrérie de la Miséricorde, et sa personne devrait subir quelques années de détention. Pour éviter tout prétexte d'erreur et ne laisser à personne l'idée de pouvoir se soustraire .à la sévérité de la loi, vous déclareriez, en termes positifs; que nulle excuse ne sera admise, de quelque nature qu'elle puisse être.

« Je pourrais rendre palpable à Votre Altesse la nécessité de cette mesure par des faits qui tombent sous les sens, mais ce serait la fatiguer et faire en pure perte l'histoire de mes douleurs les plus cuisantes. Je vous dirai seulement que si le vice-roi ou les magistrats étaient bien persuadés de la volonté de Votre Altesse, dans un an, oui, Senhor, dans un an lîle de Ceylan tout entière, tous les rois de la côte de Malabar, tout le vaste promontoire de Comorin se jetteraient dans les bras de la sainte Eglise.

« Mais j'ai si peu d'espoir de voir jamais en vigueur une telle mesure, que je regrette presque de l'avoir proposée à Votre Altesse, d'autant plus que je tremble dans la crainte que cette lettre et les avertissements qu'elle renferme ne rendent un jour plus inexorable le tribunal du Dieu vivant ! Senhor, j'ignore si vous pourrez alléguer alors que vous n'étiez pas tenu d'ajouter foi à mes lettres; ce que je sais, ce que je vous proteste, c'est que j'aurais gardé le silence, si j'eusse cru pouvoir le faire sans crime.

« Je n'ai pas arrêté définitivement mon voyage au Japon, mais un des motifs qui me font pencher pour ce parti est que je désespère d'obtenir jamais de vos fonctionnaires l'appui nécessaire à la propagation et à la conservation de la foi.

« Je vous conjure, Senhor, par l'amour que vous portez au Seigneur notre Dieu, par le zèle qui vous anime pour sa gloire, de venir au secours de vos fidèles sujets qui habitent les Indes, et au mien en particulier, en nous envoyant plusieurs prédicateurs de notre Compagnie ! Je puis attester à Votre Altesse que toutes ses villes et ses forteresses des Indes ont un extrême besoin de ce secours.

« Pendant mon séjour à Malacca et aux Moluques, je prêchais deux fois tous les dimanches et toutes les fêtes, et j'y étais contraint en voyant combien le peuple et la garnison en avaient besoin. Je faisais le prône à la messe pour les portugais ; l'après-midi, j'instruisais leurs enfants, leurs esclaves et les chrétiens indigènes ; j'expliquais le catéchisme chapitre par chapitre. Une fois dans la semaine je réunissais toutes les femmes et leur expliquais les articles du Symbole ou les sacrements de Pénitence et d'Eucharistie. L'oeuvre de Dieu jetterait de profondes racines dans ces contrées si on observait partout et toujours cette méthode. Dans les villes de garnison, je faisais tous les jours le catéchisme aux enfants des Portugais, aux domestiques, aux esclaves et aux chrétiens indigènes. L'effet de ces instructions a été de faire disparaître les superstitions païennes auxquelles se livraient auparavant les néophytes ignorants.

«Je descends dans ces détails avec Votre Altesse,afin qu'elle puisse juger, dans sa prudence, la nécessité de nous envoyer des prédicateurs, et je la supplie d'en envoyer un grand nombre. Sans cela les chrétiens, abandonnés forcément à eux-mêmes, retourneraient à leurs idoles, et la plupart des Portugais, oubliant les pratiques du christianisme, ne seraient plus chrétiens que de nom.

« A mon retour de Malacca, j'abordai à Cochin le 13 janvier (1) de cette année, et j'y rencontrai le senhor évêque. Je puisai de grandes consolations dans mes entretiens avec lui; j'admirai la charité avec laquelle il supporte les plus grandes fatigues, visitant toutes les villes de guerre et tous les chrétiens des environs de Méliapour, remplissant tous les devoirs d'un véritable et bon pasteur. Pour tant et de si pénibles travaux, il n'a d'autre récompense ici-bas que celle que le monde accorde d'ordinaire aux saints; du moins c'est la seule que lui décernent certaines gens de ces contrées. Sa patience; mise aux, cruelles épreuves que je connais, fait pour moi, de sa grandeur, un objet d'admiration et de respect.

«Je sais que quelques-uns cherchent à noircir sa réputation au sujet de la mort de don Miguel Vaz (1), et je ne doute pas qu'ils n'aient fait arriver leur calomnie jusqu'au pied du trône. Sur cela, ma conscience doit au senhor évêque un témoignage vrai et sincère. Je puis affirmer,  que bien je ne puisse dire ni écrire ce que je sais et d'où je le tiens  je puis affirmer qu'il est aussi étranger à ce fait que moi qui étais aux Moluques lorsqu'il s'est passé.

« Ah ! Senhor, je vous en conjure par votre amour pour Dieu, par la crainte que vous avez de souiller votre conscience, ne décidez rien sur cette affaire qui puisse attrister le moins possible ce vénérable prélat ! Si Votre Altesse paraissait ajouter foi à cette calomnie, elle armerait le courage de tous les sycophantes des Indes.

« La générosité de don Pedro Gonzalvo, vicaire-général à Cochin, à l'égard de notre Société, est telle, que je regarde comme un bienfait personnel sa promotion au titre de recteur de votre chapelle royale, et l'admission de son neveu au nombre de vos pages. Nos frères, et moi en particulier, nous vous en offrons nos sincères remerciements. Vous comprendrez notre reconnaissance, lorsque vous saurez que la maison du vicaire-général est l'hospice de la Compagnie de Jésus; qu'il nous y prodigue les témoignages d'une amitié peu commune, que son hospitalité excède les bornes de la charité vulgaire, au point que, non content de nous donner tout ce qu'il a, il met ses amis à contribution peur subvenir à nos besoins. Je prie Votre Altesse, au nom de notre Compagnie, de lui faire expédier, ainsi qu'à son frère, les brevets nécessaires pour toucher ici leurs honoraires. L'un et l'autre sont dignes de cette faveur. L'un se recommande par son zèle infatigable pour le salut des âmes de vos sujets, l'autre par l'exactitude et l'activité de son fils au service de Votre Altesse.

« Senhor, je demande à Dieu qu'il daigne vous pénétrer des devoirs attachés à votre dignité, et vous donner la force de les remplir comme vous coudriez l'avoir fait à l'heure de la mort.


« De Votre Altesse, le serviteur,



« FRANÇOIS DE XAVIER. »



1 Le P. Bouhours fixe ta date de cette arrivée à Cochin au 21 janvier. Le traducteur des lettres de saint François de Xavier, A. Faivre, la reproduit en faisant observer qu'elle ne peut être que fautive. La lettre dû saint apôtre au roi de Portugal tranche la difficulté très-nettement en disant qu'il est débarqué le 13. Il est surprenant que le traducteur ne se soit pas appuyé sur une indication aussi positive, et n'ait considéré que les dates des lettres écrites à Cochin en janvier 1548; encore sont-elles du 20.

1 On avait répandu le bruit qu'il avait été empoisonné par les païens.


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HISTOIRE DE SAINT FRANCOIS DE XAVIER - Page 8 Empty Re: HISTOIRE DE SAINT FRANCOIS DE XAVIER

Message  Monique Lun 01 Aoû 2022, 7:20 am

Notre admirable saint devait avoir une haute opinion du prince auquel il écrivait ainsi; car si cette lettre est digne du grand Xavier, elle honore le souverain qui savait accueillir avec reconnaissance ce langage de la liberté apostolique, et faire droit à toutes les demandes que le zèle de Xavier lui adressait avec tant de noblesse et de dignité.

Le même vaisseau qui portait cette lettre au roi, en portait aussi une pour saint Ignace, où nous trouvons la mesure de l'humilité si profonde de notre saint, et les tendres sentiments qu'il conservait pour son Père bien-aimé, malgré la grande distance qui l'en séparait



« .... Dieu connaît, lui mandait-il, mon très-cher Père, le désir dont je brûle de vous voir encore une fois en cette vie, pour soumettre à votre sagesse mil choses qui ont besoin de votre pénétration et de votre secours. Au reste, l'obéissance ne connaît point de distance... Je vois déjà, dans les Indes, bien des. membres épars de notre Société; mais je ne vois parmi eux aucun médecin pour nos maux spirituels !

« Je vous conjure, mon très-bon Père, par vos entrailles paternelles, je vous supplie par Jésus-Christ votre Seigneur et le mien, de jeter un regard de pitié sur ceux de vos enfants que la Providence a appelés aux extrémités de la terre ! Je vous conjure de nous envoyer un homme d'une haute vertu et d'un rare sainteté, dont la vigilance et la vigueur réveillent mon esprit qui se laisse quelquefois engourdir ! J'espère que l'Esprit de Dieu qui vous manifeste notre intérieur et vous découvre les dispositions de nos cœurs, vous suggérera les moyens de raviver notre vertu languissante.... »



Xavier écrivit encore le même jour au Père Rodriguez, à Lisbonne, pour lui demander des prédicateurs de la Compagnie, et l'engager à appuyer de son crédit les demandes qu'il adresse au roi « ... Il est temps, lui mande-t-il, de dessiller les yeux à Son Altesse, parce qu'elle est plus près qu'elle ne pense du moment où le Roi des rois la citera à son tribunal et lui fera entendre ces paroles redoutables Rendez compte de votre administration (1) . Faites donc en sorte qu'il nous envoie du secours pour propager la foi pendant qu'il en a le temps... »

Le grand apôtre des Indes, nous l'avons dit, ne connaissait plus le repos. Après avoir écrit toutes ces lettres, il s'embarqua pour Comorin, afin de visiter de nouveau ses chers Palawars, ses premiers enfants en Jésus-Christ, qu'il aimait avec une tendresse de père.


1 Le roi Jean III mourut en 1557.


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HISTOIRE DE SAINT FRANCOIS DE XAVIER - Page 8 Empty Re: HISTOIRE DE SAINT FRANCOIS DE XAVIER

Message  Monique Mar 02 Aoû 2022, 6:55 am

II



« Une voile ! une voile ! » s'écriaient en battant des mains plusieurs Indiens placés en observation depuis l'aurore sur la falaise la plus avancée des côtes du Comorin.

            Une voile ! une voile! répétaient des milliers de voix sur toute l'étendue de la plage; c'est lui ! c'est le grand Père ! O sanctissima Trinitas ! Le grand Père arrive !  Comme il sera content de nous entendre chanter la doctrine chrétienne pour le recevoir !  et de voir que nous n'avons rien oublié !  Et comme il embrassera Francisco !

Bientôt la joie des bons Palawars éclata plus vive encore. Ce navire, qui n'était d'abord qu'un point noir à l'horizon, se dessinait nettement, et, poussé par le vent le plus favorable, il avançait avec rapidité. Toute la population des côtes s'était portée à l'arrivée du grand Père, les maisons, les villages, les champs, les travaux, tout était abandonné; chrétiens et païens voulaient voir le grand-Père bien-aimé dont ils étaient privés depuis deux ans. Les Pères Criminale, Henriquez et Cypriano avaient continué parmi eux les travaux du grand apôtre, et ils avaient gagné les cœurs et la confiance des Palawars ; mais rien n'était pour ces bons Indiens le grand Père tant aimé.

Enfin le vaisseau qui porte le saint vénéré a jeté l'ancre; Xavier paraît, un immense cri de joie sort de ces milliers de poitrines et arrive jusqu'à sou cœur. Il fait des signes d'affection à cette masse de peuple qui couvre le rivage; il lui témoigne aussi sa joie de revoir son cher troupeau, et dès qu'il posé le pied sur la plage, les cris de bonheur font place aux chants de la doctrine chrétienne, auxquels notre aimable saint mêle sa touchante voix. C'était prouver le plaisir que lui faisait l'accueil de ses premiers enfants en Jésus-Christ. Ils le comprirent ainsi et accompagnèrent leur Père chéri jusqu'au premier village sans discontinuer les chants. Xavier s'arrêta à l'entrée du village pour parler à cette immense foule; il témoigna sa joie de revoir ses Palawars et le plaisir que lui faisait leur accueil; il les félicita d'être restés fidèles en son absence, et il allait les encourager pour l'avenir, lorsqu'un Indien lui dit avec une fierté qu'il ne cherchait pas à dissimuler

            Oh ! ce n'est pas tout, grand Père.

            Ce n'est pas tout, mon enfant ! Eh ! qu'y a-t-il donc?

            Il y a, grand Père, que Francisco, que vous avez baptisé et à qui vous avez donné votre nom, a voulu mourir pour la doctrine: le voilà, qu'il dise au grand Père ce qu'on lui a fait.

            Voyons, mon cher Francisco, dit Xavier au jeune Indien en l'embrassant avec des larmes de bonheur, dites-moi cela; que vous est-il arrivé, mon enfant?

            Grand Père, lui répondit Francisco, j'étais sur un vaisseau portugais que la tempête jeta dans un port de musulmans; le vaisseau fut pris, les Portugais furent tués, et moi, comme j'étais Indien, on voulut me faire musulman ; alors, je dis que j'étais chrétien, et je chantai la doctrine du grand Père. On me promit de me faire très-riche si je voulais renoncer à mon baptême. Je ne voulus pas, et je chantai encore la doctrine chrétienne du grand Père. Ils voulurent me tuer, et je dis: «Tuez moi, j e chanterai toujours la doctrine chrétienne ! O sanctissima Trinitas ! comme dit le grand Père.» Alors, on me priva de nourriture, on m'enferma dans une prison, et toujours je chantais la doctrine pour mourir chrétien ! Oh! je voulais mourir chrétien, grand Père ! O sanctissima Trinitas

 Et comment la Providence vous a-t-elle délivré, mon bien cher enfant ? lui demanda Xavier en l'embrassant de nouveau.

            Grand Père, c'est un vaisseau portugais qui vint avec beaucoup de soldats; ils tuèrent tous les musulmans qui se battirent avec eux, et lorsqu'on leur dit que j'étais enfermé, ils vinrent me chercher et ils me ramenèrent ici.


Le saint apôtre remercia Dieu de ce triomphe de la foi dans ce jeune cœur ; c'était pour son âme une bien douce consolation ! Il embrassa plusieurs fois le fidèle Francisco, et il le félicitait encore d'avoir souffert pour Jésus-Christ, lorsqu'on vint ajouter à sa joie en lui disant que plusieurs Palawars avaient également résisté à toutes les promesses et à toutes les menaces des infidèles.

            Oui, grand Père, lui dirent les confesseurs de la foi qu'on venait de lui signaler, nous répondions à tout en chantant la doctrine chrétienne ! Et nous la chanterons jusqu'à la mort ! O sanctissima Trinitas !

Cette parole: O sanctissima Trinitas ! les sauvages Indiens n'en comprenaient pas le sens, mais ils l'avaient entendu répéter souvent à leur apôtre vénéré ; ils avaient remarqué qu'elle était un élan de son cœur, qu'il la prononçait avec un accent brûlant, un regard qui semblait se perdre dans les cieux, et une ardeur qui se trahissait par la vive coloration de son visage. Ils aimaient tant à le contempler dans le moment où ce cri d'amour s'échappait de son âme, que leur ingrate mémoire l'avait retenue comme une parole mystérieuse et puissante, et ils en avaient fait leur plus expressive exclamation; ils s'en servaient pour exprimer leur sentiments les plus vifs. Quelquefois ils s'étaient aperçus qu'en prononçant ces paroles leur saint apôtre, brûlé par le feu divin dont il était rempli, entr'ouvrait son vêtement et qu'il sortait de sa poitrine et de son visage des rayons lumineux dont leurs yeux ne pouvaient soutenir l'éclat. Du reste, ce prodige se renouvelait souvent pour notre saint.


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Message  Monique Mer 03 Aoû 2022, 7:05 am

Plusieurs esclaves coupables de fuite vinrent trouver l'indulgent Xavier pour implorer son doux appui, dès qu'ils apprirent son retour :

            Grand Père, lui dirent-ils en pleurant, nous étions bien malheureux chez les Portugais ! nous nous sommes enfuis et nous sommes plus malheureux encore ! Nous n'osons pas retourner chez les maîtres, ils nous puniraient; et nous mourons de faim ! Grand Père, si vous demandez grâce pour nous, nous ne serons pas battus!

Et Xavier, dont le tendre cœur se laissait toucher par toutes les souffrances, plaida pour ses chers enfants esclaves qui purent rentrer chez leurs maîtres en toute sécurité.

Après avoir visité toute la côte de la Pêcherie, notre saint se rendit à Manapar où il réunit tous les Pères employés dans ces chrétientés, afin de juger par lui-même des vertus, des talents, de la capacité de chacun, et de les employer de la manière la plus avantageuse pour la gloire de Dieu et le bien des âmes. Il nomma supérieur le Père Criminale, il ordonna à tous d'apprendre la langue malabare (1), la plus répandue, et chargea le Père Henriquez de chercher les principes de cette langue, d'en établir les règles, d'en faire une grammaire propre à rendre cette étude facile à ceux qui seraient destinés à l'apostolat des Indes.

Le Père Henriquez ignorait encore le malais; ce travail paraissait impossible, et il n'eût jamais pensé à l'entreprendre; mais son supérieur le lui avait ordonné, il l'entreprit sans calculer les difficultés, et chacun s'étonna de la promptitude avec laquelle il l'exécuta. L'obéissance avait fait un prodige.


1 Ou Malais.


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Message  Monique Jeu 04 Aoû 2022, 7:19 am

Xavier fit traduire en cette langue par un prêtre indigène, l'explication de la doctrine chrétienne qu'il avait employée aux Moluques avec tant de succès; il laissa des instructions écrites et détaillées sur la manière dont les Pères devaient exercer le saint ministère dans les diverses chrétientés qui leur étaient confiées, et sur celle dont ils devaient traiter avec les Portugais pour le plus grand bien des néophytes; puis il partit pour l'île de Ceylan. Après son départ, le Père Vallez mandait à ses frères de Portugal

« .... Je ne saurais exprimer le bonheur que j'ai éprouvé en voyant le saint Père. C'est un serviteur de Dieu auquel personne ne peut être comparé. Son langage, sa seule présence, tout en lui fait aimer Dieu et donne le plus grand désir de le servir. Il dit souvent Loué soit Jésus-Christ ! et il le dit avec tant d'amour, que ceux qui l'entendent en sont enflammés.... »

Le frère et le fils du roi de Jafanapatnam étaient morts à Goa, et le tyran ne se voyait pas sans inquiétude en hostilité sourde avec les Portugais. François de Xavier, entrevoyant de précieux avantages pour l'Église et pour la couronne de Portugal dans un traité qui garantirait la liberté de la religion chrétienne dans le Jafanapatnam, en même temps qu'il rendrait ce pays tributaire du Portugal, voulait proposer au roi ce moyen de rétablir et de consolider la paix entre les deux peuples. Il part, arrive à Jafanapatnam, se fait présenter au roi et lui communique son plan :

Vous êtes entouré d'ennemis, lui dit-il, vous en avez au dedans, vous en avez au dehors; votre trône ébranlé est prêt à se briser, il va crouler à la première secousse qui lui sera donnée par vos sujets révoltés ou parles armes des Portugais. Ne vaut-il pas mieux affermir votre. puissance par les moyens que je vous propose? Faites une alliance solide avec le Portugal; payez-lui un tribut, et il s'engagera à vous maintenir.

Grand Père du Travancor, votre parole est sage, mais les Portugais sont chrétiens.

Voilà pourquoi je pose la condition que vous rendrez un édit par lequel vous permettrez aux missionnaires de prêcher Jésus-Christ dans vos Etats, et à vos sujets de se soumettre à sa loi sans avoir à redouter de nouvelles persécutions.

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Message  Monique Ven 05 Aoû 2022, 8:35 am

François de Xavier se voyant écouté, expliqua les principaux dogmes du christianisme à ce prince, et en obtint la promesse qu'il renoncerait un jour à ses idoles et à ses passions; en attendant, il acceptait toutes , les conditions proposées, et un de ses ministres, chargé d'aller négocier le traité avec le vice-roi, accompagnerait le grand Père de Travancor afin d'être mieux accueilli sous sa protection.

Cette affaire terminée, notre infatigable apôtre avança dans l'intérieur de l'île, et eut le bonheur de convertir le roi de Candi et un grand nombre de ses sujets; puis il s'embarqua avec l'envoyé du roi de Jafanapatnam. Arrivé à Goa, le 20 mars, il apprend que le vice-roi est à Baçaïm, dont la distance est de soixante lieues; il se rembarque et part pour Baçaïm.

Le vice-roi avait été changé pendant l'absence de notre saint : don Joam de Castro remplaçait en cette qualité don Alfonso de Souza et n'avait jamais vu François de Xavier; mais il avait entendu parler, à la cour de Jean III, de son éminente sainteté, de ses éclatants miracles, du charme de sa personne, et il était venu dans les Indes avec un vif désir de le connaître. Il se félicita de la nouvelle de son arrivée à Baçaïm, le reçut avec tous les honneurs qu'il aurait rendus à l'ambassadeur du monarque le plus puissant, et s'empressa de ratifier le traité préparé par le saint diplomate.

Pendant qu'il était à Baçaïm, le Père de Xavier, sortant un jour du palais du gouvernement, aperçoit un jeune homme qui traverse la place, vient droit à lui, prend sa main et la porte à ses lèvres. Xavier la retire, regarde sévèrement le jeune Portugais et lui dit avec l'accent du reproche et de l'autorité

Comment, Rodrigo ! je vous retrouve ici?... En quittant Malacca ne m'aviez-vous pas promis de vous rendre de suite en Portugal?

Mon Père, le vice-roi m'a donné la charge de receveur des deniers royaux... et je suis resté.

Vous a-t-il fait quitter Malacca pour cela? Mon Père, je me suis arrêté à Goa, je suis allé voir le gouverneur qui m'a retenu....

Est-ce le gouverneur qui vous a ordonné de passer deux ans sans vous confesser) est-ce le gouverneur qui vous oblige de vivre à la merci de toutes vos passions? Je vois avec douleur que vous êtes retombé au fond de l'abîme !

Mon Père ! mon cher Père !...

Nous ne pourrons être bien ensemble, mon pauvre Rodrigo, tant que vous serez mal avec Dieu !

Eh bien! mon bon Père je ferai tout ce que vous voudrez; je partirai, je vous obéirai ! Confessez-moi !...
Les yeux de Rodrigo de Sigueira étaient pleins de larmes; il reprit la main du saint Père, il la baisa avec amour et vénération, et le suivit pour se confesser sans retard.


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Message  Monique Sam 06 Aoû 2022, 8:14 am

Rodrigo appartenait à une noble famille portugaise et habitait Malacca où, ayant tué son adversaire en duel, il encourait toute la sévérité des lois; pour s'en mettre à l'abri, il s'était retiré à l'hôpital; c'était là que le Père de Xavier l'avait connu et avait gagné son affection et sa confiance. Rodrigo, revenu à des sentiments chrétiens et réconcilié avec Dieu, avait promis au saint Père de quitter les Indes où son âme serait toujours exposée à de graves dangers, et de retourner en Portugal. Alors le charitable saint, si délicatement aimable pour ceux qu'il obligeait, lui avait dit :

Eh bien ! mon ami, puisque j'ai votre promesse de quitter ce pays et de retourner en Europe, je vous dirai que vous pouvez reparaître, même à Malacca, en toute sécurité, car j'ai été assez heureux pour arranger votre mauvaise affaire. Vous ne serez point inquiété par la famille que vous avez privée d'un de ses membres, et le gouverneur m'a accordé votre grâce. Partez donc; retournez dans votre famille, et vivez toujours chrétiennement.

Rodrigo avait promis... puis il avait manqué de fidélité à sa parole ! Mais cette fois, après être rentré en grâce avec Dieu par le ministère de Xavier, il porta sa démission au gouverneur

Senhor, lui dit-il, j'ai promis au saint Père de rentrer dans ma famille, et c'est assez, c'est beaucoup trop de lui avoir manqué de parole une fois ! On ne connaît pas le regard du Père de Xavier lorsqu'on a encouru son mécontentement ! Je ne m'y exposerai plus ! J'ai cru sentir sur moi l’œil de la justice divine, quand je l'ai rencontré l'autre joual Je pars avec lui pour Goa, où je profiterai du premier navire qui fera voile pour Lisbonne.

Rodrigo partit en effet, et, recommandé par François de Xavier aux Pères de la Compagnie de Jésus, à Lisbonne, il vécut en excellent chrétien.

Le vice-roi, dont le Père de Xavier avait déjà conquis l'affection, le vit partir avec regret; il éprouvait le désir de réformer sa vie par ses conseils, et voulait suivre sa direction pendant quelques mois. Xavier ne pouvant rester à Baçaïm dans le moment, il fut convenu qu'il passerait l'hiver à Goa, où don Joam de Castro se rendrait aussitôt que les affaires qui le retenaient seraient terminées; alors il ferait une confession générale et se conformerait pour l'avenir, aux avis spirituels du saint Père. Ces arrangements pris, Xavier donna sa bénédiction au vice-roi et s'embarqua.


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Message  Monique Dim 07 Aoû 2022, 7:10 am

III



On se rappelle l'héroïque dévouement de François de Xavier pour les malades d'une flotte espagnole, forcée de relâcher à Amboine au moment où il y arrivait; on se souvient des prodiges de sa douce charité, de son énergique mortification, de son entier oubli de lui-même pour le soulagement de tous les équipages attaqués du scorbut.

Parmi ces malades, se trouvait don Côme de Torrez, prêtre espagnol, un des hommes les plus savants de l'époque, et que son goût pour les sciences avait entraîné dans les Indes, sur la flotte de Charles-Quint. Il avait reçu une large part des soins tendres et délicats de notre aimable saint, et cette vie de sublime abnégation lui avait paru une merveille qu'il n'aurait pu croire s'il ne lui eût été donné de la voir et de l'admirer durant quatre mois entiers, sans le moindre affaiblissement de courage. De son côté, François de Xavier avait été touché des vertus et de la piété de don Côme de Torrez, dont il connaissait depuis longtemps la réputation de science et de sainte vie, et l'un et l'autre s'étaient liés d'une sincère amitié. Au départ de la flotte, l'apôtre des Indes avait remis à son nouvel ami une lettre de recommandation pour le Père recteur du collège de Goa, où il avait été reçu à bras ouverts. La vie si parfaite des Pères de ce collège avait excité l'admiration du prêtre espagnol, au point de lui faire désirer ardemment d'entrer dans la Compagnie de Jésus. Le Père Lancilotti lui avait fait faire les exercices spirituels; son désir en était devenu plus vif, mais il redoutait les vœux, il voulait attendre encore. Il flottait dans cette pénible incertitude, lorsque le grand apôtre arrivant à Goa pour y passer l'hiver, et le trouvant au collège, l'accueille cômme un de ses frères, l'embrasse et le presse sur son cœur en s'écriant

Côme de Torrez ! que je suis heureux de vous voir ici, mon bien cher Frère !

Oui, mon très-cher Père, si vous voulez de moi, je suis des vôtres; j'étais incertain tout à l'heure encore; mais en vous voyant, en vous embrassant, la lumière s'est faite en moi; Dieu me veut ici.

François de Xavier était sûr de cet appel. Il remercia Dieu d'une telle acquisition, et réservant pour la conquête du Japon, qu'il méditait sérieusement, la science du nouveau missionnaire, il le chargea d'instruire trois Japonais, afin de le familiariser avec les difficultés de leur langue. Ces trois Japonais, que notre saint avait embarqués sur le bâtiment de Jorge Alvarez, au moment de quitter Malacca, étaient un jeune homme de famille noble et fort riche, nommé Anger, et deux de ses domestiques; l'apôtre de lOrient espérait pénétrer dans l'empire du Japon, par leur moyen, avec plus de facilité et de plus grands éléments de succès. Anger va nous raconter lui-même les voies par lesquelles la divine Providence l'amena à la connaissance du christianisme et au désir de l'embrasser.


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Message  Monique Lun 08 Aoû 2022, 7:33 am

PAUL ANGER, PREMIER CHRÉTIEN JAPONAIS, AUX PÈRES ET FRÈRES DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS A ROME.



Goa, 27 novembre 1548.



«Que la paix et la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soient avec vous ! Ainsi soit-il.

«Puisqu'il a plu à Celui qui m'a créé de me chercher comme une brebis errante au milieu des ténèbres, pour m'amener à la lumière de son Evangile, m'arracher des prisons de la mort et me donner la liberté et la vie, je suis forcé de recourir à vous tous pour rendre à sa divine Majesté des actions de grâces proportionnées aux grandes faveurs dont sa miséricorde infinie a daigné me combler. Pénétré et confus de mon impuissance, je vous demande, mes très-chers Frères, de suppléer à mon indignité, et, pour vous y exciter, je vais vous exposer ici les voies extraordinaires par lesquelles le Père céleste m'a conduit au bercail de son Fils unique et bien-aimé.

« Etant encore au Japon, il y a quelques années, et poursuivi par des ennemis personnels qui en voulaient à ma vie, je me réfugiai dans un couvent de bonzes. Un navire portugais vint en même temps jeter l'ancre dans la rade devant laquelle est situé ce couvent. C'était précisément le navire de don Alvarez Vaz que j'avais connu autrefois, et qui s'empressa de m'offrir un asile sur son vaisseau; mais ses affaires devant le retenir en rade trop longtemps pour ma sûreté, il eut la bonté d'écrire à un de ses amis qui était dans un port assez éloigné, en le priant de me recevoir à son bord. Muni de cette lettre, je pris congé, de don Alvarez, et me rendis en hâte au port où je devais trouver Ferdinando Alvarez, à qui était adressée la recommandation dont j'étais porteur. J'arrivai de nuit, je me trompai, je remis la lettre à don Jorge Alvarez, capitaine d'un autre navire, et qui m'accueillit avec amitié, en me disant qu'il m'emmènerait avec lui et me présenterait au révérend Père Francisco de Xavier, son ami intime. J'y consentis. Pendant la traversée, soit pour me familiariser avec l'idée de voir le révérend Père et m'inspirer d'avance de l'estime et de l'affection pour lui, soit pour me donner quelques notions du christianisme, don Jorge amenait toujours la conversation sur le révérend Père, sur ses vertus, sur ses grandes actions, sur les effets merveilleux de sa parole. Il en résulta que je conçus deux vifs désirs : l'un de connaître par moi-même l'illustre et saint personnage dont on me vantait en termes si magnifiques les vertus et le charme; l'autre d'étudier sérieusement une religion qui produit des hommes d'une telle perfection. J'étais déjà si convaincu de la vérité de cette religion, que je me serais fait baptiser en arrivant à Malacca, si le senhor vicaire général n'eût vu dans mon mariage un obstacle à cette grâce, car il ne devait plus m'être permis, après le baptême, de vivre avec une femme idolâtre. J'en fus vivement affligé ; mais à ce chagrin s'en joignit un autre non moins cuisant. J'étais venu pour voir le révérend Père de Xavier, et il était absent ! La porte de l'église m'était fermée, et celui qui aurait pli calmer et adoucir ma douleur n'était pas là ! Désolé, découragé, je voulus retourner au Japon : les vents étaient favorables, je m'embarquai sur un vaisseau qui devait me laisser à un port de la Chine, éloigné de ma patrie seulement de deux cents lieues. J'arrivai à ce port où je trouvai un navire partant pour le Japon; j'y montai; nous levons l'ancre, et je compte revoir mon pays après six ou sept jours de navigation.

«Mais Celui qui gouverne toutes choses et les fait tourner à l'accomplissement de ses desseins, me ramena au point d'où j'étais parti par des voies qui ne sont connues que de lui seul. A vingt lieues des côtes du Japon, une tempête des plus violentes nous menace des plus grands périls pendant quatre jours, et finit par nous rejeter sur les côtes de la Chine, que nous venions de quitter.

«Le danger que je venais de courir me fit réfléchir sérieusement. J'étais fatigué, inquiet, déchiré de remords, lorsque je vois venir à moi don Alvarez Vaz. Sa surprise fut grande en me rencontrant en Chine, tandis qu'il me croyait à Malacca. Je lui raccontai mes aventures et le péril auquel je venais d'échapper; j'étais encore tout mouillé et couvert de l'écume de la mer. Il m'offrit de nouveau son bord et m'engagea à tenter encore le voyage de Malacca. Don Lorenzo Botelli se joignit à lui, tous deux m'assurèrent que j'y trouverais le révérend Père Francisco de Xavier, qu'il me consolerait de tout, qu'il m'instruirait, me baptiserait, me mettrait au séminaire de Goa et me ferait ramener ensuite au Japon avec des Pères de sa Compagnie.

« Je suivis leurs conseils et revins avec eux à Malacca. La première personne que je vis en sortant du vaisseau fut don Jorge Alvarez ! Nous fûmes ravis de nous revoir, et, à l'instant même, il me mena à la cathédrale, où le révérend Père de Xavier bénissait un mariage. Après la cérémonie, le capitaine me présenta à lui et lui dit qui j'étais, et pourquoi je venais. «Attentif et les yeux fixés sur le Père de Xavier, je vis son doux visage s'épanouir d'une grande et sainte joie; puis, se tournant vers moi, il me regarda si tendrement, il me parla avec tant de douceur et me témoigna tant d'affection, que mon coeur s'éprit pour lui, et je fus assez heureux pour voir mon extrême tendresse payée d'un retour délicieux ! A sa touchante voix, à son doux langage, je reconnus la divine Providence, j'admirai ses ressorts, j'adorai ses décrets impénétrables !


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Message  Monique Mar 09 Aoû 2022, 7:42 am

« Le Père de Xavier me destina aussitôt pour le séminaire de Goa; mais son plan de visite aux chrétiens du Comorin ne lui permettant pas de venir avec moi, il m'envoya devant lui sur le vaisseau de Jorge Alvarez. Il nous suivit de près, car nous arrivâmes le ter mars, et lui le 4 ou le 5 du même mois (1). On eût dit que les vents et l'eau s'accordaient pour seconder mes désirs. Je soupirais après lui, je soupirais après le baptême, et mes vœux furent bientôt comblés. Il arriva; mon instruction s'acheva dans le collège, et je fus baptisé le lendemain de la Pentecôte, avec les deux domestiques que j'avais amenés du Japon.

« Telle est mon histoire. J'espère qu'avec la grâce de Jésus-Christ, Seigneur et Créateur de toutes choses, notre Rédempteur, qui a daigné souffrir et mourir sur la croix pour nous, elle tournera non-seulement à mon profit personnel, mais encore à la gloire de Dieu, à la propagation de la foi, à l'honneur de toute l'Église. Quant à moi, je suis bien dédommagé de toutes mes peines ! Je jouis de plus de bien que je n'osais l'espérer. Chaque jour la foi jette dans mon âme de nouveaux rayons; la vérité, la sainteté de l'Evangile se développent de plus en plus à mes yeux; les bienfaits dont j'ai été comblé, ceux que je reçois sans cesse, les joies, les consolations dont mon âme est remplie, me rendent palpable, pour ainsi dire, ce que je ne faisais qu'entrevoir. Il me semble que j'ai reçu une nouvelle vie, de nouvelles facultés, et que Dieu m'a créé de nouveau. J'apprends tout ce qu'on m'enseigne avec une rapidité qui m'étonne et me confond. Il m'a fallu si peu de jours pour lire et écrire en langue européenne, que mon intelligence est un prodige qui m'étourdit. J'ai retenu exactement par cœur, mot à mot, toute l'explication de l'Evangile de saint Matthieu, que le Père Côme de Torrez m'a faite deux fois, et je l'ai traduite en japonais.

« Le Père de Xavier se propose d'aller au Japon et de m'associer à ses travaux.

« Priez, mes frères ! priez, afin que Dieu daigne nous bénir. Demandez pour moi une reconnaissance proportionnée aux bienfaits que j'ai reçus ! ils sont si grands que Dieu s'est, pour ainsi dire, obligé de me donner la force de souffrir la mort en confessant son saint nom, pour ne me pas laisser dans la nécessité d'être ingrat.

« Mon cur me dit que je ne mourrai pas sans avoir vu au Japon un collège de votre Compagnie pour l'avancement de la foi et la gloire de Dieu, pour lequel je suis, mes Pères, votre serviteur,



« PAUL DE SAINTE-FOI. »




Après son baptême, Paul Anger avait demandé à Xavier la permission de prendre le nom de Sainte-Foi, en souvenir du collège où il avait trouvé le bonheur; autorisé par le saint apôtre, il adopta ce nom et ne le quitta plus. L'un de ses domestiques fut nommé Jean, et l'autre Antoine; ils ne cédaient en rien à leur maître pour la ferveur de leur piété et la pratique de toutes les vertus chrétiennes.

 
1 Il y a erreur dans cette date. La visite aux chrétiens des côtes de la Pêcherie, le séjour à Manapar, le voyage à l'ils de Ceylan, où le saint négocie un traité avec le roi de Jafanapatnam et convertit celui de Candi, au centre de File, le voyage de l'île de Ceylan à Goa et à Baçâim, tout cela ne pouvait s'être fait en quatre ou cinq jours. Nous avons préféré la date indiquée par le B. Bouhours et reproduite par le traducteur des lettres, qui fixe cette arrivée au 20 mars. D'ailleurs nous trouvons également celle du 20 mars dans une lettre de Côme de Torrez à la Compagnie de Jésus.


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Message  Monique Mer 10 Aoû 2022, 7:50 am

IV



La ville dAden, souvent inquiétée parles Turcs, venait de se mettre sous la protection des Portugais, qui depuis longtemps ambitionnaient ce poste voisin de la mer Rouge. Le vice-roi faisait équiper à Baçaïm une flotte dont le commandement était confié à son fils, Alvarez de Castro, et il avait donné ordre au gouverneur de Goa de lui envoyer huit vaisseaux armés et équipés, qui devaient joindre la flotte à Baçaïm pour prendre part à l'expédition.

Au moment où les huit vaisseaux de Goa allaient lever l'ancre, François de Xavier apprend que Fernando Alvar, officier dont la valeur et les brillants faits d'armes ont toujours mérité les plus grands éloges, fait partie de l'expédition et qu'il vient d'embarquer sur la Santa-Fe. Au même instant, le saint apôtre saisit son bréviaire, court au port, entre dans une embarcation, se fait conduire à la Santa-Fe et y monte au moment même où le commandement se fait entendre. On lève l'ancre, voilà notre saint gagnant la haute mer avec l'assurance d'un passager qui entreprend un voyage mûrement réfléchi et longuement préparé.

Mon cher Père, lui dit le capitaine, quelle bonne fortune pour nous !  J'ignorais que vous suivriez la flotte, et surtout que j'aurais le bonheur de vous posséder à mon bord?

            Je l'ignorais moi-même il n'y a qu'un instant, lui répondit Xavier en souriant.

Après quelques moments de causerie avec le capitaine, notre saint joignit Fernando qui ne pouvait plus le fuir comme il avait fait jusque-là.

Fernando Alvar était l'homme le plus dur et le plus vicieux. Ses talents militaires et sa grande valeur étaient reconnus; mais c'était tout ce qu'on pouvait estimer en lui. Plusieurs fois déjà François de Xavier avait tenté d'approcher de ce pécheur endurci; toujours il avait été repoussé avec une violence qui tenait de la brutalité. Le zèle de l'apôtre, que rien ne décourageait, se retranchait alors dans la prière, et il attendait une occasion nouvelle. Celle qui se présentait lui paraissant toute providentielle, il ne doutait plus du succès, il était sûr que le moment de la grâce était arrivé, et qu'avant peu il aurait faut la difficile conquête qu'il ambitionnait.

Nous savons tout ce que François de Xavier possédait de ressources pour subjuguer les esprits et attirer les cœurs; il les mit toutes en œuvre se gardant, bien d'attaquer la place ouvertement, avant d'avoir affaibli ses moyens de défense. Il parut se plaire dans la société de Fernando, au point que les pharisiens de l'équipage se regardaient avec étonnement et se disaient: « Comment se fait-il que le saint Père, qui est prophète et qui sait tout ce qu'on ne lui dit pas, ne sache pas ce que c'est que Fernando Alvar? S'il le savait, nous ne le verrions pas, assurément, dans une telle intimité avec cet homme dont tout le monde s'éloigne comme d'un pestiféré.»

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Message  Monique Jeu 11 Aoû 2022, 6:36 am

Le saint Père s'apercevait très-bien de l'étonnement qu'il excitait; mais il n'en persistait pas moins dans le plan qu'il s'était tracé et dont il espérait le succès, car déjà Fernando recherchait notre saint et paraissait préférer sa société à toute autre

Je n'aurais jamais cru, disait-il au capitaine, que le Père Francisco fût aussi aimable. C'est, en vérité, le plus charmant gentilhomme que j'aie jamais rencontré! Il est fâcheux qu'il soit prêtre.

Fernando était joueur effréné; Xavier paraissait s'intéresser vivement à son jeu, et, l'entendant jurer et blasphémer dans un moment où il perdait considérablement, il lui dit de sa plus douce voix

Le jeu demande du calme, senhor Alvar; je crains que vous ne perdiez jusqu'au bout, en vous emportant ainsi.

Que voulez-vous, mon Père, je ne suis pas maître de moi, répondit le fougueux soldat dont la brutalité était devenue proverbiale.

Le lendemain, notre saint se voyant déjà aimé de Fernando Alvar, jugea le moment venu. Il passa son bras sous celui de l'homme de guerre, et, du ton le plus insinuant, il lui dit à voix basse, en l'entraînant sur le pont

Senhor Fernando, je suis assez curieux et je désire fort savoir une chose que vous seul pouvez me dire.

Parlez, mon Père.

Eh bien ! dites-moi si vous vous êtes confessé avant de partir?

Oh ! il y a longtemps que je ne me suis occupé de cela, mon Père.

Comment! brave comme vous l'êtes, toujours le premier sur la brèche, toujours exposé à être le premier tué, vous voulez paraître devant Dieu avec une conscience ainsi chargée? A quoi pensez-vous donc?

Mon cher Père, il parait que je ne suis pas de bonne prise, car je voulus me confesser une fois avant d'aller à l'ennemi, et le vicaire me renvoya sous prétexte que je n'étais pas préparé; je crois qu'il avait peur de moi.

Eh bien ! moi qui n'en ai pas peur, je veux vous confesser, senhor Fernando; je ne veux pas, si un Turc vous atteint mortellement, qu'il envoie votre âme en enfer.

Vous ne savez pas à quoi vous vous engagez, mon Père !... L'affaire est trop difficile...

Pas du tout, senhor; laissez-moi vous préparer à faire une bonne confession, et vous verrez que ce ne sera pas plus difficile pour vous que pour tant d'autres.


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Message  Monique Ven 12 Aoû 2022, 6:55 am

Fernando ne résista plus; il écouta notre apôtre, il se laissa toucher par sa douce et puissante parole, et lui promit de se confesser au mouillage de Coulan, dont on approchait. En y arrivant, François de Xavier descendit à terre avec lui, et le confessa dans une forêt qui bordait le rivage.

Mon Père, lui dit Fernando, vous m'avez inspiré un tel regret de ma vie de désordre, que vous pouvez m'imposer la plus rigoureuse pénitence; je vous promets de faire tout ce que vous voudrez en expiation de mes péchés.

Le saint apôtre lui imposa seulement la récitation d'un Pater et d'un Ave. Grand fut l'étonnement de Fernando:

Eh quoi ! mon Père, un Pater et un Ave pour cette confession de soldat? Et que voulez-vous donc que je devienne, après avoir tant offensé Dieu, si je ne fais une pénitence aussi proportionnée que possible?

La miséricorde de Dieu est infinie, mon ami, ayez confiance; quant à sa justice, nous l'apaiserons, j'espère, lui répondit Xavier avec l'ineffable douceur qui le faisait tant aimer.

Puis il s'enfonce dans la forêt, pendant que Fernando accomplit sa pénitence, et là, comme à Cranganor, il se déchire vivement avec la discipline qu'il portait toujours sur lui. Fernando l'entend et devine sa pensée; il court à lui, arrache la discipline de ses mains, se dépouille lui-même jusqu'à la ceinture et se frappe jusqu'au sang, car il a vu couler le sang du saint Père.

Mon Père, mon cher Père, c'est moi qui ai péché, et c'est vous que vous punissez ! lui dit-il avec, larmes.

François de Xavier l'embrassa plusieurs fois, heureux de le voir dans une disposition dont il prévoyait la persévérance.

Je vous avoue maintenant, lui dit-il, que je ne me suis embarqué que pour vous. Je voulais donner votre âme à Dieu, j'ai eu cette consolation, je vous quitte avec l'espérance que vous serez fidèle à la grâce que vous avez reçue. Continuez votre voyage; je retourne à Goa et ne vous oublierai pas devant Notre-Seigneur !


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Message  Monique Sam 13 Aoû 2022, 7:07 am

Fernando, après l'expédition d'Aden, entra dans un Ordre religieux où il vécut et mourut saintement. De retour à Goa, notre saint se livra avec plus d'ardeur que jamais à tous les exercices de la vie spirituelle et à des austérités effrayantes, afin de renouveler ses forces et d'attirer les bénédictions célestes sur la nouvelle conquête qu'il méditait. Toutefois, il ne retrancha rien de ses travaux extérieurs. Toujours dévoré de zèle et toujours infatigable, il reprit les prédications, les confessions, les instructions pour les enfants et les esclaves, le soin des prisons et des hôpitaux; il semblait se multiplier. Dirigeant tous les intérêts de la Compagnie de Jésus dans les Indes, et l'administration des collèges qu'il y avait fondés, il veillait à tout, il prévoyait tout, il surmontait toutes les difficultés et ne reculait. devant aucun obstacle. Chacun se disait qu'il ne pouvait sans miracle suffire à tant et de si pénibles labeurs. Il avait un collège à Goa, un autre à Granganor; il fallait en établir un troisième à Malacca et un quatrième aux Moluques. Pour cela, il fallait correspondre avec Rome et Lisbonne, en Europe; avec Malacca, distante de Goa, de sept cents lieues, et avec les Moluques qui en sont éloignées de pas de mille.

Dans ce siècle, la navigation était loin d'avoir acquis les moyens de rapidité et les chances de sûreté que la science lui a donnés depuis; le travail de la correspondance en était d'autant plus considérable pour le saint apôtre. Si plusieurs bâtiments partaient ensemble, ou à de courts intervalles l'un de l'autre pour ces diverses destinations, il écrivait jusqu'à trois fois les mêmes lettres, afin que si un navire se perdait en mer, l'autre pût y suppléer. Quand on considère les immenses et magnifiques travaux de son admirable apostolat, on ne peut comprendre qu'il ait pu suffire à cette volumineuse correspondance. C'est un prodige des plus étonnants, surtout quand on voit avec quel soin et quel détail il dirigeait par lettres tous les missionnaires dont il était le supérieur, et tous les Pères chargés des collèges qu'il avait solidement établis à travers tant d'obstacles et de difficulté.

Toutes ces occupations ne l'empêchaient pas de consacrer chaque jour, après le dîner, deux heures entières à l'oraison. Il se retirait dans le clocher, afin de n'être point dérangé, et un jeune séminariste du collège, nommé André, avait la charge de l'avertir lorsque les deux heures étaient expirées; sans cela, notre saint s'oubliait en Dieu.

Un jour, André va l'avertir avec d'autant plus d'exactitude, que le vice-roi lui avait donné rendez-vous; mais François de Xavier n'entend pas; il est assis sur un banc de bois, ses mains sont croisées sur sa poitrine, ses yeux sont fixés vers le ciel, il est immobile : André le contemple un instant avec admiration; jamais il n'avait rien vu de comparable à cette belle et extatique figure. Des larmes s'échappent de ses yeux, il voudrait demeurer là, à genoux devant ce saint Père qui lui semble une vision céleste; mais le Père de Xavier est attendu par le vice-roi, et lui a donné l'ordre d'interrompre cette contemplation, il faut qu'il obéisse : ,

Mon Père ! reprend-il enfin, mon Père! vous devez aller chez le vice-roi qui vous attend.


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Message  Monique Dim 14 Aoû 2022, 7:08 am

François de Xavier ne bouge pas; ses yeux restent dans la même fixité, dans la même expression de béatitude; son corps seul touche à la terre, toute son âme est perdue en Dieu ! André n'ose plus insister, il se retire respectueusement, pénétré de vénération. Deux heures après, il retourne auprès du saint apôtre, rien n'est changé ni dans son attitude ni dans son regard. André se croit obligé cette fois de le forcer en quelque sorte à revenir à la terre , et, après l'avoir appelé en vain plusieurs fois, il se permet de prendre son bras et de le secouer assez fortement

Comment, lui dit doucement le Père de Xavier, il y a déjà deux heures?

Il y en a quatre, mon Père.

Allons donc tout de suite chez le vice-roi.


Il sort à l'instant emmenant André avec lui, mais à la porte du collège il est ravi de nouveau, et, forcé de rentrer, il lui dit :

Dieu veut que cette journée soit pour lui seul; nous irons demain chez le vice-roi.

Nous avons vu, dans le cours de cette histoire, que ces ravissements se renouvelaient souvent pour l'illustre apôtre des Indes, et que les plus violentes tempêtes et les cris de désespoir des passagers ne pouvaient le distraire, même un seul instant, de ses communications avec Dieu. Les marins avaient coutume de dire :

« Il faudra bien que la tourmente cesse, le Père Francisco est avec Dieu ! »

Pendant ce séjour à Goa, notre saint se retirait fréquemment dans un petit oratoire placé au fond du jardin du collège, et là, Dieu l'inondait de telles délices, que souvent on l'entendit le supplier de modérer ses faveurs:

« C'est assez ! Seigneur, c'est assez ! s'écriait-il. »

Et il entr'ouvrait sa soutane, il sortait de l'oratoire, se promenait dans le jardin, et cherchait à donner de l’air à sa poitrine brûlée par le feu divin qui le remplissait ! Il se croyait seul, ou plutôt il avait oublié la terre au point de ne pas penser qu'on pût le voir ainsi, et il laissait échapper de son cœur ce cri d'amour qui lui était habituel et qu'il répétait même pendant son court sommeil

« O Jésus ! l'amour de mon cœur ! »


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Message  Monique Lun 15 Aoû 2022, 7:08 am

Le grand Xavier, nous l'avons dit, voulait conquérir le Japon, il voulait conquérir la Chine, il aurait voulu conquérir le monde entier pour le donner à l'Eglise de Jésus-Christ, et il éprouvait le besoin d'être sans cesse avec Dieu pour puiser à pleines mains, dans les trésors de sa miséricorde, toutes les bénédictions qu'il désirait sur ses magnifiques entreprises. Il avait également besoin d'être sans cesse avec lui afin de lui témoigner son ardent amour et son immense reconnaissance pour les faveurs si extraordinaires dont il était comblé. Aussi, la journée lui paraissant insuffisante, le soir, quand venait pour tous l'heure du repos, François de Xavier qui ne voulait plus d'autre repos que celui du ciel, et à qui Dieu donnait des forces surhumaines, sortait furtivement de sa cellule, descendait à l'église, et là, s'oubliait quelquefois jusqu'au jour. D'autres fois il arrivait que, Dieu permettant à la nature de réclamer ses droits, un impérieux besoin de sommeil s'emparait du saint apôtre; souvent il se retirait tristement, déplorant sa faiblesse; mais, souvent aussi, il ne pouvait se résigner à s'éloigner de la sainte humanité du divin Sauveur. Alors avec l'amour et l'abandon de l'enfant bien-aimé qui s'endort dans les bras maternels, il se laissait aller au repos sur les degrés de l'autel et le plus près possible de Celui qu'il aimait. Après quelques instants de sommeil il reprenait son oraison et, plusieurs fois, le matin, les Pères qui entraient dans l'église le trouvaient en extase, le visage lumineux, le corps élevé au-dessus du sol et se soutenant, par une vertu divine, à une grande élévation. Toujours il distribuait la sainte communion en fléchissant les genoux, et souvent on le vit communier ainsi les fidèles, les genoux ployés, mais ne touchant pas la terre; il était même assez élevé pour que le prodige ne pût être contesté par aucun des assistants; alors son visage rayonnait d'une lumière éblouissante. Ce double prodige fut constaté plusieurs fois à Goa.

On comprend l'empressement de chacun pour assister à la messe du saint Père, et la consolation qu'on goûtait à communier de sa main; on comprend la confiance et l'amour qu'il inspirait; son arrivée était toujours une fête, son départ était toujours un deuil.

Un jour, on le voit paraître à l'entrée d'une rue au moment où chacun prenait la fuite en présence d'un éléphant emporté et furieux

Mon Dieu ! le saint Père ! s'écria-t-on de tous les points à la fois ; sauvez le saint Père ! Père Francisco ! prenez donc garde !... mon Père ! saint Père !...

L'éléphant est déjà loin, le Père bien-aimé est entouré, questionné, pressé avec l'anxiété du coeur effrayé... Il ne comprend pas

Comment ! mon Père, il ne vous a pas fait de mal? Qui donc, mes enfants ?

L'éléphant !

L'éléphant? je n'ai pas vu d'éléphant.

Est-il possible? Quel miracle, mon Père ! Il allait sur vous, Antonio et Rafaëlo couraient vous sauver au risque de se faire tuer, quand il s'est jeté entre vous et eux, et il s'est enfui par là...

Je ne l'ai pas vu et il ne m'a fait aucun mal, reprit l'humble Père.


Et il accompagna ces paroles d'un si doux regard que tous ceux qui l'entouraient se disaient lorsqu'il se fut éloigné :

Comme son regard d'ange nous remerciait de notre inquiétude ! Comme on voit qu'il sait bien que nous l'aimons, ce saint Père!


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