Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.
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Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresSauvé par un loup…SUITE
Le lendemain matin, trois chiens moururent dans leurs traits.
Les voyageurs mirent en cache traîneau, ustensiles, chapelle et couvertures de nuit, prirent le reste des vivres, et, comptant n’être plus loin du camp indien, malgré l’apparence de mort que présentait la forêt blanche et muette, ils continuèrent à marcher.
Le quatrième chien, le plus petit, tout affectueux, et pour cela appelé Fido, les suivit.
L’après-midi, un sentier, battu des hommes et des bêtes, paraît enfin. Tout à la joie, ils oublient qu’ils sont accablés de fatigue et de jeûne; ils accélèrent la marche. Mais une inquiétude assombrit bientôt leur espoir: Alphonse, penché sur toutes ces pistes, avec ses yeux d’Indien, ne distingue aucune empreinte récente: la neige de mars n’est pas tombée ici, voilà tout. Au loin, pas d’aboiement, pas de cris d’enfants.
Ils vont toujours.
Sur les cinq heures, ils débouchent au milieu du campement des Flancs-de-Chiens. Il est vide. Personne, rien ! Sur les braises des foyers, une couche épaisse de frimas.
— Partis, depuis longtemps, dit Alphonse: ils jeûnaient... Ils n’ont rien laissé !
Fiévreusement, aux dernières lueurs du jour, le missionnaire cherche un mot écrit sur l’écorce d’un bouleau, un piquet incliné, un sapin encoché, un signe qui indiquât, selon la coutume sauvage, la direction prise par la caravane. Rien encore.
Vingt sentiers également foulés, également anciens, rayonnent du campement dans la forêt, les uns vers le lac de l’Ours, les autres à l’opposé. Lequel choisir ?
Pour provisions, il reste deux livres de viande sèche et une de farine. Sous le bois, point de lièvres, point de gelinottes. Que faire ? Poursuivre, avec si peu, n’est-ce pas se livrer follement à la mort, tenter Dieu ? Mais Alphonse s’obstine à démêler les pistes indiennes:
— C’est trop loin pour retourner, répète-t-il, trop loin ! Cherchons, marchons encore !
— Faisons mieux, dit le missionnaire, prions le bon Dieu de nous inspirer: nous déciderons ensuite. Veux-tu, mon enfant ?
C’était le Samedi Saint, et le soleil était tombé…
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Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresSauvé par un loup…SUITE
C’était le Samedi Saint, et le soleil était tombé.
A genoux sur la neige, le prêtre et le sauvage reportent leur pensée au Maître de la vie et de la mort, dans son Tombeau, et lui demandent la vie. Ils prient aussi la divine Mère des Douleurs:
— Eh bien ! dit le père en se relevant, si tu le veux, nous retournerons. Je prendrai ma chapelle, à notre cache; et, si les vivres nous manquent en route, je dirai la messe une dernière fois, je te communierai, et nous mourrons ensemble. Dieu ne permettra pas que nos corps soient dévorés par les loups et les carcajous. Les Indiens les trouveront, en revenant au fort; ils les emporteront, en priant pour nos âmes, et les mettront dans le cimetière que j’ai béni, près de l’église.
— Oh ! Père, répondit Alphonse, tu me fais le cœur fort, en parlant ainsi. C’est cela, retournons: les Flancs-de-Chiens sont trop loin maintenant.
Dans la nuit pleine d’étoiles, disant tout haut le chapelet, et suivis de Fido, ils reprirent leurs propres traces. N’ayant plus à hésiter, ils couraient plus qu’ils ne marchaient.
Aux premières heures du Dimanche de Pâques, ils atteignirent la cache.
Ils étaient si las qu’ils ne purent mordre dans le dernier morceau de la viande sèche, et qu’ils se contentèrent de manger l’une des deux chandelles de suif de renne apportées pour l’autel.
Après une courte prière, ils se roulèrent dans leurs couvertures:
— A ton réveil, murmura le père, tu tueras Fido, et nous le mangerons.
L’Indien s’endormit.
« — Pour moi, raconte le Père Ducot, le sommeil ne venait pas. Notre vraie situation apparut, dans toute son horreur, à mon esprit. Nous étions harassés, affamés, sans vivres, sans le moindre espoir d’un secours, à neuf ou dix journées de marche de la mission. La mort me sembla inévitable. Pour comble de peine, je me jugeai responsable d’avoir causé la perte de mon compagnon. A cette vue, je me sentis trembler de tous mes membres : malgré mes efforts, mes genoux s’entrechoquaient violemment. Alors, je saisis ma croix d’Oblat, et, les lèvres contre les pieds de mon Jésus crucifié, je le suppliai, par l’amour de son Cœur, de nous venir en aide, d’écouter les Indiens de Bonne-Espérance, qui, en cette Semaine Sainte, le priaient pour le missionnaire de Sainte-Thérèse et pour ses enfants...
« Tout à coup je m’endormis, sans m’en apercevoir, et je ne m’éveillai que sous le grand…
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Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresSauvé par un loup…SUITE
« Tout à coup je m’endormis, sans m’en apercevoir, et je ne m’éveillai que sous le grand soleil, au bruit de la hache de mon jeune homme, en train de faire du feu. Je venais de passer des heures délicieuses.
« — Père, faut-il le tuer, demanda Alphonse, en me voyant remuer?
« — Certainement, répondis-je. C’est notre seule ressource.
« En même temps, je me cachai dans ma couverture, pour ne pas voir la tête de Fido tomber sous le coup de hache que lui porta aussitôt l’exécuteur. »
Ils déjeunèrent du chien, trouvant la chair agréable.
Mais, soudain, le cœur de l’Indien bondit. Le flot des traditions de sa race venait d’assaillir sa mémoire. Manger du chien, de la bête immonde, n’était-ce pas violer le tabou des tabous, et appeler sur sa tête, sur les têtes de tous les Dénés, la malédiction du puissant mauvais... yédariéslini ? Epouvanté, il déclara qu’il n’en voulait plus, qu’il n’y toucherait plus, qu’il refusait même de porter ce qui restait.
Le Père Ducot connaissait trop l’Indien sauvage pour contrarier, en ce moment, son serviteur. Chargé lui-même de sa chapelle, il ne put emporter qu’un paleron: quantité de deux repas.
Au bivouac de ce soir de Pâques, en faisant cuire dans l’eau de neige, l’un sa viande fraîche de chien, l’autre sa viande sèche de renne, ils chantèrent tous les cantiques de la Résurrection, avec leurs alleluia, imprimés par Mgr Faraud dans le recueil montagnais:
— Il ne sera pas dit, mon enfant, s’écria le missionnaire, en serrant la main d’Alphonse, il ne sera pas dit que la plus grande fête de l’Eglise, et de ce monde, se passera, pour nous, sans un festin ! C’est moi qui le paie ! Nous avons prié toute la journée, en marchant. Nous venons de chanter. Fêtons maintenant !
Ce disant, il jeta dans l’eau bouillante, où dansaient les restes du chien et du renne, une poignée de farine, la dernière, et, en guise de graisse, une chandelle, la dernière aussi.
Le lundi de Pâques...
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Re: Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.
Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresSauvé par un loup…SUITE
Le lundi de Pâques, ils cheminaient depuis trois heures, l’Indien scrutant le bois, et le Père Ducot se replongeant dans l’angoissante perspective des sept jours qu’il restait de cette marche, avec moins d’un jour de vivres, lorsque, à deux cents pas sur leurs côtés, dans une éclaircie de sapins, un loup énorme parut, occupé à déchirer quelque chose avec ses dents, sous ses griffes.
Ils battirent des mains. Messire loup décampa. Ils allèrent voir. C’était une peau d’orignal que l’animal avait volée, traînée jusque-là; il n’en avait encore avalé que la moitié.
— Merci, mon Dieu, merci ! crièrent d’une seule voix, Alphonse et le Père, tombés à genoux.
Des restes abandonnés par le loup, ils vécurent trois jours.
Il y avait douze heures que le dernier repas de peau était achevé, quand ils arrivèrent à un vieux campement, où ils n’avaient rien remarqué, lors de leur premier passage.
En remuant partout la neige, le pied d’Alphonse toucha une masse oblongue, congelée: une vessie d’orignal, pleine de sang. C’était encore la superstition des Peaux-de-Lièvres, heureux à la chasse, de séparer le sang de la chair, et de l’exposer sur le passage du carcajou « pour se le rendre propice ».
Le bloc de sang soutint la marche d’une autre journée.
Une once d’onguent d’arnica, partagée, pourvut à la journée suivante.
Il n’y avait plus rien, lorsqu’on arriva au lac Kraylon (des Saules), le vendredi soir.
Le vieux pêcheur du commis, Bèchlètsiya, avait levé sa loge, et ses traces s’étaient effacées. Aucune rumeur n’arrivait du fond de la forêt. Comme le père priait Dieu, par l’intercession de saint Benoît Labre — son saint préféré — de venir une dernière fois au secours, Alphonse, qui s’était éloigné un peu, poussa un cri:
— J’entends les chiens !...
Les voilà tous deux, à toutes jambes et raquettes…
Dernière édition par Louis le Ven 23 Juin 2023, 10:03 am, édité 2 fois (Raison : Insertion du lien sur saint Benoît Labre.)
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Re: Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.
Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresSauvé par un loup…SUITE
— J'entends les chiens !
Les voilà tous deux, à toutes jambes et raquettes, courant dans la direction du bonheur.
Les déceptions étaient finies. Le pêcheur, au moment de repartir pour le fort Norman, l'avant-veille, avait, sans pouvoir s'expliquer comment, tué trois orignaux. Et pensez
donc, la belle viande vermeille, étalée, là, sous les yeux affamés des nouveaux venus, et qu'il lui fallait encore boucaner !
Le vieillard traita ses hôtes, en roi de la forêt. Le lendemain, il les retint jusqu'à l'après-midi, afin de leur préparer lui-même deux galas supplémentaires. Puis, chargeant l'épaule d'Alphonse du meilleur des morceaux, il se recommanda aux prières du missionnaire.
La générosité attache le cœur : plus il donne, plus il aime. Bèchlètsiya était protestant ; mais sa conversion ne tarda plus. Le Père Ducot le baptisa, lui fit faire sa première communion, et, quelques mois après, sanctifia sa mort.
Les voyageurs arrivèrent à Sainte-Thérèse, le dimanche de Quasimodo, à dix heures du soir.
Le Père Ducot, qui nous écrivit au long cet épisode, concluait :
« — On dit qu'il y a une Providence pour les fous. II y en a certainement une spéciale pour les missionnaires, qui le sont bien un peu, à leurs heures. Nos stulti propter
Christum ».
Quatre ans après cette épreuve…
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Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresLe pont de glace.
Quatre ans après cette épreuve, du 20 avril au 8 juin 1884, le missionnaire de Sainte-Thérèse retourna au campement des Flancs-de-Chiens. Un mois de travail parmi eux lui rapporta cinq premières communions, le baptême d’un sorcier et une douzaine de confessions. Il en fut aussi heureux que les missionnaires des paroisses blanches, après leurs grands coups de filet dans la masse des peuples.
Parti à la raquette, il revint en radeau, cette fois, sur la rivière de l’Ours, avec quelques sauvages.
Le premier soir, ils furent contraints de faire escale, sur la rive droite. Le lendemain, le radeau était parti, avec les vivres et les outils. Des chiens, passant dans la nuit, en avaient dévoré les amarres de cuir d’orignal. Il fallait, sous peine de mourir de faim, atteindre la rive gauche où se trouvaient le fort Norman et la mission.
Les Indiens se rappellent alors qu’un chaman leur a prédit qu’ils périraient, un printemps, en descendant la rivière de l’Ours (la Télini-diè), et ils se livrent au désespoir. Le missionnaire a grand peine à relever leur courage et à les convaincre que Dieu est plus fort que le sorcier et Satan. Sur la promesse qu’il leur fait solennellement de les conduire à Sainte-Thérèse pour le dimanche, ils se décident à marcher.
Pendant quatre jours, ils descendent des falaises et traversent des torrents, le long de la rivière rageuse, qui roule les glaçons du lac de l’Ours. Enfin un pont de glace est en vue à la tête d’un rapide. Il semble unir les deux rives: c’est la délivrance.
En faisant le signe de la croix, les naufragés s’y engagent. La glace désagrégée, pourrie, cède et frémit sous les pieds. Avec un bâton, chacun sonde devant soi, et s’avance peu à peu. En trois quarts d’heure, tous ont sauté sur la rive gauche.
A l’instant où ils remercient Dieu, un fracas de tonnerre résonne dans la gorge: c’est le pont de glace qui crève et se disperse dans les cascades...
A sa visite de 1886, la suivante, le Père Ducot annonça aux sauvages du Grand Lac de l’Ours que…
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Re: Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.
Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresNoël, le 17 décembre.
A sa visite de 1886, la suivante, le Père Ducot annonça aux sauvages du Grand Lac de l’Ours que pour la première fois il serait au fort Norman, le 25 décembre, et qu’il y aurait la messe de minuit. Il n’eut pas à répéter l’invitation.
Laissons-le nous dire l’événement:
La fête approchait et je me préparais à lui donner tout l’éclat possible. Je fabriquais des chandeliers, des lampions, des guirlandes, tout ce que je pouvais inventer. Un soir, j’entends des pas nombreux sur le trottoir de la maison. On entre chez moi: Oh ! quelle joie, c’est notre chef, le Petit-Chien, qui arrive avec sa bande. Tous se jettent à mes pieds, en me serrant la main, pour recevoir ma bénédiction.
— Combien je suis heureux de vous voir, mes enfants, leur dis-je.
— Père, répond le chef, fidèles à notre parole nous venons tous, pour assister à la prière de la nuit (Noël). On nous a dit que la fête était après-demain.
— Eh bien ! j’en suis enchanté; seulement, vous vous êtes trompés de huit jours.
— Père, que dis-tu là ! Nous n’avons pas de vivres, et ne pouvons demeurer ici, si longtemps. Il nous faut repartir après demain.
— C’est fort désagréable, mes enfants; mais je ne puis célébrer la Noël, pendant l’Avent. Le Pape ne serait pas content de moi.
Sur ce, tous de se récrier et lamenter. Ces pauvres gens étaient découragés, et moi-même affligé de ce contretemps.
— Enfin, écoute, Père, me dit le chef: Toi, tu es le prêtre; et le prêtre c’est comme le bon Dieu: ce qu’il veut, il le peut. Si tu le veux bien, tu pourras nous faire contents, et célébrer pour nous une belle fête de la prière de la nuit, quoique ce ne soit pas encore le jour. Nous venons de loin; nous venons tous; nous ne venons que pour cela; pourquoi voudrais-tu nous résister davantage ?
Que répondre à ces braves enfants? Je réfléchis un moment:…
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Re: Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.
Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresNoël, le 17 décembre.SUITE
Que répondre à ces braves enfants ? Je réfléchis un moment:
— Eh bien ! puisque vous le désirez tant, c’est bien, vous serez satisfaits. Si je pouvais consulter le Pape, il me permettrait bien de devancer la fête. Je lui écrirai. Et maintenant, comme il est tard, retirez-vous; allez faire votre campement. Demain vous vous confesserez; et, demain soir, à minuit, nous célébrerons ensemble la prière de la nuit.
Aussitôt ces bons Indiens éclatent de joie, et se retirent en m’accablant de mercis.
Le lendemain, je parai de mon mieux notre petite chapelle, et j’entendis les confessions des chers Indiens, recommandant à chacun de se tenir recueilli jusqu’à la messe de minuit. En ce temps-là, ils n’avaient pas de montre, et pour eux neuf heures du soir et trois heures du matin c’était à peu près minuit. Je ne m’engageai donc pas trop en leur promettant une messe à minuit.
Il était à peine huit heures et demie, que le chef m’envoyait demander si l’heure de la messe était arrivée. Je congédiai les envoyés, en les assurant qu’on sonnerait la cloche, et qu’on ne commencerait pas la prière, avant que tous fussent arrivés. Néanmoins, plusieurs, craignant de manquer l’appel, couchèrent à la chapelle... Enfin l’heure arriva; je sonnai ma cloche et j’allumai les cierges (chandelles de suif) du sanctuaire. Bientôt tout mon monde fut réuni dans la grande salle, séparée du sanctuaire par un rideau. On tira le rideau: tous tombèrent à genoux, ébahis devant tant de lumières. L’autel en était couvert, la crédence aussi. Jamais on n’en avait tant vu dans notre petite chapelle: on en pouvait compter à peu près deux douzaines. C’était beau !
L’office commença. Ce fut d’abord un cantique de Noël: Il est né, le divin Enfant, en montagnais. Tout le monde chantait à pleins poumons. Puis, je prêchai sur la fête de Noël. Jamais je ne fus mieux écouté. Après le sermon, encore des cantiques, de plus en plus entraînants. Alors la grand’messe, une messe votive de l’Immaculée Conception. A la place du gloria j’entonnai un autre Noël. Idem au credo. A la communion, tous s’approchèrent de la sainte Table. Après la messe, bénédiction du Saint-Sacrement, et un dernier cantique. La prière de la nuit avait duré trois heures. Mes sauvages étaient ravis. Ce fut un beau jour pour eux, pour moi; et, j’ose l’espérer, le bon Dieu fut content de nous.
C’est ainsi que le 17 décembre, en plein Avent, je célébrai pour la première fois…
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Re: Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.
Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresNoël, le 17 décembre.SUITE
C’est ainsi que le 17 décembre, en plein Avent, je célébrai pour la première fois la fête de Noël, à la mission Sainte-Thérèse. Le soir, tous mes chers enfants s’éloignaient, heureux d’avoir eu leur prière de la nuit, mais le cœur gros de ne pouvoir rester plus longtemps, auprès de moi. Cependant le chef répétait:
— Ah ! le prêtre, c’est comme le bon Dieu. Ce qu’il veut, il le peut !
Pour ceux qui connurent le Père Ducot, « à cheval sur les rubriques », comme jamais ne le fut chevalier missionnaire de ces contrées, si rebelles à telles chevauchées, ce récit sera d’une particulière saveur.
La ponctualité, la précision, l’exactitude marquèrent tous les actes, paroles et écrits du Père Ducot.
Ses sermons, pour cinquante, pour dix, pour un seul auditeur, étaient scrupuleusement rédigés, appris, et donnés avec une flamme !... non toutefois que l’élocution de source manquât à ce bon fils de Gascogne, mais à cause du respect qu’il avait pour la parole de Dieu.
Quoi de plus précis également que ces descriptions, relevées dans son journal de Sainte-Thérèse, et que…
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Re: Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.
Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresUne aurore boréale.
Quoi de plus précis également que ces descriptions, relevées dans son journal de Sainte-Thérèse, et que le souffle d’un poète n’aurait qu’à toucher, pour les animer à l’infini ? Nous n’en citerons qu’une:
21 novembre 1909.— Hier soir, vers dix heures, nous avons assisté à une magnifique aurore boréale. Deux jets immenses de lumière s’élancent de l’horizon, en sens opposés: l’un part du nord-ouest, l’autre de l’est-sud-est. Profondément inclinés sur l’horizon, vers le sud-ouest, ils s’avancent l’un vers l’autre. Ils se réunissent, se redressent au zénith. C’est un arc-en-ciel blanc magnifique, partageant le ciel en deux parties inégales. Aux extrémités, deux foyers se forment, s’élargissent, s’élèvent, et se précipitent l’un vers l’autre. La lumière s’étend, se dilate. Sa bande est trois fois, cinq fois, plus large qu’au début. On dirait une immense draperie diaphane aux festons serrés, diaprés, élastiques, suspendus, se balançant en l’air, et agités par un double vent impétueux, courant en sens inverse. Dans leurs mouvements, vifs comme l’éclair, ces festons se resserrent, s’allongent en dards flamboyants et acérés. On dirait que la terre va être foudroyée. Et tout cela, à peine quelques mètres au-dessus de notre maison. Je pensais même que les pointes en touchaient le faîte. Puis soudain cet arc se dissout, se fond; sa lumière s’épanche au nord-est et au sud-ouest, elle se déchire, elle monte ou descend sur tous les points du ciel. Bientôt la voûte céleste est jonchée de lambeaux de lumière. Une demi-heure s’écoule, tout a disparu. Les étoiles et la lune, tombant à son couchant, éclairent le ciel qu’aucun nuage ne ternit. Il faisait un froid de 35 degrés centigrades.
L’âme sensible du Père Ducot débordait de piété. On eût dit qu’il voyait Dieu dans ses méditations; et son attitude, alors, n’était plus de la terre. Le Frère Jean-Marie Beaudet, qui fut son compagnon, de 1886 à 1904, nous disait qu’en ces 18 ans, il ne l’avait jamais vu s’appuyer, ni s’asseoir, à la chapelle.
Il aima filialement la Congrégation des Oblats, sa mère. Sa…
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Re: Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.
Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresUne aurore boréale.SUITE
Il aima finalement la Congrégation des Oblats, sa mère. Sa façon de célébrer ses fêtes, ses anniversaires, était de redoubler de prières pour elle et pour tous les missionnaires des pauvres de l’univers. Ses lettres à ses supérieurs palpitaient d’amour respectueux. Il fallait le voir se jeter, avec des baisers et des larmes, sur les mains de son vicaire apostolique, lorsque celui-ci débarquait sur la plage du fort Norman.
Au Père Ducot, les Peaux-de-Lièvres durent l’accès plus facile à la sainte Eucharistie. Il avait l’esprit de Pie X, l’esprit de Notre-Seigneur.
Enfin, la quarante-unième année de son apostolat, le bon ouvrier dut être enlevé, presque par violence, à un labeur qui dépassait ses forces. Mgr Breynat le conduisit au nouvel hospice du fort Simpson, où il retrouverait le Père Andurand, son élève missionnaire, et ses vieillards Peaux-de-Lièvres, réfugiés sous l’aile de la charité des Sœurs Grises.
Mais les missionnaires peuvent-ils se reposer sur la terre ?
Le Père Ducot ne devait connaître que le repos du Ciel. La Sainte Vierge vint, sans le prévenir, chercher son serviteur, le soir du 15 août 1916 (1) .
MISSION NOTRE-DAME DE-BONNE-ESPÉRANCE (Fort Good-Hope)…
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(1) Les missions du Mackenzie doivent une reconnaissance particulière à la généreuse famille du Père Ducot. Si le missionnaire n'acceptait rien qui pût lui rendre plus douce qu'à ses confrères la vie matérielle, il recevait avec amour les présents qu'on lui faisait pour son église. C'est ainsi que le vestiaire sacré de la mission Sainte-Thérèse et l'intérieur même de l'église sont aujourd'hui d'une richesse princière. Parmi les décorations du sanctuaire, on remarque aussi des tableaux envoyés par une artiste éminente de Paris.
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Re: Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.
Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresMISSION NOTRE-DAME DE-BONNE-ESPÉRANCE(Fort Good-Hope)
A 438 kilomètres en aval de Sainte-Thérèse, placée en sentinelle sur les frontières des royaumes du soleil et de la nuit, la mission Notre-Dame de Bonne-Espérance voit venir à elle le Mackenzie dans toute sa splendeur.
Droit en face, le fleuve géant débouche d’une haie de remparts verticaux, bastionnés, flanqués d’angles et de tourelles, comme une architecture de moyen âge. Un triple rapide, achevant sa large course depuis le fort Norman, l’a précipité entre ces murailles; et le voici, échappé à l’étau de granit, s’épandant en une esplanade solennelle, au pied de Good-Hope.
Le grand spectacle offert à Good-Hope par le Mackenzie, est celui de la débâcle. Il inspira cette page au Père Petitot:
Le 7 juin 1865, à 6 heures du matin, de formidables détonations se firent entendre ainsi qu’un fracas infernal. La grosse glace débâclait. Il n’est rien qui donne une idée plus frappante du chaos primitif et de la confusion dernière. C’est un mélange monstrueux, informe, unique, de masses gigantesques, hautes comme des maisons, grosses comme des rochers, qui s’en vont mugissant, hurlant, majestueuses ou courroucées, se rompre contre d’autres plus monstrueuses encore; puis retombent en couvrant de leurs débris les flancs des colosses contre lesquels elles se sont heurtées. Elles s’engloutissent dans le flot qui marche, pour reparaître plus loin, surgissant au milieu de glaçons moindres, qu’elles déplacent, soulèvent et culbutent.
L’imagination prête vie et sentiments à ces monstres qui se meuvent, se retournent, chevauchent les uns sur les autres, se bousculent, se pressent et s’agglutinent. Lorsque le volume des glaces excède la largeur du fleuve, bien qu’il ait ici trois kilomètres, celles-ci se soulèvent sur les rivages en remparts d’une maçonnerie titanesque; elles se suspendent à une grande hauteur, semblables à des constructions cyclopéennes. En même temps elles labourent les rives, entassent les terres, se creusent des godets profonds, montent des rochers avec elles, dans un déploiement de force dont rien ne peut donner l’idée.
Troupeaux d’éléphants furieux, répandus dans les jungles, qui renversent, saccagent, broient tout ce qui s’oppose à leur passage; avalanche grossissante qui dévale du sommet des Alpes en entraînant habitations, pans de forêt et quartiers de rocs; locomotives puissantes qui réunissent leurs poitrails cuirassés et haletants pour balayer les routes obstruées par la tourmente...: il y a de tout cela dans la grande débâcle, l’u téwé, du fleuve Géant du Nord.
« Cet affreux mais grandiose spectacle dura trois jours. »
La débâcle de 1836 emporta le premier fort Good-Hope, bâti à 162 kilomètres en aval; et la…
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Re: Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.
Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresMISSION NOTRE-DAME DE-BONNE-ESPÉRANCE(Fort Good-Hope)SUITE
La débâcle de 1836 emporta le premier fort Good-Hope, bâti à 162 kilomètres en aval; et la Compagnie de la Baie d’Hudson refit le comptoir, sur l’entablement actuel, que ses 55 pieds d’élévation au-dessus du fleuve ne garantiront pas toujours du « labour » des glaces.
Se tournant vers le nord, la mission Notre-Dame de Bonne-Espérance rencontre, à cinq minutes, le Cercle polaire. Une colline, qui s’interpose entre Good-Hope et le sud, dérobe cependant au commerçant et au missionnaire le demi-disque rouge qui affleure, en réalité, l’horizon de midi, et teint quelques instants « de sa couleur sanguinolente les rivages lointains du Mackenzie » ; l’astre lui-même disparaît complètement à la vue du fort, du 30 novembre au 13 janvier, et gratifie ainsi Good-Hope de la longue nuit du pôle.
Mais, dans cette nuit de 44 jours, se déploient les magnificences d’un firmament que nos pays tempérés ne contempleront jamais: une lune sans lever ni coucher; des étoiles au scintillement palpable; d’inlassables aurores boréales, pavillons mouvants du pôle magnétique. Toutes ces coruscations, avivées par les froids intenses, illuminent comme un jour la nuit polaire: et nox sicut dies illuminabitur.
Du 13 janvier à l’équinoxe du printemps, le soleil ressuscité occupe ses courtes et froides heures à se parer de météores; il s’auréole de halos d’argent; à travers les cristaux grésillants du givre, il se multiplie en parhélies, tenant le centre de trois, six et quelquefois huit soleils équipolés, aussi brillants que lui-même. L’équinoxe franchi, il se libère de l’horizon, et marche, sicut gigas ad currendam viam. Pendant cinq mois, il confond son aurore avec son coucher, versant à Good-Hope un jour continu de 150 jours. Une lieue plus loin, dans le Cercle polaire, il ignore son déclin, nescit occasum.
Une nuit, un jour: telle est donc l’année des Peaux-de-Lièvres, des Loucheux et des Esquimaux.
Les grands convertisseurs des Peaux-de-Lièvres de Good-Hope furent…
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Re: Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.
Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresLe Père Grollier.
Les grands convertisseurs des Peaux-de-Lièvres de Good-Hope furent les Pères Grollier et Séguin.
Le Père Grollier prépara l’œuvre de Dieu; le Père Séguin l’accomplit.LE PÈRE PIERRE-HENRI GROLLIER (1826-1864)
Le Père Grollier fut l’apôtre de feu, le François-Xavier des glaces.
Il naquit à Montpellier, le 30 mars 1826.
Rien dans le « bel enfant délicat » — ainsi le trouvait sa mère, comme la mère de Moïse trouvait son nouveau-né: videns eum elegantem — rien n’eût fait prévoir son rude avenir de libérateur des Peaux-Rouges arctiques. Il arriva au noviciat de Notre-Dame de l’Osier, sous les airs d’un « jeune citadin élégant et candide », à qui ses confrères prédisaient gracieusement, pour le reste de sa vie, le soleil du Midi et les olives de Marseille.
S’ils avaient pu entendre les prières du tendre novice…
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Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresDA MIHI ANIMAS !
S’ils avaient pu entendre les prières du tendre novice, et lire ses lettres à son supérieur général ! Sa devise était: Da mihi animas ! Donnez-moi des âmes ! Missionnaire des pauvres, il réclamait les âmes les plus pauvres, parmi les pauvres.
Mgr de Mazenod l’ordonna prêtre, le 29 juin 1851, et l’offrit à Mgr Taché, comme le « présent de son cœur. »
La course apostolique du Père Grollier…
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Re: Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.
Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresLE PÈRE PIERRE-HENRI GROLLIER (1826-1864)Sa rapide et douloureuse carrière.
La course apostolique du Père Grollier, comme celle de saint François-Xavier, son idéal, dura douze ans. A l’exemple de l’apôtre des Indes, il dévora les espaces, en entraînant les peuples.
En 1852, il arrive à la Nativité, lac Athabaska, pour seconder le Père Faraud.
En 1853, il sait le montagnais, et va fonder la mission de Notre-Dame des Sept-Douleurs, au Fond-du-Lac (Athabaska): il y retournera quatre fois, pour de longs séjours.
C’est au deuxième de ces voyages à Notre-Dame des Sept-Douleurs qu’il contracta le mal qui devait le mener si prématurément au tombeau.
Un Indien le conduisait chez son père malade. Il y avait deux jours qu’ils marchaient ensemble, lorsque des chasseurs, venant du camp où se rendait le missionnaire, lui apprirent que le malade n’était plus en danger et pouvait attendre. Le Père Grollier fut heureux de cette nouvelle, qui lui permettait de retourner à la mission, pour l’Ascension, selon la promesse qu’il avait faite aux Mangeurs de Caribous. Il restait trois jours avant la solennité:
— Va, dit-il à son cicerone, et annonce à ton père que j’irai le voir, la semaine prochaine. Pour moi, je reprends le chemin du fort.
Le jeune homme voulait l’accompagner; mais le Père s’y refusa:
— Je retrouverai nos traces, et n’aurai qu’à les suivre. Laisse-moi.
Mais le soleil avait fait fondre la neige par endroits, et avec la neige les traces. Arrivé à un certain petit lac, — nommé depuis le lac du Père — le missionnaire perdit toute orientation, et se mit à tourner, une journée et une nuit, sur les mêmes lieux, comme font les perdus.
Il ne se rappela jamais ce qui lui advint ensuite…
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Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresLE PÈRE PIERRE-HENRI GROLLIERSa rapide et douloureuse carrière.SUITE
Il ne se rappela jamais ce qui lui advint ensuite.
Le commis du fort, Joseph Mercredi, bon métis français, qui fut toujours l’ami et le protecteur des prêtres, au Fond-du-Lac, ne voyant pas arriver le Père Grollier pour la fête, s’en inquiéta. Il laissa cependant s’écouler une autre journée. Convaincu alors qu’un malheur était arrivé, il munit de fusils et de tam-tams une patrouille de sauvages, leur donnant la consigne de faire du bruit dans toutes les directions, afin d’attirer l’attention du père, et de tirer une fusillade de tant de coups, lorsqu’ils le retrouveraient.
Joseph eut lui-même l’honneur de faire l’heureuse découverte. Il allait, depuis deux jours, fouillant tous les buissons, interrogeant tous les arbres, quand il remarqua les pistes fraîches d’un ours. Il les suivit jusqu’au moment où, dans leur direction, mais plus loin, il aperçut, sous un sapin, une forme noire, écrasée sur elle-même. « Voilà mon ours, pensa-t-il, encore engourdi au sortir de sa bauge d’hiver. »
Il épaula son fusil, chargé d’une balle.
Comme il allait presser la détente, il remarqua, dans la masse noire, un mouvement insolite chez les ours. Baissant l’arme, il s’avança prudemment, prêt à faire feu.
C’était le Père Grollier, en soutane, dépouillé de son habit de peau de renne. Son bras passait et repassait convulsivement devant sa figure. Il avait mangé l’un de ses mocassins, à en juger par les lambeaux de cuir pris entre ses dents. Il était sans connaissance, émacié à faire peur.
Joseph parvint à faire boire un peu de bouillon de poisson au missionnaire; puis il le plaça près d’un feu, et lui frictionna les membres. Les fonctions vitales se rétablirent; mais l’usage de l’intelligence ne revint qu’au bout de quinze jours.
Un asthme, dont le Père Grollier n’avait ressenti encore que de légères atteintes, l’étreignit depuis ce temps, sans lui laisser de répit.
Mais l’apôtre marcha quand même…
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Mais l’apôtre marcha quand même.
En 1858, il laisse le lac Athabaska, et débarque au Grand Lac des Esclaves, le 22 juillet, pour établir définitivement la mission Saint-Joseph.
Trois semaines après, passe l’équipage de la Compagnie, avec le Père Eynard et l’archidiacre anglican Hunter. Sans balancer, il remet la mission Saint-Joseph au Père Eynard, et se jette aux trousses de celui qu’il appelle « l’homme ennemi ». Il réussit à prendre place sur la barge même qui emporte le ministre.
Sous les yeux de Hunter, il fonde la mission du Saint et Immaculé Cœur de Marie à la Grande-Ile, et la mission du Sacré-Cœur au fort Simpson.
Il voudrait poursuivre; mais Ross, le bourgeois du district, l’arrête et le force à retourner à Saint-Joseph.
En regagnant le Grand Lac des Esclaves, il apprend que Hunter et Ross, de concert, ont fait signer par tous les commis-traiteurs, une requête, priant le gouverneur de l’Honorable Compagnie, Sir Georges Simpson, de bannir du Mackenzie le prêtre catholique, et de réserver les tribus de l’Extrême-Nord au protestantisme. Le Père Grollier écrit à Mgr Taché de tenter l’impossible pour déjouer cette manœuvre; et il réclame, pour lui-même, « la grâce d’être envoyé aussi loin que la terre pourra le porter. »
Année d’indicible inquiétude...
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Année d’indicible inquiétude.
Il attend la réponse en travaillant pour les Couteaux-Jaunes et les Montagnais de la mission Saint-Joseph. Le 12 avril 1859, il part sur la glace du Grand Lac des Esclaves, pour fonder la mission Saint-Michel du fort Rae, chez les Plats-Côtés-de-Chiens. Le 10 mai, il revient de Saint-Michel, sur la glace encore, à Saint-Joseph.
Au retour de ce voyage, se passa une scène, dont le secret, sur l’ordre du missionnaire, fut gardé par Pierre Beaulieu, jusqu’au jour récent où Mgr Breynat obligea celui-ci à dire tout ce qu’il savait.
Une affection, qui devait être scorbutique, d’après la description du témoin, avait attaqué les deux pieds; et les ongles livides ne tenaient plus aux chairs écarlates que par leur milieu: en remuant dans la chaussure, ils rendaient la marche impossible. Le Père Grollier commanda à Pierre Beaulieu de les lui arracher tous, avec des pinces à chapelet. Pierre obéit. A chaque ongle, un ruisseau de sang s’ouvrait. Le premier pied fini, le père demanda un verre d’eau pour se soutenir. Il présenta ensuite l’autre pied, en se détournant un peu. A l’avant-dernier ongle, il dit doucement, avec un filet de voix:
— Oh ! tu me fais mal, mon Pierre.
A la fin:
— Merci, mon Pierre !
Là-dessus, les barges passèrent.
O bonheur ! Une lettre de Sir Georges Simpson, à lui, Père Grollier, comme sauf-conduit ! Une autre de Mgr Taché, à lui encore, et lui donnant « carte blanche » sur l’Extrême-Nord !
Sous la tutelle obligée, sinon obligeante, du bourgeois, le Père Grollier prend place, le jour même, 13 août 1859, dans les barges, à côté de Kirby, qui va remplacer Hunter; et il dit adieu au Grand Lac des Esclaves.
Il revoit les forts de la Grande-Ile et Simpson: partout les néophytes sont restés fidèles, Deo gratias ! Au fort Norman, il fonde la mission de Sainte-Thérèse.
Le 31 août, il est à Good-Hope…
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Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresLE PÈRE PIERRE-HENRI GROLLIERSa rapide et douloureuse carrière.SUITE
Le 31 août, il est à Good-Hope.
Il apprend que, grâce à quelques sauvages, instruits par lui, à Simpson, l’année précédente, et à quelques coureurs-des-bois, dont il a fait ses amis, la visite de Hunter, ce printemps 1859, n’a porté aucune atteinte aux âmes. Il consacre aussitôt la mission à Notre-Dame de Bonne-Espérance; et, disposant son autel « sur la table même qui avait servi aux offices de l’archidiacre », il offre le premier sacrifice du Cercle polaire:
Date éternelle, dit-il, le 2 septembre l’Agneau vraiment Dominateur fut immolé pour la première fois, à Good-Hope, presque sur les confins de son héritage !
Comment suivre l’activité du missionnaire asthmatique au cours des trois années qui le séparent encore de sa tombe ? Il voyage. Il enseigne. Il réprimande. Il encourage. Il écrit. Chacun de ses actes, chacune de ses respirations est un élan de son être, « pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. »
« — Le zèle, disait Mgr Grandin, le zèle inimitable du Père Grollier éclipsait toutes ses autres vertus. »
Ce zèle était dirigé, implacable, furieux — trop implacable, trop furieux, trouvait Mgr Grandin (1) — contre l’homme ennemi, contre le protestantisme.
A qui lui reprochait sa violence, il demandait depuis quand la vérité n’était pas intransigeante; et il ajoutait qu’il était de Montpellier, où l’on savait ne pas dormir, et que de Montpellier aussi était saint Roch, son modèle dans l’âpreté à combattre la rage de l’erreur:
J’arrivai au fort Simpson, le 16 août, fête de saint Roch, saint natif, comme moi, de Montpellier, avait-il écrit en 1858. Je me regardais comme conduit là par mon cher concitoyen, maintenant citoyen des cieux. Lui aussi avait quitté notre ville natale et sa patrie, et s’était fait pèlerin sur la terre pour la cause de Dieu et le salut des âmes. A cause de cette harmonie d’une même vocation entre deux enfants d’une même cité, je crus voir un heureux présage dans la coïncidence de mon arrivée au fort Simpson, le jour de la fête de saint Roch.
Or, de tous côtés, le protestantisme l’agaçait; non pas au fort Good-Hope, — il y eût fait trop mauvais pour le prédicant, — mais au fort Norman, chez les Loucheux, chez les Esquimaux, par delà les montagnes Rocheuses.
En juin 1860, il va au fort Norman, combattre Kirby. De là, il court au fort Simpson, pour…
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(1) De Mgr Grandin cette appréciation encore :
« Ce cher père avait un zèle trop grand; mais le bon Dieu l'a fait tourner à sa gloire. Le Père Grollier a fait des choses dont un supérieur peut se réjouir, quand elles ont réussi; mais qu'il n'aurait jamais pu commander, ni même conseiller. Si nos missions ont pris une telle extension sur le Mackenzie, c'est, en grande partie, grâce au zèle du Père Grollier. »
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En juin 1860, il va au fort Norman, combattre Kirby. De là, il court au fort Simpson, pour rencontrer le Père Gascon et l’envoyer au fort des Liards. De Simpson, il descend d’un trait, brûlant Norman et Good-Hope, jusqu’au fort Mac-Pherson sur la rivière Peel, qui se jette dans les bouches du Mackenzie, à 430 kilomètres, passé le Cercle polaire.
Au fort Mac-Pherson, il rencontre les Loucheux et les Esquimaux. Là enfin, il est arrivé le premier. Plus loin, il n’y a plus que l’océan Glacial, le Pôle nord.
Il jette alors son cri de triomphe:
Le jour de l’Exaltation de la Sainte Croix (14 septembre 1860), ayant réuni les Loucheux et les Esquimaux, autour de ce signe de réconciliation, je fis approcher les deux chefs, et leur ayant fait croiser les mains au bas de la Croix, je la leur fis baiser comme signe d’alliance et de paix entre eux avec Dieu. Mes mains pressant les leurs sur le pied du Crucifix, je leur fis promettre de s’entr’aimer à l’avenir. Ainsi la Croix était le trait d’union entre moi, enfant des bords de la Méditerranée, et l’habitant des plages glacées de la mer Polaire. La Croix avait franchi toute distance, elle dominait a mari usque ad mare. De plus, je donnai au chef des Esquimaux une image du Sauveur en croix, au bas de laquelle j’écrivis ces paroles de la prophétie qui s’accomplissait: Viderunt omnes termini terræ salutare Dei nostri; et je fis présent au chef des Loucheux d’une image représentant la Mère de notre Sauveur, avec cette autre si vraie prophétie: Beatam me dicent omnes generationes. C’est en ce beau jour de l’Exaltation de la Sainte-Croix que la grande nation des Esquimaux offrit ses prémices à l’Eglise, et que plusieurs d’entre eux devinrent enfants de Dieu en recevant le baptême.
L’hiver 1860-1861, le Père Grollier s’avoue vaincu, terrassé par la maladie, dans une lettre à Mgr Taché; et aussitôt, sans transition:
Ce printemps, je retournerai au fort Norman, j’en redescendrai le plus vite possible, et, une fois les sauvages de Good-Hope partis, je descendrai au fort Mac-Pherson.
Il exécuta ce programme. Mais à quel prix !
Le 8 juin 1861, en route pour Norman, il écrit:…
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Le 8 juin 1861, en route pour Norman, il écrit:
Hier je partis en barge de Good-Hope. Aujourd’hui, fête de Notre-Dame de Grâce, jour d’indicible douleur pour moi: nous rencontrons le ministre Kirby qui se rend à Good-Hope, et à Mac-Pherson. Vous voyez que mes tristes prévisions s’accomplissent ! Qu’allons-nous devenir ?... Je ne puis vous dire ce que je souffre, à chaque campement. Hier, il fallait monter une petite côte pour camper: je croyais expirer avant d’y arriver. Il m’a fallu m’arrêter trois fois, et longtemps, pour reprendre haleine; le souffle me manquait complètement. La marche même sur un terrain plan m’abat aussi; il faut que je m’arrête, pour respirer. Rien que le mouvement d’entrer ou de sortir de la barge me fatigue autant que si je venais de faire cent lieues. Il en est de même quand je range ma couverture de nuit: l’action seule de me baisser m’essouffle... Ce qui me fait le plus de peine, c’est que l’on me comptera toujours comme faisant nombre, et qu’ainsi je tiendrai la place d’un bon missionnaire, qui pourrait agir de tous côtés pour la gloire de Dieu et pour sauver des âmes.
Débarqué au fort Norman, il continue:
Pour gravir la côte du fort, j’ai failli mourir; je n’avais plus d’haleine. Quand j’ai été en haut, j’ai tellement excité la compassion des sauvages que l’un disait à l’autre: « C’est parce qu’il nous aime beaucoup qu’il vient ainsi nous voir, quoiqu’il soit malade ». J’ai été plus de dix minutes sans pouvoir proférer une parole.
Au fort Norman il ressaisit quelques Indiens du Grand Lac de l’Ours que le ministre lui avait ravis; il confirme les fidèles dans la foi; puis il achète le canot d’écorce d’un sauvage; et, du 18 au 28 juin, avec un jour seulement d’escale à Good-Hope, il fait les 870 kilomètres, de Norman à Mac-Pherson, où l’attend la désolation.
La première parole qu’il entend, sur la terre des Loucheux, lui est lancée, du rivage à son canot, par une femme sur laquelle il avait compté en toute confiance:
Le ministre est bon, meilleur que toi; il donne du tabac et du thé. Il a enlevé dans les campements tous les objets religieux que tu nous avais donnés !
En effet, le loup a dévasté la bergerie. Les Loucheux se sont abandonnés à lui, lorsqu’il leur a dit que « la religion catholique était morte, et que jamais plus le prêtre ne reviendrait ».
Voici pourtant le prêtre qui les a baptisés et qui les aime. Allez-vous le recevoir ? Non, il faut qu’il boive, comme son divin Maître, le calice de son agonie. Il le boira, sur la plage même de son triomphe, le jour de l’Exaltation de la Sainte Croix.
Le commis du fort refuse de le loger et de lui céder le moindre aliment…
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Le commis du fort refuse de le loger et de lui céder le moindre aliment. Le missionnaire a un filet: il le tendra sur la rivière. Il s’y essaie; mais il doit capituler aussitôt. Il est « de plus en plus asthmatique; deux pas l’essoufflent; et la moindre fraîcheur le fait tousser ». Il confie le filet aux deux jeunes sauvages qu’il a amenés de Good-Hope, pour conduire son canot et l’assister : ces misérables veulent le forcer à se rendre et à retourner au plus tôt à Good-Hope. Ils placent le filet où ils savent qu’il n’y a pas de poisson. Et le Père Grollier est là, du 28 juin au 4 août, étendu sur la grève, dévoré par les moustiques contre lesquels la toile d’une tente ne le protège même pas, et jeûnant à côté du fort qui abonde de viande et de poisson.
Ces souffrances pourtant ne sont rien, comparées à une autre, qui lui porte au cœur la blessure dont il mourra bientôt, la souffrance de savoir que Kirby, plein de santé, muni d’argent et de vivres, favorisé de tous les commis, est allé plus loin, par delà les montagnes Rocheuses, au fort Youkon; et que lui, le missionnaire de la vérité, ne peut le suivre jusque là, pour retenir sur le bord de l’abîme les tribus qui y vont y sombrer à jamais.
De cette plage de détresse, la veille de repartir pour Good-Hope, il écrit à Mgr Taché, à Mgr Grandin, au supérieur général, des lettres enflammées, pleines d’appels:
Faites beaucoup prier pour ces malheureux. Nous ne les sauverons comme nous avons sauvé Simpson, Norman et Good-Hope, que par une sainte violence au ciel. N’oublions pas que sainte Thérèse a converti autant de païens par ses prières que saint François-Xavier par ses travaux. Mais il nous faudra vigoureusement pousser du côté des Loucheux, à Mac-Pherson, au Youkon, à la mer Glaciale. Sachez que Kirby a parcouru près de 600 lieues ce printemps. Sa conduite nous avertit que si nous continuons nos lenteurs, nous pouvons nous préparer à céder tout le Nord à l’hérésie... Nous n’avons pas d’argent, direz-vous, et le ministre est riche. Ah ! si les apôtres eussent écouté la prudence humaine, quand ils furent envoyés, ils n’auraient point autrement parlé: « Nous n’avons pas d’argent !» Mais pour prévenir leur objection, le même Maître, qui les envoya et qui nous envoie, leur avait dit: « Ce sera sans argent que vous établirez vos missions. Nolite portare peram.»
Vite, vous dis-je, le diable allume tous ses feux contre nos missions; il s’élance de partout; le combat va être terrible. Encore une fois, oubliez que vous n’avez plus d’argent. Dieu y pourvoira, si vous lâchez la prudence humaine. Voyez le saint Evêque de Montréal (Mgr Bourget), qui, sans un sous, achète toujours, établit toujours, bâtit toujours, et puis l’argent lui vient: c’est qu’il compte sur Dieu. Il me souvient de ce gros Evêque de B., qui le critiquait dans toutes ses entreprises, lui qui ne s’est même pas construit une église, et qui célèbre ses offices dans une cathédrale-étable, là où j’ai chanté la messe, en venant au Canada...
Je repars, le cœur dans les larmes. Et cependant je bénis Dieu de m’avoir inspiré de venir, car les bons auront été préservés; et dans les autres, qui savent que le ministre n’est pas l’homme de Dieu, ma présence aura servi à réveiller plus tard le remords, si Dieu les frappe. Seulement le divin Maître a voulu que je souffre ici le martyre du cœur...
Le Père Grollier venait de rentrer à Good-Hope…
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Le Père Grollier venait de rentrer à Good-Hope, dans la solitude où il avait passé deux années, sans voir un prêtre, lorsque, le 28 août (1861), il vit arriver le Père Séguin et le Frère Kearney, tous deux inattendus:
— Dieu nous aime ! s’écria-t-il, en les embrassant, Dieu nous aime !
Il ne pouvait trouver d’autre expression à sa joie et à sa reconnaissance.
Le Père Séguin écrit son impression:
Au lieu de l’homme gras et joufflu, que l’on m’avait dépeint, je ne trouvai qu’un pauvre malade n’ayant plus que la peau et les os, et pouvant à peine respirer... Je trouvai aussi un joli château, je vous assure. En mettant les pieds dans cette maison, de sept mètres de long sur cinq de large, je crus que j’allais descendre à la cave, tant le plancher était élastique. Le Père Grollier avait besoin d’air, mais, Dieu merci, il ne lui en manquait pas; les croisées, à moitié bouchées par de mauvaises peaux toutes déchirées, laissaient circuler l’air à volonté dans la maison. Les planches du grenier étaient si bien jointes et le toit si bien couvert, que je n’avais pas besoin de sortir pour voir les étoiles. Quand il pleuvait, c’était à peine si nous pouvions trouver un coin pour nous mettre à l’abri. C’était dans cette maison cependant que nous devions braver les rigueurs de l’hiver... (1)
Un hôte auguste s’ajouta, pour ce même hiver, à la communauté de Good-Hope, Mgr Grandin (2).
Comme il proposait au Père Grollier de le ramener en un climat plus doux, dans quelque maison mieux approvisionnée:
— Monseigneur, répondit le missionnaire, je vous supplie de me laisser mourir ici. Je pourrai du moins garder la mission, pendant que le Père Séguin voyagera, et faire le catéchisme. Oui, laissez-moi prêcher, travailler, et lutter jusqu’au bout, pour mes sauvages. D’ailleurs, quand l’heure sera venue, je partirai sans retard : les missionnaires ne font pas de longue maladie !
Jusqu’au bout, il prêcha, il catéchisa, il travailla, comme il l’avait dit. Les derniers jours, ne pouvant plus parler, il prêchait et catéchisait par signes.
Il célébra sa dernière messe, le 24 mai 1864.
Le dimanche 29 mai, il assista à la fête désirée de sa vie: la plantation d’une grande croix, sur le promontoire de Good-Hope, par le Père Séguin. Il se fit asseoir à la porte, afin de bien voir. Lui-même avait indiqué les cantiques français et montagnais qu’il fallait chanter.
Lorsque la croix fut dressée, il s’écria:…
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(1) Cette maisonnette, qui avait été bâtie par la Compagnie pour le Père Grollier, se trouva d'abord à la rivière Peau-de-Lièvre, petit affluent du Mackenzie, que l'on considère comme la ligne assez exacte du cercle polaire. Elle fut occupée, en cet endroit, par le Père Grollier, en août 1861, et ne fut transportée que l'année suivante, l'été 1862, par le Père Grollier et le frère Kearney, à l'emplacement actuel du fort et de la mission. Ce déménagement s'accomplit pendant l'absence du Père Seguin, à la rivière Peel.
(2) Mgr Grandin fut à Good-Hope, du 9 octobre 1861 au 9 janvier 1862. Les souffrances de cet hiver sont rappelées dans la Vie de Mgr Grandin, par le Père Jonquet. A relire aussi, dans le même ouvrage, son retour en raquettes, de Good-Hope à la Providence..... Jusqu’aux corbeaux qui descendirent sur lui pour le déchiqueter....
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
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Re: Aux Glaces Polaires — Indiens et Esquimaux.
Aux Glaces PolairesCHAPITRE XV: Peaux-de-LièvresLE PÈRE PIERRE-HENRI GROLLIER« Je meurs content, ô Jésus ! »
Lorsque la croix fut dressée, il s’écria:
— Je meurs content, ô Jésus, maintenant que j’ai vu votre étendard élevé jusqu’aux extrémités de la terre !
— Oh ! Oui ! je suis content, disait-il ensuite au Père Séguin, si content que j’ai pleuré de joie tout le temps de cette cérémonie !
L’agonie du missionnaire commença le lendemain. Elle ne fut interrompue que le temps de recevoir, en pleine connaissance et en plein amour, l’extrême-onction et deux fois le saint Viatique:
— Toujours vous voir, disait-il à la divine Hostie que lui présentait son confrère; toujours vous contempler, divine Eucharistie; vous aimer pendant toute l’éternité, est-il un seul bien comparable à celui-là ? Non, non !
Au commencement de sa dernière maladie, il avait dit une fois:
— Il me semble que si j’avais un peu de lait et des pommes de terre, je pourrais encore me rétablir, et travailler.
Du lait, une pomme de terre, il aurait fallu un voyage de six mois pour les lui apporter, alors. Maintenant, il eût refusé jusqu’à ces douceurs. Il avait comme goûté au Ciel:
— Oh! si je pouvais mourir, disait-il après sa dernière communion, si le bon Dieu voulait m’appeler à lui ! Je ne suis plus bon à rien sur cette terre, pourquoi y rester plus longtemps ? Tous mes désirs sont au ciel !... Prenez-moi donc, mon Dieu !...
Un délire intermittent l’épuisa ensuite en des discours, brisés par la toux, et dont le sujet était toujours la gloire de Dieu et le salut des âmes.
Après l’action de grâces de la communion suprême, son regard prit l’ardeur extatique, et se porta tour à tour de l’image de saint Joseph mourant entre les bras de Jésus et de Marie au pauvre tabernacle qu’il pouvait voir, de sa couche de peau de buffle, par le rideau entr’ouvert de l’alcôve-sanctuaire.
« C’est dans cette attitude qu’il expira, le sourire aux lèvres », le samedi 4 juin 1864, à cinq heures du matin, à l’âge de 38 ans.
Le jour même, le Père Séguin écrivait:
« Dès que la nouvelle de sa mort s’est répandue, les sauvages et les métis ont accouru en foule pour le contempler encore une fois. Il est sur son lit, couvert de sa soutane, d’un surplis et d’une étole, tenant entre ses mains sa croix d’Oblat, qu’il aimait tant à embrasser hier, lorsque ses souffrances redoublaient. J’avais couvert son visage d’un voile, mais il a été bientôt enlevé. On ne pouvait se rassasier de le regarder. »
Le Père Grollier repose à la place du cimetière de Good-Hope qu’il réclama lui-même, un jour que le Père Séguin lui manifestait son intention de l’inhumer sous la future église:
—Non, non ! avait-il répliqué; enterrez-moi avec les sauvages, entre les deux derniers qui sont morts, le visage tourné vers la croix.
LE PÈRE JEAN SÉGUIN (1833-1902) …
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