Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE VI
PREMIÈRE MISSION ESQUIMAUDE(suite)
Puis une idée vient à l'esprit des deux apôtres: si nous disions la messe devant les Esquimaux, dont un bon nombre
sont arrivés pour traiter leurs fourrures? Nous leur ferions ainsi comprendre, non pas sans doute ce qu'est le Saint-Sacrifice, mais au moins combien nous attachons d'importance à la prière et à tout ce qui nous rattache à Dieu. Ces pauvres gens ne pourraient qu'en être bien impressionnés, et les premières impressions restent d'habitude.
Aussitôt dit, aussitôt fait. De suite un autel avec un simulacre de tabernacle est improvisé, le tout garni de belles tentures et enrichi de dentelles de prix, et chacun des indigènes est convié chez les nouveaux arrivés.
Le lendemain, à dix heures du matin, les Esquimaux se dirigent sur la Mission. Là le P. Turquetil leur donne à entendre qu'ils ont à se découvrir, à mettre pour le moment leur pipe de côté et à se tenir bien tranquilles.
La messe commence alors, célébrée par le P. Le Blanc, pendant que son supérieur tire les accents les plus harmonieux du petit harmonium qu'ils ont apporté avec eux (15). Puis celui-ci essaie de faire comprendre, dans un mélange de mots esquimaux assaisonnés des termes anglais connus de quelques hommes, comment les prêtres n'étaient pas venus comme les gens du fort pour avoir leurs fourrures, ou faire le commerce avec eux, mais pour leur enseigner à bien vivre et par là mériter d'aller au ciel, la patrie commune vers laquelle chacun doit tendre.
Cette première messe au pays esquimau eut au moins l'avantage d'apporter quelque consolation aux deux apôtres qui, dans leur ignorance du véritable caractère esquimau en ce qui est du surnaturel, purent facilement s'imaginer qu'ils avaient fait du bien à leurs ouailles. En réalité, ils leur avaient donné comme une exhibition de ce qu'était leur grande « médecine », leur sorcellerie à eux — telle était sans nul doute l'impression des assistants à cette cérémonie de nature si insolite pour eux.
N'importe, ils étaient heureux, d'autant plus qu'ils travaillaient dès lors à la disposition intérieure de leur demeure, maintenant presque achevée. Le 2 février 1913, ils installaient le Saint-Sacrement dans leur chapelle intérieure minuscule. Dieu était avec eux, et ils étaient avec Dieu. Ils pouvaient maintenant s'attaquer au travail intellectuel et attendre les prémices de leur ministère sacerdotal.
Pour exercer ce ministère, est-il besoin de le dire…
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(15) Tous les primitifs goûtent fort la musique.
A suivre : CHAPITRE VII . SEMANT DANS LES LARMES
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE VII
SEMANT DANS LES LARMES
Pour exercer ce ministère, est-il besoin de le dire, il fallait pouvoir parler convenablement ; car les Esquimaux sont par nature moqueurs et même gouailleurs. Ils n'accepteront que ce qui leur est dit d'une manière correcte. D'où connaissance assez parfaite de la langue comme condition sine quâ non de succès, même relatif.
Or les idiomes des aborigènes américains, modelés sur un type absolument différent de celui des nôtres comme terminologie, et surtout comme morphologie, pour parler comme les savants, c'est-à-dire composés de mots formés d'après des règles difficiles à saisir, ne peuvent guère s'apprendre sans livre, ou du moins sans commencer par faire des fautes monumentales.
Sans être hérissé des mêmes difficultés que, par exemple, les langues dénées de la Colombie Britannique, l'esquimau ne fait pourtant point exception à la règle générale. Il peut se vanter de particularités sui generis. Au point de vue de la prononciation, il est plus abordable, vu que sa phonétique, ses sons, n'ont pas la complexité et la délicatesse de ceux qui distinguent les dialectes dénés; mais ses substantifs et ses verbes subissent tant de transformations, qu'on ne peut faire aucun progrès dans l'étude de cette langue tant qu'on n'a pas découvert le mécanisme qui est à la base de tous ces changements.
L'esquimau n'accolera jamais ensemble deux substantifs, comme les Anglais le font pour des noms comme railway, tramway, steamboat, etc., mais il ouvre en deux le substantif, entre le radical et la terminaison, et y intercale toutes les idées immatérielles, tout ce qui n'est pas substantif, de manière à ne faire qu'un mot du tout. C'est ce qu'on appelle le procédé de l'incorporation.
Ainsi un seul terme pourra signifier, selon sa facture particulière:
Avoir une maison, ou faire une maison;
Avoir une belle maison, ou faire une belle maison, une nouvelle maison.
D'où, par exemple, « et pourtant, je voudrais bien avoir une nouvelle maison », qui se rend par un seul mot. Car « avoir » ne se conçoit pas seul, mais suppose la possession de quelque chose, ce qui peut aussi se dire de « faire, vouloir », etc. De même pour ces idées: « et pourtant », et tout ce qui est adverbe de manière, d'être ou d'agir; comme: « il parle beaucoup, il marche vite », etc. : une seule idée, un seul mot.
Mais il est extrêmement difficile au débutant qui comprend qu'on parle d'une maison de savoir ce qu'on en dit.
Et quand, plus tard, le missionnaire s'essaie à composer ainsi des mots longs de huit à quinze syllabes, il doit connaître les règles de la juxtaposition propres aux différentes idées — car on ne les met pas indistinctement où l'on veut, chacune a sa place dans le mot. Puis il doit bien observer les règles d'euphonie, tel son suivi d'un autre changeant de telle ou telle façon, non pas de telle autre.
Sans quoi il dira parfois tout le contraire de ce qu'il a en tête. Ainsi dans l'expression : " il ne peut presque pas marcher ", qui se rend par un seul mot, si vous mettez la négation à la mauvaise place, vous dites: " il peut marcher, et non pas presque ", c'est-à-dire qu'il est un grand marcheur.
Une autre difficulté pour les missionnaires venait de…
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Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
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Une autre difficulté pour les missionnaires venait de ce que l'Esquimau n'était pas habitué à penser aux choses surnaturelles, et partant n'en parlait pas. Il fallait donc choisir dans son vocabulaire, si riche pour les choses de nature matérielle, les mots, les nuances qui rendraient le mieux l'idée abstraite.
Le P. Turquetil nous apprend dans l'un de ses intéressants rapports comment, au cours de sa troisième année, ayant pu se procurer quelques passages de la Bible traduits en esquimau par les Frères Moraves du Labrador, et ayant lu à ses gens cette recommandation de Notre-Seigneur: « Soyez parfaits comme votre Père du ciel est parfait», les Esquimaux répétèrent ce texte mot à mot, et en approuvèrent pleinement l'exactitude. Mais quand le Père, surpris, leur demanda ce qu'ils avaient compris :
— C'est bien simple, répondirent-ils, le livre dit qu'il faut être gros et gras, jamais malade; il en est ainsi au ciel !
Si des gens qui ont passé des années et des années en compagnie d'Esquimaux, et peuvent profiter des travaux de leurs devanciers (1), commettent de pareilles énormités dans ce qu'ils ont la prétention de donner comme la parole de Dieu, comment, à plus forte raison, deux Français fraîchement débarqués, et sans l'aide d'une page écrite ou imprimée, ne pouvaient-ils pas tomber dans des fautes de prononciation ou de grammaire, en bégayant une langue qui leur avait jusque-là été totalement étrangère?
Ils pouvaient aussi parfois prendre pour le nom de certains objets une expression destinée simplement à dénoter l'ignorance de leurs soi-disant guides linguistiques. Par exemple, un mot apparemment très simple, amiarô, était noté par eux comme l'équivalent de notre substantif « charbon », alors qu'en réalité il signifie: je ne connais pas cela (2).
C'étaient alors parmi les naturels des scènes d'un burlesque achevé. Les Esquimaux étaient pris d'un fou rire incontrôlable qui n'en finissait pas. Ils se roulaient sur le plancher, et quand, finalement, l'un d'eux pouvait s'échapper de la maison des Pères, il appelait hommes, femmes et enfants campés sous la tente, et chacun de s'écrier:
— Allons, Barbu (3), répète donc ce que tu as dit, afin que nous aussi nous puissions rire.
« Sans grammaire, sans dictionnaire, sans professeur, nous avions notre oreille, notre langue, un crayon, du papier et beaucoup de patience », n'en devait pas moins écrire plus tard celui qui avait le don de tant égayer ses ouailles sans le vouloir. Et il finit par réussir dans l'étude de ce qui, au commencement, n'était guère pour lui que mystère sur mystère.
En attendant…
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(1) Les Frères Moraves sont en Amérique nord-est depuis deux cents ans. — (2) La réponse de l'indigène, évidemment, à la question du prêtre: Comment dis-tu charbon? — (3) Le nom sous lequel les Esquimaux connaissaient le P. Turquetil.
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Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE VII
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En attendant, chacun des deux Pères s'occupait de son mieux à la maison, en dehors des heures de classe. Avec les nombreux exercices religieux des Oblats, les mille petits détails du ménage, sinon le parachèvement de l'habitation commune, impossible de rester oisif. En outre, les missionnaires s'échappaient parfois encore, pour apprendre au contact des Esquimaux, et leur montrer un intérêt qui ne pouvait que tourner à bien. C'est ainsi que le P. Le Blanc écrivait en juin 1913 à Mgr Charlebois, O. M. I. son Ordinaire :
« Je suis rarement sorti au cœur de l'hiver. Trois ou quatre fois, habillé de peau des pieds à la tête, je suis allé voir les Esquimaux chasser le phoque et le morse sur la glace. Mon grand nez a pâli plusieurs fois devant les bourrasques qui le fouettaient, mais les Esquimaux veillaient sur moi, et venaient le frotter lorsqu'il se gelait . . .
« Nous avons passé de longues soirées d'hiver à faire toutes sortes de petits travaux de menuiserie, de sculpture, etc., tout en étudiant la langue . . .
« Nous voici à la mi-juin bientôt. J'ai peine à y croire. Nous avons encore de la neige et de la glace partout, et pas un arbre, pas une fleur ne vient nous annoncer que la saison chaude arrive. Quel triste pays quand même! Mais ce qui n'est pas triste, Monseigneur, c'est notre petite vie de famille et notre affection pour vous » (4).
Ces petites sorties ne pouvaient avoir que de bons résultats, sans compter qu'elles constituaient pour les missionnaires d'honnêtes récréations les jours sur semaine. La vie était si monotone, au sein de leur grand silence blanc, comme on a baptisé leur milieu ! Le dimanche, il en allait autrement, et cette remarque nous rappelle la grande croix que les deux apôtres eurent si longtemps à porter.
Il y avait près d'un an qu'ils s'étaient établis parmi les Esquimaux, et ils n'avaient pas encore eu le moindre ministère à exercer, pas même un baptême d'enfant à conférer. Pas encore le plus faible signe d'une velléité de conversion, ou d'une simple tendance à accepter l'instruction, forcément fragmentaire, ou les manières de faire, de ceux qui avaient tout quitté pour sauver leurs âmes !
Que dis-je? Il semblait même que ces esprits grossiers n'avaient pas encore saisi la nature de leur mission parmi eux!
« Les dimanches et les jours de fête sont assez tristes », écrivaient les deux Pères à Mgr Langevin, O. M. I., archevêque de Saint-Boniface. Nous avons presque toujours du monde, mais pas un seul chrétien, personne qui comprenne quelque chose aux cérémonies, pas de cloche, pas de confessions ni de communions, pas même de catéchisme, juste quelques Esquimaux qui viennent pour entendre la musique et par crainte de nous déplaire en ne venant pas.
« Ces pauvres gens nous prennent pour des sorciers, et croient que nous pourrions les tuer, si nous n'étions pas contents. Ils ne connaissent pas mieux. Quand ils voient l'autel illuminé, les ornements, le prêtre qui prie, chante, asperge ou encense, la petite lampe qui brûle constamment dans la chapelle, quand ils nous entendent dire le chapelet, réciter les litanies — comme il n'y a personne pour leur expliquer ce que cela veut dire — ils pensent que nous faisons quelque sorcellerie, et ils ont peur, ne sachant pas à quel esprit nous nous adressons.
« Eux ils croient à des dieux ou à des déesses au fond de l'eau, qui sont les maîtres absolus des hommes et des animaux. Des sorciers consultent ces esprits, et, comme ils sont grassement payés pour faire leur magie, ils ne seront pas les premiers à se convertir » (5).
A côté de cette ignorance…
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(4) Les Cloches de Saint-Boniface, pour 1913, p. 412. — (5) Ibid., 1914, p. 134.
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Louis- Admin
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A côté de cette ignorance, sinon indifférence, religieuse qui fendait le cœur des apôtres, il y avait encore les soucis d'ordre matériel qui surgissaient longtemps après les pre-
mières difficultés de leur installation au pays. Par exemple, leur vicaire apostolique, Mgr Charlebois, leur avait envoyé, non seulement un courrier abondant, mais des provisions et du combustible — combien nécessaire! — mais ils ne reçurent rien. Leur supérieur fut longtemps sans pouvoir communiquer avec eux, mais apprit par un tiers que les deux missionnaires et trois ou quatre employés de la compagnie de la baie d'Hudson, ayant ramassé tout ce qui restait du combustible de l'année précédente, logeaient tous ensemble dans une unique chambre, vivant de la chasse tout comme ceux que les premiers étaient venus évangéliser.
Qu'était-il donc arrivé?
Tout d'abord, ne recevant rien du monde civilisé, et le bateau sauveur s'obstinant à ne pas faire son apparition au moment voulu, ils avaient commencé par faire la guerre au caribou. Malheureusement ce gibier se tenait soigneusement loin de leurs fusils, bien plus, du pays tout entier. En sorte que, pressées par la famine, les autorités de la compagnie des traiteurs avaient dépêché à Churchill, lieu de ravitaillement, une baleinière montée par des Esquimaux.
C'était en juin 1913. Enfin, pensait-on, on allait avoir vivres et correspondance. Les semaines, puis les mois, se succédèrent; rien n'arrivait. L'automne, si vite suivi de l'hiver dans ces parages, approchait, et l'on s'attendait jour après jour à voir poindre à l'horizon les blanches voiles de la baleinière qui allait sauver la situation. Les yeux inquiets de traiteurs et missionnaires en furent pour leur peine. Rien ne vint.
L'année s'acheva pour tous dans ce qu'on pourrait qualifier de morne consternation. Or le 10 janvier, un cri retentit soudain:
— Les voilà qui arrivent.
— Qui?
— Les Esquimaux, nos baleiniers.
— Sont-ils tous vivants?
— Oui, tous vivants.
— Deo gratias! s'écrièrent les deux prêtres; merci, merci (6) , fit la foule.
On apprit bien vite qu'une goélette de cent tonnes, destinée à faire le service entre Churchill et Chesterfield Inlet n'étant point arrivée à temps, les Esquimaux de la baleinière avaient repris la mer, et étaient sur leur retour lorsqu'ils furent assaillis par une tempête qui jeta leur embarcation sur les rochers de la côte, où elle se perdit corps et biens.
L'un d'eux se mit alors en route pour Churchill, dans le but d'y trouver secours et assistance, mais il tomba sur un autre groupe de naufragés, dont le bateau, maintenant en pièces lui aussi, avait été envoyé pour ravitailler Chesterfield. N'était-ce pas jouer de malheur?
Tout était perdu ; dix ou douze tonnes de provisions et deux sacs de lettres, etc., dont l'un fut bien recouvré, mais avec presque tout son contenu en bouillie!
Donc maintenant…
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(6) Chez sauvages et Esquimaux, ce mot français est reconnu comme l'expression de la reconnaissance.
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Louis- Admin
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Donc maintenant disette intellectuelle pour les missionnaires: pas de courrier, et disette matérielle, point de vivres! Tout le monde s'en ressentit, naturellement, indigènes et blancs, mais pas tous au même degré, vu que les premiers peuvent faire bombance avec ce qui fait horreur aux seconds.
La Compagnie avait acheté d'eux des peaux de morse qui. écrit le P. Turquetil, « ne sentaient pas la rose » (7), étant donné l'état de semi-putréfaction de l'animal auquel elles avaient appartenu. Après les avoir laissé tremper dans l'eau, on les coupa en lanières à coups de hache, et, bouillies pendant vingt-quatre heures, ces peaux, qui sont extrêmement épaisses et coriaces, servirent de nourriture aux natifs et probablement à d'autres.
« Ce qui est difficile, ce qui est impossible », écrivait encore le directeur de la mission, « c'est de refuser [l'aumône] aux gens qui se trouvent dans une situation extrême. Il nous arrive des voyageurs dont les chiens sont morts de faim en route, et ces pauvres gens, exténués eux-mêmes, exposent si bien leur cas quand nous les questionnons que, sans rien demander ni quêter, ils excitent la pitié et obtiennent toujours quelque chose » ( 8 ).
En dépit de leur propre détresse, les Pères avaient alors toute une famille à leur charge : père, mère et deux enfants ; puis ils adoptèrent temporairement le bébé d'un des Esquimaux naufragés.
Ce qu'il y avait de plus déplorable dans les circonstances était le fait que la disette qui sévissait parmi les indigènes était trop souvent due à leur attachement à leurs superstitions, qui prohibaient tel et tel travail en telles et telles conditions, défense ridicule contre laquelle invectivaient en vain les deux prêtres.
Ceux-ci, le plus âgé surtout, pouvaient maintenant se faire assez comprendre de leurs ouailles — si l'on peut appeler ainsi des gens qui n'appartenaient nullement à leur bercail. Le P. Turquetil se crut dès lors assez fort en esquimau pour donner son premier sermon. C'était le jour de la Pentecôte 1915, et l'impression qu'il produisit fut, paraît-il, énorme. Mais ce fut un succès de nouveauté. L'Esquimau, né malin, incrédule et gouailleur, ne se laissa pas si facilement gagner.
Du reste, disons-le à la honte de notre civilisation…
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(7) Missions des O. M. I., 1914, p. 322. — ( 8 ) Ibid. p. 323.
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Louis- Admin
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Du reste, disons-le à la honte de notre civilisation, un obstacle à la conversion des indigènes qui n'était pas à dédaigner était le scandale causé par quelques-uns des blancs qu'ils connaissaient, et qui se faisaient une gloire de ne croire ni à Dieu ni à diable — sans doute pour pouvoir être plus libres dans leurs rapports avec les Esquimaudes.
Mais les Esquimaux, qui étaient encore pires au point de vue des mœurs, fermaient volontiers les yeux sur leurs dérèglements, et ne considéraient dans le blanc que les effets de son génie : machines de toutes sortes, produits aussi précieux qu'admirables et inventions toutes plus extraordinaires les unes que les autres.
— Si ce que dit le Barbu est vrai, disaient-ils, les blancs, qui ne sont pas fous, le sauraient aussi bien que lui, et se garderaient de tout ce qui pourrait les mener en enfer.
Puis, pour en avoir le cœur net, ils allèrent jusqu'à demander formellement à ces blancs ce qu'ils pensaient de l'enseignement du prêtre.
— Mais c'est bien simple, assurèrent-ils; votre Barbu est un fou, dont personne ne voulait dans son pays. Ne pouvant rester là, il est venu ici essayer de vous initier à ses folies.
Et les Esquimaux juraient bien qu'on ne les y prendrait pas, résolution qui n'était pour eux que trop facile à tenir, vu qu'ils sont par nature tenaces dans leurs idées et ancrés dans les croyances et pratiques qu'ils tiennent de leurs ancêtres.
Pendant ce temps…
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Louis- Admin
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Pendant ce temps, de généreux bienfaiteurs, même dans la vieille France, s'intéressaient au sort des missionnaires et de ceux qu'ils ne pouvaient encore regarder comme leurs ouailles. Parmi ces bienfaiteurs le P. Gasté avec ses amis de Laval, ne fut pas le moindre. Dès le 23 avril 1912, il leur envoyait, avec une bonne somme d'argent, certains objets que je ne puis m'empêcher d'énumérer ici.
C'étaient un petit calice de voyage ayant servi au P. Gasté dans son oratoire privé; un ciboire neuf tout en vermeil donné par la Comtesse de Quatrebarbes ; une croix d'autel avec ses chandeliers; un encensoir avec sa navette; une étole pastorale noire, une chape rouge, deux ornements blancs, un ornement vert, un autre violet, un autre encore pour voyages à cinq couleurs. Puis du linge d'autel : pâles, purificatoires, corporaux, amicts, manuterges, quatre aubes, bourse pour bénédictions, etc. En plus, il y avait pour un Père ou un Frère une couverture, trois excellents pardessus ayant appartenu à un M. de la Péraudière, etc.
Puis c'étaient, en différentes fois, des sommes d'argent variant entre 500, 800, 1,300 et 1,500 francs.
Plus précieux encore pour les deux missionnaires étaient les encouragements qui leur venaient du vétéran retiré avec sa sœur, alors âgée de 91 ans.
« Faut-il vous dire, mes bons Pères », écrivait le P. Gasté, « que votre héroïque courage, votre patiente endurance, en même temps que votre gaîté imperturbable et votre admirable union m'édifient singulièrement, et non pas moi seul, mais encore tous ceux qui peuvent connaître par vos lettres (9) vos lourdes épreuves, non moins que votre rude genre de vie dans ces déserts de glace, où vous travaillez si généreusement à la gloire de Dieu et au salut des âmes les plus abandonnées » (10)
Et de peur que le découragement ne vînt enfin les abattre en présence de l'apparente inutilité de leurs efforts, le même P. Gasté leur mandait deux ans plus tard :
« Quelques entraves que présente à votre ministère actuel l'état des choses qui vous entourent encore, ne désespérez point de l'avenir. Votre endurance religieuse et héroïque vous prépare des triomphes superbes, si vous savez tenir jusqu'au bout. Dussiez-vous ne pas voir vous-mêmes ces triomphes, ce que j'ai peine à croire, vos successeurs récolteraient le fruit de vos travaux. Vous auriez semé dans des larmes bien méritoires, ils récolteraient, eux, dans la joie et la reconnaissance les gerbes abondantes de la moisson que vous leur auriez préparée.. .
« Courage, donc, toujours et quand même, bien chers frères et amis de cœur » (11).
Ces encouragements étaient bien réconfortants, d'autant plus qu'aucun changement n'était alors visible dans les dispositions des Esquimaux, gens tenaces s'il en fut, qui n'abandonnent qu'à bon escient la voie suivie par leurs pères.
Néanmoins l'expérience a prouvé que…
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(9) Que reproduisait la Semaine Religieuse de Laval. — (10) Laval, 3 juin 1914. — (11) Laval, le 5 juin 1916. Le P. Gasté avait alors près de 86 ans et sa sœur 93!
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Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
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Néanmoins l'expérience a prouvé que, comparés aux Indiens, qui les méprisent autant qu'ils en sont méprisés (12), il y a chez eux de l'étoffe pour de grandes choses, de fait, plus qu'on en trouve chez les sauvages. Ceux-ci, je me permettrai d'assimiler à une pelote de caoutchouc pleine d'air. Vous la pressez avec le doigt; elle cède de suite, mais revient aussi vite à son état premier dès que vous la lâchez.
C'est le cas de l'Indien qui, n'osant vous contredire en face, suit immédiatement vos directives, quitte, dans trop de cas, à revenir à son vomissement.
La boule à laquelle je comparerai l'Esquimau n'est pas pleine de vent; elle est solide et résiste à la pression du doigt; mais quand cette pression est parvenue à avoir raison de sa résistance, elle retient la forme que vous lui avez imprimée.
C'était là une caractéristique que les premiers missionnaires ne pouvaient deviner. En attendant, ils « semaient dans les larmes » (13) ; récolteraient-ils un jour dans l'allégresse? Le P. Turquetil ne se décourageait point devant les moqueries à peine voilées dont sa prédication était l'objet; mais il n'en était pas de même de l'excellent P. Le Blanc, tout bon, généreux et confiant qu'il était.
Lui aussi dut se mettre à prêcher. Il le fit un an après son supérieur. Mais quand, après avoir bien préparé son sermon, il entendit ses plus grands amis, ceux pour lesquels il s'était pendant presque quatre ans dévoué corps et âme, rire de lui et dire qu'il devait être aussi bête que le Barbu pour ajouter foi à pareilles sornettes, il en fut tout déconcerté, et reçut comme un choc dont il ne devait pas se relever. Il avait été si bon pour les Esquimaux ; il se glorifiait de n'avoir que des amis parmi eux, et voilà comment ils l'en récompensaient!
Il se reprit pourtant assez vite, et continua même à prêcher, mais sans résultat.
Plus tard, un courrier de France lui apprit à la fois la mort de son père et celle de trois de ses frères tombés au champ d'honneur. C'en était trop pour lui, et la nature exigea un copieux tribut de larmes. Malheureusement, il fut surpris pleurant par un Esquimau, qui en fut scandalisé.
— Comment? dit-il, mais après tout ce n'est qu'une femme ! Voyez-le donc qui pleure !
Cette circonstance scella son sort. Désormais, dans la solitude de la Mission, son état ne fit qu'empirer, et, peu après, son supérieur dut se convaincre qu'un changement d'air et de scènes était devenu impérieux pour lui.
« Autre épreuve », écrivait-il le 11 septembre 1916, « le R. P. Le Blanc, mon compagnon, est ruiné de santé ; on ne le reconnaît plus. Heureusement le bateau arrive; autrement il n'y aurait plus d'espoir pour lui de se rétablir » (14).
Le pauvre Père s'en alla donc avec le départ du Nascopie. Mais il ne survécut point au voyage (15). Pendant ce temps, le P. Turquetil restait seul prêtre à la Mission, situation de tous points douloureuse dans un poste si isolé. Il était évidemment écrit qu'il boirait jusqu'à la lie le calice que le Ciel lui présentait. Quatre années de perdues apparemment; pas une seule conversion, pas un baptême même d'enfant? Au lieu de cela les rires et les moqueries de ceux dont il s'était promis de sauver les âmes !
Et pourtant, indice d'un caractère fortement trempa, il ne se découragea point.
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(12) Les Esquimaux prétendent que les Indiens sont issus de leurs lentes. — (13) Ps., CXXV, 5. — (14) Les Cloches de Saint-Boniface, 1916. — (15) A l'annonce de sa mort, Mgr Charlebois, très ému, déclara: «Je sens que mon vicariat perd, en la personne du R. P. Le Blanc, un missionnaire dévoué, prêt à tous les sacrifices et aux plus grandes privations pour la conversion des pauvres Esquimaux. Je considère qu'il est victime de son grand dévouement pour le salut des âmes. » (Ibid., ibid., p. 313).
A suivre : Chapitre VIII : Récoltant dans l'allégresse.
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Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE VIII
RÉCOLTANT DANS L'ALLÉGRESSE
« Le P. Turquetil restait seul prêtre », ai-je dit. Il ne fut jamais seul Oblat à la mission qu'il avait fondée quatre ans auparavant. Car lorsque le Nascopie était arrivé, le 7 septembre 1916, en était débarqué un frère convers dans toute la force de l'âge qui, comme compagnon, en valait deux sous bien des rapports.
Né à Saint-Tite des Caps, diocèse de Québec, au cours de 1885, le Frère Prime Girard, c'était son nom, avait fait ses premiers vœux en 1904 et ses derniers dix ans plus tard. Il appartenait depuis assez longtemps à la province du Manitoba, qui, pour les Oblats, comprend le diocèse de Régina, où il travailla quelque temps, lorsqu'il s'offrit spontanément pour la difficile mission des Esquimaux de la baie d'Hudson, et le P. Turquetil, qui n'était point lui-même d'humeur morose, allait passer de bonnes journées avec lui.
Car le Frère Girard, il ne peut y avoir de mal à le dire, est ce qu'on est convenu d'appeler un type impayable. Véritable boute-en-train, aussi enjoué qu'actif, il a le don de dérider le misanthrope le plus invétéré, surtout lorsqu'il vous attaque avec les quelques mots latins qu'il a retenus d'une éducation qui n'était point préparatoire à l'état de frère convers, ou qu'il vous accable de grands mots scientifiques, parfois quelque peu écorchés, terminant le tout par un solennel : « Voyez-vous, nous autres savants »... couronné d'un formidable éclat de rire.
Le cher Frère se mit de suite à l'étude de la langue, et sous l'excellent guide qu'était maintenant le P. Turquetil, il ne tarda pas à faire des progrès qui réjouirent grandement maître et élève, d'autant plus que celui-ci était sérieux dans son enjouement et aussi laborieux que plein de zèle. Sa carrière ultérieure allait, du reste, le prouver abondamment.
Un autre sujet de consolation pour son supérieur allait bientôt consister dans une première recrue, lilium inter spinas (1) une jeune fille de dix-sept à dix-huit ans, baptisée sous le nom de Maria. Elle allait donner satisfaction malgré les difficultés de sa situation. Il lui fallait bien du courage, en plein milieu païen, tous ses parents, jusqu'à son père et sa mère, se moquant d'elle et essayant de la pousser au mal. Elle assistait à la messe chaque jour, et communiait le dimanche et les jours de fête. La communion, le Saint-Sacrifice, le scapulaire et la prière, telle était sa sauvegarde.
Mais hæc quid sunt inter tantos ? (2) qu'était cette jeune fille entre tant d'autres? pourrais-je dire, en altérant légèrement le sens de la question évangélique. Les Esquimaux comme peuplade restaient parfaitement infidèles, bien décidés à ne jamais se faire chrétiens.
Or la grande guerre battait son plein. Nombre de missionnaires étaient au front, plusieurs avaient disparu, et beaucoup de troupeaux se trouvaient sans pasteur. D'un autre côté, inutile de compter sur de plus jeunes; tous étaient mobilisés.
De plus, à l'époque où nous sommes…
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(1) « Lis entre les épines ». Cant., II, 2. — (2) Joan., VI, 9.
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Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE VIII
RÉCOLTANT DANS L'ALLÉGRESSE(suite)
De plus, à l'époque où nous sommes arrivés dans notre récit, 1916, sur les quatre Pères oblats qui avaient évangélisé les Esquimaux — dont deux non loin de la mer Glaciale, — trois étaient morts. Les PP. Rouvière et Leroux avaient été massacrés par ceux qu'ils s'efforçaient de convertir, tandis que le compagnon du P. Turquetil était mort à la peine. Celui-ci restait seul vivant.
Mais pas encore un seul baptême (Maria avait été baptisée à Churchill par une dame catholique), pas même l'espoir d'en avoir aucun pendant de longues années! Les Esquimaux passaient alors pour inconvertissables auprès de bien des gens qui croyaient les connaître. De partout on entendait dire:
— On vous le disait bien ; vous avez perdu trois Oblats sur quatre: vous allez perdre le quatrième. C'est tout ce que vous gagnerez. Le temps n'est pas encore venu d'évangéliser les Esquimaux.
Un peu sous cette impression, et aussi devant le manque de missionnaires pour les places où il y avait des chrétiens, MgrCharlebois, tout saint homme qu'il était, écrivait au P. Turquetil:
« Il faut me dire si vous avez quelque espoir de faire des baptêmes sous peu. Si oui, je vous laisserai encore là-bas; si non, il faudra revenir l'année prochaine. J'ai trop de missions sans prêtre ».
C'était en 1916. Le Père ne put répondre qu'une chose, à savoir qu'il était sûr du succès final, mais qu'il lui était impossible de prévoir aucune conversion à brève échéance. Il y avait plutôt comme une recrudescence de moqueries, sinon d'hostilité, parmi ses gens. A peine deux ou trois individus se prétendaient les amis du missionnaire; mais c'était par intérêt matériel. Il n'y avait rien de sérieux. Et il attendait.
Dans cette extrémité…
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE VIII
RÉCOLTANT DANS L'ALLÉGRESSE(suite)
Dans cette extrémité, notre apôtre eut recours aux bons offices d'un ami lointain, mais haut placé dans le monde missionnaire. C'était MgrFréri, alors Directeur Général pour l'Amérique de l'Œuvre de la Propagation de la Foi, à New-York. Il lui demanda d'intervenir près de son Ordinaire. Le prélat américain écrivit une belle lettre à l'évêque canadien, qui le porta à patienter encore un peu.
Le bon P. Gasté avait écrit à une bienfaitrice de Laval : « Si le P. Turquetil ne trouve pas le moyen de se tirer de ce mauvais pas, aucun autre ne pourra le faire » (3). C'était le plus grand compliment qui eût pu être décerné à son habileté, à son sens pratique, et cela par quelqu'un qui l'avait bien connu au lac Caribou. Nous voyons par sa récente démarche que le vétéran lavallois ne s'était pas trompé.
Néanmoins la situation devenait critique. Sans amélioration prochaine dans les dispositions des indigènes, pas de délai possible. Il fallait les abandonner à leur sort. Mais Dieu ne pouvait laisser tant de foi de la part de son serviteur, tant de dévouement apparemment inutile, tant de patience et de sacrifices en dépit de la plus décourageante indifférence, sans finir par se laisser toucher. Le salut était proche, mais l'Auteur de tout bien voulut que l'une des âmes qui lui étaient le plus chères en devînt l'instrument.
Quelques mois après…
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(3) Lettre à Mlle Charlotte Croissant, de Laval.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE VIII
RÉCOLTANT DANS L'ALLÉGRESSE(suite)
Quelques mois après la communication de son Ordinaire, un courrier extraordinaire apporta au prêtre quelques lettres qui s'étaient attardées en chemin, pour avoir manqué le bateau d'été. A côté de cette correspondance, il trouva une toute petite brochure: Histoire d'une petite âme, qui attira son attention. Pour la première fois, notre Père normand entendait parler d'une compatriote, Sœur Thérèse, morte en odeur de sainteté. Il vit que cette « Petite Fleur » du Bon Dieu avait quitté la terre dans le diocèse où lui était né, et l'on prétendait qu'elle s'intéressait beaucoup aux missions.
Puis, dans un bout de papier plié en quatre, il trouva un peu de terre provenant, assurait-on, de sous le premier cercueil de la servante de Dieu. Alors, de concert avec le Frère Girard, il jeta quelques grains de cette terre sur les cheveux de païens, tout à fait à leur insu, et cela pendant qu'on leur faisait admirer quelques images.
Chose étrange, le dimanche suivant ils vinrent à la messe, alors que ces gens étaient dans l'habitude de partir ce jour-là à la chasse, en recommandant au prêtre de bien prier, de bien chanter: « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien », mais ajoutant qu'eux avaient bien plus de confiance dans leur fusil.
Les voici à la Mission. Aux questions du Père, ils répondent qu'ils ne viennent pas pour se moquer de lui, ni de la religion, mais pour apprendre le chemin du ciel. Ils ont été bien mauvais, mais ils sont maintenant décidés à changer de vie. Le prêtre n'en revenait pas. La petite Sœur de son pays aurait-elle donc opéré un miracle, et le plus grand des miracles, celui de la conversion d'inconvertissables?
C'était bien le cas, et ses gens étaient sincères. On les vit dès lors tous les matins à la sainte messe, où ils apprenaient les prières et les cantiques. Tous les soirs, ils avaient une heure de catéchisme, sans manquer une seule réunion, au risque d'avoir à se passer du gibier qui était leur pain quotidien. Où est l'incrédule qui ne verra pas un miracle de toute première classe dans ce changement subit et définitif?
Après un strict catéchuménat de neuf longs mois, le P. Turquetil était au comble de la joie lorsque, le 2 juillet 1917, en la fête de la Visitation de la sainte Vierge, il eut l'inexprimable bonheur de baptiser les membres de quatre familles esquimaudes — les véritables prémices de leur nation. L'ennemi de tout bien était vaincu, le ministre de Dieu triomphait de l'enfer, et... la mission des Esquimaux était sauvée!
Gloire à Dieu au plus haut des cieux et remerciements à sa très humble servante, amie des missions, le Lis de Lisieux, que l'univers honore aujourd'hui sous le vocable de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus !
Après de si heureux commencements…
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE VIII
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Après de si heureux commencements, le supérieur de la mission voulut encore les consolider et en assurer la continuation en faisant imprimer des livres de prières, de catéchismes et de cantiques dans la langue de ses néophytes. A cet effet, accompagné du Frère Girard, qui ne pouvait rester si longtemps sans prêtre, il arrivait à Montréal le 24 octobre 1917.
« A la nouvelle de notre départ », écrit-il alors, « ces pauvres gens pleurèrent à chaudes larmes, et ne se consolèrent que lorsqu'ils eurent l'assurance que je retournerais l'an prochain. Ils aimaient tant à venir à la sainte messe chaque matin, à y recevoir la sainte communion, à réciter leurs prières en commun, à chanter ensemble ! Que le Sacré-Cœur de Jésus les conserve et en fasse des apôtres parmi leurs compatriotes païens » (4) !
Encore une fois, quel changement!
La lettre à laquelle nous faisons cet emprunt nous fournit de nombreux menus détails, que je condenserai dans les quelques lignes qui suivent.
Dans leur petite maison-chapelle, le P. Turquetil et le F. Girard essayaient de tirer le meilleur parti possible des trop courtes journées de l'hiver. Oui, trop courtes, dit le Père, car l'heure de la grâce a enfin sonné pour nos pauvres païens, et c'est le cœur plein de reconnaissance envers Dieu que nous entrons dans cette nouvelle année.
L'exemple des premiers chrétiens de Chesterfield fut, nous apprend-il, bientôt suivi par d'autres, et, sur huit familles qui restaient là, cinq se joignirent aux néophytes — en tout vingt-cinq personnes. Dès lors, il avait chaque matin au moins une dizaine de familles à la sainte messe. Il nous décrit alors l'emploi du temps des deux missionnaires.
Après déjeûner, Turquetil s'appliquait à traduire en esquimau les différentes prières et à les écrire en caractères syllabiques pour ceux de ses gens qui savaient lire. Ce travail l'absorbait jusqu'à midi, pendant que le Frère s'occupait de tout ce que comporte l'entretien d'une maison.
A une heure, ce religieux interrompait ses travaux manuels pour enseigner l'A B C aux enfants d'une école qui fonctionnait dès lors. Pendant ce temps, son supérieur disait son bréviaire, puis, à deux heures, il prenait ces mêmes enfants pour le catéchisme; après quoi il préparait l'instruction des adultes pour le soir.
Règle générale, si primitifs que soient les Esquimaux, il n'entre pas dans leur caractère de se suivre les uns les autres à la façon des moutons de Panurge. Ils se laissent plutôt guider, je veux dire influencer, mener par un esprit de contradiction.
Là-dessus, le P. Turquetil cite l'exemple d'un jeune sorcier mal marié, qui se convertit parce que son compagnon, vieux goguenard « trop lourd avec sa forte charpente et sa grosse bedaine pour essayer de monter au ciel », assurait-il, refusait de prendre en considération les avis du prêtre.
Cependant le P. Turquetil ne pouvait rester sans compagnon prêtre à sa lointaine mission….
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(4) Les Cloches, 1917, p. 321.
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CHAPITRE VIII
RÉCOLTANT DANS L'ALLÉGRESSE(suite)
Cependant le P. Turquetil ne pouvait rester sans compagnon prêtre à sa lointaine mission. Où trouver ce compagnon, alors que plusieurs postes étaient encore sans prêtre? Le fondateur de N.-D. de la Délivrande se rappela alors un compagnon de noviciat, le Fr. Pioger (5), qui, sans doute par esprit d'humilité, s'était joint aux rangs des frères convers, après qu'il eut fait toutes ses études à Liège et à Rome.
Il était alors membre du même vicariat du Keewatin, et était habitué à la vie des missions sauvages, ayant résidé successivement au lac Caribou, au lac Canard, et au Portage la Loche. Comme il n'était point dans les ordres, son départ ne pourrait nuire à aucune mission. Le P. Turquetil le demanda à ses supérieurs, et l'obtint sans trop de difficulté. Il fut donc ordonné au Pas, le 29 juin 1918, par Sa Grandeur Mgr Charlebois, et partit de suite pour Chesterfield.
Les deux prêtres firent ensemble le voyage sur l'unique bateau qui faisait une fois l'an le trajet entre Montréal et la mission esquimaude.
Avant d'aller plus loin, serait-on curieux d'avoir une idée des frais qu'entraînait le séjour des missionnaires dans ce poste lointain? La compagnie du bateau ne chargeait pas moins de 85 dollars par tonne pour le charbon, soit à peu près 1300 francs au cours actuel du change, qui était alors encore plus haut qu'aujourd'hui!
Le 2 août suivant, les deux prêtres et le frère arrivaient, à bord du Nascopie, en vue de la Mission. « Salut ! Notre-Dame de la Délivrande », s'écria alors le P. Pioger, en apercevant le petit clocher de l'église. Puis il débarqua avec le P. Turquetil, qui était salué des cris joyeux de Atatasiar! mon Grand'père ! pendant que le nouvel arrivé était pris pour son frère, par les Esquimaux ravis de n'être plus orphelins.
« Nos chrétiens sont tous bien, tous sont fidèles à leurs devoirs de chrétiens », écrivait peu après le P. Pioger. « Une famille chrétienne reste ici, proche de la Mission; chaque jour ils sont là à la sainte messe, et chaque matin j'ai le bonheur de leur distribuer la sainte communion. Chez ces pauvres chrétiens, pas de respect humain devant les païens. Leur tenue durant la prière est bien édifiante; on voit qu'ils comprennent et aiment leur religion » (6).
Au commencement de l'hiver, le nouveau Père…
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(5) Le P. Paul Pioger naquit à La Flèche, diocèse du Mans, le 15 avril 1877. — (6) L'Ami du Foyer, août 1919, p. 9.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE VIII
RÉCOLTANT DANS L'ALLÉGRESSE(suite)
Au commencement de l'hiver, le nouveau Père avait le bonheur de baptiser le premier enfant né de parents chrétiens, et, pour passer du plus jeune au plus vieux, les deux prêtres recevaient, quelque temps avant Noël, une petite lettre en caractères syllabiques du plus ancien de leurs chrétiens, le bon Joseph.
—J'ai été bien malade, et plusieurs fois, disait-il; à chaque fois j'ai prié, à chaque fois j'ai été guéri.
On le revit à la Mission au mois de juin 1919. Le pauvre vieux était maigre, étiré et blanchi. On voyait qu'il avait souffert; mais il était heureux comme au temps de son catéchuménat, ne cessant de répéter :
— Merci, merci au Père de nous avoir appris à prier. J'ai été bien malade, et chaque fois nous avons prié en famille. La prière seule m'a sauvé.
Puis il ajoutait:
— Si j'étais seul, je serais bien aise de mourir pour aller au ciel, maintenant que mon âme est encore bonne depuis son baptême; mais il vaut mieux sans doute que je vive encore, quand je vois ma femme et mon enfant, si jeune encore, qui se mettent à pleurer à la pensée que je vais mourir (7).
Pareils sentiments chez un vieillard, hier encore encroûté dans ses idées d'un autre âge, n'étaient-ils pas un dédommagement adéquat pour les peines, soucis et privations que le missionnaire avait dû s'imposer pour les inculquer?
Autre petit détail que j'emprunte cette fois au P. Pioger qui, à titre de nouvel arrivé, remarquait bien des choses auxquelles son supérieur était habitué. Parlant des chrétiens, il écrit:
« Chaque matin, après la messe, ils se retirent à la cuisine. Alors s'ils parlent, c'est à voix basse. Un chrétien arrive ; s'il nous voit occupé, surtout s'il nous voit prier, il se retire et ne nous dérange pas. J'ai constaté en toute leur conduite le respect qu'ils ont pour le Prêtre. Que Dieu les conserve ainsi, et nous donne nombre de chrétiens de ce genre » ( 8 ) !
En dehors du cercle encore bien trop restreint de ces privilégiés de la grâce, les choses allaient bien différemment. D'abord, il y avait pour les missionnaires l'ennui résultant du manque de correspondance avec le monde civilisé. Par exemple, ils étaient allés du mois d'août 1918 au 23 avril 1919 sans aucune nouvelle du dehors, et celles du pays proprement dit n'étaient guère réconfortantes: indifférence ou moqueries à l'endroit de la religion, et, en ce qui regardait les intérêts des indigènes, famine, morts de faim, noyades, meurtres pour cause de jalousie, mariages à la mode des brutes, après échanges de coups de poing, telles étaient trop souvent les nouvelles du pays esquimau.
Comme l'horreur de pareilles moeurs faisait bien ressortir la douce et bienfaisante influence du christianisme même sur les cœurs les plus endurcis !
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(7) Ibid., décembre 1919, p. 73. ( 8 ) Ibid., août 1919, p. 10.
A suivre : Chapitre IX : Consolations
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CHAPITRE IX
CONSOLATIONS
Le P. Turquetil était un correspondant aussi fidèle que prolifique. Par exemple, au mois de février 1920, il écrivait une longue lettre publiée par l'Ami du Foyer, revue mensuelle de Saint-Boniface, dont on voudrait tout citer. Elle nous donne une peinture si vivante, de ce qu'était alors la mission de N.-D. de la Délivrande, que je ne puis m'empêcher de la résumer ici, et même d'en reproduire de longs extraits.
La note caractéristique de l'hiver 1919-20 fut la famine, nous apprend-il. Pas de caribous, pas de vivres, pas d'habits; tel était le sort d'un trop grand nombre d'Esquimaux. En octobre, deux familles arrivèrent à la Mission exténuées; le Père avait peine à les reconnaître. Ils avaient mangé leurs chiens et rodé des semaines entières à la recherche d'un gibier introuvable.
Près des missionnaires un homme était mort quinze jours après son retour, laissant une veuve et deux enfants dans la misère noire. Puis six familles arrivaient l'une après l'autre, et on en recherchait une autre, dont on ne pouvait trouver la moindre trace.
Ces recherches amenèrent la découverte de deux cadavres, gelés dans une misérable hutte de neige, un enfant de huit à dix ans, à moitié découvert, et un adulte, homme ou femme, gelé sous sa couverture et enseveli dans la neige.
Loin dans l'Ouest, on disait que l'abondance régnait, mais on ajoutait qu'un jeune homme de vingt ans à peine étant entré, de bonne heure le matin, dans une tente occupée par deux familles, en avait tué les deux hommes et enlevé leurs deux femmes.
Au nord, c'était une noyade et la mort de plusieurs personnes, et, écrivait le prêtre, on était pourtant loin de connaître au juste le bilan des misères de cette année-là. Mais plus intéressant était le cas d'un infidèle bigame venu à Chesterfield y augmenter le nombre des affamés.
Cet homme, paraît-il, ne manquait jamais de venir assister aux deux catéchismes du dimanche. L'été précédent, on l'avait même vu chaque matin priant à la messe et chantant avec les autres. Ce qu'ayant remarqué, le missionnaire avait fait un dimanche un sermon sur la polygamie qui, pensait-il, devait faire impression sur lui.
Quelques jours après, l'une de ses deux femmes, la plus âgée, vint lui demander de la préparer au baptême.
— C'est là une bonne pensée, lui dit Turquetil, mais sa réalisation est parfaitement impossible tant que tu seras la femme d'un polygame.
—Oh ! je le sais, fit-elle ; mon mari, ma compagne et moi, nous savons tout cela. Depuis l'an dernier, nous demandons toutes les deux à notre mari d'en choisir une et de laisser l'autre. Il le voulait bien, mais n'en avait pas le courage. Aujourd'hui il est décidé; nous ferons comme tu voudras, tu nous instruiras et nous serons baptisés.
Voulant l'éprouver, le Père lui fit entrevoir les conséquences…
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Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE IX
CONSOLATIONS(suite)
Voulant l'éprouver, le Père lui fit entrevoir les conséquences pour elle d'une telle mesure, au cas où son mari se décidât en faveur de l'autre
— Oui, dit-elle, c'est vrai, mais ce n'est rien auprès de l'enfer.
« J'avais peine à croire à tant de résolution et de courage dans une femme païenne », écrit notre missionnaire. « Serait-ce jalousie, et parce qu'elle a deux enfants, espérant être choisie et se débarrasser de sa rivale? Nous allons vite savoir ce qu'il en est » (1).
L'homme vient à son tour, exprime le même désir et se dit prêt à tout. Le prêtre apprend alors que la plus jeune de ses femmes était, à la mode esquimaude, sa femme légitime, tandis que l'autre n'était au fond que sa sœur adoptive, une orpheline dont il avait abusé. Celle-ci n'a point de parents, personne pour avoir soin d'elle; mais peu importe, mieux vaut la misère que la perspective de l'enfer ! Et elle quitta généreusement son soi-disant mari.
Tous les trois pouvaient dès lors commencer leur catéchuménat, dont le premier jour était fixé au 3 décembre, fête de saint François-Xavier. Mais on aurait dit que l'ennemi de tout bien, déjà vaincu par le bon esprit de ces pauvres gens, ait voulu empêcher la consommation de leurs bonnes intentions, du moins en ce qui était du mari. Ici, il nous faut suivre pas à pas le P. Turquetil.
« Il était à la chasse au phoque, sur la glace de la mer », écrit-il. « Le courant (2) de l'inlet n'était pas encore gelé, et il guettait les phoques qui viennent respirer à la surface.
Il en avait déjà tué un. Un autre montre le nez; un coup de feu et l'animal est mort. . . Vite notre homme met le canot à l'eau ; mais le vent d'ouest et le courant, très fort en cet endroit, l'emportent rapidement au large. L'homme fait un
faux mouvement, le canot chavire, mais le chasseur s'en dégage et essaie de grimper sur le canot qui se dérobe et enfonce sous lui.
« Le courant l'emporte rapidement ; la terre est loin, et…
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(1) L'Ami du Foyer, juillet 1920, p. 185. — (2) Ce que les premiers explorateurs à la recherche d'un passage du Nord-Ouest appelaient Chesterfield Inlet, c'est-à-dire baie longue et étroite, est en réalité un fleuve immense qui n'a pas moins de 10 milles de largeur à son embouchure. Son courant est alors de sept milles à l'heure, au moins; il se fait sentir jusqu'à plusieurs milles en dedans du lac Baker, plus de deux cents milles à l'ouest.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE IX
CONSOLATIONS(suite)
« Le courant l'emporte rapidement ; la terre est loin, et la seule chance qui reste est d'essayer de nager. Sans hésiter, notre homme s'y met résolument avec toute l'énergie du désespoir. Il n'a jamais nagé de sa vie, mais frappe l'eau vigoureusement comme un chien à la nage... Il commence à perdre équilibre, les pieds paraissent hors de l'eau, la tête enfonce, il avale de l'eau. Deux Esquimaux et un blanc qui le regardent, désolés, impuissants, s'attendent à le voir enfoncer d'un moment à l'autre.
« A ce moment, la cloche de la Mission sonne l'angelus. Ce son rappelle au malheureux en détresse ses projets de devenir chrétien. Du coup, il oublie tous ces esprits malfaisants, ces génies protecteurs qui l'occupaient tout entier un moment auparavant ; il s'adresse à Jésus.
« Sur la glace, les spectateurs le voient avec surprise résister si longtemps au courant, au froid terrible, au poids énorme de ses habits trempés d'eau, s'approcher peu à peu, arriver finalement; on peut lui lancer une corde qu'il saisit, et on le hâle sur la glace ferme.
« Il se lève, mais retombe épuisé, et perd vite connaissance. On l'emporte au poste. Tous s'attendent à une complication, soit du côté des poumons, soit en ce qui est du cerveau. Rien de tout cela. Quelques heures après, rien n'y paraissait ; à peine quelques légères égratignures sur les mains.
« Le lendemain, il vient au catéchisme du soir, et commence son catéchuménat. Bien que taciturne et parlant peu d'habitude, notre homme m'interrompt alors, pour dire sa reconnaissance à Jésus qui l'a sauvé hier, et pour lui promettre de devenir chrétien » (3).
Peu après, le réchappé alla trouver le prêtre, pour savoir quand il serait baptisé. On lui expliqua alors les raisons du délai imposé aux catéchumènes.
— Ah! oui, fit-il, j'ai dit aux femmes, qui ont peur de leurs vieux péchés et voudraient s'en débarrasser au plus tôt par le baptême, que ces péchés font bien peur, il est vrai, mais que si nous péchons de nouveau après notre baptême, ce serait bien pire encore.
Quiconque a vécu parmi les primitifs ne peut que louer cette sage lenteur des missionnaires, qui croient avec raison au danger qu'il y aurait à baptiser, sans une bonne, une longue préparation à la réception du sacrement, des gens qui ont jusqu'alors mené une vie si opposée à celle que demande leur nouvel état. Il est infiniment préférable d'avoir quelques bons chrétiens seulement plutôt qu'un grand nombre de « païens baptisés », comme disait feu Mgr Durieu, l'apôtre des Indiens de la Colombie Britannique.
Quelques mois plus tard, la femme répudiée par l'Esquimau au sauvetage duquel nous venons d'assister sortait du dernier catéchisme sur les sacrements. Le prêtre avait jusque-là à peine mentionné la dévotion à la sainte Vierge. Pourtant lorsque celui-ci lui demanda:
— Et toi, quel nom voudras-tu avoir quand tu seras baptisée ?
Sans hésiter un instant, avec une précipitation qui trahissait l'ardeur de son désir:
— Moi je veux m'appeler Marie, fit-elle.
Et comme elle prononçait ce nom! Saint Bernard n'eût pas dit mieux. Ce n'était plus une infidèle, pour qui le nom de Marie manque de signification; il y avait dans sa voix, sur son visage l'amour, la confiance, le bonheur d'une vraie chrétienne.
Le P. Pioger ne resta que deux ans chez les Esquimaux...
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(3) L'Ami du Foyer, juillet 1920, pp. 185-86.
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CHAPITRE IX
CONSOLATIONS(suite)
Le P. Pioger ne resta que deux ans chez les Esquimaux. Pour le remplacer, on donna au P. Turquetil un P. Emmanuel Duplain, O.M.I., natif du diocèse de Québec, où il avait vu le jour en 1892, et le Frère scolastique, c'est-à-dire aspirant-prêtre, Lionel Ducharme, O.M.I, né au diocèse des Trois-Rivières au cours de 1898.
Le premier avait fait sa première oblation, c'est-à-dire avait prononcé ses premiers vœux d'Oblat, en 1914, et son oblation perpétuelle en 1917. Puis il avait été ordonné prêtre le 18 décembre 1920. Le second était entré dans la Congrégation des Oblats par ses premiers vœux émis en 1917, et, à titre définitif, par ses seconds en 1920. Il était destiné à être promu à la prêtrise deux ans plus tard.
Leur commun supérieur avait dû aller les chercher lui-même au Bas-Canada, et les avait amenés par la route traditionnelle du Nascopie. Partis de Montréal le 9 juillet 1921, les trois missionnaires arrivèrent le 8 août à N.-D. de la Délivrande, après un voyage plutôt remarquable par toute une série de batailles avec la glace qui obstruait constamment la voie.
Le bateau qui les avait amenés n'avait pas encore jeté l'ancre, qu'on leur apprenait qu'un des catéchumènes était mourant, ne tenant apparemment à la vie que par son désir de revoir le prêtre.
C'était l'un des catéchumènes de 1916, qu'on n'avait pas encore jugé à propos d'admettre à la réception du baptême. Nature rude, sauvage, tout ouverte aux superstitions indigènes et trop fermée aux choses de l'esprit et du ciel, il avait néanmoins conservé dans le paganisme un reste de la loi naturelle. Ainsi sa fille aînée étant devenue aveugle à l'âge de douze ans, il refusa de la tuer, comme tout le monde l'aurait voulu, et préféra quitter son pays, à cinq cents milles de là, pour venir s'établir à Chesterfield Inlet.
Catéchumène, il ne mit jamais obstacle a la pratique de la religion par sa femme et ses enfants; il gémissait seulement de ne pouvoir la comprendre. Les croyances et superstitions esquimaudes étaient plus fortes chez lui que tout ce qu'il pouvait apprendre à l'église.
Comme l'écrivait le P. Turquetil, il ne saisissait qu'à travers le voile des imaginations indigènes tout ce qu'on pouvait lui dire. Pour lui, rien de précis, de convaincant, et il s'étonnait des fortes convictions de sa femme.
Après une chaude exhortation du prêtre, il fut pourtant baptisé in extremis. Le lendemain, sa femme vint à la messe avec ses enfants, et lui apprit que son mari allait mieux. Quant au vieux lui-même, il vécut encore longtemps sans guérir. Il devint même aveugle, et nous le rencontrerons plus tard sur notre chemin.
En ce qui est de sa femme, Marguerite, son pasteur en écrivait (4) :
« On voit bien chez elle que la communion quotidienne est le vrai contrepoids de toutes les difficultés de la vie chrétienne, et, spécialement pour elle, le grand moyen de déraciner toutes les habitudes et manières de voir du paganisme ».
Comme autre trait à la peinture que notre missionnaire esquisse…
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(4) L'Ami du Foyer, mai 1922, p. 155.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE IX
CONSOLATIONS(suite)
Comme autre trait à la peinture que notre missionnaire esquisse des habitués de Chesterfield, il cite un autre ménage dont le mari ne venait jamais à l'église, tandis que sa femme ne manquait pas un dimanche. Sa petite fille de dix ans avait, paraît-il, échappé à la mort grâce aux prières qu'un catéchumène avait récitées sur elle: premier motif de foi. Quelque temps après, comme elle se disposait à travailler le dimanche, le démon se serait montré à elle: second motif de foi. Enfin l'enfant prétendait que Notre-Seigneur lui-même lui était apparu un peu plus tard.
Son prêtre nous donne ensuite un spirituel croquis de la physionomie de son auditoire à la chapelle. Parlant des infidèles de passage au pays :
« Un étranger les prendrait pour des chrétiens convaincus, pleins d'un respect religieux », écrit-il. « Sans le savoir, leur exemple [des chrétiens] est une vraie prédication pour les païens de passage qui viennent de temps à autre. On reconnaît de suite ces derniers. Ils entrent en curieux, un peu gênés, regardant autour d'eux pour savoir quelle contenance prendre. Ils écoutent le chant avec un plaisir évident, s'étonnant du sérieux qui règne autour d'eux.
« Quand je me mets à prêcher, ils écoutent attentivement quelques instants, puis regardent tout le monde, comme s'ils trouvaient drôle que tous les assistants soient attentifs, immobiles, dans l'attitude sérieuse du respect et de la conviction. Alors ils s'y mettent de leur mieux, et essaient de saisir sans distraction. Il est donc évident pour nous que les habitués de chaque dimanche se sentent remués dans l'âme.
« Nous ne nous pressons pas, toutefois, de les prendre à part et de les pousser à demander immédiatement le baptême. Dieu seul ouvre les cœurs, lui seul aussi fait sonner l'heure de la grâce pour un chacun. A nous de préparer les voies, et d'attendre que la persévérance de ces gens, ou une confidence de leur part, nous montre qu'il est temps de leur poser la question en conscience face à face avec Dieu » (5).
L'année 1921-22 semble avoir été celle…
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(5) Ibid. , ibid.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE IX
CONSOLATIONS(suite)
L'année 1921-22 semble avoir été celle durant laquelle les missionnaires avaient jusque-là fait le plus de bien aux infidèles qui les entouraient. A part un seul homme, qui ne venait jamais à la Mission, et deux qui manquaient de temps en temps, tout le monde était maintenant assidu aux catéchismes du dimanche.
Tous étaient dès lors en bons termes avec le prêtre. Il n'y avait plus d'opposition systématique; les rires et les moqueries, sans compter les railleries qui n'étaient que trop souvent l'écho de ce qu'ils entendaient dire aux blancs, étaient chose du passé. Quels beaux résultats pourtant peuvent avoir la persévérance de l'homme et l'assistance d'une belle âme comme sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus !
La maison-chapelle ne suffisait plus à contenir tous ceux qui auraient voulu se presser dans son enceinte.
Le vieux Joseph, le premier converti de 1916; arrivait à la Mission après un séjour qu'il avait fait à trois cents milles au nord, et apportait au Père une liste de noms d'Esquimaux bien disposés. Il s'était fait le catéchiste des hommes et sa femme avait rempli le même office vis-à-vis des femmes. A tous il avait recommandé de venir pour une année à Chesterfield afin de s'y faire instruire, recevoir le baptême et s'approcher des sacrements.
De cette manière, le prêtre était mis en rapport avec des groupes lointains, et le directeur de la mission entrevoyait déjà le jour où sa ruche devrait essaimer.
Le bon Joseph parla alors d'un païen stationné à plus de quatre cents milles au nord, qui se proposait de faire le voyage, dans le but d'entrer au catéchuménat. Notre chrétien lui avait donné un chapelet, un crucifix et son propre livre de prières, qu'il avait eu soin de transcrire, de peur d'oublier ou de changer inconsciemment les formules qu'on lui avait apprises.
D'autres infidèles écrivaient en outre de petites lettres au P. Turquetil, qui montraient bien clairement que celui-ci n'était plus pour eux un étranger dont on se défie, mais plutôt un ami qu'on désire et dont on sollicite la venue.
Toutes ces marques de bienveillance, notre apôtre les appréciait d'autant plus qu'il était…
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE IX
CONSOLATIONS(suite)
Toutes ces marques de bienveillance, notre apôtre les appréciait d'autant plus qu'il était à même de constater l'horreur du joug de Satan sur ses affidés, ces païens qui n'avaient cure des directions du prêtre.
« Chaque année », dit-il, « ce sont des meurtres qui réduisent la population de façon alarmante, des suicides aussi chez les malades qui ont essayé de la sorcellerie pour guérir. Cet hiver, il y a eu encore trois nouveaux meurtres et deux suicides de malades. Une femme demeurant à une journée d'ici tombe malade, essaie de la sorcellerie, et, ne guérissant pas assez vite à son gré, s'étrangle deux jours après.
« Un vieux barbu, grand sorcier de sa nation, le plus âgé des environs, traînait de vieillesse et de langueur. Il essaya une première fois de se pendre; quelqu'un coupa la corde à temps. Le bonhomme revint à la vie ; mais, son état ne changeant guère, il eut recours à ses incantations; puis il parla de faire venir quelque chrétien ou catéchumène pour essayer de la prière. Finalement il demanda le fusil ou la corde.
« Comme les siens ne voulaient pas le laisser faire, il menaça de les tuer. Alors personne ne s'opposa plus à lui; une corde fixée au-dessus de sa tête à un poteau de la tente fit tous les frais. Le vieux se passa le cou dans le nœud coulant, et appuya de tout son poids; l'étouffement survint vite, et le nœud ne desserrant pas, ce fut l'affaire de quelques instants » (6).
Et, comme il faut des ombres à tout tableau, même au portrait de ce qu'il y a de plus beau, le missionnaire chronique ensuite une défaillance momentanée chez ce pauvre rustre, si fermé aux choses de Dieu, qu'il avait baptisé en danger de mort à l'arrivée du P. Duplain. Comme, aveugle et décrépit, il ne guérissait point, il s'était laissé surprendre par un sorcier qui avait pratiqué sur lui son art diabolique.
L'état du malade empira de suite. Il baissait rapidement: mais, ce qui était le plus triste, il était obsédé de l'idée du suicide. Entre ses crises, il se confessait de bon cœur, détestant cet état qu'il ne pouvait secouer. Lorsque le prêtre allait le voir et qu'il reprenait connaissance, il lui fallait un certain temps pour redevenir lui-même et revenir à de meilleurs sentiments. La colère s'emparait même de lui contre son bienfaiteur.
Ce fut ainsi une lutte continuelle jusqu'à son dernier jour entre les sentiments du chrétien et sa vieille éducation païenne. Ce pauvre vieux révéla au Père, dans un de ses moments lucides, que, dans l'opinion des infidèles, le suicide menait droit au bonheur dans l'autre vie. A force de voir cette funeste pratique en honneur, elle était devenue quelque chose de tout naturel.
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(6) Ibid., nov. 1922, p. 58.
A SUIVRE : CHAPITRE X. PREFET APOSTOLIQUE.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE X
PRÉFET APOSTOLIQUE
Et le P. Duplain, le nouvel assistant du P. Turquetil, avec son compagnon scolastique le Frère Ducharme, que devenait-il dans ses froids quartiers? Il faisait chaque jour connaissance avec les misères du pays, et s'ingéniait même à y pratiquer, et à y faire pratiquer, la charité chrétienne, comme il convenait au ministre de Celui qui est la charité même.
Les deux Canadiens avaient un jour vu arriver à la Mission un reste d'homme nommé Ittikoudjouk, ordinairement rond comme un ballon, maintenant maigre comme un clou, précédé d'une moitié de traîneau mené par un seul chien à la veille d'expirer, les trois autres étant morts de faim en route, le tout accompagné des « débris de trois êtres humains » qui aidaient à « tirer les vestiges d'un petit bagage », comme les premiers l'écrivaient plus tard (1) .
Les nouveaux arrivés voyageaient depuis une dizaine de jours, se nourrissant de peau de caribou et d'huile de phoque.
Mais la femme d'Ittikoudjouk, où était-elle? Qu'en avait fait l'Esquimau? Il l'avait laissée en chemin, paraît-il. Alors qu'allait-elle devenir?
— Elle est paralysée de tout le corps, assure-t-il. Je l'ai
portée sur mon dos pendant trois jours, puis l'ai mise sur le traîneau. Mais il n'y avait pas moyen d'avancer avec elle, et j'ai dû la laisser là.
Les gens de la police, alertés, s'enquièrent des uns et des autres, pour savoir si l'on croit que la pauvre femme ait pu survivre.
— Il y a dix jours qu'elle est affamée, répond-on; il faudrait encore cinq jours pour l'atteindre. Sans feu ni rien à se mettre sous la dent, il serait bien extraordinaire qu'on puisse la trouver vivante.
Les Pères firent alors mander l'Esquimau…
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(1) L'Ami du Foyer, octobre 1923, p. 41.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE X
PRÉFET APOSTOLIQUE(suite)
Les Pères firent alors mander l'Esquimau.
— Pourquoi l'avoir si cruellement abandonnée? demandent-ils.
— Je n'avais plus de chiens pour la traîner, répond le bonhomme.
— Si tu en avais maintenant, nous guiderais-tu vers elle?
— Oui, dit-il quelque peu embarrassé.
La police avait conclu que ce serait folie d'essayer de sauver cette femme. Quand elle apprit que le P. Duplain était décidé à faire l'impossible pour lui porter secours, et peut-être la baptiser, elle lui offrit chiens et traîneau, et, reprenant courage, partit avec le prêtre et le mari de la malheureuse.
Après un voyage de cinq jours, marqué de toutes les difficultés inhérentes à pareilles courses en cette' saison, le petit parti arriva au palais de glace de l'Esquimaude. Ciel! quelle odeur ! Comme il faut se retenir pour ne pas vomir ! Et voilà que, dans la noirceur de l'antre, quelque chose d'encore plus noir semble remuer.
— Ikki, ikki-kuni, je gèle, je gèle à mort, fait une voix sortant de la masse sombre qui, une fois les yeux des voyageurs faits à l'obscurité du réduit, est reconnue comme l'Esquimaude que l'on cherche.
Malgré son terrible isolement, elle avait conservé toute son énergie, et bientôt on constata à ses traces dans la neige qu'elle s'était littéralement traînée jusqu'à un lac voisin. Là elle avait, on ne sait comment, troué une glace de trois ou quatre pieds d'épaisseur, et y avait pris quelques petits poissons, dont elle s'était repue, moyennant un feu minuscule qu'elle avait fait avec quelques brins de mousse arrachés au rocher.
Après une copieuse réfection, la pauvre vieille ne savait comment témoigner sa reconnaissance, surtout au prêtre qui s'efforçait de la porter à diriger cette gratitude vers Dieu, qui lui avait laissé la vie, au lieu des hommes dont les efforts eussent été bien inutiles sans cette protection d'en haut.
Ramenée à Chesterfield, la vieille vivota quelque temps, puis, un beau matin, on la trouva morte dans l'iglou spécial qu'on lui avait fait à titre de malade, par conséquent de personne qui doit vivre séquestrée de toute compagnie. Telle est la loi esquimaude (2). Le P. Duplain l'avait baptisée deux jours auparavant, alors qu'elle avait manifesté les plus consolantes dispositions, et l'avait depuis visitée plusieurs fois par jour. Quant aux siens, ils avaient bien trop grand 'peur des malades et des morts pour ne pas l'éviter avec le plus grand soin.
Son enterrement…
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(2) A moins que ce ne fût, comme chez d'autres primitifs, pour ménager une autre demeure habitée, qui aurait dû être détruite à la mort de la femme.
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