Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.

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Message  Louis Jeu 06 Oct 2022, 7:00 am


Aux Glaces Polaires

CHAPITRE IV: L’Été.

Les vingt ans de Mgr Faraud au Lac la Biche.

Le lendemain de Noël 1869, après avoir veillé à l’installation des Sœurs Grises, au fort Providence, et pourvu aux premiers besoins de leur orphelinat-hôpital, Mgr Faraud « chaussa les raquettes » et s’achemina de nouveau vers le lac la Biche.

Il y arriva, en février 1870, et n’eut que le temps d’aviser aussitôt à l’expédition des colis que Mgr Taché, prévenu de la décision de la Compagnie, avait dirigés, dès 1869, de Saint-Boniface sur le lac la Biche.

Mgr Faraud demeura vingt ans au poste du lac la Biche. Ce fut le champ principal de sa vie d’évêque.

Vingt ans de calculs, de soucis, de correspondances, de travaux manuels exigés par l’arrivée, la mise en ordre et l’envoi des pièces, malgré les continuelles souffrances d’un organisme ruiné par la fatigue et les privations. Vingt ans de labeur qui suffirent à établir son vicariat sur des bases qui le supportent encore aujourd’hui, tout dédoublé qu’il soit en Athabaska et en Mackenzie.

Il eut pour l’assister, pendant ces vingt ans, des auxiliaires de tout dévouement, parmi lesquels les Pères Maisonneuve, Tissot, Grouard, Collignon, Leduc, Henri Grandin.

La première expédition, faite du lac la Biche pour Mac-Murray, consistait en une barge, contenant 80 pièces de 100 livres chacune. C’était peu; mais c’était beaucoup plus déjà que n’en avait jamais permis la route du Portage la Loche.

Bientôt le convoi se doubla, et les missions purent se doubler aussi. Les deux barges étaient frétées régulièrement, à la débâcle de mai, et partaient, poussées par 17 rameurs, sur les premières eaux.

Plusieurs fois elles échouèrent dans les rapides. Elles s’y brisèrent. L’une ou l’autre y laissa, en tout ou en partie, son précieux chargement. Il y eut des retards, des déceptions. Il arriva à des guides sans pitié d’y abandonner les voyageurs. Plusieurs y furent blessés. D’aucuns y furent réduits aux extrémités de la misère. Mgr Faraud lui-même faillit y mourir de faim. Mais, comme si la bénédiction de Mgr Taché eût lié les maléfices de ces rapides de l’Athabaska, nul missionnaire n’y périt, pas plus durant les vingt ans de Mgr Faraud, que durant les vingt-huit qui suivirent, sous Mgr Grouard et sous Mgr Breynat, tandis que des commerçants, explorateurs et touristes y trouvèrent la mort.

Tout en veillant à la marche ordinaire des affaires, Mgr Faraud tenta, dès 1870, la réalisation d’un projet, consistant à tailler en plein bois, du lac la Biche à Mac-Murray, un chemin continu et direct de voitures, qui brûlerait l’étape des rapides. Il y travailla à plusieurs reprises, mais en pure perte, car les moyens d’action trahirent sa volonté; et les 120 kilomètres apprêtés durent être abandonnés, sans avoir jamais servi.

Non découragé par cet échec, il tourna ses efforts contre la petite rivière la Biche, qu’il fallait descendre pour parvenir à la rivière Athabaska, et dont les propres rapides, quoique moins périlleux que ceux de l’Athabaska, ne laissaient pas d’être très incommodes par leurs crues capricieuses, leurs eaux souvent trop basses et les retards qui s’ensuivaient. Il envoya le Père Collignon et quelques ouvriers pratiquer dans la forêt une « trouée de 80 kilomètres de long sur 4 mètres de large ». Ce chemin fut en usage de 1878 à 1889.

Voulez-vous avoir une idée du premier voyage effectué sur cette nouvelle voie? dit Mgr Grouard, qui conduisit les premières voitures. Le sol, que n’a encore pressé aucune roue, se défonce bientôt, et les mille souches des arbres abattus relèvent leurs têtes contre lesquelles, bon gré mal gré, conducteurs, bœufs et véhicules vont se heurter à chaque pas. Puis, se présente une lisière de terrain bas et marécageux. Le premier bœuf y laisse une profonde empreinte, le second enfonce jusqu’aux genoux, le troisième jusqu’au poitrail, et les charrettes à l’avenant. Le quatrième bœuf en aurait par-dessus les cornes, si l’on ne prenait la précaution de joncher le sol de branches et de fascines, à l’aide desquelles le passage peut s’effectuer. Or, cette succession de souches et de fondrières est presque ininterrompue. Aussi, mainte voiture se disloque ou se renverse, ou même reste hors de combat. Mais, peu nous importe, puisque nous arrivons enfin sur les bords de la rivière Athabaska, et que nos missionnaires recevront encore leurs approvisionnements.

Nous avons dit que le lac la Biche communiquait avec la Rivière-Rouge (Saint-Boniface) par la prairie….


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Message  Louis Ven 07 Oct 2022, 6:58 am


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CHAPITRE IV: L’Été.

La PRAIRIE et les bohémiens de l’apostolat.

Nous avons dit que le lac la Biche communiquait avec la Rivière-Rouge (Saint-Boniface) par la prairie. Ce n’était pas directement toutefois. Il y avait encore, au sud du lac, plus de 160 kilomètres boisés à ouvrir. Le Père Maisonneuve, durant les années de « préparation », défricha ce chemin, qu’il poursuivit jusqu’au fort Pitt, situé à 225 kilomètres au sud-est du lac la Biche, sur la branche nord de la rivière Saskatchewan et sur la grande route de la prairie.

La prairie, que de souvenirs évoque ce mot !

La prairie ne connaissait jadis que la voie tortueuse et très dure à la touée de la Saskatchewan (1). Les barques de la Compagnie la remontaient, chaque printemps, pour alimenter les forts-de-traite du Nord-Ouest.

Le premier blanc, qui eut la hardiesse de s’engager à travers la prairie elle-même, fut le Père Albert Lacombe. C’est en 1860 qu’il partit du lac Sainte-Anne, à 64 kilomètres à l’ouest d’Edmonton, pour cette exploration. Il dirigea sa marche sur Saint-Boniface. Rien ne le déconcerta dans cette « traversée » de 1.500 kilomètres: ni les accidents de terrain qui coupaient en tous sens la grande plaine sauvage, ni les bandes de Cris, d’Assiniboines et de Sauteux qui la terrorisaient.

Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux. - Page 4 Page_910

C’est sur ce chemin du large, découvert et jalonné par le Père Lacombe; c’est à sa suite et à la faveur de son prestige sur les brigands indiens — détails singulièrement oubliés par nombre d’auteurs qui se targuent d’exactitude et de justice— que toutes les caravanes du Nord, commerçantes, exploratrices et apostoliques, passèrent pendant trente ans.

Le voyage « par la prairie », relativement facile aux années favorables, devenait extrêmement pénible aux saisons pluvieuses, et deux mois n’y suffisaient plus alors:

Le trajet de Saint-Boniface au lac la Biche, raconte, en 1880, Mgr Clut, auxiliaire de Mgr Faraud, nous prit soixante-quinze jours. Nos animaux, ne pouvant s’arracher des bourbiers, des marais et des fondrières presque continuels, les missionnaires étaient obligés de marcher dans l’eau glacée et de patauger dans la boue pour leur venir en aide.

Vers le milieu du voyage, une épreuve nouvelle nous attendait. Nous vîmes apparaître des essaims nombreux de maringouins, moustiques et brûlots. L’air en était tout rempli. Aussi mes pauvres missionnaires eurent-ils bientôt les mains, le visage et le cou tout enflés de piqûres. Si, par avance, je ne leur eusse procuré des moustiquaires, ils n’auraient pu résister. Cependant, malgré les insectes, malgré la fatigue, malgré l’intempérie de la saison, tous étaient gais (1) .


Les bœufs, « au pas tranquille et lent », furent d’abord les seuls animaux de trait de la prairie…
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 (1)  La Saskatchewan est la grande artère de la prairie. Elle en recueille toutes les rivières pour les conduire au lac Winnipeg, lequel s’épanche dans le fleuve Nelson, qui se jette dans la baie d’Hudson. La Saskatchewan n’unit ses deux branches qu’à l’est de Prince-Albert. La branche nord a sa source au mont Brown, à côté de celle de l’Athabaska. La branche sud jaillit des montagnes Rocheuses aussi, mais presque sur la ligne des Etats-Unis. La Saskatchewan, très sinueuse toujours, coule de l’ouest à l’est.

 (1)  Un des traits qui « égayèrent » ce voyage de 1880 dans la prairie eut pour acteur principal, dit-on, S. G. Mgr Joussard, coadjuteur actuel, avec future succession, de Mgr Grouard, vicaire apostolique d’Athabaska. Tout jeune missionnaire, plein d’une ardeur qui ne s’éteindra qu’avec sa vie, le Père Joussard avait caracolé, autour de la brigade, sur un branco, cheval demi-sauvage de l’Ouest. Le soir, il s’endormit, lassé, à sa place de la couche commune, occupée par une dizaine de missionnaires. Mais la chevauchée, faut-il penser, continua dans son rêve. Tout à coup, il crut sentir sous sa main une crinière. Il la saisit, en criant:

— Hue donc!

Un « Aïe ! » formidable réveilla la prairie:

C’était la barbe de S. G. Mgr Clut, son voisin, qu’il avait empoignée.




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Message  Louis Sam 08 Oct 2022, 6:44 am


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CHAPITRE IV: L’Été.

La PRAIRIE et les bohémiens de l’apostolat.

SUITE

Les bœufs, « au pas tranquille et lent », furent d’abord les seuls animaux de trait de la prairie. Attelés, chacun à sa charrette, ils ne remorquaient pas plus vite les brigades de l’Ouest canadien que leurs aïeux, par quatre attelés, ne promenaient dans Paris le monarque fainéant...

Les chevaux, essayés ensuite, perdaient à s’enfoncer dans les bourbiers, à casser leurs timons, ce qu’ils regagnaient quelquefois en vitesse. Dételés, il leur arrivait de « reprendre la venelle », et des journées se passaient à les retrouver.

Les charrettes sans ressorts, les charrettes criardes, les légendaires charrettes de la Rivière-Rouge, se fabriquaient toutes en bois, même les essieux. C’était afin d’être réparées à l’aide de n’importe quel morceau d’occasion que taillait la hache, afin aussi de devenir barques plus légères, lorsqu’il faudrait les démonter pour les lancer à travers les cours d’eau.

La patience était la première vertu de la prairie, et la joviale promptitude à se jeter dans les « mauvais pas », avec bœufs et véhicules, la seconde.

Il n’est soutanes noires ou violettes, il n’est robe grise de ce quart de siècle qui n’eurent à prendre et à reprendre leur bain de boue, du pied au genou toujours, du genou à l’épaule souvent, au-dessus quelquefois, selon les fondrières, et, un peu, selon le savoir-faire... En 1883, à la fin d’une traversée de la prairie, à laquelle avait pris part le R. P. Soullier, assistant du supérieur général des Oblats de Marie Immaculée, et visiteur des missions d’Amérique, Mgr Grandin faisait au supérieur général le compte rendu de l’expédition, lui disant, non sans une légère malice professionnelle:

Le pauvre Père Visiteur, malgré toutes nos précautions pour lui rendre le voyage moins pénible, a cependant eu beaucoup à souffrir. Lui aussi a dû plusieurs fois pousser à la roue et suer, pour faire avancer sa voiture embourbée. Il vous racontera de vive voix sans doute ses mille aventures. Elles vous seront alors plus agréables qu’elles ne l’ont été pour lui. Bien des fois je l’ai entendu dire, dans nos campements:  « — Oh ! si nos Pères de Paris pouvaient nous voir ici !...»  Le R. P. Soullier est certainement plus habile à conduire les hommes que les chevaux et les bœufs...

Ainsi cheminèrent longtemps les bohémiens de l’apostolat, tantôt cahin-caha sur leur roulotte, tantôt à petits pas, tout à côté, bravant le soleil et les orages, chassant le gibier des savanes, s’arrêtant pour les trois Angelus et les repas en plein air, boucanant les maringouins autour des lits d’herbage, étendus sous les étoiles. N’y eut-il pas, mêlée à leurs fatigues, un peu de poésie pastorale, à jamais évanouie ? Nous le croirions, nous, les derniers venus, qui naissions à peine, lorsque ces patriarcales processions allaient finir, et qui, voyageant aujourd’hui dans la même prairie sans bornes, avec les vétérans d’alors, les voyons regarder mélancoliquement, par la vitre tremblante du wagon, le grand sahara de verdure, qui s’évade en deux jours à nos yeux, et qu’ils traversaient jadis en deux mois de misère et de liberté.

Dès 1882, tout en continuant à conduire les voyageurs par la prairie, les charrettes cédèrent le matériel à des bateaux à vapeur que la Compagnie mettait en opération sur la Saskatchewan. Ce fut une période de désarroi; et le vicaire apostolique d’Athabaska-Mackenzie regretta un tel progrès. Ces steamers fonctionnaient au plus mal et débarquaient leurs chargements, à l’aveugle, on ne savait sur quels rivages.

Cependant les épreuves de Mgr Faraud vinrent à leur terme…


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Message  Louis Dim 09 Oct 2022, 6:32 am


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CHAPITRE IV: L’Été.

La grande poussée, sous Mgr Grouard et Mgr Breynat.

Cependant les épreuves de Mgr Faraud vinrent à leur terme.

En 1889, vingtième année de son établissement au lac la Biche, il expédia les deux barges accoutumées, il remit la mission de Notre-Dame des Victoires au diocèse de Saint-Albert, qui l’avait fraternellement prêtée, et descendit à Saint-Boniface, où l’attendait l’heure de la récompense.

Le lac la Biche était donc abandonné par l’Athabaska-Mackenzie. Qu’était-il advenu ?

Rassurés par l’exemple des missionnaires, de nombreux petits commerçants avaient fait leur apparition sur les rapides. Arrivés les premiers au fort Mac-Murray, avec leurs articles de traite, ils avaient le premier choix dans les fourrures des sauvages. La Compagnie de la Baie d’Hudson comprit alors que son obstination dans le Portage la Loche lui deviendrait funeste et se décida à suivre, comme les autres, le chemin direct de la rivière Athabaska, par les rapides.

Elle eut d’abord recours aux missionnaires. Mgr Faraud écrivait, en 1884:

Nous sommes organisés mieux que personne pour franchir ce difficile passage. La Compagnie elle-même n’a réussi depuis trois ans à transporter ses bagages qu’à l’aide de nos guides, de nos hommes et de nos barges.

Mais, en 1887, résolue à écraser toutes les concurrences, elle envoya dans l’Extrême-Nord, par les barges de la mission encore, les pièces d’un vapeur.

En même temps, elle ouvrait un chemin de 160 kilomètres, entre le coude le plus au sud de la rivière Athabaska, endroit dénommé Athabaska-Landing, et Edmonton, ville la plus septentrionale de la prairie, et dont le chemin de fer se rapprochait chaque jour.

Le chemin du fort Pitt au lac la Biche et celui du lac la Biche à la rivière Athabaska tombaient, du même coup, en désuétude.

C’est alors que la Compagnie offrit à Mgr Faraud de reprendre complètement ses transports et leur distribution dans tout le Nord, y compris le passage des rapides.

Mgr Faraud accepta d’autant plus volontiers que les guides formés par lui, mais sollicités par des offres rivales, lui devenaient de plus en plus onéreux, infidèles même; et que, d’autre part, ses infirmités, avec l’insuffisance de son personnel, lui causaient des inquiétudes sans cesse croissantes.

Il n’eut pas la douleur de savoir que sa bonne foi allait être trompée, car il mourut l’année suivante, 1890…


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Message  Louis Lun 10 Oct 2022, 6:47 am


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CHAPITRE IV: L’Été.

La grande poussée, sous Mgr Grouard et Mgr Breynat.

SUITE

Il n’eut pas la douleur de savoir que sa bonne foi allait être trompée, car il mourut l’année suivante, 1890, et ce fut Mgr Grouard qui reçut, avec l’honneur de sa succession, le fardeau aggravé de ses charges. (1)

La Compagnie, voyant tomber Mgr Faraud, crut-elle tenir de nouveau à ses pieds les missions du Nord ? Sous de futiles prétextes, elle avertit Mgr Grouard qu’au lieu de la piastre (5 fr. 15) convenue pour le transport d’une pièce, d’un fort à l’autre, il aurait à en payer deux.

Se soumettre à pareille exaction, c’était en peu d’années saigner à blanc l’œuvre vitale. Mgr Grouard rompit en visière, et déclara qu’il se passerait de la Compagnie.

On était en 1891. Il se hâta de « sortir du Mackenzie », où ses bulles venaient de l’atteindre, se fit bâtir un hangar, à lui, à Athabaska-Landing, par les Pères Husson et Collignon, reçut, en passant à Saint-Boniface, la consécration épiscopale, et, la besace sur l’épaule, continua sa course à travers le Canada, les Etats-Unis et l’Europe, pour mendier de la charité chrétienne le salut de ses missions.

Il réussit.

En 1892, une scierie à vapeur, fruit de ces aumônes, s’installait au lac Athabaska et débitait les planches destinées à devenir la coque du steamer Saint-Joseph.

Le Saint-Joseph pouvait desservir le lac Athabaska, la rivière la Paix jusqu’aux chutes du Vermillon, et la rivière Athabaska du fort Mac-Murray au fort Smith.

Au fort Smith rugissaient les infranchissables rapides; mais par delà ces rapides s’ouvrait la navigation de 2.500 kilomètres, jusqu’à l’océan Glacial, comme nous l’avons dit.

Il fallait donc un deuxième steamer.

Mgr Grouard reprit la besace; et, en 1915, le fier petit Saint-Alphonse fit son « Voyage de noces » du fort Smith aux bouches du Mackenzie. (1)

La division du vicariat d’Athabaska-Mackenzie s’étant opérée en 1901, l’œuvre de progrès fut poursuivie dans l’Athabaska par Mgr Grouard, et dans le Mackenzie par Mgr Breynat.

Les deux vicaires, comme par une apostolique émulation, fondèrent de nouveaux postes, de nouveaux couvents, et mirent au service de ces développements des ressources nouvelles. Tandis que Mgr Grouard donnait à la rivière la Paix le Saint-Charles, premier vapeur à paraître en ces régions, Mgr Breynat lançait, sur la rivière des Esclaves, le Grand Lac des Esclaves et le fleuve Mackenzie, le Sainte-Marie, le mieux construit et le plus rapide des steamers qui aient encore parcouru les fleuves et les lacs de l’Extrême-Nord.

Cependant les rapides continuèrent à revoir, chaque printemps, la…
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(1) Mgr Grouard parlait ainsi de cette part de son héritage : « Mgr Faraud a décrit dans des pages éloquentes publiées par les Missions Catholiques, en 1888 ses préoccupations incessantes, ses anxiétés toujours renaissantes, des angoisses su sujet de l’approvisionnement de nos missions dans ces ingrates contrées. Il trouva, dans son cœur généreux, dans son esprit fertile en ressources, les moyens de créer et de faire vivre des œuvres humainement parlant impossibles, vu les conditions exceptionnellement désavantageuses des lieux, des distances et du climat. La question des transports, qui absorbent la plus grande partie de nos recettes, planait sur ses pensées comme un nuage sombre et menaçant. Investi de l’héritage de Mgr Faraud, j’ai maintenant l’âme en proie aux soucis et aux anxiétés qui ont si longtemps rongé la sienne. »

(1) Le nom de Saint-Alphonse avait été inspiré par la reconnaissance envers les Pères Rédemptoristes, qui avaient généreusement promis la moitié de la somme que coûterait le bateau.


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Message  Louis Mar 11 Oct 2022, 7:02 am


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CHAPITRE IV: L’Été.

Les barges d’Athabaska-Landing.

Cependant les rapides continuèrent à revoir, chaque printemps, la flotte des missionnaires. Elle partait d’Athabaska-Landing, depuis l’abandon du lac la Biche, se grossissant chaque année pour répondre au « tonnage » des petits vapeurs, qui l’attendaient au fort Mac-Murray et au fort Smith.

Les deux vieilles barges « courtes et ventrues » avaient fait place à des barges longues, larges, plates et rectangulaires, simplement recourbées à l’avant et à l’arrière, munies de rames énormes (des sapins entiers), et fabriquées, à l’embarcadère même, avec de rudes madriers, condamnés eux-mêmes à devenir pièces de bâtisses, au terme du voyage.

La capacité de cette barge était de huit à dix tonnes. Il y en eut deux d’abord, puis trois, puis quatre, et de plus en plus. En 1915, année du dernier convoi d’Athabaska-Landing à Mac-Murray, douze barges sautèrent ensemble les rapides.

Il serait long de raconter les déceptions éprouvées par les missionnaires, depuis 1848 jusqu’à la fin du siècle, à l’arrivée des lents bateaux aux rustres équipages. Si encore ces pièces, coûtant si cher, étaient toujours parvenues, et parvenues intactes ! Mais combien se perdirent en route, ou se mutilèrent, se brisèrent, lancées par des mains brutales, à chacun des portages ! Quelquefois, si c’était des vivres que le ballot contenait, les bateliers s’en régalaient, en riant du missionnaire « qui serait bien attrapé », disaient-ils.

La plus dure épreuve…


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Message  Louis Mer 12 Oct 2022, 5:29 am


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CHAPITRE IV: L’Été.

La plus dure épreuve.

La plus dure épreuve, dans la vie des missionnaires anciens, et, proportion gardée, dans la vie d’aujourd’hui encore, a été l’attente, la longue attente des objets dont ils avaient besoin.

L’est et l’ouest du Canada, admirablement développés maintenant, peuvent fournir le matériel des missions et le confier aux chemins de fer qui vont rejoindre la rivière Athabaska et la rivière la Paix. Mais, à l’époque du lac la Biche, laquelle marquait cependant une avance sur celle du Portage la Loche, époque où les achats se faisaient en Angleterre, parce que le Canada n’y pouvait pourvoir, et que la métropole réduisait considérablement les taux d’importation pour ses colonies, il s’écoulait quelque trois ans, entre la demande faite par le missionnaire et l’arrivée de la chose désirée, fût-elle de première nécessité.

Supposons-nous en 1870. Le missionnaire du fort Simpson ou du fort Norman écrit, par l’unique courrier d’hiver. Sa lettre atteindra le lac la Biche, au printemps 1871. Mgr Faraud la visera et la fera parvenir, pour l’automne, à Saint-Boniface. Mgr Taché, ainsi averti, enverra l’ordre immédiatement en Angleterre, et recevra le colis, au printemps 1872. Il le confiera aux charrettes de la prairie, qui le déposeront au fort Pitt, trop tard, bien entendu, pour l’expédition de la même année. Mgr Faraud ira l’y chercher, l’automne, le gardera durant l’hiver, et le tiendra prêt à prendre les premières eaux de 1873. De sorte que, tout allant au mieux, le missionnaire touchera son article l’été, ou l’automne 1873. Il avait écrit en 1870.

Le moindre retard de la lettre, ou du colis, pouvait ajouter à ces années une quatrième, et quelque malentendu une cinquième.

Certains des ballots, spécialement recommandés, restèrent en détresse, dans la prairie, ou sur une grève inconnue de la forêt sauvage, jusqu’à six ans. Heureux si, retrouvés enfin, ils n’étaient pas bonnement saisis, adjugés au premier venu, ou vendus comme bonum derelictum.

Pour la première fois, notait Mgr Faraud, en novembre 1877, pour la première fois, le bagage de toutes les missions est en bon ordre ici (au lac la Biche, à mi-chemin de sa destination).

Un exemple de ces lenteurs et de ces déceptions, qui nous laissera deviner…


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Message  Louis Jeu 13 Oct 2022, 6:40 am


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CHAPITRE IV: L’Été.

Les vitres du Père Séguin.

Un exemple de ces lenteurs et de ces déceptions, qui nous laissera deviner ce qu’il en devait être lorsqu’il s’agissait de choses indispensables, comme outils de travail, vin du saint sacrifice, etc..., nous a été rapporté, les derniers jours de sa vie, par le vénéré Père Ducot, à qui nous avions demandé de vouloir bien nous écrire ses « souvenirs ». Nous résumons ses pages. L’exemple pourrait s’intituler: les vitres du Père Séguin.

Le pieux et doux Père Séguin fut le premier compagnon du Père Grollier, fondateur de la mission Notre-Dame de Bonne-Espérance, au fort Good-Hope, sous le Cercle polaire. Le Père Grollier mourut bientôt, et le Père Séguin resta le chef de la mission, seul le plus souvent avec le bon Frère Kearney, parmi ses Indiens Peaux-de-Lièvres, pendant 41 ans. En 1901, comme il était presque aveugle, Mgr Grouard le fit conduire en France, son pays natal, qu’il n’avait jamais revu, dans l’espoir que les spécialistes lui rendraient un peu de lumière. Mais ce fut en vain. Le malade, tué par la « nostalgie de ses missions », mourut l’année suivante.

Cette cécité, graduellement venue, avait pour cause lointaine et principale la triste condition des moyens d’éclairage, en ces contrées de nuits si longues: la lampe à l’huile de poisson pour l’intérieur, et surtout le parchemin des misérables fenêtres pour les heures du jour.

Toutes nos missions du Nord ne connurent d’abord que ces carreaux de parchemin. C’étaient des morceaux de peaux de renne ou d’orignal, grossièrement raclés, et laissant passer à travers leur spongieuse épaisseur fort peu de clarté et beaucoup de froid. Peu à peu, des carreaux en vitres de petites dimensions les remplacèrent.

La maisonnette et l’église de Good-Hope ne connurent, durant dix-sept ans, que les parchemins.

Ce fut cependant la cinquième année de ce régime que le Père Séguin demanda qu’on lui achetât des vitres. Mais trois ans se passèrent, et rien n’arriva: ou la lettre, ou l’envoi s’étaient donc égarés. Il renouvela sa démarche, et attendit encore trois ans. Cette fois point de délai: la caisse fut débarquée, solidement clouée et en bon état apparent. On l’ouvrit, pour y trouver toutes les vitres « en miettes ». Pas un fragment de verre ne pouvait servir.

L’année suivante, le père n’osa plus écrire, attendu que le coût des vitres cassées avait fait un trop grand vide dans son allocation, et qu’il avait des articles plus importants à demander.
Heureusement, Mgr Clut vint à passer, en route pour l’Alaska; et, touché de la misère du missionnaire, il lui promit qu’il lui apporterait, à son retour, des vitres qu’il comptait obtenir d’un brave Canadien-Français, M. Mercier, commis du fort Youkon.

Mgr Clut repassa par Good-Hope, le printemps suivant, avec la nouvelle que les vitres, données en effet par M. Mercier, avaient été emportées très loin dans les montagnes Rocheuses, mais qu’un matin, au lever précipité du campement, on les avait oubliées, et que l’on n’avait remarqué leur absence que l’après-midi, après avoir sauté un grand nombre de rapides qu’il était impossible de remonter.

Mgr Clut voulut réparer cette déconvenue en envoyant un ordre pressant au lac la Biche. Il gagna une année, car, deux ans après, Mgr Faraud remettait les vitres au Père Ducot, qui se rendait à Good-Hope, avec la prescription très appuyée de ne pas les perdre de vue une seule minute, et de les porter lui-même, de ses propres mains, à tous les lieux de déchargement et de rechargement.

La nuit du 14 septembre 1875, la brigade atterrissait au fort Good-Hope…


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Message  Louis Ven 14 Oct 2022, 5:50 am


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CHAPITRE IV: L’Été.

Les vitres du Père Séguin.

SUITE

La nuit du 14 septembre 1875, la brigade atterrissait au fort Good-Hope.

Les 300 sauvages, éveillés par les coups de fusil de l’équipage, rallument les feux des bivouacs et donnent la fusillade de bon accueil. Le Père Ducot, tout au bonheur de toucher enfin le rivage de son apostolat, bondit à terre et court, au milieu de cette foule qui acclame le « nouveau petit priant », vers la maison du missionnaire.

Malade, le Père Séguin n’avait pu sortir, mais il s’était levé. N’ayant point vu de prêtre depuis plus d’une année, il couvrit de larmes, en l’embrassant, son jeune confrère. Puis, aussitôt:

« — Et les vitres! Les avez-vous ?

— Mais oui, mon Père; et j’ai veillé sur elles comme sur un trésor.

— Où sont-elles ? Les avez-vous apportées ici ?

— Oh! Je les ai laissées dans la barge.

«  Pauvre Père Séguin, continue le Père Ducot que nous citons maintenant mot à mot, il en devint blême ! Puis, après quelques instants: « C’est fini ! C’est perdu ! Ils les auront encore cassées, en les jetant sur la grève !...»  Il en était désolé. Rien ne put le rassurer. J’étais stupéfait moi-même de sa désolation, presque scandalisé. Pour quelques vitres de cinq sous pièce, me disais-je ! Je ne comprenais rien à sa tristesse, alors. Mais, après quarante années de mécomptes de ce genre mille fois renouvelés, je sais ce que c’est que pareilles déceptions. Elles sont pires que la privation elle-même. Celui qui n’a pas passé par là ne le comprendra jamais... Cette fois, Dieu merci, tout ne fut pas perdu. Le lendemain de bon matin, la caisse arriva parfaitement intacte. Le Père Séguin en était tout radieux de joie.»

Et le Père Ducot complète sa narration de 1916 par cette note marginale:

« Ceux qui n’ont jamais été obligés d’habiter des maisons n’ayant d’autres fenêtres que des châssis couverts de parchemin, dans un pays froid comme le nôtre, n’ont pas une idée de ce que l’on souffre d’être privé de vitres. Mais les missionnaires du Nord-Ouest, et du Mackenzie en particulier, le savent par expérience. Ils savent apprécier les nombreux avantages de châssis garnis de verre, dans une maison. Elle est mieux éclairée en tous temps, le soleil y pénètre à ses heures, elle est plus chaude en hiver et on y est à l’abri du vent, il faut moins d’huile pour s’y éclairer, moins de bois pour s’y chauffer, il y gèle moins la nuit, et quelquefois pas du tout, on y peut éviter les courants d’air, chose impossible avec des châssis en parchemin. La solitude y est aussi moins triste, le travail plus aisé, la dévotion plus facile, et l’âme plus joyeuse

Le bon père, qui excellait, comme on le voit, à énumérer les détails d’une situation, aurait pu ajouter que le missionnaire de l’âge de parchemin trouva plus d’une fois, en rentrant de ses voyages d’hiver, ses fenêtres dévorées par les loups, et sa cabane bourrée de neige par la tempête.

A suivre : Chapitre V. La lutte pour la vie.


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Message  Louis Sam 15 Oct 2022, 6:19 am



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CHAPITRE V

Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux. - Page 4 Page_110

LA LUTTE POUR LA VIE

« Le grand obstacle ». De Mgr Clut à Mgr Breynat. Nul secours du pays, ni des sauvages. Qu’est-ce que jeûner? Le sourire de la charité. La Propagation de la Foi. « Le travail de tous ». Pour « ne pas mourir de faim et de froid ». Les frères coadjuteurs Oblats. Pêches d’automne et d’hiver.  Le Travailleur invisible.

Le grand obstacle.

« —Quels sont les principaux obstacles au progrès de la foi ? »

A cette question, posée par S. E. le Cardinal Préfet de la Propagande, en 1880, dans une enquête générale sur l’état de leurs églises, aux évêques missionnaires, Mgr Grandin, évêque de Saint-Albert, répondit:

« — Le grand obstacle au bien, que nous ne surmonterons jamais suffisamment, c’est la pauvreté. C’est toujours elle qui paralyse notre zèle et nous arrête dans une foule d’œuvres qu’il nous faudrait entreprendre... Un autre grand obstacle, c’est la mauvaise santé des missionnaires. Bien que le pays soit sain, les missionnaires ont tant à souffrir, dans leurs longs voyages surtout, de leur nourriture repoussante et parfois insuffisante, ainsi que de travaux manuels au-dessus de leurs forces, qu’après avoir passé dix ans dans le pays, ils sont, bien que jeunes encore, accablés de douleurs et d’infirmités, et dans l’impossibilité de rendre les services auxquels leur expérience les rendrait propres...»

Le diocèse de Mgr Grandin se trouvait alors le plus voisin des commodités de la civilisation.

Que répondit à la même question le vicaire apostolique d’Athabaska-Mackenzie, dont le territoire ne commençait qu’au nord de Saint-Albert ?

Nous l’ignorons. Mais, à défaut du document qui nous eût été si précieux, c’est à foison que l’on citerait les lettres adressées par les missionnaires de l’Extrême-Nord à leurs supérieurs pour les renseigner simplement sur la condition de leurs chrétientés. Nous les laisserons dans l’ombre, peut-être dans l’oubli, d’accord certainement avec le souhait de leurs auteurs, qui mirent plus de prix aux conquêtes qu’ils eurent le bonheur de faire au Royaume de Dieu, et qu’il nous faut raconter, qu’à la somme des souffrances que ces conquêtes leur ont coûté. Bornons-nous, pour les temps passés, au témoignage particulier de Mgr Clut, l’évêque auxiliaire d’Athabaska-Mackenzie. Il écrit de la mission de la Nativité, sur le lac Athabaska, mission la plus méridionale du vicariat:

...11 mars 1874... Les lettres d’Europe et du lac la Biche sont enfin arrivées. On les attendait avec une vive impatience depuis le 20 février, leur époque ordinaire. Partout, on ne parle que de progrès. Ici, dans notre pauvre Nord, nous allons en sens inverse...

En somme, les nouvelles étaient bonnes. Il n’y a qu’une chose qui m’a bien contrarié: c’est que je puis conclure que nos missions vont être dépourvues de tout, au moins durant une année, et que, de plus, elles ne recevront peut-être pas un sac de farine entre elles toutes. Déjà, l’année dernière, nous n’avions reçu que bien peu de marchandises et point du tout de farine. Nous étions donc déjà en profonde disette, et nous le serons bien plus cette année. La raison en est que nous ne recevons que maintenant les commandes faites lors de la guerre. Nous redoutions alors de manquer de fonds nécessaires, et nous les avions réduites de moitié. L’année 1874 même, nous n’avions rien commandé, de sorte que le peu qui devait nous arriver en 1873 a été réparti en deux ans. C’est ce qui fait comprendre le dénuement dans lequel nous allons nous trouver. Quant à la farine, je crains bien que nous n’en ayons pas même cette année pour faire des hosties.

Tout cela m’afflige beaucoup, non pour moi, mais pour nos pères, nos frères et nos sœurs de Charité. Que c’est dur pour un père comme moi de voir souffrir les siens, et de ne pouvoir leur donner un simple morceau de pain, cet aliment si commun en pays civilisé, pour les soulager !


L’année suivante, 1875, Mgr Clut…


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Message  Louis Dim 16 Oct 2022, 5:50 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

De Mgr Clut à Mgr Breynat.

L’année suivante, 1875, Mgr Clut se trouvait à la mission de la Providence, au nord du Grand Lac des Esclaves, lorsque le courrier d’hiver lui parvint. C’était le Frère Boisramé qui l’apportait du lac Athabaska, où Mgr Clut l’avait envoyé chercher quelques provisions.

De fait, le bon frère n’apportait rien que les lettres et son extrême fatigue, après quarante jours de marche à la raquette.

Mgr Clut écrivit alors dans son même cahier intime:

21 février. — Les nouvelles d’Athabaska sont bien mauvaises. Il y a disette. Cette disette nous fait grandement craindre que faute de provisions de bouche pour équiper les barges de la Compagnie, nous ne soyons encore menacés de ne rien recevoir. Alors, que deviendraient nos pères et nos frères presque tous malades déjà! Dans quel état de privations serions-nous réduits tous ensemble ! Rien pour nous couvrir, rien pour acheter de la viande, pas une livre de farine: telles sont les privations dont nous sommes menacés. Que deviendraient nos missions? Que deviendraient nos orphelins, à la Providence et à Athabaska ? Que deviendraient nos écoles ? Espérons que la Providence viendra encore à notre secours de quelque manière imprévue. Depuis environ sept ans, nous sommes toujours dans la plus grande incertitude et la plus grande anxiété. Pourrons-nous encore tenir l’année prochaine ? N’allons-nous pas manquer de tout ? Ah ! Dieu seul et nous, savons à quelles privations nous avons été réduits !

Sur ce cri de détresse poussé au fond du Mackenzie, et comme prolongeant celui de Mgr Grandin, laissons passer quarante-trois ans.

Nous sommes en 1918……


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Message  Louis Lun 17 Oct 2022, 7:02 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

De Mgr Clut à Mgr Breynat.

SUITE

Nous sommes en 1918…

Le 9 juillet de cette année, les journaux catholiques du Canada publient cette lettre, écrite par Mgr Breynat, débarquant à Montréal, au retour d’un voyage accompli dans les intérêts de son vicariat apostolique:

En arrivant de Rome, j’apprends qu’un grand malheur, un vrai désastre vient de frapper nos missions du Mackenzie.

Nous nous réjouissions de ce que la construction de la nouvelle voie ferrée des Great Waterways nous avait permis de transporter notre approvisionnement annuel au fort Mac-Murray. Nous avions ainsi évité les 130 kilomètres de rapides de la rivière Athabaska qui, chaque année, engloutissaient ou endommageaient une quantité plus ou moins grande de nos marchandises. Du même coup, nous avions assez économisé pour faire face à la hausse des prix, sans trop avoir à retrancher du peu de confort heureusement introduit dans nos missions, au cours des dernières années. Nos marchandises se trouvaient au pied des rapides, dans un bon hangar. A la débâcle, ce n’eût été qu’un jeu de les expédier à destination.

La débâcle se produisit au mois dernier, mais une digue se forma, à  trois milles environ en aval du fort Mac-Murray. L’eau, ne trouvant aucune issue, envahit les deux rives, couvrit le plateau sur lequel est construite la petite ville, et atteignit huit pieds de haut dans notre hangar, qui fut déplacé, malgré sa charge, et faillit être emporté par la glace. Le sauvetage fut pénible et très lent à cause de l’amoncellement de la glace. Ce fut une perte de quinze à dix-huit mille piastres (de soixante-quinze à quatre-vingt-dix mille francs).

Un accident analogue, arrivé, il y a trois ans, sur la rivière la Paix, nous contraignit à avoir recours aux petites réserves que chaque mission, à force d’économies, avait pu mettre de côté  (1). Pour comble, nos pêches de l’automne dernier ont été très malheureuses. Ce n’est pas que le poisson ait fait défaut, mais le froid et le vent nous ont empêché de le rendre à destination. Quatre bateaux furent pris dans les glaces et plus ou moins brisés, à une distance variant de 30 à 50 kilomètres de la mission. Le poisson qu’on put sauver dût être transporté à grands frais sur la glace avec des chiens. D’où des dépenses considérables qu’il nous faut maintenant solder, en même temps que celles encourues pour réparer ou renouveler les bateaux.

Il y eut, évidemment, l’hiver dernier, un surcroît de privations chez nos missionnaires, nos religieuses, etc. Je n’ai pas reçu une seule plainte. « Nous nous sommes tirés d’affaire du mieux que nous avons pu », se contente-t-on de me dire.

Mais comment ferons-nous l’hiver prochain, si nous ne recevons promptement du secours? Trois cents personnes environ dépendent du vicaire apostolique pour la nourriture, le vêtement et le logement. Les besoins sont actuellement si nombreux partout et les appels à la charité si fréquents que j’ai bien hésité à tendre la main. Mais la faim fait sortir le loup du bois, et elle donne aux plus timides le courage de devenir mendiants.

Trouvera-t-on mauvais que je vienne en toute simplicité exposer notre situation, et soulever un peu le voile qui cache les dévouements de ces vaillants et de ces vaillantes qui font de plus en plus l’admiration de ceux qui les voient à l’œuvre? Coûte que coûte, je le sais, nos missionnaires tiendront bon, nos religieuses garderont leurs orphelins et leurs vieillards; chacun « fera comme il pourra », avec ce qu’il aura à sa disposition. On ne regarde pas à une privation de plus dans le Mackenzie. Mais n’y aura-t-il pas quelques lecteurs qui se laisseront toucher et trouveront le moyen, fût-ce au prix d’un nouveau sacrifice, de m’aider à diminuer leurs privations?...


Quelques jours après, Mgr Breynat pouvait écrire, tout à l’honneur de la charité canadienne:

Les aumônes reçues dépassent de beaucoup ce que j’avais osé espérer. Nous n’arriverons pas sans doute, loin de là, à couvrir toutes nos pertes. Mais si le courant de la charité publique envers nous continue encore quelque temps avec la même générosité, j’entrevois la possibilité de nous procurer, avant l’hiver, les articles les plus indispensables. Et que pouvons-nous désirer de plus en ces temps difficiles! Nos missionnaires, qui n’ont pas perdu l’habitude des privations, sauront se contenter de peu. C’est ce qui a fait leur force dans le passé; c’est ce qui la fera dans l’avenir...

Une conclusion s’échappe de ces témoignages des évêques du Nord...
___________________________________________________________

 (1)  Sa Grandeur fait ici allusion à une inondation survenue aux Chutes du Vermillon. Comme le chemin de fer promis d’Edmonton à Mac-Murray tardait à atteindre son terminus, et que, comptant sur ce nouveau moyen, on n’avait plus préparé le voyage ordinaire par Athabaska-Landing et les rapides. Il fallut, aux printemps de 1916 et 1917, diriger les effets du Mackenzie sur un chemin deux fois plus long, mais moins coûteux encore que celui des rapides de l’Athabaska : le chemin de la rivière de la Paix. Le chemin de fer Edmonton-Dunvegan-and-B. C., la ligne de la rivière de la Paix, venait, de toucher celle-ci à Peace River, lieu de sa jonction avec son affluent principal, la rivière Boucane (Smokey river). La navigation commençait à Peace River, en descendant la rivière de la Paix elle-même jusqu’à la rencontre du fleuve Athabaska-Mackenzie. Seulement, à mi-chemin, se trouvent les Chutes du Vermillon , où il faut faire du portage. C’est au pied de ce portage que l’inondation dont parle Mgr Breynat, compromit la moitié de nos marchandises.  


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Message  Louis Mar 18 Oct 2022, 5:41 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

De Mgr Clut à Mgr Breynat.

SUITE

Une conclusion s’échappe de ces témoignages des évêques du Nord. La profonde, l’incurable souffrance du missionnaire ne lui vint jamais de sa propre misère. Il s’y attendait. Ses maîtres du noviciat et du scolasticat l’y avaient préparé. Et même cette ressemblance privilégiée avec le divin Pauvre, entrevue par le rêve généreux de son enfance, n’avait-elle pas été l’aimant séducteur de sa vie sacerdotale et apostolique? De bonne heure, et avec la sincérité de saint Paul, il a donc pu dire: scio esurire et penuriam pati, je sais souffrir la faim et le dénuement. L’objet de son inquiétude, de ses labeurs, c’est l’établissement de la foi dans les âmes, son maintien, son progrès, en face des obstacles accumulés contre l’œuvre de Dieu par toutes les forces du pays le plus inhospitalier du monde. Ce n’est pas pour sa propre vie qu’il a lutté et qu’il lutte encore, c’est pour la vie de ses chères missions.

On vient d’entendre le chiffre des pertes du désastre du fort Mac-Murray…


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Message  Louis Mer 19 Oct 2022, 6:21 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

Nul secours du pays ni des sauvages.

On vient d’entendre le chiffre des pertes du désastre du fort Mac-Murray: si nous ajoutons la valeur de ce qui ne fut perdu, nous atteindrons 150.000 francs. Et cette somme doit être trouvée, chaque année, pour le seul vicariat du Mackenzie. (1)  

D’où viendront les ressources ?...
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(1) La source capitale de telles dépenses fut toujours la difficulté des transports. Ainsi, en 1876, époque moyenne du premier demi-siècle de nos missions du Nord, Mgr Faraud estimait à 25 piastres (125 francs) le seul transport d’un colis de 100 livres d’Angleterre au lac la Biche, c’est-à-dire environ les trois quarts de la valeur réelle de l’objet.

Du lac la Biche au fort Mac-Murray, l’évêque ne pouvait transporter lui-même chaque pièce de 100 livres qu’aux prix de 20 à 25 francs.

Au fort Mac-Murray, le tarif de la Compagnie ressaisissait la pièce, à raison d’une piastre (5 francs) de chaque fort-de-traite au suivant: soit 11 piastres de plus pour la mission la plus lointaine. Total: 200 francs de transport par 100 livres.

Même à l’époque où l’on put acheter la farine à Winnipeg, au prix de 25 francs le sac, elle revenait à 110 francs, au fort Good-Hope. Un seul parti était de mise alors: se passer d’un tel luxe. C’est ce que l’on fit. Il n’y eut pendant près de cinquante ans qu’un peu de pain pour les grandes fêtes, ou pour les malades gravement atteints. Et même pas toujours.

Tous les fonds disponibles servirent à acheter les instruments indispensables, les habits, les articles de traite, l’ameublement. Plus tard vinrent les machines, scieries mécaniques, chaudières tubulaires, hélices, ferrailles volumineuses et lourdes.

C’est par là que saignait la bourse du vicariat.


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Message  Louis Jeu 20 Oct 2022, 6:26 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

Nul secours du pays ni des sauvages.

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D’où viendront les ressources ?

D’abord, nullement du pays lui-même, presque inexploité encore. Ses forêts, son pétrole, sa houille, son goudron, son cuivre, son argent, son or seront mis en valeur... Mais dans combien d’années ?

Point des indigènes non plus. L’Indien du Nord, lorsqu’il « travaille  pour le Père », l’Indien du Nord entend se faire payer, nourrir et habiller, lui-même, sa femme et ses enfants, tout le temps que dure son ouvrage. Il ignore, d’autre part, le devoir qu’il incombe à tous les chrétiens de soutenir les ministres de l’Autel.

Est-ce inintelligence sauvage ? Non. Il se trouve en Colombie Britannique trois grandes familles de la même nation dénée, que Mgr Durieu, « ce missionnaire des missionnaires », est parvenu à instruire de leur devoir, et qui donnent de bonne grâce, aussi généreusement que les meilleurs fidèles de race blanche. Les Dénés qui fréquentent l’Ile à la Crosse, mission voisine de l’Athabaska-Mackenzie, sont pareillement dévoués au soutien de leurs pasteurs.

Les fondateurs des missions de l’Extrême-Nord ne jugèrent pas opportun de prêcher à leurs néophytes la doctrine du support du prêtre. (1)

La manie de mendier, que trouvèrent…
___________________________________________________________________________________

(1) On a donné de cette attitude des missionnaires les explications suivantes :

1. — La Compagnie de la Baie d’Hudson, au temps de son monopole, exigeait qu’on lui remit toute les fourrures; et le sauvage n’avait plus rien alors qu’il pût donner pour sa dîme. A l’expiration du monopole, la Compagnie continua sa pression par la menace, à peine tacite, d’abandonner les transports, si la mission acceptait les offrandes de ses paroissiens.

2. — Un autre système, qui se jugera de lui-même, attachait ces pauvres simples à la Compagnie, au détriment du missionnaire : l’effacement des dettes. Le commis-traiteur vendait sa marchandise à crédit, et payait quand même toutes les pelleteries du naïf débiteur, à un taux qu’il était facile de mettre en harmonie avec la créance, quitte à lui déclarer, au bout de quelques années, que « ses dettes étaient libéralement effacées du grand livre ». Le brave homme, se croyant l’objet d’une largesse, allait trouver le missionnaire, dont il avait eu soin d’emprunter aussi, le plus possible, et lui tenait ce langage :

« Quand donc effaceras-tu mes dettes ? La Compagnie le fait bien ! Elle est donc plus généreuse que toi ! »

Que pouvait répondre le pauvre Père, tenu de « ménager »«  en même temps ses modiques ressources et la Compagnie ?  

3. — Un écueil, non moins redoutable, était dressé par le protestantisme. Abondamment pourvu par ses sociétés bibliques, le ministre était là, sur le terrain du prêtre, imitant nos cérémonies liturgiques et appuyant  son enseignement sur de copieuses distributions !

« Su tu prie avec moi, répétait-il à chacun, je te donnerai de la farine, du sucre, du thés, des habits. Viens donc à mon prêche. Tu vois bien que tu n’as rien à attendre du priant français. Sa religion n’est pas la bonne, puisqu’il n’est même pas capable de te venir en aide !»

Sur quoi, le missionnaire voyait venir son fidèle :

« Quand me donneras-tu du thé, des habits, comme le priant anglais ? Ne vois-tu pas que je fais pitié ? »

Vraiment, n’était-il pas difficile, en pareilles circonstances, de prêcher l’obligation du denier du culte ? Et n’est-ce pas merveille que ces déguenillés, ces grands enfants, pour qui les présents du ministre étaient des trésors, ne soient pas allées à l’erreur séduisante, et qu’ils aient préféré la prière du Français, avec sa pauvreté ?


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Message  Louis Ven 21 Oct 2022, 6:53 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

Nul secours du pays ni des sauvages.

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La manie de mendier, que trouvèrent d’ailleurs les missionnaires parmi les sauvages, ne suffisait-elle pas à les décourager dans l’entreprise de faire appel à leur libéralité? Certaines tribus triomphent dans ce métier de quêteurs:

« — Un Montagnais peut vous demander jusqu’à votre dernière chemise, avait-on dit au Père Taché, lorsqu’il partit pour sa première mission.» « Et, en effet, écrit-il, à peine installé parmi ses Indiens, l’un d’eux m’aborde un jour, et me dit:

« — Donne-moi une chemise.

« Je m’en excusai sur ma pauvreté. Il insista; puis, cherchant du doigt le collet de ma chemise:

« — En voici une, dit-il, qui est presque nette, et tu dois en avoir une pour la remplacer quand elle sera sale. Donne-moi donc celle que tu as sur toi.»

Quelque extravagante que soit la demande du sauvage, si le Père n’y fait droit aussitôt, il peut être assuré de devenir le point de mire de tous les quolibets d’avarice, de mesquinerie, que la riche langue indienne pourra inventer. On raisonnera ainsi sur son refus:

« —  Le Père avait ce que je voulais. Je lui ai dit: « Donne-moi cela. » Il m’a répondu: « — Non. Je le garde pour l’hiver, afin de pouvoir vous secourir plus tard. » Donc c’est un ladre, le Père. Ah! il ne nous ressemble pas, nous qui ne gardons jamais rien pour nous! » (1)

Sans vouloir fournir de fausses armes aux niveleurs bolchevistes ou…
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(1) Il  convient de dire que l’'éducation des sauvages, de ceux du moins qui habitent les alentours de la mission, commence a se faire . Ils entrevoient leur devoir d'aider le Père. Quelques-uns le font depuis deux ou trois ans. Mais c'est l'histoire du passé que nous écrivons ...

Une fois rendu dans son camp, le missionnaire sera toujours noblement traité. On l'aidera  à  consommer ses provisions de voyage, ii va de  soi; mais aussi, tout ce qu'il restera de vivres dans la famille sera à la disposition du Père. A lui également la place d'honneur au coin du foyer. Si le Père doit venir voir un malade, on ira le chercher et on l'installera dans le meilleur traineau. Si le sauvage montre de l'insolence ce ne sera jamais « chez lui »,  dans les bois; mais seulement lorsqu'il viendra au fort, parmi les Blancs ...


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Message  Louis Sam 22 Oct 2022, 6:40 am


Aux Glaces Polaires

CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

Nul secours du pays ni des sauvages.

SUITE

Sans vouloir fournir de fausses armes aux niveleurs bolchevistes, ou cégétistes, il nous faut reconnaître enfin que le trait foncier du caractère de notre Indien, c’est le communisme. L’idée de propriété personnelle se serait-elle développée en sa conscience, laissée à elle-même ?

A peine a-t-il touché le prix de ses fourrures — une vraie fortune parfois — qu’il convoque tous ses amis, et que la fête bat son plein. En peu de jours tout est dévoré. Un chasseur a-t-il abattu un ours ou un orignal ? Aussitôt un feu d’appel s’élève dans la forêt; et la tribu, de toutes parts, accourt au festin. Encore si ces pauvres gens réglaient leurs appétits, ou du moins s’ils pensaient au lendemain, lorsque leur faim est assouvie ! Mais non.

De ce communisme sans réserve, de cette intempérance devant la curée, de l’imprévoyance congénitale de la race, et surtout de l’insuffisance d’un gibier disséminé dans les forets boréales, il résulte que le bien-être et l’apaisement de la faim ne sont que de rares trêves dans la vie de nos Indiens, et que, si parfois il recevait de ses enfants un peu de sa subsistance, le missionnaire du Mackenzie, bon saint Vincent de Paul, le leur rendrait bientôt, ajoutant ce surplus aux aumônes de sa bourse et aux dévouements de sa tendresse.

Cette autre question était posée aux évêques-missionnaires par la Congrégation de la Propagande, en 1880:…


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Message  Louis Dim 23 Oct 2022, 6:19 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

Nul secours du pays ni des sauvages.

SUITE

Cette autre question était posée aux évêques-missionnaires par la Congrégation de la Propagande, en 1880:

« — Quelles sont les maladies les plus ordinaires?

« — La maladie la plus commune, répondit encore Mgr Grandin, et je puis dire la plus dangereuse, est assurément la faim. La disette dans mon diocèse est comme la persécution dans l’Eglise: elle existe toujours en quelque point. Je suis certain qu’il n’est pas un enfant sauvage de sept ans qui n’ait passé plusieurs jours sans manger. (1) Beaucoup, pour ne pas mourir, mangent des aliments gâtés, des racines et des plantes. Le sauvage poussé par la faim mange ses vêtements de cuir, sa tente, etc... Le sauvage infidèle mange sa femme et ses enfants. Ce n’est pas seulement le sauvage qui souffre de la faim; le missionnaire aussi est exposé à des jeûnes rigoureux, surtout dans les voyages; lui aussi est obligé d’en venir aux expédients pour sauver son existence. L’hiver dernier encore deux pères de la partie sud-ouest du diocèse se sont trouvés dans la nécessité de manger du loup empoisonné (on tue les loups avec un poison très actif), du chien et une foule de choses dont on ne croirait pas que l’homme pût se nourrir...»

La famine est donc, en définitive, la noire souveraine de ces immensités perdues. C’est dans sa main spectrale qu’il faudrait placer la plume qui raconte la vie du Nord, pour mettre les descriptions d’accord avec la vérité. C’est elle qui règle la marche des groupes nomades à travers les steppes et les bois. C’est elle qui décime les familles, les tribus, la nation. C’est elle qui extermine des camps entiers, dont on retrouve les cadavres en débris sur le sol, à la fonte des neiges. C’est elle qui nous apprendrait sans doute ce que sont devenus tels commerçants, tels explorateurs, tels serviteurs de ceux-ci, dont les survivants ont raconté qu’ils s’étaient perdus dans la poudrerie, mais dont les Indiens, reconnaissant un jour les restes sanglants, se disent entre eux que les plus faibles furent mangés par les plus forts.

Un mot de notre langue française, dont le sens va s’adoucissant de plus en plus pour nous, se conserve du moins, avec sa rigueur, dans les langues sauvages du Nord: jeûner
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(1) Les missionnaires, expliquant et recommandant le jeûne eucharistique, la veille d’une communion, ont souvent entendu cette réflexion:

« Comment veux-tu que je mange ? Il y a deux jours, quatre jours, que je n’ai plus rien à manger ! »




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Message  Louis Lun 24 Oct 2022, 6:18 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

Qu’est-ce que jeûner ?

Un mot de notre langue française, dont le sens va s’adoucissant de plus en plus pour nous, se conserve du moins, avec sa rigueur, dans les langues sauvages du Nord: jeûner.

Jeûner, c’est n’avoir plus mangé pendant des jours, pendant des semaines quelquefois.

Lorsque le dernier chasseur est rentré, sans avoir « rien vu », et qu’il n’y a plus d’espoir, les faméliques, dévorés par la fièvre de leurs entrailles et par la combustion du froid, s’acheminent, aidés de deux bâtons, vers le poste de la Compagnie, ou vers la maison du missionnaire. Plusieurs tombent, au milieu du long voyage, et les loups, qui suivent par instinct ces tristes caravanes, en font aussitôt leur proie. Quelques-uns arrivent au fort, ou s’en approchent assez pour faire « avertir les Blancs ».

A ces cadavres qui se traînent, convient littéralement la parole de Job, que nous redisons à l’office de la Commémoraison des morts: Pelli meæ, consumptis carnibus, adhæsit os meum, et derelicta sunt tantummodo labia circa dentes meos! Les yeux dilatés et sans regard dans leur grand cercle noir, les dents sèches et longues dans leurs gencives exsangues, les lèvres collées sur leurs mâchoires, la peau mâte, terne, plissée jusqu’aux ongles, ils viennent tomber aux pieds du missionnaire, n’ayant même plus la force d’exprimer une plainte, une prière...

L’infécondité d’un sol éternellement glacé, l’extrême isolement des régions arctiques, la misère presque permanente des sauvages: voilà donc le vrai cadre de vie et d’action où notre sympathie doit voir cinquante missionnaires, autant de religieuses enseignantes ou hospitalières, et des centaines de vieillards, d’orphelins et de malades, les yeux levés au ciel vers le Dieu des pauvres, les bras tendus, par delà leurs neiges et leurs glaces, vers les pays plus doux, vers la charité, capable de donner un peu de son or et beaucoup de son cœur.

Eh bien ! le Dieu des pauvres et des orphelins a entendu cette prière…


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Message  Louis Mar 25 Oct 2022, 6:48 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

Le sourire de la charité.

Eh bien! le Dieu des pauvres et des orphelins a entendu cette prière. La charité, « vierge, pure et féconde », n’a jamais cessé de sourire, depuis soixante-quinze ans, sur ce désert de la désolation.

Voici, en tête de la bienfaisance, l’œuvre éminemment catholique de…


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Message  Louis Mer 26 Oct 2022, 5:54 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

La Propagation de la Foi.

Voici, en tête de la bienfaisance, l’œuvre éminemment catholique de la Propagation de la Foi. On sait quelle patrie fut son berceau et quelle même nation l’alimente toujours, plus abondamment que toute autre, quels que soient ses malheurs, et quelles que soient les persécutions qu’y déchaînent les légions du mal contre ceux qui donnent à la « propagation de la foi catholique » le meilleur de leur argent, de leurs travaux et de leur sang.

Sans le secours de la Propagation de la Foi de Paris et de Lyon, les missions du Nord-Ouest américain, les missions de l’Extrême-Nord, en particulier, n’eussent jamais été. Les missionnaires, venus plus tard avec le développement de ces contrées, eussent trouvé tous les Indiens gagnés au protestantisme ou définitivement enracinés dans le paganisme. Mgr Taché, premier archevêque de Saint-Boniface, récapitulant les événements de sa carrière apostolique, s’en exprimait ainsi:

« Pour se faire une idée juste de la position des nôtres, il faut se souvenir que la plupart de nos missions ont été commencées dans des forêts presque inaccessibles et au milieu de sauvages pauvres, grossiers et alors païens. Les allocations de l’œuvre admirable de la Propagation de la Foi, aidées plus tard de celles de la Sainte-Enfance, ont été nos seules ressources pendant de longues années. »

La Sainte-Enfance continue à aider la Propagation de la Foi par des contributions considérables. Beaucoup d’orphelins lui doivent leur salut.

L’Œuvre Apostolique se dévoua également. L’année 1873-1874, elle préserva même de la disette tout le vicariat d’Athabaska-Mackenzie. Elle soutient et développe encore son précieux concours.

Est-il besoin d’ajouter qu’à la lecture des rapports publiés sur nos missions glaciales, d’autres âmes généreuses se sont attendries; et que, de tous les points du monde, des aumônes sont parvenues aux évêques missionnaires, obole de la veuve le plus souvent, et si agréable à Dieu, don matériellement plus large quelquefois du riche: toutes offrandes qui se présentent sous la parure exquise de la reconnaissance surnaturelle, pour l’honneur d’avoir pu servir le bon Dieu dans ses pauvres. Une des dernières lettres disait:

«  Merci, Monseigneur, d’avoir bien voulu accepter ma modeste contribution pour vos chers pauvres.»

Sur ces uniques secours, secours assurés de la Propagation de la Foi et de la Sainte-Enfance, secours instables de la charité privée, les missions du Nord, avec leurs deux orphelinats-hôpitaux, vécurent jusqu’en 1899.

A cette date, le gouvernement canadien offrit aux sauvages de l’Athabaska, et, l’année suivante, aux tribus voisines du Mackenzie, une sorte de traité, aux clauses duquel les Indiens abandonnaient certains droits sur leur terrain. Des compensations que proposait le gouvernement, la principale était une allocation en faveur des écoles, allocation déterminée pour un nombre d’enfants fixé d’avance.

Ce fut le signal de la grande marche.

Couvents, orphelinats, hôpitaux, pensionnats, écoles rurales se multiplièrent. Le Mackenzie compte aujourd’hui six de ces établissements, confiés aux Sœurs Grises; et l’Athabaska huit, confiés aux Sœurs de la Providence. (1)

Mais aussi, comme il en a été depuis la fondation de l’Eglise par Notre-Seigneur, le zèle des apôtres de l’Extrême-Nord a devancé démesurément leurs moyens d’action; et voilà comment le problème de la subsistance des œuvres, loin de se résoudre, s’est compliqué, et que jamais les missionnaires ne se sont vus chargés de tant de soucis.

Mgr Grouard, ne parlant que de son vicariat d’Athabaska, écrivait, en 1905:…
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(1) Ces deux congrégations de religieuses ont été fondées au Canada: les Sœurs Grises en 1737, les Sœurs de la Providence en 1843.


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Message  Louis Jeu 27 Oct 2022, 6:47 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

« Le travail de tous »,

Mgr Grouard, ne parlant que de son vicariat d’Athabaska, écrivait, en 1905:

Le nombre des enfants dans nos écoles est de 312, y compris les 18 de l’école du Père Josse. Le gouvernement donne des subsides pour 100 enfants sauvages. C’est la même somme accordée aux écoles du Manitoba et du Nord-Ouest, sans tenir compte de l’énorme différence des situations, et, par conséquent, elle est de beaucoup insuffisante. Cependant nous sommes heureux d’obtenir ce secours, sans lequel on n’aurait même pas songé à fonder les trois nouveaux couvents. La Propagation de la Foi, la Sainte-Enfance, quelques revenus et le travail de tous permettent de soutenir ces œuvres.

Le travail de tous.

Ces simples mots de l’humble prélat, sur lesquels glisserait si rapidement la lecture, entr’ouvrent sous nos yeux, la mine profonde qui recèle le capital foncier des institutions apostoliques de l’Extrême-Nord.

Le travail de tous, c’est-à-dire le travail de l’évêque lui-même, le travail du simple prêtre, le travail de la Sœur Grise, le travail de la Sœur de la Providence, et surtout le travail du frère convers Oblat de Marie Immaculée.

Travail d’économie d’abord.

Il alla si loin que les religieuses se confectionnèrent quelquefois des robes grises avec des sacs de toile d’emballage hors d’usage, tandis que les missionnaires se taillaient leurs vêtements dans la peau des animaux sauvages. Pas un meuble indispensable de nos jours encore, dans ces résidences ensevelies sous les neiges. Durant les longues soirées de l’hiver, une seule petite lampe s’allume et se pose sur le milieu de la table « de famille ». A l’heure prescrite par la règle pour le silence et le recueillement, elle voit la communauté entière lui former couronne, chacun lui tournant le dos, afin de lui prendre quelques rayons pour son livre d’étude ou de prières.

Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux. - Page 4 Page_112

Travail d’activité incessante, dans les rudes ouvrages.

Mgr Grouard les racontait de la sorte, 36 ans après l’érection du vicariat apostolique d’Athabaska-Mackenzie…


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Message  Louis Ven 28 Oct 2022, 5:10 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

Pour « ne pas mourir de faim et de froid ».

Mgr Grouard les racontait de la sorte, 36 ans après l’érection du vicariat apostolique d’Athabaska-Mackenzie, au chapitre général de 1898. (1)  

« Les travaux de tous genres s’imposent aux Pères comme aux Frères. Instruire nos sauvages, et pour cela étudier leurs langues; faire des livres qu’il nous faut imprimer et relier; confesser, visiter les malades à des distances parfois considérables, soit en hiver, soit en été; faire l’école là où la chose est possible: voilà, comme partout ailleurs, la besogne des missionnaires du Nord. Mais ils sont obligés aussi de se livrer à une foule d’autres travaux pour se procurer leur maigre subsistance, ou pour se mettre à l’abri du froid.

« En conséquence, ils aident les Frères à la pêche, aux bâtisses, au bûchage, etc... et au jardinage, là où le sol peut se cultiver avec quelque chance de succès.

« C’est dire que les soucis de l’existence matérielle, la lutte pour la vie prennent une très grande part dans nos occupations. Et qu’on veuille bien remarquer qu’il ne s’agit pas seulement de se procurer quelque bien-être ou de vivre plus ou moins confortablement, cela ne vaudrait pas la peine d’en parler; mais qu’il s’agit réellement de ne pas mourir de faim et de froid.

« Personne n’est donc dispensé du travail, s’il veut vivre dans nos missions. Nous ne pouvons pas y manger notre pain à la sueur de notre front; mais il faut suer pourtant pour nous procurer soit une patate, soit un poisson, soit un morceau de viande sauvage.

« Cependant, dans les missions où nous avons des établissements de religieuses avec écoles et orphelinats, les difficultés de l’approvisionnement sont beaucoup plus grandes que là où un père réside seul avec un Frère. C’est pourquoi nous avons besoin d’y entretenir un personnel plus nombreux, surtout un fort contingent de frères convers, sans lesquels ces œuvres seraient impossibles. »

Nous n’insisterons pas ici sur ces dévoués auxiliaires du prêtre missionnaire, les frères convers. Quelques pages ne sauraient faire connaître leur mérite. Nous leur consacrerons un livre (1). Indiquons seulement, dans un bref aperçu, en quoi ils justifient les paroles de confiance de leurs évêques.

Les ressources, énumérées plus haut, ont permis l’établissement des missions, il est vrai; elles ont pourvu aux voyages de chaque année; elle fournissent les vêtements et l’outillage nécessaire; elles assurent l’acquisition et le transport des articles d’échange qui doivent payer les services des engagés; elles procurent même une réserve de farine et de conserves alimentaires dont vivraient, durant quelques jours, les missionnaires et leurs pauvres. Mais point davantage. La réelle bienfaisance de la charité, mère de ces ressources, aura été de rendre possible, et de moins en moins pénible, le travail assidu des mains nourricières, le travail de tous.

Or, ce travail ne peut être confié aux Indiens, trop souvent paresseux et exigeants, si ce n’est au second plan, sous une direction vigilante. Le prêtre, d’autre part, ne saurait, sans sacrifier l’essentiel de son saint ministère, assumer les soins de cette direction et de cette surveillance. A plus forte raison, ne pourrait-il accomplir le principal de l’ouvrage, dont l’Indien est incapable.

Ici paraît le frère convers….
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(1)  Le chapitre général est une assemblée tenue périodiquement, dans la Congrégation des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée. Le Supérieur Général, ses quatre Assistants, les Vicaires Apostoliques et les Supérieurs Provinciaux du monde entier, ainsi qu’un Père délégué par chaque vicariat ou province, y viennent, dans des réunions intimes, exposer leurs succès, leurs déceptions, leurs espérances et leurs demandes. (1) Apôtres Inconnus


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Message  Louis Sam 29 Oct 2022, 6:22 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

Les frères coadjuteurs Oblats.

Ici paraît le frère convers.

Fidèle à la vocation sublime que Dieu lui a donnée, il arrive avec sa bonne volonté, avec ses bras, avec son esprit d’apostolat. Religieux et missionnaire comme le prêtre, il ne lui manque que l’instruction achevée et le caractère sacerdotal.

A lui la tâche et l’honneur de loger et de nourrir les serviteurs de Dieu.

Son chantier est immense comme le vicariat auquel il appartient. Il aura à cultiver le maigre jardin, à arracher à la forêt les bois de construction et de chauffage, à amasser le foin nécessaire à quelques animaux que l’on élève dans les missions les moins glaciales, à aller chercher les dépouilles des fauves tués par les chasseurs sauvages, à entretenir les équipages de traîneaux, etc.

Mais le grand travail du frère convers sera…

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Message  Louis Dim 30 Oct 2022, 5:42 am


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CHAPITRE V: La lutte pour la vie.

Pêches d’automne et d’hiver.

Mais le grand travail du frère convers sera la pêche.

Le poisson constitue, en effet, le fond de l’alimentation du Nord. S’il était constamment assuré, les habitants de ces tristes régions s’estimeraient tout à fait heureux. C’est que le poisson du versant de l’Océan Glacial Arctique est délicieux. Il est si gras qu’il se cuit dans sa propre graisse, et qu’il n’est besoin d’autres condiments pour le rendre succulent. Il est si varié qu’une espèce semble avoir été accommodée pour chaque goût par la Providence: ce sont principalement le brochet, la carpe, la truite, l’inconnu (saumon blanc), le hareng, le poisson-blanc, le poisson-bleu.

Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux. - Page 4 Page_114

Ces poissons fourmillent dans les eaux septentrionales; mais en des endroits qu’ils préfèrent, et qu’il s’agit de trouver. Tous migrateurs, ils vont des lacs aux rivières et des rivières à la mer, par espèces, par saisons, en des passes gigantesques.

C’est à la passe d’automne qu’il faut les prendre, rapidement, juste au temps voulu pour qu’ils se conservent gelés, et en grande quantité.

Vingt-cinq mille poissons ne sont pas trop pour nourrir, un hiver durant, cent cinquante bouches: pères, frères, religieuses, vieillards, enfants et chiens — qu’on nous pardonne ce rapprochement, la seule différence entre les personnes et les chiens, au point de vue que nous traitons, étant que ceux-ci avalent leur ration du jour toute crue, en une fois, et que les hommes la mangent cuite, s’il se peut, et en trois fois.

La pêche d’automne requiert une patiente préparation, un agrès considérable, de longs et dangereux voyages. Peu de missions ont leur bassin de pêche dans leur voisinage. Ainsi les bassins du fort Providence sont à 64 kilomètres, ceux du fort Simpson à plus de 240 kilomètres. Entre la mission et le vivier d’occasion, il y a toujours des lacs houleux à traverser ou des rivières rapides à remonter.

Il est bien rare que ces entreprises finissent au souhait de tous.

Si la migration du poisson s’accomplit au temps calculé, si les vents ne paralysent pas les barques, si les vagues de fond n’emportent pas les filets tendus, si les glaces ne viennent pas briser la cargaison, ou l’immobiliser loin de la mission, si la capture rendue à bon port n’est point gâtée par quelque chaleur tardive, l’hiver verra la sécurité joyeuse s’asseoir, à côté de la reconnaissance envers Dieu, à la table du missionnaire, des religieuses, des malades et des orphelins. Mais que l’une de ces conditions vienne à faillir, c’en est fini. Il faudra, selon le cas, établir aussitôt le régime rationné, se résoudre à manger une chair plus que... faisandée, que refuseraient les chiens d’Europe, ou encore passer les mois de l’hiver au dur travail de la pêche sous la glace.

Relisons ce fragment d’une lettre adressée à une bienfaitrice de France…

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