Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
Ouverture du noviciat.
Après sept années d'efforts et de patience, en 1648, il était enfin terminé. Il avait coûté plus de 50,000 lbs. Entièrement construit en pierres quant aux murs principaux, il mesurait quatre-vingt-douze pieds de longueur sur vingt-huit de largeur. « C'est la plus belle et la plus grande maison qui soit en Canada pour la façon d'y bâtir, » écrivait la Mère Marie de l'Incarnation, et son témoignage est confirmé par les plus anciens documents.
A cent pas environ de ce beau monastère, s'élevait une petite maison également en pierres, à deux étages, d'une superficie de trente pieds sur vingt, qui appartenait à Mme de la Peltrie. Elle l'avait fait bâtir en 1644, peu après son retour à Québec. « Cette maison fut d'abord louée au profit de la communauté, disent les mémoires des Ursulines. Dans les deux incendies, elle devint une véritable providence pour la communauté, et c'est là que devait s'éteindre en 1652, au milieu d'incommodités de tout genre et avec des marques si sensibles de prédestination, la bien-aimée Mère de Saint-Joseph, la première des Ursulines de Québec qui fut appelée à la récompense 1. »
La pieuse Mme de la Peltrie, qui l'avait fait bâtir pour y habiter avec sa servante, ne l'occupa jamais. Car, lorsqu'en l'année 1646 les Ursulines ouvrirent leur premier noviciat, quel ne fut point leur étonnement mêlé d'admiration en voyant cette pieuse dame venir solliciter à genoux la faveur d'y être admise ! En faisant cette noble et généreuse démarche, elle était suivie par Mlle Charlotte Barré, qui ne l'avait pas quittée depuis le départ de Tours, et dont la vocation religieuse ne s'était pas démentie un seul instant.
Les supérieurs ne jugèrent pas expédient, pour le bien même de son œuvre, que Mme de la Peltrie se fît religieuse. Cette âme dévouée, qui ne cherchait que l'accomplissement de la volonté divine, reçut cette décision avec une parfaite soumission. Elle renonça à son généreux dessein ; mais « dès lors, dit le récit, elle résolut de vivre en religieuse. Continuant donc à habiter le cloître en habit séculier et sans être liée par des vœux, on la vit s'astreindre à toutes les règles et observances de la vie monastique, sans vouloir accepter ni exemptions ni privilèges, hors celui d'occuper partout la dernière place ; ce qu'elle a fidèlement observé jusqu'à sa mort 1 ».
Mais si Mme de la Peltrie ne put être admise...
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1 Les Ursulines de Québec, tome Ier, p. 119. — 1 Id. Ibid., p. 144.
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Louis- Admin
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
Mlle Barré y est admise. Sa profession.
Mais si Mme de la Peltrie ne put être admise au noviciat, Mlle Barré y fut reçue avec bonheur, et devint ainsi la première novice de ce monastère. Mme de la Peltrie lui donna elle-même son trousseau et 3,000 livres de dot. Elle fit profession et prononça ses vœux deux ans plus tard, le 21 novembre 1648. Cette profession fut la première cérémonie de ce genre célébrée au nouveau monastère ; aussi le souvenir s'en est-il religieusement conservé. Le P. Jérôme Lallemand, l'oncle du martyr dont nous retracerons bientôt les souffrances, célébra le saint sacrifice et présida la cérémonie. Que d'émotions diverses ne dut-elle point éveiller dans les cœurs ! Neuf ans s'étaient écoulés depuis le jour où les Ursulines abordaient sur la terre canadienne. Depuis lors, les joies et les tristesses n'avaient pas manqué à la communauté naissante. Mais, au milieu de ses travaux et de ses sacrifices, la main de Dieu n'avait cessé de la bénir et de la protéger. Aussi la confiance en Dieu était grande dans toutes ces âmes dévouées à son service. L'heure était sombre cependant pour la colonie canadienne. La guerre était allumée entre les diverses nations sauvages de cette partie du nouveau monde, le sang commençait à couler de toutes parts, et l'existence elle-même de la colonie était en péril.
Mais la malice des hommes ne saurait arrêter l'œuvre de Dieu…
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Louis- Admin
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
Plusieurs autres postulantes et novices.
Mais la malice des hommes ne saurait arrêter l'œuvre de Dieu. Peu de jours après la profession de Mlle Barré, que nous ne désignerons désormais que sous le nom de Mère Saint-Ignace, Mlle Catherine Lezeau prononçait aussi ses vœux en qualité de sœur converse, et, comme pour mettre le comble à toutes ses joies, on vit, à la fin de cette année 1648, une jeune fille appartenant à une des plus nobles familles de la colonie venir demander à revêtir, elle aussi, le bandeau des épouses de Jésus-Christ.
C'était Mlle Philippe-Gertrude de Boulogne, sœur de Mme d'Ailleboust, femme de M. Louis d'Ailleboust de Coulonge, qui venait de succéder à M. de Montmagny dans la dignité de gouverneur de Québec. Poussée par l'ardent désir de se dévouer à la conversion des sauvages, elle avait suivi sa sœur et son beau-frère, lorsque celui-ci fut nommé, en 1641, gouverneur de Montréal. Les deux sœurs partageaient d'ailleurs les mêmes sentiments, et nous verrons Mme d'Ailleboust devenue veuve venir solliciter, après la mort de sa sœur, la faveur de la remplacer au monastère. Mlle de Boulogne fit profession le 9 décembre 1649. Sa ferveur et son zèle ne se démentirent jamais, et elle eut la consolation de rendre à Dieu sa belle âme entre les bras de la vénérée Mère Marie de l'Incarnation, le 20 août 1667. Elle avait pris en religion le nom de Mère Saint-Dominique.
La famille de Sainte-Ursule se développait ainsi peu à peu sur les rivages de la Nouvelle-France…
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
Prospérité du monastère.
La famille de Sainte-Ursule se développait ainsi peu à peu sur les rivages de la Nouvelle-France. Le monastère était bâti, entièrement payé. De toutes parts on y accourait, les jeunes filles françaises ou sauvages pour s'y faire instruire, les pauvres gens pour y recevoir quelques secours et soulagements. A l'intérieur fleurissaient sous l'égide de Marie, protectrice et supérieure de la nouvelle maison, toutes les plus belles vertus du cloître. L'avenir semblait maintenant assuré, et la Mère de l'Incarnation pouvait, ce semble, commencer à se reposer après tant de combats, de fatigues et d'épreuves, et jouir en paix du fruit de ses premiers travaux. Il n'en était rien cependant.
Les plus terribles catastrophes allaient fondre sur le monastère et sur la colonie tout entière ; d'un côté, l'incendie allait réduire en cendres l'édifice si péniblement bâti; de l'autre l'invasion des Iroquois, après avoir détruit la petite Église des Hurons, allait menacer l'existence même de tous les Français au Canada. C'est plus que jamais l'heure du sacrifice, mais aussi l'ère féconde et glorieuse de la persécution et des martyrs.
A suivre : Chapitre VII. LE MARTYRE D'UNE ÉGLISE NAISSANTE
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
CHAPITRE VIILE MARTYRE D'UNE ÉGLISE NAISSANTE
Vos purpurati martyres,
Vos candidati
Confessionis, exsules
Vocale nos in patriam.
O vous qui avez été empourprés par votre sang
et rendus purs et innocents par le
mérite de votre confession de Jésus-Christ,
appelez-nous dans la patrie, nous pauvres exilés ! (Hymne de la Toussaint.)
Non in aqua solum, sed in aqua et sanguine.
Elle n'a pas été (baptisée) seulement dans l'eau,
mais dans l'eau et dans le sang.
(I Jean, V, 6.)
Nouvelles irruptions des Iroquois dans le pays des Hurons.
Les premières effusions du sang du glorieux Père Jogues avaient attiré la rosée céleste de la grâce sur la petite Église des Hurons. Le R. P. Chaumonot, qui en était un des vaillants apôtres, écrivait à notre Mère de l'Incarnation au mois d'août 1644 :
« On a bâti de nouvelles chapelles dans cinq des principaux bourgs des Hurons, où nos Pères habitent toujours. Si, ces deux hivers prochains, les conversions continuent comme aux deux précédents, nous espérons que les chrétiens deviendront les plus forts, et qu'en peu de temps ils attireront à eux non seulement leurs concitoyens, mais encore le reste du pays et même toute la nation 1. »
Ces espérances ne devaient pas tarder à se réaliser. En moins de trois ans, toutes les peuplades huronnes, à peu d'exceptions près, avaient embrassé la foi de Jésus-Christ. Rien n'était plus consolant que la vue de tous ces fervents néophytes qui arrivaient tous les jours, par bandes nombreuses, à Québec et envahissaient tous les abords du couvent de nos Ursulines. La Mère Marie de Saint-Joseph, qui connaissait très bien leur langage, ne quittait pas un instant le parloir, où elle était entourée de tous ces nouveaux chrétiens avides de s'instruire et d'entendre parler de Dieu, de la prière, des récompenses du ciel. Que de traits admirables de leur piété naïve, de leur foi vive, de leur extrême délicatesse de conscience, racontés par notre vénérée Mère, nous voudrions pouvoir rapporter ici!
La jeune Église huronne sortait toute rayonnante de vertus et d'espérances des eaux du baptême. Ses glorieux Pères dans la foi avaient le droit d'être fiers de cette nouvelle épouse, qu'ils avaient acquise à Jésus-Christ au prix de tant de labeurs et de souffrances. Les chapelles s'y multipliaient ; les nouveaux fidèles accouraient en foule aux pieds de leurs missionnaires, qu'ils considéraient comme leurs pères et leurs meilleurs amis.
Les peuplades sauvages qui habitaient au delà des Hurons, les Abnakivois, les Attikamek, les Montagnez et bien d'autres, commençaient elles-mêmes à recevoir les infatigables messagers de la bonne nouvelle. Un d'entre eux écrivait à notre vénérée Mère, des montagnes qui sont au nord de Tadoussac, où il prêchait l'Évangile :
« Je ne puis rien vous mander de meilleur de ces quartiers au sujet de l'amplification du royaume de Jésus-Christ. En un jour j'ai baptisé trente Betsamites et confessé soixante chrétiens. Je suis sur le point de faire six mariages en face de l'église; je pris avant-hier tous les diables des sorciers, leurs pierres, leurs tambours et semblables badineries, que j'ai fait bouillir pour leur faire voir combien c'est peu de chose, et afin que ce malin esprit ne paraisse plus dans le pays de ces pauvres gens. Remerciez le grand Maître de ce qu'il illumine toutes les nations du nord, car il y en a ici plus de dix sortes qui sont à douze journées de Tadoussac. Je ne sais si la fin du monde est proche, mais la foi s'étend beaucoup 1. »
Cependant tous ces admirables progrès de la religion…
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1 Lettres historiques. Lettre XXXI, p. 389.— 1 Id. , Lettre XXXIII. p. 406.
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Nouvelles irruptions des Iroquois dans le pays des Hurons.(suite)
Cependant tous ces admirables progrès de la religion parmi les sauvages n'avaient fait qu'exciter de plus en plus la fureur des Iroquois. Déjà, au printemps de l'année 1644, deux ans avant le meurtre du Père Jogues, ils s'étaient emparés du Père Brissani, de six Français et d'un certain nombre d'autres chrétiens hurons ou algonquins, sur lesquels ils avaient assouvi toute leur rage. Plusieurs avaient été brûlés à petit feu, d'autres hachés en morceaux. Et, non contents de manger leur chair à mesure qu'elle brûlait, ces féroces cannibales obligeaient leurs victimes à en manger aussi. Le Père Brissani était parvenu un jour cependant à s'échapper de leurs mains, mais ses membres étaient affreusement mutilés.
A la suite de plusieurs défaites qu'ils essuyèrent de la part des Français, ces barbares avaient été obligés, il est vrai, de consentir à cesser leurs incursions sur les terres des autres peuplades sauvages et dans les pays conquis par la France. Mais cet intervalle de paix n'avait duré que deux ans. La guerre venait de recommencer, plus furieuse et plus intense que jamais.
Le signal de cette recrudescence de fureur fut la mort du Père Jogues. Aussitôt après ce meurtre horrible, les Iroquois pillèrent plusieurs habitations occupées par des Français et se formèrent en deux bandes pour aller à la recherche de quelques tribus algonquines qui s'étaient divisées, elles aussi, en deux groupes pour aller faire leurs grandes chasses, l'une au nord et l'autre au midi. Ces bons Algonquins, qui se fiaient à la paix conclue avec leurs implacables ennemis, furent surpris isolément, et, après une inutile résistance, liés les uns aux autres, hommes, femmes et enfants, et emmenés en captivité dans les bourgs iroquois. Ils savaient d'avance quels tourments les y attendaient.
Après qu'on leur eut arraché les ongles, coupé les doigts et qu'on les eut roués d'horribles coups de bâton, les femmes furent mises en liberté; quant aux hommes, ils furent condamnés à périr par le feu.
Tels furent les hauts faits d'armes par lesquels ces farouches agresseurs signalèrent aux Français et aux sauvages la reprise des hostilités.
L'année suivante, ils éprouvèrent une défaite dans une rencontre avec deux cents Hurons, à la tête desquels se trouvait le Père Brissani, en amont du village des Trois-Rivières. Mais ils ne tardèrent pas à revenir en bien plus grand nombre.
Au mois de juillet 1648…
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Martyre du R. P. Daniel.
Au mois de juillet 1648, ils surprirent un bourg huron, au moment où le Père Ant. Daniel, qui s'y trouvait en mission, célébrait le saint sacrifice de la messe.
« Il était encore revêtu des ornements sacerdotaux, raconte notre vénérée Mère, lorsqu'il entendit le tumulte des ennemis, et, sans se donner le loisir de quitter son aube, il court de cabane en cabane et cherche les malades, les vieillards, les enfants et ceux qui n'avaient pas encore reçu le baptême. Il les dispose à ce sacrement avec un zèle apostolique, et, les ayant tous assemblés dans l'église, il les baptise par aspersion. A la vue des ennemis, il dit à son troupeau: « Sauvez-vous, mes frères, et laissez-moi seul dans la mêlée. » Alors ce saint homme se présente aux Iroquois, qui furent d'abord saisis d'une certaine frayeur à son aspect plein de majesté. Mais bientôt ils le couvrirent de flèches, et, voyant qu'il ne tombait pas, ils lui tirèrent à bout portant des coups d'arquebuse qui achevèrent de le tuer. Ils portèrent alors son corps dans son église, à laquelle ils mirent le feu, de sorte que les restes précieux de ce nouveau martyr furent consumés au pied de l'autel et avec l'autel lui-même.
« Le village fut mis à feu et à sang, et ni femmes ni enfants, personne ne fut épargné, sauf ceux qui purent s'échapper et se réfugier chez les peuplades sauvages voisines. Ce saint martyr, ajoute la Mère de l'Incarnation, apparut peu de temps après sa mort à un Père de la même mission.
« Ah! mon cher Père, lui dit celui-ci, comment Dieu a-t-il permis que votre corps ait été si indignement traité après votre mort, que nous n'ayons pu recueillir vos cendres ? »
Le saint martyr lui répondit : « Mon très cher Père, Dieu est grand et admirable ; il a regardé mon opprobre et a récompensé les travaux de son serviteur. Il m'a donné après ma mort un grand nombre d'âmes du purgatoire pour les emmener avec moi et accompagner mon triomphe dans le ciel 1 . »
Une année s'était à peine écoulée…
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1 Lettres historiques. Lettre XXXVIII, 440, 441.
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Martyre des RR. PP. de Brébeuf et Gabriel Lallemand.
Une année s'était à peine écoulée depuis cet événement à la fois si douloureux et si consolant, lorsque, pendant l'hiver de 1649, une nouvelle et nombreuse armée d'Iroquois se présenta aux portes du village Saint-Ignace. Laissons ici la parole à notre historien canadien.
« Le fort, attaqué à l'aube du jour avec une hardiesse et une habileté incroyables, fut emporté presque sans aucune résistance. Les Hurons ne soupçonnaient pas même la présence de l'ennemi et étaient plongés dans un profond sommeil. Le village fut livré aux flammes, et tous les habitants, hommes, femmes, enfants, furent passés par le fer et le feu. Trois Hurons seulement parvinrent à s'échapper demi-nus, et coururent à une lieue sur la neige et la glace donner l'alarme au village Saint-Louis.
« Au milieu de la consternation générale, le cri de guerre des Iroquois retentit dans la forêt et glaça toutes les âmes d'épouvante. Les ennemis ne voulaient pas donner à leurs victimes le temps de se reconnaître. Ils cernèrent la place de tous les côtés et montèrent à l'assaut. Deux fois les guerriers hurons, qui se défendaient en héros, les repoussèrent avec pertes ; mais enfin, écrasés par le nombre, ils tombèrent sous les débris des palissades. Les féroces vainqueurs pénétrèrent alors par toutes les brèches et firent un horrible carnage. Bientôt une colonne de fumée qui s'éleva des cabanes en flamme annonça la fatale nouvelle aux bourgades voisines.
« Les Pères de Brébeuf et Lallemand se trouvaient alors au village Saint-Louis. Malgré les pressantes sollicitations des Hurons, qui les suppliaient de prendre la fuite, ils aimèrent mieux se vouer à une mort certaine, plutôt que d'abandonner leur troupeau à l'heure du danger. Dans l'horreur de la mêlée, parmi les flèches et les balles, les couteaux et les tomahawks qui tournaient sur leurs têtes, les hurlements des vainqueurs et les lamentations des mourants, ils baptisent les catéchumènes et donnent l'absolution aux néophytes, les confirmant tous dans la foi. Chargés de liens avec les autres prisonniers, ils sont conduits sur les ruines fumantes du village Saint-Ignace pour y être torturés. On les accueille à leur arrivée par une grêle de coups de bâtons. Le Père de Brébeuf se jette à genoux au pied du poteau où il va être attaché, et comme autrefois l'apôtre saint André à la vue de la croix après laquelle il soupirait depuis si longtemps, il l'embrasse avec amour et respect.
« Puis, apercevant autour de lui une foule de chrétiens condamnés comme lui au supplice , il lève les yeux au ciel, et dans une fervente prière adressée à Dieu, il les exhorte à souffrir courageusement, en leur montrant les palmes qui les attendent là-haut.
« Echon 1, lui répondent les bons sauvages, notre esprit sera dans le ciel lorsque nos corps souffriront sur la terre. Prie Dieu pour nous, qu'il nous fasse miséricorde; nous l'invoquerons jusqu'à la mort. »
« Le caractère du Père de Brébeuf est…
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1 Nom que les sauvages donnaient au Père de Brébeuf.
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Martyre des RR. PP. de Brébeuf et Gabriel Lallemand.(suite)
« Le caractère du Père de Brébeuf est unique par sa grandeur dans l'histoire de l'héroïsme en Canada.
Nous avons assisté avec un frémissement mêlé d'horreur et d'inexprimable pitié au martyre du Père Jogues. Sa constance admirable dans les tourments, son héroïsme uni à une candeur et à une simplicité angéliques, nous arrachent des larmes. Parfois cependant un soupir, un gémissement, trahissent en lui les défaillances de la nature; c'est l'agneau résigné, mais suppliant, sous la griffe du tigre.
Le Père de Brébeuf, au contraire, c'est le lion dans toute sa force et sa majesté. Chez lui, l'âme est tout entière souveraine et maîtresse de son enveloppe mortelle ; l'humanité semble avoir perdu tous ses droits.
Tandis qu'on suspend à son cou un collier de haches rougies,
— qu'on l'enveloppe d'une ceinture d'écorce enduite de gomme et de résine enflammées,
— qu'en dérision du baptême on lui verse de l'eau bouillante sur la tête,
— qu'on taille sur ses membres des lambeaux de chair qui sont grillés et dévorés devant lui,
— qu'on lui perce les mains avec des fers rouges,
— qu'après lui avoir arraché la peau de la tête, on jette sur son crâne de la cendre chaude et des charbons embrasés,
— que sa peau rôtie se fend en larges blessures rouges et sanglantes,
— que le fer en feu siffle sur ses muscles agités de spasmes convulsifs et s'enfonce jusqu'aux os,
— que de tout son corps carbonisé s'échappe une vapeur comme d'une chaudière en ébullition,
— pas un cri, pas un soupir ne s'exhale de sa poitrine.
Sa figure illuminée conserve l'expression d'une sérénité parfaite ; et les jets de flamme qui voltigent autour de sa tète semblent déjà le couronner du nimbe mystique des bienheureux. Son regard, attaché au ciel, plonge au delà des sphères visibles et paraît absorbé dans la contemplation d'une vision céleste ; il l'abaisse de temps en temps sur ses bourreaux avec tant de calme et de fermeté, qu'ils reculent d'effroi, comme devant un être surnaturel. D'une voix forte et assurée il leur annonce la vérité, et encourage les infortunés captifs qui partagent son supplice. Les Iroquois redoublent de fureur et de cruauté, afin de le faire taire. Quelques Hurons apostats joignent l'insulte à la férocité.
« Tu nous as dit, Echon, s'écrient-ils, que plus on souffrait dans cette vie, plus la récompense serait grande dans l'autre. Remercie-nous donc, puisque nous embellissons ta couronne. »
« Exaspérés de ne pouvoir lui arracher le moindre signe de faiblesse…
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
Martyre des RR. PP. de Brébeuf et Gabriel Lallemand.(suite)
« Exaspérés de ne pouvoir lui arracher le moindre signe de faiblesse, ni l'empêcher de parler, ils lui fendent la mâchoire en deux d'un coup de hache, lui coupent les lèvres, le nez, une partie de la langue, et lui enfoncent un fer rouge dans la bouche. Dans cet affreux état, il parlait encore par signes pour consoler et fortifier les autres captifs et surtout le Père Lallemand, dont les soupirs lamentables, les plaintes déchirantes lui fendaient l'âme. Nature frêle et délicate, le Père Lallemand n'était qu'un faible enfant auprès du Père de Brébeuf, colosse doué d'une organisation physique exceptionnelle.
C'était un spectacle navrant pour le vieux missionnaire de voir son jeune compagnon, qu'il aimait comme son enfant, se tordre dans d'intolérables douleurs. Au plus fort de ses tourments, il joignait les mains, levait les yeux au ciel et poussait de profonds soupirs vers Dieu, en invoquant son secours. Ses bourreaux le couvrirent d'écorces de sapin, et avant d'y mettre le feu le traînèrent devant le Père de Brébeuf; le jeune martyr se jeta à ses pieds, et se recommanda à ses prières en répétant les paroles de l'apôtre saint Paul : Nous avons été donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes.
« Ivres de carnage et de sang, les Iroquois inventèrent contre lui des raffinements de cruauté dignes de l'enfer. Ils lui arrachèrent les yeux et mirent à la place des charbons ardents. Son supplice fut prolongé pendant un jour et une nuit entière ; et ce ne fut que le lendemain de sa captivité, vers neuf heures du matin, que l'un d'eux, fatigué de le voir languir si longtemps, mit un terme à ses maux en lui fendant la tête d'un coup de hache. Le Père de Brébeuf avait cueilli sa couronne avant lui. Il rendit le dernier soupir après trois heures de tortures. Les barbares lui arrachèrent le cœur et le dévorèrent entre eux, croyant ainsi s'incorporer une partie de son courage 1.
« Nous ne craignons pas qu'on nous reproche…
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1 On conserve encore, chez les dames Hospitalières de Québec, le crâne du Père de Brébeuf, enchâssé dans le socle d'un buste d'argent, qui fut envoyé au Canada par la famille de l'illustre martyr, dans le but d'y renfermer cette précieuse relique.
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
Dispersion de la nation huronne.
« Nous ne craignons pas qu'on nous reproche de nous être arrêté trop longtemps devant cette douloureuse peinture. Le regard de l'historien ne se détache qu'à regret de ces scènes à la fois déchirantes et radieuses, surtout de cette majestueuse figure du Père de Brébeuf, qui rayonne d'une grandeur sans rivale, debout sur les cendres fumantes de la nation huronne. Il avait été le fondateur de cette petite Eglise, et il en fut le dernier apôtre ; après l'avoir tenue dans ses bras à son berceau, il l'ensevelit avec lui dans sa tombe. La mort du Père de Brébeuf, en effet, sembla creuser un abîme sous ses pas. Le vertige s'empara de la nation entière, saisie d'épouvante à la vue des cruautés inouïes des Iroquois. Elle se crut perdue. S'imaginant toujours voir derrière elle le fantôme implacable de son ennemi, elle se dispersa dans les bois, où la famine, la guerre, l'épidémie, s'acharnèrent à ses pas et décimèrent ses tristes débris.
« Ainsi fut anéantie cette petite chrétienté, enfantée avec tant de douleurs et de larmes, au moment même où elle croissait en grâce et donnait les plus belles espérances. Le Sauveur, au jour de sa visite, n'avait eu qu'une couronne d'épines à poser sur le front de sa nouvelle épouse. Mais la jeune néophyte s'était montrée digne de son bien-aimé ; agenouillée et soumise, elle l'avait reçue de ses mains en la baisant avec amour. Elle gravit courageusement tous les degrés de la souffrance, cette autre échelle de Jacob qu'avaient montée, les premiers, ses glorieux missionnaires.
« Aussi, lorsqu'ils la déposèrent, toute meurtrie et sanglante, au pied du trône de Dieu, sa couronne d'épines avait fleuri sur son front et était devenue la couronne de roses des martyrs1. »
De telles pages sont trop glorieuses pour l'Église et trop édifiantes pour être passées sous silence. Puissent-elles contribuer à hâter le jour où l'Église reconnaissante fera briller l'auréole des saints sur le front des apôtres qui ont versé leur sang pour Jésus-Christ sur la terre du Canada !
Dans l'automne de cette même année 1649, le R. P. Garnier fut percé de balles et assommé par les Iroquois. Le lendemain de sa mort, le R. P. Chabanel tomba, lui aussi, sous les coups d'un Huron apostat.
Déjà, plusieurs années auparavant, les Pères jésuites avaient perdu, dans les rudes labeurs de leur apostolat, les RR. PP. de Nouë et Ménard. Le premier était mort de froid en 1645, en allant des Trois-Rivières au fort Richelieu ; le second s'était égaré, ayant quitté l'Outaouais pour rejoindre une colonie de Hurons qui avaient fui jusqu'au Mississipi.
La vénérable Mère de l'Incarnation ressentait plus que tout autre le contre-coup de toutes ces épreuves…
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1 L'abbé Casgrain, Histoire de la Mère de l'Incarnation. Introduction.
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
Dispersion de la nation huronne.(suite)
La vénérable Mère de l'Incarnation ressentait plus que tout autre le contre-coup de toutes ces épreuves, à cause des liens de reconnaissance qui l'unissaient aux révérends Pères jésuites. Mais quels n'étaient point aussi ses élans d'enthousiasme et d'admiration en présence de tant d'héroïsme et de sainteté!
« Je ne crois pas, écrivait-elle, que la terre porte des hommes plus dégagés de la créature que les Pères de cette mission. On n'y remarque aucun sentiment de la nature ; ils ne cherchent qu'à souffrir pour Jésus-Christ et à lui gagner des âmes. »
Voici particulièrement sur les RR. PP. de Brébeuf et Gabriel Lallemand, dont on se partageait pieusement et en secret les précieuses reliques, quelques détails que l'histoire est heureuse de recueillir :
« Le R. P. de Brébeuf, premier apôtre des Hurons, avait eu plusieurs visions touchant ce qui lui est arrivé à sa mort et à celle de ses compagnons, et de ce qui devait arriver à l'Église. On a trouvé tout cela dans ses écrits. Notre-Seigneur lui avait fait voir sa face toute défigurée, comme elle l'a été depuis au rapport de plus de cent témoins. Il avait encore vu ses mains impassibles dans la même vision ; et il est arrivé que son corps ayant été mutilé de toutes parts, ses os décharnés, sa chair mangée, lui encore vivant , il ne s'est pas trouvé la moindre fracture à ses mains, contre l'ordinaire de ces barbares, qui, voulant tourmenter un homme, commencent à couper les doigts et arracher les ongles, ce qu'ils font, disent-ils, pour caresser les patients; en sorte qu'on ne put le reconnaître qu'à ses précieuses mains. Notre-Seigneur lui ayant révélé son martyre trois jours avant qu'il arrivât, il alla tout joyeux trouver les autres Pères, qui, le voyant dans une gaieté extraordinaire, le firent saigner par un mouvement de Dieu; ensuite de quoi, le chirurgien fit sécher son sang par un pressentiment de ce qui devait arriver, et de crainte qu'on ne lui fit comme au R. P. Daniel, qui, huit mois auparavant, avait été tellement réduit en cendres, qu'on n'avait pu retrouver aucuns restes de son corps.
« Il y a bien d'autres merveilles que nous avons apprises de ceux qui en ont été les témoins occulaires. Depuis deux jours, quelques captifs, qui se sont sauvés des mains de l'ennemi, nous ont rapporté que ces barbares coupèrent de rage la bouche du R. P. de Brébeuf, parce qu'il ne cessait de prêcher et de prier Dieu, encore qu'ils l'eussent tout décharné et mangé ; et comme ils sont adroits à écorcher les hommes aussi bien que les bêtes, ils lui avaient laissé les veines et les artères entières sur les os, afin d'allonger ses tourments et qu'il ne mourût pas sitôt. C'est vraiment pour Dieu et en haine de la foi que ces hommes apostoliques ont souffert de si horribles tourments. Ce sont les effets du présent de l'esprit de Jésus-Christ. La relation vous les fera voir comme des miracles de patience. Pour moi, je ne suis qu'une poussière indigne d'une si sainte mort ; priez Dieu qu'il me fasse miséricorde 1. »
L'admiration et le dévouement de la vénérable Mère Marie de l'Incarnation…
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1 Lettres historiques. Lettre XXXIX, 444, 445.
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
Les Hurons arrivent à Québec.
L'admiration et le dévouement de la vénérable Mère Marie de l'Incarnation pour la glorieuse Église des Hurons, si cruellement persécutée, trouva bientôt une occasion de se manifester d'une manière plus éclatante encore. Le 28 juillet 1650, on vit arriver à Québec, sous la conduite du Père Ragueneau, les quatre ou cinq cents Hurons, derniers restes de cette nation sauvage, qui avaient échappé au désastre de leurs tribus et de leurs familles. Nos vaillantes Ursulines ne furent point les dernières à les secourir. Elles voulurent, malgré leur dénuement presque complet, leur offrir une terre qu'elles possédaient dans l'île d'Orléans, sur le fleuve du Saint-Laurent, en aval de la ville, où ils se trouvèrent un peu plus à l'abri des incursions de leurs effroyables ennemis les Iroquois, qui venaient les pourchasser encore jusqu'aux environs de Québec.
Mais ce témoignage ne suffisait pas encore au cœur de notre Mère vénérée. Elle voulut étudier leur langue, afin de pouvoir se dévouer à leur service et à leur instruction.
« Que ce coup me fut terrible ! dit-elle dans une de ses lettres, en parlant de l'effroyable détresse où la persécution avait plongé cette chère Église des Hurons. C'était la chose la plus pitoyable qui fût encore arrivée dans cette nouvelle Église. Les révérends Pères qui étaient demeurés vifs avaient plus souffert que ceux qui étaient morts. A la vue de ces âmes consommées en vertu, dans lesquelles Jésus-Christ vivait plus qu'elles ne vivaient elles-mêmes, et dont la sainteté était si visible à tout le monde, chacun était ravi. Ils nous amenaient les faibles restes de leur troupeau, environ quatre ou cinq cents chrétiens, échappés à la fureur de leurs ennemis. Dans l'affliction que je ressentais en mon âme, la seule consolation qui me restait en voyant ces pauvres fugitifs était de me voir proche d'eux et de pouvoir instruire leurs enfants. Dans ce but Notre-Seigneur m'inspira d'étudier leur langue, que je n'avais pas encore apprise; car, à notre arrivée dans ce pays, je laissai ce soin à la Mère de Saint-Joseph pour m'appliquer à l'étude de l'algonquin et du montagnais, dont nous avions plus besoin alors. Les citoyens firent leur possible pour assister ces malheureux exilés; mais les maisons religieuses, Mme de la Peltrie et surtout les Pères jésuites y contribuèrent pour la plus grande partie. Comme j'étais dépositaire, c'était moi qui distribuais la nourriture et les vêtements à ceux dont nous étions chargés, ce qui était pour moi un sujet d'intarissables consolations 1. »
« La Mère de l'Incarnation se mit à l'étude de la langue huronne avec toute l'ardeur de la jeunesse. « Vous rirez peut-être, écrivait-elle à son fils, de ce qu'à l'âge de cinquante ans je commence à étudier une nouvelle langue ; mais il faut tout entreprendre pour le service de Dieu et le salut du prochain. »
Elle eut pour premier précepteur le Père Bressani, naguère captif chez les Iroquois et délivré miraculeusement après avoir été torturé par le fer et le feu. Le saint martyr venait chaque jour s'asseoir près de la grille du monastère, et lui enseignait, avec une patience admirable, les rudiments de l'idiome barbare, lui en traçant les règles de ses doigts mutilés et encore sanglants. Quel spectacle: d'un côté, un martyr ; de l'autre un archange ! Étonnante sublimité de notre histoire ! à chaque page, on rencontre un miracle d'héroïsme ou de sainteté 1.
« Cependant la douloureuse sympathie…
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1 L'abbé Casgrain, Histoire de la Mère de l'Incarnation. p. 367 et suiv. — 1 Id. Ibid., p. 367, 368.
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
Dangers incessants de la colonie française.
« Cependant la douloureuse sympathie qu'avaient réveillée la destruction de la nation huronne et la vue de sa sanglante épave était mêlée d'un profond sentiment d'inquiétude. Jamais l'avenir de la colonie n'avait paru enveloppé de nuages si sombres. La population européenne, à la veille d'être assaillie de tous côtés, ne dépassait guère mille âmes. Québec, fondé depuis quarante-deux ans, renfermait tout au plus une trentaine de maisons, dispersées sur le sommet et autour du promontoire que protégeaient les canons du fort Saint-Louis. La résidence du gouverneur 2, l'église paroissiale, la demeure des Jésuites, le monastère des Ursulines, celui des Hospitalières, dans la haute ville ; le magasin de la compagnie des Cent-Associés, dans la basse ville, tels étaient les seuls édifices d'importance à Québec.
Quelques groupes de maisons s'élevaient ça et là dans le voisinage, le long de la côte de Beaupré, à l'île d'Orléans, à Sillery. Autour des forts de Montréal et de Trois-Rivières, on commençait de rares défrichements. Le reste du pays n'était qu'une immense forêt hantée par les farouches Iroquois.
« Depuis qu'ils avaient jeté aux quatre vents les membres de la nation huronne, l'audace de ces barbares n'avait plus connu de bornes. Alléchés par l'odeur du sang, ils avaient suivi leur proie, espérant envelopper dans la même extermination toute la race européenne. Ils apparaissaient partout à la fois, à Montréal, aux Trois-Rivières, à Québec, à l'île d'Orléans, à Tadoussac, rôdant par petites bandes, interceptant les convois de marchandises et de fourrures sur les rivières, brûlant, massacrant tout sur leur passage 1.
Favorisés par la nature du sol, dont les forêts leur offraient un asile inattaquable, ils se glissaient sans être vus, aux approches des habitations ; là, tapis derrière un arbre, dans un pli du terrain ou parmi les joncs du rivage, ils épiaient tout le jour, avec cette patience caractéristique du sauvage, le passage de quelque blanc. La nuit venue, ils rampaient comme des serpents autour des maisons, cherchant à surprendre quelque famille éparse et sans défense. Malheur au colon attardé le soir sur la lisière du bois, ou courbé sans défiance sur son champ, ou bien côtoyant de trop près dans son canot le rivage du grand fleuve ! une balle inconnue l'atteignait tout à coup, et avant que le malheureux blessé eût eu le temps de se reconnaître, le féroce Iroquois, poussant son terrible cri de guerre, s'élançait sur lui et lui enlevait la chevelure.
« Afin de se défendre contre ces nuées d'ennemis, le nouveau gouverneur…
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2 C'était alors M. d'Ailleboust. — 1 M. l'abbé Ferland, Notes sur les registres de Québec.
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Dangers incessants de la colonie française.(suite)
« Afin de se défendre contre ces nuées d'ennemis, le nouveau gouverneur, M. D'Ailleboust 1 , avait fait ériger dans les principaux centres d'habitations des forts environnés d'une enceinte de palissades et armés de quelques pièces de canons. Au premier signal d'alarme, les colons se réfugiaient dans ces forts et se mettaient en état de défense. En outre chaque habitant faisait de sa maison une petite forteresse, où il pouvait tenir tête à un bon nombre d'assaillants. Durant le jour, partout où il allait, au champ, au bois, à la pêche, son fusil ne le quittait jamais; et à la première alerte, la hache ou le boyau lui tombait des mains, et il couchait en joue son ennemi, avec une dextérité admirable.
« Mais, malgré toute cette vigilance et cette bravoure, chaque semaine était témoin de lamentables accidents. On entendait sans cesse parler de prisonniers attachés au poteau, de têtes scalpées, de membres mutilés, de femmes, d'enfants torturés, écorchés, brûlés vifs. Le récit de ces malheurs, mêlés à ces horribles raffinements de cruautés, semait l'épouvante parmi la population en deuil.
« Incapable d'atteindre dans sa retraite impénétrable un ennemi invisible, qui frappait dans l'ombre et s'évanouissait sans laisser aucune trace, on se demandait avec désespoir si la colonie, ainsi harcelée de tous côtés, ne serait pas bientôt décimée et submergée dans son sang. On attendait avec impatience des secours de France qui n'arrivaient point. La situation paraissait si critique, qu'on députa en Europe le Père Jérôme Lallemand, supérieur des missions, accompagné de quelques-uns des principaux habitants du pays, pour aller exposer l'état désespéré des affaires et implorer de prompts secours.
« Cependant, au milieu du deuil et de la consternation générale, la Mère de l'Incarnation et quelques autres âmes fortes et magnanimes restaient fermes dans leur confiance en Dieu et relevaient les esprits abattus. Dans une lettre adressée à son fils, le 17 septembre 1650…
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1 II avait succédé, en 1648, à M. de Montmagny, et semblait avoir hérité de toutes ses précieuses qualités.
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Dangers incessants de la colonie française.(suite)
Dans une lettre adressée à son fils, le 17 septembre 1650, elle trace une peinture fidèle du calme parfait dont elle jouissait.
« Quelque délabrées que soient les affaires, n'ayez point d'inquiétude à mon égard, je ne dis pas pour le martyre, car votre affection pour moi vous porte à me le désirer; mais j'entends des autres outrages qu'on pourrait appréhender de la part des Iroquois. Je ne vois aucun sujet de craindre, et, si je ne suis bien trompée, j'espère que les croix que l'Église souffre maintenant seront son exaltation. Tout ce que j'entends dire ne m'abat point le cœur ; et pour vous en donner une preuve, c'est qu'à l'âge que j'ai, j'étudie la langue huronne ; et en toutes sortes d'affaires nous agissons comme si rien ne devait arriver. »
« Le Père Lallemand avait été tellement frappé, avant son départ, de cette magnanimité, qu'il y trouvait un nouveau gage d'une protection spéciale de la Providence.
« Le quatrième sujet de consolation que je voyais dans ce pauvre pays désolé est le courage et la générosité de nos religieuses, tant Hospitalières qu'Ursulines ; c'est une des espérances que j'ai de la conservation du pays, ne pouvant penser que Dieu abandonne des âmes de cette nature, si saintes et si charitables. Il me semble que tous les anges du paradis viendraient plutôt à leur secours, si tant est que les hommes de la terre manquassent de procurer leur conservation en ce nouveau monde 1. »
« La main qui conduisait les événements, et couvrait de son égide l'Église du Canada, était d'ailleurs trop visible pour n'être pas entrevue par les moins clairvoyants. Chaque jour, elle se manifestait par des merveilles, dont le mystère même révélait son action. Trompant toutes les prévisions humaines, elle mettait à néant toutes les ressources, et, lorsque tout paraissait désespéré, elle faisait mouvoir de secrets ressorts qui opéraient tout à coup la délivrance.
« Dans ce pays, dit encore la Mère de l'Incarnation, et dans l'air de cette nouvelle Eglise, on voit régner un esprit qui ne dit rien qu'obscurité. Tous les événements qui nous arrivent sont des secrets cachés dans la divine Providence, laquelle se plaît d'y aveugler tout le monde, de quelque condition et qualité qu'il soit. J'ai vu et consulté là-dessus plusieurs personnes, qui toutes m'ont dit: Je ne vois goutte en toutes mes affaires, et néanmoins, nonobstant mon aveuglement, elles se font sans que je puisse dire comment. Cela s'entend du pays en général et de l'état des familles en particulier. »
« Revenant plus tard sur le même sujet, elle ajoute :
« Mais la façon avec laquelle Dieu gouverne ce pays est toute contraire. On ne voit goutte, on marche à tâtons ; et quoiqu'on consulte des personnes très éclairées et d'un très bon conseil, pour l'ordinaire les choses n'arrivent point comme on les avait prévues et consultées. Cependant on roule, et lorsqu'on pense être au fond du précipice, on se trouve debout. Lorsqu'on entend dire que quelque malheur est arrivé de la part des Iroquois, chacun s'en veut aller en France ; et au même temps on se marie, on bâtit, le pays se multiplie, les terres se défrichent, et tout le monde pense à s'établir 1. »
« Et comment en effet Dieu aurait-il pu délaisser…
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1 Lettre adressée du Havre-de-Grâce au Père provincial de France. — 1 Lettres historiques. p. 460.
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Mœurs et habitudes à cette époque.
« Et comment en effet Dieu aurait-il pu délaisser cette chère petite église du Canada, dont les mains pures et suppliantes étaient toujours tendues vers lui? La ferveur de ses enfants, déjà si admirable, s'était encore accrue par l'imminence du danger ; la colonie comptait autant de saints que d'habitants. Exposés chaque jour à tomber sous les balles des Iroquois, ils se tenaient sans cesse prêts à mourir en héros chrétiens ; ils s'étaient même engagés publiquement par un vœu à se confesser et à communier au moins une fois le mois. Aussi, pendant que la guerre sévissait au dehors. au dedans fleurissait une paix inaltérable. L'union, la concorde, cimentées par la piété, liaient tous les citoyens. Chaque habitation avait été placée sous la protection d'un saint, et tous les jours, matin et soir, le chef de la famille, entouré de sa femme, de ses enfants et de ses serviteurs agenouillés au pied de l'image du saint patron, récitait à haute voix la prière, suivie de l'examen de conscience et des litanies de la sainte Vierge 1.
« Si la vie était si pure aux derniers échelons de la société canadienne, on peut juger de sa perfection parmi les chefs qui en étaient les guides et l'exemple. Pendant que le nouveau gouverneur, M. d'Ailleboust, continuait les précieuses traditions léguées par son prédécesseur, que les missionnaires jésuites donnaient leur septième martyr à l'Eglise, que M. de Maisonneuve, avec une poignée de braves, faisait de son corps un rempart à la colonie, que les Hospitalières se consumaient auprès du lit des malades, les Ursulines recueillaient les débris encore tout tremblants de cette jeune génération indienne échappés au massacre des Iroquois, et leur apprenaient à tourner leurs cœurs vers Celui qui essuie toutes larmes et guérit toutes blessures.
« C'est à cette époque que remonte la touchante tradition qui représente la Mère de l'Incarnation assise au pied d'un vieux frêne, dont les antiques rameaux ombragent encore aujourd'hui le cloître des Ursulines, et entourée de petites sauvagesses qu'elle catéchise et console. Quelles pures et intimes jouissances devaient enivrer son âme, quelles actions de grâces devaient monter de son cœur vers Dieu, lorsque, promenant son regard sur tout ce qui l'entourait, elle voyait enfin l'entier accomplissement de tous ses vœux : ce pays sauvage ouvert à son apostolat, ces chères néophytes, et surtout ce vaste et beau monastère qui surgissait du sein de la forêt!
« Mais, hélas ! un affreux malheur va dans un moment anéantir cette suave réalité : un incendie terrible, dans une nuit fatale, va réduire en cendres ce précieux asile élevé au prix de tant de sueurs 1. »
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1 Relation des Jésuites, Lettre du Père Ragueneau, 1651, page 2. — 1 L'abbé Casgrain, Histoire de la Mère Marie de l'Incarnation, IIIe partie, ch. VII.
A suivre : Chapitre VIII. INCENDIE DU MONASTÈRE
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CHAPITRE VIIIINCENDIE DU MONASTÈRE
Probatio vestræ fidei multo pretiosior auro quod per ignem probatur.
L'épreuve à laquelle votre foi a été soumise est beaucoup
plus précieuse que celle de l'or que l'on fait passer par le feu.
(Ire Ép. de S. Pierre, ch. I, 7.)
Commencements de l'incendie.
L'épreuve est le partage de tous les chrétiens en ce monde, mais surtout de ceux qui sont favorisés des grâces particulières de Dieu. Elle est surtout la compagne inséparable des âmes apostoliques. Il semble, à certains moments, que le ciel et la terre soient ligués contre elles. Mais c'est précisément à l'heure où tout leur paraît perdu qu'elles triomphent, et que Dieu se plaît à manifester ses miséricordes et ses bontés à leur égard.
« Dans la soirée du 29 décembre 1650, raconte encore M. l'abbé Casgrain, une sœur converse, chargée de la boulangerie, ayant fait du levain pour le lendemain, eut l'imprudence d'enfermer des charbons incandescents dans le pétrin, pour le préserver de la gelée. Son intention était de les enlever après la veillée ; mais, comme c'était pour la première fois qu'elle employait ce moyen, elle n'y songea plus au moment de se mettre au lit.
« Vers huit heures du soir, la sœur chargée de la visite de nuit avait fait à l'ordinaire le tour de l'appartement ; mais elle n'avait remarqué aucune trace de feu, car le pétrin fermait hermétiquement. Peu à peu le rayonnement des charbons en avait séché les parois formées de bois résineux. Il finit par s'enflammer et embrasa tout l'appartement, ainsi que la cave où étaient entassées toutes les provisions de l'année. Vers minuit, la Mère des Séraphins, qui couchait avec les enfants à l'étage supérieur, se réveilla en sursaut au pétillement des flammes et aux craquements du plancher, qui commençait déjà à s'effondrer. « Au feu ! au feu ! Sauvez-vous, mes enfants, sauvez-vous! » s'écria-t-elle tout effrayée en se jetant hors de son lit et suffoquée par la fumée.
Les flammes avaient déjà…
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L'alarme est donnée.
Les flammes avaient déjà percé le plancher et s'engouffraient par l'escalier, projetant une vive clarté dans toute la chambre. Elle monte aussitôt au dortoir de la communauté pour donner l'alarme. En un instant toutes les religieuses sont sur pied, et courent les unes à la cloche pour appeler du secours, les autres au foyer de l'incendie pour essayer de le dominer.
Au premier coup d'œil…
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Notre Mère de l'Incarnation en ce moment terrible.
Au premier coup d'œil, la Mère de l'Incarnation reconnut qu'il était trop tard, et que tous les efforts étaient inutiles. « Sortez promptement, dit-elle à ses compagnes, car vous allez périr. »
« Pour elle, sans perdre un instant son sang-froid, elle monta vers l'appartement où se trouvaient les vêtements des religieuses, afin d'en sauver une partie, car les sœurs s'étaient échappées nu-pieds et à demi vêtues. Mais, songeant tout à coup aux papiers de la communauté, elle retourna vers sa chambre.
« Dans toutes les courses que je fis parmi les flammes, dit-elle, j'avais une aussi grande liberté d'esprit et une vue aussi tranquille à tout ce que je faisais, que si rien ne nous fut arrivé. Je ne ressentais pas un mouvement de peine ni d'inquiétude ; mais je baisais en silence et avec amour la main qui nous frappait. Il me semblait que j'avais dans moi-même une voix intérieure qui me disait ce que je devais faire, où je devais aller, ce que je devais jeter par la fenêtre, et ce que je devais laisser périr par le feu. Je vis en un moment le néant de toutes les choses de la terre, et il me fut donné une grâce de dénuement si grande, que je ne puis exprimer son effet ni par paroles ni par écrit. Les bénédictions que mon âme donnait à Dieu au milieu de ce désastre étaient aussi fréquentes que mes respirs, et je ne pouvais me détacher de cette union à la volonté divine. »
« Ayant aperçu son crucifix sur sa table, elle le saisit pour le jeter par la fenêtre; mais, arrêtée par un sentiment de respect, elle le remit à sa place. Ce fut alors qu'en sauvant les papiers, elle mit par hasard la main sur les cahiers contenant la relation de sa vie, qu'elle avait écrite par l'ordre de son directeur. Un premier mouvement d'obéissance lui dicta de les soustraire aux flammes avec le reste ; mais, reconnaissant ensuite la volonté de Dieu dans l'occasion providentielle qui lui était donnée de les anéantir au moment où ils étaient exposés à tomber en des mains inconnues, elle les rejeta sur la table. Tout cela se passa « en moins d'un miserere », car déjà le feu pénétrait dans le dortoir, interceptant l'entrée de la chambre où elle avait d'abord voulu aller, et où elle aurait infailliblement péri. L'étage inférieur était tout embrasé, tandis que la flamme, activée par les substances résineuses renfermées dans le bois dont le monastère était construit, courait avec une rapidité effrayante tout le long du toit. Ainsi placée entre deux feux, et poursuivie par un troisième qui envahissait tout comme un torrent, elle se fraya un chemin à travers les cloisons enflammées et les poutres croulantes. Ne trouvant point d'autre issue, elle descendit en passant sous le clocher que des tourbillons de flammes léchaient de tous côtés, et dont la cloche, détachée de ses appuis, faillit l'ensevelir sous les décombres.
« Dans l'intervalle, la Mère de Saint-Joseph…
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Courage de plusieurs sœurs et notamment de sœur Saint-Ignace.
« Dans l'intervalle, la Mère de Saint-Joseph et la sœur Saint-Laurent avaient rompu la grille, qui n'était que de bois, afin de se sauver avec une partie des enfants qui s'étaient réfugiées toutes tremblantes dans le dortoir. Cependant les plus jeunes étaient encore au milieu du danger; alors la Mère de Saint-Ignace se dévoua pour les arracher aux flammes. Elle revint sur ses pas à travers les cloisons en feu, et les ramena saines et sauves, au moment où les planchers craquaient de toutes parts, prêts à crouler.
« Ce fut à cet instant que la Mère de l'Incarnation déboucha dans le dortoir, et se trouva seule dans le monastère devenu un immense brasier. Promenant alors ses regards autour d'elle, avec son calme ordinaire, et voyant qu'elle n'avait plus rien à sauver et qu'elle allait périr, elle fît une inclination profonde à son crucifix en acquiescement aux ordres de la Providence, et s'échappa, presque étouffée dans la fumée, par le parloir qui s'ouvrait à l'extrémité du dortoir.
« Le supérieur des Jésuites, accouru en toute hâte avec les autres Pères, avait sauvé à grand'peine le saint Sacrement et les ornements de la sacristie. L'un des Pères, ayant voulu enlever quelques autres objets, faillit y périr. Une femme huronne, fervente chrétienne qui logeait dans le monastère, ne s'étant pas réveillée assez vite, se trouva cernée par le feu, et n'échappa qu'en se jetant du deuxième étage sur un chemin durci par la glace, où elle faillit se tuer. On la releva sans connaissance, la croyant morte ; mais elle revint à elle et ne ressentit aucune lésion grave.
« La Mère Saint-Athanase s'était trouvée la première hors du monastère ; elle s'était hâtée d'aller ouvrir les portes, et avait été se réfugier sous le vieux frêne, se croyant suivie par une partie de la communauté ; mais, en se détournant, elle ne vit personne autour d'elle, et crut à un immense malheur. Ses cris déchirants appelaient ses sœurs ; mais la nuit seule répondait à ses sanglots. Enfin elle se jeta, épuisée, à genoux sur la neige, et fît un vœu en l'honneur de l'Immaculée Conception.
« A peine l'eut-elle prononcé, qu'elle les vit venir accompagnées de toutes les élèves, qui se rangèrent autour de leur mère. Seule la Mère de l'Incarnation manquait encore ; tous les regards plongeaient avec avidité au travers de la foule, qui accourait de toute la ville et encombrait les avenues. Le plus grand de tous les malheurs serait-il donc arrivé ? Celle dont les jours étaient les plus précieux, l'âme de la communauté, la colonne du monastère aurait-elle péri? L'anxiété, l'angoisse, étouffaient tous les sanglots, toutes les lamentations ; enfin on la vit venir, et on la reconnut à son pas tranquille et assuré, à sa démarché ferme, qui révélait le calme et la sérénité inaltérable de son âme. Tout le monde respira plus librement.
« En rejoignant le groupe désolé, la Mère de l'Incarnation fut témoin d'un spectacle capable d'arracher des larmes aux cœurs les plus insensibles…
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
Tout le monde est sauvé, mais tout l'édifice est consumé.
« En rejoignant le groupe désolé, la Mère de l'Incarnation fut témoin d'un spectacle capable d'arracher des larmes aux cœurs les plus insensibles. Toutes les pensionnaires, françaises et sauvages, étaient debout nu-pieds sur la neige, pressées les unes contre les autres, et grelottant de froid, n'ayant pour tout vêtement que leurs chemises. A leurs côtés, Mme de la Peltrie, d'une santé si délicate et si sensible à la moindre froidure, pieds nus, comme les autres, sur la neige, n'était couverte que d'une petite tunique qu'elle avait jetée sur ses épaules en fuyant devant l'incendie. Mais ce qui était plus navrant encore, c'était de voir la Mère de Saint-Joseph, toujours souffreteuse depuis plusieurs années et dont la maladie s'était aggravée encore durant l'hiver, aussi peu vêtue que ses compagnes, la pâleur de la mort sur la figure, et toute transie de froid. « Si elle eût eu autant de force que de courage, dit la Mère de l'Incarnation, nous eussions sauvé, elle et moi, une partie de ce qui était au dortoir ; mais elle était si faible, qu'en voulant remuer son matelas, les bras lui manquaient ; il n'y eut que le mien de sauvé, avec ce qui me couvrait. »
« La Mère de l'Incarnation se dépouilla de ses habits pour couvrir la chère malade, malgré ses résistances, et demeura, comme les autres, exposée à la rigueur de l'hiver ; car le peu de vêtements qu'elle avait jetés par sa fenêtre s'étaient accrochés aux grilles du réfectoire et avaient été consumés avec le reste.
« Ce fut alors un combat de charité entre celles qui étaient moins dépourvues de vêtements que les autres…
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
Actions de grâces.
« Ce fut alors un combat de charité entre celles qui étaient moins dépourvues de vêtements que les autres, chacune voulant donner une part de son vêtement, ses pantoufles, ses bas, un lambeau de costume, pour vêtir sa compagne moins fortunée. L'héroïsme de la Mère de l'Incarnation avait tout à coup passé dans le cœur de ses compagnes. Au trouble et à l'abattement avait succédé la plus parfaite résignation, et toutes ensemble se jetèrent à genoux et remercièrent Dieu de les avoir jugées dignes de cette suprême épreuve. Les témoins de cette scène, ravis d'une telle générosité parmi un dénuement si complet, ne pouvaient revenir de leur admiration, et fondaient en larmes d'attendrissement et de compassion. L'un d'eux, tout stupéfait d'étonnement, s'écria : « Voilà de grandes folles ou de grandes saintes. »
« II ne savait pas, ajoute la Mère de l'Incarnation, ce que celui qui nous touchait de sa main opérait pour lors dans nos cœurs. »
« L'incendie était en ce moment dans toute sa violence. La nuit était sereine, le ciel brillamment étoile, le froid très vif, mais un calme parfait régnait dans l'atmosphère. De l'immense brasier jaillissaient des tourbillons d'étincelles, qui retombaient en pluie de feu sur la forêt, le fort Saint-Louis, la demeure des Jésuites et les maisons voisines, menaçant d'incendier la ville entière. Les clameurs de la foule qui s'agitait autour des flammes, les sanglantes lueurs qui illuminaient tous les visages de teintes fauves et rougissaient le sol et les arbres chargés de neige, l'éblouissante clarté qui se projetait au loin sur la nuit et transformait les ténèbres en un jour éclatant, tout s'unissait pour augmenter l'horreur de ce sinistre spectacle. Au plus fort du danger, une faible brise s'éleva du côté du fleuve et entraîna les flammes vers l'esplanade, où s'étendaient alors le jardin et les champs des Ursulines. Cet heureux incident préserva la ville d'une destruction imminente.
« Enfin, en moins de deux heures tout fut consumé, et il ne resta debout que les murailles noircies, d'où s'échappait une épaisse fumée. Tout ce que les Ursulines possédaient de vêtements, de provisions, de meubles, était anéanti.
« Après les premiers moments de confusion, le supérieur des Jésuites 1 rejoignit les malheureuses victimes et les conduisit à la résidence des Pères. Les enfants furent confiées aux principaux citoyens, qui leur prodiguèrent les soins les plus affectueux ; elles avaient tellement souffert du froid que plusieurs furent gravement malades.
« A la première nouvelle du désastre, les Hospitalières…
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1 Le Père Ragueneau.
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Louis- Admin
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
Les Hospitalières offrent asile aux Ursulines.
« Les Hospitalières fondirent en larmes en les apercevant dans un tel état de pauvreté. Bien plus touchées de leur malheur que les Ursulines elles-mêmes, elles se jetèrent dans leurs bras et les embrassèrent avec cette effusion de cœur et ces témoignages de sympathie dont les âmes vouées à Dieu ont seules le secret. Elles les revêtirent de leurs propres habits, et mirent le monastère à leur entière disposition.
« Le lendemain, le gouverneur, accompagné…
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Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.
Témoignages universels de sympathie.
« Le lendemain, le gouverneur, accompagné du supérieur des Jésuites, vint leur offrir ses condoléances et leur témoigner la part intime qu'il prenait à leur infortune. Il revint ensuite avec elles sur le théâtre de l'incendie, et leur fit visiter les ruines fumantes, dont personne n'osait encore approcher. Toutes les cheminées étaient tombées, les murs de refend abattus, et les principales murailles crevassées et calcinées jusque dans les fondements.
« Cette calamité fut une précieuse occasion pour les fondatrices d'adorer les admirables desseins de Dieu, qui prépare toujours le baume à côté des plaies qu'il inflige, qui fait éclore les consolations des malheurs mêmes, les roses des plus sanglantes épines. De toutes parts leur arrivèrent des témoignages de touchante sympathie ; preuves éclatantes de l'attachement et de la reconnaissance qui les enracinaient aux entrailles du peuple. Chaque famille s'ingéniait des plus délicates attentions pour alléger leur misère et essuyer leurs larmes.
« Mais le Ciel leur ménageait une marque de compatissance bien autrement sensible, une naïve démonstration qui devait leur aller droit au cœur, et les dédommager amplement de tous leurs sacrifices. A deux pas des ruines du monastère incendié, gisait une autre ruine bien plus triste, bien plus lamentable : c'étaient les restes désolés de cette grande tribu huronne dont la bourgade s'élevait entre l'hôtel-Dieu et les Ursulines.
« Aussitôt après le désastre, tous les capitaines s'assemblèrent dans la cabane du chef de la tribu…
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