Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.

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Message  Louis Lun 30 Oct 2017, 6:31 am

Arrivée d'une religieuse française.

Répondant au désir maintes fois manifesté par la Mère de l'Incarnation de recevoir encore de la mère patrie quelque nouvelle religieuse capable de coopérer à l'œuvre apostolique du Canada, le R. P. J. Lallemand, qui était allé en France, s'était préoccupé de trouver parmi les Ursulines françaises une nouvelle élue du Seigneur. Il la trouva très heureusement en la personne d'une fervente religieuse de la maison de Magny, appelée Mère Marie de Villiers de Saint-André. Cette religieuse arriva à Québec, à la grande joie de sa nouvelle famille adoptive, le 29 juin 1657, amenant avec elle une excellente personne séculière appelée Antoinette Mékinon, spécialement choisie par les Ursulines de Dieppe pour la maison du Canada. Cette dernière devint sœur converse sous le nom de sœur Sainte-Marthe, et fit profession le jour même de l'arrivée à Québec de Mgr de Montmorency-Laval, dont nous parlerons bientôt.

Mais, si la France fournissait presque chaque année son contingent de ferventes religieuses à la nouvelle communauté de Québec, le Canada ne demeurait pas infécond en belles vocations religieuses. Ces beaux lis, que la main du divin Époux cultive avec tant de soin, et dont il est si jaloux, croissaient déjà en abondance au sein de la nouvelle Église.

Dès l'année 1652, au moment même de l'inauguration du nouveau monastère, on avait vu une douce jeune fille…

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Message  Louis Mar 31 Oct 2017, 7:16 am

M. Bourdon et sa famille.

Dès l'année 1652, au moment même de l'inauguration du nouveau monastère, on avait vu une douce jeune fille, dont les parents résidaient depuis déjà longtemps au Canada, venir frapper à la porte du couvent, sollicitant avec instance la faveur d'y être admise en qualité de postulante. C'était Mlle Geneviève Bourdon, fille de M. Bourdon, procureur du roi à Québec, un des plus vaillants chrétiens de la colonie.

La jeune prétendante n'avait pas encore quatorze ans. « Mais elle plaida si bien sa cause, disent les mémoires des Ursulines de Québec, qu'il fallut bien lui permettre de se ranger parmi les courageuses filles de Sainte-Ursule, sous les soins maternels et les saintes leçons de la vénérable Mère Marie de l'Incarnation. » Elle fit profession deux ans après, le 25 novembre 1654.

Son noble exemple, comme autrefois celui de saint Bernard, entraîna peu de temps après vers la vie religieuse ses trois plus jeunes sœurs, Marie, Marguerite, Anne, et plusieurs de ses amies. Marie entra à l'Hôtel-Dieu en 1652 et y fit profession sous le nom de Thérèse de Jésus. Elle y mourut en 1660, âgée seulement de vingt ans. Marguerite entra aussi chez les Hospitalières en 1657. Elle devint une des fondatrices de l'hôpital général, où elle mourut en 1706, à l'âge de soixante-quatre ans.

Quant à la plus jeune de toutes, Anne, elle était destinée à s'enrôler, elle aussi, à l'exemple de sa sœur aînée, sous la virginale bannière de Sainte-Angèle et à devenir plus tard une des supérieures les plus remarquables de la maison de Québec. Ce n'était encore qu'une petite enfant de huit ans, lorsque sa sœur Geneviève entra au couvent; mais sa vocation paraissait dès lors déjà fixée.

« On la voyait parfois, racontent les mémoires, quitter les jeux de son enfance, et, courant se jeter dans les bras de son père, lui dire avec une ingénuité charmante : « Papa, voulez-vous que je sois religieuse ? Je veux aller vivre au couvent avec ma sœur Geneviève.

— Oui, ma fille, répondait ce bon père, quand vous serez assez grande.

— Alors, papa, ajoutait l'enfant, j'instruirai les petites filles sauvages. Oh ! quand serai-je assez grande pour aller instruire les petites filles sauvages !   »

M. Bourdon, le père de cette aimable enfant…

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Message  Louis Mer 01 Nov 2017, 7:55 am

M. Bourdon et sa famille.

SUITE

M. Bourdon, le père de cette aimable enfant, était un chrétien admirable, qui ne connaissait et n'aimait que le devoir. On nous permettra de donner ici quelques détails sur son intérieur de famille qui serviront à faire connaître les mœurs et les habitudes patriarcales des premiers habitants de la colonie canadienne.

Devenu veuf peu de temps après son arrivée à Québec, il s'était vu chargé seul du soin et de l'éducation de sept enfants, tous encore en bas âge. Mais la Providence vint heureusement à son secours, en lui faisant faire la connaissance d'une dame de haute piété et de grande qualité, qui ne tarda pas à remplacer auprès de lui l'épouse que la mort lui avait prématurément ravie. Elle était veuve elle aussi, et avait eu pour époux, avant son arrivée au Canada, Jean Clément du Wault, seigneur de Monceaux, chevalier de Saint-Louis et colonel d'un régiment de chevaux-légers. Dégoûtée du beau monde de Paris et voulant se rapprocher de sa fille, mariée à M. d'Auteuil, et déjà établie à Québec, elle était venue se fixer au Canada dans le cours de l'année 1649. Elle avait d'abord établi sa résidence chez M. d'Auteuil, à Sillery; mais bientôt la renommée de ses bonnes œuvres la fit connaître à M. Bourdon, qui désira fort la voir à la tête de sa propre famille. Laissons à notre vénérée Mère le soin de nous raconter certains autres détails de ce touchant épisode de la vie intime de ce pieux chrétien.

« Cette dame, dit-elle, est un exemple de piété et de charité dans tout le pays. Elle et Mme d'Ailleboust sont liées ensemble pour visiter les prisonniers, assister les criminels et les porter même en terre sur un brancard. Celle dont je vous parle, comme la plus agissante et la plus dévouée, est continuellement occupée à ses bonnes œuvres, et à quêter pour les pauvres, ce qu'elle fait avec succès. Enfin elle est la mère des misérables et l'exemple de toutes sortes de bonnes œuvres. Avant de passer en Canada où elle n'est venue que par un principe de piété et de dévotion, elle était veuve de M. de Monceaux, gentilhomme de qualité.

« Quelque temps après son arrivée M. Bourdon demeura veuf avec sept enfants, dont aucun n'était capable d'avoir soin de soi-même ni de son père. Elle eut un puissant mouvement d'assister cette famille, et, pour cet effet, elle résolut d'épouser M. Bourdon, dont la vertu lui était assez connue, mais à condition qu'ils vivraient ensemble comme frère et sœur ; cela s'est fait, et la condition a été exactement observée. Elle se ravala de condition pour faire ce coup de charité, qui fut jugé en France, où elle était fort connue, tant à Paris qu'à la campagne, comme une action de légèreté, eu égard à la vie qu'on lui avait vu mener. Mais l'on a bien changé de pensée, quand on a appris tout le bien qui a résulté de cette action généreuse, car elle a élevé tous les enfants de M. Bourdon avec une débonnaireté non pareille 1. »

Telle était la noble chrétienne que la petite Anne vit venir, vers l'époque de sa première communion…
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1 Les Ursulines de Québec,t. Ier, p. 225, 226.

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Message  Louis Jeu 02 Nov 2017, 6:39 am

Autres postulantes et novices.

Telle était la noble chrétienne que la petite Anne vit venir, vers l'époque de sa première communion, prendre auprès d'elle la place de la mère qu'elle avait à peine connue. Les leçons de piété qu'elle en reçut contribuèrent beaucoup à l'affermir dans sa sainte résolution de se consacrer à Dieu. Aussi, dans le courant de l'année 1658, fut-elle admise au monastère des Ursulines en qualité de postulante. Elle y fut bientôt rejointe par une de ses amies, Mlle Marie Boutet de Saint-Martin, née et baptisée à Saintes sur la Charente. Les deux amies prirent le saint habit à peu près en même temps: l'une, Mlle Anne Bourdon, le 9 janvier 1659; l'autre, Mlle Marie Boutet de Saint-Martin, le 22 janvier suivant. La première ajouta à son nom celui de Sainte-Agnès; la seconde, celui de Saint-Augustin. Toutes les deux firent profession le même jour entre les mains de Mgr de Montmorency-Laval, le 30 septembre 1660.

Quelques mois après leur prise d'habit, le 26 juillet 1659, entra encore au noviciat Mlle Jeanne Godefroy, « fille du noble homme Jean Godefroy, écuyer, sieur de Linctol, dit un vieux récit, et de Mlle Marie le Neuf de la Potherie, qui naquit en la ville des Trois-Rivières et fut baptisée en l'église de la Conception, paroisse de ladite ville. » Entrée au noviciat le jour de sainte Anne, elle prit le saint habit le 9 octobre suivant (1659), « et Mgr de Laval lui lit l'honneur de faire la cérémonie et le sermon.   »

La petite communauté des Ursulines de Québec se composait de quatorze religieuses ou novices, lorsque ce saint évêque vint réjouir et consoler par sa présence le cœur de la vaillante Église du Canada.

Il était bien temps que ce vénéré prélat vînt rétablir l'ordre au sein de l'Église de Québec…

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Message  Louis Ven 03 Nov 2017, 6:51 am

Arrivée de Mgr François de Montmorency-Laval, évêque de Pétrée.

Il était bien temps que ce vénéré prélat vînt rétablir l'ordre au sein de l'Église de Québec. On sait que les révérends Pères jésuites avaient été chargés du gouvernement spirituel de la Nouvelle-France, dès leur arrivée au Canada. Le Père J. Lallemand avait même été nommé à cet effet grand vicaire de Mgr l'archevêque de Rouen, dont la juridiction n'avait pas cessé de s'étendre sur le pays. Mais, vers la fin de l'année 1657, était arrivé un certain abbé de Queylus, grand vicaire de ce même archevêque de Rouen, avec mission de sa part de gouverner l'Église du Canada, et tout particulièrement investi du titre de supérieur de la communauté des Ursulines. C'était, sans doute, un de ces ecclésiastiques, comme il y en avait alors beaucoup, imbu des idées jansénistes et spécialement ennemi des Jésuites. Durant son séjour à Québec, il ne cessa de les vexer de toutes façons.

Quant aux Ursulines, il les « desservit beaucoup », selon l'expression d'un vieux récit du temps, en éloignant M. Vignal, dont nous avons déjà parlé, homme de zèle et de grand dévouement, qui était leur confesseur et aumônier. Ce saint prêtre se retira à Montréal où il mourut, après son retour d'un voyage qu'il fit en France, victime de son zèle à confesser la foi chrétienne parmi les sauvages.

Heureusement cette épreuve fut courte; car, en 1658…

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Message  Louis Sam 04 Nov 2017, 7:02 am


Arrivée de Mgr François de Montmorency-Laval, évêque de Pétrée.

SUITE

Heureusement cette épreuve fut courte; car, en 1658, Mgr François  de Montmorency-Laval 1, nommé par le saint-siège vicaire apostolique de la Nouvelle-France, avec le titre d'évêque in partibus de Pétrée, s'empressa de rendre au R. P. J. Lallemand le titre et les fonctions de supérieur des Ursulines. Ce fut le 16 juin 1659 que ce vénéré prélat fît son entrée solennelle dans la ville de Québec, qui devait devenir bientôt sa ville épiscopale. Écoutons encore la Mère Marie de l'Incarnation.

« L'arrivée de Mgr de Laval, écrivait-elle à son fils en 1659…
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1 Mgr François de Montmorency-Laval, souvent désigné sous le litre d'abbé de Montigny, était né dans le diocèse de Chartres, le 30 avril 1623. Son père, Hugues de Laval-Montmorency, seigneur de Montigny et de Monbaudri, s'était marié le 1er octobre 1617 avec Michelle Péricard, et en avait eu six enfants, dont les deux premiers moururent en bas âge et les deux derniers se firent religieux.

Mgr de Laval, qui était le troisième, devint l'aîné de la famille par la mort de ses deux frères nés avant lui: mais il céda volontairement tous ses droits à son frère cadet, par une renonciation expresse, quand il embrassa l'état ecclésiastique. Ce ne fut pas sans peine que le saint-siège parvint à envoyer à Québec Mgr de Laval en qualité de délégué apostolique. L'archevêque de Rouen et le parlement firent la plus vive opposition à cette délégation. Le futur évêque de Québec fut sacré par le nonce du pape dans l'église de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, le 8 décembre 1658, après être demeuré quatre ans dans l'ermitage de M. de Bernières, pour se préparer à recevoir la dignité et le fardeau de l'épiscopat. (Mémoires sur la vie de M. de Laval, premier évêque de Québec. Cologne, 1761.)

Sur la question de savoir comment la maison de Laval se rattachait à celle des Montmorency, voici ce qu'on trouve dans l'Histoire généalogique de la maison royale de France, des pairs, des grands officiers, etc., par le P. Anselme, t. III, ch. ]XXXVI, p. 626 et suiv. :

« La maison de Laval commence à Gui de Montmorency dit de Laval, sixième du nom, chevalier, seigneur de Laval, de Gaigné, Aronville, Attiche. etc., fils puîné de Matthieu de Montmorency, second du nom, et de dame de Laval, sa seconde femme. Il succéda à sa mère dans la seigneurie de Laval, dont il prit le nom et le transmit à sa branche. Il mourut en 1267. »

La maison de Montmorency-Laval, qui commence donc au XIIIe siècle, s'est divisée en plusieurs branches, dont une était celle de Montigny, à laquelle appartenait l'illustre évêque de Québec. Cette branche s'est éteinte en 1720 en la personne du marquis de Laval, capitaine de dragons, qui mourut sans enfants.

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Message  Louis Dim 05 Nov 2017, 5:27 am

Son éloge par la Mère Marie de l'Incarnation.

« L'arrivée de Mgr de Laval, écrivait-elle à son fils en 1659, a été une agréable surprise de toutes manières; car, outre l'avantage qui revient à tout le pays d'avoir un supérieur ecclésiastique, c'est un bonheur d'avoir un homme dont les qualités personnelles sont si rares. Sans parler de sa naissance, qui est fort illustre, car il sort de la maison de Montmorency, c'est un homme d'un mérite et d'une vertu singulière. J'ai bien compris ce que vous avez voulu dire de son élection; mais que l'on dise ce que l'on voudra, ce ne sont pas les hommes qui l'ont choisi. Je vous dis avec vérité qu'il vit saintement et en apôtre. Il ne sait ce que c'est que respect humain. Je vous ai dit qu'on n'attendait pas d'évêque cette année ; aussi n'a-t-il rien trouvé de prêt pour le recevoir quand il est arrivé. Nous lui avons prêté notre séminaire, qui est à un des coins de notre clôture et tout proche de la paroisse.

« II y aura la commodité et l'agrément d'un beau jardin, et afin que lui et nous soyons logés selon les saints canons, il a fait faire une clôture de séparation. Nous en serons incommodées, parce qu'il nous faut loger nos séminaristes dans nos appartements; mais le sujet le mérite, et nous porterons avec plaisir cette incommodité, jusqu'à ce que la maison épiscopale soit bâtie 1. »

Ailleurs elle dit encore : « Le dernier vaisseau s'est trouvé infecté de fièvres malignes et contagieuses. Il est arrivé en septembre 1660. Il portait deux cents personnes, qui ont presque toutes été malades. Il en est mort huit sur mer et d'autres sur terre. Presque tout le pays en a été infecté et l'hôpital est rempli de malades. Mgr de Laval y est continuellement pour les servir et faire leurs lits. On fait tout ce que l'on peut pour l'en empêcher et conserver sa personne, mais il n'y a point d'éloquence qui le puisse détourner de ces actes d'humilité 2.

« C'est un autre saint Thomas de Villeneuve, pour la charité et l'humilité, car il se donnerait lui-même pour cela. Il ne se réserve pour sa nécessité que le pire. Il est infatigable au travail ; c'est bien l'homme du monde le plus austère et le plus détaché des biens de cette vie. Il donne tout, et vit en pauvre, et l'on peut dire avec vérité qu'il a l'esprit de pauvreté. Ce ne sera pas lui qui se fera des amis pour s'avancer et pour accroître son revenu, il est mort à tout cela. Peut-être (sans faire tort à sa conduite) que s'il ne l'était pas tant, tout en irait mieux, car on ne peut rien faire ici sans le secours du temporel: mais je me puis tromper, chacun a sa voie pour aller à Dieu. Il pratique cette pauvreté en sa maison, en son vivre, en ses meubles, en ses domestiques; car il n'a qu'un jardinier, qu'il prête aux pauvres gens quand ils en ont besoin, et un homme de chambre qui a servi M. de Bernières. Il ne veut qu'une maison d'emprunt, disant que, quand il ne faudrait que cinq sols pour lui en faire une, il ne les voudrait pas donner. En ce qui regarde néanmoins la dignité et l'autorité de sa charge, il n'omet aucune circonstance. Il veut que tout se fasse avec la majesté convenable à l'église, autant que le pays le peut permettre. Les Pères lui rendent toutes les assistances possibles ; mais il ne laisse pas de demander des prêtres en France, afin de s'appliquer avec plus d'assiduité aux charges et aux fonctions ecclésiastiques 1. »

De son côté, le R. P. Lallemand a rendu à cet illustre prélat ce précieux témoignage :
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1 Lettres historiques. Lettre LVII, p. 541. —  2 Id. ibid. p. 544.1 Lettres spirituelles. Lettre XC, p. 203, 204.

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Message  Louis Lun 06 Nov 2017, 6:50 am

Son éloge par la Mère Marie de l'Incarnation.

SUITE

De son côté, le R. P. Lallemand a rendu à cet illustre prélat ce précieux témoignage :

« Nous ne pouvons douter que Dieu n'ait de hauts desseins sur ces terres pour en tirer sa gloire, puisqu'il a relevé nos espérances par le don qu'il nous fait d'un prélat après lequel cette Église naissante soupirait depuis longtemps. Il fut reçu comme un ange consolateur envoyé du ciel et comme un bon pasteur, qui vient ramasser les restes du sang de Jésus-Christ, avec un généreux dessein de ne pas épargner le sien et de tenter toutes les voies possibles pour la conversion des pauvres sauvages. Dieu lui a bientôt fait naître les occasions de leur faire connaître son amour; car, le jour même de son arrivée, un enfant huron étant venu au monde, il eut la bonté de le tenir sur les fonts du baptême. Vers le même temps, un jeune homme aussi huron, malade à l'extrémité, devant recevoir les derniers sacrements, il voulut s'y trouver et lui consacrer ses premiers soins et ses premiers travaux, donnant un bel exemple à nos sauvages, qui le virent avec admiration prosterné près d'un pauvre moribond qui sentait déjà le cadavre , et auquel il nettoyait de ses propres mains les endroits du corps où l'on devait passer les onctions sacrées 1. »

Le temps ne fit que confirmer cette haute idée que toute l'Eglise canadienne s'était faite du pontife que la Providence lui envoyait. La Mère Marie de l'Incarnation éprouva toujours pour ses rares vertus une admiration profonde qui se résume dans ce mot qui revient souvent sous sa plume, et qui se trouvait au fond de tous les cœurs et sur toutes les lèvres, quand on parlait au Canada de Mgr de Montmorency-Laval : C'est un saint.2 .

On raconte qu'il disait presque tous les jours la sainte messe dans la chapelle des Ursulines. et nous l'y voyons le 16 octobre 1659, c'est-à-dire à peu près quatre mois après son arrivée, présider la cérémonie de vêture de Mlle Jeanne Godefroy, dont nous avons déjà parlé. C'était la première fois que l'on voyait au Canada un évêque présider une cérémonie de ce genre. Aussi se fit-elle très solennellement. L'heureuse novice perpétua le souvenir des bontés de Mgr de Laval en prenant à sa vêture le nom de Louise de Saint-François, sous lequel elle fît ses vœux, le 1er août 1661.

Cependant le zèle même dont était animé cet illustre prélat…
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1 Les Ursulines de Québec,t. Ier, p. 221.2 La commission pour l'enquête épiscopale, préparatoire à la béatification et canonisation de Mgr de Laval, a commencé ses séances en octobre 1878; il s'agit, comme l'on sait, de prouver la réputation de sainteté dont il a joui dans la Nouvelle-France. Du haut du ciel la vénérable Mère doit voir avec joie se préparer la glorification de celui qu'elle a devancé dans ce pays et dans la récompense, et dont elle vénérait si hautement le caractère sacré et les éclatantes vertus.

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Message  Louis Mar 07 Nov 2017, 7:53 am

Sa première visite épiscopale au monastère.

Cependant le zèle même dont était animé cet illustre prélat occasionna bientôt à nos ferventes Ursulines quelques légères inquiétudes, qui heureusement furent promptement dissipées. Au mois d'avril de l'année suivante, le pieux évêque avait voulu faire sa première visite canonique et épiscopale du monastère. Les religieuses furent grandement consolées en le voyant s'occuper sitôt de leurs intérêts spirituels. Mais Mgr de Laval, examinant les constitutions telles qu'elles avaient été légèrement modifiées par le R. P. J. Lallemand, avec l'autorisation de Mgr l'archevêque de Rouen, en 1647, proposa d'y faire des changements notables.

La vénérable Mère, qui savait quels précieux avantages la communauté y avait trouvés jusque-là, en fut alarmée; « car, disait-elle, quand on est bien il faut s'y tenir, parce qu'on est assuré qu'on est bien; mais, en changeant, on ne sait si on sera bien ou mal 1. »

Ces constitutions avaient été dressées d'ailleurs avec un soin admirable, « et avec tant de déférence à nos sentiments, dit la vénérable Mère, qu'il n'y a chapitre que chaque sœur n'ait lu trois fois, et dont elle n'ait conféré avec le révérend Père, disant en toute liberté ses pensées et ses sentiments. Le chapitre était ensuite présenté à la communauté pour être reçu par les suffrages secrets, et il n'y en a pas un seul que toutes nos sœurs n'ait reçu. Il faut avouer qu'il ne se peut rien voir de mieux concerté ni de plus propre à notre dessein et institut en ce pays 2. »

Le digne prélat, qui avait donné une année à la communauté pour la discussion de cette affaire, changea lui-même de sentiment, et confirma ces constitutions telles qu'elles lui avaient été présentées. Elles furent observées jusqu'à l'adoption des constitutions de Paris, en 1681.

Mais de bien plus graves préoccupations allaient attirer l'attention du pieux et digne évêque et de toute la colonie.
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1 Les Ursulines de Québec,t. Ier, p. 235. —  2 Id. ibid.
A suivre : Chapitre XI. LE MONASTÈRE EN ÉTAT DE SIÈGE

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Message  Louis Mer 08 Nov 2017, 6:39 am

CHAPITRE XI

LE MONASTÈRE EN ÉTAT DE SIÈGE

Intrabunt lupi rapaces in vos, non parcentes gregi.

Des loups dévorants feront invasion chez vous, et n'épargneront pas le troupeau.

(Act., xx, 29.)

Alerte donnée à Québec.

La paix si péniblement conclue, en 1653, avec les farouches et féroces Iroquois, ne pouvait durer longtemps. Les Pères jésuites avaient beau déployer toutes les ardeurs de leur zèle, ils ne purent arriver à les dépouiller de sitôt de leurs instincts belliqueux et sanguinaires. Après trois ans d'assez grande tranquillité, on recommença à n'entendre parler que de nouveaux et cruels attentats consommés par ces sauvages. Ici, ils avaient arrêté des canots montés par des Français et des Hurons, qu'ils avaient impitoyablement massacrés; là, ils avaient brûlé les moissons après avoir quelquefois surpris les moissonneurs au milieu de leurs travaux et les avoir égorgés. Un jour, ils tombèrent à l'improviste sur quelques Hurons dans l'île d'Orléans, en aval de Québec, et les emmenèrent prisonniers, en quelque sorte sous les yeux de leurs compagnons et de la colonie française. Enfin chaque jour apportait de sinistres nouvelles sur les dispositions de ces tribus sauvages. Les Hurons, les Algonquins et les Français répondaient naturellement à leurs agressions par des représailles capables de leur inspirer des craintes; mais rien n'arrêtait leur fureur. Les vieilles forêts séculaires retentissaient au loin de leur strident cri de guerre. Les bords du grand fleuve et ceux des rivières étaient entièrement infestés par ces barbares. En un mot l'horizon devenait chaque jour de plus en plus menaçant.

Au printemps de l'année 1660, notre vénérée Mère écrivait : « Les Algonquins, qui sont très vaillants, ayant pris quelques prisonniers sur les Iroquois, en ont fait brûler quelques-uns, selon leur justice ordinaire, tant ici qu'aux Trois-Rivières. C'est la coutume des captifs, quand ils sont dans les tourments, de dire ce qu'ils savent. Il en fut brûlé un le mercredi de la Pentecôte qui, étant examiné par le R. P. Chaumonot, dit qu'il y avait une armée de huit cents hommes qui avaient leurs rendez-vous à la Roche-Percée, près de Montréal, où quatre cents autres les devaient venir joindre pour venir tous ensemble fondre sur Québec. Il ajoutait que leur dessein était d'enlever la tête à Onontio, qui est monsieur le gouverneur, afin que, le chef étant mort, ils pussent plus facilement mettre tout le pays à feu et à sang. Il dit qu'à l'heure qu'il parlait ils devaient être ou dans les îles Richelieu, ou à Montréal, ou aux Trois-Rivières, et qu'assurément un de ces lieux était assiégé. En effet, on a su depuis qu'ils étaient à Richelieu, attendant le temps et la commodité de nous perdre tous, à commencer par Québec. Je vous laisse à penser si cette nouvelle nous surprit. Ce même jour, le saint Sacrement était exposé dans notre église, où la procession de la paroisse vint pour continuer les dévotions qu'on avait commencées pour implorer le secours de Dieu, dès qu'on sut qu'il y avait des Iroquois en campagne. Mais la nouvelle de cette grosse armée qu'on estimait proche donna une telle appréhension à monseigneur notre évêque qu'il n'arrivât mal aux religieuses, qu'il fit emporter le saint Sacrement de notre église, et commanda à notre communauté de le suivre. Nous ne fûmes jamais plus surprises, car nous n'eussions pu nous imaginer qu'il y eût sujet de craindre dans une maison forte comme la nôtre. Cependant il fallut obéir. Il en fit de même aux Hospitalières. Le saint Sacrement fut pareillement ôté de la paroisse.

« Après les dépositions du prisonnier…

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Message  Louis Jeu 09 Nov 2017, 6:26 am

Le monastère transformé en forteresse.

« Après les dépositions du prisonnier, il fut arrêté qu'on ferait la visite des maisons religieuses, pour voir si elles étaient en état de résister. Elles furent visitées en effet plusieurs fois par monsieur le gouverneur et par des experts, et ensuite on posa des corps de garde aux deux extrémités de notre maison. La faction s'y faisait régulièrement. L'on fit quantité de redoutes, dont la plus forte était proche de notre écurie, pour défendre la grange d'un côté et l'église de l'autre.

« Toutes nos fenêtres étaient garnies de poutreaux et murailles à moitié avec des meurtrières. L'on avait fait des défenses sur nos perrons. Il y avait des ponts de communication d'un appartement à un autre, et même de notre maison à celle de nos domestiques. Nous ne pouvions même sortir de notre cour que par une petite porte à moulinet, où il ne pouvait passer qu'une seule personne à la fois. En un mot, notre monastère était converti en un fort gardé par vingt-quatre hommes bien résolus. Quand on nous fit commandement de sortir, les corps de garde étaient déjà posés. J'eus la permission de ne point sortir, afin de ne pas laisser notre monastère à l'abandon de tant d'hommes de guerre, à qui il me fallait fournir les munitions nécessaires, tant pour la bouche que pour la garde. Trois autres religieuses demeurèrent avec moi ; mais il faut que je vous avoue que je fus sensiblement touchée en voyant qu'on nous ôtait le saint Sacrement, et qu'on nous laissait sans lui. Une de nos sœurs, nommée de Sainte-Ursule 1, en pleurait amèrement et demeura inconsolable. J'acquiesçai néanmoins à la privation la plus sensible qui me pouvait arriver.

« Notre communauté et celle des Hospitalières étant sorties, furent conduites chez les révérends Pères Jésuites, où le Père supérieur leur donna des appartements séparés de leur grand corps de logis, savoir, à la nôtre le logis de la Congrégation, et aux Hospitalières un autre qui est assez proche. Tout cela est comme un fort fermé de bonnes murailles, où l'on était en assurance. Les sauvages chrétiens étaient enfermés dans leurs cabanes, dans la cour, et à couvert de leur ennemis.

« Quand les habitants nous virent quitter une maison aussi forte que la nôtre, car celle de l'hôpital est mal située à l'égard des Iroquois, ils furent si épouvantés qu'ils crurent que tout était perdu. Ils abandonnèrent leurs maisons et se retirèrent, les uns dans le fort, les autres chez les révérends Pères, les autres chez monseigneur notre évêque, et les autres chez nous, où nous avions six ou sept familles logées, tant chez nos domestiques que dans nos parloirs et offices extérieurs. Le reste se barricada de tous côtés dans la basse ville, où l'on posa plusieurs corps de garde.

« Le lendemain, qui fut le jeudi de la Pentecôte, le révérend Père supérieur ramena notre communauté au monastère; c'était le jour où nous devions élire une supérieure, si le trouble ne nous eût obligées de le différer. L'on en usa de même huit jours de suite : le soir on emmenait les religieuses, et le matin, sur les six heures, on les ramenait. Mais nous fûmes privées du saint Sacrement jusqu'au jour de la Fête-Dieu, où monseigneur notre évêque eut la bonté de nous le rendre, parce que la visite de notre monastère ayant été faite, on jugea que les religieuses y pouvaient demeurer en sûreté et sans crainte des Iroquois, mais néanmoins on ne laissa pas d'y faire la garde jusqu'à ce que l'on eût reçu des nouvelles des habitations supérieures 1.

« Le huitième du même mois…
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1 Catherine Lezeau de Sainte-Ursule, sœur converse.1 Lettres historiques. Lettre LVII, p. 545, 546.

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Message  Louis Ven 10 Nov 2017, 7:38 am

Le monastère transformé en forteresse.

SUITE

« Le huitième du même mois, on vint nous dire que l'armée était proche et qu'on l'avait vue. En moins d'une demi-heure, chacun fut rangé à son poste et en état de se défendre. Toutes nos portes furent de nouveau barricadées, et je munis tous nos soldats de ce qui leur était nécessaire. En ces moments, un de nos gens arriva de la pêche, et nous assura avoir vu un canot où il y avait huit hommes debout, et que ce canot était du Saut-de-la-Chaudière, qui est une retraite des Iroquois. Cela fit croire que l'alarme était vraie, mais heureusement elle se trouva fausse. Les Français étaient si encouragés qu'ils souhaitaient que l'affaire fût véritable ; car monsieur le gouverneur avait mis si bon ordre à toutes choses, et surtout à son fort, qu'il l'avait rendu comme imprenable, et chacun, à son exemple, avait quitté toute frayeur. Je dis pour les hommes, car les femmes étaient tout à fait effrayées. Pour moi, je vous avoue que je n'ai eu aucune crainte, ni dans l'esprit ni à l'extérieur. Je n'ai pourtant guère dormi durant toutes ces alarmes. Mon oreille faisait le guet toute la nuit, afin de n'être pas surprise, et d'être toujours en état de fournir à nos soldats les choses dont ils auraient eu besoin en cas d'attaque 1. »

Que se passait-il cependant sur les bords du grand fleuve qui était la route la plus directe par laquelle devait arriver l'armée tant redoutée des Iroquois ? C'est ici un des épisodes les plus émouvants de l'histoire de ces temps héroïques du Canada, dont on nous permettra d'emprunter le récit à notre sympathique historien 2, déjà tant de fois cité.

« On était au printemps de l'année 1660. La colonie était presque épuisée après un demi-siècle de luttes sanglantes contre les Iroquois. Les succès réitérés de ces féroces ennemis avaient tellement accru leur audace, qu'elle leur avait inspiré le projet d'exterminer jusqu'au dernier Français. Cette nouvelle répandit la terreur et la consternation parmi tous les colons. On crut que tout était perdu. Le pays, en effet, semblait sur le penchant de sa ruine. L'ennemi était déjà aux portes : chaque jour des escarmouches annonçaient sa présence. Dans chaque village on érigea des forts, ou on en restaura les anciens; on se barricada dans toutes les maisons. A Montréal, à Québec, aux Trois-Rivières, on multiplia les moyens de défense.

« En ce moment critique une poignée de braves…
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1 Lettres historiques. Lettre LVII, p. 548. 2 L'abbé Casgrain, Histoire de la Mère Marie de l’Incarnation, Introduction.

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Message  Louis Sam 11 Nov 2017, 6:19 am

Daulac et ses héroïques compagnons au Saut-des-Chaudières, près Montréal.

« En ce moment critique une poignée de braves résolut de se dévouer pour la patrie en danger. Montréal était l'avant-poste de la colonie ; c'est là qu'ils se réunirent.

« Par une matinée du mois d'avril de la même année, l'église de Villemarie 1 présentait le spectacle le plus attendrissant. Seize braves colons, entourés de leurs familles en pleurs, ayant à leur tète un jeune militaire du nom de Daulac, s'agenouillaient à la table sainte. Ils venaient prendre la résolution de sacrifier leur vie pour sauver la colonie. Après avoir fait leurs testaments et s'être confessés, ils étaient venus se nourrir du pain des forts et jurer au pied des saints autels de rester fidèlement unis jusqu'à leur mort et de ne jamais demander quartier. Certains de ne plus revoir leurs foyers, ils serrèrent une dernière fois entre leurs bras tout ce qu'ils avaient de plus cher ici-bas, et s'éloignèrent accompagnés des larmes et des bénédictions de ceux pour qui ils allaient mourir.

« Ils arrivèrent le premier mai suivant au pied du Saut-des-Chaudières, situé sur la rivière des Outaouais. Un fort y avait été construit l'automne précédent par les Algonquins. Ce fort avait le double désavantage d'être éloigné de l'eau, et dominé par une colline. Les Français prirent cependant le parti de se retrancher derrière ce faible rempart, formé d'une simple palissade en partie détruite, et d'y attendre les Iroquois, qui devaient suivre cette voie au retour de leur chasse d'hiver dans les forêts du nord.

« Après quelques jours d'attente, ils virent venir à eux une troupe de  sauvages, qu'ils reconnurent bientôt pour des amis. C'étaient quarante guerriers de cette nation huronne, dont nous avons raconté les touchantes infortunes et dont quelques débris s'étaient réfugiés près de Québec. Ils étaient commandés par un vieux héros chrétien de la même nation, nommé Anahotaha. Un fameux chef algonquin, suivi de six de ses guerriers, s'était joint à eux aux Trois-Rivières; et ils venaient tous demander la faveur de combattre à leurs côtés contre l'ennemi commun, et de verser leur sang avec eux.

« Le lendemain de leur arrivée, qui était un dimanche, deux Hurons, envoyés en éclaireurs, rapportèrent qu'ils avaient vu cinq Iroquois qui marchaient aussi à la découverte dans la direction du camp. On tint aussitôt conseil, et il fut décidé qu'on élèverait, le lendemain, une seconde palissade autour de la première.

« C'était vers le soir. En attendant l'heure du souper, pendant que les chaudières bouillaient au-dessus des feux du bivouac, la petite armée, groupée à l'entrée du fort, récitait en commun la prière du soir. La voix grave et solennelle de Daulac s'élevait au milieu du silence de la troupe et du désert, et, par intervalles, un long murmure se prolongeait au loin, emporté par la rafale sous les voûtes des bois: c'était le concert de toutes les voix de l'armée mêlées au sourd grondement de la chute 1 et qui répondaient en chœur à la prière. Tout à coup des hurlements épouvantables, accompagnés de décharges de coups de fusils, interrompirent cette imposante cérémonie; et l'on vit apparaître une flottille de canots sauvages, portant deux cents chasseurs iroquois, qui descendait la rivière. Les alliés n'eurent que le temps de leur répondre et de se retirer précipitamment dans l'intérieur du fort, pour se préparer à la défense.

« Un des chefs iroquois mit pied à terre…
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1 C'est le nom primitif que la piété des fondateurs avait donné à Montréal.1 Chute d'eau proche du fort.

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Message  Louis Dim 12 Nov 2017, 7:33 am

Daulac et ses héroïques compagnons au Saut-des-Chaudières, près Montréal.

SUITE

« Un des chefs iroquois mit pied à terre, et déposant ses armes sur le rivage, il s'avança jusqu'à la portée de la voix, et demanda à quelle nation appartenaient les guerriers qui défendaient le fort.

« Ce sont des Français, des Hurons et des Algonquins, leur répondit-on ; si notre frère l'Iroquois veut entendre des paroles de paix, qu'il aille camper avec ses guerriers de l'autre côté de la rivière. »

« Les alliés espéraient par ce stratagème gagner assez de temps pour compléter leurs travaux de fortification. Mais les Iroquois ne se laissèrent pas prendre à ce piège et commencèrent immédiatement à dresser une palissade en face du camp. La lutte allait donc devenir inévitable. Les alliés profitèrent des quelques heures de répit qui leur restaient pour se fortifier de leur mieux, coupant des pieux, consolidant les endroits les plus faibles, entrelaçant les palissades de branches d'arbres et remplissant les intervalles de terre et de pierres, tout en ayant le soin de ménager des meurtrières de distance en distance. Les ouvrages n'étaient pas encore terminés que les ennemis montèrent à l'assaut en poussant, selon leur habitude, leur terrible cri de guerre. Les assiégés se défendirent avec une bravoure sans égale. A chaque meurtrière étaient postés trois tireurs qui décimaient les rangs des Iroquois en dirigeant sur eux un feu continuel. Tout étonnés de rencontrer une aussi vigoureuse résistance, ils commencèrent à plier; mais, confus de se voir repoussés par une poignée d'hommes, ils s'élancèrent de nouveau à l'attaque. D'autres décharges aussi bien dirigées que les premières les accueillirent. Un grand nombre furent tués, un plus grand nombre blessés, et le reste, saisi de frayeur, prit la fuite en désordre, sans que les assiégés eussent à déplorer la perte d'un seul homme. Quelques-uns des alliés sautèrent alors par-dessus les remparts, allèrent couper la tête d'un chef iroquois qui avait été tué durant le combat, et l'érigèrent en trophée sur la palissade au bout d'un pieu.

« Cette première victoire enflamma l'enthousiasme des vainqueurs; ils se jetèrent à genoux pour remercier le Ciel, et reprirent avec une nouvelle ardeur leurs travaux de défense, décidés plus que jamais à combattre jusqu'au dernier soupir. Les ennemis, revenus de leur première frayeur, tinrent conseil et députèrent quelques-uns d'entre eux pour aller demander du secours à la grande armée iroquoise, alors cachée en embuscade dans les îles du Richelieu, et attendant le moment favorable pour envahir la colonie.

« Cependant le fort fut investi de tous les côtés…

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Message  Louis Lun 13 Nov 2017, 7:38 am

Daulac et ses héroïques compagnons au Saut-des-Chaudières, près Montréal.

SUITE

« Cependant le fort fut investi de tous les côtés, et, durant sept jours et sept nuits, les alliés soutinrent le feu continuel que les Iroquois ne cessèrent de diriger contre eux dans la crainte de les voir s'échapper. Ils brisèrent les canots d'écorce des Français, qui avaient été abandonnés à quelque distance du fort, et en firent des flambeaux pour mettre le feu aux palissades ; mais toutes leurs tentatives furent inutiles, car le feu des assiégés était si bien nourri qu'ils ne purent jamais en approcher.

« Un deuxième assaut plus furieux que le premier fut donné contre la place; mais il fut repoussé avec une telle vigueur, que l'ennemi n'osa plus revenir à la charge. Voyant qu'ils ne pouvaient réussir par la force ouverte, les Iroquois tentèrent alors d'employer la ruse. Connaissant l'inconstance des sauvages, ils feignirent de vouloir faire la paix. En effet, les Hurons commencèrent à hésiter ; mais les Français connaissaient trop bien la perfidie des Iroquois pour se laisser leurrer par ces belles promesses ; ils demeurèrent inébranlables. Ils ne furent pas longtemps sans s'apercevoir de la ruse; car, pendant qu'on cherchait à attirer leur attention d'un côté, une bande d'Iroquois se glissait secrètement derrière eux et s'avançait déjà pour les surprendre.

« Il est impossible de…

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Message  Louis Mar 14 Nov 2017, 6:17 am

Leur courage.

« Il est impossible de peindre toutes les souffrances qu'eurent à endurer les courageux défenseurs du fort pendant tout le temps que dura le siège. Le froid, la faim, la soif, l'insomnie les tourmentèrent plus encore que les Iroquois. Pendant les courts instants de sommeil qu'ils pouvaient prendre entre les veilles de nuit, ils étaient obligés de coucher à la belle étoile, sur la  terre glacée, au milieu des balles qui sifflaient sans cesse autour de leur tête.

« Mais leur tourment le plus cruel provenait de la disette d'eau ; elle devint si grande, qu'ils se virent réduits à avaler toute sèche la farine de maïs qui leur servait de nourriture. Ils avaient découvert un peu d'eau boueuse dans un trou de la palissade; mais à peine y en avait-il suffisamment pour que chacun d'eux pût y tremper ses lèvres. Lorsqu'ils ne pouvaient plus résister aux tortures de la soif, un petit détachement, protégé par quelques tireurs, faisait une sortie et allait puiser un peu d'eau à la rivière ; mais, leurs chaudières étant tombées dès le premier jour entre les mains des ennemis, ils ne pouvaient en rapporter qu'une petite quantité à la fois.

« Pour comble de malheur, les Hurons et les Algonquins n'ayant pas eu la prudence de ménager suffisamment leurs munitions, elles vinrent à leur manquer. Les Français leur en fournirent pendant quelque temps; mais les leurs finirent aussi par devenir rares.

« Au milieu de tant de fatigues et d'angoisses, ces héros chrétiens…

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Message  Louis Mer 15 Nov 2017, 6:40 am

Leur piété

« Au milieu de tant de fatigues et d'angoisses, ces héros chrétiens puisaient dans la prière une force et un courage toujours renaissants. « Car dès que l'ennemi faisait trêve, dit la Mère de l'Incarnation 1, ils étaient à genoux, et sitôt qu'il faisait mine d'attaquer, ils étaient debout les armes à la main. »

« Une semaine entière s'était écoulée ainsi, lorsqu’ils entendirent tout à coup une immense clameur dans le camp ennemi. Toute la forêt retentit en même temps de hurlements sauvages et d'innombrables décharges de coups de fusils, qui, multipliés par les échos, produisirent mille bruits et des roulements de tonnerre capables de glacer d'épouvante les cœurs les plus intrépides. Chaque arbre semblait avoir soudain donné naissance à un ennemi. Les Iroquois saluèrent par de longues salves l'arrivée de plus de cinq cents de leurs guerriers. Tous les assiégés se jetèrent à genoux pour recommander leur âme à Dieu, et se préparer à la lutte suprême. Alors le grand chef huron Anahotaha adressa à tous les Saints cette prière que nous empruntons avec toute sa naïveté au récit de la Mère de l'Incarnation :

« Vous sçavez, ô bienheureux habitants du ciel, ce  qui nous a conduits icy. Vous sçavez que c'est le désir de réprimer la fureur de l'Hiroquois, afin de l'empêcher d'enlever le reste de nos femmes et de nos enfans, de crainte qu'en les enlevant ils ne leur fassent perdre la foi et ensuite le paradis, les emmenant captifs en leur pais. Vous pouvez obtenir notre délivrance du grand Maître de nos vies, si vous l'en priez tout de bon. Faites maintenant tout ce que vous jugerez convenable; car pour nous, nous n'avons point d'esprit pour sçavoir ce qui nous est le plus expédient. Que si nous sommes au bout de notre vie, présentez à notre grand Maître la mort que nous allons souffrir en satisfaction des péchez que nous avons commis contre sa loy, et impétrez à nos pauvres femmes et à nos enfans la grâce de mourir bons chrétiens, afin qu'ils nous viennent trouver dans le ciel. »

« Telle avait été la vigueur de la défense, que les Iroquois, malgré leur supériorité numérique…
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1 Lettres historiques de la Mère de l’Incarnation.

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Message  Louis Jeu 16 Nov 2017, 7:12 am

Leur mort glorieuse.

« Telle avait été la vigueur de la défense, que les Iroquois, malgré leur supériorité numérique, n'osèrent monter à l'assaut. Ils investirent de nouveau la place, et firent pleuvoir une grêle de projectiles contre les meurtrières. Les assiégés n'avaient plus un instant de repos, et ils étaient tourmentés par une soif toujours de plus en plus ardente. Les sauvages surtout devinrent si exténués, qu'ils commencèrent à perdre courage, et songèrent à se rendre.

« Ils chargèrent de présents un prisonnier iroquois, et le firent accompagner dans le camp des ennemis par deux de leurs chefs. Ceux-ci furent accueillis par de grandes acclamations, et en même temps quelques Hurons apostats, réfugiés parmi les Iroquois, s'avancèrent vers la palissade pour engager leurs compatriotes à se rendre, leur représentant que c'était le seul moyen d'échapper à la mort.

« Malheureusement plusieurs Hurons se laissèrent gagner par ces perfides promesses, et malgré toutes les représentations des Français et les sanglants reproches d'Anahotaha, vingt-quatre d'entre eux s'élancèrent par-dessus la palissade. Les cris de triomphe redoublèrent, et les Iroquois, instruits désormais de la faiblesse de la garnison, qui ne comptait plus que quatorze Hurons, quatre Algonquins et les dix-sept Français, crurent en faire une proie facile. Ils s'avancèrent hardiment pour les faire prisonniers ; mais les assiégés firent feu sur les plus avancés, et en étendirent un grand nombre morts sur la place ; le reste prit la fuite.

« Honteux de se voir tant de fois vaincus par une poignée d'hommes, les Iroquois, ne respirant plus que la rage de la vengeance, et vociférant d'affreux hurlements, s'élancèrent tous à la fois à travers les balles. Les Français en firent un horrible carnage, mais ne purent les empêcher de s'avancer jusqu'au pied de la palissade, où ils se cramponnèrent à l'abri des meurtrières et se mirent à couper les pieux à coups de hache. Dans l'impossibilité où l'on était de les y atteindre, Daulac imagina de remplir de poudre plusieurs canons de fusils et d'y mettre le feu et de les jeter parmi les assiégeants pour les faire éclater au milieu d'eux. Cet expédient ayant assez bien réussi, il ajusta une fusée à un baril de poudre et le lança par-dessus la palissade. Par malheur, le projectile fut arrêté par une branche, et retomba dans l'intérieur du fort où il fit explosion, tuant les uns, blessant les autres, et mettant presque tout le reste hors de combat en leur brûlant la vue, ou les étouffant dans la fumée.  En entendant le bruit de la détonation, les Iroquois comprirent tout l'avantage qu'ils pouvaient tirer de la confusion produite par cet accident, et s'emparèrent des embrasures, d'où ils firent un feu écrasant sur les derniers défenseurs. Ceux-ci se battirent jusqu'à la fin comme des lions. Ils inspiraient une telle frayeur à l'ennemi, qu'il n'osait pénétrer dans la place. Ces hommes aux figures hâves, aux regards illuminés par l'ardeur du combat, leur paraissaient comme des fantômes dont ils tremblaient d'approcher.

« Cependant Anahotaha blessé bondissait de toutes parts…

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Message  Louis Ven 17 Nov 2017, 6:56 am

Leur mort glorieuse.

SUITE

« Cependant Anahotaha blessé bondissait de toutes-parts, assommant tous ceux qui s'avançaient jusqu'à la portée de son tomahawk. « Rends-toi, si tu veux sauver ta vie, lui cria un de ses neveux transfuge chez les Iroquois. — J'ai juré ma parole aux Français, répond le héros chrétien, je meurs avec eux. » Et il tombe frappé à mort. — « Mets-moi la tête sur les charbons, murmure-t-il à un de ses compagnons en se traînant vers le feu, l'Iroquois n'aura pas ma chevelure.   »

« Cependant des monceaux de cadavres jonchaient tout à l'extérieur du camp ; les Iroquois s'en servirent pour escalader la palissade, et massacrèrent les derniers braves qui, sourds à toute proposition, voulaient mourir les armes à la main. Un moment auparavant, un Français, par un sentiment de pitié malentendue, assomma à coups de hache ceux de ses compagnons blessés qui respiraient encore, afin de leur épargner les tortures que leur réservaient leurs féroces vainqueurs. Quatre Français seulement et quatre Hurons tombèrent vivants entre leurs mains.

« Les Iroquois furent terrifiés de leur victoire ; en comparant le nombre de leurs morts à celui de leurs victimes, ils ne pouvaient en croire leurs yeux. Comment un si petit nombre d'hommes, exténués de fatigues, mourants de soif, privés de nourriture, avaient-ils pu soutenir une lutte aussi longue et aussi acharnée sans prendre un instant de repos ? Cette résistance était pour eux un mystère.

« Après  avoir assouvi leur vengeance sur deux blessés français qui avaient conservé un souffle de vie, ils prirent le chemin de leurs villages, n'osant aller attaquer un pays peuplé de tels héros.

« Lorsqu'on apprit les détails…

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Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec. - Page 6 Empty Re: Mère Marie de l'Incarnation, Ière Supérieure des Ursulines de Québec.

Message  Louis Sam 18 Nov 2017, 7:04 am

La colonie est sauvée.

« Lorsqu'on apprit les détails de cette sanglante tragédie par des captifs hurons qui avaient réussi à s'échapper, un long cri de deuil s'éleva dans toute la colonie. Mais la nation canadienne était sauvée; ses défenseurs étaient tombés ensevelis dans leur triomphe.

« Voilà les hommes que la religion avait formés ; voilà le peuple canadien, tel que l'avaient fait les missionnaires martyrs et l'éducation religieuse 1. »

La Mère de l'Incarnation complète le récit de cette héroïque résistance…
__________________________________________________________

1 L'abbé Casgrain, Histoire de la Mère Marie de l’Incarnation, Introduction.

Histoire de la colonie française en Canada, par Étienne-Marie Faillon,  tome II, pp. 415-417, Villemarie 1865. a écrit:

XXI.

NOMS DES DIX-SEPT BRAVES DU LONG-SAUT.

Leurs noms, recueillis par M. Souart, curé de la paroisse, furent insérés, avant la fin de l'année 1660, au registre mortuaire, le seul monument qui nous les ait conservés; & c'est de là que, après plus de deux siècles, nous les publions pour la première fois (1) :

• Adam Dollard (sieur des Ormeaux), commandant, âgé de 25 ans.
• Jacques Brassier, âgé de 25 ans (parti de France avec M. de Maisonneuve en 1653).
• Jean Tavernier, dit La Hochetière, armurier, âgé de 28 ans (venu aussi de France en 1653 avec M. de Maisonneuve) .
• Nicolas Tillemont, serrurier, âgé de 25 ans.
• Laurent Hébert, dit La Rivière, âgé de 27 ans.
• Alonié de Lestres, chaufournier, âgé de 31 ans.
• Nicolas Josselin, âgé de 25 ans. (Il était de Solesmes, arrondissement de la Flèche, & avait suivi M. de Maisonneuve en 1653.)
• Robert Jurée, âgé de 24 ans.
• Jacques Boisseau, dit Cognac, âgé de 23 ans.
• Louis Martin, âgé de 21 ans.
• Christophe Augier, dit Desjardins, âgé de 26 ans.
• Étienne Robin, dit Desforges, âgé de 27 ans (parti de France en 1653 avec M. de Maisonneuve).
• Jean Valets, âgé de 27 ans (de la paroisse de Teillé, arrondissement du Mans (Sarthe), venu avec M. de Maisonneuve en 1653).
• René Doussin (sieur de Sainte-Cécile), soldat de la garnison, âgé de 3o ans (parti de France en 1653 avec M. de Maisonneuve).
• Jean Lecomte, âgé de 26 ans (de la paroisse de Che-miré, arrondissement du Mans (Sarthe), venu avec M. de Maisonneuve en 1653).
• Simon Grenet, âgé de 25 ans.
• François Crusson, dit Pilote, âgé de 24 ans (parti de France en 1653 avec M. de Maisonneuve) (*).

A ces dix-sept héros chrétiens, on doit joindre le brave Anahontaha, chef des Hurons, comme aussi Metiwemeg, capitaine Algonquin, avec les trois autres braves de sa nation, qui tous demeurèrent fidèles & moururent au champ d'honneur; enfin les trois Français qui périrent dès le début de l'expédition, Nicolas du Val, Mathurin Soulard & Biaise Juillet (**).
________________________________________________________________

(*) Le Huron appelé Louis, échappé précipitamment des mains des Iroquois, mêla au récit qu'il fit à Villemarie, le 3 juin 1660, diverses conjectures que, plus tard, on reconnut être contraires à la vérité. Ainsi il assurait que, parmi les dix-sept Français, treize étaient morts en combattant & que les quatre autres avaient été emmenés captifs au pays des Iroquois. Pareillement, la même nouvelle fut portée à Villemarie par quatre autres Hurons fugitifs, en ajoutant de plus que les quatre Français avaient été brûlés cruellement. Enfin, l'on annonça que l'un de ces quatre, nommé Robert Jurée, s'était sauvé chez les Hollandais & était retourné en France; & tous ces récits furent relatés par M. Souart sur les registres des sépultures. Mais des informations plus exactes apprirent ensuite que, des quatre Français qui n'étaient pas morts en combattant, trois, étant déjà sur le point d'expirer lorsque les Iroquois entrèrent dans le réduit, furent brûlés au lieu même du combat. Aussi M. Dollier de Casson, qui avait sous les yeux le registre mortuaire de Villemarie, a-t-il eu soin, dans son Histoire du Montréal, de donner, de toutes ces circonstances controuvées, le correctif que la vérité rendait nécessaire, & M. de Belmont, dans son Histoire du Canada, a-t-il réduit ce correctif à sa plus exacte précision, à l'aide des relations qu'il eut longtemps avec les Iroquois, dont il possédait la langue. « Les dix-sept, dit-il, furent tués, hors quatre, dont trois moururent d'abord, & le quatrième fut brûlé. »

(**) Blaise Juillet, dit Avignon, laissa d'Anne-Antoinette de Liercourt, sa veuve, quatre enfants mineurs: deux filles, dont la plus âgée avait neuf ans, & deux garçons, dont le plus jeune avait deux ans, auxquels M. de Maisonneuve donna pour tuteur Hugues Picart, dit la Fortune, qui épousa leur mère, & pour curateur Lambert Closse, major de l'île de Montréal  (2).

(1) Registre de la paroisse de Villemarie. Sépultures. 3 juin 1660.(2) Greffe de Villemarie, 11 & 13 juin 1660.


Dernière édition par Louis le Lun 27 Juin 2022, 12:30 pm, édité 1 fois (Raison : Ajout des noms des 17 braves chrétiens.)

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Message  Louis Dim 19 Nov 2017, 6:21 am

Détails complémentaires donnés par la vénérable Mère Marie de l'Incarnation.

La Mère de l'Incarnation complète le récit de cette héroïque résistance en nous racontant ce qui suivit l'entrée des Iroquois dans le fort.

« Ayant fait le pillage, dit-elle, ils dressèrent un grand échafaud, sur lequel ils firent monter les prisonniers, et, pour marque de leur perfidie, ils y joignirent ceux qui s'étaient rendus volontairement. Ils tourmentèrent cruellement les uns et les autres. Aux uns, ils faisaient manger du feu, ils coupaient les doigts aux autres, ils en brûlaient quelques-uns, ils coupaient à d'autres les bras et les jambes. Dans cet horrible carnage, un Oneiwteronnon, tenant un gros bâton, s'écrie à haute voix : « Qui est le Français assez courageux pour porter ceci? » A ce cri, un, qu'on estime être René, quitte  généreusement ses habits pour recevoir à nu les coups que l'autre lui voudrait donner. Mais un Huron, nommé Anniewton, prenant la parole, dit à l'Iroquois: « Pourquoi veux-tu maltraiter ce Français, qui n'a jamais eu que de la bonté pour toi ? — Il m'a mis les fers aux pieds, dit le barbare. — C'est pour l'amour de moi, réplique Anniewton, qu'il te les a mis; ainsi décharge sur moi ta colère et non sur lui. » Cette charité adoucit le barbare, qui jeta son bâton sans frapper ni l'un ni l'autre.

« Cependant les autres étaient sur l'échafaud, où ils repaissaient les yeux et la rage de leurs ennemis, qui leur faisaient souffrir mille cruautés accompagnées de brocards. Aucun ne perdit la mémoire des bonnes instructions que le Père qui les avait gouvernés leur avait données.

« Ignace Thawenhohwi commença à haranguer tout haut ses captifs :

Mes neveux et mes amis, dit-il, nous voilà arrivés tout haut au terme que la foi nous fait espérer. Nous voilà presque rendus à la porte du paradis. Que chacun de nous prenne garde de ne pas faire naufrage au port. Ah ! mes chers captifs, que les tourments nous arrachent plutôt l'âme du corps que la prière de la bouche et Jésus du cœur. Souvenons-nous que nos douleurs finiront bientôt, et que la récompense sera éternelle. C'est pour défendre la foi de nos femmes et de nos enfants contre nos ennemis, que nous sommes exposés aux maux que nous souffrons à l'exemple de Jésus, qui s'offrit à la mort pour  délivrer les hommes de la puissance de Satan, leur ennemi : ayons confiance en lui ; ne cessons point de l'invoquer, il nous donnera sans doute du courage pour supporter nos peines. Nous abandonnerait-il au temps où il voit que nous lui sommes devenus plus semblables, lui qui ne refuse jamais son assistance aux plus contraires à sa doctrine, quand ils ont recours à lui avec confiance ? »

« Cette courte exhortation eut un tel pouvoir sur l'esprit de ces pauvres patients, qu'ils promirent tous de prier jusqu'au dernier soupir. »

Pendant que ces douloureux mais glorieux événements se passaient au Saut-des-Chaudières…

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Message  Louis Lun 20 Nov 2017, 6:30 am

Détails complémentaires donnés par la vénérable Mère Marie de l'Incarnation.

(SUITE)

Pendant que ces douloureux mais glorieux événements se passaient au Saut-des-Chaudières, la colonie tout entière était dans la consternation, car on s'attendait à tout instant à voir arriver les nouvelles hordes sauvages depuis longtemps annoncées. Durant tout l'été de cette année 1660, on continua à faire partout des travaux de défense. Le gouverneur de Québec, M. d'Argenson, se multipliait pour parer à toutes les éventualités; mais les soldats lui manquaient pour prendre l'offensive contre ces sauvages, comme il l'eût désiré; car il était convaincu, ainsi que tous les hommes d'expérience qui vivaient depuis longtemps au Canada, que cette tactique était la seule qui pût assurer la sauvegarde du pays.

Mgr de Laval, qui venait d'arriver depuis peu à Québec, paraissait être d'un avis contraire. Il espérait pouvoir parvenir à gagner ces féroces indigènes comme on avait gagné les autres, par la persuasion et la douceur. Mais il dut revenir bientôt de cette généreuse  illusion, et reconnaître qu'il  n'y  avait d'autre moyen pour pacifier le pays que de les réduire par la force.

Grâce à l'héroïsme de Daulac et de ses compagnons, l'invasion tant redoutée fut retardée jusqu'au printemps de l'année suivante où les Iroquois massacrèrent plus de cent Français sur les bords du Saint-Laurent entre Montréal et Québec, envahirent l'île d'Orléans, mirent toutes les habitations des Hurons et des Français à feu et à sang, et poussèrent même leurs incursions jusqu'à Tadoussac.

Nous devons mentionner parmi leurs victimes le fils aîné de M. de Lauzon, dont le père avait succédé à M. d'Ailleboust dans la dignité de gouverneur de Québec. Le jeune homme fut tué au-dessous de Québec, à l'île d'Orléans. Une autre victime fut M. Godefroy, père de Mlle Jeanne Godefroy, qui était entrée au noviciat du monastère des Ursulines en 1659.

Mais le meurtre qui causa à notre chère Communauté…

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Message  Louis Mar 21 Nov 2017, 7:56 am

Détails complémentaires donnés par la vénérable Mère Marie de l'Incarnation.

(SUITE)


Mais le meurtre qui causa à notre chère Communauté la plus vive peine fut celui de M. Vignal, prêtre de Saint-Sulpice, qui fut massacré dans une île au-dessous de Montréal. Cet admirable serviteur de Dieu avait été pendant plusieurs années l'aumônier et comme le père de la Communauté naissante. Ami dévoué des Pères jésuites, il n'aspirait qu'à être leur émule dans la carrière apostolique auprès des sauvages. Sa santé ne lui permettant pas de satisfaire tous les désirs de son zèle, il demeurait à Québec, où il accomplissait toute sorte de bonnes œuvres et rendait mille services aux Ursulines.

Obligé de repasser en France après l'arrivée  à Québec du trop fameux abbé de Queylus, qui, en qualité de vicaire général de Mgr l'archevêque de Rouen, délégué pour la Nouvelle-France, lui avait enlevé tous ses pouvoirs de juridiction, il en était revenu, depuis quelques mois à peine, avec quelques religieuses Hospitalières destinées à fonder un établissement de leur ordre à Montréal.

S'étant un jour transporté dans l'île qui se trouvait en face de cette localité, pour surveiller les ouvriers qui y réunissaient des matériaux pour la construction de la maison des Sulpiciens, les Iroquois, qui y étaient en embuscade, se jetèrent, comme des loups enragés, sur lui et sur les ouvriers français, et en tuèrent plusieurs. M. Vignal fut dangereusement blessé et fait prisonnier avec quelques autres de ses compagnons. Les sauvages le traînèrent jusqu'à la prairie de la Madeleine, où ils firent un fort pour s'abriter contre une surprise. Le bon et saint prêtre répétait à ses compagnons d'infortune : « Tout mon regret est d'être la cause que vous soyez dans l'état où vous êtes; prenez courage et souffrez pour Dieu! »

M. Vignal ne tarda pas à succomber à ses blessures. Après sa mort, les Iroquois lui enlevèrent la chevelure 1, et firent rôtir son corps pour le manger. C'était le 27 octobre 1661. Il y avait vingt années que cet ouvrier zélé du père de famille travaillait à la vigne du Seigneur, dans les missions de la Nouvelle-France.

« Sa vie, d'après le témoignage du R. P. J. Lallemand, était d'une très douce odeur à tous les Français par la pratique de l'humilité, de la charité et de la pénitence, vertus rares qui le rendaient aimable à tout le monde. »

Le sang de cet excellent prêtre et celui de tant d'autres saintes victimes devait un jour produire sur cette terre ainsi purifiée une riche et brillante moisson de vertus, et cimenter les fondements de l'Église canadienne ; mais que de sacrifices les missionnaires et les premiers colons n'avaient-ils pas encore à accomplir!

La main de Dieu toutefois se montrait visiblement dans toutes les épreuves de l'Église de la Nouvelle-France. Si elle permettait tous ces maux, c'était pour embellir sa couronne, et établir d'une manière plus solide ses fondements. Mais elle savait aussi la préserver de toute ruine complète. Les nouveaux périls auxquels nous allons la voir exposée nous en fourniront une nouvelle preuve.
_______________________________________________________

1 Note du R. P. Félix Martin.


A suivre : Chapitre XII. TREMBLEMENTS DE TERRE EN 1663

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Message  Louis Mer 22 Nov 2017, 6:36 am

CHAPITRE XII

TREMBLEMENTS DE TERRE DE 1663


Movebuntur omnia fundamenta terrœ.
Tous les fondements de la terre seront ébranlés.            
(Ps. LXXXI, 5.)

Fâcheux trafic de quelques Français qui échangent avec les sauvages des boissons alcooliques contre des peaux de castor et autres objets.

« Je vous ai parlé dans une autre lettre, écrivait à son fils notre vénérée Mère le 6 novembre 1662, d'une croix que je vous disais m'être plus pesante que toutes les hostilités des Iroquois. Voici en quoi elle consiste. Il y a dans ce pays des Français si misérables et si dépourvus de crainte de Dieu, qu'ils perdent tous nos nouveaux chrétiens, leur donnant des boissons très violentes, comme du vin et de l'eau-de-vie, pour tirer d'eux des peaux de castors.

Ces boissons…

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Message  Louis Jeu 23 Nov 2017, 6:28 am

Abus fait par les sauvages de ces boissons enivrantes.

«… Ces boissons perdent tous ces pauvres gens, les hommes, les femmes, les garçons et les filles mêmes ; car chacun est maître dans la cabane quand il s'agit de manger et de boire; ils sont pris tout aussitôt et deviennent furieux. Ils courent nus, avec des épées et d'autres armes, et font fuir tout le monde, soit de jour, soit de nuit; ils courent par Québec, sans que personne les puisse empêcher. Il s'ensuit de là des meurtres, des brutalités monstrueuses et inouïes. Les révérends Pères ont fait l'impossible pour arrêter le mal, tant du côté des Français que de la part des sauvages ; tous leurs efforts ont été vains. Nos filles sauvages externes venant à la classe, nous leur avons fait voir le mal où elles se précipitent en suivant l'exemple de leurs parents ; elles n'ont pas remis depuis le pied chez nous. Le naturel des sauvages est comme cela : ils font tout ce qu'ils voient faire à ceux de leur nation en matière de mœurs, à moins qu'ils ne soient bien affermis dans la morale chrétienne. Un capitaine algonquin, excellent chrétien et le premier baptisé du Canada, nous rendant visite, se plaignait, disant : « Onontio (c'est monsieur le gouverneur) nous tue en permettant qu'on nous donne des boissons.» Nous lui répondîmes : « Dis-lui qu'il le défende. — « Je lui ai déjà dit deux fois, repartit-il, et cependant il n'en fait rien ; mais priez-le vous-même d'en faire la défense, peut-être vous obéira-t-il. »

« C'est une chose déplorable de voir les accidents funestes qui naissent de ce trafic. Monseigneur notre prélat a fait tout ce qu'il se peut imaginer pour en arrêter le cours,  comme une chose  qui  ne  tend  à rien moins qu'à la destruction de la foi et de la religion dans ces contrées.

« Il a employé toute sa douceur ordinaire pour détourner les Français de ce commerce, si contraire à la gloire de Dieu et au salut des sauvages. Ils ont méprisé   ses remontrances, parce qu'ils sont maintenus par une puissance séculière 1 qui a la main forte. Ils lui disent que partout les boissons sont permises. On leur répond que dans une nouvelle Eglise et parmi les peuples non policés, elles ne le doivent pas être, puisque  l'expérience fait voir qu'elles sont contraires à la propagation de la foi et aux bonnes mœurs que l'on doit attendre des nouveaux convertis. La raison n'a pas fait plus que  la douceur. Il y a eu des contestations  très grandes sur ce sujet. Mais enfin le zèle de la gloire de Dieu a emporté notre prélat, et l'a obligé d'excommunier ceux qui exerceraient ce trafic. Ce coup de foudre ne les a pas plus étonnés que le reste ;  ils n'en n'ont pas tenu compte, disant que l'Eglise n'a point de pouvoir sur les affaires de cette nature.

« Les affaires étant à cette extrémité, il s'embarque pour passer en France, afin de chercher les moyens de pourvoir à ces désordres, qui tirent après eux tant d'accidents funestes. Il a pensé mourir de douleur à ce sujet, et on le voit sécher sur pied. Je crois que s'il ne peut venir à bout de son dessein, il ne reviendra pas; ce qui serait une perte irréparable pour cette nouvelle Église et pour tous les pauvres Français. Il se fait pauvre pour les assister, et, pour dire en un mot tout ce que je conçois de son mérite, il porte les marques et les caractères d'un saint. Je vous prie de recommander et de faire recommander à Notre-Seigneur une affaire si importante, et qu'il lui plaise de nous renvoyer notre bon prélat, père et véritable pasteur des âmes qui lui sont  commises 1.

« De même que jadis le peuple hébreu, victime de ses prévarications, dit M. l'abbé Casgrain, était frappé par des fléaux destinés à venger les droits méconnus du Seigneur et à ramener son peuple dans les sentiers du devoir, de même aussi le peuple du Canada ne pouvait manquer d'expier chèrement des abus si funestes et si déplorables.

« La Mère de l'Incarnation, le cœur brisé par tant d'outrages faits à son divin Époux, s'offrit en victime pour l'expiation des péchés du peuple. Comme Moïse, afin d'obtenir grâce, elle demanda à Dieu d'être effacée du livre de vie. « Je désirais d'être chargée de tous ces péchés, comme s'ils m'eussent été propres, afin de recevoir seule le châtiment. J'eusse voulu même que toutes ces abominations eussent paru aux yeux des hommes comme mes propres crimes 2.   »

« Dieu se laissa fléchir…
____________________________________________________________

1 Les Hollandais, qui favorisaient singulièrement dans les parages de la Nouvelle-France l'importation des substances alcooliques.1 Lettres historiques. Lettre LXIII, p. 572. 2 L'abbé Casgrain, Histoire de la Mère Marie de l’Incarnation, IIIe ép. Ch. XI.

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