Vie de Mlle Mance et Hôtel-Dieu de Villemarie (Table) COMPLET

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Message  Louis Lun 09 Juil 2012, 6:51 am

XII. Rencontre miraculeuse de M. de La Dauversière et de M. Olier,
éclairés l'un et l'autre sur l'œuvre de Montréal.

Ce qui suivit bientôt fut une confirmation et une preuve manifeste de la vérité de cette apparition. M. de La Dauversière étant allé à Meudon pour parler au garde des sceaux, qui s'y trouvait alors, dans le même temps M. Olier s'y rendit pour quelque affaire, et la Providence voulut qu'ils se rencontrassent dans la galerie de l'ancien château. Alors ces deux grands serviteurs de DIEU, qui ne se connaissaient par aucune voie naturelle, qui ne s'étaient jamais vus et n'avaient point ouï parler l'un de l'autre, poussés par une sorte d'inspiration, coururent s'embrasser comme deux amis qui se retrouveraient après une longue séparation. « Ils se jetèrent au cou l'un de l'autre, dit M. de Bretonvilliers, avec des tendresses et une cordialité si grandes, qu'il leur semblait n'être qu'un même cœur. » Ils se saluèrent mutuellement par leur nom, ainsi que nous le lisons de saint Paul et de saint Antoine. M. Olier félicita M. de La Dauversière du sujet de son voyage, et lui mettant entre les mains un rouleau d'environ 100 louis d'or, lui dit ces paroles : « Monsieur, je veux être de la partie. Je sais votre dessein, je vais le recommander à DIEU au saint autel.» Il célébra ensuite la sainte messe, où communia M. de La Dauversière ; et après leur action de grâces ils se retirèrent dans le parc du château, où ils s'entretinrent durant trois heures des desseins qu'ils avaient formés l'un et l'autre pour procurer la gloire de DIEU dans l'île de Montréal. Ils parlèrent de cette île comme s'ils y eussent demeuré plusieurs années ; car tous deux avaient reçu de DIEU les mêmes vues, et se proposaient d'employer les mêmes moyens. Cette rencontre si extraordinaire, et la conformité non moins frappante de leur projet, ne leur permettant pas de douter que DIEU ne les eût effectivement choisis pour réaliser de concert cette entreprise, ils se lièrent dès ce moment d'une très-étroite amitié, et entretinrent entre eux un commerce de lettres (1). M. Olier était peut-être allé trouver le chancelier à Meudon pour le prier de faire agréer au roi le refus qu'il fit, sur ces entrefaites, de la coadjutorerie de Châlons-sur-Marne. C'était en 1639. De retour alors de ses missions d'Auvergne, M. Olier était au comble de l'estime à la ville et à la cour : jusque-là, que, sur la demande du cardinal de Richelieu, ministre d'État, Louis XIII l'avait nommé à ce siège comme l'ecclésiastique du royaume le plus digne de le remplir. M. de La Dauversière, éclairé de DIEU sur la vocation de son ami, le confirma dans le refus qu'il fit de l'épiscopat (2), et l'assura qu'il était destiné à former une compagnie d'ecclésiastiques qui devait se dévouer à l'établissement de Villemarie.
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(1) Vie de M. Olier , t. II, p. 432, 433.
(2) Vie de M. Olier, t. I, p. 214.

A suivre : 1640. XIII. Ils envoient vingt tonneaux de vivres pour Montréal. — M. Olier forme la société de ce nom.

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Message  Louis Mar 10 Juil 2012, 6:20 am

1640. XIII. Ils envoient vingt tonneaux de vivres pour Montréal.
— M. Olier forme la société de ce nom.

Après sa rencontre avec M. de La Dauversière, qu'il regarda depuis comme miraculeuse, il jugea que le moment était venu d'exécuter enfin le dessein que DIEU lui avait inspiré depuis plusieurs années, de travailler à la même œuvre. Il ne possédait pas un pouce de terre dans l'île de Montréal, non plus que M. de La Dauversière, ni M. de Fancamp. Néanmoins, par un effet de la ferme assurance qu'ils avaient du succès de cette entreprise, ils envoyèrent de concert, dès le printemps de l'année 1640, au Père Lejeune, résidant à Québec, vingt tonneaux de denrées, d'outils et d'autres objets, afin qu'il voulût bien les leur faire conserver pour la recrue qu'ils se proposaient d'envoyer à Montréal l'année suivante (1).

Mais, considérant qu'ils ne pouvaient seuls soutenir la dépense d'une telle entreprise, M. Olier songea à y intéresser plusieurs de ses amis dont le zèle et la générosité lui étaient connus. Il forma donc alors le noyau de l'association appelée depuis : Société de Notre-Dame de Montréal, et que nous verrons bientôt composée des personnes de Paris les plus qualifiées et les plus opulentes. Le premier qu'il s'adjoignit fut le baron de Renty (2), non moins remarquable pour ses belles qualités selon le monde que pour son éminente piété, son zèle vraiment apostolique, et son immense charité. Il fut favorisé lui-même de lumières surnaturelles sur le dessein de Montréal (3) ; et, dès qu'il eut connu M. de La Dauversière, il s'unit à lui d'une très-étroite amitié, et ne lui donna plus que le nom de frère. Quoique la société ne fût composée encore que de six membres, en y comprenant même M. de La Dauversière, M. Olier, et M. de Fancamp, elle résolut de faire à ses frais un premier embarquement au printemps de l'année suivante 1641.

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(3) (?) Mémoires autographes de M. Olier, t. I p. 97.
(1) Histoire du Montréal par M. Dollier de Casson, de 1640 à 1641. — 1er établissement de la foi dans la Nouvelle-France, par le P. Leclercq , Récollet, t. I, p. 49.
(2) Mémoires de M. Tronson touchant l’établissement de Saint-Sulpice à Montréal ; archives du séminaire de Paris.
(3) Vie de M. de Renty, par le P. de saint-J(u)re. Paris, 1664, in 12, 3e partie, c. 2, section 9e, p. 218. — Mémoires de M. Le Royer sur M. de La Dauversière, son père : archives de l’Hôtel-Dieu de la Flèche.

A suivre : XIV. Ils acquièrent de M. de Lauson la propriété de l'Ile de Montréal.

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Message  Louis Mer 11 Juil 2012, 6:57 am

XIV. Ils acquièrent de M. de Lauson la propriété de l'Ile de Montréal.

Mais avant tout, ils songèrent à acquérir la propriété de l'île de Montréal. Elle avait alors pour maître, comme nous l'avons dit, M. Jean de Lauson, intendant du Dauphiné, qui ne l'avait reçue que sous la condition expresse d'y établir une colonie. M. de Lauson ayant négligé jusque alors d'y faire passer des colons, et d'y entreprendre aucun défrichement; la prudence ne permettait pas aux associés d'envoyer à grands frais, dans la même île, une recrue d'ouvriers avant d'en avoir assuré la possession à leur compagnie. Il eût été à craindre en effet que les dépenses qu'ils se proposaient de faire pour cet objet, ne tournassent à l'avantage personnel du propriétaire, et ne missent par là un obstacle insurmontable à leur dessein. C'est pourquoi, conformément à la résolution qu'ils avaient prise de se cacher aux yeux du monde, et de faire (leur) œuvre en secret, ils obligèrent M. de La Dauversière et M. de Fancamp à aller trouver M. de Lauson en Dauphiné pour lui demander la concession de cette île (1).

M. de Lauson, dont les vues n'étaient pas aussi pures ni aussi désintéressées que celles de la compagnie, et qui même n'avait demandé la propriété de l’île de Montréal que dans l'espérance d'en retirer un jour de grands avantages pour sa famille, ne put écouter paisiblement une proposition qu'il jugeait si contraire à ses intérêts ; et à toutes les instances de M. de La Dauversière il ne répondit que par des rebuts (1).

Le mauvais succès de cette première négociation, au lieu de ralentir le zèle des associés, sembla n'avoir servi qu'à le rendre plus ardent. Ils arrêtèrent entre eux que M. de la Dauversière ferait un second voyage en Dauphiné; que M. de Fancamp, qui ne pouvait se joindre à lui cette fois, lui donnerait une procuration pour accepter la donation de l'île au nom des deux, ce qu'il fit le 12 juillet de l'an 1640 (2) ; et qu'enfin le P. Charles Lallemant, Jésuite, accompagnerait M. de La Dauversière, pour presser lui-même M. de Lauson (3). Ce voyage eut tout le succès qu'on s'en était promis : car M. de Lauson, par acte du 7 août, passé à Vienne en Dauphiné, céda purement et simplement à M. de Fancamp et à M. de La Dauversière l'île de Montréal aux mêmes conditions qu'il l'avait reçue (4). Un changement si extraordinaire remplit M. de La Dauversière de reconnaissance envers la bonté divine, et tous ses associés ne purent s'empêcher d'en remercier DIEU avec lui. Aussi, dans l'écrit qu'ils publièrent en 1643 sous le nom des Véritables Motifs de la société de Messieurs et Dames de la Société de Notre-Dame de Montréal, signalaient-ils ce dénouement comme l'une des marques visibles des bénédictions que DIEU se plaisait à donner à leur dessein. Ils faisaient remarquer que M. de Lauson, contre sa première inclination, contre son propre intérêt, et malgré les refus et les rebuts par lesquels il avait répondu à la demande, céda la propriété de Montréal sans que lui - même ni ceux qu'il substituait à sa place sussent bien ce qu'ils faisaient (1).


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(1) Mémoires de M. Tronson touchant l’établissement de Saint-Sulpice à Montréal — Montréal en Canada, etc. , p. 1 ; manuscrit in-4º de l’Hôtel-Dieu de Laflèche.
(1) Les Véritables Motifs de Messieurs et Dames de Montréal, 1643, in 4º, p. 27.
(2) Actes de Pierre de Lafousse, notaire à la Flèche, 12 juillet 1640; archives de la marine, Canada, t..1.
(3) Histoire du Montréal, par M. Dollier de Casson, de 1640 à 1641. — Histoire du Canada, par M. de Belmont.
(4) Acte de Courdon , notaire à Vienne, du 7 août 1640; archives du séminaire de Montréal.Archives de la marine, Canada, t.I.
(1) Les Véritables Motifs de Messieurs et Dames de Montréal , 1643, in 4º, p. 27.

A suivre : XV. Tentations de découragement qu'éprouve M. de La Dauversière touchant l'œuvre de Montréal.

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Message  Louis Jeu 12 Juil 2012, 5:52 am

XV. Tentations de découragement
qu'éprouve M. de La Dauversière touchant l'œuvre de Montréal.

Mais à peine la compagnie se voyait-elle en état, par cette cession, d'exécuter ses pieux desseins pour Montréal, que M. Olier tomba dans l'état de peines étranges que l'on voit décrit dans sa Vie (2); et que M. de La Dauversière, qui devait être l'agent et l'instrument de l'entreprise, fut alors en proie aux plus violentes tentations de découragement.

On eût dit que l'ennemi de tout bien voulût faire le dernier effort pour le détourner d'un dessein qui devait procurer à DIEU tant de gloire. M. de La Dauversière était fréquemment agité de ces pensées et d'autres semblables: Pourquoi, au lieu de se contenter du bien qu'il pouvait faire dans son pays, et de jouir du repos qu'il trouvait au sein de sa famille, allait-il se charger d'une entreprise qui ne passerait aux yeux du monde que pour une témérité et une folie? Qui l'obligeait de se mêler d'une telle œuvre, étant sans appui, sans expérience, sans moyens pour l'exécuter, et même sans apparence d'en avoir jamais ? Ce qu'il prétendait faire d'une femme et de six enfants, dont il se voyait chargé? Toutes les lumières qu'il avait reçues sur ce dessein, les prières et les bonnes œuvres qu'il avait faites, les assurances que DIEU lui avait données de le bénir, tous ces souvenirs étaient comme effacés de sa mémoire. Il n'éprouvait plus que dégoûts, amertumes, ténèbres intérieures, peines accablantes. Il n'avait de liberté d'esprit que pour se représenter les croix inséparables de cette œuvre, les contradictions sans nombre, les périls par terre et par mer, la dépense presque infinie, qui l'épouvantaient; enfin mille autres difficultés, dont la moindre eût dû lui faire lâcher pied, si DIEU ne l'eût fortifié intérieurement, et ne l'eût encouragé à se confier en son assistance (1).


____________________________________________

(2) Vie de M. Olier , t. I, p. 251 et suiv.
(1) Les Véritables Motifs de Messieurs et Dames de Montréal , 1643, in 4º, p. 27, 28 .

A suivre : XVI. M. de Maisonneuve; ses qualités; il désire consacrer ses services à quelque entreprise de religion.

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Message  Louis Ven 13 Juil 2012, 5:20 am

XVI. M. de Maisonneuve; ses qualités;
il désire consacrer ses services à quelque entreprise de religion.

Ce qui ne contribua pas peu à relever son courage, ce fut la rencontre qu'il fit alors de l'homme que la Providence avait destiné pour être à la tête de la nouvelle colonie : c'était Paul de Chaumedey, sieur de Maisonneuve, gentilhomme champenois, exercé de longue main au métier des armes, et doué de toutes les qualités les plus propres à former un gouverneur de place accompli. Dès l'âge de 13 ans il avait donné les premières preuves de son courage, dans la guerre de Hollande; et il avait su conserver son cœur pur parmi les hérétiques et les libertins au milieu desquels il vivait. Dans une profession aussi dissipante que l'est celle des armes, la crainte de DIEU le tint toujours éloigné des compagnies qui auraient pu être funestes à sa vertu ; et il apprit à pincer du luth, afin de pouvoir demeurer seul lorsqu'il ne trouvait pas de société qui pût lui être profitable.

Enfin, le désir de demeurer toujours fidèle à DIEU, et de fuir les écueils si nombreux qu'un jeune militaire rencontre dans le monde, lui inspira la pensée d'aller servir DIEU , dans sa profession, en quelque pays très-éloigné où il fût à l'abri de toutes les occasions de péché. Un jour, étant à Paris chez un avocat de ses amis, tout occupé de ces pensées, il met la main sur un livre qu'il trouve là par hasard. C'était une des relations du Canada, que les Pères Jésuites publiaient tous les ans. Il y voit qu'il était parlé du Père Lallemant, revenu depuis quelque temps à Paris. Il pense eu lui-même qu'il trouverait peut-être en Canada quelque emploi où il pût s'occuper selon sa profession, et servir DIEU dans une entière séparation du monde.

Là-dessus il va se présenter à ce Père, et lui ouvre entièrement son cœur (1).

___________________________________________________

(1) Histoire du Montréal, par M. Dollier de Casson, de 1640 à 1641.

A suivre : XVII. M. de Maisonneuve …

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Message  Louis Sam 14 Juil 2012, 6:47 am

XVII. M. de Maisonneuve s’offre à la compagnie de Montréal,
qui accepte avec reconnaissance ses services.

Dans le même temps les associés de Montréal, résolus d'envoyer dans ce pays une recrue d’hommes tous exercés au métier des armes, et en état de faire face aux Iroquois étaient surtout en peine de trouver un chef vertueux brave, prudent et expérimenté pour le mettre à leur tête; et ils avaient souvent demandé à DIEU de susciter lui-même un homme selon son cœur qui assurât le succès de cette entreprise (1).

M. de La Dauversière étant allé trouver le Père Charles Lallemant, et lui ayant fait part de leur embarras: « Je connais un gentilhomme champenois, lui répondit ce Père, qui pourrait peut-être bien convenir à votre dessein; » et il lui nomme M. de Maisonneuve, dont il lui dépeint toutes les bonnes qualités. Comprenant le désir ardent qu'il avait de le connaître, il lui indiqua l'auberge où logeait M. de Maisonneuve, afin qu'il pût le sonder avant de lui faire aucune proposition. Dans cette vue, M. de La Dauversière va se loger dans la même auberge, comme s'il n'eût eu d'autre dessein que d'y avoir un gîte et d'y prendre ses repas. Sachant que M. de Maisonneuve était là présent dans la compagnie, il se met à parler de l'affaire de Montréal, qui était sur le tapis, afin de lui donner lieu d'entrer lui-même en conversation sur cette matière. Ce moyen eut tout le succès qu'il en attendait. M. de Maisonneuve ne se contente pas de lui adresser plus de questions que ne lui en font tous les autres ensemble : il va le trouver ensuite en particulier, lui fait part du désir qu'il a de s'éloigner des occasions de dissipation, pour servir DIEU plus parfaitement, et s'offre à lui s'il le juge utile à ce dessein. « Je n'ai, ajouta-t-il, aucune vue d'intérêt : je puis par mon revenu me suffire à moi-même ; et j'emploierai de grand cœur ma bourse et ma vie dans cette noble entreprise, sans ambitionner d'autre honneur que d'y servir DIEU et le roi dans la profession des armes. » Il serait difficile d'exprimer la joie et la reconnaissance dont fut pénétré M. de La Dauversière en entendant ce discours. Il reçut M. de Maisonneuve comme un présent que la divine providence faisait à la compagnie, et comme un gage assuré du succès de cette œuvre (1).

Les associés ne rendirent pas de moins vives actions de grâces à DIEU, qui venait ainsi à leur aide dans leur plus pressant besoin ; et leur satisfaction sembla n'avoir plus de bornes lorsqu'ils eurent connu par eux-mêmes la vertu, le caractère, le mérite et toutes les belles qualités de M. de Maisonneuve.


______________________________________________________________

(1] Les Véritables Motifs de Messieurs et Dames de Montréal , p. 29.
(1) Histoire du Montréal, ibid.

A suivre : XVIII. Levée d’une première recrue pour Montréal.

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Message  Louis Dim 15 Juil 2012, 6:38 am

XVIII. Levée d’une première recrue pour Montréal.

Un bienfait de la Providence si inespéré leur montrant visiblement que DIEU était vraiment l'auteur de leur entreprise, ils ne songèrent plus qu'à faire une levée d'hommes forts et vigoureux, pour les envoyer en Canada, au printemps de l'année suivante, 1641. Leur générosité en contribuant à ce premier embarquement aurait pu prouver d'ailleurs que le dessein de Montréal leur était inspiré d'en haut. Il n'y avait encore dans la compagnie que six personnes qui fournissent à cette dépense. Elles y contribuaient en secret, avec engagement de ne jamais rien retirer pour elles-mêmes de cette entreprise : et cependant elles employèrent à ce premier embarquement la somme de 25.000 écus (1) ; et même 50,000, si l'on en croit la mère Juchereau dans son Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec (2).

Le printemps étant venu, les associés prièrent M. de La Dauversière et M. de Fancamp de se rendre à la Rochelle, d'où la plus grande partie de la recrue devait partir, et d'aider M. de Maisonneuve dans les préparatifs de l'embarquement. Le roi, qui confirma la cession de l'Ile de Montréal, faite par M. de Lauson aux associés (3), leur donna le pouvoir de nommer les gouverneurs de la nouvelle colonie, et d'y avoir du canon et d'autres munitions de guerre pour sa sûreté. Ils établirent donc pour gouverneur M. de Maisonneuve, et le chargèrent encore, ainsi que M. de La Dauversière et M. de Fancamp, de grossir sa recrue de tout ce qu'il pourrait trouver à la Rochelle d'hommes propres à leur dessein.

Comme on s'attendait à avoir les Iroquois à combattre dès qu'on serait arrivé à Montréal, on eut soin, afin de ne pas charger l'établissement de personnes inutiles, de ne choisir pour cette première recrue que des célibataires habiles en divers métiers, et tous propres à porter les armes. Enfin, outre cette levée de soldats, les associés se pourvurent à grands frais de denrées, d'outils et de toutes les autres choses nécessaires à un tel établissement (1).

_______________________________________________________

(1) Histoire de Montréal, ibid.
(2) Histoire de l’Hôtel-Dieu, p. 34.
(3) Les Véritables Motifs de Messieurs et Dames de Montréal , p. 27.
(1) Histoire du Montréal, par M. Dollier de Casson, ibid.
A suivre :
XIX. Jeanne-Mance.

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Message  Louis Lun 16 Juil 2012, 7:06 am

XIX. Jeanne-Mance.

Mais à la veille du départ ils s'aperçurent qu'il leur manquait un secours absolument indispensable, et que tout leur argent ne pouvait leur procurer: c'était une femme sage et intelligente, d'un courage héroïque et d'une résolution mâle, qui les suivit en ce pays barbare pour prendre soin des denrées et des marchandises nécessaires à la subsistance de la colonie, et pour servir en même temps d'hospitalière aux malades et aux blessés. Car les hospitalières de Saint-Joseph, dont M. de La Dauversière avait commencé l'établissement à la Flèche, n'étaient point encore érigées en communauté par l'autorité épiscopale ; et d'ailleurs leur petit nombre les rendait toutes nécessaires, soit à la nouvelle congrégation qu'elles formaient, soit à l'Hôtel-Dieu, dont elles avaient pris la conduite.

Mais la bonté divine, qui disposait si favorablement les esprits en faveur du dessein de Montréal, avait pourvu à ce pressant besoin de la colonie à l'insu même des associés; et, ce qui les remplit d'admiration, elle amena comme à point nommé, du fond de la Champagne, au lieu de rembarquement, la personne qui leur était nécessaire, dans le temps qu'ils en sentaient plus vivement le besoin (1) et qu'ils ne voyaient aucun moyen humain de la trouver. Ce fut Mlle Jeanne Mance, dont nous allons raconter la vocation dans le chapitre suivant.

________________________________________________

(1) Les Véritables Motifs de Messieurs et Dames de Montréal, p. 29 et 30.— Histoire du Montréal, ibid.

A suivre : PREMIÈRE PARTIE. Depuis la naissance de Mademoiselle Mance jusqu’à l’arrivée des filles de Saint-Joseph en Canada.

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Message  Louis Mar 17 Juil 2012, 6:34 am

PREMIÈRE PARTIE

DEPUIS LA NAISSANCE DE MADEMOISELLE MANCE
JUSQU’A L’ARRIVEE
DES FILLES DE SAINT-JOSEPH EN CANADA.



CHAPITRE PREMIER

VOCATION DE MLLE MANCE ;
ELLE EST ASSOCIEE A LA COMPAGNIE DE MONTREAL
ET S’EMBARQUE POUR LE CANADA.


I.Famille de Mlle Mance; son enfance.

Mlle Jeanne Mance, l’un des principaux instruments dont DIEU voulut se servir pour l’établissement et la conservation de la colonie de Montréal, était née vers l’an 1606 (1), à Nogent-le-Roi, à quatre lieues de Langres en Bassigny (*) (1). Sa famille, qui fut une des plus honorables de Nogent, a fourni une suite remarquable de magistrats et d'hommes d'épée, dont plusieurs ont été anoblis par le souverain. Pierre Mance, son père, l'un de ses frères, deux de ses neveux et d'autres de ses parents, occupèrent successivement à Nogent la charge de procureur du roi, qui semblait être devenue comme héréditaire dans cette famille (2). Parmi ses frères, qui étaient au nombre de six, aussi bien que ses sœurs, l'un d'eux, Pierre Mance, archidiacre de Troyes et auparavant professeur au collège de Cambrai à Paris, se rendit célèbre dans cette université par sa profonde érudition (3).

Mais de tous les membres de cette famille il n'y en eut aucun qui lui acquit une gloire plus solide et plus durable que MlleJeanne Mance, dont nous allons parler. DIEU , qui la destinait à de grands desseins, comme la suite de cet ouvrage le montrera, l’avait prévenue de grâces singulières dès sa plus tendre enfance. Dans un âge où à peine la raison commence à poindre dans la plupart des enfants, celle-ci, en qui la sagesse avait devancé les années, était déjà un modèle de piété et de vertu. Sans voir pu connaître encore le monde, elle ne sentait pour lui que de l’éloignement et du dégoût ; et son unique désir était de se consacrer à DIEU , sans partage. Des sentiments si rares dans un enfant ne pouvaient être que l’ouvrage du Saint-Esprit ; et ce fut sans doute ce divin Esprit, son unique maître dans la science des saints, qui lui inspira et lui fit exécuter dès l’âge de six à sept ans la résolution étonnante de se consacrer à DIEU , par le vœu de chasteté perpétuelle. « C’est elle-même, dit la sœur Morin, qui m’a rapporté bien des fois cette particularité de son enfance (1). »

Ce seul trait peut donner une juste idée, et des faveurs de DIEU pour cette âme de prédilection, et de sa fidélité à y correspondre. Cependant la piété dont elle faisait profession n’avait aucun des défauts trop ordinaires aux personnes dévotes. La grande rectitude de son esprit, l’élévation et la noblesse de ses sentiments, et par-dessus tout la sagesse divine qui la dirigeait, lui apprirent dès l’enfance à être toute à DIEU sans blesser en rien la bienséance du monde : en sorte que son père, qui avait pour elle une affection très-tendre, ne le gêna jamais dans ses dévotions.

__________________________________________________________

(1) Registre des sépultures de Villemarie, 19 juin 1673.
(1) Suite des personnes illustres du clergé du diocèse de Langres, par Jean-Baptiste Charlet, p. 142 ; ms.
(2) Généalogie manuscrite de la famille Mance de Nogent-le-Roi.
(3) Langres savante : Recueils des savants et de ceux qui ont excellé dans la science du diocèse de Langres, par Charlet, p. 69 ; ms.
(1) Annales des hospitalières de Villemarie.


(*) La proximité où se trouve Nogent par rapport à Langres a fait dire sans doute à la sœur Morin (4), à M. de la Tour (5), et à d'autres qui ont écrit depuis : que Langres était la patrie de Mlle Mance. La sœur Juchereau, dans son Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, assure de plus qu'elle était fille d'un notaire de Langres (6). Elle aura confondu apparemment le père de Mlle Mance avec un de ses beaux-frères, notaire à Nogent, qui avait épousé Claudette Mance (7), et qui pouvait être chargé des affaires d'intérêt de Mlle Jeanne Mance, sa belle-sœur. Du moins, il n'y a jamais eu à Langres de notaire du nom de Mance.
___________________________________________________________

(4) Annales des hospitalières de Villemarie.
(5) Mémoires sur M. de Laval, 12º, p. 129.
(6) Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec, p. 35.
(7) Généalogie de la famille Mance.

A suivre : II. 1640. Occasion de la vocation de Mlle Mance pour le Canada..

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Message  Louis Mer 18 Juil 2012, 6:09 am

II. 1640. Occasion de la vocation de Mlle Mance pour le Canada.

Son père étant venu à mourir, MlleMance se trouva par là maîtresse de ses actions; car elle avait déjà perdu sa mère depuis plusieurs années. Elle ne mit plus alors de bornes à sa ferveur, et se voua à toutes les pratiques de la vie parfaite, à laquelle elle s'était sentie appelée de tout temps (1), sans éprouver pourtant aucun attrait pour vivre dans le cloître, non plus que pour aller servir DIEU dans les pays barbares : ce que d'ailleurs ses infirmités habituelles et la délicatesse de sa santé semblaient devoir lui interdire également.

Voici cependant comment DIEU daigna lui manifester ses desseins sur elle. Vers la mi-avril de l'année 1640, Mlle Mance, étant à Langres, eut occasion de s'entretenir avec un chanoine de cette ville, qui lui parla avec une estime singulière du zèle et du dévouement que deux dames de qualité faisaient paraître alors pour la Nouvelle-France. C'étaient Mme de La Peltrie, qui venait de conduire des Ursulines à Québec, et Mme la duchesse d'Aiguillon, par les libéralités de laquelle des hospitalières de Dieppe s'y étaient établies récemment. Il bénit DIEU de ce qu'il était enfin servi dans ce pays par les femmes aussi bien que par les hommes, ajoutant que, selon toutes les apparences, il voulait y être particulièrement honoré.

Ces paroles, inspirées sans doute par l'esprit de DIEU , furent pour MlleMance comme un trait de lumière, qui lui découvrit à elle-même sa vocation. A mesure qu'elle entendait parler cet ecclésiastique, elle sentait son cœur attiré à l'œuvre de la Nouvelle-France, comme malgré elle, par des mouvements de grâce, les plus forts et les plus entraînants qu'elle eût jamais éprouvés. Etonnée, après cette conversation, de se voir comme dominée par un attrait si puissant et si nouveau pour elle, elle se met à rechercher tous les motifs et les prétextes dont elle peut se servir pour le combattre, surtout la faiblesse de sa complexion et ses maladies précédentes. Enfin elle n'oublie rien pour tâcher de se convaincre elle-même que DIEU ne peut pas l'appeler à passer dans ce pays. Mais, plus elle diffère de se rendre, plus aussi elle est poursuivie par la crainte d'être infidèle à la grâce.

Dans cet état d'agitation et de trouble…



(1) Annales des hospitalières. Ibid.


A suivre.

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Message  Louis Jeu 19 Juil 2012, 6:59 am

II. 1640. Occasion de la vocation de Mlle Mance pour le Canada. (suite)

Dans cet état d'agitation et de trouble, elle ouvre son cœur à son directeur. D'abord il s'efforce de la calmer, en lui représentant que DIEU ne lui impose pas l'obligation de quitter ainsi sa patrie, et qu'elle ne doit avoir nulle crainte en ne suivant pas cet attrait. Mais quelque confiance qu'elle ait aux avis de son guide spirituel, ses inquiétudes augmentent toujours davantage, malgré tout ce qu'il peut lui dire pour les dissiper. Son pays natal n'est plus pour elle qu'une sorte de prison, d'où il lui tarde de sortir pour voler au plus tôt dans le lieu où DIEU l'appelle.

Son directeur, après lui avoir allégué tout ce qu'il pouvait imaginer de motifs propres à la rassurer, voyant qu'elle était toujours dans le même état de peine, et désespérant de l'en retirer, adresse lui-même de ferventes prières à l'Esprit-Saint, car on célébrait alors les fêtes de la Pentecôte, et dit enfin à sa pénitente :

« Allez, Mademoiselle, allez en Canada : je vous en donne la permission. »

Il ajouta qu'elle partirait le mercredi suivant pour Paris, où elle irait consulter le P.Charles Lallemant, chargé des affaires du Canada; et que, pour la direction de sa conscience, elle s'adresserait au recteur de la maison des Jésuites la plus voisine du lieu où elle logerait (1).


____________________________________________
(1) Histoire du Montréal, par M. Dollier de Casson, de 1640 à 1641.

A suivre : III. De l'avis de son directeur, elle se rend à Paris.

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Message  Louis Ven 20 Juil 2012, 6:00 am

III. De l'avis de son directeur, elle se rend à Paris.

Elle partit, en effet, le mercredi de la Pentecôte qui tombait, cette année 1640, 1e 30 du mois de mai (2), sans déclarer pourtant à sa famille le vrai motif de son voyage. Elle se contenta de dire qu'elle allait à Paris pour y revoir les parents qu'elle y avait; et, comme elle était très-bien faite de corps, et qu'elle ne manquait d'aucun des avantages extérieurs qui peuvent faire rechercher une personne dans le monde (1), plusieurs de ceux qui ne connaissaient pas son dessein crurent témérairement qu'elle cédait à la tentation d'aller se faire admirer à Paris (2).

Dans cette ville, elle descendit chez ses parents, dont la maison était près de l'église de Saint-Sulpice, et par conséquent dans le voisinage du noviciat des Jésuites, ce qui lui donnait la facilité de voir le P. Lallemant. Mais à la seconde visite qu'elle lui fit, ce Père, après l'avoir beaucoup encouragée à suivre l'attrait de la grâce qui la pressait, et lui avoir parlé avec admiration des desseins que DIEU avait sur la Nouvelle-France, prit congé d'elle en lui disant qu'il allait se rendre à Lyon pour une affaire de la dernière conséquence, qui concernait le Canada. C'était pour y accompagner M. de La Dauversière, afin comme on l'a déjà rapporté, de solliciter lui même M. de Lauson de céder l'ile de Montréal à la nouvelle compagnie, qui se formait alors pour y établir une colonie. Mais, comme ce dessein était encore incertain, le P. Lallemant ne le découvrit pas à Mlle Mance (3).

_________________________________________________________

(2) L’Art de vérifier les dates, 1640.
(1) Histoire du Montréal, ibid.
(2) Annales des hospitalières de Villemarie, par la sœur Morin.
(3) Histoire du Montréal, par M. Dollier de Casson.

A suivre : IV. Le P. de St-Jure juge que Mlle est appelée à aller en Canada.

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Message  Louis Sam 21 Juil 2012, 7:02 am

IV. Le P. de St-Jure juge que Mlle est appelée à aller en Canada.

Dans ce même temps elle visita le P. de Saint-Jure, recteur du noviciat des Jésuites. D'abord il se contenta de l'écouter sans lui rien dire qui pût donner à entendre qu'il approuvât ou qu'il désapprouvât sa vocation; et, comme ce Père était fort occupé, elle resta trois mois entiers sans pouvoir conférer de son intérieur avec lui.

Dans cet intervalle elle eut occasion de connaître Mme de Villecerain, et celle-ci, qui avait un accès plus facile auprès de ce religieux, la conduisit avec elle un jour qu'elle avait à le voir. Après l'entretien, et lorsqu'elles se retiraient, le P. de Saint-Jure retint Mlle Mance pour lui parler en particulier sur sa vocation. Il le fit de la manière la plus nette et la plus forte, l'assurant que jamais il n'avait rencontré autant de marques de la volonté de DIEU qu'il en voyait en sa vocation pour le Canada; que c'était une œuvre de DIEU, qu'elle ne devait plus la dissimuler comme elle avait fait jusque alors, et qu'il fallait qu'elle s'en déclarât à ses parents et à tout le monde. Ces paroles dilatèrent tellement le cœur de Mlle Mance, qu'il lui eût été impossible de retenir au dedans d'elle-même le bonheur dont elle se sentit inondée; et, de retour chez ses parents, elle leur découvre tout le mystère de son voyage. Ils font tous les efforts imaginables pour la dissuader d'un dessein qui leur parait si étrange et si téméraire. Mais elle se montre insensible à toutes leurs représentations.

Bientôt la résolution de Mlle Mance est connue de toutes parts, et comme il était encore inouï en France qu'une jeune demoiselle voulût traverser les mers pour aller vivre parmi les barbares, et que d'ailleurs le mérite et la vertu de Mlle Mance, relevés par un air de dignité et de noblesse qui paraissait dans tout son extérieur, la faisaient considérer dans le monde autant que si elle eût été une demoiselle de la première qualité (1 ), des dames de condition désirèrent de la voir et de l'interroger sur sa vocation.

Entre les personnes qui prirent plaisir à s'entretenir avec elle, on cite Mme la princesse de Coudé, Charlotte de Montmorency, Mme la chancelière, enfin la reine elle-même (2). C'est apparemment ce qui fait dire à l'abbé Charlet dans sa Suite des personnes illustres du clergé du diocèse de Langres, que Mlle Mance était très-considérée de la reine mère, Anne d'Autriche (3). A toutes les demandes qu'on lui faisait sur sa vocation elle répondait simplement : qu'elle savait bien que DIEU voulait qu'elle passât dans le Canada, mais qu'elle ignorait pourquoi; et qu'elle s'abandonnait aveuglément à lui pour tout ce qu'il voudrait faire d'elle (4).

_________________________________________________________

(1)Annales des hospitalières de Villemarie, par la sœur Morin.
(2) Histoire du Montréal, par M. Dollier de Casson, de 1640 à 1641.
(3) Suite des personnes illustres, etc., p. 142
(4) Histoire du Montréal.



A suivre : V. Elle visite le P. Rapin, Récollet, qui la fait connaître à Mme de Bullion.


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Message  Louis Dim 22 Juil 2012, 6:58 am

V. Elle visite le P. Rapin, Récollet, qui la fait connaître à Mme de Bullion.

L'hiver survint. Un provincial des Récollets, homme de grand mérite, le P. Rapin, connu de Mlle Mance, se rendit alors à Paris, et elle s'empressa de le visiter, pour lui faire part de sa résolution, qui devait beaucoup l'intéresser lui-même. Les Récollets ayant porté la foi les premiers dans la Nouvelle-France, où ils avaient fait leur résidence jusqu'en 1629, que les Anglais les en chassèrent (1), comptaient y retourner prochainement et avec d'autant plus de raison, que la Grande Compagnie du Canada s'était engagée à les y conduire (2), et qu'enfin, le pape Urbain VIII leur avait donné, en 1635, tous les pouvoirs nécessaires pour y reprendre leur mission (3).

Le P. Rapin reçut donc avec un vif intérêt l'ouverture que lui fit Mlle Mance ; il approuva son dessein, et loua fort la disposition où elle était de s'abandonner parfaitement à DIEU pour le servir dans ce pays. « Il faut, lui dit-il, que vous vous oubliiez ainsi vous-même ; mais il est bon, ajouta-t-il, que d'autres prennent soin de vous. » C'était ce qu'il se proposait de faire par le moyen d'une dame très-riche et très-charitable, qui lui témoignait à lui-même une confiance sans bornes.

C'est pourquoi, à quelques jours de là, il mande à MlleMance qu'elle ait à se tenir prête pour aller chez Mme de Bullion lorsqu'on viendrait la chercher de sa part; ce qui eut lieu le jour même, dans l'après-midi (1).

________________________________________________________

(1) Archives du département de Seine-et-Oise ; Récollets de St. Germain ; Mémoires de l’année 1637.
(2) Ibid. Mémorial de la Mission des Récollets de la Nouvelle-France.
(3) Ibid. Decretum sacræ Congregationis Propanganda Fide 28 feb. 1635.
(1) Histoire du Montréal, par M. Dollier de Casson, de 1640 à 1641.


A suivre : VI. Mme de Bullion se propose de fonder un hôpital en Canada, et en offre la conduite à Mlle.

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Message  Louis Lun 23 Juil 2012, 6:12 am

VI. Mme de Bullion se propose de fonder un hôpital en Canada,
et en offre la conduite à Mlle.

Cette dame avait perdu depuis quelques semaines Claude de Bullion, son mari, surintendant ou ministre des finances, mort à Paris d'une attaque d'apoplexie, la nuit du 22 au 23 décembre 1640 ; et cet événement, qui la laissait maitresse de grands biens, lui donnait toute facilité de suivre son attrait pour les bonnes œuvres. Son mari, outre les appointements ordinaires de sa charge, recevait tous les ans le premier jour de janvier cent mille livres, que le cardinal de Richelieu lui envoyait, dans la persuasion où il était que l'intelligence et le désintéressement du surintendant des finances ne pouvaient être récompensés trop dignement (2).

Mlle Mance s'étant donc présentée chez Mme de Bullion, où était dans ce moment le P. Rapin, cette pieuse dame prit grand plaisir à l'entretenir. Elle lui témoigna sa satisfaction du dessein qu'elle avait formé de passer en Canada, la félicita de ses dispositions d'abandon parfait entre les mains de DIEU , et, après avoir longtemps parlé avec elle, la pria de venir la revoir. MlleMance revint en effet.

A la quatrième visite, Mme de Bullion lui demanda enfin si elle ne serait pas bien aise de prendre le soin d'un hôpital dans la Nouvelle-France; elle ajouta qu'elle avait dessein d'y en fonder un, de lui assurer pour elle-même ce qui serait nécessaire à son entretien; et que pour cela elle désirait savoir à quelle somme s'élevait la fondation de l'hôpital de Québec, faite par Mme la duchesse d'Aiguillon. Mlle Mance répondit que la faiblesse de sa complexion, jointe à sa mauvaise santé, ne permettait pas de faire grand fond sur les services qu'elle pouvait rendre dans un pareil établissement. Que néanmoins elle s'était abandonnée à DIEU, pour se conformer en tout à son bon plaisir, soit à l'égard des malades, soit pour tous les autres emplois qu'il voudrait bien lui confier. Que, quant à la fondation de l'hôpital de Québec, elle ignorait quel en avait été le prix, mais qu'elle aurait soin de s'en informer.

Dans l'une des visites qu'elle lui fit ensuite, elle lui dit en effet à quoi se montait cette fondation; et Mme de Bullion lui donna à comprendre qu'on n'en devait pas moins attendre de sa libéralité pour l'hôpital dont elle voulait être fondatrice (1).

_________________________________________________

(2) Histoire de Louis XIII, par Bury. 1768, in-12, t. IV. P. 49 et 56.
(1) Histoire du Montréal, par M. Dollier de Casson, de 1640 à 1641.

A suivre : 1641. VII. Mlle Mance prend congé de Mme Bullion qui lui remet une somme, comme arrhes de sa bonne volonté.

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Message  Louis Mar 24 Juil 2012, 6:12 am

1641. VII. Mlle Mance prend congé de Mme Bullion
qui lui remet une somme, comme arrhes de sa bonne volonté.

Enfin, le printemps de 1641 arriva. C'était le moment marqué par la divine providence pour l'exécution de ses desseins sur Montréal, et sur Mlle Mance elle-même, qui devait y avoir une si grande part, quoique alors elle n'eût aucune connaissance du projet de cette colonie. Il n'était donc plus temps de parler, il fallait agir; et Mlle Mance, pressée par l'attrait intérieur de la grâce, se prépara en effet à son départ avec une gaieté et une promptitude non pareilles, n'ayant en cela d'autre désir que de profiter du départ des navires qui allaient faire voile pour le Canada. Au moment où elle prit congé de Mme de Bullion, celle-ci lui remit une bourse de 1,200 livres, en lui disant :

« Recevez les arrhes de notre bonne volonté, en attendant que nous fassions le reste, lorsque vous m'aurez écrit du lieu où vous serez, et que vous m'aurez mandé l'état des choses. »

Mme de Bullion, par une humilité très-rare dans une personne de sa condition, voulait que ses bonnes œuvres ne fussent connues, s'il était possible, que de DIEU seul. Aussi fit-elle à Mlle Mance une sorte d'obligation de ne la nommer à personne, et même de ne lui écrire que sous le nom et l'adresse du P. Rapin. Ce fut apparemment dans cette occasion, que, pour lui donner un gage de son amitié, elle lui fit présent de son portrait, renfermé dans une boite d'agate montée en or et ornée de pierreries (1).

Enfin, elles se séparèrent, non sans une peine très-sensible, surtout du côté de Mme de Bullion, qui, éprouvant plus de désir encore de sacrifier sa personne que sa fortune au Canada, portait une sainte envie à Mlle Mance (1).

__________________________________________________

(1) Annales des hospitalières de Villemarie, par la sœur Morin.
(1) Histoire du Montréal, ibid.

A suivre : VIII. Mlle Mance se détermine à s’embarquer à…

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Message  Louis Mer 25 Juil 2012, 5:58 am

VIII. Mlle Mance se détermine à s’embarquer à la Rochelle.
Elle communique son intérieur à Marie Rousseau,
qui approuve son départ pour le Canada.

Si elle la pria de lui écrire du lieu où elle serait, c'est que Mlle Mance n'avait alors d'autre désir, comme nous venons de le dire, que d'aller en Canada, convaincue que DIEU, qui l'appelait dans ce pays, lui ferait connaître le genre de service qu'il désirait y recevoir d'elle ; et comme elle savait que des navires étaient sur le point de faire voile pour ce pays, les uns de la Normandie, les autres de la Rochelle, elle se hâtait pour saisir cette occasion de partir. Ses parents, voyant la résolution où elle était, souhaitèrent qu'elle s'embarquât en Normandie, afin, disaient-ils, de pouvoir l'accompagner jusqu'au bord du navire, et peut-être aussi pour faire un dernier effort sur son esprit. Mais cette âme généreuse, qui voulait rompre au plus tôt tous les liens de la chair et du sang, résolut de s'embarquer à la Rochelle, d'où elle savait d'ailleurs que quelques prêtres devaient partir aussi pour le Canada, ce qui lui donnait l'assurance de n'être pas privée de la sainte messe pendant le voyage. DIEU se servit de ces deux motifs pour conduire Mlle Mance à ce port, afin de l'associer à la compagnie de Montréal, avantage qu'elle n’aurait pas eu si elle fût embarquée à Dieppe, ainsi que nous le dirons bientôt (1).

Cependant…

_________________________________
(1) Histoire du Montréal

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Message  Louis Jeu 26 Juil 2012, 6:32 am

VIII. Mlle Mance se détermine à s’embarquer à la Rochelle.
Elle communique son intérieur à Marie Rousseau,
qui approuve son départ pour le Canada.
(suite)

Cependant, immédiatement avant son départ de Paris, elle reçut déjà quelque vue surnaturelle sur ce qui devait lui arriver, tant au lieu de l’embarquement que dans la Nouvelle-France. Elle en fit part à deux religieux, grands serviteur de DIEU , et à une personne de piété, avec laquelle elle conféra par écrit (2). Cette personne était peut-être une sainte veuve, Marie de Gournay, plus connue sous le nom de Marie Rousseau, le conseil de tout ce qu’il y avait d’âme éminentes à Paris, comme on le voit dans la Vie de M. Olier (3). Du moins, Mlle la consulta sur sa vocation, et Marie Rousseau l’assura que DIEU l’appelait à procurer sa gloire dans la Nouvelle-France. C’est ce qui fait dire à M. Olier : « Elle n’est point allée dans ce pays sans recevoir approbation et direction de cette bienheureuse âme que DIEU semble avoir laissée dans le monde pour le renouvellement du christianisme, de même qu’autrefois la très-sainte Vierge pour son premier établissement (4). »

Il paraît que Mlle Mance ne se contenta pas de lui exposer les circonstances de sa vocation, mais qu’elle lui découvrit encore ses dispositions intérieures les plus secrètes, et tout le fond de son âme. Du moins, Marie Rousseau en eut une parfaite et entière connaissance ; et après le départ de Mlle Mance elle ne parlait de cette sainte fille qu'avec admiration, comme nous l'apprend M. Olier. « Elle disait du P. de Condren, écrit-il, que c'était le plus admirable intérieur qu'elle eût jamais vu sur la terre, quoiqu'elle eût vu celui de la plupart des âmes qui servent DIEU, et entre autres celui de Mlle Mance, qu'elle estime une des plus grandes âmes qui vivent. C'est elle dont DIEU s'est servi pour aller fonder l'Église de (Montréal en) Canada (1). »

______________________________________________________

(2) Les Véritables Motifs de Messieurs et Dames de Montréal, 1643, in-4º, p. 31.
(3) Vie de M. Olier, t. I, p. 355 et suiv.
(4) Mémoires autobiographes de M. Olier , t. II, p.51.
(1) Mémoires autobiographes de M. Olier, ibid.


A suivre : IX. A la Rochelle, Mlle Mance…



Dernière édition par Louis le Ven 27 Juil 2012, 11:49 am, édité 1 fois (Raison : orthographe)

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Message  Louis Ven 27 Juil 2012, 5:26 am

IX. A la Rochelle, Mlle Mance entend parler du dessein de la colonie de Montréal.

Mlle Mance se mit donc en route pour la Rochelle, le lendemain même du jour où elle avait fait ses adieux à Mme de Bullion ; et, quoiqu'elle fût alors dans un état de faiblesse tel, qu'un si long voyage semblait être au-dessus de ses forces , elle en surmonta les fatigues avec un courage héroïque, que DIEU se plut à lui communiquer. Il conduisait tous les pas de cette sainte fille, et disposait tellement les cœurs en sa faveur dans les hôtelleries où elle s'arrêtait sur la route, que partout, après y avoir été accueillie avec un empressement et une obligeance qui n'étaient pas ordinaires, à peine voulait-on recevoir son argent.

« DIEU , ajoute M. Dollier de Casson, lui donnait la grâce de toucher tous les cœurs, pour la récompenser de ce que, faible et seule comme elle était, elle osait néanmoins par un effet de son abandon à lui, tout entreprendre pour sa gloire (1 ). »

Arrivée enfin au lieu tant désiré de son embarquement, et ne connaissant personne dans cette ville, elle alla se loger, sans le savoir, tout proche de l'église des Jésuites. Cette circonstance, dès qu'elle en fut informée, lui donna l'occasion d'aller saluer le R.P. Laplace qu'elle avait vu à Paris et qu'elle savait devoir passer dans la Nouvelle-France. Ce Père fut ravi de la voir à la Rochelle; il ne put s'empêcher de lui en témoigner sa joie, et il ajouta qu'il avait beaucoup craint qu'elle n'arrivât qu'après le départ des navires. Dans le même moment M. de Fancamp, que la Compagnie de Montréal avait envoyé à la Rochelle avec M. de La Dauversière pour donner ordre à l'embarquement de la recrue, s'entretenait avec le P. Laplace. Voyant entrer Mlle Mance, il se retira. Ce religieux, après l'avoir donc félicitée sur sa prompte arrivée, se mit à lui parler du zèle que DIEU inspirait à plusieurs personnes pour le Canada, et de la générosité avec laquelle elles contribuaient à cette œuvre.

« Voyez-vous, dit-il, ce gentilhomme qui vient de sortir afin de me laisser la liberté de vous parler : il a donné cette année 20,000 livres pour une entreprise qui regarde ce pays. Il s'appelle le baron de Fancamp, et est associé à plusieurs personnes de qualité, qui font de grandes dépenses pour un établissement qu'elles ont désiré de former dans une île du Canada, appelée Montréal.»

Après lui avoir fait connaître tous les mouvements qu'on se donnait pour cette œuvre, il demanda à Mlle Mance où elle logeait ; et ayant appris que c'était chez une huguenote, il la fit conduire ailleurs, sans qu'elle lui en fit la demande (1).

____________________________________________________

(1) Histoire du Montréal, par M. Dollier de Casson, ibid.
(1) Histoire du Montréal, par M. Dollier de Casson, ibid.

A suivre : X. Rencontre miraculeuse de Mlle Mance et de M. de La Dauversière.

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Message  Louis Sam 28 Juil 2012, 6:26 am

X. Rencontre miraculeuse de Mlle Mance et de M. de La Dauversière.

Le lendemain, elle eut le désir d'aller de nouveau chez les Jésuites. Lorsqu'elle arriva à la porte de leur église, M. de La Dauversière en sortait. Alors ces deux personnes, qui jamais ne s'étaient vues, ni n'avaient ouï parler l'une de l'autre, furent subitement éclairées d'une lumière surnaturelle, qui leur découvrit mutuellement leurs pensées les plus secrètes et tout leur intérieur, comme il était déjà arrivé à l'égard de M. Olier et du même M. de La Dauversière. Ce dernier salua par son nom Mlle Mance, qui le salua aussi par le sien ; « et en un instant DIEU leur imprima dans l'esprit une connaissance de leurs desseins si claire, que, s'étant reconnus, ils ne purent faire autre chose que remercier DIEU de ses faveurs (1) (*). »

On ne nous a pas appris en détail tout ce qui dut se passer dans ces deux grandes âmes, que DIEU se plut à unir ainsi de la manière la plus sainte et la plus étroite. Tout ce qu'on en a su, c'est que Mlle Mance en conserva toujours le souvenir présent, et que ce souvenir remplissait son cœur d'une si vive reconnaissance envers la bonté divine, même à la fin de sa vie, que les personnes avec qui elle parlait sur ce sujet ne pouvaient s'empêcher d'en être frappées d'admiration. « Elle parlait de ces matières comme un séraphin, dit la sœur Morin dans ses Annales, et bien mieux que plusieurs docteurs n'auraient su le faire (2). »


(*) M. Dollier, qui rapporte les circonstances de cette entrevue, fait remarquer qu'il ignorait par quel moyen M. de La Dauversière, qui n'avait jamais vu Mlle Mance, avait pu la saluer par son nom; et il conjecture que, peut-être, le P. Laplace la lui avait déjà fait connaître. Mais il ne savait pas que les associés de Montréal, dans leurs Véritables Motifs, imprimés deux ans après cette entrevue, avaient écrit que ce fut par une lumière surnaturelle, et qu'ils alléguaient cette circonstance, comme une des marques certaines que leur œuvre était vraiment l'œuvre de Dieu.
___________________________________________________

(1) Les Véritables Motifs de Messieurs et Dames de Montréal, 1643, in-4º, p. 30.
(2) Annales des hospitalières de Villemarie, par la sœur Morin.

A suivre : XI. Mlle est reçue au nombre des associés de la Compagnie de Montréal.


Dernière édition par Louis le Dim 29 Juil 2012, 6:44 am, édité 1 fois (Raison : orthographe)

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Message  Louis Dim 29 Juil 2012, 6:41 am

XI. Mlle est reçue au nombre des associés de la Compagnie de Montréal.

M. de La Dauversière lui exposa avec une entière ouverture de cœur le dessein de la société que plusieurs personnes de qualité formaient en faveur de l'Ile de Montréal, et toutes leurs vues dans cette sainte entreprise. Il lui apprit que DIEU venait de leur donner un homme de sa main dans la personne de M. de Maisonneuve, destiné à former l'établissement et à le défendre au dehors contre les sauvages ; et il ajouta que DIEU l'envoyait elle-même pour avoir soin du dedans et pour servir les malades et les blessés : qu'en conséquence elle voulût bien être reçue au nombre des associés de la Compagnie de Montréal, comme y avait été reçu M. de Maisonneuve. Après cette entrevue, M. de La Dauversière alla la visiter chez elle, et la pressa de s'associer à la Compagnie.

Mlle Mance, apprenant que cette société était composée de personnes très-opulentes, doutait d'abord si elle devait y entrer. Elle jugeait que, n'ayant pour subsister qu'une petite pension viagère, il y aurait trop de disproportion entre elle et ces messieurs; et qu'enfin, à cause de la délicatesse de sa complexion et de sa mauvaise santé, elle serait plutôt à leur charge qu'elle ne les servirait.

« Si je fais ce que vous me proposez, dit-elle à M. de La Dauversière, j'aurai plus d'appui sur la créature, et moins à attendre du côté de la Providence, de laquelle je veux dépendre uniquement. »

— « Vous n'en serez pas moins fille de la Providence, reprit M. de La Dauversière ; car cette année nous avons fait une dépense de 75.000 livres, et je ne sais pas où nous prendrons le premier sou pour l'an prochain. Je suis certain, il est vrai, que cet ouvrage est de DIEU, et qu'il le fera réussir; mais comment le fera-t-il? je l'ignore. »

Ces dernières paroles gagnèrent entièrement Mlle Mance à l'œuvre de Montréal ; mais n'ignorant pas que les lumières extraordinaires, lorsqu'il plaît à DIEU d'en donner quelqu'une, ne doivent être une règle de conduite qu'après avoir été approuvées par les supérieurs ordinaires, elle ajouta qu'elle s'unirait à la Compagnie de ces messieurs, si le P. de Saint-Jure, son directeur, l'avait pour agréable. « Ne perdez donc pas de temps, dit alors M. de La Dauversière, et écrivez au P. de Saint-Jure par le prochain courrier. » Elle le fit sans délai, et manda encore la même chose à d'autres personnes, qui toutes, aussi bien que le P. de Saint-Jure, lui répondirent que la main de DIEU était visible dans cet ouvrage ; qu'elle ne manquât donc pas d'accepter l'union qu'on lui proposait, et qu'assurément NOTRE-SEIGNEUR le demandait d'elle.

Aussitôt qu'elle eut reçu ces réponses, elle les communiqua à M. de La Dauversière, qui en eut une joie non pareille, aussi bien que M. de Maisonneuve et M. de Fancamp ; et tous trois reçurent Mlle Mance au nom des associés, comme un présent que le Ciel faisait à leur Compagnie.

A suivre : XII. Mlle Mance engage M. de La Dauversière…


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Message  Louis Lun 30 Juil 2012, 6:42 am

XII. Mlle Mance engage M. de La Dauversière à mettre par écrit
le dessein de Montréal. — Dieu la délivre d’une inquiétude.

Pendant qu'on se préparait à faire voile, DIEU inspira à Mlle Mance de prier M. de La Dauversière de mettre par écrit le dessein de Montréal, et de lui en donner des copies, afin qu'elle pût les envoyer à Mme la princesse de Condé, à Mme la chancelière, à Mme de Villecerain, et aux autres dames qui avaient voulu la voir à Paris, surtout à Mmede Bullion, de qui elle espérait davantage encore. M. de La Dauversière, jugeant que ce conseil était très-sage, dressa l'écrit en question et en fit faire des copies, qu'il lui mit entre les mains. A chaque copie elle joignit une lettre, et fit de ces deux pièces autant de paquets séparés, qu'elle remit ensuite à M. de La Dauversière lui-même, afin qu'il pût s'en servir selon sa prudence, lorsqu'il serait à Paris. Nous verrons bientôt quels furent les résultats de ces écrits en faveur de l'œuvre de Montréal (1).

Mais, lorsque le vaisseau sur lequel Mlle Mance devait monter n'attendait que l'heure de sortir du port de la Rochelle, elle éprouva une peine très-vive : ce fut de penser qu'elle allait se trouver seule de son sexe au milieu d'une troupe de soldats, et dans un pays inconnu et inhabité ; et cependant il n'y avait pas moyen de trouver pour elle une compagne, le vaisseau étant sur le point de démarrer.

DIEU la délivra cependant de cette peine; car ce jour-là même M. de La Dauversière et M. de Fancamp apprirent par une lettre de leurs agents, qui faisaient embarquer le reste de la recrue à Dieppe en Normandie, que deux des ouvriers engagés pour Montréal n'avaient consenti à s'embarquer qu'après avoir obtenu de conduire leurs femmes avec eux ; que, de plus, une vertueuse fille de Dieppe, touchée soudainement d'un ardent désir d'aller elle-même à Montréal pour y offrir à DIEU ses services, était entrée de force dans le vaisseau qui démarrait du port, malgré les efforts qu'on faisait pour l'en empêcher (1).

Ainsi, Mlle Mance, avant de s'embarquer, eut l'assurance non-seulement de trouver dos compagnes à Montréal, mais d'y avoir une fidèle assistante pour l'aider à soigner les malades. C'était ce qu'elle avait connu avant de partir de Paris, ainsi que tout ce qui venait de lui arriver à la Rochelle, comme elle-même l'avait annoncé et laissé même par écrit, selon ce qui a été dit plus haut.

__________________________________________________

(1) Histoire du Montréal, par M. Dollier de Casson, de 1640 à 1641.
(1) Les Véritables Motifs de Messieurs et Dames de Montréal, 1643, in-4º, p. 30 et 31.
A suivre : CHAPITRE II. ARRIVEE DE MADEMOISELLE MANCE EN CANADA…

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Message  Louis Mar 31 Juil 2012, 6:10 am

CHAPITRE II

ARRIVEE DE MLLE MANCE AU CANADA.
ELLE DONNE COMMENCEMENT A L’HOTEL-DIEU DE VILLEMARIE,
DESTINE AUX FILLES DE SAINT-JOSEPH.


I. Arrivée de Mlle Mance à Québec.


La recrue pour Montréal était portée sur trois navires. Dans l'un se trouvaient M. de Maisonneuve , avec environ vingt-cinq hommes, et un ecclésiastique destiné pour les Ursulines de Québec; Mlle Mance était dans un autre, avec douze hommes seulement, accompagnés du Père Laplace ; et le reste des hommes destinés pour Montréal s'était embarqué à Dieppe. Les deux vaisseaux partis de la Rochelle se suivirent de près pendant huit jours ; mais après ce terme ils furent séparés l'un de l'autre par un coup de vent ; et celui de M. de Maisonneuve éprouva de si furieuses tempêtes, qu'il fut obligé de relâcher trois fois, avec perte de trois ou quatre de ses hommes (1).

Quant à Mlle Mance, elle arriva fort heureusement à Québec, où elle eut la satisfaction de trouver les hommes partis de Dieppe qui étaient occupés à construire un magasin pour l'usage de la Compagnie de Montréal. Mais le retard de M. de Maisonneuve, dont elle n'avait aucune nouvelle, la mit en grande sollicitude ; et avec d'autant plus de raison, que chacun pensait qu'il n'arriverait pas cette année-là. Enfin il parut à Québec le 20 du mois d'août, et réjouit tous ses gens, qui étaient dans un grand besoin de sa présence ; car à Québec ils avaient éprouvé, et ils éprouvaient encore de grandes oppositions de la part de ceux qui gouvernaient dans ce lieu, et qui, sachant que la colonie de Montréal serait un établissement indépendant de leur autorité, voulaient mettre obstacle à sa fondation et retenir les colons à Québec (1).

Nous n'entrerons pas ici dans le détail de ces épreuves, qui seront racontées dans l'Histoire de la colonie de Montréal. Pour nous borner à Mlle Mance, il nous suffira de dire qu'avant l'arrivée de M. de Maisonneuve, ceux qui gouvernaient à Québec, n'ignorant pas qu'elle était très-nécessaire au dessein de Montréal, s'efforcèrent de l'en détourner par toutes les voies possibles. Mais leurs instances furent inutiles ; et d'ailleurs, ayant eu avant son départ de Paris une vue surnaturelle des obstacles qu'elle rencontrerait à Québec, elle se montra toujours inébranlablement résolue à suivre la voix de DIEU qui l'appelait à Villemarie (2).

____________________________________________

(1) Histoire du Montréal, par M. Dollier de Casson, de 1640 à 1641. — Histoire du Canada, par M. de Belmont.
(1) Histoire du Montréal, ibid. —Vie de la Sœur Bourgeoys ; Villemarie, 1818, in-12, p. 25,26.
(2) Histoire du Montréal, ibid. —Histoire du Canada, par M. de Belmont.

A suivre : II. Mme de La Peltrie…

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Message  Louis Mer 01 Aoû 2012, 6:28 am

II. Mme de La Peltrie se lie d’une étroite et sainte amitié avec Mlle Mance.

Un autre embarras plus difficile à vaincre la mit bientôt à une nouvelle épreuve, elle et toute la recrue. Après l'arrivée de M. de Maisonneuve, la saison se trouvait trop avancée pour qu'on pût allers s'établir dans l'île de Montréal, où il n'y avait encore ni maison construite, ni rien de préparé pour la colonie.

Mlle Mance, M. de Maisonneuve et tous leurs hommes, se voyaient dans nécessité de passer l'hiver à Québec (1), sans savoir où se loger pour se défendre du froid, qui est si rigoureux dans ce pays. Mais on eût dit que DIEU ne les avait exposés un instant à cette extrémité, que pour faire paraître avec plus d'éclat les soins de sa Providence sur eux. Il leur procura tous les secours nécessaires, et au delà même de leurs désirs.

D'une part, l'accueil si peu gracieux qu'on leur faisait à Québec, et de l'autre leur désintéressement, leur dévouement, les motifs si chrétiens qui les animaient dans cette entreprise, et la charité qui régnait parmi eux, touchèrent plusieurs personnes en leur faveur.

D'ailleurs, la vertu et le mérite de Mlle Mance et de M. de Maisonneuve leur donnaient à l'un et à l'autre un ascendant extraordinaire , que cependant ils ne recherchaient pas. Ainsi, Mme de La Peltrie, arrivée depuis deux ans à Québec, où elle avait conduit les Ursulines, dont elle s'était déclarée la fondatrice, n'eut pas plutôt connu Mlle Mance, qu'elle s'unit étroitement à elle, et ne lui donna pas seulement les témoignages d'honneur et d'estime que méritait sa vertu, mais toutes les marques de l'amitié la plus délicate et la plus sincère, comme elle eût fait à l'égard de sa propre sœur (1). Enfin, elle conçut une si grande affection envers les colons de Montréal, qu'elle sembla se détacher de ceux de Québec pour s'associer aux premiers ; du moins c'est ce que donne à entendre la mère Marie de l'Incarnation, religieuse ursuline de Québec.

« Les personnes qui vinrent l'an passé pour établir l'habitation de Montréal, écrivait-elle le 29 septembre 1642, qui sont un gentilhomme et une demoiselle de France, ne furent pas plutôt arrivés, que notre bonne fondatrice, qui nous avait amenées en Canada avec une générosité des plus héroïques, se retira avec eux. Elle reprit ensuite ses meubles et plusieurs autres choses, qui servaient à l'église et qu'elle nous avait donnés. De vous dire qu'elle a tort, je ne puis selon DIEU ; car, comme elle retourne dans le monde, il est juste qu'elle soit accommodée selon sa qualité; et enfin a tant de piété et de crainte de DIEU, que je ne puis douter que ses intentions ne soient bonnes et saintes (2).»

_______________________________________________________
(1] Relation de ce qui s’est passé dans la Nouvelle-France, ès années 1640 et 1641, par le P. Vimont, Paris, 1642, ch. 13, p. 202.
(1) Annales des hospitalières de Villemarie, par la sœur Morin.
(2) Lettre de la vénérable mère Marie de l’Incarnation , 1681, in-4º, 2e partie, lettre 26, à Mme de Chevreuse, du 29 septembre 1642, p. 369

A suivre : III. Les colons de Montréal….



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Message  Louis Jeu 02 Aoû 2012, 6:22 am

III. Les colons de Montréal étant sans asile
pour passer l’hiver , reçoivent de M. de Puizeau ses deux maisons.

Mais ce qui ranima dans les cœurs de tous les colons de Montréal leur confiance aux soins paternels de la divine Providence, c'est que le plus riche particulier du Canada, M. de Puizeau, vieillard vénérable, leur procura à tous un asile assuré, et même toutes les commodités et les douceurs qu'ils n'eussent pu trouver ni à Montréal, ni partout ailleurs dans le pays.

Cet homme vertueux, qui demeurait à Sainte-Foy, à une journée de Québec, eut occasion de voir comme par hasard M. de Maisonneuve, et de l'interroger sur le dessein des associés de Montréal. Il fut si touché de leur dévouement, qu'il demanda avec instance de leur être associé, pour qu'il pût concourir lui-même à une si noble entreprise ; et sur l'heure il donna à leur compagnie tous ses meubles, ses bestiaux et ses deux maisons, où il avait dépensé plus de 100,000 livres, l'une à Sainte-Foy même, et l'autre près de Québec (1), appelée d'abord Saint-Michel, et ensuite Puizeau (2), si commode et si bien construite, qu'elle était regardée alors comme le bijou du Canada. Il ajouta qu'une partie de la recrue passerait l'hiver à Sainte-Foy, où elle construirait les barques nécessaires pour monter à Montréal au printemps prochain ; et que l'autre exécuterait à Saint-Michel tous les ouvrages de menuiserie.

Ravi d'une proposition si généreuse et si inattendue, M. de Maisonneuve adora les attentions de la bonté divine sur l'œuvre dont elle l'avait chargé, et prit possession de ces deux maisons, où il plaça tout son monde.

M. de Puizeau se démit si entièrement de ses biens en faveur de la Compagnie de Montréal, que, voyant ensuite Mmede La Peltrie, à qui il fournissait depuis quelque temps le logement dans sa maison de Saint-Michel, il lui dit :

« Madame, ce n'est plus moi qui vous loge, je ne possède plus rien ici : c'est à M. de Maisonneuve que vous en avez présentement l'obligation, car « il est le maître actuel. »

Mlle Mance passa donc l'hiver à Saint-Michel…

____________________________________________________________

(1) Histoire du Montréal, par M. Dollier de Casson, de 1640 à 1641.
(2) Archives de la marine de Romain Bequet, notaire à Québec, du 26 avril 1678 ; vente de Puizeau au séminaire de Québec.


A suivre...

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