Les Aventuriers de DIEU - DANIEL-ROPS de l'académie française

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Message  Monique Sam 11 Juil 2020, 6:44 am

Avec un tel caractère, il était logique qu'Anne-Marie choisit un destin hors série. Peut-être pas, évidemment, celui qu'eût souhaité son brave homme de père! Lui présentait-on un honnête garçon dans l'espoir qu'elle en ferait son mari et avec lui irait gérer quelques-unes des fermes paternelles, elle parlait si bien à son soupirant d'amour de Dieu et de vocation religieuse qu'au lieu de se marier, il entrait à la Trappe! Quant à elle, il y avait beau temps qu'elle était résolue! Au seuil de l'enfance, dans, un de ces moments , de profonde prière comme elle en passait tant et tant à l’église, il lui avait semblé entendre une voix intérieure lui dire : « Tu m'appartiendra, tu me sera consacrée, tu serviras les pauvres et élèveras les orphelins. »

Elle avait dix·neuf ans, quand, avec ses trois, sœurs, elle décida de se donner tout entière à la tâche de faire le catéchisme aux enfants du village et d'aider les miséreux. De vrais vœux ! solennellement prononcés dans une chambre de ferme improvisée chapelle. Religieuse ! ce n'était point du goût de Maître Balthasar. Aucun de ses deux fils ne valait Nanette, et puis elle était très capable de leur tourner à eux aussi la tête et d'en faire des curés (ce qui, par parenthèses, devait, en effet, arriver... ). Mais à tous les arguments, à toutes les pressions, Nanette résistait avec une gentillesse calme et désarmante. Religieuse elle voulait être, religieuse elle serait.

A la vérité, il ne lui fut pas très commode de trouver exactement la voie qui la mènerait vers Dieu. ll1ui fallut pas mal d'années de tâtonnement avant de pouvoir se formuler à soi-même la tâche qui lui était proposée, le rôle où elle pourrait occuper une place encore vide. Tantôt on la vit avec ses trois sœurs installées seules dans une maison villageoise de la contrée pour y continuer son oeuvre de catéchisme et charité. tantôt, elle fut sollicitée par le désir d'être trappistine, c'est-à-dire religieuse cloîtrée, ce qui était, pour une telle lame de feu, une assez étonnante idée!


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Message  Monique Dim 12 Juil 2020, 7:24 am

Tantôt près de Dôle, ou à Souvans dans le Jura, elle essaya encore de créer de petites communautés paysannes, au milieu de difficultés d'argent inextricables. La vocation qui la portait était si puissamment originale qu'il ne faut pas s'étonner qu'elle ait mis si longtemps à sortir de sa chrysalide; mais une fois ses ailes dépliées, le papillon volerait loin.

Des entretiens avec un saint prêtre, les conseils éclairés d'un grand moine, Dom de Lestrange, Abbé de la Trappe de la Val-Sainte en suisse, des méditations profondes où souvent la lumière du Christ illuminait son âme, tout pourtant la persuadait que, malgré les crochets de la route et les cahots, elle marchait vers son véritable but.

Le curé de Chamblanc, revenu dans sa paroisse après la tourmente révolutionnaire, s’était émerveillé du bien qu’y avaient fait les quatre jeunes filles des Javouhey; Anne-Marie lui parut tout de suite un être d’exception, promis aux grandes choses, mais il se trompa en conseillant à son père de la mettre dans une congrégation déjà existante. Au couvent des Soeurs de la Charité, à Besançon, tandis qu’elle méditait profondément et suppliait Dieu de l’éclairer sur la route qu’elle devait suivre, elle eut une vision : de même saint François Xavier, au moment de choisir son destin définitif, s’était vu lui-même portant sur le dos un esclave éthiopien... Ce qu’aperçut Anne-Marie la combla de stupeur; une foule d’hommes à peau noire se tenaient devant elle et tous lui tendaient les bras.


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Message  Monique Lun 13 Juil 2020, 9:08 am

Le curé de Chamblanc, revenu dans sa paroisse après la tourmente révolutionnaire, s’était émerveillé du bien qu’y avaient fait les quatre jeunes filles des Javouhey; Anne-Marie lui parut tout de suite un être d’exception, promis aux grandes choses, mais il se trompa en conseillant à son père de la mettre dans une congrégation déjà existante. Au couvent des Soeurs de la Charité, à Besançon, tandis qu’elle méditait profondément et suppliait Dieu de l’éclairer sur la route qu’elle devait suivre, elle eut une vision : de même saint François Xavier, au moment de choisir son destin définitif, s’était vu lui-même portant sur le dos un esclave éthiopien... Ce qu’aperçut Anne-Marie la combla de stupeur; une foule d’hommes à peau noire se tenaient devant elle et tous lui tendaient les bras.

Or, les études des filles campagnardes en ce temps n’étant pas très soignées, elle ignorait qu’il existât des nègres! Mais avant qu’elle fût remise de sa stupeur, une voix lui disait, fermement : « Ce sont les enfants que Dieu te donne. Je suis sainte Thérèse, et je serai la protectrice de ton ordre... » La vocation missionnaire d’Anne-Marie Javouhey était née.

Après les années d’hésitations et de tâtonnements, brusquement tout marcha bien et parut simple. L’évêque de Chalon, Mgr de Fontanges, à qui Anne-Marie expliqua ses grands desseins, les comprit, les approuva et donna aux quatre soeurs l’aile d’un ancien couvent de Bénédictins. Il n’était encore question que de travailler à l’éducation chrétienne des petites filles; entre-temps, Anne-Marie avait décidé son frère Pierre à recruter des volontaires qui éduqueraient les garçons. En 1807, trois ans après ce jour où le pape Pie VII les avait bénies, les quatre paysannes fondaient l’Association religieuse Saint-Joseph, et le 12 mai, en l’église Saint-Pierre, prononçaient leurs vœux définitifs et prenaient l’habit de la nouvelle congrégation. La robe bleue couleur de mai, couleur aussi des vendangeuses de Bourgogne, la grande coiffe retombant sur les épaules et le large plastron blanc commençaient leur carrière, et bientôt, la jeune communauté s’étant transportée à Cluny, où un meilleur local avait été trouvé, le nom sous lequel on désigna les nouvelles religieuses devint populaire, les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny.

Enseigner des enfants en France, en faire de bons chrétiens, c’était bien, aux yeux de la Mère Javouhey, un des buts qu’elle visait; mais ce n’était pas le seul. Cluny, maison mère et noviciat de la Congrégation, école florissante pour les classes moyennes; Paris où, dans le quartier du Marais, les Sœurs de Saint-Joseph ouvraient une école où l’on essayait de nouvelles méthodes de pédagogie; ce n’étaient là que des étapes. Le but définitif que se proposait la ferme fondatrice était d’aller enseigner aussi le christianisme aux enfants de couleur et de créer des hôpitaux où les nègres seraient soignés. Educatrice, hospitalière et missionnaire, telle elle voyait sa congrégation. En somme, le Christ et son message porté au monde de toutes les façons...


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Message  Monique Mar 14 Juil 2020, 7:51 am

L’occasion attendue vint; elle vient toujours pour ceux que la Providence s’est réservée à son service. On parlait beau coup (le la religieuse du Pont de Lodi, de son école et de ses audaces, quand l’intendant de l’île Bourbon — la Réunion actuelle — arriva à Paris. Il venait mettre au courant le gouvernement de la situation dans l’île, matériellement prospère, mais où les indigènes croupissaient dans l’ignorance et le pire laisser-aller. « J’ai ce qu’il vous faut! », lui dit le vicomte Laîné, ministre de l’Intérieur. La Mère Javouhey fut convoquée et, sans montrer de surprise — Dieu n’était-il pas avec elle ? — s’entendit proposer de prendre en mains l’éducation et les œuvres charitables dans l’île. Ce qu’elle accepta instantanément. Et, quelques mois plus tard, quatre religieuses de Saint-Joseph en robes bleues s’embarquaient pour le long voyage : la première pierre d’un grand édifice missionnaire était posée.

La Mère Javouhey n’était point partie elle-même : ce n’était pas que l’envie lui en manquât! Mais outre qu’il lui paraissait difficile de quitter si tôt son œuvre en France, elle se réservait pour un autre dessein. Son rêve ne lui avait-il point appris que ses « enfants » seraient les nègres ? C’était au continent noir qu’elle pensait, à l’Afrique, où elle voulait implanter la croix. La France était bien loin alors de posséder les immenses domaines qui, de la Méditerranée au Congo, composeraient son empire africain, mais elle avait déjà une porte d’entrée sur le monde noir, le Sénégal. Peu de choses encore, malheureusement : une colonie mal administrée, livrée aux mercantis les plus suspects; une population nègre qui n’avait guère pris des Blancs que leurs mauvaises habitudes; une capitale délabrée, Saint-Louis, encerclée par la brousse, où tout semblait à l’abandon, où l’hôpital tombait en ruines. Bien entendu les âmes étaient dans le même état, un si triste état que le Préfet apostolique quittait les lieux, découragé. Mais on ne décourageait pas aussi facilement la Mère Javouhey et ses Sœurs!


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Message  Monique Mer 15 Juil 2020, 8:42 am

Un premier peloton de six religieuses s’embarqua, sous la direction de la plus jeune des filles Javouhey, Claudine, devenue, en religion, Mère Rosalie. Pierre Javouhey partit aussi, mais de caractère faible, réussit mal et rentra en France. Les religieuses, elles, tinrent bon. Tracasseries de l’administration, manque d’argent, épidémie de dysenterie rien ne les fit lâcher pied. Pendant ce temps à Paris, la Mère Javouhey se démenait pour qu’on envoyât au Sénégal un nouveau Préfet apostolique et des secours en vivres et en médicaments. Elle était en passe de devenir un personnage, la chère Mère! Le duc Decazes aimait à s’entretenir avec elle et il n’était ministre qui ne l’eût en considération. Les vocations affluaient à Cluny, tant et tant qu’elle pouvait renforcer ses communautés de la Réunion et du Séné gal, tout en faisant des fondations non seulement en divers coins de France, mais en Guyane, à la Guadeloupe. On pouvait lui demander n’importe quoi pour le Christ elle répondait toujours : « Présente!

Tout cela était bien beau, mais ce n’était pas encore son rêve. Son rêve, c’était d’aller elle-même en Afrique, de travailler elle-même pour ses « enfants ». Soigneusement elle prépara son départ, pour que la Congrégation ne souffrît pas de son absence, et un beau matin elle en avisa ses Soeurs. Elles n’eurent même pas le temps de soulever une objection que l’énergique fondatrice voguait déjà à bord de La Panthère, en direction de Saint-Louis au Sénégal. C’était le 1er février 1822.


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Message  Monique Jeu 16 Juil 2020, 7:39 am

Le temps d’Afrique devait être pour la Mère Javouhey, malgré les difficultés et les peines innombrables, un temps de bonheur et de plénitude. Elle éprouvait le sentiment d’être vraiment là où Dieu voulait qu’elle fût. Elle avait aussitôt appris à connaître les indigènes.

« J’aime beaucoup les Noirs, avouait-elle, ils sont bons, simples; ils n’ont le malice que celle qu’ils tiennent de nous; il ne serait pas difficile de les convaincre par l’exemple; ils imitent facilement ce qu’ils voient faire aux Blancs. » C’était fort bien juger. Donner l’exemple aux nègres; faire d’eux des chrétiens tel allait désormais être son but, son seul but, et pour y atteindre, les aimer d’un grand amour.

Ce que devait faire cette femme, ce qu’elle devait inventer, préludant aux réalisations de l’avenir, est tout simplement incroyable. Alors qu’il advient que de très grands missionnaires un saint François Xavier par exemple — soient uniquement des défricheurs, des pionniers, la Mère Javouhey était en même temps une constructrice, une bâtisseuse. Elle savait, affronter tous les obstacles et les vaincre; elle savait se donner entière aux grands desseins; « Ayons l’âme grande et généreuse, disait-elle, ne nous arrêtons jamais aux petitesses. »
Mais elle était aussi loin que possible des chimères, les pieds bien sur le sol, en paysanne de Bourgogne, à qui l’on ne fait pas prendre vessies pour lanternes.


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Message  Monique Ven 17 Juil 2020, 7:56 am

L’hôpital était délabré ? Elle le remonta. Les Noirs souffraient du mépris des Blancs ? Malgré tout ce qu’on put lui dire, la Mère Javouhey décida que chez elle tous les hommes seraient également traités, sans distinction de couleur de peau. Les moeurs à la colonie sont déplorables ? Elle créerait, elle, une exploitation agricole morale, en pleine brousse, où tous les cultivateurs vivraient fraternellement dans l’honnêteté et la morale, le respect de la loi du Christ, partageant les produits des terrains exploités.

Cette femme de génie alla jusqu’à découvrir toute seule une idée que saint François Xavier avait eue aux Indes, mais à laquelle il n’avait pu donner suite : l’idée du clergé indigène, qui ferait de l’apostolat parmi ses frères de race, et, dans ce dessein, elle créa, même en France, un séminaire, où furent envoyés de jeunes hommes de couleur qui deviendraient prêtres. Tout le monde la connaissait en Afrique; les administrateurs anglais de la Sierra Leone lui demandaient de venir chez eux prolonger son oeuvre. Cela dura deux ans.

Mais la Franco la réclamait, où la croissance rapide de la Congrégation exigeait sa poigne solide. Mère Javouhey dut accepter de rentrer. Quand elle se rembarqua à Saint-Louis, plus d’un millier de nègres l’accompagnèrent au port, dans un cortège tumultueux où les sanglots se mêlaient aux cris d’enthousiasme. Certains baisaient la trace de ses pas sur la route. Et tant que le navire fut visible à l’horizon, ils restèrent tous là, douloureux et pleurant.


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Message  Monique Sam 18 Juil 2020, 8:00 am

Ce que fut, tout le temps qu’elle vécut, l’activité de cette femme, semble dépasser l’imagination. On dirait un semeur qui, à pleines poignées, jette le grain autour de lui, nuit et jour, sans relâche, en tous sens. Que la terre le reçoive et qu’il lève! Les Sœurs de Saint-Joseph, leur robe bleue et leur plastron blanc sont partout où du bien est à faire. Les voici à Cayenne, à la Martinique, à la Guadeloupe, tout de suite après aux îles Saint-Pierre et Miquelon. Regardent-elles donc seulement vers l’ouest du monde? Que non, car Pondichéry dans l’Inde les voit débarquer en 1817 sur sa jetée.

La métropole n’est pas oubliée pour autant : c’est l’asile de fous de Rouen qu’elles reprennent en mains, ce sont les maisons de Carcassonne, de Chalabre dans l’Aude, de Limoux, de Fontainebleau, de Brest qui sortent de terre. Quant au cher village natal, Chamblanc, le voici doté de deux bonnes Sœurs qui, tout en faisant l’école, soignèrent le père de la fondatrice, Maître Balthazar, devenu vieux et fort fatigué.

La part que prit personnellement la Mère Javouhey dans cette œuvre ne saurait se mesurer, mais elle fut immense. Sans cesse prête à partir aux quatre coins du monde, cette terrienne née dans un vignoble bourguignon n’était heureuse que sur les océans. Ce n’était point qu’elle y fût à l’aise, car elle avait toujours le mal de mer. Mais, assurait-elle entre deux crises où elle souffrait mort et passion, de la mer et son mal ne me font pas plus peur que la terre !

C’est mon plus vieux matelot! » s’écriait l’amiral Tréhouart, sur le vaisseau de qui elle se trouvait quelque jour embarquée, en la voyant si ferme au milieu des tempêtes. Guadeloupe, Martinique, Saint-Pierre et Miquelon, l’Inde, Madagascar, les îles Mayotte et Nossi-Bé, l’Océanie, voilà quelques-unes de ses étapes. La planète semblait bien petite pour cette femme infatigable. Soixante mille kilomètres par terre, cinquante mille par mer, tels furent ses records !


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Message  Monique Dim 19 Juil 2020, 7:25 am

Dans ce palmarès étonnant de succès, s’il fallait en choisir un, celui qui s’imposerait à l’esprit serait l’extraordinaire travail qu’elle réalisa sur la Mana. La Mana est une des rivières de la Guyane française, qui débouche dans l’Atlantique un peu au sud du Maroni. Le pays, mal connu, malfamé, n’a rien de très plaisant; une température chaude et lourde de 26 à 28° toute l’année débilite la santé; des pluies énormes déversent trois mètres d’eau en six mois; dans la savane aux hautes herbes, insectes et serpents pullulent. La gomme et le bois de rose, le manioc et les bananes, sont les principales ressources, en dehors de l’or que vont chercher dans le sable des rivières des aventuriers plus ou moins bandits. Tout cela ne paraît pas offrir un cadre bien facile aux oeuvres d’une congrégation de religieuses.

Mais la Mère Javouhey n’avait pas coutume de se laisser arrêter par les obstacles. Le pays était difficile tant mieux, il y aurait plus à faire, les hommes ne semblaient pas très accueillants, un ramassis d’Indiens, de Nègres et d’Européens sans foi ni loi tant mieux encore, puisque le Christ a dit que c’était aux brebis perdues qu’il fallait donner ses meilleurs soins. Et quand le gouvernement lui demanda de faire une fondation en Guyane, tout simplement la courageuse femme accepta.

Aussitôt elle se mit au travail, réfléchit, médita, rédigea une sorte de rapport, où elle expliquait ses projets fonder comme au Sénégal, mais en mieux encore, une colonie modèle où des cultivateurs et des artisans venus de France vivraient en une communauté fraternelle, où des orphelins, recueillis et élevés avec soin, seraient les futurs colons destinés à renouveler la population du pays. Ceux qui voudraient tenter avec elle la grande aventure s’engageraient pour trois ans, seraient, pendant ce temps, nourris, logés, vêtus, soignés par l’entre prise qui leur allouerait, en plus, trois cents francs par an (c’étaient des francs-or, environ deux cent mille francs de notre monnaie). Cette femme de tête prévoyait tout, organisait tout. Et le 26 juin 1828, du port de Brest s’éloignait, à bord de la Bretonne et de la Ménagère, une expédition for- niée de neuf Soeurs, vingt-sept religieuses converses, trente. neuf collaborateurs, dont cinq chefs de famille et cinq femmes, Onze enfants, douze ouvriers, au total une centaine de personnes que la Mère Javouhey commandait en personne.


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Message  Monique Lun 20 Juil 2020, 7:03 am

Sur les rives de la Mana, où il lui était proposé de s’installer, rien ne restait, ou presque, de deux tentatives de colonisation faites antérieurement par l’administration les quinze colons demeurés étaient redevenus sauvages et la brousse avait reconquis la terre sur les cultures. Seules subsistaient quelque quinze maisons abandonnées. Voilà le point de départ : et l’œuvre fut semée, elle germa, elle grandit!

Un an après, les alentours défrichés se couvraient de cultures de bananiers et de manioc; de grands troupeaux étaient parqués dans de vastes enclos; un port florissant, sur la rivière, avec chantier de construction, voyait se développer une activité étonnante; une église, somptueusement nommée la cathédrale, se dressait au-dessus des maisons. Toute la communauté, encadrée par les religieuses, vivait dans une discipline et une joie qui stupéfiaient les visiteurs; tout le mon, de assistait à la messe le dimanche, tout le monde faisait, le soir, la prière en commun. Pas besoin de gendarmes ni d’agents de police; les fonctionnaires de Saint-Laurent du Maroni n’en croyaient ni leurs yeux ni leurs oreilles. Ce troupeau de travailleurs où, maintenant, il y avait de tout, des nègres, des Indiens et des Blancs, à qui il valait mieux ne pas trop demander leurs papiers, obéissait à la Mère Supérieure comme des enfants!


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Message  Monique Mar 21 Juil 2020, 7:22 am

Cette situation paradisiaque ne dura pas très longtemps cependant. La Révolution de 1830 eut de fâcheuses conséquences pour Mana, car le nouveau gouvernement ne s’intéressa guère à cette admirable tentative. Des colons s’écartèrent pour essayer leur chance, seuls. La Mère Javouhey reporta tout son effort sur les orphelins, espoir de l’avenir, puis, quand la loi de 1831 supprima définitivement l’esclavage dans tout l’Empire français, elle accepta de faire de Mana une sorte d’asile, d’école, où les anciens esclaves qui le voudraient seraient recueillis, éduqués, dirigés pendant cinq ou six ans pour qu’ils pussent faire l’apprentissage de la liberté avant d’être livrés à eux-mêmes. Comme toujours, elle avait de grands projets, la Mère Javouhey! On ferait venir des femmes d’Afrique pour que ces esclaves libérés pus sent fonder des familles; on créerait des villages nouveaux, entièrement noirs, avec, dans chacun, un Blanc ou une Blanche pour les diriger et les protéger plan grandiose, qu’un homme travailla de toutes ses forces, enthousiaste, à faire accepter du gouvernement, Lamartine, alors ministre.

Et l’on vit, en effet, les Noirs arriver à Mana et les villages sortir de terre, et la règle de vie chrétienne s’appliquer comme toujours, et les cérémonies liturgiques rassembler dans un même élan les religieuses, les colons blancs, les anciens esclaves nègres. Lorsqu’on demandait à la Mère Javouhey comment elle avait fait pour réussir mille fois mieux que tous les administrateurs de Cayenne avec leurs gendarmes et leurs prisons, elle répondait avec son meilleur sourire « Je me suis placée comme une mère au milieu de ses enfants...»


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Message  Monique Mer 22 Juil 2020, 7:52 am

Telle était cette femme de Dieu, digne émule des plus grands missionnaires. A la regarder travailler on ne sait ce qu’il faut admirer davantage de son audace, de son esprit de résolution, ou de ses qualités viriles d’organisation et de commandement. Lorsqu’elle revint en France, rappelée par le développement prodigieux de son Institut et la nécessité pour elle de voir de près toutes les fondations nouvelles qu’on réclamait aux quatre coins du monde, les journaux parlèrent d’elle, on se montra dans la rue cette forte religieuse vêtue de bleu, dont le visage rose et frais riait à l’ombre de la coiffe, et les passants la saluaient. « La Mère Javonhey ? C’est un grand homme! » devait dire d’elle le roi Louis-Philippe, qui avait très soigneusement étudié tout ce qu’elle avait accompli.

Durant les plus dures journées de 1848, lorsque l’émeute gronda puis éclata dans Paris, on put mesurer quelle était la popularité de cette femme. Accourue aux premières nouvelles de l’agitation, pour voir si elle ne pouvait pas faire du bien, calmer les esprits, soigner les blessés, elle trouva la capitale couverte de barricades sur lesquelles des hommes armés se tenaient prêts à faire feu. Tranquillement, sa coiffe flottant au vent et sa croix de supérieure battant sur son plastron blanc, elle alla de barricade en barricade. Les ouvriers insurgés la reconnurent; on avait entendu parler de Mana, et de la charité inépuisable de cette femme. « C’est la Mère Javouhey! » crièrent-ils, et ils l’acclamèrent. Un d’eux jeta même « C’est la générale Javouhey! » — Laissez passer! Et la Mère Javouhey passait, souriante, à travers ces mêmes barricades où allait tomber, sous les balles, Mgr Affre, archevêque de Paris.

Dans sa lointaine fondation, dans sa chère Mana, on ne l’oubliait pas davantage. On eût dit qu’invisible sa présence, celle de son souvenir, suffisait à maintenir l’ordre. Lorsque la République de 1848 eut décidé de faire de Mana un bourg libre, et que, du coup, il fallut ramener la chère communauté aux habitudes administratives des communes françaises, les Noirs se révoltèrent ils voulaient comme chefs leurs religieuses et personne d’autre! Ce fut la Mère Isabelle, représentant la fondatrice, qui les apaisa. Et quand on leur dit d’élire un député, tous ceux de Mana votèrent en bloc pour la Mère Javouhey! On eut beau leur expliquer que les femmes n’étaient pas éligibles; ils répondirent aux pouvoirs publics qu’en ces conditions ils ne voteraient pas du tout!


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Message  Monique Jeu 23 Juil 2020, 7:25 am

Il ne faudrait cependant pas croire qu’une telle entreprise s’accomplît sans rencontrer des difficultés. C’est le propre de toutes les grandes œuvres que de se heurter à l’incompréhension, à la méfiance, à la jalousie. La Mère Javouhey, qui d’ailleurs ne se faisait guère d’illusions sur les hommes, en sut quelque chose. A combien de reprises ne se heurta- t-elle pas à la sottise de quelques fonctionnaires, à la routine de l’administration, à la mauvaise volonté de ceux dont elle bousculait les sordides intérêts!

Mais la plus grave de ces épreuves lui vint de l’Eglise même qu’elle servait si magnifiquement, de cette Eglise qui, le 15 octobre 1950, devait la mettre sur les autels, mais dont un des représentants se montra pourtant aussi injuste et incompréhensif que possible. C’était l’évêque d’Autun, Mgr d’Héricourt, ancien officier entré tard dans les ordres, et qui avait gardé, sur le trône épiscopal, le ton de commandement du capitaine de cavalerie. Sous prétexte que la Mai son Mère des Sœurs de Saint-Joseph, Cluny, était dans son diocèse, il eut la prétention de tout contrôler dans la Congrégation.

La Mère Javouhey avait trop le sens des problèmes mondiaux et de ce qu’elle avait à faire pour accepter, les yeux fermés, d’être guidée par un prélat, du fond de son évêché morvandiau. Il s’ensuivit un terrible litige où, fort en colère contre ce qu’il appelait une « révoltée », l’évêque alla jusqu’à obtenir du Préfet apostolique de la Guyane qu’il privât la Mère Javouhey des sacrements, mesure exorbitante! On imagine ce que dut être une telle épreuve pour cette âme sainte, qui ne vivait qu’en Dieu, et quel déchirement elle devait connaître quand elle voyait ses filles, les autres religieuses, se diriger vers la table sainte et communier, alors qu’elle, elle en était écartée! Dans ce véritable calvaire, cette femme d’action se montra aussi une haute mystique, une âme pleine de lumière : « Je n’ai plus que vous, Seigneur, murmurait-elle, c’est pourquoi je viens me jeter dans vos bras et vous supplier de ne pas abandonner votre enfant. »


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Message  Monique Sam 25 Juil 2020, 8:30 am

Ainsi, cette épreuve la grandit-elle encore. Pas un mot de colère ne s’échappa de ses lèvres contre l’évêque qui l'a méconnaissait. « Il faut prier pour lui comme pour un de nos bienfaiteurs, disait-elle, puisqu’il nous donne l’occasion de souffrir... » En 1851, Mgr d’Héricourt mourut; on avait fini par le réconcilier à peu près avec la religieuse, mais il continuait à se méfier beaucoup d’elle. En apprenant sa mort, la Mère Javouhey dit doucement, avec un brin de malice bourguignonne « Ce bon Monseigneur est passé avant moi; c’est bien juste; à tout Seigneur tout honneur. » Et elle ajouta qu’elle prierait chaque jour pour son âme.

Elle-même était malade. Elle n’avait pas pu partir pour Rome où le Pape désirait la voir et approuver solennellement son Institut. Une grande faiblesse la gagnait de jour en jour; le 15 juillet, elle mourut, simplement, décidément, ainsi qu’elle avait toujours vécu, sans agonie, s’éteignant d’un seul coup.

Elle laissait, dispersées à travers le monde, neuf cents religieuses environ; elles sont aujourd’hui plus de trois mille cinq cents, réparties en deux cent soixante-neuf maisons, héritières fidèles de celle à qui la race noire a dû peut-être sa promotion à l’égalité avec les autres races, à qui l’histoire chrétienne a dû une de ses pages les plus vivantes, ce, « grand homme » de Mère Javouhey.


A suivre... L’ERMITE BLANC DU SAHARA LE PÈRE DE FOUCAULD
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Message  Monique Lun 27 Juil 2020, 8:09 am

Les Aventuriers de DIEU - DANIEL-ROPS de l'académie française - Page 4 Blesse10

LE PÈRE CHARLES DE FOUCAULD



L'ERMITE BLANC DU SAHARA
LE PÈRE DE FOUCAULD




A la fin de la matinée du 5 mars 1897, un inconnu se présenta à la porte des religieuses Clarisses de Nazareth et demanda à être embauché comme jardinier. La Sœur tourière demeura un instant interdite. Avec sa longue blouse à capuchon, rayé bleu et blanc, son pantalon de cotonnade délavée, son turban maladroitement enroulé, ses sandales éculées et poussiéreuses, il paraissait plutôt un mendiant qu'un travailleur. Mais il s'exprimait en un français impeccable et, de toute la personne de ce petit homme brun, décharné, aux yeux enfoncés et brillants, émanaient, en dépit de sa tenue misérable, une dignité et une force sereine qui en imposaient. « Les Pères Franciscains de Jaffa m'ont dit que votre communauté cherchait un jardinier, ma Sœur, et je suis venus... Puis il ajouta encore : C'est la fête de sainte Colette aujourd'hui, n'est-ce pas? » La bonne Sœur sourit : un homme qui s'exprimait si bien et connaissait sainte Colette, la grande réformatrice des Clarisses, ne pouvait être qu'un homme de Dieu.

Homme de Dieu, d'ailleurs, l'étrange visiteur le parut encore davantage quand, ayant demandé la permission d'entrer dans la chapelle, il n'y resta pas moins de trois heures à adorer le Crucifix, dans la même position, sans même s'apercevoir que la bonne Sœur revenait de temps en temps le regarder, avec une admiration mêlée de stupeur inquiète. Elle était allée prévenir sa Supérieure, la Mère Saint-Michel, qui avait doucement souri, « Je sais, Laissez-le, avait-elle répondu. Quand il aura terminé ses oraisons, menez-le au logement du fond du jardin et installez-le avec soin. »


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Message  Monique Mar 28 Juil 2020, 10:42 am

La Soeur tourière ne devait pas être au bout de ses surprises. Impossible d'installer le nouveau jardinier dans le petit logement propret qui lui est destiné : il ne veut qu'une pauvre cabane, dans un enclos solitaire en lisière de la bourgade. Il refuse tout lit, tout matelas, toute couvertures, et les nuits de printemps en Galilée sont fraîches. Quand on lui parle des repas et de la façon qu'on les lui donnera, il hoche la tête et répond avec un bon sourire, qu'une poignées de graines pilées dans de l'eau lui suffira simplement.

Bientôt, la communauté entière, et même la petite ville de Nazareth, parlent du jardinier mystérieux . Sa vie n'est-elle pas celle d'un ermite des premiers temps, des plus austère des moines? A quelque heure de la nuit qu'il s'éveille, il se met en prières. L'Angelus, sonnant aux cloches des nombreuses églises qui jalonnent la petite combe, de l'une à l'autre colline, on le voit se diriger, dans l'ombre pâle, vers le couvent de Saint-François où il récite son rosaire jusqu'à 6 heures. Puis il retourne chez les Clarisses, balaie la chapelle, prépare tout pour la messe. Et d'heure en heure, infatigablement, on le voit s'affairer à toutes les tâches : réparer un mur, bêcher le potager, aller à la poste prendre le courrier : quel merveilleux serviteur ont trouvé là les Clarisses! S'il a le moindre moment de repos, il accourt à la chapelle, où il prie, adore, médite, et si c'est loin de la ville arrête dans son travail, on voit remuer ses lèvres tandis qu'il contemple le paysage agreste, les noirs fuseaux des cyprès parmi les olivettes, les bougainvillées pourpres étalées sur les murs, « C'est un saint que nous avons dans notre maison, » commencent à dire les religieuses, et la Mère Supérieure, que les Franciscains de Jaffa ont enseignée, sourit encore sans répondre.


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Message  Monique Mer 29 Juil 2020, 7:17 am

Quant à savoir du jardinier qui il est, c'est peine perdue. Des bruits étranges et contradictoires circulent bien sur son compte, mais nul ne songerait à l'interroger, Les uns disent que c'est un ancien Père trappiste venu à Nazareth pour vivre dans une solitude plus complète encore; les autres, que c'est un officier français, Lui, ne parle à quiconque, sauf pour les stricts besoins de son travail.

Un jour qu'au bureau de poste un commerçant bavard et indiscret lui a demandé s'il était vrai qu'en France, il « avait la situation de comte », le bon sourire a reparu sur la face maigre et barbue du jardinier, qui s'est borné à répondre: « Je suis un ancien soldat. » On dirait que cet homme n'a aucun autre but dans la vie que de mettre en pratique la parole célèbre de l'Imitation de Jésus-Christ : « Aime à être inconnu et tenu pour rien » Et si l'on pouvait ouvrir les cahiers où, chaque jour, il consigne ses notes, on y lirait des phrases comme celles-ci : « C'est à l'heure du plus grand anéantissement que Jésus a sauvé le monde »; ou encore : « Jésus a tellement pris la dernière place que personne n'a pu la lui ravir. »


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Message  Monique Jeu 30 Juil 2020, 7:22 am

Qui, parmi tous ceux qui le voient ainsi vivre, pourrait deviner que, sous la tunique brune et le tablier du jardinier des Clarisses, se cache, connu de Dieu seul, un ancien lieutenant au 4° Régiment de Chasseurs d'Afrique, le vicomte Charles de Foucauld ?

Si un homme fut jamais reconquis par le Seigneur de haute lutte, - comme l'avait été un saint Paul ou un Raymond Lulle - ce fut bien le gros garçon vantard, paresseux, dissipé, qui, sous-lieutenant de vingt-trois ans aux hussards de Pont-à-Mousson, s'amusait à étonner la petite ville par ses dépenses folles et ses extravagances.

Orphelin à huit ans, mal élevé par un grand-père trop faible, il n'avait fait d'études que déplorables, n'avait pu être reçu à l'école de Saint-Cyr qu'un des derniers, avait tôt perdu toute foi, toute piété, et même presque toute règle de morale. Jetant l'argent par les fenêtres, s'habillant avec une recherche ridicule, courant dès que possible à Paris y chercher de tristes a amusements, on eût dit qu'il s’appliquait à donner de lui la pire image.


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Message  Monique Ven 31 Juil 2020, 9:11 am

En 1887, cependant - il avait alors vingt-trois ans une circonstance fortuite l'avait arraché à lui-même et avait fait pressentir en lui une meilleure étoffe que celle qu'il étalait. Son régiment, devenu le 4° Chasseurs d’Afrique, fut jeté au combat contre un Chef algérien qui, dans le Sud-Oranais, prêchait la guerre sainte contre les Français. Foucauld qui, alors, se trouvait en congé et en profitait pour continuer à Evan ses désordres, bondit à la nouvelle. Le descendant d'un soldat de saint Louis sentit bouillir en lui son sang. Casino, plage, jeux, quand ses camarades se battaient ? Il vola à Oran, reprit son uniforme et rejoignit son escadron.

Dans cette campagne, qui fut rude, il se révéla un chef: énergique et courageux, sachant supporter gaiement toutes les fatigues, s'occupant activement de ses hommes. Le soldat avait arraché en lui les guenilles du fêtard, et l'Afrique, la dure et austère Afrique avait commencé à exercer sur lui son impérieux attrait. Il ne devait plus se séparer d'elle.

Il y a, dans ce continent pour ceux qui le connaissent, un charme qui ne ressemble à nul autre. Ses vastes horizons, la nudité de ses paysages désertique, la splendeur jaillissante des oasis bleues de palmes et, étendu par-dessus des immensités inhumaines, son grand ciel bleu dur, criblé d'étoiles dans la nuit, tout cela prête au rêve et s'impose à l'âme avec une puissance irrésistible. Tous ceux qui ont pratiqué l'Afrique l'ont aimée.


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Message  Monique Sam 01 Aoû 2020, 6:11 am

Charles de Foucauld fut de ceux-là. L'insurrection matée, il décida de se consacrer tout entier à connaître, à faire connaître l'Afrique. A cette époque, une des parties les moins explorés était le Maroc, pays où l'Européen était si mal vu que s'aventurer en dehors de la route officielle, dite « chemin des embassades », par où les représentants des divers Etats décrédités devaient passer pour aller aux capitales du Sultan, était tout simplement risquer la mort. Charles de Foucauld décida d'aller explorer ce pays de mystère, et, pour cela, d'apprendre l'arabe et de se déguiser en commerçant juif afin de passer inaperçu. Affublé d'un caftan grenat, long comme une soutane, la tête coiffée d'une calotte rouge entourée d'un turban, un authentique juif l'accompagnait, Mardoché, d'ailleurs poltron, geignard et pas très sûr; quant à lui, Foucauld, il s'était si bien déguisé d'une tunique syrienne, d'un gilet turc, d'une culotte de toile et d'un turban que ses anciens camarades de Sétif, le rencontrant, ne le reconnurent point.

Par Tétouan, entré au Maroc en juin 1883, il devait y rester jusqu'en mai 1884. Le jeune audacieux - il avait vingt-six ans alors s'enfonça sans trembler dans le Maroc hostile.Tantôt passant inaperçu, tantôt démasqué et menacé de mort et parfois, aidé par des chefs locaux, il réussît à faire un voyage de plus de trois mille kilomètres, parcourant le pays en tous sens, prenant des notes et des croquis, relevant des itinéraires, étudiant la géographie, les moeurs, les arts, émerveillé, de la beauté et de la richesse de ce pays encore neuf. En maints endroits des mots qu'il entendait lui révéla un état d'esprit favorable à la France: « Quand les Français entreront-ils? Quand viendront-ils rétablir l'ordre, supprimer les brigandages et les guerres entre les tribus? » Par Taza, Fez, Sefrou, Bou-el-Djad, le Tadla, puis Tikirt et Tisint, sa course zigzagante le ramena enfin, sale, hâve, éreinté, la bourse vide, à Mogador où le concierge du Consulat de France eut bien du mal à croire qu'il avait devant lui un officier de cavalerie français! La grande médaille que la Société Géographie décerna à l'explorateur pour les deux livres où il raconta son voyage fut assurément fort méritée... Certes, une telle vie d'action et d'aventure valait infiniment mieux que cette existence de dissipation et, d'indolence que Charles de Foucauld avait jusqu'alors menée.


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Message  Monique Dim 02 Aoû 2020, 10:45 am

L'Afrique l'avait rendu à sa dignité d'homme, lui avait appris cette discipline de l'effort qu'il n'avait pas su connaître dans sa jeunesse. Mais elle avait fait plus encore. Au Maroc, ce que le voyageur avait découvert, c'était la foi religieuse. S'il un type d'humain que le Musulman méprise et rejette, c'est celui qui ne croit à rien. Ne pas avoir de religion, pour pour lui, c'est être pire qu'un chien. L'Islam peut être une doctrine entachée d'erreur, bien inférieure à la Révélation chrétienne; le grand mérite de ceux qui lui sont fidèles est qu’ils mettent scrupuleusement en pratique les principes, qu'aucun ne se permet de s'en moquer.

A voir tous les musulmans faire avec soin leurs prières rituelles trois fois par jour, rencontrer des marabouts et des maîtres ès Coran savants et respectables, Charles de Foucauld en était venu à se demander si lui, fils de chrétiens - un de ses parents avait été croisé, un autre avait servi sous les ordres de Jeanne d'Arc, un était mort, prêtre martyr, sous la Révolution ne trahissait pas un grand idéal en vivant dans l'incrédulité et le refus de Dieu, Sous les tristes apparences de l'officier dissipé, sous celles, plus respectables, de l'explorateur audacieux, l'âme était demeurée généreuse, intacte, assoiffée de grandeur. Dieu avait fait déjà en lui un grand chemin.


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Message  Monique Lun 03 Aoû 2020, 8:05 am

Le voici revenu en France où il s'est trouvé dépaysé. Retourné en Afrique, il décide un nouveau voyage, cette fois en direction du Sahara, par Laghouat, les villes mystérieuses du Mzab groupées autour de Ghardaïa, El Goléa, et retour par les chotts de Tunisie et Gabès : pour la première fois, il a découvert les solitudes du grand désert, les lents cheminements sur la piste, le silence où seul le vent poursuit sa plainte monotone. Méditant, au pas rythmé de son chameau. il pense à Celui qui a ordonné le monde, à qui les autres obéissent dans leur course, et qui est plus immuable que ces immuables espaces, l'Éternel! Des voix intérieures parlent en lui une langue qu'il hésite à entendre ...

Quand il rentre à Paris, un hasard - dont il faut bien penser qu'il était le moyen de la Providence - le plaça en face d'un prêtre admirable, dont beaucoup de fidèles disaient qu'il était un saint. L'abbé Huvelin, vicaire à l'église Saint-Augustin, était un homme encore jeune, mais d'apparence frêle et maladive, le visage ravagé de rides, les jambes gênées par le rhumatisme : mais, sur sa face souffreteuse, se voyait le reflet de la Lumière. Ancien élève de l'école Normale Supérieure, c'était, en même temps qu'une âme sainte, un esprit de premier ordre, une intelligence supérieurement armée. Une des parentes de Foucauld lui parla de ce prêtre. Et, aussitôt, la voix intérieure de lui dire: « Va! il t'attend! »

Docile, il obéit. Monsieur l'abbé, murmura-t-il en se trouvant devant le vicaire, je n'ai pas la foi, mais je voudrais être instruit de la religion catholique. - « Mettez-vous à genoux, lui répondit le prêtre, et confessez vos péchés ... Je n'ai pas la foi, reprit, en balbutiant, l'ancien officier fracasseur. (L'autorité de cet homme de Dieu lui en imposait.) - Confessez-vous! » Ainsi fut fait. C'était un matin, peu avant Pâques 1888. « Vous êtes à jeun? » demanda encore le prêtre. Et sur la réponse affirmative : « Allez immédiatement à l'église, une messe va commencer, vous vous approcherez de la Sainte Table. » Ce fut ainsi qu'à trente ans, Charles de Foucauld fit ce qu'il devait appeler lui-même : « Sa seconde première communion » .


A suivre...



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Message  Monique Mar 04 Aoû 2020, 9:15 am

Et, quelque quinze mois plus tard, on pouvait voir arriver à l'abbaye de Notre-Dame des Neiges, dans ce coin sauvage des plateaux de l'Ardèche, battu par le mistral et tout criblé de neige, un homme dont désormais la vie avait trouvé son sens. Sous la coule blanche des fils de saint Bernard, vicomte Charles de Foucauld rejetterait loin de lui, pour toujours, le monde et sa jeunesse folle et, longuement, expierait ses péchés. Mais la discipline de la Trappe lui ferait-elle oublier l'Afrique, et ces hommes qu'il y avait connus, honnêtes, mais vivant dans l'ignorance de la vérité chrétienne ? Un autre destin ne l'appellerait-il donc pas?

Ce n'est pas une vie commode ni confortable que celle des Trappistes : réveil en pleine nuit, longs offices, dur travail manuel, jeûne sévère, et bien des grandes âmes la jugent suffisante pour mener à Dieu, dans le renoncement. Mais les saints ont des exigences particulières et ce qui convient de simples chrétiens, leur paraît, à eux, encore bien peu. Quittant la Trappe, s'enfonçant dans le total dénuement et l'absolue solitude où nous l'avons vu à Nazareth, Charles de Foucauld poursuit une route sur laquelle Dieu lui-même l'a engagé et qu'il continuera jusqu'à la fin, jusqu'au martyre.

Pourtant sa volonté d'être inconnu et tenu pour rien » va être mis à l'épreuve. La Mère Supérieure des Clarisses de Jérusalem, de qui dépendait la communauté de Nazareth, était une femme remarquable, d'une intelligence et d'une énergie peu communes. Elle avait voulu voir le jardinier ermite dont on lui parlait tant, et, l'ayant connu, en peu d'instants, avait reconnu en lui un être missionné par Dieu. Aussitôt elle avait pensé qu'un tel homme devait être prêtre, pour pouvoir faire plus de bien aux âmes, pour être, vraiment un conquérant du Saint-Esprit. Mais aux paroles amicales de Mère Élisabeth, frère Charles répondit : Être prêtre, ce serait me montrer. Je suis fait pour la vie cachée.

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Message  Monique Mer 05 Aoû 2020, 7:53 am

Il fallut bien des exhortations, bien des remontrances pour venir à bout de cet obstiné de l'humilité. Heureusement, son ami, son cher guide, l'abbé Huvelin partageait le sentiment de la religieuse, et Foucauld se soumit. Il rentra en France, retourna à la Trappe, qui lui rappelait ses premiers pas à la trace du Christ, et s'y prépare à la prêtrise avec une ferveur, une austérité,qui firent l'admiration de tous les moines. En juin 1901, des mains de Mgr l'évêque de Viviers, il recevait l'ordination.

Qu'allait-il faire? Rester à la Trappe, non; ce n'était pour lui qu'un passage. Retourner à Nazareth? Les bonnes Soeurs Clarisses n'eussent pas accepté d'avoir pour domestique un prêtre. Mais, dans les retraites où il s'était préparé à être ordonné, Charles de Foucauld avait senti comme une force émanée de Dieu qui le poussait vers un nouveau destin. C'est aux mêmes malades, aux brebis délaissées que le Seigneur a réservé ses meilleurs soins. Ne connaissait-il pas, lui, des milliers d'âmes abandonnées loin de la vérité et qui, cependant, eussent mérité de la recevoir? Des milliers de musulmans du Maroc, ces sept ou huit millions de sahariens, c'est à eux qu'il ira, les mains tendues, leur offrant le Christ. Et, de préférence encore au Maroc, c'est le Sahara qu'il choisira, plus difficile. Son intention est arrêtée: il s'installera dans le désert, en quelque poste militaire dépourvu d'aumônier, et il y sera au milieu des indigènes, le témoin, le porte-parole du Christ. Il y a dix-neuf-cent ans que cette terre, ces âmes attendent l’Évangile ... murmure-t-il, en considérant sur la carte les vastes espaces vides, jalonnés de quelques points, les oasis : c'est lui qui le leur donnera.

Sa méthode, telle qu'il l'a conçue et telle qu'il va le mettre en pratique, se différenciera de celle que les admirables Pères Blancs, fondés par le cardinal Lavigerie, utilisent.

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Message  Monique Jeu 06 Aoû 2020, 7:10 am

Il s'inspirera des ermites qui, au Ve siècle, au VIe siècle de notre ère, dans les déserts d'Égypte et de Syrie, comme le célèbre saint Antoine, ont été de vivants exemples de sainteté chrétienne et, vers qui, peu à peu, les foules sont accourues. Lui aussi. il vivra dans une sorte d'ermitage, silencieux, comme un moine, montrant aux musulmans ce qu'est un vrai chrétien, les aimant et les servant dans L’humiliation, les douceurs de la pauvreté. Même les plus mauvais, les plus brutaux auront droit à sa pitié, car nul n'est exclu de la miséricorde du Christ, et sa maison sera ouverte à tous, ceux qui voudront entendre parler du Ciel et du Royaume de Dieu.

Ce programme, il se mit en devoir de le réaliser aussitôt. Les autorisations nécessaires obtenues, de ses supérieurs comme des autorités militaires, il partit. D'Oran, il s'enfonça vers le Sud, n'emportant avec lui dans quelques caisses que de quoi élever un oratoire. Les officiers des postes du Sud (beaucoup étaient ses camarades), regardèrent passer avec une admiration in peu étonnée, un ancien officier vêtu comme un pauvre Bédoin et qui se nourrissait d'une poignée de dattes arrosées d'eau. Ce fut à Béni-Abbès qu'il se fixa, loin après Figuig et Colomb-Béchar, en bordure du grand Erg, la mer de sable. Quatre compagnies tenaient la garnison, dans un petit fort perché au haut d'une falaise dominant l'oasis.

Le P. de Foucauld refusa de s'installer à l'abri des fusils. Il ne voulut pas non plus se mettre dans la palmeraie, parmi les beaux jardins frais, les vergers de pêchers et de figuiers. Non, à lui, un coin de sable suffirait, un mamelon parmi les dunes roses. L'eau pouvait y être trouvée, en creusant un puits. Avec des poutres, des pierres ramassées, de la terre mêlée d'eau et de paille, les murs de l'oratoire s'élèveraient vite. C'est ainsi que le P. de Foucauld s'installa.


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