Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.

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Message  Louis Mar 23 Mai 2023, 5:58 am


Aux Glaces Polaires

CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

Babel.

La chronique de la mission du Sacré-Cœur pourrait s’écrire avec les larmes de ses missionnaires. De la plume et des lèvres de tous, au sujet de Simpson, tomba, comme s’il ne s’en fût trouvé d’autre, l’expression: Babylone du Nord. Non pas qu’ils fissent allusion, ces apôtres déguenillés du pauvre pays, à des jardins suspendus, à de flamboyants palais, à de sacrilèges festins nocturnes, ni même à des débauches... royales: ils voulaient dire seulement que le fort Simpson était le lieu où le démon de la cupidité, du mensonge, de la discorde, du fanatisme et de la mollesse semblait avoir établi sa capitale du Nord.

Jusqu’en 1886, date de la mise en service du premier steamer de la Compagnie de la Baie d’Hudson, le fort Simpson, chef-lieu du district, marqua le ralliement général des barges commerçantes; et chaque année s’y reconstituait la Babel, dont parla Mgr Grandin en 1861:

On trouve là des Anglais, des Norvégiens, des Orcadiens, des métis français, anglais et autres. Parmi les sauvages, on reconnaît des Sauteux, des Maskégons, des Cris, des Montagnais, des Esclaves, des Plats-Côtés-de-Chiens, des Couteaux-Jaunes, des Peaux-de-Lièvres, des Sékanais, et même des Esquimaux. La France est représentée par ses missionnaires. Vous concevez quelle confusion il y a là pendant plusieurs jours. C’est réellement la Tour de Babel. A mon arrivée, ce tumulte n’existait pas encore; il n’y avait guère que les Esclaves: c’est le nom que l’on donne aux sauvages qui fréquentent ce poste.

Le Père Grollier aborda au fort Simpson, le 16 août 1858, traquant Hunter, l’archidiacre anglican.

Le bourgeois força le prêtre à partir le 21, un samedi soir, malgré les instances des sauvages qui réclamaient la faveur de passer le dimanche avec le priant français. Par contre, le ministre eut toutes les libertés. Ainsi commença la lutte.

De 1858 à 1876, le missionnaire catholique n’eût même d’autre pied-à-terre, au fort Simpson, que la tente qu’il plantait, pour la plier bientôt; tandis que le ministre anglican et son évêque, dotés de terrain, de maison, de temple, régnaient sans ombrage.

Venant du fort Providence ou du fort des Liards, le Père Gascon, 4 ans, le Père Grouard 9 ans, le Père de Krangué 21 ans, donnèrent successivement la mission de passage, au fort Simpson.

A la longue cependant, le protestantisme, qui mettait onze mois à défaire l’ouvrage que le prêtre faisait dans le seul mois de sa visite, gagna quelques adeptes et s’étendit. Lorsqu’en 1894, il fut possible de placer au fort Simpson un missionnaire résident, la moitié de la population suivait le ministre, et l’autre n’avait plus guère de catholique que le nom.

Ce brave missionnaire, le premier à rester fixé sur la Croix, fut le Père…

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Message  Louis Mer 24 Mai 2023, 6:16 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

Le Père Brochu.

Ce brave missionnaire, le premier à rester fixé sur la Croix, fut le Père Laurent Brochu. Dieu sait combien il travailla, dans cette aridité. En dix ans de prières, de patience, d’efforts de tous genres, il ramena au Bon Pasteur le grand nombre des prodigues.

Il fut seul d’abord. En 1896, le Père Vacher lui arriva, comme élève dans la langue esclave, et comme assistant. Tous deux s’encouragèrent à l’œuvre de longanimité (1).

Le Père Andurand, secondé du Père Moisan, finit de reprendre toute la tribu.

Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux. - Page 13 Captur50

Le grand événement de grâce pour la mission du Sacré-Cœur a été la…
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 (1) Le Père Brochu ne borna pas son zèle au fort Simpson. Il alla du fort Nelson au fort Wrigley. En 1895, il écrit d'un séjour au fort des Liards   :

« — Le Père Gourdon me fit l'accueil le plus fraternel, en m'ouvrant ses grands bras d'Hercule pour me presser sur son cœur d'Oblat. Je puis dire que j'ai passé un bien bon hiver avec un tel frère ! Mon temps a été tout consacré à la visite des sauvages à domicile. C'était bien le meilleur moyen d'instruire ces pauvres gens et de leur faire un peu de bien.... Je fus amplement dédommagé de mes fatigues par le succès. Des adultes encore infidèles ont été baptisés. Des sauvages qui se tenaient loin de la mission se sont rapprochés, en venant faire leurs dévotions le jour de Noël. Nous en comptions 30 à la messe de minuit et 40 au jour de l'an. D'autres enfin, qu'on avait dû excommunier par suite de leur inconduite, eurent le courage de s'arracher, les uns un œil, et d'autres une main, pour se ranger enfin sous l'étendard du Christ.   »

Du désert du fort Simpson, le Père Brochu passa à celui, plus ingrat encore, de la Rivière-au-Foin, pour lutter contre le même ennemi. Mais deux années de ces nouvelles misères attaquèrent tellement sa santé qu'il fut forcé de retourner à la province de Québec, sa patrie. Le souvenir de son dévouement et de son aimable commerce reste en bénédiction dans la tribu des Esclaves, comme dans le cœur des missionnaires du Mackenzie.

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Message  Louis Jeu 25 Mai 2023, 5:57 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

Hospice des Sœurs Grises.

Le grand événement de grâce pour la mission du Sacré-Cœur a été la fondation de l’hospice des Sœurs Grises, en 1916. Tous les infirmes et vieillards du bas-Mackenzie, c’est-à-dire depuis le fort Simpson jusqu’à l’océan polaire, y sont conviés. Déjà l’hôpital, élevé par les Pères Andurand et Moisan, et qui n’a point son pareil en hauteur et en beauté dans les édifices du Nord, se voit débordé.
Or, c’est là le coup d’audace le plus saintement téméraire qui ait été osé, sans doute, par un vicaire apostolique. Un mot et un fait l’indiqueront.

Le poisson ne séjourne pas dans le fleuve Mackenzie, sauf au pied des rapides qui l’arrêtent, et dans certaines expansions où le fleuve se ralentit et devient un lac: ce qui place la pêcherie voisine du fort Simpson à la Grande-Ile, bord du Grand Lac des Esclaves, soit à 320 kilomètres.

Dès le deuxième automne de la fondation de l’hospice, le 20 octobre 1917, le bateau de pêche, qui revenait chargé de 9.500 poissons, se bloqua dans la glace, à 160 kilomètres du fort Simpson. Il eut pu se bloquer — et il s’y bloquera certainement un jour — à la Grande-Ile même, ou au lac Castor, comme il en arriva tant de fois aux bateaux de la mission de la Providence. Calculons alors, sans compter les déprédations du glouton (carcajou), des loups, des voleurs, calculons les fatigues, les lenteurs, les dépenses des voyages en traîneaux à chiens que représentent cette distance, chaque fois doublée, et ces masses qu’il faut transporter, à raison de 200 pièces seulement par traîneau. Si la mission de la Providence a trouvé tant de déboires dans ses pêches, à 64 kilomètres, qu’en sera-t-il de la mission du Sacré-Cœur, prenant sa subsistance à 320 kilomètres ?

Folie de la passion des âmes ! Folie de la Croix !

Mais, haut les cœurs et l’espérance ! Saint Joseph veillera sur Simpson, comme il veilla sur Providence, sur Résolution. Il veillera, bon intendant du Sacré-Cœur. Le Père Grollier l’a promis:

— J’ai dédié le fort Simpson, centre de tout le district, au Sacré-Cœur de Jésus, foyer de son ineffable amour pour les hommes, tout en lui demandant asile, dans son Cœur divin, pour les pauvres Indiens du pays.

MISSION SAINT-RAPHAEL (Fort des Liards)…

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Message  Louis Ven 26 Mai 2023, 6:25 am


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LES ESCLAVES

MISSION SAINT-RAPHAEL (Fort des Liards)

Au fort Simpson, laissons le Mackenzie poursuivre sa marche à l’Océan Glacial, et remontons, non à la vapeur — la vapeur n’a pu l’escalader encore, — mais en pirogue d’écorce ou en courte barge, cette rivière, aussi large que le Mackenzie dont elle est l’affluent, et qui descend du sud-ouest: la rivière des Liards. Une sauvage beauté la pare dans ses détours, ses rapides, ses montagnes Nahanès et Rocheuses, dont elle s’approche et s’éloigne tour à tour, sa grande vue, ses chenaux, ses îles. Elle roule sur de longs espaces avec une telle vitesse que l’on entend les cailloux s’entrechoquer sur les hauts-fonds, et qu’à l’étiage, des amas de ces cailloux émergent, alignés comme par les cantonniers de nos routes nationales. Ces courants précipités ne se laissent vaincre que par le halage. Une journée de rapides exige même un redoublement de cette corvée, qui consiste à tirer l’esquif, du haut d’une grève horriblement enchevêtrée, et prête à vous jeter cent fois dans l’abîme, avec ses pans de terre et ses rochers déboulants.

Si notre voyage s’est heureusement accompli, nous avons peiné plus que la semaine entière pour nous mettre en vue du fort des Liards. Le voici, à 350 kilomètres du fort Simpson, sur la rive droite, en belle terre noire, fertile, et adossé à une forêt qui n’attend que la pioche et la charrue pour se convertir en champs aussi féconds que les prairies de la rivière la Paix.

La région abonde en liards: peupliers balsamiques.

Un de ces peupliers-liards eut sa célébrité, à l’origine du fort des Liards…

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Message  Louis Sam 27 Mai 2023, 6:14 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

Le fort des Poux.

Un de ces peupliers-liards eut sa célébrité, à l’origine du fort des Liards.

Comme il était large et isolé, les sauvages le prenaient pour pivot de leurs danses générales. La danse finie, la neige était noire de poux, autour du liard: c’est pourquoi le fort des Liards s’appela aussi le fort des Poux (1).

L’archidiacre Hunter passa un mois au fort des Liards, en 1858, au désespoir du Père Grollier. Mais il n’eut aucune emprise sur les sauvages. Le Père Grollier avait eu le temps d’instruire plusieurs de ceux-ci, qui s’étaient trouvés, avec les barges, au fort Simpson, et de les styler au combat.

Une femme surtout, fameuse dans le Nord, la « bonne femme Houle »…
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 (1)  Renseignement de Boniface Laferté, qui vit ce liard, ces danses et ces poux.

La danse des Dénés ne rencontra que peu d’opposition chez les missionnaires, qui se contentèrent de la détourner de sa signification païenne. C’eût été trop entreprendre que d’abolir ce divertissement qui passionne les sauvages, au temps de leurs fêtes et de leurs réunions générales, et qui, durant des jours et des nuits, harasse les exécutants et les induit au lourd sommeil, bien plus qu’au relâchement des mœurs. Les hommes dansent ensemble, les femmes aussi; et, si le mélange des âges et des conditions se fait, on y reste aux antipodes de certaines danses raffinées et dégoûtantes de notre civilisation. Au plus, se tiendra-t-on par la main pour former le cercle. Cette description d’un missionnaire est parfaite:

« Mais quelle danse ! Qu’on se figure une foule de tout âge et de tout sexe, depuis l’enfant jusqu’au vieillard, trottinant en cercle autour d’un grand feu, les uns à côté des autres, le corps voûté et leur couverture placée sur la tête ou drapée autour du corps. Ils sautent lourdement, en accompagnant leur mouvement rotatoire de convulsions d’épileptiques : en même temps, ils hurlent des ah ! ah ! des eh ! eh ! et des eyia ! eyia ! eyia-a ! à fendre la tête, aspirant violemment ces syllabes, comme si la respiration leur manquait tout à coup. Dans ces mouvements, ils imitent les gestes et les allures de l’ours, qui joue un grand rôle dans leurs légendes... Toutes ces noires et fantastiques figures, qui tourbillonnent dans une demi-obscurité, passent et repassent devant le feu comme des ombres chinoises; leurs cris lugubres, qui vont toujours crescendo, sont répétés par les échos et ajoutent au caractère sauvage de cette danse. »

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Message  Louis Dim 28 Mai 2023, 6:07 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

La BONNE FEMME Houle.

Une femme surtout, fameuse dans le Nord, la « bonne femme Houle », que le Père Grollier vit aussi, se chargea du gros de l’ouvrage. Sa qualité de métisse française, sa force musculaire, son aspect de maritorne la faisaient redouter des Blancs et des Peaux-Rouges Avec ses habits de peau et sa dague fichée à sa ceinture, elle terrorisait les hommes  et menait ses maris, en virago. La Compagnie l’avait engagée de longtemps pour son principal bully, sur le trajet du fort des Liards au fort Simpson. Debout à l’avant de la barge, elle émettait ses ordres et tançait l’équipage.

Païenne, elle se souvint d’avoir entendu, toute petite, certaines paroles de son grand-père, touchant une religion qui serait prêchée un jour par des hommes à robe noire; et elle n’eut pas plus tôt appris  que M. Thibault avait apporté la Bonne Nouvelle au Portage la Loche, qu’elle prit congé de la Compagnie, afin d’aller voir à la Rivière-Rouge, ce qui en était. Elle revint de Saint-Boniface, instruite, baptisée, et déterminée à employer au service de Dieu le prestige et la force qu’elle avait autrefois abandonnés au service du démon. Elle était devenue le modèle de la fidélité conjugale et de la tendresse maternelle. Mais la dague brillait toujours à son flanc.

Que pouvait Hunter, devant une telle puissance ?

Plus tard, lorsque Kirby se présenta pour détruire l’œuvre du Père Gascon, il la trouva à son tour devant lui, toujours debout et armée. La « bonne femme » s’en prit surtout, unguibus et rostro, au onzième commandement que le malvenu apportait: « Marie, ne la prie point ». Elle plaida la cause de la Sainte Vierge avec des lumières et des élans qui étonnaient les missionnaires.

En 1860, arriva le Père Gascon, premier missionnaire du fort des Liards.

La bonne femme Houle lui servit d’interprète et de sacristain.

En 1863, elle prit le Père Grouard, son « vénérable fils », sous sa protection, et se fit son institutrice en langue Esclave, en même temps que son vicaire du dehors. Elle aimait à lui expliquer les us et coutumes de la tribu. Ainsi, comme le père lui manifestait quelque surprise de trouver beaucoup de femmes sans nez:

—  C’est qu’elles n’ont pas été sages, au gré de leurs maris, dit-elle. On leur coupe le nez afin de les corriger.

De fait, à peu de temps de là, le Père Grouard faisant sa méditation du soir, sous sa tente, entendit des cris de bataille. Comme il sortait pour s’informer, il vit arriver, implorant de lui refuge et secours, une femme dont le nez et la lèvre supérieure pendaient sur le menton, ne tenant plus qu’à un fil de chair.

Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux. - Page 13 Captur52

Il venait autrefois au fort des Liards, outre les Esclaves, qui forment la population principale, deux tribus dénées des montagnes Rocheuses: les Nahanès et les Gens de la Montagne, ces derniers dits également, mais comme par antiphrase, les Mauvais-Monde (1):

Au regret des missionnaires, Nahanès et Mauvais-Monde ont maintenant disparu…
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 (1) « Je n’ai jamais vu de meilleur monde que ces Mauvais-Monde,» dit Mgr Grouard.


Dernière édition par Louis le Lun 29 Mai 2023, 6:11 am, édité 1 fois (Raison : Balises.)

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Message  Louis Lun 29 Mai 2023, 6:07 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

La BONNE FEMME Houle.

SUITE

Au regret des missionnaires, Nahanès et Mauvais-Monde ont maintenant disparu, « détruits par les maladies et la famine ».

De quelle dégradation et avec quel empressement ces sauvages vinrent à l’envoyé de Dieu, le Père Grouard l’a écrit, au lendemain de sa visite apostolique de 1867:

Je fis une quarantaine de baptêmes, au fort des Liards. Plusieurs nouveaux sauvages se présentèrent à moi, et Dieu sait s’ils avaient besoin d’entendre la bonne nouvelle ! Aussi était-ce évidemment la grâce qui me les amenait, car en entrant dans la maison où je logeais, après m’avoir touché la main, ils n’avaient rien de plus pressé que de me dire:

— Je veux me confesser.

Ils savaient par ouï-dire qu’on se confessait au prêtre. Ai-je besoin de dire qu’ils ne connaissaient pas les formules ? Aussi s’adressaient-ils sans respect humain à la vieille femme (Houle) de l’interprète du fort, chez qui je demeurais:

— Dis donc au père que j’ai fait telle et telle chose.

Plusieurs, désireux de se décharger la conscience au plus vite, faisaient entendre ces étranges paroles: « Dis donc au père que j’ai mangé tant de personnes ». Et cela en public... Les accusations de ces sauvages font assez connaître l’état affreux d’où nous sommes appelés à les tirer...


Quant aux Esclaves, que Mgr Grouard qualifiait encore, en 1890, de « peuple revêche, difficile à convertir et prompt à retourner à ses mauvaises habitudes », ils sont aujourd’hui environ 300, tous catholiques (1).

Les missionnaires ambulants de Saint-Raphaël (nom de la mission du fort des Liards, imposé par Mgr Grandin) furent les Pères Gascon (3 ans) et Grouard (9 ans).

En 1871, la résidence fut inaugurée par le Père de Krangué…
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   (1) Le protestantisme ne déserta la partie, au fort des Liards, qu'après de longues tentatives. Le dernier ministre fut M. Marsh. Il disparut en 1892. Le Père Gourdon, le voyant inoccupé, et sachant qu'il avait des daviers, s'en fut, un jour, lui demander de lui extraire une vilaine molaire. Le révérend arracha la dent avec succès, « C'est tout ce qu'il arracha au catholicisme », observe le Père Gourdon, sans préjudice de sa reconnaissance pour le service rendu. Comme le révérend désirait garder la dent, en souvenir du fort des Liards, et en fiche de consolation, le missionnaire la lui donna.


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Message  Louis Mar 30 Mai 2023, 5:59 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

Le Père de Krangué.

En 1871, la résidence fut inaugurée par le Père de Krangué (1). Il y demeura, seul ou avec un assistant, 22 années.

Les voyages continuels du Père de Krangué à ses dessertes, depuis le fort Nelson jusqu’aux forts Simpson et Wrigley, les privations, particulièrement pénibles à sa condition, le réduisirent à un état de souffrances qu’il répugnerait de décrire...

Au printemps 1893, revenant du fort de Good-Hope, en route lui-même pour l’est du Canada où il portait sa santé ruinée, Mgr Clut le trouva, presque dans les affres de la mort, au fort Simpson. Il le prit avec lui.

Le chemin de croix de ces deux invalides de l’apostolat devait s’achever à l’Hôtel-Dieu de Montréal. Mgr Clut y arriva seul. Le Père de Krangué était tombé en route, dans les bras de son évêque:

Arrivé à Calgary, écrit celui-ci, la faiblesse extrême du cher père ne lui permit pas d’aller plus loin. Je restai avec lui, à l’hôpital des Sœurs Grises, où nous nous faisions soigner tous deux. Je lui donnai le saint Viatique et l’Extrême-Onction. Il fut bien édifiant pendant sa maladie; et il l’a été jusqu’à son dernier soupir. Il désirait cependant beaucoup guérir, afin de retourner à ses missions; mais lorsqu’on lui annonça qu’il n’y avait plus d’espoir, il fit généreusement le sacrifice de sa vie.

Après le Père de Krangué, le missionnaire qui occupa le plus longtemps le poste de Saint-Raphaël fut le Père Le Guen. Il quitta le fort des Liards en 1915, pour prendre la direction de la mission de Notre-Dame de la Providence (2).

Les Pères Ladet, Lecomte, Gourdon, Gouy, Vacher, Moisan et Bézannier se partagèrent le reste des années et des voyages.

De ces preux, le Père Moisan…

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 (1) Nouël de Krangué, de la Noblesse bretonne.

 (2) Le Père Le Guen fut le seul missionnaire, et même le premier Blanc, à visiter un groupe considérable d’Esclaves, placé au milieu d’un triangle que formeraient les forts Providence, Simpson et Liard: le camp du Grand Lac la Truite. A part quelques hommes qui eurent l’occasion de voir le prêtre, aux forts-de-traite, la totalité de ces familles n’avaient jamais eu l’idée  de ce qu’était l’homme de la prière. Le Père Le Guen s’y trouva en décembre 1902, Il instruisait ces chers affamés de la vérité. La cheferesse Monique — le sceptre étant en quenouille, chez ces gens — l’édifia beaucoup. Avant de la baptiser, le 8 décembre, il lui rappelait les souffrances de Notre-Seigneur en lui montrant sa croix de missionnaire Comme il parlait, Monique, accroupie à côté de lui, lui frappait les genoux de ses vieilles mains ridées, en répétant: « Eh ! Eh ! Eh !... Est-il possible !  Est-il possible ! » Et elle pleurait sur la croix, « pour Jésus qui faisait pitié ».

Combien de ces âmes,  — qui seraient bientôt si belles ! perdues encore sur l’immensité du vicariat du Mackenzie, et qui soupirent après un missionnaire qui ne viendra jamais, si les ouvriers ne se multipient... Operarii autem pauci !

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Message  Louis Mer 31 Mai 2023, 6:01 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

Champion mutilé.

De ces preux, le Père Moisan n’est pas  le moins fier: fierté tout obligée, qui lui garde jusqu’à cette heure le titre de champion mutilé du Mackenzie. Mgr Breynat ne perdit qu’un orteil, au lac Athabaska : Le Père Moisan en laissa deux, au fort des Liards. Ce fut le jour de sa fête, en la saint François-Xavier, 3 décembre 1906, qu’il se les gela.

Comme la rivière la Paix, la rivière des Liards est presque dépourvue de poissons; et la mission ne peut s’approvisionner qu’au lac Beauvais, situé à 40 kilomètres du fort, à travers le bois. Le Père Moisan rentrait avec la dernière charge du poisson d’automne, trottant à la suite du traîneau, quand, à une lieue de la mission, il cala sous la glace d’un marais. Il faisait très froid, et l’eau se congela aussitôt sur ses pieds. Il eut beau hâter sa course, deux orteils du pied droit, « le gros et le voisin », étaient perdus.

Après un mois de souffrances et de soins inutiles, le Père Gouy les coupa, avec son couteau de poche.

MISSION SAINT-PAUL (Fort  Nelson)…

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Message  Louis Jeu 01 Juin 2023, 5:37 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

***

MISSION SAINT-PAUL (Fort Nelson)

A quelque 80 kilomètres de remonte  du fort des Liards, se rencontre, sur la droite de la rivière des Liards, son principal affluent: la rivière Nelson.

Elle descend du sud, et coule tout entière dans le territoire de la Colombie Britannique.

Le fort Nelson est établi sur sa gauche, à 160 kilomètres  en amont, à l’abouchement de plusieurs petites rivières.

Ces 240 kilomètres qui séparent la mission Saint-Raphaël de la mission Saint-Paul, sa succursale, ne peuvent se franchir que péniblement. La rivière Nelson, quoique plus étroite et moins rapide que la rivière des Liards, déconcerte les canots par ses replis continuels. L’hiver, sa vallée emprisonne des neiges épaisses, molles, adhérentes, que le piéton doit souvent fouler deux fois pour les rendre praticables à son attelage.

Les grèves de la Nelson, hautes, fortement boisées, de terre noire aussi friable que fertile, se transforment sans cesse,  attaquées qu’elles sont par les crues brutales  de la saison chaude. Elles se laissent détacher par bastions et déposer telles quelles, avec leur végétation, au milieu du cours d’eau. D’autres îles se créent par les alluvions qui s’arrêtent à des amas de grands arbres échoués sur des récifs. Ces îles seront couvertes de sapins et de liards, que les bois qui les supportent apparaîtront encore. Une crue plus puissante enlèvera le tout pour l’ajouter à quelque promontoire, ou le distribuer en débris à des îles plus tenaces. On dirait qu’en cette sauvagerie la nature n’a pas encore fondé ses bases.

Le fort Nelson remplaça, en 1867, le fort Halkett. (1)

En 1868, le Père Grouard vint commencer, au fort Nelson, la mission Saint-Paul.

Il y trouva, avec les Esclaves, et en nombre presque égal, des Sékanais.

Les Sékanais, tribu dénée encore, s’irradient sur les deux versants des montagnes Rocheuses, et tombent, selon leurs zones de chasse, sur les missions de la Colombie, ou sur les missions du Mackenzie. Les Sékanais, de noble caractère, respectueux, généreux, eussent fait de bons chrétiens, s’il se fût trouvé un missionnaire de leur langue, sœur de la langue castor, à leurs service. Les rares familles qui prirent contact avec le prêtre, aux forts des rivières la Paix et Nelson, se firent instruire par interprètes, et reçurent le baptême.

Il reste, au fort Nelson, environ 250 sauvages, convertis et assez fidèles.

Ils coûtèrent une rude rançon d’ouvriers et d’ouvrage.

D’abord, à peine avaient-ils été touchés par…
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 (1) Nous avons parlé, au chapitre XII, de la visite que fit le Père Gascon au fort Halkett, en 1862.

A mi-chemin à peu près, du fort des Liards, au fort Nelson, sur la rive droite de la Nelson, des broussailles recèlent les débris d’un fort, le Vieux Fort, de la Compagnie du Nord-Ouest. Il fut détruit par les Esclaves et les Mauvais-Monde, qui firent croire au bourgeois qu’ils avaient tué des orignaux à son intention. Le bourgeois les acheta, sur leur parole, et les envoya quérir par ses engagés. Les serviteurs partis, les sauvages se ruèrent sur le fort sans défense, massacrèrent le commis, sa femme, ses enfants, pillèrent le butin et brûlèrent les édifices. Les engagés eurent le même sort à mesure qu’ils rentrèrent. Le fort ne fut jamais relevé.  


Dernière édition par Louis le Sam 03 Juin 2023, 7:29 am, édité 2 fois (Raison : Ajout du mot en majuscule : Les Sékanais...eussent FAIT de bons chrétiens...)

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Message  Louis Ven 02 Juin 2023, 6:42 am


Aux Glaces Polaires

CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

Le Père Lecomte.

D’abord, à peine avaient-ils été touchés par les Pères Grouard et de Krangué, qu’un prophète se leva parmi eux. Il ne réclamait même pas trois lignes d’un honnête homme, celui-là, pour le faire pendre: il lui suffit d’un dessin pour métamorphoser le Père Lecomte en apôtre de Belzébuth:

Voyez cette image, disait le sorcier à ses ouailles, en montrant le catéchisme symbolique du célèbre missionnaire des Cris et des Pieds-Noirs, voyez ces hommes — il mettait le doigt sur Luther, Calvin et autres ejusdem farinae —: ils sont habillés de couleurs variées, ils sont beaux: donc ils iront dans la terre d’en-haut (le ciel), où tout est beau. Voyez maintenant ces hommes tout noirs — désignant le prêtre, la robe-noire — : Ne ressemblent-ils pas, avec leur triste couleur, à nos corbeaux malfaisants ? Ils s’en vont au feu d’en-bas, je vous le dis; et avec eux rôtiront tous les Esclaves et tous les Sékanais qui les suivront. Allons donc, mes amis, au priant Anglais, qui est habillé à la manière des beaux bourgeois de l’image, et n’écoutons plus le priant Français, qui est tout noir.

Le harangueur souleva, en quelques dithyrambes de cette sorte, tous les Indiens, qui demandèrent un ministre protestant.

Le commis, M. Brass, trouvant belle l’occasion de faire instruire en anglais ses propres enfants, accepta d’être le porte-parole des sauvages, et fit parvenir la requête aux quartiers anglicans.

Le Père de Krangué apprit ces nouvelles, au fort des Liards, l’été 1878:…

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Message  Louis Sam 03 Juin 2023, 6:48 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

Le Père Lecomte

SUITE

Le Père de Krangué apprit ces nouvelles, au fort des Liards, l’été 1878:

Ne sachant à quel saint me vouer, dit-il à Monseigneur Taché, j’eus un matin une bonne distraction, en faisant ma prière: l’idée de faire courir la nouvelle qu’en automne je monterais au fort Nelson, et que j’y ferais l’école, en anglais et en français, à tous ceux qui se présenteraient chez moi. Cependant, pouvant à peine bégayer quelques mots d’anglais, j’étais assez embarrassé de mon ignorance. Mais le bon Dieu qui m’avait envoyé la distraction l’a menée à bonne fin. Le Père Lecomte, devenu mon socius, connaissant les principes de la langue anglaise, a bien voulu prendre ma place et accepter de faire l’école annoncée. M. Brass a été très heureux de ma proposition, il a laissé ministre et maître d’école dans leur cure, et m’a promis, en me serrant fortement la main, que mon confrère passerait un bon hiver dans son fort. Grâces en soient rendues à Dieu, le loup hurle encore hors de la bergerie.

J’ai confiance dans le patronage de saint Paul et dans le zèle actif du Père Lecomte. J’espère que le visionnaire deviendra aveugle et que les aveugles commenceront à voir.


Si l’on cherchait dans la galerie des jeunes saints, honorés par l’Eglise, le modèle que retraça la vie du Père Lecomte, il faudrait s’arrêter devant saint Jean Berchmans.

D’Henri Lecomte, comme Jean Berchmans, le portrait tenait en ce cadre: « Ange à la prière, homme au travail, enfant en récréation. »

Il  ne savait que prier, travailler et sourire.

Il y a trente ans qu’il n’est plus, et rien qu’à le nommer, en présence des sauvages, des commerçants, des missionnaires qui le connurent, les fronts de tous s’éclairent aussitôt de ce rayon qui doit flotter encore sur le front des voyants, au lendemain d’une apparition.

Une conférence de Mgr Faraud, au grand séminaire de Laval, en 1874, lui avait révélé sa vocation à l’apostolat. Il eut à vaincre de grandes oppositions, dont la moindre n’était pas celle de son Ordinaire; mais il partit sur-le-champ. Ayant fait son noviciat à Lachine, près de Montréal, et prononcé ses vœux perpétuels au lac la Biche, il fut ordonné prêtre par Mgr Clut, à la Providence, le 28 octobre 1877.

En 1878, il était donné comme socius du Père de Krangué, au fort des Liards.

Socius (compagnon), il le fut à la façon du Nord. Il se rendit au fort Nelson, où il demeura dix ans, ne quittant sa solitude que pour aller se réconforter, une ou deux fois par an, au fort des Liards.

Ces dix années furent les principales de la courte vie du Père Lecomte. Il y assura la conversion des Indiens du fort Nelson, qu’il trouva presque tous païens. Il y contracta ses infirmités fatales.

En 1880, le Père de Krangué pouvait déjà dire aux supérieurs:…

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Message  Louis Dim 04 Juin 2023, 5:48 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

Le Père Lecompte.

SUITE

En 1880, le Père de Krangué pouvait déjà dire aux supérieurs:

A Saint-Paul (fort Nelson), le troupeau s’améliore peu à peu, grâce à Dieu et aussi au zèle du R. P. Lecomte, qui y met tout le sien, soit à l’étude des langues, soit dans l’exercice du saint ministère. Il est aimé et désiré de tous les sauvages. Il est plein de zèle pour les âmes, ardent au travail, confrère gentil à plaisir, religieux exemplaire, et pieux comme un ange... Il vit de peu, et est toujours content.

Le Père Lecomte ne tarda pas à posséder à fond la langue esclave et à la parler avec une aisance que lui enviaient les sauvages eux-mêmes. Il composa un dictionnaire esclave fort  appréciés. Il savait et prononçait si parfaitement l’anglais que les commis protestants se faisaient une fête d’aller entendre ses sermons dans leur langue, aux grandes occasions. Ces occasions étaient surtout Pâques et Noël. Comme il n’y avait pas d’harmonium, le missionnaire jouait les airs sur sa guitare de France, et, de sa voix d’or, chantait les cantiques en français, en anglais et en esclave. Les solennités de la guitare et des cantiques étaient impatiemment attendues de tout Nelson.

Pour payer tant de plaisir, il fallait beaucoup de souffrances. Elles arrivèrent.

A la fin de 1880, le Père Lecomte écrivit à Mgr Clut:

...Il faut que je vous dise qu’il m’est advenu, le 9 novembre dernier, un malheur, dont je crains que les conséquences soient funestes à toute ma vie. Je me suis fait avec ma hache une plaie profonde dans le genou, à la même jambe que j’avais assez gravement blessée devant vous, sur le Grand Lac des Esclaves, en 1877. Me voilà frappé depuis presque deux mois, et je ne fais que commencer à marcher. Mon genou reste enflé et sans force, ce qui me fait croire que les nerfs et l’os ont été gravement lésés. Je ne puis plier la jambe qu’un tout petit peu, ce qui est fort gênant pour faire les génuflexions, au saint autel. C’en est fait, je pense, de mon agilité d’autrefois. Enfin, que la volonté de Dieu soit faite  !

L’hiver 1885-1886, le Père de Krangué tomba gravement malade, au fort des Liards...

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Message  Louis Lun 05 Juin 2023, 6:21 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

Le Père Lecompte.

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L’hiver 1885 -1886, le Père de Krangué tomba gravement malade, au fort des Liards. Croyant sa fin venue, il envoya deux sauvages prier le Père Lecomte de venir l’administrer.

Afin d’éviter les sinuosités de la rivière Nelson et d’aller plus vite, les sauvages proposèrent au Père Lecomte de le conduire en ligne droite, à travers la forêt. Les voyageurs partirent, portant leurs provisions, leurs couvertures, une hache et un fusil. La marche, croyaient-ils, ne pouvait dépasser six ou sept jours.

En deux jours, ils se trouvèrent au bord de la petite rivière Caribou, comme s’y attendaient les guides: tout allait donc à souhait, malgré la neige et les broussailles. Ils traversèrent la glace, continuèrent, et, quatre jours après, se retrouvèrent au même endroit de la même rivière. Par une inexplicable aberration, ils avaient décrit un cercle.

Se reconnaître égaré, et si près du point de départ, au moment où l’on croit toucher le but, quelle déception ! Et les provisions s’achevaient.

Retourner au fort Nelson ? Impossible: le Père de Krangué mourant là-bas, au fort des Liards, attendait, il soupirait, il comptait sans doute les minutes !...

Les Indiens promirent d’être courageux, ils refirent la direction, et la marche reprit. Mais les malheureux s’affaiblissaient à chaque pas.

Un soir, il ne resta plus, pour le souper, que les entrailles d’un lièvre, de la chair et de la peau duquel les trois hommes avaient déjeuné et dîné déjà. Plus une bouchée pour le lendemain. Tandis que les jeunes gens mettaient le reste de leurs forces à préparer le campement dans la neige, le père, excellent tireur, s’éloigna avec le fusil et les deux dernières charges de plomb. Il vit un lièvre, le troisième que l’on apercevait du voyage. Ajustant l’animal, qui ne bougeait pas, il lâcha le coup. Rien. Le deuxième coup partit, et le lièvre détala. La peur de manquer avait comme halluciné le chasseur. Mais, aux détonations, les hurrah des sauvages avaient répondu; et déjà ils débouchaient du fourré, l’œil enflammé, pour se jeter sur le repas enfin trouvé... Désappointement ! Désolation !

L’un d’eux devint fou, cette nuit-là. Furieux par intervalles, il voulait tuer le missionnaire. Il fallut marcher trois jours encore, sans manger, et avec la nouvelle tâche de se défendre contre l’insensé.

La dernière journée — la dix-huitième — le Père Lecomte dit à ses compagnons:

— Maintenant je reconnais les lieux. Restez ici. J’irai tout seul, bien vite, au fort des Liards, d’où je vous enverrai aussitôt du secours.

Il arriva, le soir, « titubant comme un mort qui sortirait d’un sépulcre », ramassa ses énergies pour indiquer où se trouvaient les deux autres affamés, et tomba évanoui, sur le seuil de la mission.

Le Père de Krangué, qui allait beaucoup mieux, prit soin de son pauvre ami.

Cette épreuve abrégea la vie du Père Lecomte, dont la santé du reste n’égala jamais le courage.

L’accident qui devait être mortel arriva au printemps 1888…

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Message  Louis Mar 06 Juin 2023, 6:08 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

Le Père Lecompte.

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L’accident qui devait être mortel arriva au printemps 1888.

Le fort Nelson avait jeûné tout l’hiver. Le pays abondait en orignaux, comme toujours; mais il était impossible de les approcher, à cause du bruit que faisait en craquant la neige, encroûtée par la gelée, après les chauds passages du chinouk. Le Père Lecomte et Boniface Laferté, son hôte, n’avaient vécu que d’écureuils.

A l’époque où les ours sortent de leur retraite d’engourdissement hivernal, le père avait à soutenir, par surcroît, une famille de désespérés, venue des montagnes Rocheuses. Il prit sa carabine et s’en fut demander à la forêt la nourriture de ces malheureux. Il tua un ours, le mit en quartiers, et s’en chargea le dos. Comme il se hâtait d’arriver, il fit un faux pas, qui provoqua la rupture d’un vaisseau dans la poitrine. Il rentra, en crachant le sang. La blessure ne guérit jamais. A tout effort violent, elle se rouvrait. Elle dégénéra en tumeur, dans la région du cœur.

Durant les quatre années qui lui restèrent à lutter contre la mort, le Père Lecomte continua à évangéliser les Esclaves, non plus à Nelson, mais au fort des Liards, au fort Simpson, au fort Wrigley, voyageant plus que jamais.

Au fort des Liards, il eut à goûter d’une autre amertume: une maison, qu’il finissait à peine de construire de ses mains d’habile charpentier, prit feu, et brûla tout entière, sous ses yeux, en une demi-heure.

En 1892, le jeune missionnaire dut rendre les armes. Il ne pouvait plus supporter que le riz, et, à la mission de la Providence où il se trouvait alors, on lui dit qu’on n’en avait plus. Le moindre bruit lui déchirait la tête, et il lui fallait, pour trouver un docteur et un remède, faire 1.600 kilomètres, dans le vacarme des barges, des rapides, des grincements de rames, des imprécations de bateliers, des cahots de charrettes. Il les fit, en un mois de tortures, qui n’effacèrent pas un instant son sourire de résignation et d’affabilité .

A Saint-Albert, il y avait des médecins, des Sœurs de Charité, les tendresses de Mgr Grandin. Mais il était trop tard. Le 16 septembre 1892, le Père Lecomte mourut, comme mourraient les anges, s’ils pouvaient mourir.

La veine des souffrances ne devait pas tarir de sitôt, à la mission Saint-Paul, après le départ du Père Lecomte.

En février 1890, le Père Gourdon…

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Message  Louis Mer 07 Juin 2023, 7:07 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

Le Père Gourdon.

En février 1890, le Père Gourdon monta de Saint-Raphaël pour le remplacer. Il perdit tous ses chiens, en route, dans la neige extraordinairement profonde.

Au petit jour du 7 juin suivant — fête du Sacré-Cœur — cette neige, grossie de la neige fondue dans les montagnes, envahit la mission, juchée cependant à une hauteur où  l’eau n’avait jamais atteint. Le Père Gourdon, éveillé par le clapotis du flot contre son lit, n’eut que le temps de dire la sainte messe, de saisir son fusil et de grimper dans un sapin. De là-haut, à 20 mètres de terre, il vit partir, à la débandade, le bois de chauffage qu’il avait amassé brassée par brassée, son traîneau, tout ce qui n’était pas sa maison. Entre temps, il tirait pour appeler. Le commis, réfugié lui-même dans une barque, vint le délivrer.

L’eau baissée, le missionnaire, rangea son logis et, n’attendant plus les sauvages, après ce déluge, il descendit au fort des Liards, quitte à revenir à l’automne.

Il était à prendre le soleil, devant la mission Saint-Raphaël, l’après-dîner du 16 juillet, lorsqu’il aperçut au large de la rivière des Liards, une petite caisse qui flottait. Il lança un sauvageon à sa poursuite, et  il ne tarda pas à reconnaître, dans l’épave rapportée, le tabernacle de la mission Saint-Paul. Il comprit: l’inondation avait recommencé au fort Nelson, avec les pluies; et sa maison s’en était allée. Il ne fut pas long à équiper un canot et à remonter au fort Nelson. Il trouva sa route jalonnée de ses meubles: à la cime d’un arbre, sa soutane de travail; sur une pointe de rocher,  son ostensoir et sa cloche : ailleurs trois de ses chandeliers et deux pièces de son poêle. Au fort Nelson, plus rien: ni maison, ni chapelle, à peine quelques ruines méconnaissables. Des sauvages jouaient à la main avec la relique de la vraie Croix, qu’ils avaient ramassée on ne sait où...

Le missionnaire à qui fut donnée la consolation de parfaire la conversion du fort Nelson — consolation achetée par douze années de voyages, de travaux, d’ennuis de toutes espèces, — fut le Père Le Guen.

Il remit au Père Moisan, en 1909, toute la population baptisée, à l’exception d’un seul homme.

MISSION SAINTE-ANNE (Fort Rivière-au-Foin)…

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Message  Louis Jeu 08 Juin 2023, 4:59 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

MISSION SAINTE-ANNE (Fort Rivière-au-Foin)

La mission Sainte-Anne nous ramène, pour la dernière fois, au Grand Lac des Esclaves. Elle est sise à l’embouchure de la Rivière-au-Foin, venant de l’ouest, et futur port naturel des navires du Grand Lac.

Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux. - Page 13 Captur55

Le Père Gascon débarqua, le 3 juillet 1869, à la Rivière-au-Foin, pour fonder la mission Sainte-Anne. Il avait pour le seconder le Frère Hand, son compagnon, depuis quatre ans, à la mission Saint-Joseph.

Les deux ouvriers, aidés de quelques sauvages, bâtirent une chapelle. (1)

Le 23 août, de grand matin, le frère Hand…
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(1) L’hiver précédent, le Frère Boisramé avait mis debout une petite baraque, à l’endroit que lui avait montré le Père Gascon.

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Message  Louis Ven 09 Juin 2023, 7:13 am


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CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

Mort du Frère Hand.

Le 23 août, de grand matin, le frère Hand se leva, fit sa prière, sa méditation, et, en attendant l’heure de la messe, alla visiter les rets pour y prendre les  vivres de la journée. A six heures, le Père Gascon entendit des cris:

— Le frère se noie !

Il avait disparu, et son canot flottait, renversé, à l’endroit d’un filet, sur le lac tranquille.

On découvrit son corps, le lendemain.

Le Père Gascon remarqua la figure ensanglantée, sans se demander pourquoi. Il crut que le frère avait simplement chaviré, bien que, marin dans l’âme, il eût fait plusieurs fois, par des gros temps, la traversée du Grand Lac des Esclaves, en canot d’écorce. Les Indiens présents à l’ensevelissement cachèrent la vérité qu’ils savaient; mais ils ls ne la révélèrent plus tard au Père Gourdon. C’était un sauvage, qui, en tirant des canards, avait blessé le frère assez grièvement pour le jeter à l’eau.

Le Père Gascon tâcha de tenir encore quelques mois, à la Rivière-au-Foin; mais le vide laissé par son collaborateur bien-aimé ne put se combler, et le missionnaire regagna la mission Saint-Joseph, pour la Noël.

La mission Sainte-Anne ne reçut que de rares visites, jusqu’en 1878. Alors vint l’abandon presque complet, faute de missionnaires, faute aussi de docilité de la part de ces Esclaves.

En 1893, le révérend Marsh vint s’établir, à la demande des sauvages eux-mêmes et, lorsque, l’année suivante, Mgr Grouard s’arrêta pour leur donner la mission, ils refusèrent de lui toucher la main et lui tournèrent le dos.

En 1900, la mission fut reprise par le Père Gourdon. Il y arriva avec le Frère Rio, le 26 mars.

Il ne trouva, de tout le camp, que trois vieilles femmes métisses demeurées fidèles à leur baptême. Tous les autres étaient devenus protestants. Il est vrai qu’ils continuaient à dire leur chapelet, au temple, pendant que le ministre leur parlait en anglais.

Voilà vingt ans que le missionnaire, qui n’a plus quitté la mission, cherche à regagner, pouce par pouce, le terrain perdu. Les Pères Gourdon, Gouy, Brochu, Frapsauce, Dupire, Vacher, Bousso se sont consumés à cette tâche.

Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux. - Page 13 Captu163

Aux dernières nouvelles, la population se répartissait en 81 catholiques et 42 protestants.

L’épée de Damoclès suspendue encore, et toujours, sur le cœur du Père Bousso, c’est le plaidoyer de l’Esclave pour sa pauvreté; c’est la simonie à rebours de l’Indien:

— Si tu ne me donnes pas du thé, du tabac, des habits, je serai obligé d’aller en chercher chez le ministre. Il m’en offre tant que j’en veux, lui !...

MISSION DE NOTRE-DAME DU SACRÉ-COEUR (Fort Wrigley)…

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Message  Louis Sam 10 Juin 2023, 6:58 am


Aux Glaces Polaires

CHAPITRE XIV: Les Esclaves.

MISSION DE NOTRE-DAME DU SACRÉ-COEUR (Fort Wrigley)

La mission Notre-Dame du Sacré-Cœur, extrémité septentrionale de la tribu des Esclaves, nous transporte à 220 kilomètres au nord du fort Simpson:

«  — Le poste du fort Wrigley est situé sur la rive droite du Mackenzie, au pied des hautes collines qui nous ferment l’horizon du côté du nord et de l’est. En face, une île jetée au milieu de la rivière ne nous laisse voir qu’un petit chenal, faible portion du Mackenzie. Sur l’autre rive, de hautes collines encore nous empêchent d’apercevoir les montagnes Rocheuses, qui se dressent en arrière dans leur majestueuse blancheur. Au sud seulement, en amont de la rivière, le regard s’étend à perte de vue.

« Le fort Wrigley n’est pas sans charmes pour une âme méditative ou pour un poète: la première de ses qualités, sous ce rapport, c’est la solitude parfaite dont on y jouit, le calme : rien n’en trouble le silence, si ce n’est le bruit d’un rapide, juste au-dessus de la mission...

« A la tête de ce rapide se trouve une source d’eau pétrifiante, et, dans l’île d’en face, une source d’eau chaude.»

Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux. - Page 13 Captur56

Cette description est du Père Gouy, premier résident du fort Wrigley, en 1897. Il convient de la compléter, en disant qu’en 1910 la mission changea de rive, avec le fort, transporté un peu en aval; et que, devant elle, le large Mackenzie s’étale pour contourner bientôt le légendaire , muraille cônique de 500 pieds, lézardée par les siècles, et qui, adossée comme pour les contenir à des gradins de montagnes entassées, plonge droit dans le fleuve.

La misère et la mort n’évolueront nulle part en un théâtre de plus imposante beauté.

Il y avait, au fort Wrigley, lorsque le Père Ducot vint le visiter, du fort Norman, en 1881, 300 Indiens. Il en demeurait 70, en 1915.

Bientôt le silence du désert planera sur Wrigley.

Chapitre XV : LES PEAUX-DE-LIÈVRES

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Message  Louis Dim 11 Juin 2023, 5:57 am


Aux Glaces Polaires

Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux. - Page 13 Captur57

CHAPITRE XV

LES PEAUX-DE-LIÈVRES

Napolitains du Nord.Mission Sainte-Thérèse, au fort Norman.Rivière et Grand Lac de l’Ours. Le Père Ducot. Sauvé par un loup... Le pont de glace. Noël, le 17 décembre. Une aurore boréale. Mission Notre-Dame de Bonne-Espérance, au fort Good-Hope. Le Père Grollier. DA MIHI ANIMAS  ! Sa rapide et douloureuse carrière. « Je meurs content, ô Jésus ! ». Le Père Séguin. Jusqu’au fort Youkon.  — Chez les Loucheux. La conversion des Peaux-de-Lièvres. « Le Saint est mort ! »

Napolitains du Nord.

« Pétulants et enthousiastes, les bons, mais laids Peaux-de-Lièvres me surprirent par la légèreté apparente de leurs allures. Cela ne ressemblait en rien à ce que j’avais vu jusqu’alors. Au lieu de la taciturnité montagnaise, de la joie calme et lymphatique des Flancs-de-Chiens, de l’apathique abandon des Esclaves, je rencontrais une peuplade alerte et frisque comme une volière de hoches-queues, chaleureuse comme des Napolitains, loquace comme des Juifs, familière et sympathique comme des enfants. »

Cette impression qu’ils firent d’abord sur le Père Petitot, les Peaux-de-Lièvres la refont sur tous les Blancs qui les abordent. Moins coûte le bonheur, meilleure est son espèce. Les miséreux du Nord n’en seraient-ils pas la démonstration.  Plus ils s’enfoncent dans les neiges et le dénuement, plus ils paraissent contents de leur fortune. Rien ne ferait plus envie à nos riches préoccupés et moroses que les concerts quotidiens de ces rieurs en guenilles.

Avant l’ère des guenilles, de nos guenilles, la tribu s’habillait — d’où son nom — d’un costume à la samoyède, tissé, de pied en cap, avec des lanières de peau de lièvre. La peau du lièvre oppose au froid une imperméabilité sans égale.

Deux missions s’occupent des Indiens Peaux-de-Lièvres: Sainte-Thérèse du fort Norman et Notre-Dame de Bonne-Espérance du fort Good-Hope.

MISSION SAINTE-THÉRÈSE (Fort Norman)…


Dernière édition par Louis le Lun 26 Juin 2023, 6:51 am, édité 1 fois (Raison : Orthographe.)

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Message  Louis Lun 12 Juin 2023, 6:27 am


Aux Glaces Polaires

CHAPITRE XV: Peaux-de-Lièvres

MISSION SAINTE-THÉRÈSE (Fort Norman)

Sainte-Thérèse du fort Norman est située à 520 kilomètres au nord du fort Simpson, distance qui marque le record des espaces entre les missions du Mackenzie.

Le petit fort Norman et sa petite mission catholique se sont donné une avenue et un décor des plus grandioses.

Pour les atteindre, le Mackenzie a rompu, depuis 80 kilomètres en aval du fort Simpson, trois bordées de montagnes que lui envoyaient les Rocheuses, pour barrer son cours. A l’est, il a coupé à pic les nombreux éperons poussés par les plateaux Laurentiens à la rencontre des Rocheuses. Dégagé, en vainqueur, de ces escarpes titanesques, il a refait sur une étape de 25 lieues, la majesté de son lit, reculant toujours ses rivages, jusqu’au fort Norman.

De la rive droite du Mackenzie, où il est situé, le fort Norman contemple, par delà la largeur du fleuve, et par-dessus les collines moutonnantes de l’ouest, les fines et blanches crêtes des montagnes Rocheuses elles-mêmes.

A un kilomètre en aval de la mission, une eau bleue et froide s’unit,…

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Message  Louis Mar 13 Juin 2023, 7:15 am


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CHAPITRE XV: Peaux-de-Lièvres

Rivière et Grand Lac de l’Ours.

A un kilomètre en aval de la mission, une eau bleue et froide s’unit, refusant longtemps d’y mêler sa pureté, au boueux Mackenzie: c’est la rivière de l’Ours. Elle descend du Grand Lac de l’Ours, en longeant, sur sa droite, une chaîne de monts qui s’arrêtent brusquement à leur tour, au confluent, par un énorme Rocher-qui-trempe-à-l’eau.

Cette rivière de l’Ours, terreur permanente des missionnaires, dévale d’une hauteur de 200 pieds, sur ses 130 kilomètres de longueur. A un canot qui la descend en une demi-journée, il faut, pour la remonter, des semaines de luttes constantes avec ses flots. Dans certains de ses rapides, le voyageur doit s’arc-bouter sur des perches qu’il appuie aux écueils, certain, s’il lâche prise, de se voir aussitôt saisi par les bouillons furieux et broyé contre les récifs...

Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux. - Page 13 Page_315

Le Grand Lac de l’Ours (Great Bear Lake),  dépasse en superficie le Grand Lac des Esclaves (1). La disposition des cinq baies qui le composent, comme les lobes d’une astérie, et dont le regard d’un observateur placé au point central, toucherait presque toutes les lointaines extrémités, suffit à indiquer l’enceinte de liberté qu’offre à tous les vents cette mer sans îles ni jetées.

Les eaux du Grand Lac de l’Ours, fournies par une quarantaine de rivières très pures, gardent une transparence de cristal sur leur conque granitique; et nourrissent, dans leurs profondeurs, des réserves fabuleuses de poisson. La truite saumonée y pèse de 15 à 60 livres; le hareng se jette par millions dans la rivière de l’Ours, unique décharge du Grand Lac. La fraîcheur constamment glaciale du lac et de la rivière bonifie encore ce poisson. La débâcle de la glace, épaisse de 7 à 12 pieds, ne s’effectue qu’à la mi-juillet, et des icebergs, que les chaleurs estivales ne parviennent jamais à fondre, errent sur le large jusqu’au regel général. Les bords du Lac de l’Ours, où les hivers, les aquilons, l’aridité semblent se coaliser pour entretenir la mort, deviennent, aux époques des passages du renne, des champs grouillants de vie. C’est pour attendre le nomade gibier qu’autour des grandes baies vont et viennent sans cesse les groupes extrêmes de toutes les tribus septentrionales: Plats-Côtés-de-Chiens, Esclaves, Peaux-de-Lièvres et Esquimaux.

Les Indiens du fort Norman, Peaux-de-Lièvres pour la plupart, Esclaves et Plats-Côtés-de-Chiens quant au reste, vivent des chasses et des pêches du Grand Lac de l’Ours, ou des bois arrosés par la rivière de l’Ours. C’est donc là que les cherchera, dans ses courses pastorales, le missionnaire de Sainte-Thérèse.

Le fort Norman lui-même se trouva…
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(1) 250 kilomètres du nord-est au sud-ouest, sur 200 du nord-nord-ouest au sud-sud-ouest, d’après l’évaluation de Franklin.

Les baies sont : Keith, Smith, Dease, Mac-Tavish et Mac-Vicar.

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Message  Louis Mer 14 Juin 2023, 6:51 am


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CHAPITRE XV: Peaux-de-Lièvres

Rivière et Grand Lac de l’Ours.

SUITE

Le fort Norman lui-même se trouva, de 1864 à 1872, à l’ouest de la baie Keith, source de la rivière de l’Ours, près des ruines du fort Franklin. (1)

A cet emplacement Franklin-Norman, le Père Petitot fit huit visites apostoliques, de 1866 à 1878, venant du fort Good-Hope, en raquette, par terre, via les lacs Faraud, Kearney, Pie IX (530 kilomètres), et retournant, en canot, par la rivière de l’Ours et le Mackenzie (390 kilomètres).

Les Pères Lecorre, Ducot, Houssais, Andurand, Frapsauce, Rouvière, Le Roux, Falaize y repassèrent, venant du fort Norman moderne, par le bassin de la rivière de l’Ours.

Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux. - Page 13 Page_316

Ces visites se répéteront, tant qu’il restera des missionnaires à Sainte-Thérèse et des sauvages au Grand Lac de l’Ours.

***

Ce fut le Père Grollier qui, le 29 août 1859, en route pour le fort Good-Hope, foula le premier le sol qui portait alors le fort Norman — même emplacement qu’aujourd’hui—, y baptisa quelques enfants, et dédia la mission à sainte Thérèse.

Il y revint, de Good-Hope, le 5 juin 1860. Le 14 juin, il en partit, avec le commis-traiteur, pour remonter, à deux jours de barge, jusqu’au Castor-qui-déboule, endroit où l’on transférait justement le fort Norman.

Au Castor-qui-déboule, abordèrent Mgr Grandin, en 1861 et 1862, et le Père Gascon, en 1862 et 1863.

L’inondation balaya alors la colonie; et le fort Norman fut transporté au Grand Lac de l’Ours, fort Franklin, en 1864.

En 1872, il fut ramené, pour y demeurer, cette fois, sur le promontoire, où il était tout d’abord, et qui domine le confluent de la rivière de l’Ours et du Mackenzie (2).

Le 28 mars 1876, poussant son traineau dans les bordillons du Mackenzie, le Père Ducot, le grand missionnaire du fort Norman, l'apôtre qui entreprenait de donner quarante ans de sa vie aux Peaux-de-Lièvres, arriva de Good-Hope à Sainte-Thérèse, avec deux cognées, trois scies et huit clous, pour y bâtir sa maison et la maison de Dieu.

Le Père Ducot quitta, afin d’épouser sans partage la pauvreté du Christ…
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(1) Sir John Franklin avait bâti ce fort, pour le compte de la Compagnie du Nord-Ouest, en septembre 1825.

L’illustre marin fit trois expéditions à la mer polaire, dans le but de trouver le passage du Nord-Ouest. La première en 1818, par la baie d’Hudson et le continent. La deuxième, en 1825, par le fleuve Mackenzie. La troisième en 1845, par la mer polaire elle-même. L’Erebus et le Terror, avec leur brillant équipage de 134 hommes, et leur capitaine, périrent sur l’île du Roi-Guillaume. Franklin mourut le 11 juin 1847, d’après un écrit retrouvé parmi les squelettes.


(2) Ce fort Norman, inconnu dans son isolement jusqu’à nos jours, vient de passer soudain à la renommée. Un missionnaire en écrit le 17 février 1921:

« Par ici, au fort Norman et dans toute la région voisine, il semble que le pays va changer, et vite, épouvantablement vite ! Tout s’annonce comme un nouveau klondike. Cette fois, ce n’est pas de l’or, mais du pétrole et aussi différents minerais que l’on découvre et qui abondent en ces pays écartés. Même en plein hiver, une foule de gens ont fait jusqu’à 2.000 kilomètres pour venir retenir des terres. Pauvres gens inexpérimentés, qui, dans l’espérance de gagner un peu d’argent, s’exposent à de cruelles déceptions !

Ils arrivent en foule ! Et les ouvriers évangéliques sont si peu nombreux pour conquérir les âmes ! … »

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Message  Louis Jeu 15 Juin 2023, 6:32 am


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CHAPITRE XV: Peaux-de-Lièvres

LE PÈRE GEORGES DUCOT (1848-1916)

Le Père Ducot quitta, afin d’épouser sans partage la pauvreté du Christ, une famille de nobles joailliers de Bordeaux, où les richesses de la terre s’alliaient aux richesses de la charité.

Il ne pouvait, certes, mieux choisir que la Congrégation qui possède les missions du Mackenzie.

Envoyé à l’extrémité même du pays de la pauvreté, au fort Good-Hope, il arriva le 14 septembre 1875.

Il y passa six mois de l’hiver, déjà commencé, avec le Père Séguin et le Frère Kearney. Le 20 mars, il partit à destination de son poste, au fort Norman.

Tout était à bâtir, à convertir, à créer.

Un maître d’école anglican, sustenté par un commis hostile, jouait au ministre, tout près de là; et ses adeptes, des Esclaves, parents des protestants du fort Simpson, entravaient la bonne volonté des Peaux-de-Lièvres.

Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux. - Page 13 Page_317

Nous ne pouvons, malgré l’intérêt qu’y prendrait le lecteur, suivre les années du Père Ducot, ses travaux, ses voyages dans son vaste district, ni même départager l’action des assistants qui lui furent successivement donnés, après dix-sept ans de solitude — Pères Gouy, Audemard, Gourdon, Andurand, Houssais, Frapsauce, — pour montrer comment de leur paganisme les Peaux-de-Lièvres passèrent à la ferveur de la foi; comment aussi la hutte primitive de la mission Sainte-Thérèse se transforma en la jolie église, splendidement ornée d’aujourd’hui: Dieu a compté, et le missionnaire contemple désormais, en Lui, ses propres mérites...

De cette vie, de ce talent, de cette activité, qui n’eussent pas été indignes d’une paroisse immense, au centre d’une capitale, et qui se dépensèrent au salut d’une poignée d’Indiens, entrevus rarement, et en groupes pitoyables, nous ne rappellerons que quelques faits, de nature, pensons-nous, à compléter le portrait que toute l’ambition de nos pages aura été de rendre: le portrait du missionnaire des pauvres.

Le Père Ducot reportait à l’année 1880 la souffrance qu’il regardait comme le Vendredi Saint de sa vie…

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Message  Louis Ven 16 Juin 2023, 6:43 am


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CHAPITRE XV: Peaux-de-Lièvres

Sauvé par un loup…

Le Père Ducot reportait à l’année 1880 la souffrance qu’il regardait comme le Vendredi Saint de sa vie. Il en célébra toujours l’anniversaire, en remerciant la Providence de l’avoir sauvé, de la mort, par le moyen d’un loup, des restes d’une superstition païenne, et d’un sauvage protestant.

Un camp de Flancs-de-Chiens des environs du Grand Lac de l’Ours, qu’il avait visité, en 1879, l’avait supplié de revenir, l’année suivante, afin d’achever son œuvre d’évangélisation. Il accepta, et l’on convint que, le 1er mars 1880, le chef, Petit-Chien, serait au fort Norman, pour prendre le père et le conduire. Le père, qui, les premières années de sa solitude, avait coutume de passer les huit mois de mars à novembre au fort Norman, et les quatre autres au fort Good-Hope, promettait d’être au rendez-vous. Le chef, quoi qu’il advînt, devait l’y attendre.

Petit-Chien se trouva, le 1er mars, au fort Norman; mais le missionnaire, attardé sur le chemin de Good-Hope par une tempête de neige telle qu’il n’en revit jamais et « d’autres obstacles que le diable semblait susciter à chacun de ses pas », n’arriva que le 10 mars. Petit-Chien était resté les quatre jours que ses vivres avaient duré; puis il était reparti, laissant un billet à l’homme de la prière pour l’assurer, foi de chef, que le camp entier l’attendrait une lune et demie, et que d’ailleurs il n’y avait que cinq jours de marche. Il aurait soin, disait-il encore, de baliser avec des branches de sapin tout le parcours, afin qu’il fût impossible de s’égarer.

Le 17 mars, après la messe, célébrée en l’honneur de saint Patrice, le Père Ducot chargea son traîneau de provisions pour sept jours, attela ses quatre chiens, et, accompagné d’Alphonse Koutian, son jeune serviteur Peau-de-Lièvre, se lança dans la forêt.

Au bout de deux heures, ils avaient perdu leur chemin. Comme le missionnaire hésitait:

— Ne crains rien, dit Alphonse. Moi, je suis un sauvage, je m’y reconnaîtrai.

Ils mirent deux jours à rejoindre le lac Kraylon (lac des Saules), qui n’était cependant qu’à douze heures de raquette de Sainte-Thérèse. Un vieil Esclave, Bèchlètsiya, pêcheur salarié du traiteur de fourrures, qu’ils y trouvèrent, les dissuadait de continuer, attendu que la tempête du commencement de mars avait dû combler les sentiers et ensevelir les balises.

Mais le missionnaire avait donné sa parole, et Alphonse n’était que confiance. Ils passèrent outre.

Le vieillard avait bien dit: plus de sentiers, plus de balises. A chacun des nombreux lacs enserrés dans les bois, et qu’il fallait traverser, c’était cent détours pour trouver la reprise du chemin. Il neigeait. Il faisait froid.

Onze jours passèrent, qu’ils marchaient encore. Les provisions des chiens étaient épuisées, et celles des hommes étaient à bout. Aux chiens, ce onzième soir, on donna pour souper le sac de peau qui enveloppait la chapelle portative.

Le lendemain matin, trois chiens moururent dans leurs traits…

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