Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.

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Message  Louis Jeu 05 Oct 2017, 7:52 am

Les Hurons campés à Québec y prennent part.

« Aussitôt après le désastre, tous les capitaines s'assemblèrent dans la cabane du chef de la tribu, et tinrent un grand conseil. Il fut résolu d'envoyer une députation aux « filles vierges », afin de pleurer avec elles sur leurs malheurs communs, et de couvrir les cendres de leur monastère avec des présents. Mais, hélas! ils n'étaient plus ces jours de prospérité où ils allaient aux assemblées les mains pleines de beaux présents ; ils n'avaient aujourd'hui pour toutes richesses que deux colliers de porcelaine de douze cents grains chacun. Il fut décidé qu'on irait les offrir. Le conseil fut immédiatement levé, et la députation se dirigea vers l'hôtel-Dieu. Les Ursulines, entourées du Père Ragueneau et des Hospitalières, les reçurent dans une salle de l'hôpital. Le grand chef Taiearonk porta la parole :

« Saintes filles, dit-il, vous voyez de pauvres…

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Message  Louis Ven 06 Oct 2017, 6:57 am

Harangue de leur chef à la supérieure des Ursulines.


«… Le grand chef Taiearonk porta la parole :

« Saintes filles, dit-il, vous voyez de pauvres cadavres, les restes d'une nation qui a été florissante et qui n'est plus. Au pays des Hurons, nous avons été dévorés et rongés jusqu'aux os par la guerre et par la famine. Ces cadavres ne se tiennent debout que parce que vous les soutenez. Vous aviez appris par des lettres à quelle extrémité de misères nous étions réduits ; mais maintenant vous le voyez de vos yeux. Regardez de tous côtés, et voyez s'il n'y a rien en nous qui ne nous oblige de pleurer sur nous-mêmes et de verser sans cesse des torrents de larmes. Hélas ! ce funeste accident qui vous est arrivé va renouveler tous nos maux, et faire couler encore nos larmes, qui commençaient à tarir. En voyant réduire en cendres en un moment cette belle maison de Jésus, cette sainte maison de charité, en y voyant régner le feu sans respecter vos personnes, saintes filles qui l'habitiez, nous nous sommes souvenus de l'incendie universel de toutes nos maisons, de toutes nos bourgades et de toute notre patrie. Faut-il donc que le feu nous suive ainsi partout ! Pleurons, pleurons, mes chers compatriotes ; oui, pleurons nos misères, qui de particulières sont devenues communes avec ces innocentes vierges.

« Saintes filles, vous voilà donc réduites à la même misère que vos pauvres Hurons, pour qui vous avez eu des compassions si tendres. Vous voilà sans patrie, sans maisons, sans provisions et sans secours, sinon du ciel, que jamais vous ne perdez de vue.

« Nous sommes venus ici dans le dessein de vous consoler, et avant d'y venir nous sommes entrés dans vos cœurs, pour y reconnaître ce qui pourrait davantage les affliger depuis votre incendie afin d'y apporter quelque remède. Si nous avions affaire à des personnes semblables à nous, la coutume de notre pays serait de vous faire un présent pour essuyer  vos larmes, et un second pour affermir votre courage ; mais nous avons bien vu que votre courage n'a pas été abattu sous les ruines de cette maison ; pas un de nous n'a vu même dans vos yeux une seule larme pour pleurer sur vous-mêmes à la vue de cette infortune. Vos cœurs ne s'attristent pas dans la perte des biens de la terre; ils sont trop élevés dans les désirs des biens du ciel !

« Nous ne craignons qu'une chose, saintes filles, et ce serait un malheur pour nous ; nous redoutons que la nouvelle de l'accident qui vous est arrivé, portée en France, ne soit sensible à vos parents plus qu'à vous-mêmes ; nous craignons qu'ils ne vous rappellent, et que vous ne soyez attendries de leurs larmes. Comment une mère pourrait-elle lire sans pleurer, les lettres qui lui feront savoir que sa fille est restée sans vêtements, sans lit, sans vivres et sans aucune des douceurs dans lesquelles vous avez été élevées dès votre jeunesse? La première pensée que la nature inspirera à ces mères désolées, ce sera de vous rappeler auprès d'elles pour se consoler elles-mêmes en procurant votre bien. Un frère fera de même pour sa sœur, un oncle ou une tante pour sa nièce ; et ainsi nous serons en danger de vous perdre, et de perdre en vos personnes le secours que nous espérions pour l'instruction de nos filles, dont nous avons commencé avec tant de douceur à goûter les fruits.

« Courage donc, saintes filles, ne vous laissez pas vaincre par l'amour de vos parents ; et faites voir aujourd'hui que l'affection que vous portez pour les pauvres sauvages est une charité céleste plus forte que les liens de la nature.

« Pour raffermir en cela vos résolutions…

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Message  Louis Sam 07 Oct 2017, 7:43 am

Leurs présents.

« …Pour raffermir en cela vos résolutions, voici un présent de douze cents grains de porcelaine, qui enfoncera vos pieds si avant dans la terre de ce pays, qu'aucun amour de vos parents ni de votre patrie ne pourra les en retirer.

« Le second présent que nous vous prions d'agréer, c'est un collier semblable de douze cents grains de porcelaine, pour jeter de nouveau les fondements d'un édifice qui sera encore la maison de Jésus, la maison de prières, et où vous continuerez d'instruire nos petites filles huronnes. Tels sont nos vœux, tels sont aussi les vôtres ; car sans doute vous ne pourriez mourir contentes, si en mourant vous pouviez vous faire ce reproche, que, par un amour trop tendre pour vos parents, vous n'eussiez pas aidé au salut de tant d'âmes, que vous auriez aimées pour Dieu ; oui, vous les recueillerez encore, vous leur apprendrez à aimer Dieu, et elles seront un jour votre couronne dans le ciel 1. »

« Ainsi parla le grand chef huron, d'une voix que l'émotion rendait vibrante. « Je n'ajoute rien à ce discours, poursuit le Père Ragueneau, qui nous a conservé cette naïve harangue, et je ne puis même rendre la touchante expression que lui donnaient le ton de sa voix et les regards de son visage. La nature a son éloquence ; et quoique ces hommes soient barbares, ils sont loin d'être privés d'intelligence et de sentiment.  »

« Quand le chef eut fini de parler, il se fit quelques instants de silence. La Mère supérieure, vaincue par son émotion, ne pouvait proférer une parole. Enfin elle répondit d'une voix entrecoupée de larmes, au milieu de l'attendrissement général, en donnant à ces bons sauvages l'assurance que les Ursulines continueraient d'instruire leurs enfants; qu'aucun désastre ne les ferait retourner en France, et qu'après avoir consumé leur vie sur cette terre du Canada, déjà arrosée de leurs sueurs, un jour leurs os reposeraient tous ensemble 1.  »
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1 Relation des Jésuites, 1651, page 12.1 L'abbé Casgrain, Histoire de la Mère de l'Incarnation, IIIe partie, ch. VIII

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Message  Louis Dim 08 Oct 2017, 7:23 am

CHAPITRE IX

SÉJOUR DANS LA MAISON DE Mme DE LA PELTRIE


In omnibus tribulationem patimur,
sed non angustiamur ; aporiamur, sed non destituimur.

Nous subissons toutes sortes de tribulations,
mais nous n'en sommes point accablés ;
nous sommes dans la perplexité,
mais non dans le désespoir.


( II Cor., IV, 8.)

Les Ursulines se retirent dans la
petite maison de Mme de la Peltrie.

Recueillies, après l'incendie de leur monastère, chez les religieuses Hospitalières, les Ursulines y avaient été comblées de toutes sortes de bontés et de prévenances ; car ces deux familles religieuses n'avaient cessé d'être unies par les liens de la charité la plus fraternelle. Néanmoins les Ursulines ne voulurent pas imposer trop longtemps à leurs généreuses hôtesses des charges que leurs sentiments d'amitié pour elles leur rendaient douces sans doute, mais qui pourtant auraient pu devenir à la longue trop onéreuses, et elles résolurent de se retirer dans la petite maison de Mme de la Peltrie, située à une centaine de pas seulement des ruines de leur monastère. Ce ne fut qu'à regret que les Hospitalières les virent prendre cette résolution; mais, ne pouvant s'y opposer, elles voulurent du moins leur donner un dernier témoignage de leur tendresse en leur offrant « plus de cinq cents livres de toutes sortes de commodités tant pour elles que pour leurs domestiques 1  ».

La petite maison qui abrita dès lors…
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1 Ces domestiques dont il est plusieurs fois parlé n'étaient autres que des cultivateurs chargés du soin de certaines terres qui avaient été concédées aux Ursulines par la compagnie des Cent-Associés.

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Message  Louis Lun 09 Oct 2017, 8:11 am

Elles se décident à rebâtir le monastère.  

La petite maison qui abrita dès lors les chères victimes du terrible incendie avait été bâtie aux frais de Mme de la Peltrie, peu de temps après son retour de Montréal. Elle n'avait qu'un simple rez-de-chaussée et ne mesurait pas plus de trente pieds de long sur vingt de large. On y trouva cependant assez d'espace pour une chapelle, un dortoir, un réfectoire, une cuisine, un parloir. Mais il fut impossible d'y installer une école. On fut obligé de construire pour cela tout à côté une cabane d'écorce.

La première question qu'eurent à se poser nos vaillantes Ursulines dès qu'elles y furent installées fut de savoir si elles rebâtiraient leur monastère, ou si elles retourneraient en France.

« Retourner en France, écrivait plus tard notre vénérée Mère, à moins d'une volonté de Dieu toute reconnue, j'y avais une aversion entière. » Et toute la Communauté partageait ce sentiment. Comment abandonner la glorieuse entreprise si généreusement commencée? Et toutes ces chères sauvages récemment converties, devenues leurs filles selon la grâce, comment consentir à les délaisser maintenant? A un autre point de vue, les intérêts engagés dans le maintien des Ursulines étaient trop grands pour que la colonie française ne s'intéressât pas à leur maintien et consentît à les sacrifier. Aussi les Pères jésuites, le gouverneur, les pressèrent-ils instamment de rester, leur promettant tout leur concours. Il fut donc convenu qu'on allait sans retard rebâtir le monastère.
« La résolution fut, écrivait la Mère de l'Incarnation le 30 septembre de cette même année 1651, que sans différer davantage, il nous fallait rebâtir sur les premiers fondements, puisque nos courages n'étaient point abattus du poids de cette disgrâce, que nos vocations étaient autant ou plus fortes qu'auparavant, et que les filles du pays, tant françaises que sauvages, avaient besoin de notre secours. Cette conclusion nous fut proposée, et nous l'embrassâmes avec d'autant plus de joie qu'on nous promettait de nous prêter de l'argent pour subvenir aux frais 1. »

Bien qu'elle ne fût pas à ce moment supérieure, notre vénérée Mère fut immédiatement chargée de cette reconstruction du monastère. « J'avais un instinct intérieur, écrivait-elle plus tard, que toute cette charge me tomberait sur le dos. » La vaillante Mère ne s'était pas trompée. Qui donc aurait pu mieux qu'elle se charger d'une pareille entreprise ? Et d'ailleurs, le succès presque miraculeux de la première construction ne pouvait-il pas faire bien augurer de la seconde ?

Du reste, le temps marqué…
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1 Lettres historiques. Lettre XLIV, p.  456.

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Message  Louis Mar 10 Oct 2017, 8:10 am

La vénérable Mère Marie de l'Incarnation, chargée de ce soin, est élue une seconde fois supérieure.

Du reste, le temps marqué par les Constitutions de l'ordre pour l'élection d'une nouvelle supérieure n'était pas éloigné; et le 12 juin de cette même année 1651, la Mère Saint-Athanase remit avec joie le fardeau de la supériorité entre les mains de la vénérable Mère Marie de l'Incarnation, élue une seconde fois supérieure.

Quelque lourde et difficile que fût la tâche qui lui était imposée, elle n'était pas cependant au-dessus de son courage. Elle demanda seulement qu'on lui adjoignît le Père Lemercier, jésuite, pour l'assister de ses conseils dans cette laborieuse entreprise, ce qui lui fut accordé. Aussitôt elle se mit à l'œuvre.

Dès les premiers jours…

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Message  Louis Mer 11 Oct 2017, 8:14 am

Son ardeur dans cette sainte entreprise.

Dès les premiers jours, on la vit aller au chantier travailler elle-même de ses propres mains au déblaiement des ruines de l'ancien monastère. Cet exemple provoqua un entraînement général. Chacun voulut apporter sa pierre et concourir à la réédification du bâtiment, depuis les plus riches habitants du pays jusqu'aux plus pauvres, comme autrefois à Jérusalem, au retour de la captivité de Babylone, lorsque femmes et enfants, riches et pauvres, grands et petits travaillaient ensemble à relever les murs de la cité sainte. Admirable exemple de charité au sein d'un peuple vraiment chrétien !

Aussi les murs du nouveau monastère s'élevaient-ils comme par miracle. Le 19 mai 1651, Mme de la Peltrie en avait posé la première pierre; quatre mois après, le 30 septembre, notre vénérée Mère pouvait écrire : « Notre bâtiment est déjà au carré de la muraille ; on monte les cheminées, et dans huit jours on lèvera la charpente. »

Puis elle ajoutait ces détails, qui ne manqueront pas d'intéresser :

« Si les vaisseaux étaient arrivés de France, nous pourrions faire un effort, empruntant des ouvriers de nos amis qui en amènent de France, et nous pourrions y loger dans quatre ou six mois ; mais, sans ce secours, nous n'y pourrons loger que l'année prochaine dans cette saison. C'est une chose étonnante combien les artisans et les manœuvres sont chers ici ; nous en avons à quarante-cinq et cinquante-cinq sous par jour. Les manœuvres ont trente sous par jour, avec leur nourriture. Notre accident étant arrivé inopinément, nous étions dépourvues de tous ces gens-là ; c'est ce qui fait qu'ils nous coûtent cher. Dans la nécessité, nous en faisons venir de France à un prix plus raisonnable ; on les loue pour trois ans, et de la sorte ils trouvent leur compte, et nous aussi. Maintenant il y a des jours où nous avons pour trente livres de journées d'hommes, sans parler de ceux qui travaillent à la toise ou à la tâche. Quatre bœufs, qui font notre labour, traînent les matériaux de bois et de sable ; nous tirons la pierre sur le lieu 1. »

Dans une autre lettre, elle dit encore :…
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1 Lettres spirituelles. Lettre LXII, p. 138.

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Message  Louis Jeu 12 Oct 2017, 7:39 am

Son ardeur dans cette sainte entreprise.

(suite)

Dans une autre lettre, elle dit encore : « Nos révérends Pères nous ont prêté huit mille livres ; mais, à l'heure où j'écris, nous en devons bien quinze, et, avant que notre bâtiment ne soit achevé, nous en devrons plus de vingt, sans parler des accommodements du dedans et des meubles. C'est de la divine Providence que nous attendons l'acquit de nos dettes et ce qui doit suffire à toutes nos autres nécessités. C'était elle qui nous avait mise en l'état où nous étions, ce sera elle aussi qui nous y remettra par le moyen de la sainte Vierge, du secours de laquelle nous sommes tellement assurées, que nous vivons en paix de ce côté-là. Ce qu'elle ne fera pas par elle-même, elle nous suscitera des amis qui le feront, et de la sorte elle fera tout. Elle y a déjà mis la main si puissamment, que le bâtiment est élevé jusqu'au carré, en sorte que nous y pourrons loger dans quelque temps. Tous ceux qui voient cela en sont dans l'admiration et disent qu'il semble que ce logis se fasse de lui-même, et que le doigt de Dieu y travaille. Tout le pays est dans la joie de nous voir à la veille de faire, comme auparavant, les fonctions de l'instruction, que nous ne faisions que petitement dans une cabane d'écorce 2. »

Le nouvel édifice s'élevait, en effet, avec une telle rapidité que le Père Ragueneau disait, dans une lettre, qu'il espérait que les Ursulines pourraient prendre possession de leur nouveau monastère avant l'hiver de 1651-l652. Il n'en fut rien cependant. A cause du retard des vaisseaux venant de France, qui n'arrivèrent cette année-là qu'à la fin d'octobre, cette nouvelle prise de possession ne put avoir lieu que le 29 mai suivant.

Mais, avant cet heureux événement, Dieu voulut…
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2 Lettres historiques. Lettre LXII, p. 450, 457.

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Message  Louis Ven 13 Oct 2017, 7:59 am

Mort de la Mère Marie de Saint-Joseph.  

Mais, avant cet heureux événement, Dieu voulut soumettre le cœur de sa servante à la plus douloureuse épreuve qu'il ait éprouvée au Canada. Comme autrefois Moïse, qui ne vit que de loin la terre de promission sans pouvoir y entrer, la Mère Marie de Saint-Joseph s'éteignit doucement dans la petite maison de Mme de la Peltrie, pour ainsi dire sur le seuil du nouveau monastère.

Nous avons déjà donné ailleurs quelques détails sur l'enfance et la jeunesse de cette fervente émule de la Mère Marie de l'Incarnation. Le lecteur n'a pas oublié ces scènes touchantes du départ du monastère de Tours, ses tendres adieux faits à sa famille éplorée, à ses sœurs du couvent, à la patrie. Elle quittait joyeuse alors cette terre de France où tant d'affections pures et saintes s'efforçaient vainement de la retenir, pour suivre son héroïque compagne dans les régions glaciales du nouveau monde.

Treize années s'étaient écoulées depuis le jour de leur arrivée au Canada. Au milieu des grandes souffrances, des difficultés, des terreurs de tous genres qui furent le partage des premières Ursulines de Québec, sa foi, sa charité, sa douceur angélique, sa patience à toute épreuve, ne s'étaient pas démenties un seul jour. D'une complexion délicate, frêle de corps, on pouvait dire d'elle ce que saint Paul a dit de lui-même : præsentia corporis infirma. Mais l'âme était vaillante, généreuse, héroïque même sous cette enveloppe fragile. Elle brillait dans ses regards toujours à la fois vifs et doux, dans tous les traits de son visage et l'ensemble de sa personne, où l'on voyait aussi le reflet de son innocence et de sa charité. Si la Mère de l'Incarnation était la femme forte du monastère et de toute la colonie, celle-ci en était l'ange par l'éclat de ses douces vertus. Aussi elle eut bien vite gagné le cœur non seulement des élèves françaises, mais encore et surtout des petites sauvages et de tous leurs parents et amis. C'est vers les Hurons surtout qu'elle avait tourné les premiers efforts de son zèle. Aussi ces sauvages la connaissaient-ils plus que toutes les autres religieuses. Ils ne l'appelaient jamais que Marie-Joseph la sainte fille.

« Depuis plus de quatre ans et demi, dit l'abbé Casgrain…

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Message  Louis Sam 14 Oct 2017, 7:50 am

Mort de la Mère Marie de Saint-Joseph.

(suite)

« Depuis plus de quatre ans et demi, dit l'abbé Casgrain 1, elle souffrait d'un asthme et d'une pneumonie, accompagnés de crachements de sang et d'une fièvre continue. Elle gardait néanmoins rarement le lit, observait tous les points de la règle, et psalmodiait au chœur, malgré son oppression et ses douleurs de poitrine. Enfin le 2 février 1652, jour de la Purification de la sainte Vierge, lorsque la Communauté était encore entassée dans la maison de Mme de la Peltrie, elle s'étendit sur son lit de douleur pour ne s'en plus relever. Sa maladie se compliqua d'une hydropisie qui lui causa d'atroces souffrances. On fut obligée de lui faire de profondes incisions aux jambes, pour arrêter les progrès du mal ; mais les sources de la vie étaient épuisées, la gangrène se mit dans ses plaies et ajouta de nouvelles horreurs à ses maux. Tourmentée par une toux qui ne lui laissait point de relâche, dévorée par la fièvre, couverte de cicatrices douloureuses, elle passait les jours et les nuits sans sommeil, ne proférant jamais une plainte et bénissant la Providence de lui avoir donné ce pauvre réduit pour dernier asile.

« Ah ! que je suis heureuse, disait-elle à sa fidèle amie la Mère de l'Incarnation, que je suis heureuse de mourir en un lieu pauvre, loin des délices et des commodités dont on jouit en France ! Ecrivez, je vous prie, à mes parents, à mon oncle l'évêque de la Rochelle, et à nos Mères de Tours, que je suis très contente de les avoir tous quittés, et de mourir pauvre religieuse de la mission des Ursulines du Canada. »

« Dès le 2 février, il avait fallu veiller la chère malade. Cette charge était ordinairement dévolue à la Mère de  l'Incarnation, qui lui  servait d'infirmière depuis trois ans. « Mais, disait-elle, les nuits se passaient doucement auprès d'elle, » tant sa patience était inaltérable.

« C'était un spectacle digne du ciel et des anges que celui dont était témoin, pendant ces nuits de veille silencieuse, l'humble cellule où gisait sur un misérable grabat, dans un des rayons accolés à la muraille, celle qui avait renoncé à tous les bonheurs de la vie, à sa famille, à sa patrie, à cette France incomparable du XVIIe siècle qui n'a pas d'égale dans l'histoire, en un mot, à tous les prestiges du monde, de la noblesse et de la fortune, pour embrasser la pauvreté de Jésus-Christ, la folie de la croix.

« L'appartement n'était éclairé que par la flamme de la vaste cheminée qui seule réchauffait la maison. A la lueur fauve de l'âtre on apercevait, au chevet du lit, la Mère de l'Incarnation, attentive au moindre signe de sa chère patiente, lui prodiguant tous les soins que peuvent inspirer la tendresse d'une amie et la charité d'une sainte. Dans les intervalles de repos, assise près des chenets, elle charme les longues heures de la nuit par quelque pieuse lecture dans la Vie de sainte Thérèse , ou, agenouillée sur le plancher nu, elle se livre à une de ces méditations extatiques qui lui étaient habituelles.

« Un peu en arrière, dans la pénombre…
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1 L'abbé Casgrain, Histoire de la Mère de l'Incarnation, IIIe partie, ch. IX, p. 396.

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Message  Louis Dim 15 Oct 2017, 7:18 am

Mort de la Mère Marie de Saint-Joseph.  

(suite)

« Un peu en arrière, dans la pénombre, se dessine la frêle silhouette de Mme de la Peltrie, qui malgré sa fragile santé n'a pas voulu laisser à notre Mère seule le privilège des fatigues et des veilles auprès de leur commune amie. De temps en temps, les deux veilleuses s'approchent sans bruit de la chère agonisante, et debout, immobiles, près de son lit, contemplent en silence ses traits amaigris, ses lèvres desséchées, sa figure enflammée par la fièvre, et écoutent avec anxiété sa respiration oppressée, entrecoupée d'une toux déchirante. Elles ne profèrent aucune parole, mais l'expression de leur figure ne révèle que trop leurs navrantes pensées. On lit sur chacun de leurs traits cette profonde pitié que les saints déversent avec d'autant plus d'amour sur autrui, qu'ils se la refusent tout entière à eux-mêmes. La jeune malade ne semble pas s'apercevoir de ce qui se passe autour d'elle. Les mains jointes sur la poitrine, elle paraît plongée dans une douce extase; ses lèvres murmurent une prière ; et tandis que ses regards limpides, élevés vers le ciel, semblent déjà jouir de la vision béatifique. sa physionomie céleste, qu'illumine d'un pâle reflet la lueur vacillante de l'âtre, est empreinte d'une douce sérénité et d'une ravissante expression de bonheur.

« Une nuit, à la suite d'un de ces colloques intimes, elle parut un peu agitée, un léger nuage passa sur son front; elle fit signe à la Mère de l'Incarnation de s'approcher, et lui prenant les mains dans les siennes avec une expression d'indicible tendresse: « Pardonnez-moi, ma chère amie, lui dit-elle d'une voix pleine de larmes, oh ! pardonnez-moi les chagrins que je vous ai causés pendant les premiers temps de notre séjour ici. Je ne l'ai fait que par obéissance pour mes supérieurs qui voulaient se servir de moi pour vous éprouver. Vous savez quelle violence j'ai dû me faire pour vous contrister ainsi. »

« La Mère de l'Incarnation, étouffée par son émotion, ne put lui répondre et lui témoigner son affection et sa reconnaissance qu'en la pressant contre son cœur, et en posant ses lèvres sur son front brûlant, qu'elle arrosa de ses larmes.

« Dès que la nouvelle de l'état désespéré de la Mère de Saint-Joseph se fut répandue, toute la population prit part à l'affliction des Ursulines. Le gouverneur, M. de Lauzon, dont la piété ne le cédait en rien à celle de ses prédécesseurs, se fit recommander à ses prières, et la conjura de se souvenir, lorsqu’elle serait devant Dieu, des grands besoins de la colonie.

« Les Hurons, établis depuis peu dans l'île d'Orléans, venaient chaque jour frapper à la porte du cloître, et s'informaient avec un touchant intérêt des progrès de sa maladie : « Tiens, Mère, disaient-ils à la Mère de l'Incarnation en lui présentant quelques pièces de gibier, donne ces oiseaux à Marie la sainte fille, afin qu'elle mange et qu'elle vive pour nous instruire encore.  »

« Mais ni les vœux…

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Message  Louis Lun 16 Oct 2017, 7:41 am

Mort de la Mère Marie de Saint-Joseph.

(suite)

« Mais ni les vœux des bons sauvages, ni les prières des colons, ni les soins, ni les ardentes supplications de la Mère de l'Incarnation et de sa communauté ne devaient être exaucés. A trente-six ans, sœur Marie était mûre pour  le ciel ; son céleste Époux voulait lui épargner le triste hiver de la vie, et la convier dès le printemps aux noces éternelles.

« Elle expira entre les bras de sa sainte et fidèle amie, le 4 avril 1652, vers huit heures du soir, après vingt-quatre heures d'une paisible agonie. Elle fut douce envers la mort, comme elle l'avait été envers la vie ; déjà son âme était entre les bras des anges, quand on s'aperçut qu'elle avait cessé de vivre, tant son dernier soupir avait été imperceptible.

« L'annonce de sa mort fut un deuil général…

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Message  Louis Mar 17 Oct 2017, 7:32 am

Son éloge bien mérité.

« L'annonce de sa mort fut un deuil général pour toute la population française et sauvage. Mais les Hurons surtout pleurèrent, avec d'amers regrets, Marie la sainte fille, celle qui avait été si longtemps leur mère spirituelle. Ils lui firent un service solennel, le lendemain de sa mort, dans leur petite chapelle de l'île d'Orléans.

« Ses obsèques furent célébrées à Québec, avec une pompe qu'on n'avait pas encore vue dans ce pays. La nuit même de sa mort, ses restes précieux furent transportés dans le nouveau monastère, qui n'était pas encore habité, afin de les exposer à la vénération publique, et d'y faire ses funérailles. L'office funèbre fut célébré par le Père J. Lallemand, son directeur spirituel, en présence de toute la population française et sauvage de Québec et des environs, accourue pour rendre hommage à une mémoire si sainte et si chère.

« Ses restes mortels furent inhumés dans le jardin du monastère, en attendant l'érection d'une église conventuelle. Ils y reposèrent pendant dix ans ; et plus tard la piété des Ursulines fît élever en cet endroit, consacré par la présence de cette dépouille bénie, la statue de son saint patron. Jamais les sauvages ne passaient près du monastère sans jeter un mélancolique regard vers le jardin, et indiquer du doigt à leurs enfants le petit monticule de gazon sous lequel dormait du sommeil des justes Marie la sainte fille, la mère des pauvres sauvages.

« Le Seigneur ne tarda pas à manifester…

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Message  Louis Mer 18 Oct 2017, 6:42 am

Merveilles accomplies après sa mort.

« Le Seigneur ne tarda pas à manifester par des prodiges la gloire de celle qui sur la terre n'avait aimé que l'humilité et l'abjection, n'avait vécu que de l'ignominie de la croix. Nous en rapporterons deux des plus remarquables, pour l'édification de nos lecteurs.

« Dans le monastère de Tours vivait une excellente sœur converse qui avait toujours été l'amie intime de la Mère de Saint-Joseph. Sœur Elisabeth de Sainte-Marthe avait pris un soin tout maternel de la jeune Marie, lorsque celle-ci n'était encore qu'une toute petite enfant au pensionnat. La jeune fille avait été profondément touchée de cette tendre sollicitude, et avait voué une amitié éternelle à sœur Elisabeth. Au moment de son départ pour le Canada, elle avait fait avec elle une société de biens spirituels, toutes deux s'engageant à se faire part mutuellement de leurs mérites. Or à peine eut-elle rendu le dernier soupir qu'elle lui apparut toute resplendissante de lumière, rayonnante d'une beauté ravissante et d'une majesté incomparable.

« Ma chère sœur Elisabeth, lui dit-elle en lui faisant signe de la main, préparez-vous au voyage, car il est temps de partir. »

La sœur se leva aussitôt, et quoique ce fût à une heure indue de la nuit, elle se rendit à l'instant chez la Mère supérieure. « Certainement. lui dit-elle, la Mère de Saint-Joseph est morte; elle vient de m'apparaître, de me dire de me préparer à la mort, et que je n'ai que peu de jours à vivre. »

« Elle retourna ensuite se coucher sans aucune frayeur, et passa le reste de la nuit dans une grande paix. La semaine suivante, elle tomba malade, et mourut treize jours seulement après celle dont l'amitié l'avait suivie au delà de la tombe, et l'avait rappelée vers elle pour continuer dans la gloire cette union des cœurs qu'elles avaient commencée sur la terre.

« En 1666, lorsque M. le marquis de Tracy eut forcé les Iroquois de remettre tous les prisonniers français qu'ils tenaient captifs, parmi leur nombre se trouva une jeune fille nommée Anne Baillargeon 1, qui avait été enlevée dès l'âge de neuf ans. Elle s'était si bien habituée aux mœurs des sauvages et à la vie errante et libre des forêts, qu'au moment du départ de ses compagnons d'infortune, la jeune captive refusa de les suivre et courut se cacher au fond des bois.

« Elle se croyait à l'abri de toutes recherches, lorsque tout à coup une femme vêtue du costume monastique lui apparut, et lui commanda, avec une majesté souveraine, de retourner parmi les Français. Comme l'enfant s'enfuyait effrayée, elle la menaça de châtiments, si elle n'obéissait sans retard.

« A son retour à Québec, M. de Tracy se chargea de son éducation et la confia aux Ursulines. Le jour de son entrée, elle aperçut dans la salle de la communauté le portrait de la Mère de Saint-Joseph 1:

« Ah! s'écria-t-elle toute hors d'elle-même, c'est elle, c'est celle-là qui m'a parlé ; elle porte aussi le même habit !  »

« Les religieuses, toutes surprises, lui demandèrent l'explication de son étonnement. Elle leur raconta alors la miraculeuse apparition.

« Il ne se put faire, ajoute la Mère de l'Incarnation, que durant sa longue captivité, vivant au milieu des païens, elle ne se livrât à bien des superstitions ; elle avait néanmoins conservé une très grande pureté, et l'on croit que notre bienheureuse Mère s'était faite son ange gardien pour la conserver dans cette intégrité 2.  »

A ces précieux témoignages nous devons ajouter le fait suivant rapporté par le R. P. Ragueneau dans sa relation de 1652…
________________________________________________________________

1 Cette jeune fille était la sœur d'un des ancêtres de Mgr Baillargeon , évêque de Tloa.1 Ce portrait fut consumé dans le second incendie du monastère des Ursulines, qui eut lieu en 1686. On en possède une copie envoyée de France vers l'année 1700. — 2 L'abbé Casgrain, Histoire de la Mère de l'Incarnation, IIIe partie, ch. IX.

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Message  Louis Jeu 19 Oct 2017, 6:39 am

Témoignages qui lui sont rendus.

A ces précieux témoignages nous devons ajouter le fait suivant rapporté par le R. P. Ragueneau clans sa relation de 1652 :

« Environ une heure après que sa sainte dépouille fut mise en terre, une personne digne de foi (c'était un frère convers de la Compagnie de Jésus), s'en allant pour quelque action de charité à une lieue de Québec, notre chère défunte lui apparut par une vision intellectuelle. Son port était plein de majesté, sa figure resplendissante de lumière et de gloire, et de ses yeux s'échappaient des regards perçants qui allaient jusqu'au fond du cœur.   »

« Elle accompagna, raconte à son tour la Mère de l'Incarnation, ce charitable frère jusqu'au lieu où sa charité le portait et se rendit encore présente au retour d'une manière fort intérieure, traitant avec lui, par voix d'intelligence, de sujets dont je ne puis parler ici. Le lendemain la même personne, allant à l'île d'Orléans sur le fleuve, qui était glacé, marcha pendant quelque temps sur une glace fort mince qui s'était formée durant la nuit, sans penser au danger où il était de tomber à chaque instant dans l'abîme. Tout à coup il entend une voix qui lui dit : « Arrête-toi! » Il s'arrête, lève les yeux, qu'il avait jusque-là tenus baissés, et, regardant autour de soi, il se vit environné d'eau de tous côtés ! Il perce cette petite glace, pour voir s'il n'y en avait pas une plus épaisse au-dessous, comme il arrive souvent sur le Saint-Laurent.

« O surprise et terreur! il ne trouve que des abîmes. Il se recommande à celle qui l'avait arrêté, et, tout saisi de crainte, il retourne sur ses pas. Quand il fut en un lieu d'assurance, il reconnut qu'il avait marché un long espace de chemin sur les eaux sans enfoncer ; aussi lui semblait-il qu'il n'avait pas marché, tant il s'était senti soutenu. Enfin il a rendu témoignage que la Mère Marie de Saint-Joseph lui avait sauvé la vie, et qu'il ne pouvait sortir d'un tel danger sans miracle. Il est bon de remarquer ici que ce frère était un habile pharmacien, et qu'en cette qualité il avait rendu à la Mère Marie de Saint-Joseph d'importants services durant sa longue et pénible maladie 1. »

Mais un des plus beaux témoignages qui aient été rendus à la mémoire de cette fervente Ursuline…
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1 Lettres historiques, p. 500, 501.

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Message  Louis Ven 20 Oct 2017, 7:40 am

Témoignages qui lui sont rendus.

(suite)

(Note de Louis : La lettre est ici publiée dans son entier, pour ne pas en perdre le fil, si je puis m’exprimer ainsi. Veuillez noter que parfois nous avons aéré le texte original pour aider la lecture. Bien à vous.)

Mais un des plus beaux témoignages qui aient été rendus à la mémoire de cette fervente Ursuline est assurément la lettre suivante, écrite par notre vénérée Mère à une de ses parentes, religieuse du Calvaire, par laquelle nous terminerons ce chapitre :

« Ma révérende Mère,

« Vous avez bien de la bonté de vouloir vous souvenir de moi et de me continuer l'honneur de votre affection. De ma part, je vous assure que la mienne est entière pour votre chère personne, à laquelle, puisque vous le voulez bien, je suis ce que j'étais à ma chère Mère Marie de Saint-Joseph, votre très aimable sœur et ma très  fidèle compagne. Je vous dirai une chose que vous ne serez pas marrie de savoir, qui est que, notre petite église étant faite, nous avons enlevé son corps du lieu où il était, pour le mettre dans un cimetière que nous avons fait faire sous notre chœur. Nous avons eu la curiosité ou plutôt la dévotion de voir en quel état était son corps. La nécessité de le changer de cercueil a favorisé notre dessein ; car, encore qu'il fût enfermé dans deux cercueils, le premier était pourri; l'autre, qui était de cèdre, ne l'était pas. Nous trouvâmes toute sa chair consumée et changée en une pâte blanche comme du lait, de l'épaisseur d'un doigt. Son cœur, qui avait eu tant de saints transports pour son Époux, et son cerveau, qui avait été l'organe de tant de saintes pensées, étaient encore entiers. Tous ses ossements étaient placés en leur lieu naturel, le tout sans aucune mauvaise odeur.

« Au même temps que nous fîmes l’ouverture, nous nous sentîmes remplies d'une joie et d'une suavité si grandes, que je ne vous la puis exprimer. Dans la crainte que nous avions de trouver de la corruption ou quelque chose qui pût donner de la frayeur à nos jeunes sœurs, nous voulûmes visiter le tout en secret. Mais, ayant trouvé les choses dans l'état que je viens de dire, notre révérende Mère fit appeler toute la Communauté pour lui faire part de la consolation dont nous étions intimement pénétrées. Et pour rendre à cette chère défunte nos derniers devoirs de charité et d'affection, l'on se mit à lever les ossements. Les mains, de celles qui les touchaient sentaient une odeur comme d'iris. Les ossements étaient comme huileux, et, ayant été lavés et essuyés, les mains et les linges avaient la même odeur.

« Ni la vue, ni le maniement des os, ni cette masse blanche ou chair consumée, n'ont donné nulle frayeur, comme font ordinairement les cadavres des morts ; mais plutôt cette vue inspirait des sentiments d'union et d'amour pour la défunte. C'était à qui baiserait ses ossements, et à qui lui rendrait la première ce dernier devoir de piété. Après avoir satisfait notre affection, nous remîmes ses os dans un nouveau cercueil, avec un écrit en parchemin qui fait mention des principales vertus de cette chère Mère, de son zèle pour la conversion des âmes, de sa maison, de ses parents ; puis, ayant enfermé ce cercueil dans un autre, nous l'avons posé sur des soubassements, afin que si un jour, par quelque renversement d'affaires, il nous fallait retourner en France, nous le pussions facilement emporter.

« Le révérend Père supérieur des missions, dans le service que nous fîmes en cette action, nous fit une très belle exhortation sur ce changement de cercueil, sur l'odeur de ses ossements, sur cette pâte blanche, et principalement sur les vertus héroïques de cette âme sainte. C'est l'unique de notre communauté qui soit morte en ce pays depuis vingt-quatre ans que nous y habitons.

« J'ai pensé de vous envoyer de ses ossements pour être mêlés avec les vôtres, lorsque vous irez au tombeau; mais j'ai eu crainte qu'ils ne fussent perdus avant que d'arriver jusqu'à vous.  

« Chère Mère, il fallait vous faire ce récit pour votre consolation et pour celle de toute votre illustre famille, au sujet de ma très chère compagne, dont la mémoire nous est et nous sera toujours précieuse en odeur de bénédiction. Je finis en vous assurant de la sincérité de mon cœur et de l'affection avec laquelle je suis, etc. 1 »
___________________________________________________________

1 Lettres historiques. Lettre LXVI, p. 587, 588.

A suivre : Chapitre X. LE  NOUVEAU MONASTÈRE

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Message  Louis Sam 21 Oct 2017, 7:49 am

CHAPITRE X

LE NOUVEAU MONASTÈRE


In die illa suscitabo tabernaculum David,
quod cecidit, et reœdificabo aperturas murorum ejus,...
et reœdificaibo illud sicut in diebus antiqitis.


En ce jour je rétablirai le tabernacle de David, qui est tombé;
je réparerai les brèches de ses murailles,
je le rétablirai comme aux jours anciens.
(Amos, IX, 11.)

A Domino factum est istud,
et est mirarabile in oculis nostris.


C'est le Seigneur qui a fait cela,
et c'est pour nous une chose admirable à voir.
(Ps. CXVII, 23.)

Prise de possession du nouveau monastère.

Les travaux de reconstruction du monastère, commencés le 19 mai 1651, furent poussés avec une telle intelligence et une telle ardeur, que le 29 mai de l'année suivante, veille de la Pentecôte, les Ursulines purent en prendre possession. On vit alors se renouveler cette procession solennelle qui avait accompagné les cinq premières Ursulines, lorsqu’elles avaient quitté, dix ans auparavant, leur petite habitation de la basse ville, pour venir dans leur premier monastère.

Ce fut une nouvelle fête pour toute la ville de Québec. Le clergé de la paroisse, suivi d'un grand concours de peuple, se rendit à la maison de Mme de la Peltrie, pour y prendre le saint Sacrement et le transporter à la chapelle nouvellement bâtie. Aussitôt commencèrent les prières des Quarante heures, qui durèrent jusqu'au mardi de la Pentecôte. Chaque matin, pendant ces trois jours, on fit, au chant des litanies, une procession solennelle de chacune des églises de la ville à la chapelle des Ursulines.

« Tout le monde était dans la joie, écrivait peu de jours après notre vénérée Mère, de nous voir logées là où nous étions auparavant, et délivrées des grandes incommodités que nous avions endurées depuis notre incendie.  »

Mais ce que l'on ne savait pas encore, c'était la miraculeuse intervention de la très sainte Vierge dans la reconstruction de ce beau monastère. Voici le témoignage que la Mère de l'Incarnation nous en a laissé.

« Mon esprit fut rempli de courage et de force pour travailler jour et nuit à cet ouvrage, que je regardais comme appartenant à la très sainte Vierge, notre bonne Mère et supérieure. Je l'appelle ainsi parce que, quelque temps avant notre incendie, la Mère Saint-Athanase, supérieure, avait eu une forte inspiration de lui remettre sa charge entre les mains, ce que nous avions fait avec une grande solennité. Je la regardais donc, en cette entreprise, comme ma directrice  et mon tout après  Dieu. Ainsi je  n'eus pas plus tôt commencé, que je ressentis son assistance d'une manière extraordinaire; je l'avais continuellement présente partout où j'allais et en tout ce que je faisais. Je ne la voyais pas des yeux du corps, mais en la manière que le suradorable Verbe incarné me fait l'honneur de se communiquer à moi, par union, par amour et communication actuelle; ce que je   n'avais jamais encore expérimenté de la très sainte Vierge, Mère de Dieu, qu'en cette occasion. Je la sentais auprès de moi, m'accompagnant partout dans les allées et venues qu'il me fallait faire dans le bâtiment, depuis qu'on eut commencé à abattre les masures jusqu'à la fin de l'édifice. Chemin faisant, je m'entretenais avec elle et je lui  disais : « Allons, ma divine Mère, allons voir nos ouvriers. » Et, selon les occurrences, j'allais en haut, en bas, sur les échafaudages, sans aucune crainte, l'entretenant toujours de  la  sorte.  Je lui disais souvent : « Ma  Mère, gardez, s'il vous plaît, tous vos ouvriers 1. »  Et en effet, elle les garda si bien, que dans la construction du monastère, pas un ne fut blessé.

D'après un document du temps…
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1 Claude Martin, relation, ch. XVIII, IIIe partie, p. 588. 589.

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Message  Louis Dim 22 Oct 2017, 7:20 am

Prise de possession du nouveau monastère.

(suite)

D'après un document du temps, les ouvriers eux-mêmes se ressentaient de cette céleste direction, « travaillant à refaire la  maison de Dieu autant par dévotion que pour leurs propres intérêts. » Mais l'intervention de l'auguste protectrice de la maison se manifesta encore d'une manière plus sensible dans la liquidation des comptes. « Vous êtes en peine de ce que je vous ai dit qu'il y a eu du miracle dans notre établissement, écrivait plus tard la vénérée Mère à son fils. Il y en a eu, en effet. Nous avions tout perdu, et notre incendie nous avait dépouillées de toutes choses. Nous avons fait rebâtir notre monastère ; nous nous sommes vêtues et remeublées, et pour tout cela il nous a fallu faire des dépenses au montant de trente mille livres. L'on nous a prêté huit mille livres sur le pays, lesquelles ne valent pas six mille livres de France. Nous n'avions eu que très peu d'aumônes, dont une partie a servi à nous vêtir, et l'autre à acheter un peu de grain. De cela il ne nous reste que quatre mille livres à payer ; encore la personne à qui nous les devons nous donne le fonds après sa mort, s'en réservant l'usufruit pendant sa vie. Enfin il y a vingt-quatre mille livres de pure Providence 1. »

Cette merveilleuse intervention du Ciel avait été prédite et annoncée d'avance à une personne de grande vertu, comme on peut le voir par les écrits de notre Mère. « J'ai su, écrit-elle, par la communication que j'ai eue avec une personne fort chérie de Dieu 2, et qui reçoit de sa bonté des grâces bien particulières, que, quelque temps après  notre incendie, la sainte Vierge lui révéla et l'assura que c'était Elle qui réparerait les ruines de notre maison, et qu'Elle en aurait soin 1 . »

Notre Mère de l'Incarnation n'apprit cette révélation si consolante que deux ans après l'incendie, c'est-à-dire lorsque la reconstruction du monastère fut entièrement achevée. Mais elle n'en fut pas étonnée. Heureuse épouse de Jésus, que Marie se plaisait à conduire ainsi elle-même, comme par la main, et à assister dans ses travaux entrepris pour la gloire de l'auguste Trinité de la terre, Jésus, Marie, Joseph !

Toutefois là ne se borna pas l'effet de la protection de la Mère de Dieu en cette circonstance. Depuis l'entière défaite et la dispersion de la nation huronne, dont les débris s'étaient réfugiés à Québec, l'ennemi rodait sans cesse autour des terrains occupés par la colonie française. Il apparaissait en masses nombreuses, tantôt à Montréal, tantôt aux Trois-Rivières, quelquefois même plus près encore du centre de la colonie. En 1652, le gouverneur des Trois-Rivières, M. du Plessis, qui s'était avancé un peu témérairement au delà des petits forts destinés à protéger le village, était tombé dans une embuscade, et avait été massacré par les Iroquois avec vingt-deux hommes de sa suite.

Ces sauvages furent tellement enivrés de ce succès…
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1 Claude Martin, addition, ch. XVIII, p. 591. — 2 Nous ne pensons pas nous tromper en disant que cette personne était la vénérée Mère Catherine de Longpré de Saint-Augustin, de l'hôtel-Dieu de cette ville. —  1 Les Ursulines de Québec, t. Ier, p. 205, 206.

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Message  Louis Lun 23 Oct 2017, 7:41 am

Prise de possession du nouveau monastère.

(suite)

Ces sauvages furent tellement enivrés de ce succès qu'ils se crurent maîtres de toute la vallée du Saint-Laurent. Ils retournèrent en toute hâte dans leurs villages pour demander du secours, afin, disaient-ils, d'exterminer cette fois à tout jamais les Français et les sauvages qui étaient leurs alliés.

On les vit arriver, en effet, peu de temps après en nombre très considérable. Après avoir massacré le Père Buteux dans la mission des Ahimataks, ils mirent le siège devant Montréal, et s'avancèrent jusqu'au delà du village des Trois-Rivières, qui heureusement, grâce à la prévoyance d'un Père jésuite, fut en état de leur résister. Ils se répandirent même jusque dans la campagne aux environs de Québec, brûlèrent la plupart des moissons et s'emparèrent du Père Poncet, qui s'était imprudemment avancé trop loin des habitations françaises, pour secourir une pauvre femme gravement malade.

En apprenant ces nouvelles, la colonie se crut perdue. Le gouverneur était allé en France pour implorer auprès du roi et de ses ministres des secours longtemps promis, mais qui n'arrivaient jamais. La petite garnison de Québec ne pouvait opposer à cette terrible invasion que de très faibles moyens de défense.

C'est ici qu'éclate la merveilleuse intervention de la Providence. Québec, qui était en cette circonstance à la merci des Iroquois, ne fut point attaqué ; bien plus, ces sauvages demandèrent eux-mêmes la paix.

« Nous voyons sur nous, écrivait à cette occasion notre vénérée Mère, des protections de Dieu qui sont toutes miraculeuses. Il aveugle nos ennemis, pour les empêcher de voir leurs forces et notre faiblesse; car, s'ils voyaient les choses telles qu'elles sont, ils nous auraient bientôt tous égorgés, mais cette bonté infinie les retient de sa main toute-puissante, afin qu'ils ne nous nuisent point. On remarque trois ou quatre miracles de Dieu sur nous en tout ce qui s'est passé en ces dernières attaques ; je dis des miracles évidents, qui nous fortifient beaucoup et nous encouragent 1.  »

Cette paix conclue à ce moment avec les Iroquois dura trois ans…
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1 Lettres historiques. Lettre XLIX, p. 507.

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Message  Louis Mar 24 Oct 2017, 7:20 am

Prise de possession du nouveau monastère.

(suite)

Cette paix conclue à ce moment avec les Iroquois dura trois ans. On en profita pour essayer d'amener ces affreux sauvages à des sentiments moins inhumains, et même de les gagner à Dieu. Les révérends Pères jésuites, qui étaient vraiment les héros et les pères de la colonie naissante, allèrent souvent au milieu d'eux, les attirèrent à Québec, les comblèrent de présents, leur prodiguèrent en un mot toutes les marques possibles de tendresse, de dévouement et d'affection. Pour leur prouver la sincérité de leurs témoignages d'amitié, le R. P. le Moine voulut aller avec plusieurs d'entre eux jusqu'au centre de leur pays. Il y fut reçu avec des transports de joie. On lui offrit des festins à la manière des sauvages. Plusieurs de ces derniers lui demandèrent à être baptisés; et ceux qui avaient si horriblement torturé les RR. PP. de Brébeuf, G. Lallemand et Garnier, lui remirent des livres de prières qui avaient appartenu à ces glorieux martyrs et qu'ils leur avaient enlevés au moment de leur supplice.

A   Québec, on accueillait aussi avec toutes   les marques possibles de bienveillance et de charité les ambassadeurs de ces barbares. Les Ursulines n'étaient pas les dernières, on le pense bien, à recevoir leurs visites, et à leur prodiguer des témoignages de leur bonté. A des jours bien sombres paraissaient devoir succéder enfin des jours tranquilles et sereins. Le monastère était rebâti; l'avenir, naguère si menaçant, semblait assuré, et les petites sauvages algonquines, huronnes et autres, un moment éloignées par la crainte de l'arrivée des Iroquois, revenaient en foule auprès de leurs chères maîtresses.

« Nous avons de fort bonnes séminaristes, écrivait en 1654 notre vénérée Mère, que les ambassadeurs iroquois ont vues chaque fois qu'ils sont venus à Québec. Comme les sauvages aiment le chant, ils étaient ravis de les entendre si bien chanter à la française, et, pour marques de leur affection, ils leur rendaient la pareille par un autre chant à leur mode, mais qui n'était pas d'une mesure aussi réglée. Nous avons des Huronnes que les révérends Pères ont jugé à propos que nous élevassions à la française.

« Enfin la moisson va être grande, et j'estime qu'il nous faudra chercher des ouvriers. Aidez-moi à bénir la bonté de Dieu de ses grandes miséricordes sur nous, et de ce que non seulement il nous donne la paix, mais encore de ce que de nos plus grands ennemis il veut faire ses enfants, afin qu'ils partagent avec nous les biens d'un si bon Père 1.  »

« Maintenant que la paix est faite, dit-elle ailleurs…
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1 Lettres historiques. Lettre L, p. 513.

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Message  Louis Mer 25 Oct 2017, 8:20 am

Plusieurs nouvelles postulantes. —  Les élèves du nouveau monastère.

« Maintenant que la paix est faite, dit-elle ailleurs nous avons beaucoup d'emplois, de sorte que si quelqu'une de nous venait à manquer, il nous faudrait par nécessité faire venir des sœurs de France. Quand je vous dis que nous nous relevons peu à peu, ce n'est pas que nous ne manquions de beaucoup de choses; mais cela n'est rien en comparaison de l'extrémité où nous nous sommes vues. La divine Providence est une bonne mère, quand on s'appuie plus sur elle que sur les forces humaines, qui sont toujours faibles et inconstantes. Nous sommes chargées d'un grand nombre de filles sauvages en notre séminaire sur ce seul appui. L'on me fait quelquefois des questions à ce sujet, et on me demande si j'ai fondation pour cela : je réponds que nous avons celle de la Providence. En effet. je m'y sens très forte, et elle ne m'a encore jamais manqué 1.   »

L'année 1655 fut remarquable par le nombre de sauvages qui vinrent à Québec, et qui amenaient leurs enfants au monastère pour les faire instruire. En deux mois seulement on en compta une vingtaine.

L'examen des séminaristes huronnes et algonquines en présence des ambassadeurs iroquois fît surtout grand bruit. Ces sauvages ne pouvaient se lasser d'admirer la bonté maternelle des Ursulines à l'égard de leurs jeunes élèves. Pendant le séjour qu'ils firent à Québec, ils vinrent, comme nous l'avons dit, plusieurs fois au monastère, où on s'efforçait chaque fois de les régaler selon leurs goûts. Un jour, on leur présenta une petite Huronne de dix à onze ans qui savait lire, écrire et chanter en trois langues, en latin, en français et en huron.

« Après qu'elle eut fait le catéchisme à ses compagnes en leur présence, raconte notre Mère, elle alla faire une petite harangue au chef de la troupe pour lui témoigner le plaisir que lui causait la paix, la joie qu'elle avait de ce qu'il emmenait des Pères jésuites, et elle termina en le priant d'envoyer en notre séminaire des filles iroquoises pour y être instruites, l'assurant qu'elle les regarderait comme ses sœurs. Le chef agréa sa proposition, reçut un présent qu'elle lui fit, et il admira beaucoup l'esprit et l'adresse de cette jeune fille. Elle en fit autant à la capitainesse 1, qui lui a fait des caresses tout à fait extraordinaires. Le R. P. Chaumonot, après en avoir catéchisé trois durant quelque temps, en a baptisé deux dans notre chapelle. Ce sont les prémices du christianisme parmi les Iroquois. Je vous laisse à juger si nous avons chanté de bon cœur le Te Deum; nous l'avons fait les larmes aux yeux et la joie dans l'âme, en voyant ceux qui détruisaient naguère le christianisme l'embrasser de si bon cœur 2. »

A leur retour à Montréal, où ils avaient laissé une troupe nombreuse de leurs compatriotes, ces Iroquois racontèrent le bon accueil qu'on leur avait fait à Québec, ce qui ravit tellement les autres, qu'ils firent exprès ce voyage de soixante lieues, pour voir de leurs propres yeux les choses admirables qu'on leur avait racontées. Toutes les femmes iroquoises furent admises dans le monastère, où les religieuses leur « firent festin », et les comblèrent de ces petits présents 1 tant estimés des sauvages.

Le R. P. Chaumonot, leur missionnaire, qui les avait amenés à Québec, les reconduisit ensuite au pays des Cinq-Cantons. Il écrivit en chemin à la Mère de l'Incarnation une lettre intéressante, qui se trouve dans la relation de 1655…
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1 Lettres spirituelles. Lettre LXXVII, p. 182. — 1 Les capitainesses étaient des femmes de qualité parmi les sauvages; elles avaient voix délibérative dans les conseils et en tiraient des conclusions comme les hommes. Ce furent elles qui déléguèrent les premiers ambassadeurs pour traiter de la paix. — 2 Lettres historiques. Lettre LII, p. 520. — 1 Images, ciseaux, canifs, petits miroirs, etc.

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Message  Louis Jeu 26 Oct 2017, 7:02 am

Plusieurs nouvelles postulantes. —  Les élèves du nouveau monastère.

(SUITE)


Le R. P. Chaumonot, leur missionnaire, qui les avait amenés à Québec, les reconduisit ensuite au pays des Cinq-Cantons. Il écrivit en chemin à la Mère de l'Incarnation une lettre intéressante, qui se trouve dans la relation de 1655.

« Montréal, 4 octobre 1655.

«  Ma révérende Mère,

« Demain, s'il plaît à Dieu, nous quitterons de vue les dernières habitations de nos amis pour aller vers celles de nos ennemis. La femme de notre capitaine iroquois se fait instruire sur les chemins avec six autres, tant hommes que femmes, outre nos chrétiens hurons et nos deux autres Iroquois de Tsonnonthouast, qui est la nation la plus éloignée de nous et la plus peuplée. Ce sont en tout dix-huit personnes priant Dieu soir et matin. Je vous recommande cette petite Église voyageant avec ses pasteurs. Notre capitainesse  m'a prié de vous écrire qu'elle tiendra parole et qu'elle vous enverra, non sa fille, qui est trop petite, mais une de ses sœurs, qui est de l'âge de Marie, votre petite Huronne. Cette capitainesse ayant laissé à Montréal une de ses parentes, lorsqu'elle est descendue à Québec, l'a été voir aussitôt que nous fûmes arrivés et nous l'a amenée pour la faire prier Dieu. En ma présence, elle l'a instruite sur les mystères que nous lui avions enseignés. Plaise à Dieu qu'elle fasse de même lorsqu'elle sera arrivée en son pays et qu'elle gagne ainsi à Dieu tous ses autres parents ! Elle m'a prié de vous écrire qu'elle ne fâchera plus « Celui qui a tout fait », et que c'est du fond de son cœur qu'elle veut se faire chrétienne. Elle salue sa fille adoptive Marie, ainsi que toutes les Mères. Et moi je demande qu'elles prient pour son entière conversion 1. »

En l'année 1656, il y eut une telle affluence de séminaristes sauvages, que la maison ne se trouva pas assez grande pour les loger. « C'est une vérité publique que depuis notre rétablissement après l'incendie, écrivait la vénérée Mère, le séminaire sauvage est sensiblement augmenté. Le nombre de nos filles s'est tellement accru et nous avons été si surchargées, que j'ai été contrainte, à mon grand regret, d'en refuser plusieurs, qui s'en allèrent les larmes aux yeux, tandis que je pleurais dans le cœur 2. Je vous assure que sans un miracle nous ne pourrions subsister. Cela est vu et connu de tout le monde ; il est encore plus vu et connu de Dieu. Il nous assistera par les voies qu'il plaira à sa providence d'ordonner.  »

Cependant le travail de nos vaillantes Ursulines devait s’accroître encore. « Ce fut en cette année 1656, aussi bien que dans les précédentes et encore dans les suivantes, dit le Récit, que les Hurons étant tous rassemblés dans un fort qu'on leur avait fait bâtir dans la ville entre la cathédrale et le château Saint-Louis, pour les garantir des incursions des Iroquois, leurs filles, au nombre de soixante-dix à quatre-vingts , venaient tous les jours en classe comme nos élèves externes. Après leur avoir fait dire leurs prières, chanter des cantiques, répéter le catéchisme et fait l'instruction ou l'explication de la doctrine chrétienne, on leur distribuait à manger de la sagamité. Chacune apportait son « ouragan 1 » et sa cuiller, et ces enfants après avoir rendu grâces à Dieu, s'en retournaient en leurs cabanes, emportant à leurs parents les restes de leurs repas.   »

Nos lecteurs ne se demandent-ils pas ici si les ressources des Ursulines avaient augmenté…
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1 Les Ursulines de Québec, t. Ier, p. 209, 210. —  2 Les religieuses instruisaient dans les parloirs ces pauvres enfants qu'elles se trouvaient ainsi clans l'impossibilité de recevoir. —  1 Espèce d'assiette faite d'écorce de bouleau.

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Message  Louis Ven 27 Oct 2017, 6:30 am

Plusieurs nouvelles postulantes. —  Les élèves du nouveau monastère.

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Nos lecteurs ne se demandent-ils pas ici si les ressources des Ursulines avaient augmenté, pour suffire à ce surcroît de dépense, après les pertes excessives qu'elles avaient subies? La compagnie de la Nouvelle-France ou des Cent-Associés 2 avait fait à la vérité des concessions de terre assez considérables, mais le gouvernement français avait rarement alloué annuellement plus de 300 lbs en argent. Les sommes reçues des communautés et personnes pieuses de France, de 1652 à 1672, s'élevaient tout au plus à 19,520 lbs, c'est-à-dire en moyenne, mille livres par année. On recevait aussi différents effets en aumônes ; mais qu'était-ce que tout cela en face des besoins incessants de la communauté, surtout si l'on considère que ces aumônes devaient s'étendre non seulement aux sauvages, mais aux filles françaises des familles pauvres (et presque toutes l'étaient plus ou moins à cette époque), auxquelles on tenait à inculquer au moins les principes des vertus chrétiennes , « et qui coûtaient sans comparaison plus à nourrir et à entretenir que les sauvages, » disait la vénérée Mère 1.

La Providence continua sans doute la merveille que les religieuses avaient remarquée, pour la première fois, à l'époque de la dispersion de la nation huronne, lorsque ces malheureux étaient par centaines à la charge des trois communautés de Québec, c'est-à-dire que le pain se multipliait entre les mains de la vénérée Mère Marie de l'Incarnation à mesure qu'elle le distribuait. « Elle s'en apercevait bien elle-même, ajoute dom Claude Martin d'après le témoignage des religieuses, aussi disait-elle parfois en coupant ce pain : « Je pense que Dieu le fait multiplier en faveur de ces pauvres gens, et pour les tirer de la nécessité. » Mais les religieuses, qui connaissaient les admirables vertus de leur sainte Mère et sa puissance sur le cœur de son divin Époux, constataient sans un trop grand étonnement cette ravissante merveille.

Dans les beaux temps, c'était sous des toits d'écorce, dans le voisinage du vieux frêne, qui se voit encore, dit-on, que se faisait cette classe spéciale des petites filles huronnes. Ces enfants donnèrent d'abord beaucoup de consolation; malheureusement la passion des boissons enivrantes commençait déjà à faire de nombreux ravages dans leurs tribus. et bientôt elles ne se ressentirent que trop des vices de leurs parents. Les religieuses leur ayant représenté les suites de leur mauvaise conduite, toutes les coupables disparurent. « Le naturel des sauvages est comme cela, dit la vénérée Mère : ils font comme ils voient faire aux autres, en matière de mœurs, à moins qu'ils ne soient bien affermis dans la morale chrétienne. » Les marques sensibles de la colère de Dieu, dans les épouvantables calamités des années qui suivirent, ramenèrent ces pauvres gens à la raison et aux pratiques de la foi. Mais, à part cette défection momentanée parmi les filles sauvages externes, qui se trouvaient sous le contrôle immédiat de leurs parents, nos Ursulines n'avaient qu'à se féliciter de leurs élèves.

« Nos séminaristes sédentaires nous donnent tous…
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2 La compagnie des Cent-Associés, qui avait le droit de distribuer les terres du pays en fiefs et seigneuries, administra  les affaires de la colonie de 1627 à 1663, époque où le roi établit un gouvernement sous un contrôle direct. —  1 Les Ursulines de Québec, livre II, ch.I er.

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Message  Louis Sam 28 Oct 2017, 7:08 am

Plusieurs nouvelles postulantes. —  Les élèves du nouveau monastère.

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« Nos séminaristes sédentaires nous donnent tousles contentements possibles, écrivait notre vénérable Mère. L'une d'elles me disait il y a quelque temps : « Je parle souvent à Dieu dans mon cœur, je prends grand plaisir à nommer Jésus et Marie. Ah ! que ce sont de beaux noms! »

« Un jour plusieurs d'entre elles se demandaient les unes aux autres quelle était la chose pour laquelle elles pensaient avoir le plus d'obligation à Dieu.

« L'une dit : «. C'est parce qu'il s'est fait homme pour moi et qu'il a enduré la « mort pour me délivrer de l'enfer: »

« l'autre ajoute: « C'est de ce qu'il m'a faite chrétienne, et de ce qu'il m'a mise par le baptême au nombre de ses enfants. »

« Une petite fille qui n'a pas plus de neuf ans et qui a fait sa première communion depuis un an et demi, haussa la voix et dit: « C'est de ce que Jésus se donne à nous en viande au saint Sacrement de l'autel 1 ! »

Les dimensions de cette histoire ne nous permettent pas de citer davantage. Mais que n'aurions-nous pas à dire encore sur les élèves sauvages du monastère de Québec, aux premiers temps de sa fondation! Notre vénérable Mère ne tarissait pas sur le compte de ces chères enfants, objet de sa maternelle prédilection. Sa correspondance est toute pleine des témoignages de sa tendresse à leur égard.

Mais sortons un instant du monastère…
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1 Les Ursulines de Québec,t. Ier, p. 213, 214.

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Message  Louis Dim 29 Oct 2017, 6:13 am

Plusieurs nouvelles postulantes. —  Les élèves du nouveau monastère.

(suite)


Mais sortons un instant du monastère, et voyons un exemple des fruits que portaient au loin les travaux des Ursulines. Ce trait est tiré des relations et se rattache à un épisode des cruelles guerres iroquoises en 1663.

« Deux Français avaient été pris par ces barbares aux environs du fort Richelieu. Emmenés aux Cinq-Cantons, ils furent couverts de plaies affreuses et ils allaient être mis a mort quand, sur l'avis de Garakontié, l'ami des Français, on leur donna un guide pour les ramener en leur pays. Mais ce guide les abandonna au milieu de ces terres inconnues. Exténués et à demi morts, ils invoquent la sainte Vierge, et trouvent assez de force pour se traîner jusqu'à l'entrée d'un village d'Onneyouths. Que faire ? Allaient-ils se livrer à la merci de leurs plus cruels ennemis ? Ils invoquent de nouveau la sainte Vierge et se sentent inspirés d'aller se réfugier dans une cabane qui se trouvait à l'écart. Ô Providence ! une jeune femme vient à leur rencontre, les accueille avec toute la charité possible, leur parlant très bien français et les rassurant sur leur sort. Elle prépare du feu, leur présente à manger; puis elle panse leurs plaies, et va même chercher des racines pour en faire un appareil qu'elle applique sur leurs plus dangereuses blessures.

« Ces malheureux ne doutent plus que ce ne soit un ange du ciel envoyé par leur céleste libératrice, et ils demandent à cette charitable femme qui elle est : « Je suis, dit-elle, la pauvre Marguerite Hatenhoutona, bien connue des robes noires, de qui j'ai reçu le baptême, et des saintes filles les Mères Ursulines de Québec, chez lesquelles j'ai été élevée. J'en ai reçu de si bonnes instructions que, nonobstant ma malheureuse captivité, je ne quitterai jamais la foi dont elles m'ont enseigné les principes avec une éducation de plusieurs années. Il est bien juste que je vous rende en partie la charité dont elles m'ont comblée quand j'étais avec elles. Elles m'ont appris a parler français ; n'est-il pas raisonnable que je vous console maintenant dans cette même langue, et que j'aie pour vous de la bonté comme elles en ont eu envers moi ? Le peu que je fais pour vous n'est rien en comparaison de ce qu'elles ont fait pour moi. »

Et cette bonne Marguerite entrait de la manière la plus touchante dans les petits détails du soin qu'on avait pris d'elle aux Ursulines, ajoutant qu'elle s'employait de grand cœur à panser leurs plaies à l'exemple des autres saintes filles, qu'elle avait vues servir les malades avec tant de charité, entendant par là les religieuses hospitalières 1.  »

La jeune femme n'eut pas la consolation d'assister longtemps ses hôtes. Des traîtres la dénoncèrent, et les deux Français se virent encore à deux doigts de la mort. Cependant la sainte Vierge ne les abandonna pas, et, malgré bien des contre-temps, ils arrivèrent enfin dans leur pays, où ils rendirent un beau témoignage des fruits que portait au loin l'éducation donnée par nos ferventes Ursulines à leurs chères séminaristes.

Répondant au désir maintes fois manifesté par…
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1 Les Ursulines de Québec,t. Ier, p. 216, 217.

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