Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVI
LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX(suite)
Jusqu'ici nous nous trouvons encore dans un ordre de choses qui, matérielles en apparence, n'en touchent pas moins au spirituel. Mais il y a plus. Comme chacun le sait, le héraut de la Croix a toujours été le précurseur, médiat ou immédiat, de ce que nous sommes convenus d'appeler la civilisation considérée comme telle, c'est-à-dire de ces moeurs et coutumes, surtout de ces avantages matériels, qui découlent de siècles de progrès sociaux chez la race blanche, plus fortunée au point de vue du climat et des circonstances ambiantes.
A la tête de ces avantages, je mettrai volontiers l'art de communiquer sa pensée au moyen de signes appelés caractères ou lettres; en un mot, l'écriture. Son adoption fut souvent due aux premiers ministres de l'Evangile chez les différents peuples, au seuil de leur conversion.
Il suffit de citer un cas bien connu, celui de saint Cyrille, apôtre des Slaves, et les caractères qu'il inventa pour le bénéfice de ses néophytes, caractères qui sont encore en usage parmi différentes nations du même stock.
Le « script » des Celtes, de son côté, dut son origine aux moines de la Gaule, et, comme à cette époque l'Irlandais avait du zèle pour la conversion des infidèles et ne répugnait pas aux sacrifices que comporte toujours l'apostolat, ce genre d'écriture se répandit dans une bonne partie de l'Europe occidentale.
De même, les anciens systèmes scripturaires firent, avec l'introduction du christianisme, place aux méthodes plus perfectionnées apportées par les missionnaires. C'est ainsi que les runes nordiques disparurent bientôt devant le système d'écriture latine introduit par les prêtres catholiques, après que, dans l'Afrique nord-est, les hiéroglyphes égyptiens se fussent, sous la même influence chrétienne, transformés en ce qu'on appelle l'écriture coptique.
Partout et toujours, l'action du missionnaire comme importateur de notre civilisation dans son point le plus typique, l'écriture.
Cette action allait se répéter jusque dans les glaces des Esquimaux…
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVI
LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX(suite)
Cette action allait se répéter jusque dans les glaces des Esquimaux. Après avoir reçu d'eux la connaissance de leur langue, Turquetil ne tarda pas à les payer de retour en leur apprenant à la fixer sur le papier, au moyen des caractères en usage chez leurs voisins de l'intérieur, les Montagnais, qu'il avait au préalable légèrement modifiés pour les mieux adapter à la nature de cet idiome.
En 1916-17, il se fit même faire, à New-York, un dactylographe de marque Hammond, genre spécial de machine à écrire, dont l'alphabet se change facilement. Il y remplaça nos lettres par les signes qu'il employait pour rendre la langue esquimaude, et prit de ses écrits religieux, prières, etc., autant de copies qu'il put à l'aide du miméographe (6).
Ainsi furent fabriqués ses tout premiers livres esquimaux. Mais avec l'augmentation numérique de ses chrétiens, il dut avoir recours à l'imprimerie, et, au cours de 1934, il fit tirer en France, à pas moins de 15,000 exemplaires, un livre de piété en règle dont nous reproduisons la couverture grandeur naturelle.
C'est un gentil petit volume de 156 pages, contenant toutes sortes de prières, de nombreux cantiques et les évangiles de tous les dimanches de l'année, le tout illustré de pieuses gravures de nature à parler au cœur, en même temps qu'à l'esprit, de celui qui s'en sert.
Ce petit livre est appelé à rendre les plus grands services. Mais, même à son occasion, nous ne devons pas oublier qu'il est destiné à des primitifs, et qu'on doit parfois garder le lecteur contre la superstition qui, sous une forme ou sous une autre, tend sans cesse chez pareilles gens à se mêler aux meilleures choses.
Ainsi, en date du 22 juillet 1933, le P. Clabaut écrivait de la baie Repulse:
« Les livres de prières, calendriers, bibles protestantes sont très répandus par ici. Il en vient de Pond's Inlet, de Chesterfield, de King William's Island. C'est une plaie, et bien de nos Esquimaux nous font, rien qu'à cause de ces livres-là, une mine rébarbative. Lorsqu'il y a des malades, ils essaient de les guérir avec les livres de prières, imposition du livre, récitation de certaines formules tirées du livre. Si notre livre, ou nos images, ne leur donnent pas de succès, ils recommencent l'opération avec le livre rouge des Anglicans, et ils optent pour celui qui donne le meilleur effet.
« Dernièrement, un primitif orgueilleux venait me dire qu'il avait remisé bien précieusement dans une caisse les livres de prières, images, crucifix qu'il avait eus de nous autres, parce que son petit garçon, malade, avait été « prié » avec le livre des Anglicans » (7).
Tout cela, on en conviendra quand même, est de nature à favoriser la civilisation en même temps que la religion. D'où résultat de nature mixte encore, spirituel aussi bien que matériel. Plus particulièrement matériels, tout en servant assez la religion, étaient les avantages découlant d'entreprises comme l'achat du Thérèse et, plus récemment du Pie XI , dont nous avons apprécié les exploits.
Leur achat était, il est vrai, chose nécessaire, sous peine de faillite ultérieure; mais combien d'autres esprits moins alertes, plus timides et plus ou moins esclaves de la vieille routine y auraient regardé à deux fois avant de se lancer dans des nouveautés qui, après tout, ne pouvaient manquer d'être fort coûteuses au principe?
Autre indice de cet esprit d'entreprise, d'initiative pratique chez Mgr Turquetil…
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(6) Voir ill. 40. (7) Missions des O. M. I, 1934, pp. 118-19.
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Louis- Admin
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Autre indice de cet esprit d'entreprise, d'initiative pratique chez Mgr Turquetil : l'hôpital de Chesterfield et les détails de sa construction, avec les perfectionnements dont on le dota. Murs et cloisons du bâtiment sont revêtus de feuilles de tentest, composition de bran de scie et de pulpe qui tient lieu de planches, et ensuite de gyproc, espèce de plâtre à l'épreuve du feu, tandis qu'entre les deux se trouve un papier feutre très épais.
Au pays de la glace et du froid, il faut pour les malades une construction chaude ; autrement les dépenses en charbon ruineraient les propriétaires.
Quant au système de chauffage lui-même, on adopta pour l'hôpital un système de distribution d'eau courante dans chaque appartement propre au pays, et cela pour une bonne raison: pendant huit mois de l'année, on n'a point d'eau à Chesterfield, rien que de la glace et de la neige. Un dispositif spécial permet de les faire fondre au moyen du même feu qui fournit l'eau chaude dans la maison.
Puis le générateur électrique qu'on y a installé donne la lumière, en même temps qu'il déclanche automatiquement des pompes à eau aussitôt que, le niveau de l'eau baissant, la pression est réduite à vingt livres.
Tout cela était bien « nouveau » pour les aborigènes; de fait, une sorte d'activité mécanique qui ne leur paraissait rien moins que douée d'intelligence ( 8 ).
Parlant de la lumière, on est, sous ce rapport…
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( 8 ) Cf. Missions des O. M. I., 1932, pp. 374-75.
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Louis- Admin
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Parlant de la lumière, on est, sous ce rapport, plus avancé à Chesterfield que dans les villages et la plupart des petites villes de campagne de France. Voyons ce à quoi cette même lumière a récemment servi, et constatons en même temps comment la grande sainte de Lisieux continue à y protéger ses clients.
Au mois de janvier dernier (1935), deux Esquimaux allaient chasser le phoque par une température extrêmement basse, plus de 55° en dessous de zéro. Lorsqu'il fait si froid, la mer fume comme un immense four à chaux; mais le vent venait de terre, et nos chasseurs avaient beau temps pour parcourir les cinq ou six milles de glace qui les séparaient de l'eau.
Tout à coup, le vent changea de direction, et poussa sur eux ce brouillard intense, glacial, qui ne permet de rien voir, même à une faible distance. Comme ils étaient séparés l'un de l'autre, l'aîné appela, tira du fusil, mais ne reçut aucune réponse. Il revint seul à la Mission. Son compagnon, jeune homme de dix-sept ans, n'était pas rentré.
On donna l'alarme, toute la journée du lendemain fut passée en recherches; mais le brouillard couvrait tout comme d'un voile impénétrable, et les chercheurs n'entendirent aucune réponse à leurs appels ni à leurs coups de fusil.
Quand ils revinrent, le soir, toute la population se précipita à la chapelle, pour supplier la « Petite Thérèse » de venir au secours de l'infortuné jeune homme. Alors le vent changea, le brouillard disparut; mais comme il faisait nuit, le P. Thibert alluma les lampes électriques placées en forme de croix au haut du clocher, dans le but de guider les pas du chasseur, si par hasard le vent du large le ramenait vivant, et si, par un autre hasard, le vent l'approchait du rivage en face de la Mission, et non en arrière de la pointe d'où il n'aurait rien pu voir.
Tout le monde était encore à l'église, priant avec ferveur, lorsque le jeune homme entra. Il raconta ensuite que,
sous l'impulsion du vent, une portion de la glace sur laquelle il se trouvait s'était détachée de la masse des cinq ou six milles gelés, le séparant de son compagnon et s'en allant comme à la dérive. Sur ce glaçon, il avait erré dans le brouillard pendant toute une nuit et toute une journée, jusqu'à ce que le vent l'eût ramené vers la glace solide, mais non sans avoir eu à traverser une bande de glace mince, qui s'était formée pendant qu'il était isolé sur son glaçon.
Cette glace nouvelle cédait sous ses pas; mais la vue de la croix électrique qui accusait la présence de l'église dans l'obscurité de la nuit lui avait donné tant de courage qu'il l'avait traversée à la course, sans enfoncer plus que jusqu'aux genoux. Lorsqu'il s'était finalement trouvé sur la glace ferme, il s'était mis à genoux pour remercier le Jésus dont il voyait la maison à cinq milles de distance. Il avait, disait-il, oublié la faim, le froid, le danger, tout, et ne pensait qu'au bonheur de revoir sa famille, de vivre, de prier encore.
En pareille occurrence, un infidèle se serait suicidé, dominé par l'idée que puisque les esprits voulaient sa mort par noyade, il devait manifester sa résignation à leur volonté en sautant lui-même à l'eau. Les missionnaires ont vu de ces cas de soumission religieuse poussée à l'extrême. Un Esquimau chrétien a appris à voir dans les accidents autre chose que la mauvaise volonté des dieux, et il prie alors le « Bon Dieu ».
Et ce jeune Esquimau n'est pas le seul que sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus ait guidé…
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Louis- Admin
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Et ce jeune Esquimau n'est pas le seul que sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus ait guidé, comme transporté à un lieu de sûreté loin du glaçon sur lequel il s'était trouvé emprisonné. Pendant l'hiver qui suivit le baptême des premiers chrétiens (1917-18), une famille était campée sur la glace de la mer, tout au bord de l'eau, le chasseur étant ainsi toujours près des phoques qui pourraient montrer la tête.
Un jour, la première petite fille baptisée sous le nom de Thérèse, qui faisait partie de cette famille, vint à terre visiter des amis campés sur la grève. Pendant son absence, une violente tempête s'éleva de terre, le bord de la glace sur lequel étaient les parents de l'enfant se détacha et partit au large avec son fardeau.
Les vagues augmentant toujours, le champ de glace qui portait la famille fut vite mis en pièces: il n'y avait plus aucune espoir de revoir personne vivant. Et la tempête dura quatre jours et quatre nuits!
Ce que voyant, les Esquimaux dirent à la petite Thérèse :
— Ne pleure pas ; nous aurons bien soin de toi.
C'était une manière de lui annoncer qu'elle ne reverrait jamais plus aucun des siens. Et elle de répondre :
— Oh! vous autres païens, vous ne savez pas; mais quand la tempête a commencé, j'ai eu le temps de prier la Petite Fleur (9). Je suis baptisée ; ma mère, mes deux frères sont baptisés; ils prient, eux aussi. Alors ils reviendront.
Les païens ne purent que sourire de sa naïveté. Mais quand la tempête se fut apaisée, le vent tourna, et ramena toute la famille sur un morceau de glace, juste assez grand pour la supporter — le seul qui restât intact. On ne revit jamais personne des trois autres familles campées, elles aussi, non loin de là, sur la glace pendant cette terrible tempête.
Par contre, un infidèle qui, se moquant du dimanche, partait exprès au moment où les chrétiens se rendaient à l'église, en leur disant que c'était une belle journée pour la chasse du morse, ou éléphant marin, n'en revint pas.
Les morses étaient nombreux, mollement étendus sur la glace (voir la gravure N° 32). Le premier qu'il harponna plongea si vite que la corde qui retient le dard et permet de faire revenir l'animal lui serra les doigts comme dans un étau. Ses trois compagnons se précipitèrent à son secours, tirant de toutes leurs forces sur la corde, pour permettre au malheureux de se dégager, et d'éviter d'être entraîné à l'eau.
Mais, sous l'effort combiné des quatre chasseurs, la glace sur laquelle ils étaient se rompit ; les trois hommes durent sauter en arrière pour sauver leur vie, et le moqueur partit sur un tout petit glaçon, que le morse blessé remorquait à toute vitesse. Un plongeon de la bête furieuse fit disparaître à jamais l'infortuné païen.
Ces anecdotes nous ont entraînés loin de la lumière électrique…
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(9) Sainte Thérèse de Lisieux.
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Louis- Admin
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Ces anecdotes nous ont entraîné loin de la lumière électrique et de ses divers emplois chez les Esquimaux de la baie d'Hudson. Même à la maison, le missionnaire, sans aide ou serviteur, est loin d'y mener une vie oiseuse. Il n'a pas le temps de s'ennuyer. Et pourtant il est homme; il a des parents et des amis auxquels il ne peut guère s'empêcher de penser parfois. Un poète anglais, Cowper, a écrit, ou du moins reproduit (10), ces vers :Better dwell in the midst of alarms
Than reign in this horrible place;
Mieux vaut vivre au milieu d'alarmes
Que régner dans cette horrible place.
Plus d'un missionnaire de la baie d'Hudson pourrait faire sienne cette boutade, si le zèle pour le salut des âmes ne l'en empêchait. N'importe que la solitude, qui est souvent complète à certains postes, est parfois bien pénible à la nature.
Ce fut donc une inspiration de prévoyante charité chez Mgr Turquetil qui le porta à la rendre plus supportable à ses prêtres, en attelant, pour ainsi dire, le dernier triomphe de la science électrique à ce chariot mérovingien qu'est la routine du missionnaire perdu au milieu des neiges du Nord-Est.
En 1925, un Père oblat du Canada oriental, feu le P. Rodolphe Desmarais, construisit deux petits appareils de réception électrique pour les deux seules missions existant alors chez Mgr Turquetil. A l'aide de ces appareils, les Pères purent recevoir les messages de leurs parents et amis que, chaque samedi soir, le poste KDKA de Pittsburg transmettait gratis aux gens du Nord.
Ce fut un inappréciable progrès pour ces missionnaires, qui ne recevaient de lettres qu'une fois l'an par bateau, et ne pouvaient y répondre que l'année suivante, vu que le bateau n'arrêtait que quelques heures, juste le temps de débarquer les marchandises, alors que les Pères devaient s'occuper de recevoir et de vérifier leurs effets.
Deux ans plus tard, un jeune amateur de Montréal construisit un poste émetteur pour Chesterfield, qui avait reçu l'année précédente un petit générateur Delco de 32 volts. Par ce moyen, le pro-préfet, qui résidait à Chesterfield, pouvait se mettre en communication avec le préfet apostolique, lorsqu'une consultation urgente s'imposait.
Plus tard, le Gouvernement ayant établi une station de télégraphie sans fil à Chesterfield, ce petit poste de transmission perdit son utilité. Ajoutons qu'aujourd'hui la radiographie est installée dans quatre des missions de la baie d'Hudson.
Ne peut-on pas dire, à ce propos, que c'est réellement là que les extrêmes se touchent? Le dernier cri de la science sur un théâtre plus primitif que tout ce qu'on peut imaginer! Encore une innovation, une création du supérieur des missions catholiques du Nord-Est!
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(10) D'aucuns attribuent ces vers à Alexander Selkirk.
A suivre : Chapitre XVII. Chez les Iglouliks.
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Louis- Admin
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CHAPITRE XVII
CHEZ LES IGLOULIKS
Au point de vue matériel, une mission que je n'ai pas encore mentionnée fait exception à ce qu'on peut regarder comme la règle pour toutes les autres — et cela pour une bonne raison: on n'a pas encore eu la chance de l'organiser. C'est celle des Iglouliks, dont il me reste à parler.
Son fondateur, et jusqu'ici unique missionnaire, est une si noble figure d'apôtre, que je crois ne pouvoir mieux faire que d'attirer l'attention d'une manière toute spéciale sur ses exploits, qui me semblent n'avoir guère d'égaux que dans le domaine de la légende.
Dans ces deux derniers chapitres, que je voudrais lui consacrer, nous verrons l'esprit de sacrifice, au service d'un zèle insatiable, rendre vraiment héroïque l'action d'un jeune prêtre qui, de gaieté de cœur et comme chose toute naturelle, s'astreint à une vie dont les détails (le plus souvent cachés du lecteur parce que trop rebutants) ne pourraient s'accepter sans l'aiguillon d'un cœur brûlant de charité pour le salut des âmes.
Ce prêtre, nous l'avons déjà rencontré sur notre chemin, et c'est à dessein que j'ai omis sur son compte toute donnée d'ordre personnel. Je veux parler ici du R. P. Etienne Bazin, O. M. I. ; tout ce que j'ai dit de lui c'est qu'il est natif du diocèse de Dijon, France.
Il y vit le jour au cours de 1903, et, à l'âge de dix-neuf ans, il entrait chez les Oblats à titre de novice. En 1925, il couronnait son noviciat par l'émission de ses premiers vœux de religion. Ordonné prêtre le 8 juillet 1928, il fit son oblation perpétuelle le 25 janvier de l'année suivante.
La même année, l'obéissance lui assigna la mission de la baie d'Hudson comme sa part du champ du Père de Famille à cultiver, et nous le voyons le 18 juillet 1929 prendre passage à Montréal sur le vieux Nascopie, pour aller seconder son nouveau supérieur, le P. Girard, dans l'établissement de la mission de Pond Inlet.
Ce qui me reste à dire des commencements de son humble apostolat sera très bref, d'autant plus que j'ai hâte de lui passer la parole, et de permettre au lecteur de mieux apprécier les péripéties de sa courte vie de missionnaire. Celui-ci aura pour cela son journal, divisé en deux parties. La première relate comme les faits et gestes d'un Robinson Crusoé; on devra attendre la seconde pour former son jugement en connaissance de cause.
Nous avons déjà fait connaissance avec les Iglouliks, que nous avons rencontrés de passage à Pond Inlet. Le territoire de ces Esquimaux consiste surtout dans trois îles, à moitié chemin entre la dernière place et la baie Repulse. Leur groupe comprend probablement la partie la mieux disposée de la nation. Ce sont eux qui, avant d'avoir vu aucun prêtre, avaient copié son livre de prières.
Ils avaient aussi appris des autres Esquimaux nombre de cantiques, sans leur apporter trop de variantes. Un seul de leurs airs était différent, paraît-il. Ils avaient oublié celui d'un cantique et en avaient composé un autre, « plus beau que le véritable », écrit le P. Bazin, qui, sous ce rapport, ne doit pas être difficile (2).
Ces bonnes dispositions émerveillèrent et captivèrent le jeune prêtre, au point que, comme ces indigènes ne pouvaient rester indéfiniment chez les autres, il avait obtenu de son supérieur d'aller les évangéliser chez eux, avec leurs compatriotes restés sur les îles qui portent leur nom.
Après une première visite préparatoire, au cours de laquelle il avait fait 22 baptêmes, 11 mariages et distribué 2,387 communions, le P. Bazin en écrivit ce qui va suivre, journal intime qui, s'il est vrai que le style c'est l'homme, nous le révélera comme un homme gai, plein de zèle, qui ne s'écoute guère et est certes peu difficile à contenter. Pour le bénéfice de son premier supérieur au pays, Mgr Turquetil, il mande donc d'Abvajak, île située non loin des îles Iglouliks, mais trop petite pour paraître sur une carte à échelle réduite comme est celle de ce volume:
« 22 juin 1932.— Il y a deux mois, en partant de Pond's Inlet, je vous ai écrit brièvement…
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(2) Missions, 1932, p. 128.
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Louis- Admin
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CHAPITRE XVII
CHEZ LES IGLOULIKS(suite)
« 22 juin 1932.—Il y a deux mois, en partant de Pond's Inlet. je vous ai écrit brièvement. J'en suis confus (3). Mais j'espère que vous m'excuserez, car j'avais dans les 80 lettres à écrire dans une journée. Départ un peu précipité. Mais il faisait si beau temps! Il fallait bien en profiter, car dans le Nord… Bref, je suis parti le 23 avril avec Thomas (Mutarareark).
« Le voyage a duré trente-trois jours ; plus chanceux que l'an dernier, nous sommes arrivés avec armes et bagages. Il faut dire que, sur ces trente-trois jours, nous avons eu une trentaine de tempêtes ; mais il faut bien payer un peu son tribut, et ne pas voyager trop bourgeoisement.
« Le bon P. Girard avait chargé la traîne comme si elle avait été un train de marchandises remorqué par deux locomotives... De mon côté, j'allongeai sur la traîne quelques planches (4), avec l'arrière-pensée de m'en servir pour construire une petite chapelle.
« Rien de bien sensationnel durant le voyage. En résumé, moins fatigant que l'an dernier, et naturellement moins froid qu'en hiver. Pour franchir les montagnes, nous avons emprunté une vallée. Ce fut la journée la moins gaie: il poudrait, la neige était plus ou moins molle ; mais le bon vieux Thomas est fort comme un Turc, et ses douze chiens forts comme douze Turcs. Si bien que, tirant et poussant, nous avons franchi le col et descendu de l'autre côté en une seule journée, ce que nous avions fait en quatre jours l'an dernier. Sur le grand lac, j'ai tué un caribou ; c'était la première occasion que j'avais d'en tirer.
« Deux jours après mon arrivée au camp de printemps des Iglouliks, j'ai reçu une lettre du P. Girard par les traînés des Iglouliks et des Akkonduerks qui revenaient de Pond's; puis je suis parti faire une visite chez les Kramer-slcktouarmiouts (une semaine aller et retour), pour voir une de nos familles catholiques (5). J'ai baptisé une petite Edith. En revenant, pour varier, je suis arrivé dans une tempête.
« Depuis quinze jours, j'ai quitté le camp du printemps pour venir m'installer sur l'autre île Abvajak, où je suis
tout seul. Je construis la petite chapelle: planches, vieilles caisses, vieilles boîtes de conserves, peaux de phoque, terre; roches, tout ce que je puis trouver. Ladite cathédrale a 3m de long sur 2m 50 de large. Les grands travaux avancent tout doucement, et lorsque la tribu arrivera, nous aurons une chapelle pour prier.
« Une nuit, la semaine dernière…
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(3) C'est-à-dire je suis confus de cette brièveté. — (4) A peu près ce qu'il y a de plus précieux pour un blanc du pays. — (5) J'écris ce mot comme je le trouve.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVII
CHEZ LES IGLOULIKS(suite)
« Une nuit, la semaine dernière, un visiteur imprévu. C'est Pierre Pingatu , fils héritier (!) du chef de la tribu, qui vient me chercher, parce que la princesse sa mère est très malade. Avec le P. Girard, nous appelons le chef le prince, sa femme la princesse, et le fils en question, futur héritier des droits paternels, le dauphin.
« Donc cinq minutes après, nous étions partis, chiens au galop (vingt chiens). Nous avons fait le trajet en moins de quatre heures, ce que l'on fait en huit d'habitude. Nous avons prié ensemble au camp. J'ai donné quelques médecines à la princesse, qui s'est rétablie; puis je suis revenu dans mon île déserte.
Le 17 juillet. — Il y a une dizaine de jours, le prince m'a envoyé chercher par Attagouarkoutsierk, pour que j'accompagne la tribu à l'île Siroak, en vue d'y faire une provision d'œufs. Nous sommes donc allés à Siroak, qui est une petite île sablonneuse, comme son nom l'indique, située à une cinquantaine de kilomètres d'Igloulik.
« Messieurs les canards sont des eiders, qui fournissent la plume pour les édredons. Leur chair n'est pas très fameuse, mais les œufs (de gros œufs verts) n'ont pas, comme la bête elle-même, de goût phoqual, phoqueux, de phoque, quoi! Une dizaine de familles esquimaudes étant venues à Siroak, la fusillade a commencé aussitôt, une vraie déclaration de guerre; si bien qu'en une journée, à l'aide de fusils ou de trappes [pièges], chaque famille avait fait sa provision de canards, une soixantaine chacune.
« Le combat a cessé faute de combattants, ou faute de victimes plutôt. La majeure partie est allé attendre sur la glace, au bord de l'eau, que nous soyons partis. Quant aux œufs, chacun en a emporté dans les trois à quatre cents.
« Maintenant je suis de nouveau dans ma solitude. De temps à autre, je reçois quelques visites. Je pense que toute la tribu arrivera dans quinze jours ou trois semaines.
« Le 30 juillet. — Trois familles sont déjà arrivées. Deo gratias! il y aura un peu d'assistance à la messe. D'autre part, je quitte mon rôle de Robinson. De chartreux, je vais devenir simple curé de campagne.
« Les moustiques sont nombreux cette année ! C'est effrayant. On n'ose plus mettre le nez dehors. La glace commence à se disloquer; elle ne tardera pas à nous fausser compagnie.
« Le 25 août. — Les fidèles de l'église d'Igloulik se sont augmentés de deux familles. Je ne suis, malheureusement pour moi, en rien dans leur conversion; il y a tant de saintes âmes en France qui prient pour nous! C'est toujours autant d'arraché aux protestants et au diable!
« Hier, chasse à la baleine blanche…
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Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVII
CHEZ LES IGLOULIKS(suite)
« Hier, chasse à la baleine blanche. Trois de ces animaux se sont laissé harponner. Lorsque l'un de ces animaux a un harpon enfoncé sous la peau, et que la lanière du harpon est solidement fixée au bateau, ce dernier prend l'allure d'un canot automobile. La baleine blanche tire aisément et à grande vitesse le bateau en bois, qui a dans les douze mètres de long, jusqu'au moment où, fatiguée, elle est achevée par les Esquimaux ... Il y a déjà de la glace la nuit sur les lacs.
« Le 27 août. — Les premières neiges sont tombées aujourd'hui. Comme vous voyez, l'été n'est pas bien long.
« Le 31 août. — Il neige maintenant presque chaque jour. Hier chasse aux morses. Parmi les nouveaux convertis d'Igloulik, dont je vous parlais l'autre jour, il y a une petite fille qui a quatre ans et qui fume la pipe comme une vieille grand'mère — une grand'mère esquimaude naturellement. Elle est précoce !
« Le 8 septembre. — La sainte Vierge nous a envoyé quelques caribous pour rehausser un peu le menu. Il y a trois mois que j'étais au régime maigre.
« Les tempêtes d'automne commencent, et il fait froid. Il y a quelques jours, nous avons été à la chasse aux morses. Cinq gros morses dormaient sur un petit glaçon à la dérive sur la mer. Ces animaux se laissent facilement approcher, ils ont confiance en leur force. Tout en nous regardant de temps en temps, ils laissèrent venir nos barques à une dizaine de mètres. Deux ont pourtant réussi à plonger au premier coup de fusil ; les trois autres passèrent de vie à trépas.
« Le 4 octobre. — Les tempêtes succèdent aux tempêtes; aussi la mer ne gèle pas encore. Tout le monde maintenant s'est installé pour l'hiver, et j'ai couvert la basilique d'Abvajak d'une peau de morse, ce qui la rend plus chaude. Les deux familles converties en été se maintiennent dans une grande ferveur, ainsi d'ailleurs que toute la tribu. Puisse le bon Dieu en attirer d'autres!
« Le 11 octobre. — Dimanche dernier, j'ai eu encore le bonheur de faire un baptême…
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVII
CHEZ LES IGLOULIKS(suite)
« Le 11 octobre. — Dimanche dernier, j'ai eu encore le bonheur de faire un baptême, un jeune Simon (Amarvalik), arrière-petit-fils du Prince (le vieux chef).
« J'ai eu la bonne idée d'apporter quelques-unes des lettres de mon courrier, le dernier (1930-31), et je remarque avec peine que certains se font des illusions sur mon compte. Que ceux-là ne s'imaginent pas que j'aie beaucoup de mérite; car lorsque je m'en irai dans l'autre monde, ils risqueraient de me laisser en purgatoire bien longtemps! Priez pour moi au contraire. De mon côté, je ne vous oublie pas. Il faudrait être un saint pour avoir des mérites à distribuer ; hélas ! c'est loin d'être mon cas. Je crains bien d'avoir les mains vides jusqu'ici, et d'être même pas mal en dettes avec le bon Dieu.
« Ces jours-ci, nous avons été à la chasse aux morses (7). Il y en a pas mal. Une fois, en particulier, il y en avait plus d'une centaine qui prenaient leurs ébats sur la glace, divisés en cinq ou six bandes, sans compter ceux qui étaient dans l'eau. J'ai été photographier une des bandes, et me suis approché à une quinzaine de mètres, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'ils prennent peur de l'intrus que j'étais et plongent dans l'eau. Malheureusement, mon appareil, que je pensais au 50° de seconde, était au 250°, et le ciel couvert; d'où, malgré un surdéveloppage, la photo est un peu faible.
« Le 26 octobre. — Depuis quinze jours, nous avons une tempête. La mer a gelé malgré le vent, et en une seule journée. Malgré la violence du vent, les vagues diminuèrent, puis cessèrent complètement. Une journée suffit alors pour former une couche de glace capable de porter un homme, et ceci de notre île à la terre — ce qui représente dans les vingt kilomètres.
« Hier, bonne journée de chasse : un phoque, trois morses, trois ours….
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(7) V. ill. Nº 32.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVII
CHEZ LES IGLOULIKS(suite)
« Hier, bonne journée de chasse : un phoque, trois morses, trois ours.
« Il y a deux jours, le soir, des Esquimaux ont vu la maison-chapelle tout entourée de lumière. L'obscurité était complète dehors, et cette lumière, environnant toute la chapelle, les a fort impressionnés. Ils se sont dit, paraît-il, que le prêtre devait être avec Jésus. Heureuses âmes simples et de bonne volonté, auxquelles il est donné de voir de ces belles choses! Pour moi, qui étais dedans, je ne me suis aperçu de rien et n'ai rien vu du tout — trop mauvais probablement.
« J'espère que cela les attachera encore plus à l'Eglise et à leur église.
« Je vous parlais un peu plus haut de la solidité de la glace après une journée de rigidité. A ce propos, un petit incident. Cette solidité est relative, et il faut croire d'autre part que je ne suis pas très léger. Me trouvant hier sur ladite glace, je m'y suis enfoncé tout à coup comme dans du beurre, et ai passé au travers comme un vulgaire morse plongeant.
« Grâce à Dieu et à un petit bloc de glace résistant sur lequel je me suis empressé de faire un rétablissement digne d'un professeur de gymnastique, je me suis sorti bien vite de cette position peu digne pour un ecclésiastique. J'en ai été quitte pour vider mes bottes pleines d'eau, et aller faire sécher mes vêtements tout en buvant une tasse de thé.
« Mes vêtements mouillés s'étaient naturellement gelés immédiatement, et avaient pris la raideur d'un manche à balai, ce qui devait me donner une démarche assez comique.
« Le 18 novembre. — Monsieur, frère du roi, ou plus exactement frère de la reine, Thomas, Nustareak de son nom esquimau, m'a fabriqué un superbe chandelier en pierre représentant un morse ayant deux grandes défenses en ivoire. La bougie se fixe sur le dos de l'animal.
« Le 11 décembre. — Le Prince et la Princesse ont voulu me faire goûter à leur friandise des jours de fête, qui consiste en gras de caribou (cru, naturellement), mélangé à la mousse fermentée qui se trouve dans l'estomac du caribou. Pour leur faire plaisir, j'en ai goûté un peu; mais je vous avoue que, malgré ma bonne volonté, je ne lui ai pas trouvé le goût qu'aurait une crème au chocolat, par exemple. Cette pâte grasse, au goût innommable, qui reste collée sur la langue, doit pourtant être très agréable au palais esquimau. C'est bien de ma faute aussi, à moi qui suis trop délicat, si je n'ai pu faire beaucoup d'honneur au dessert de ces Messieurs.
« Le 23 décembre. — Nous voici presque à Noël. Nous tâcherons de passer cette fête de notre mieux. Les Esquimaux, à cette occasion, ont construit un magnifique iglou de sept mètres de diamètre sur cinq de hauteur: c'est un monument. Les 65 Esquimaux du camp y tiennent à l'aise ».
Ce qui précède fut, on le voit, écrit morceau par morceau…
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVII
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Ce qui précède fut, on le voit, écrit morceau par morceau, pendant les quelques moments de loisir que laissaient au P. Bazin ses nombreux travaux manuels et les exigences du saint ministère. Par une lettre qu'il écrivait à Mgr Turquetil au même mois de décembre où l'avait mené son journal, nous apprenons qu'il avait alors soixante Iglouliks baptisés, et de trente à quarante autres bien disposés.
Au point de vue matériel, il mandait aussi que le vieux chef et sa femme avaient découvert un gisement de ce qui paraissait être du charbon de terre, à six ou sept milles de son poste et à une centaine de mètres du rivage, ce qui faciliterait le transport. Il se proposait d'aller l'examiner l'été suivant. Puis il ajoutait:
« Monseigneur, laissez-moi ici, je vous en prie. Il y a trop de bien à faire, et il me serait difficile maintenant d'abandonner cette œuvre commencée. N'y aurait-il qu'une âme à sauver, cela vaudrait la peine; à plus forte raison, lorsqu'il s'agit d'un grand nombre.
« Nous avons commencé tout cela sans votre avis explicite, il est vrai, mais au moins avec votre avis favorable présumé, et pour le bien des âmes. Je sais que je ne suis
pas bon à grand'chose; aussi tout ce que j'espère, je l'espère de Celui qui peut tout » ( 8 ).
Puis l'humble missionnaire parle de la mission de la baie Repulse, dont il ignore encore la fondation. Si elle existe déjà, dit-il, celle des Iglouliks servira comme de trait d'union entre elle et celle de Pond Inlet. En conséquence, il demande formellement à son évêque d'élever son humble poste au rang de mission régulière.
Il donne ensuite quelques détails sur la vie religieuse à Abvajak….
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( 8 ) Missions, 1934, p. 130.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVII
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Il donne ensuite quelques détails sur la vie religieuse à Abvajak.
« Tout d'abord, la chapelle », écrit-il. « Vu ses dimensions restreintes (avec chauffage à l'huile de phoque, on ne peut pas viser à trop grand pour le moment), elle ne peut guère contenir que vingt-cinq à trente Esquimaux à la fois.
« En conséquence, chaque matin la messe est à 7 heures ; puis, après la messe, prière, communion et cantiques pour ceux qui n'ont pas pu venir auparavant. Lorsque tous sont ici, il y a une quarantaine de communions par jour. Le dimanche, pensant que la raison est suffisante et que, d'autre part, vous m'y autoriseriez certainement..., j'ai présumé de biner. Si vous me désapprouvez, ayez la bonté de me le faire savoir.
« Ces jours-là, les dimanches, il vient de soixante à soixante-dix personnes à la messe... ; lorsqu'il y a des confessions à entendre, étant donné que je bine aussi à l'office de l'après-midi, vous pouvez juger que le dimanche est assez occupé. Je ne trouve souvent que la nuit le temps de dire mon bréviaire.
« Je n'en suis que plus heureux ; car soit voyage apostolique, soit apostolat sur place, vita in motu (9). Certains Esquimaux d'ici vivent plus particulièrement en parfaits catholiques, et, vous le savez par expérience, on ne voit pas trop de quoi on peut les absoudre en confession » (10).
Et, comme pour faciliter la permission qu'il sollicite, le P. Bazin dit de ses gens:
« La plupart sont très généreux envers leur missionnaire — même les non-catholiques assez bien disposés pour (Carte du Vicariat de Mgr Turquetil.) la prière — et n'attendent rien en retour. Je ne sais pas trop d'ailleurs ce que je pourrais leur donner. Ils apportent très souvent nourriture et huile pour les lampes, et vous savez comme une lampe en pierre dévore de gras de phoque dans un hiver.
« Pour ne vous citer qu'un exemple, la femme Martine Ulmerk m'apporte régulièrement des seaux de gras. Un jour, elle vient me donner deux superbes paires de bottes qu'elle avait confectionnées pour moi. Voulant tout de même la récompenser, je lui demande ce qu'elle désire pour cela; et elle de me répondre:
— « Mais je ne veux rien du tout. Tu nous aides à aller au ciel; c'est bien juste que nous t'aidions à vivre ici » (11).
Mgr Turquetil avait lui-même un cœur trop apostolique pour ne pas comprendre les aspirations de l'humble prêtre enseveli dans une hutte de glace. Non seulement il agréa sa demande d'érection de son poste en mission canonique, mais il voulut lui donner pour patron saint Etienne, dont le missionnaire avait lui-même reçu le nom au baptême.
Et maintenant l'heure de l'épreuve et des tribulations allait sonner pour ce dernier.
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(9) «La vie est dans le mouvement». — (10) Missions, 1934, pp. 132-33. — (11) Ibid.,. P. 133.
A suivre : Chapitre XVIII. Encore les Iglouliks.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVIII
ENCORE LES IGLOULIKS
Le vicariat apostolique de la baie d'Hudson comptait dès lors huit missions en règle, à savoir, commençant par le sud, celles de Churchill, du cap Esquimau, de Chesterfield, de baie Repulse, d'Igloulik, de Pond Inlet, et, à l'ouest et à l'est de la mission centrale, le lac Baker et Southampton. En ce qui est des distances intermédiaires entre chacune, elles sont approximativement les suivantes:
Puis viennent les missions de Southampton, à l'est de Chesterfield: 280 milles, et du lac Baker, 210 milles à l'ouest de la mission centrale.
En traîneau à chiens, il faut ajouter un tiers de la distance, à cause des détours forcés, pour éviter les mauvais pas, dans les pierres ou dans les buttes.
Mais chaque mission peut, au besoin, communiquer avec sa voisine, la distance moyenne entre chacune étant de 330 milles en traîneau à chiens. Cependant les communications entre l'île de Southampton et les autres points ne sont jamais sûres en hiver. Il faut que la glace prenne solidement entre l'île et le continent, ce qui n'arrive pas tous les ans.
Le lecteur n'en manquera pas moins de remarquer comme ces points géographiques ont été bien choisis. Et cette circonstance ne pourra que rehausser encore son opinion de l'habileté de l'organisateur auquel toutes ces fondations sont dues. Ses postes sont comme autant de points stratégiques, grâce auxquels les missionnaires des différentes stations peuvent s'entr'aider.
Quant à la mission la plus récente, en ce qui est de son établissement, un coup d'œil sur la carte révélera le fait que les îles Iglouliks sont au nombre de trois, situées juste au nord-est de la péninsule de Melville, sur le chemin entre Pond et Repulse, leur position géographique précise étant, pour l'une d'elles, la latitude 69° 21' et la longitude 81° 49'.
Mais ce n'est point sur elles que notre intrépide missionnaire, le P. Bazin, a élu domicile. Il réside sur une plus petite île appelée Abvajak, qui se trouve à l'ouest, entre le continent et l'île Igloulik du sud-est.
Et cela nous ramène à notre humble héros, dont nous n'avons encore cité que la première moitié du journal, partie qui n'était destinée qu'à nous donner une idée de son genre de vie plutôt pittoresque. Le démon semble avoir été furieux du bien qu'il y faisait à une population neuve et libre de toute contamination due au contact avec les blancs. Comme dans le cas du saint homme Job, il obtint apparemment la permission d'éprouver l'humble serviteur de Dieu. Il nous reste à voir comment celui-ci prit cette épreuve et quelles en furent les suites.
Le tout se trouve consigné dans des notes périodiques que la revue officielle des Oblats, a publié sous le titre de Journal d'un Apôtre, notes qui ont fait le tour d'une certaine presse, anglaise et allemande aussi bien française.
Ce journal avait été commencé le 25 juillet 1933, et, comme le premier, il était destiné à Mgr Turquetil. Mais il ne parvint au prélat que treize mois après le désastre par lequel il commence, c'est-à-dire au mois d'août 1934. Je me suis permis d'abréger quelque peu celui du chapitre précédent; je citerai celui-ci textuellement et sans aucune coupure. Le voici : …
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVIII
ENCORE LES IGLOULIKS(suite)
Ce journal avait été commencé le 25 juillet 1933, et, comme le premier, il était destiné à Mgr Turquetil. Mais il ne parvint au prélat que treize mois après le désastre par lequel il commence, c'est-à-dire au mois d'août 1934. Je me suis permis d'abréger quelque peu celui du chapitre précédent; je citerai celui-ci textuellement et sans aucune coupure. Le voici :
« Ile d'Abvajak, 25 juillet 1933. — Monseigneur et bien-aimé Père. — Une grande épreuve vient d'atteindre notre petite installation ici. Hier matin, je venais de finir ma messe, et quelques instants après, l'église a brûlé; il n'en reste plus rien. Un moment d'inattention de ma part, une bougie a mis le feu, et, en quelques minutes, tout a flambé comme une torche.
« Tout ce que j'ai pu sauver est la sainte Réserve, trois petites hosties dans une custode ; puis du dehors en cassant une vitre, j'ai pu sauver mon livre de prières en esquimau. J'ai versé des centaines de seaux d'eau sur le brasier — le petit lac est à quelques mètres de distance. Ainsi je puis vous écrire sur ce papier avarié, retrouvé dans les décombres, le lendemain.
« A part la soutane que j'ai sur le dos, je n'ai plus rien, absolument rien. L'église, c'était la maison, c'était le grenier aux vivres, c'était tout, et tout est disparu.
« Lorsqu'il n'est plus resté que des charbons fumants, je n'ai pu que tomber à genoux, et faire un acte de soumission à la volonté du bon Dieu. Trois années d'efforts, de sacrifices, de souffrances, anéanties en quelques instants! Que le bon Dieu me pardonne au moins mes péchés, et sauve les Esquimaux! Je n'ai plus ni bréviaire, ni rien pour dire la messe. Je suis seul dans mon île pour le moment; les Esquimaux ne doivent venir que dans huit ou quinze jours, peut-être plus tard, quand la glace sera partie. Actuellement elle est dangereuse. Jusqu'à leur arrivée, je n'aurai qu'à mettre un cran à ma ceinture (1).
« Hier, au moment de l'incendie, il y avait un fort vent du nord-ouest; aujourd'hui calme plat. Il y en a des moustiques! Je n'ai pas de tente ni aucun abri. Je ne sais trop comment je m'installerai cet été et l'hiver prochain. Ce sera probablement chez une famille esquimaude. Après Noël je descendrai sans doute à Repulse Bay, chez le P. Clabaut, qui m'a invité; puis, si je n'ai pas de contre-ordre de vous, je reviendrai ici (2).
« Pour revenir à la maison-chapelle qui n'est plus, vous avez su par le P. Girard que nous avions réussi à transporter ici une centaine de bouts de planches, avec lesquelles j'avais agrandi la chapelle, en la séparant de ma chambrette à coucher. Je venais de terminer le travail de peinture et de décoration (3). Les Esquimaux venus récemment étaient si contents d'avoir une vraie chapelle pour y prier le bon Dieu!
« C'est vrai que je ne suis pas plus pauvre aujourd'hui que je ne l'étais quand je vins ici pour la première fois…
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(1) C'est-à-dire qu'il devait souffrir de la faim : plus rien à manger, et personne pour lui en donner! — (2) Si je ne me trompe, son supérieur n'a encore pu communiquer avec lui! — (3) Disons ici que l'on possède à Churchill un tableau à la plume du P. Bazin, qui le révèle comme un dessinateur de mérite.
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CHAPITRE XVIII
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« C'est vrai que je ne suis pas plus pauvre aujourd'hui que je ne l'étais quand je vins ici pour la première fois; mais je suis bien plus malheureux, car je ne puis même pas dire la messe. Si longtemps sans messe ni bréviaire, c'est pénible. Je porte sur mon cœur la petite custode où sont les trois Hosties consacrées, et je la conserve ainsi. Je pourrai au moins faire ma visite au Saint-Sacrement, et me communier aux plus grandes fêtes. Si ce n'est pas liturgique, qu'y faire? J'en ai pour sept ou huit mois devant moi comme cela. M'enlèvera-t-on la consolation de communier quelquefois?
« Et avec cela, je me sens un grand désir de voir arriver les Esquimaux (4). Oh ! priez pour moi, Monseigneur, car je ne suis bon à rien.
« Comment le désastre s'est produit, le voici : Les planches que nous avions étaient de très mauvaise qualité : fendues en maints endroits, le vent s'y engouffrait et formait un gros courant d'air entre les deux cloisons de bois. On y remédiait de son mieux de temps en temps. Hier, c'était la tempête. Après ma messe et mon action de grâces, j'inspectai, à l'aide d'une chandelle, le dessous d'une petite fenêtre. A mon insu, la flamme fut violemment aspirée vers une fente mal bouchée, et le papier goudronnée entre les cloisons prit feu.
« J'essayai du dehors de soulever une planche du toit, pour envoyer un seau d'eau ; je n'en eus pas le temps : tout flambait déjà. Je voulus retirer et sauver au moins de quoi dire la sainte messe; je faillis y rester aveuglé et asphyxié par la fumée. Je ne pus sauver que les saintes Espèces. Du dehors, j'essayai de sauver quelque chose en cassant une vitre ; mais je ne pus attraper que mon livre de prières en esquimau, comme je vous l'ai dit.
« Après midi, j'ai fait des fouilles dans les décombres. J'y ai trouvé le petit calice fondu, à côté la pierre d'autel intacte, le linge qui l'enveloppe est à peine brûlé. J'ai retrouvé aussi parmi les charbons et les cendres une image de Guy de Fontgalland (5), qui était épinglée au mur.
« Peut-être trouverai-je quelques vivres encore mangeables. J'espère. Pour le moment, je n'ai qu'à pratiquer mon vœu de pauvreté à la lettre ; une seule chose me coûte, c'est de ne pouvoir dire la messe.
« Le 8 août. Au camp d'Anaoksak. — Les Esquimaux sont venus me chercher le surlendemain de l'incendie. L'un d'eux avait senti la fumée à quinze kilomètres de mon île (6).
Ils mirent un canot sur le traîneau, et risquèrent de traverser….
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(4) Qui devaient le sauver de la famine. — (5) Enfant mort en odeur de sainteté. Il paraît qu'une foule de miracles sont dus à son intercession. — (6) D'aucuns se montreront peut-être sceptiques; mais je sais moi-même par expérience à quel point les sens sont développés chez les primitifs.
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CHAPITRE XVIII
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Ils mirent un canot sur le traîneau, et risquèrent de traverser. Avec eux je pus visiter deux camps; dans quelques jours, nous retournerons à Abvajak. J'ai élu domicile chez le vieux Joseph Ikperiak. L'an prochain, j'aurai une tente pour l'été, en hiver la neige, la mousse, les roches ne manquent pas pour se terrer contre le froid.
« 25 août. Abvajak. — Nous sommes revenus. La Providence m'a aidé. Avec quelques bouts de bois pas trop calcinés, j'ai reconstruit en miniature, et vous écris avec une encre de ma fabrication. La nouvelle maison est couverte en peau de morse, une partie des murs est aussi en peau de morse. L'année prochaine on agrandira.
« 7 septembre. — Je suis allé explorer l'endroit où le chef avait vu du soi-disant charbon. Il y a bien une poudre noire, qui ressemble plus à la mine de plomb qu'à du charbon. Nous sommes allés aussi à la pêche, sur une rivière où les Esquimaux ont construit, il y a longtemps, un barrage en pierre, pour « trapper » le saumon qui remonte le courant. En quelques jours, nous en avons harponné quelques milliers pour l'hiver.
« Il y a quelques jours, un schooner est passé dans les environs, et s'est même arrêté une journée à Igloulik. J'étais absent. Quelques Esquimaux sont allés à bord; ils ne connaissaient pas un mot d'anglais, les blancs ne parlaient pas un mot d'esquimau ; ils n'ont pu se comprendre, et le bateau n'est pas venu ici. C'est dommage; j'aurais peut-être eu l'occasion de vous envoyer un mot.
« Par suite de la nécessité où je suis de me servir des vêtements et des couvertures des Esquimaux, je donne généreusement asile à des bataillons de petits locataires, qui se nourrissent gratuitement à mes dépens, sans demander permission. Comme je n'ai aucun moyen de leur interdire l'entrée de ma cellule, et que j'en recueille quelques nouveaux, à chaque visite des Esquimaux, j'invoque saint Benoît Labre, pour qu'il me donne la patience de supporter ces hôtes intempestifs (7) . Après tout, mieux vaut faire son purgatoire ici-bas; je dois avoir bien des dettes inscrites au grand cahier de saint Pierre.
« Nous avons retravaillé la nouvelle demeure. Le toit est en broussailles, herbes et mousse, les vitres en intestins de morse; c'est assez transparent et lumineux, mais trop appétissant pour les chiens, qui mangent la fenêtre pendant la nuit. Dans deux mois, j'espère avoir des habits de caribou neufs; alors j'irai visiter le camp des Akkunermiouts, où une famille est très bien disposée.
« Ma santé est excellente, mes pieds sont guéris. Ils avaient souffert du fait que mes bottes surchauffées, brûlées même pendant l'incendie, s'étaient si bien ratatinées qu'elles m'avaient blessé. Quant à la fatigue, je ne la connais pas, n'ayant encore réussi à rien faire depuis quatre ans que je suis dans le pays ( 8 ).
« Il me prend parfois envie d'avaler une bonne tasse de breuvage chaud. Je fais chauffer de l'eau, je pense fortement au thé ou au café, je ferme les yeux pour aider l'imagination, et j'avale tout d'un trait.
« D'autres fois, il me prend envie de faire un bon repas à la mode des gens civilisés. Alors je fais cuire une demi-douzaine de haricots calcinés, informes, recueillis un à un dans les charbons éteints, après le feu. Je ferme les yeux une seconde fois, et me dis que c'est bon pour expier les péchés de gourmandise de ma jeunesse.
« Les morses abondent…
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(7) Chacun sait que, par esprit de mortification, Labre conservait sur lui, pour en être incommodé, ces petits êtres qui répugnent à tout autre. — ( 8 ) Inutile de faire remarquer qu'en cela le cher Père est le seul de son opinion.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
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« Les morses abondent. Les chiens seront bien nourris l'hiver prochain. Nous voyons des centaines de morses dormant paresseusement sur la glace flottante. Nous les approchons, en tuons au fusil; le bruit ne leur fait rien, ils vous regardent dédaigneusement et c'est tout.
« Entre eux, ils se battent. J'ai assisté à bien des batailles: j'étais là tout près, ils ne s'occupaient pas plus de moi que si j'avais été de l'autre côté de la baie. L'an dernier, il y avait disette, et les Esquimaux avaient mangé des charognes vieilles de trois ans (9). Imaginez l'odeur de cette pourriture.
« Pour ce qui est de l'instruction et de la vie spirituelle des Esquimaux, ils persévèrent bien. Le dimanche, je leur fais des instructions ; malheureusement plus de messe maintenant. Les jeunes sont faciles à instruire, bien qu'ils soient doués d'une facilité d'oubli peu ordinaire. Les vieux sont plus difficiles ; non qu'ils manquent de bonne volonté, mais ils se sont formés tout seuls, et s'étaient fabriqué un drôle de christianisme avant notre arrivée.
« Je pense à l'avenir. Je me dis qu'au mois de février prochain, à Repulse Bay, j'apprendrai le nom de notre Révérendissime Père Général, élu en 1932 (10). Probablement, je serai le dernier à en être informé.
« Une petite radio ne serait pas de trop par ici. Puis, en juin 1934, je compte recevoir mon courrier de 1931-32, si je reviens ici. Si j'ai ordre de rester ailleurs, ce sera pour 1935 ou 1936 ; mais ce sera du nouveau quand même.
« Les dernières nouvelles que j'ai eues de ma famille étaient de l'année précédente; celles-là sont arrivées en retard. Elles m'annonçaient la mort de ma bonne mère, de mon oncle, le vicaire-général, que vous avez rencontré en 1929, et d'une de mes tantes. Le bon Dieu leur a donné leur récompense. Puissé-je les rejoindre, quand mon tour viendra !
« 24 septembre. — Mon admiration pour saint Benoît grandit toujours. C'était vraiment un grand saint.
« 8 décembre, fête des Oblats. — Je revois la chapelle du scolasticat, l'Immaculée est tout de même une bonne Mère, même pour moi."
« 25 décembre. — Noël, Noël. Pas de messe de minuit, ni d'aurore, ni du jour! Mais Noël tout de même, avec le sourire de l'Enfant-Jésus; Noël avec quelques consolations de la part de mes fidèles, et quelques espoirs du côté des païens. Noël ! Je souris en pensant à la dinde ou à l'oie d'autrefois. Elle est bien loin...
« Je me suis communié encore une fois; c'est Noël! Je me suis dit que…
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(9) II paraît que notre missionnaire dut parfois lui-même se nourrir de choses à peu près innommables. — (10) Le R. P. Théodore Labouré allait être élu Général le lendemain même du jour où ces lignes étaient écrites, c'est-à-dire le 8 septembre 1932.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVIII
ENCORE LES IGLOULIKS(suite)
« Je me suis communié encore une fois; c'est Noël! Je me suis dit que ce n'est peut-être pas bien liturgique de conserver ainsi si longtemps les saintes Espèces sur moi ; mais sans autel, sans tabernacle, sans ornements, que faire? Si la Sacrée Congrégation des Rites ne m'approuve pas, je ne le saurai que dans combien d'années? Tout sera chose du passé alors. Et si quelque liturgiste y trouve à redire, je l'invite à venir partager mon genre de vie (11).
« Cette nuit, en chantant le cantique de Noël en esquimau, Merci, merci, Jésus est né , je me disais : Merci, merci, je suis aussi pauvre que lui à sa naissance; il doit m'aimer, et je me suis communié sans hésiter.
« Repulse Bay, 18 avril, 1934. — Venu faire une petite visite ici, un beau soir, j'ai surpris le P. Clabaut et le P. Henry, après cinq semaines de voyage. Leur mission nouvelle est déjà bien florissante. J'ai reçu un mot du P. Girard ; il m'annonce que vous avez bien voulu reconnaître ma pauvre mission d'Abvajak, et la nommer Saint-Etienne. Vous ne sauriez croire combien cette délicate attention de votre part m'a touché. Je vous en suis profondément reconnaissant.
« Mon grand espoir maintenant est de voir le « Pie XI » à Abvajak; la mission serait ravitaillée au moins une fois tous les deux ou trois ans, mais surtout nos gens seraient si heureux d'avoir une chapelle, et moi si content de voir le bateau du Pape des Missions, au 70° à Abvajak, affermir la conversion des néophytes et assurer celle des païens.
« Je termine, Monseigneur et bien-aimé Père, en vous disant toute ma reconnaissance et tout mon dévouement, mais en vous demandant aussi le secours de vos prières et de votre bénédiction.Etienne BAZIN, O. M. I. »
Et maintenant il nous faut laisser nos héros modernes à leur grand silence blanc…
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(11) Une revue hebdomadaire de Vienne, en Autriche, le Schœnere Zukunft, après avoir résumé les tribulations du P. Bazin, dont la vie est simplement héroïque, assure-t-il, y remarque surtout « le Dieu de l'Eucharistie dans les glaces éternelles », s'il faut en juger par le titre de son article.
« Dans son total dénûment », écrit-il, « le missionnaire garde sa bonne humeur, comme il sied à un chrétien de cette trempe, qui sait avec certitude que Dieu permet tout ceci pour le plus grand bien. Même dans les glaces du pôle, un homme de prière n'est pas abandonné; il sait que son ange gardien se tient tout près de lui. Ce que le Père de Foucault, avec sa séraphique ferveur, a entrepris au nom du Christ dans le Sahara, le P. Bazin le réalise dans les glaces éternelles » (Ap. Missions des O. M. I., 1935, p. 198).
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVIII
ENCORE LES IGLOULIKS(suite)
Et maintenant il nous faut laisser nos héros modernes à leur grand silence blanc, qui s'allie si bien, nous l'avons vu, à une activité du meilleur aloi. Nous avons, dans le cours de ces pages, omis maint fait, surtout parmi ceux qui sont relatifs à ces derniers temps (12), qui auraient pu intéresser. Mais il fallait nous borner. Du reste, je crois en avoir fourni assez pour donner une idée adéquate de la vie et des travaux qui ont eu pour résultat de transformer les solitudes de la baie d'Hudson, en de florissantes chrétientés.
Fervet opus! La ruche bruit et déborde d'entrain : l'exemple venu du Chef est fidèlement suivi par les subalternes ; l'élan imprimé par le fondateur de ces missions est devenu irrésistible. Rien qu'à prendre le poste central, Notre-Dame de la Délivrande, on s'en assure facilement. Trois vieux Esquimaux restaient qui, encroûtés dans leurs vieilles superstitions, s'étaient attardés dans les ornières traditionnelles : ils viennent de se rendre à l'appel du missionnaire, et se sont joints à la troupe des néophytes, qui habitent cette place.
Tout le monde est désormais chrétien, et généralement chrétien exemplaire, au centre du vicariat ; grâce à une persévérance surhumaine, ceux qu'on regardait comme inconvertissables sont maintenant tous convertis à cette première station.
Le pasteur, à bord de son Pie XI, fait, comme je termine, la visite régulière de ses huit missions, pour les ravitailler matériellement aussi bien que spirituellement. Espérons qu'il aura plus de succès, avec son propre bateau, qu'il en eut, en 1933, alors que, passager d'un steamer où il n'était pas maître (13), il ne put voir qu'un de ses Pères (14), et pas un seul fidèle, malgré les 16.000 kilomètres de sa croisière (15). De fait, j'en suis convaincu, puisqu'il est maintenant libre de ses mouvements, autant que je suis sûr qu'une réception enthousiaste l'attend partout.
Laissons-le donc à sa tournée apostolique, tout en partageant en secret les joies qu'il va causer et celles dont il va jouir lui-même, et mettons fin à ces pages en remerciant Dieu de son infinie miséricorde, qui a suscité un homme selon son Cœur pour la conversion de ces pauvres abandonnés qu'on appelle les Esquimaux. Glorifions en même temps sa servante de Lisieux, qu'il a choisie pour seconder si efficacement l'action de celui qui est devenu le père et le soutien de ces ouailles primitives, qui pourraient désormais rendre des points à bien des chrétiens civilisés.
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(12) Par exemple, la récente disparition et la mort certaine du P. Pigeon, perdu en retournant à sa mission de Chesterfield. Pour éviter du mauvais temps sur mer, il était abordé dans le but de faire le reste du trajet à pied. On ne l'a jamais revu, et malgré plusieurs expéditions fort soigneuses, on n'a point encore retrouvé ses restes. S'il se noya en traversant quelque petite anse à marée basse, il est probable qu'on ne les retrouvera jamais.
Un bruit fort injuste qui courut les journaux était à l'effet que sa mort était arrivée à l'occasion d'une expédition de chasse. Rien de plus faux. D'abord le P. Pigeon n'avait point de goût pour la chasse comme telle. Ensuite il revenait d'une tournée de ministère à Rankin Inlet, où il avait passé plus d'une semaine à faire le catéchisme à quelques païens, à raffermir les chrétiens, offrant le Saint-Sacrifice non seulement au camp des Esquimaux, mais même en voyage, dans le campement éphémère d'une nuit passée sous la tente (D'après Mgr Turquetil, à la presse, août 1935). — (13) Le Nascopie. — (14) Le P. Girard. — (15) C'était lors de sa première visite à la mission de Pond Inlet, que les chrétiens avaient quittée pour leurs quartiers d'hiver, mesure qui devait les empêcher de mourir de faim pendant la saison froide.
A suivre : Épilogue.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
A suivre : Appendices.
ÉPILOGUE
Pour terminer par l'objet même de nos premières pages, je me trouvais récemment sous le toit hospitalier de Mgr Turquetil, à Churchill, où sa gracieuseté m'avait fait venir après la préparation de ce qui précède, lorsque, le matin du 7 août dernier, je vis de mon bureau un individu qui se dirigeait vers celui de Sa Grandeur. L'Anglais reparti, Monseigneur entrait chez moi, un papier jaune à la main.
— Tenez, Père Morice, fit le prélat, voilà quelque chose qui vous intéressera peut-être.
Je pris le papier et lus:Montréal, Que., 7 août 1935.
Monseigneur Turquetil, Churchill.
Reçois des Affaires Etrangères avis votre nomination Chevalier Légion d'Honneur. Veuillez accepter, avec mes meilleurs souvenirs, félicitations pour distinction si méritée, qui honore notre colonie française.TURCK, Consul Général.
Le vrai mérite était donc reconnu même par le gouvernement de la République française! Autrefois il expulsait les religieux; aujourd'hui il ne peut s'empêcher de les décorer. Que voulez-vous? Les hauts faits sont parfois si patents et les services à l'humanité si exceptionnels qu'il n'est pas toujours possible de les négliger.
La merveilleuse épopée des vingt-cinq dernières années de la vie d'un de ces missionnaires était arrivée jusqu'aux oreilles des gouvernants de la France. Mgr Arsène Turquetil, évêque de Ptolémaïs et vicaire apostolique de la baie d'Hudson, avait bien mérité de la patrie en convertissant les Esquimaux et en en faisant, avec des chrétiens exemplaires pour l'Eglise, des citoyens honnêtes et honorables pour une nation amie.
Quel est le mécréant qui, en pareil cas, trouverait à redire à l'action du Gouvernement français?
Naturellement les yeux de la foi font entrevoir une bien autre récompense au hérault de la Croix. Néanmoins la perspective de cette récompense n'est pas de nature à exclure ces petites marques d'estime que l'homme au pouvoir tient en réserve pour manifester son approbation de ce qui, pour lui, n'est trop souvent que de la philanthropie. Mgr Turquetil a amplement gagné celle qui est venue le trouver sur le gravier de Churchill.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
A suivre : Appendice 2 : Les Habitants.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
(suite)
A suivre : Appendice 3 : État de la Mission.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
(suite)FIN
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