Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.

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Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux. - Page 2 Empty Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.

Message  Louis Mar 27 Oct 2015, 11:53 am

CHAPITRE V

CHEZ  LES ESQUIMAUX

(suite)


 Je ne saurais donner des points à sa description; je la lui emprunte d'autant plus volontiers que cette transcription m'affranchira d'une accusation d'un excès de réalisme que d'aucuns pourraient être tentés de m'adresser. II écrit donc:

Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux. - Page 2 Page_110

« Le sol est jonché de peaux, de poils, entrailles de caribous, viandes fraîches, viandes sèches, ossements et [bois ou] cornes, débris de repas et mille impuretés de toutes sortes, suite d'un séjour prolongé d'hommes et de chiens. L'aspect est repoussant de saleté. Les caribous récemment abattus gisent pêle-mêle au milieu des ordures. Nul ne songe à les vider ni à les dépecer. A ces fins gourmets il faut du faisandé. Je ne parle pas de ces mille libertés que se permettent les enfants, voire même les chiens qui jouent au milieu de ces viandes informes. Il est des choses qu'on ne saurait exprimer.

« Bientôt cependant les chaleurs de l'été se font sentir. On ne se fera jamais une idée de ces horreurs. Un nuage de mouches couvre les chairs faisandées toutes saignantes, étendues à terre parmi tant d'immondices.   Le bourdonnement de ces milliers d'insectes s'entend à de grandes distances. Ce qui fut viande naguère n'est plus maintenant qu'une affreuse pourriture vivante qui grouille partout.

« La terre elle-même, tout imprégnée de sang, ne résiste plus à ces vers dévorants. On n'aperçoit plus un brin de mousse ni de foin autour de ces débris infects, l'odeur


nauséabonde qui se dégage de toutes ces horreurs devient insupportable. Le vent souffle-t-il du côté du camp? on ne saurait plus respirer. Les sauvages abandonnent leur loge. Moi aussi, je quitte ma tente et me mets à errer tout le jour.

« Là je médite en silence sur la voracité des moustiques qui me mangent tout vivant. Ils sont légion et se fourrent partout. Le moustiquaire qui me protège en est tout couvert. Leur musique grinçante m'abasourdit. Un vrai fléau »

Du campement considéré comme tel passons à l'intérieur de la demeure esquimaude…

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Message  Louis Mer 28 Oct 2015, 11:23 am

CHAPITRE V

CHEZ  LES ESQUIMAUX

(suite)

Du campement considéré comme tel passons à l'intérieur de la demeure esquimaude.

« C'est une loge conique et hermétiquement close de toutes parts. Elle est de peau de caribou, poil en dehors. Soulevez la peau qui ferme l'entrée. Une forte odeur vous saisit à la gorge. Ces loges sont si bien fermées qu'elles ne laissent même pas entrer un moustique; mais, par contre, elles sont de vrais accumulateurs de l'odeur nauséabonde qui se dégage du camp.

« En outre, la propreté n'y brille pas (1). Restes de repas, menus morceaux de gras ou de graisse fondue qui se hâtent de rancir pour mieux aiguiser l'appétit, voilà l'aspect de la salle à manger. Cette même loge sert de chambre à coucher, et, comme telle, n'est qu'une sentine infecte. L'ameublement est fort simple. Quelques peaux de caribou étendues au fond servent de tapis le jour et de lit la nuit. Admirez en passant les perches qui soutiennent ce palais. Elles ont appartenu aux ancêtres, qui les cherchèrent jadis au pays des Montagnais et se les transmettent de père en fils comme un précieux héritage » (2).

Parlerons-nous maintenant de la cuisine ? C'est un sujet tout aussi scabreux. Je laisse donc encore la parole à notre jeune apôtre.

« Les Esquimaux sont mangeurs de cru. C'est même ce que signifie leur nom. L'été, pourtant, ils mangent rarement la viande crue et saignante, mais plutôt celle qui a été séchée au soleil. La préparation ou le séchage de la viande constitue donc la cuisine ordinaire des ménagères esquimaudes. Ce sont elles, en effet, qui ont laissé faisander à point les pièces de gibier, étendues pêle-mêle dans le camp décrit plus haut. Ce sont elles qui dépècent maintenant la viande en tranches épaisses, et l'étendent à terre sans aucun souci de propreté. Elles encore qui doivent surveiller le séchage de la viande.

« Ni les mouches, ni les vers qui pullulent, ni la pluie



qui hâte la décomposition, n'entrent en ligne de compte dans leurs préoccupations. La viande reste étendue par terre, jusqu'à ce que la chaleur ait tué les derniers vers. Ensuite elles la retournent ou, s'il faut parler avec plus de vérité, elles retournent ce qui fut viande. La cuisine est faite. Chacun, hommes, femmes, enfants, voire même les chiens, peut, si l'appétit lui en dit, choisir et déguster ces débris informes et repoussants » (3)

Et le repas? …

_______________________________________________________________________

(1) Missions des O. M. I., vol. pour 1907, p. 342. —  (2)  Ibid., p. 343. — (3) Ibid., p. 346.

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Message  Louis Jeu 29 Oct 2015, 10:49 am

CHAPITRE V

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(suite)

Et le repas? Le missionnaire en décrit deux espèces, un repas d'été et un d'hiver.

« J'avais », écrit-il, « été invité personnellement au repas de poisson. Il y avait longtemps que je n'en avais point mangé; c'était l'heure du dîner, il fallait faire plaisir au monde, une occasion d'apprendre la langue : j'acceptai. Naïf que j'étais, de me croire assez esquimaudé pour partager le repas de mes gens!

« J'entre dans la loge obscure. Tout le monde est couché à plat ventre autour du plat. Dans le bouillon et parmi les restes du repas précédent nageaient deux poissons blancs, bouillis tout ronds, sans être écaillés ni vidés. L'un des convives coupe, un autre arrache, un troisième plus expéditif encore enlève le morceau, y croque à belles dents et le rejette dans le plat. Puis un silence, les mâchoires fonctionnent avidement; soudain les lèvres s'entr'ouvrent, les dents se desserrent, et un jet puissant d'écailles, d'arêtes et d'os broyés s'échappe de toutes les bouches dans la direction du plat.

« Le bouillon saute et sursaute de toutes parts. Au même instant les quatre doigts et le pouce se retrouvent ensemble au plat. Les plus vifs s'empressent de saisir le reste, et un autre recherche les menus débris de chair mâchée, et plaisante sur la maladresse du convive malhabile qui l'a rejetée avec les écailles.

« Je regardais, triste et étonné, cette scène sauvage. Quatre têtes s'abattent à la fois sur le bouillon, qui disparaît en un clin d'œil. Les buveurs se relèvent, prennent une longue haleine en signe de satisfaction. Un enfant verse un reste de bouillon dans le plat et la scène recommence. On apporte ensuite de l'eau en quantité, la chaudière passe de bouche en bouche. Le menu est épuisé, tous les récipients vidés, le repas est fini » (4).

Turquetil continue un peu plus loin:



« Nous voici en novembre. J'allais aux malades. Entrant dans la loge, je restai un instant interloqué à la vue du spectacle que j'avais sous les yeux. Un corps de caribou gît à terre dépouillé de sa peau. On ne l'a pas vidé, on n'a même pas coupé les cornes. Tous s'acharnent aux côtes. L'intérieur est mis à jour. On crève la panse qui contient l'assaisonnement indispensable.

« Tout le sang figé et congelé qui entoure le cœur et les poumons est l'autre condiment nécessaire. Alors seulement commence le festin. Ce spectacle m'impressionne plus que tout ce que j'avais vu jusqu'alors. Je n'ai donné ici que les grandes lignes. Un tableau trop fidèle mettrait à nu des choses qu'on ne peut lire sans dégoût »  (5).

Gageons que la plupart des lecteurs en ont assez. Rétrogradons maintenant un peu.

Dès les premiers jours après l'arrivée du missionnaire…

______________________________________________

(4) Ibid., p. 347. —  (5) Ibid., p. 348.

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Message  Louis Ven 30 Oct 2015, 1:09 pm

CHAPITRE V

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 Dès les premiers jours après l'arrivée du missionnaire, ce ne sont que questions sur questions de la part des Esquimaux.

— Viens-tu de l'autre côté de la mer? Ton père vit-il encore?

La réponse est négative.

— Retourneras-tu dans ton pays?

— Je ne puis; c'est trop loin, et je suis venu dans ce pays pour y rester.

— Dans ce cas tu dois avoir le cœur bien fort, dit-on. Quant à nous, nous ne serions pas capables de quitter notre pays pour aller chez les blancs. Mais que viens-tu faire par ici?

Voilà qui devient sérieux, on le voit. Alors, se servant du jargon montagnais, le prêtre explique aussi bien qu'il peut sa mission sur la terre, qui est de préparer à la vie éternelle du ciel — son premier sermon! Fit-il impression? On en parla longtemps, paraît-il. Mais la vie éternelle est quelque chose de bien nouveau pour l'entendement natif, un sujet fort peu intéressant aux glaces des Esquimaux. Ils cherchèrent donc quelque chose de plus pratique.

—Qui t'a envoyé ici? lui demande-t-on.

— Le grand chef des Priants pour ce pays.

— T'a-t-il dit de venir seul?

— Non, mais je n'ai pu trouver de Montagnais. Ils avaient peur de vous, et disaient que vous tueriez le prêtre.

— Et toi, tu n'as pas peur?

— Si vous prenez le fusil ou la hache, vous pouvez me tuer, puisque vous tuez bien le caribou, qui est plus fort que moi. Mais vous ne me tuerez pas par la sorcellerie. C'est une mauvaise chose, qui n'est bonne à rien. Je n'ai pas peur, puisque je suis venu pour voir ce que vous ferez avec les blancs.

Que se passa-t-il alors dans l'esprit de ces païens? Ils furent évidemment satisfaits de ses réponses, puisque l'un des assistants se chargea dès lors de lui fournir chaque jour de la viande fraîche, tandis qu'un autre jeune homme s'attachait à lui pour lui apprendre la langue. En même temps, l'un et l'autre le mettaient désormais au courant de tout ce qui se disait sur son compte.

— Il ne faut pas tuer le prêtre, disaient les vieux. Il est seul parmi nous et a confiance en nous.

On lui demanda bien un jour si le missionnaire mettait les gens à mort quand on ne l'écoutait pas.

— Je ne suis pas un agent de police, se contenta-t-il alors de répondre, et dès lors ils redoublèrent de bonne volonté à son égard.

Restait la question des mœurs…

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Message  Louis Sam 31 Oct 2015, 12:53 pm

CHAPITRE V

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(suite)

Restait la question des mœurs. Je retrouve dans l'exposé qu'il en a fait comme un éclaircissement de ce j'en ai déjà écrit d'après d'autres.

« La corruption extrême des sauvages des pays chauds a fait croire que le climat joue un grand rôle dans la question des passions », dit-il. « Volontiers on se figurerait trouver des anges en ces déserts glacés. Hélas! la nature humaine, corrompue par le péché, se retrouve partout la même. Il m'est absolument impossible d'entrer dans aucun détail sur les mœurs privées et sur la famille des Esquimaux.   Comment passer dans la boue sans se salir?

« Qu'il me suffise de dire que l'enfant suce le vice avec le lait maternel. Je n'entends pas seulement parler ici des mauvais exemples qu'il a sous les yeux, mais bien d'une formation positive, d'un apprentissage forcé subis par l'enfant de la part d'un chacun en guise de caresses. Ainsi éveille-t-on chez lui la nature. La malice, par suite, devance l'âge, et l'âge consomme la malice. La seule pensée de tant de misères morales fait saigner le cœur » ! (6) .

Quant à la femme elle est souvent appelée chienne par son mari, alors même qu'il n'est pas mû par le moindre mouvement d'impatience. L'une d'elles se mourait près du prêtre.    Elle râlait avec peine, et la souffrance contractait



ses membres amaigris. Pendant ce temps, son conjoint restait impassible, et mêlait ses railleries et ses plaisanteries déplacées à celles de ses compagnons. Ce que voyant, le missionnaire reprocha au vieux son manque de cœur.

— Mais ne vois-tu pas que ce n'est qu'une femme? fit alors le mari de celle qui agonisait.

Sur quoi il reçut une semonce, un petit sermon assez cru qui l'humilia sans doute, mais ne changea nullement ses sentiments. En attendant, la civilisation frappait ainsi discrètement à la porte de la société esquimaude, et, comme d'habitude, le prêtre s'en montrait le précurseur attitré.

Un autre jour qu'il était dégoûté de l'inconduite de ses gens et fatigué des propos plus que libres dans lesquels ils se complaisaient, il s'empara de leur propre expression telle qu'adaptée à leurs femmes:

— Va-t-en, chien, dit-il à l'un de ses voisins; je suis venu ici pour voir des hommes, non pas des chiens.

Et peu à peu dans ces esprits grossiers s'introduisait la notion que le prêtre est réellement un homme supérieur, puisqu'il réclame sans cesse les convenances dans les paroles comme dans les actes. Ces réprimandes, accompagnées du ton courroucé qui convenait, valaient bien un petit sermon.

« J'ai passé cinq mois en compagnie des Esquimaux », écrit-il plus tard, et je n'osai jamais mettre le pied dans leurs loges sans être formellement appelé par eux. On savait qu'il fallait être correct avec le Père, car j'avais posé mes conditions. Je dois dire d'ailleurs qu'ils me comprirent vite, et se montrèrent toujours réservés en ma présence » (7).

Avec le relâchement des mœurs…

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(6)  Missions des O. M. I., p. 351. — (7) Ibid., p. 353.

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Message  Louis Dim 01 Nov 2015, 12:13 pm

CHAPITRE V

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Avec le relâchement des mœurs, la sorcellerie est le point qu'il dut le plus âprement combattre, point qui parfois ne fut pas sans occasionner pour lui quelque danger. C'était en juillet 1906. Le jeune homme chargé de lui fournir des vivres s'était singulièrement attaché à lui lorsque, sans aucune cause apparente, il tomba gravement malade, et son cas fut bientôt désespéré. Or, chose curieuse, dès que le prêtre s'en approchait, il se sentait délivré de son mal; aussitôt le prêtre parti, il devenait comme fou furieux, et donnait les signes les moins équivoques de douleurs aiguës  de nature mystérieuse.

Des Esquimaux du Nord venaient justement d'arriver, en vue de se procurer de leurs compatriotes un peu de cette poudre et de ces balles que personne ne pouvait leur fournir dans leur pays. Chacun voulut alors essayer de sa magie sur le pauvre jeune homme; mais son ami le prêtre s'y opposait autant qu'il pouvait. Le premier sorcier du pays fut néanmoins mandé en toute hâte. Mais, plus confiant dans le missionnaire, le malade demanda un jour à venir coucher avec son maître.

Comme on voulait l'introduire dans la tente de celui-ci, une force inconnue et incompréhensible détermina en lui une violente crise; mais, une fois entré, il reprit vite ses sens et s'endormit. A midi, il demandait à manger et refusait les services du magicien. On put ainsi se rendre compte de la puissance du prêtre, ce qui produisit une forte impression.

Mais le soir même, arrivait le grand jongleur. La nuit venue, celui-ci fait sur lui ses incantations. Au milieu de la cérémonie burlesque, un cri inhumain, un hurlement à glacer d'effroi se fait entendre, et le sorcier, les yeux hagards, finit par s'endormir. C'était le sommeil magique, pendant lequel le magicien est supposé apprendre la cause du mal et la manière de le guérir.

L'esprit évoqué était de mauvaise humeur, paraît-il, et la présence du prêtre semblait le gêner beaucoup.

Le lendemain soir…

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Message  Louis Lun 02 Nov 2015, 12:53 pm

CHAPITRE V

CHEZ  LES ESQUIMAUX

(suite)

Le lendemain soir, le sorcier errait à l'aventure sur les hauteurs des alentours.


Il fit dire au prêtre de ne pas sortir la nuit, parce que l'esprit avait peur de lui. Bientôt recommencent les cris, objurgations et hurlements de la veille. On vient alors annoncer au missionnaire que le malade va guérir : on a découvert qu'un sorcier du Nord lui a jeté un sort, lequel disparaîtra avec la mort de l'étranger. On a trouvé celui-ci, et on l'a poignardé de trois coups de coutelas.

Mais pendant qu'on se réjouit de la guérison imminente du jeune homme, celui-ci est un fou furieux et agit comme tel, essayant de mordre quiconque s'approche de lui, même ses propres enfants. Le prêtre seul est reconnu de lui, et il se calme comme automatiquement en sa présence.

On recommence donc les diableries, et, comme résultat final, le patient expire misérablement, en des circonstances si singulières que Turquetil est tenté de voir en elles les signes d'une vraie possession du démon.

Dès lors on se mit à vanter son pouvoir sur les esprits. Mais tous ces discours n'étaient au fond que ruse et piège recelant comme une menace indirecte, une épée de Damoclès  maintenant suspendue sur sa tête.    Si le jeune homme n'avait pas guéri sous l'action du magicien, c'était, pensait-on, parce que le prêtre voyait ses incantations d'un mauvais œil et en paralysait les effets. Toute la faute en retombait donc sur lui. Ne voit-on pas le danger?

Fort heureusement que Dieu vint à son secours. Alors qu'un mouvement de malaise, de ressentiment au souvenir de l'échec du sorcier eût mis sa vie en péril, quatre familles mortagnaises lui arrivèrent inopinément, fort étonnées de trouver le prêtre seul avec les Esquimaux, d'autant plus qu'elles étaient elles-mêmes venues là sans trop savoir pourquoi. Ces sauvages comprirent vite qu'il se tramait quelque chose contre lui, et voulurent le ramener chez eux. Mais il insista pour rester, et ce fut cette insistance qui le sauva. Rien de tel que la confiance et le calme pour mériter les bonnes grâces de ces infidèles!

Il profita pourtant des canots des Montagnais pour pousser une pointe vers le Nord, visitant ainsi trois campements d'Esquimaux, parmi lesquels il put se perfectionner dans sa connaissance de leur caractère. Il rentra après neuf jours d'absence.

Il engagea alors fortement les parents…

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Message  Louis Mar 03 Nov 2015, 12:20 pm

CHAPITRE V

CHEZ  LES ESQUIMAUX

(suite)

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Il engagea alors fortement les parents à laisser baptiser leurs enfants en bas âge. Comme ils croyaient sa magie plus forte que la leur, ils n'osèrent pas le contredire, et un jour fut fixé pour la cérémonie. Mais personne ne vint. Il n'y avait plus un homme au camp, et les femmes ne pouvaient rien faire sans la permission de leurs maris. Le prêtre revint trois fois à la charge ; mais ce fut peine perdue. Dieu voulait intervenir lui-même, pour que son messager sût bien que la conquête de ces jeunes âmes n'était pas due uniquement à ses efforts.

Un Esquimau vint un jour trouver le Père.

— Mon frère, qui l'an passé eut la jambe fracassée par une balle, est tombé en sortant de son canot, dit-il, et les os se sont de nouveau brisés. Viens le guérir.

« Médiocre médecin, j'étais nul comme chirurgien », écrit le P. Turquetil à ce sujet ( 8 ). Pilules cathartiques, remèdes contre la toux, emplâtres et médecines pour les plaies telles que borax, acide carbolique, etc., telle était toute sa pharmacie. Pour lésions internes, rien. On lui tendait évidemment un piège.

Il fallait pourtant faire quelque chose, sous peine de passer pour indifférent aux misères des aborigènes. Il envoya donc à l'infirme un peu de borax et d'acide carbolique pour en laver la jambe, promettant une visite pour le lendemain.

Le jour suivant, un dimanche, il eut la messe avec les Montagnais, auxquels il recommanda de prier pour qu'il obtînt la permission de baptiser les enfants. Chemin faisant, il croyait entendre déjà les cris de douleur, sinon les reproches, du malade. Celui-ci était guéri ! . ..

— Je ne souffre plus du tout, déclare-t-il en jetant sur le prêtre un regard d'affectueuse gratitude.

Puis, comme d'habitude, terrible philippique de celui-ci contre la sorcellerie, dont l'inanité est patente, et hymne d'actions de grâces au Dieu tout-puissant, qui seul tient la vie et la mort entre ses mains.

Quelques jours plus tard, autre guérison qui parut tout aussi miraculeuse. Une autre fois encore, dans la nuit du 30 octobre, le prêtre dormait paisiblement lorsque soudain un Esquimau se précipite sur lui.

— Père, père, sorcier, sorcier, crie-t-il, le fils du chef se meurt, et le chef te demande.

Le missionnaire se lève à la hâte, et trouve le patient sans connaissance, poussant des cris affreux, la face congestionnée et livide et tout le corps en proie à de terribles convulsions. Il lui fait respirer dix minutes de l'ammoniaque, après quoi le jeune homme le regarde fixement, comme pour se rappeler quelque chose; puis il lui tend une main amie, tout en faisant signe qu'il ne peut parler. Le prêtre lui recommande de rester bien tranquille; puis voilà le patient qui s'adresse à son père et à sa mère.

— Je pensais mourir, fait-il, et vous vous ne faisiez autre chose que de pleurer. Le prêtre, lui, n'a point pleuré, mais il est fort et bon et il m'a guéri.

Le lendemain matin, complètement remis de son mal, il partait pour la chasse!

Pareille faveur se paie. Aussi le chef apporte-t-il force présents au prêtre.

— Je n'en ai pas besoin, déclare celui-ci. Ce qu'il me faut, c'est la permission de faire, par le baptême, vos petits garçons et vos petites filles enfants de Dieu qui a guéri ton fils, permission qui, le chef l'admit enfin, ne pouvait se refuser.

Ce furent les prémices de cette nation barbare.

___________________________________________________

( 8 ) Missions, p. 491.

A suivre: Chapitre VI. Première Mission esquimaude.

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Message  Louis Mer 04 Nov 2015, 12:15 pm

CHAPITRE VI

PREMIÈRE MISSION ESQUIMAUDE

Le R. P. Turquetil ne rentra qu'au mois de novembre 1906 dans sa mission du lac Caribou. Au cours de l'hiver 1907, il se rendit à Prince-Albert en vue de s'entendre avec son supérieur sur l'établissement d'un poste chez les Esquimaux. Mais l'érection d'un nouveau vicariat apostolique pour l'Est était déjà à l'étude. Il fallait attendre la solution de cette question avant de rien entreprendre.

Entretemps, il prodigua, à titre de supérieur local (1) , les soins les plus assidus aux Montagnais mangeurs de caribou, qui, en grands enfants qu'ils étaient, réclamaient une attention de tous les instants. Un Déné ne va trop souvent pas loin sans tomber s'il n'est soutenu et fortifié par les efforts du prêtre, de même qu'une montre s'arrête infailliblement si elle n'est remontée tous les jours.

Cette espèce d'interruption dans la préparation de l'œuvre à laquelle il s'était consacré de préférence dut être une rude épreuve pour notre missionnaire. Il avait faim et soif de la conquête à Jésus-Christ de la peuplade dont il avait fait la connaissance, au prix des privations de toutes sortes qu'il avait endurées chez elle et des répugnances gastronomiques qu'il avait mainte fois dû surmonter.

Une de ces privations, légère en apparence, qui n'en pourrait pas moins sembler insupportable à beaucoup de blancs, était le manque de sel dans la cuisine indigène. Or ce condiment réputé indispensable à la vie humaine, il s'en était passé pendant plus de six mois de suite. Ce qui ne l'empêcha pas d'entendre plus tard un savant déclarer ex cathedra que l'homme ne peut vivre sans sel, et citer l'exemple d'une tribu de la lointaine Russie qui, incapable d'exporter son poisson pendant la grande guerre, ne pouvait recevoir en retour le sel nécessaire à la vie; en sorte que ces gens moururent de faim à côté de montagnes de poisson.

Cette assertion a coutume de faire bien rire notre héros, qui, lui aussi, sait raisonner, et a en plus l'expérience en sa faveur.

— L'Esquimau se repaît du contenu de l'estomac du caribou, c'est-à-dire de l'herbe et du lichen que l'animal a absorbés et ruminés. Ces matières végétales sont-elles donc l'équivalent du sel? a-t-il coutume de dire. A ma connaissance, les Esquimaux passent non pas des mois, mais des années et des années sans sel, et ne s'en trouvent pas moins bien.

Quant à lui personnellement, avouons qu'il doit être doué d'un estomac quelque peu apparenté à celui des Esquimaux, vu qu'il ne serait guère appétissant pour le lecteur d'apprendre la nature de certains « mets » qu'il a dû ingurgiter, en compagnie de ses ouailles peu difficiles sous ce rapport — ne serait-ce que le poisson cru et vivant dont nous avons déjà parlé.

Les privations d'ordre matériel étaient donc un jeu pour notre missionnaire.

_______________________________________________________________

(1) Ayant comme socius le P. Louis Egenolf, qui s'y trouve encore, maintenant à titre de directeur, ou supérieur.

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Message  Louis Jeu 05 Nov 2015, 3:50 pm

CHAPITRE VI

PREMIÈRE MISSION ESQUIMAUDE

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Les privations d'ordre matériel étaient donc un jeu pour notre missionnaire. Aussi l'appréhension d'avoir encore à s'y soumettre ne pouvait l'empêcher de soupirer après l'évangélisation de ces barbares.

Comme intercesseur auprès des Supérieurs majeurs pour hâter l'établissement de la mission esquimaude si désirée, le P. Turquetil avait alors le bon, le saint P. Gasté, maintenant. à son pays natal, Laval, Mayenne. « J'ai traité avec le R. P. Grandin l'affaire de l'établissement de votre Mission projetée chez les Esquimaux », écrivait-il au P. Turquetil en date du 13 avril 1909. « Il n'en était pas partisan dès l'abord, je vous l'assure. Il a fini cependant par y consentir, à la condition, toutefois, qu'elle fût fixée à la limite du bois (2). Par là seront enfin accomplis les vœux que j'ai toujours formés pour leur évangélisation » (3).

Et comme s'il eût pris pour décidé ce qui n'était qu'en projet, le Père lavallois lui envoyait déjà des aumônes en argent et en nature : ornements sacerdotaux, mobilier d'églises, etc.

L'heure allait enfin sonner pour le P. Turquetil où le grand œuvre de sa vie devait commencer. Le 28 août 1910, le Pape avait nommé le Père Ovide Charlebois, 0. M. I., titulaire d'un nouveau vicariat apostolique, créé sous le nom de Keewatin (4). Le premier acte officiel du nouveau dignitaire fut en faveur de notre zélé missionnaire.



Visitant, au lendemain de son sacre, les bureaux de la Catholic Church Extension à Toronto, Mgr Charlebois reçut communication d'une lettre provenant d'un membre de la gendarmerie canadienne, qui avait passé quelques années à Fullerton (5) , au nord-est du soi-disant fjord, ou plutôt estuaire, du fleuve Chesterfield, que Turquetil avait toujours considéré comme la place la plus propice pour l'établissement d'une mission. Ce fonctionnaire demandait maintenant un prêtre, pour les Esquimaux, qu'il déclarait bien disposés.

Le nouveau prélat n'hésita pas un instant. Dans un magnifique élan de foi et de zèle apostolique, avant même de s'être lui-même bâti une maison, il décida de fonder une station de missionnaires chez les Esquimaux de la baie d'Hudson, et envoya une obédience à cet effet au R. P. Turquetil.  C'était la première donnée dans le nouveau vicariat.

Cela se passait en janvier 1911. Le récipiendaire de cette « faveur », qui était venu en traîneau à chiens à Prince-Albert, s'en retourna au lac Caribou, et, avec les mêmes chiens, entreprit le voyage de cette place à Churchill, sur la baie d'Hudson.


Arrivé là après une terrible course…

__________________________________________________

(2) Condition qui démontre bien comme on ignorait alors jusqu'aux éléments pratiques de la question. — (3) Paris, 13 avril 1909. — (4) Prononcer Kîwêtinn. — (5) Cap très prononcé juste à l'ouest de l'île Southampton.

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Message  Louis Ven 06 Nov 2015, 11:38 am

CHAPITRE VI

PREMIÈRE MISSION ESQUIMAUDE

(suite)

Arrivé là après une terrible course, il prend tous les renseignements voulus, et fait un rapport concluant à la possibilité, que dis-je? à la nécessité, d'ouvrir un poste permanent à l'entrée de la longue baie Chesterfield, par le 63° 20', où la compagnie de la baie d'Hudson établissait elle-même un petit fort de traite.

Par sa position géographique, ce point semblait d'ailleurs désigné d'avance pour le siège de la nouvelle fondation religieuse, étant, pour ainsi dire, le centre de groupes importants d'Esquimaux, comme ceux du cap Fullerton, du cap Esquimau, du lac Baker, juste à l'ouest du fjord-fleuve, et d'autres camps de l'intérieur dans l'intérieur des terres : rivières Doubawnt, Kasan, etc.

Mû par son zèle dévorant, le P. Turquetil se demandait même si pareille fondation n'avait pas été déjà différée trop longtemps. Car, bien que les ministres protestants établis à Churchill depuis plus d'un siècle n'eussent jamais fondé aucun poste de mission en pays esquimau, ils avaient cependant trouvé le moyen de distribuer nombre de bibles ou livres de prières provenant des missionnaires Moraves du Labrador (6) . Un Esquimau adopté à la mission protestante de Churchill leur servait de truchement.

Le P. Turquetil note le résultat de cette propagande: quelques indigènes avaient appris à lire les caractères syllabiques des Cris. Lisant la Bible, Dieu et le Christ leur apparurent comme des êtres supérieurs aux autres ; aussi donnaient-ils ces noms à leurs meilleurs chiens.

Ailleurs, le P. Turquetil excuse volontiers ces ministres de n'avoir pas fait davantage. « La Compagnie de la Baie d'Hudson elle-même, pourtant si avide de fourrures, qui avait fondé des postes de traite partout dans le Nord-Ouest, n'avait pas encore osé s'établir au pays des Esquimaux. Comment vivre sans feu, disait-on, dans le pays le plus froid du monde? »

Mais quand vint le prêtre catholique, en 1911, déclarant son intention d'aller à Chesterfield, l'année suivante, on dépêcha un métis avec une toute petite cabane qu'on prît à Churchill pour la transporter à Chesterfield. Mais le poste ne fût réellement construit qu'en 1912, en même temps que la mission catholique. Pour une fois, la Compagnie ne pouvait se vanter de traduire H. B. C. par : here before Christ (7) .

Cela n'empêcha pas les ministres de crier bien haut à « l'invasion » du prêtre catholique, du prêtre français dans leur paroisse, et cela en pays britannique ! L'histoire dira un jour tout ce qui fût mis en œuvre pour contrecarrer l'entreprise du P. Turquetil ; on y verra sans doute aussi que, sans lui, ce pays esquimau serait encore fermé aujourd'hui à tout apostolat chrétien.

Voilà donc la fondation de la mission à l'entrée de la grande rivière Chesterfield…

______________________________________________________________

(6) Ne dirait-on pas que ces pauvres protestants se servent près des Esquimaux de la Bible comme d'un fétiche, estimant que sa seule possession suffit à sauver un primitif, ou du moins à le protéger de tout danger? — (7) Ici avant le Christ.

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Message  Louis Sam 07 Nov 2015, 11:17 am

CHAPITRE VI

PREMIÈRE MISSION ESQUIMAUDE

(suite)

Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux. - Page 2 Page_110

Voilà donc la fondation de la mission à l'entrée de la grande rivière Chesterfield ( 8 ) décidée en principe. En second lieu, il est maintenant reconnu, comme résultat des explorations de son premier supérieur, que l'accès à cette place — de fait à n'importe quelle place peuplée d'Esquimaux — par la voie de terre n'est pas pratique, bien plus impossible. Il faut avoir recours à la mer pour s'y rendre, et surtout pour y transporter les matériaux indispensables à l'érection de pareil poste.

Le lecteur ne pourra s'en étonner qui aura quelque idée de la situation. Chesterfield, comme du reste tout le littoral de la mer intérieure qu'on appelle baie d'Hudson et le territoire qui l'avoisine, à trois cents milles à la ronde, est une triste solitude sans le moindre terrain cultivable; en été un sol rocailleux, hérissé de pierres aiguës, et sans aucune trace de végétation, et, pendant les dix mois de l'hiver, un désert de neige et de glace.

Ce qui veut dire que vous n'y trouvez en aucune saison les éléments d'une planche pour y bâtir un gîte, pas plus qu'un morceau de bois de chauffage si vous voulez y passer la saison froide. Si vous désirez y élever la plus humble bâtisse, il vous est nécessaire d'y transporter les matériaux nécessaires; si vous devez y séjourner longtemps, il vous faut tonnes sur tonnes de charbon, qui ne peut vous parvenir qu'au prix d'une forte somme d'argent.

Et pourtant, confiant dans la belle œuvre de la Propagation de la Foi et comptant sur la générosité canadienne et française, le P. Turquetil devait accomplir ce miracle.

Il commença donc par des tournées de prédications et de conférences qui faisaient connaître la nature de la belle mission qui lui était confiée et amorçait la munificence chrétienne. Ce furent ensuite mille allées et venues, déterminées par des achats de toutes sortes, aux prix les plus avantageux; puis, après délais sur délais, il se procura un passage sur un bateau de la compagnie de la baie d'Hudson pour lui-même, son fret et le compagnon qui venait de lui arriver de France.

Celui-ci était le R. P. Armand-René Le Blanc, O. M. I, natif de Saint-Servan, Morbihan. Il avait fait son noviciat au Bestin, Belgique, et, après un an de caserne, à Belfort, avait fait son scolasticat à Liège, où il avait prononcé ses derniers vœux le 1er avril 1907. Il venait de recevoir son obédience pour Chesterfield.

C'était un homme plein de santé et d'entrain, gai comme un pinson et heureux de vivre, qui allait se montrer un excellent compagnon pour son supérieur, jusqu'au jour où une épreuve au-dessus de ses forces devait le terrasser.

Après des atermoiements sans nombre…

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( 8 ) Appelée mal à propos baie ou inlet.

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Message  Louis Dim 08 Nov 2015, 1:34 pm

CHAPITRE VI

PREMIÈRE MISSION ESQUIMAUDE

(suite)

Après des atermoiements sans nombre, au bout desquels on se demandait encore si le Nascopie, le bateau à bord duquel les deux missionnaires avaient pris passage, pourrait se rendre jusqu'à Chesterfield, il démarra enfin, le 24 juillet, du quai où l'on avait été obligé de le charger de nouveau, vu qu'à un premier débarcadère sa cargaison l'avait enfoncé dans le lit du fleuve, pas assez profond à cet endroit.

Il avait à bord, outre son équipage et les deux missionnaires catholiques, un ministre protestant, missionnaire à un poste du Baffin Land, et il devait faire escale en plusieurs localités pour lesquelles il avait des marchandises. Après avoir quitté l'estuaire du Saint-Laurent, il fut bientôt obligé de se frayer un chemin au travers de véritables champs d'icebergs, dont une fois pas moins de vingt l'entouraient.

« Le froid est intense, le brouillard très épais », écrit alors le directeur de la mission projetée (9). Rien d'étonnant à cela, puisqu'on se trouve dès lors dans le grand réfrigérateur de l'Amérique du Nord, le stream du pôle, dont les deux prêtres auront constamment à subir les effets dans leurs lointains parages.

Le 3 août, un énorme iceberg vient même se planter juste en face du Nascopie, auquel il barre un moment le passage. Il touche le fond, paraît-il, et ne peut plus remuer.

A Rigolet, petit poste de traite sur la côte du Labrador, les missionnaires tombent sur une douzaine de familles d'Esquimaux, dont le P. Le Blanc admire la corpulence, sans pouvoir apprécier en elles la beauté des personnes du soi-disant beau sexe.

A Port Burwell, nouveau groupe des mêmes indigènes, qui compte cette fois cent-dix âmes. Ces gens vivent de la mission qu'y entretiennent les Frères Moraves. Ils sont, comme partout ailleurs, gais, actifs et sans le souci du lendemain. A l'entrée du havre au Lac (Lake Harbour), se trouvent cinq cents congénères de ces barbares, qui bénéficient d'une autre mission protestante datant de trois ans. Pendant ce laps de temps, le ministre n'a encore pu baptiser que six personnes.

Le lendemain, 19 août, le petit navire mouille à l'extrémité sud-ouest du détroit, et le dimanche 25, il touche à Churchill, qui n'est encore qu'un simple poste de traite (10) ,



malgré son passé historique et les ruines imposantes de ces vieilles fortifications (11).

Enfin, le 3 septembre 1911, en la fête de la Mère du Bon Pasteur…


___________________________________________________

(9) Missions des Oblats de Marie Immaculée, pour 1913, p. 339. — (10) Chacun sait qu'en devenant tout récemment la tête de ligne du chemin de fer du Pas à la baie d'Hudson, ce poste a été d'emblée bombardé ville, avec une population récente de 1,517 habitants en été, tombée à 500 en 1935. On ne donne pas son chiffre pour la saison d'hiver. — (11) Ce poste s'appelait alors le fort du Prince de Galles, et avait été construit d'énormes blocs de pierre, qui le rendaient moralement imprenable autrement que par la famine. De fait, son mur de façade, fait de roches et de terre, a encore pas moins de 45 pieds d'épaisseur ! Or, le 9 août 1782, l'amiral La Pérouse s'en empara sans coup férir, son commandant, l'explorateur Samuel Hearne ayant alors fait preuve d'une couardise qui dégoûta ses propres gens. Voir ill. Nº 28.

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Message  Louis Lun 09 Nov 2015, 12:27 pm

CHAPITRE VI

PREMIÈRE MISSION ESQUIMAUDE

(suite)

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Enfin, le 3 septembre 1911, en la fête de la Mère du Bon Pasteur, date appropriée à l'événement, s'il en est, on arrive à Chesterfield, par un beau temps clair, calme et même chaud. Tout porte à la joie. Le moment solennel, après lequel le P. Turquetil soupire depuis douze ans, est enfin arrivé. Les missionnaires y trouvent vingt-deux tentes d'Esquimaux, tout un village.

« Les gens sont propres et paraissent avancés en civilisation », écrira plus tard, avec un soupçon d'optimisme qui ne durera peut-être pas longtemps, le supérieur de la mission qu'il va fonder demain. « L'endroit est plaisant. Un beau lit de sable de gravier, près d'un petit lac d'eau fraîche courante d'un mille et demi de long. La chasse est fort abondante, la pêche aussi; les Esquimaux viennent nombreux au petit poste ouvert l'an dernier » (12) .

Va sans dire que les nouveaux arrivés ne pouvaient de suite se rendre compte de tous ces détails. Pour le moment des soucis plus pressants réclament leur attention.

Après avoir salué ceux qu'ils considèrent comme leurs ouailles, que ne manque pas d'impressionner leur croix d'Oblats, ils cherchent à fixer le site de leur future demeure. Le sol est partout couvert de gros cailloux qui en font un véritable casse-cou. Ils vont plus loin et, à une certaine distance du fort de traite, ils tombent sur une dépression dans la roche remplie d'un beau sable blanc plane comme



un tapis de billard, non loin du petit lac susmentionné.

Leur décision est vite prise : c'est là qu'ils vont s'établir. Ils bâtiront sur le sable; mais leur édifice n'a pas besoin de fondations, et il n'en sera pas moins solide. « J'aurais voulu planter une croix à cet endroit », écrit le P. Le Blanc, qui nous a laissé une intéressante relation de l'établissement de la Mission. « Hélas ! dans tout le pays je ne pourrais trouver deux morceaux de bois pour en faire une minuscule; attendons que notre bois soit arrivé » (13) .

Voilà donc le lecteur bien fixé sur la nature du sol et l'absolue nudité du pays.

C'est alors que les deux Pères s'aperçoivent que…

_______________________________________________________

(12 ) Missions, ubi suprà, p. 347. — (13) Missions des O. M. I., pour 1913, p. 349.

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Message  Louis Mar 10 Nov 2015, 11:02 am

CHAPITRE VI

PREMIÈRE MISSION ESQUIMAUDE

(suite)

C'est alors que les deux Pères s'aperçoivent que les gens du Nascopie ont jeté pêle-mêle, sur la grève qui avoisine le fort, les effets de la mission avec ceux de la compagnie de la baie d'Hudson, maladroite méprise qui a pour résultat un surcroît de travail bien inutile. Heureusement que les Esquimaux, fiers de recevoir chez eux des étrangers dont ils espèrent beaucoup plus d'avantages matériels que de secours spirituels, les aident de grand cœur à tout charrier à l'endroit choisi pour la mission.

Ce n'est pas une petite corvée, car rien qu'en ce qui regarde les planches, pas moins de quatorze mille pieds sont à transporter à quatre cents mètres de là où on les a laissés ! Et il y a le charbon, qui empêchera les missionnaires de geler vifs, sans compter une infinité de caisses, où se cachent surtout les fruits de la charité canadienne.

Trait de mœurs indigènes, on voit des femmes, dont une avec un bébé dans son capuchon en peau de caribou, porter des sacs de charbon de plus de cent livres !

Cet ouvrage de malencontreux transport ne prend pas moins de deux jours, au bout desquels les 84.000 livres de marchandises sont rendues là où l'on va les utiliser.

Dès le lendemain matin, les deux Oblats se mettent à la construction de leur nouveau gîte. Aucun d'eux n'est charpentier— il n'est pas question de maçons en Amérique— mais ils ont dû prendre quelques leçons dans l'art de bâtir en bois avant leur départ, et, aidés de quatre Esquimaux dégourdis, ils ont vite dressé la carcasse de leur maison: deux pans de mur faits de madriers cloués ensemble sur le sable en forment les principaux côtés, entre l'extrémité desquels ils introduisent les deux bouts dominés par le pignon (14). Puis ils assujettissent le tout ensemble le plus solidement qu'ils peuvent ; car le vent est quelque chose de terrible en ce pays, leur assure-t-on.


Ils en ont une preuve la nuit suivante. Aussi, de bon matin, après avoir été hébergés par un M. Ford, le « bourgeois » du fort, courent-ils au théâtre de leurs efforts de la veille, où ils constatent avec la plus vive satisfaction que la charpente de leur maison a résisté à l'orage.

Celle-ci ressemble en ce moment à une gigantesque cage de dix mètres de long, sur cinq de large et quatre de haut.

Les deux charpentiers improvisés reprennent vite scie et marteau, recouvrant d'un rang de planches à l'extérieur les barreaux de leur cage, qui graduellement prend la forme d'une maison ; puis ils posent la charpente du toit.

A Chesterfield, la journée officielle de huit heures est inconnue. A quatre heures et demie chaque matin, le marteau du directeur, qui concasse le biscuit pour la journée, donne le Benedicamus Domino, la prière est faite en commun, le déjeûner  préparé, et l'on commence un travail acharné. Un jour de plus ou de moins, à la saison où nous sommes, peut faire une immense différence : interrompre la construction pour dix mois, et alors que fera-t-on?

Qu'on ne s'imagine pourtant pas que ce dur labeur assombrisse l'humeur de n'importe qui. Au contraire, c'est sur le chantier une gaieté, et même un tapage, incroyables. On est heureux, joyeux et satisfait, même quand le marteau s'avise de retomber sur un doigt au lieu du clou que l'on visait.

A la fin de la première semaine, le toit était fini. Nouveau sujet de satisfaction : on pourra, maintenant s'abriter contre la pluie, ou la neige ; car ici l'hiver ne se fait jamais attendre.

Le travail était pourtant loin d'être achevé: à peine ébauché. Une deuxième rangée de planches recouvrant les joints de la première doit se poser à l'extérieur, et la même manœuvre se répéter à l'intérieur. Puis il y a le plancher, et dès lors on installe le petit poêle de cuisine. On a enfin un chez soi, bien qu'il n'y ait encore ni portes ni fenêtres, pour l'apposition desquelles toute l'habileté du P. Turquetil doit être mise à contribution.

Puis une idée vient à l'esprit des deux apôtres: …

___________________________________________________

  (14)  V. les gravures 58 et 59. illustrant la construction de l'hôpital.

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Message  Louis Mer 11 Nov 2015, 10:49 am

CHAPITRE VI

PREMIÈRE MISSION ESQUIMAUDE

(suite)

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Puis une idée vient à l'esprit des deux apôtres: si nous disions la messe devant les Esquimaux, dont un bon nombre


sont arrivés pour traiter leurs fourrures? Nous leur ferions ainsi comprendre, non pas sans doute ce qu'est le Saint-Sacrifice, mais au moins combien nous attachons d'importance à la prière et à tout ce qui nous rattache à Dieu. Ces pauvres gens ne pourraient qu'en être bien impressionnés, et les premières impressions restent d'habitude.

Aussitôt dit, aussitôt fait.  De suite un autel avec un simulacre de tabernacle est improvisé, le tout garni de belles tentures et enrichi de dentelles de prix, et chacun des indigènes est convié chez les nouveaux arrivés.

Le lendemain, à dix heures du matin, les Esquimaux se dirigent sur la Mission. Là le P. Turquetil leur donne à entendre qu'ils ont à se découvrir, à mettre pour le moment leur pipe de côté et à se tenir bien tranquilles.

La messe commence alors, célébrée par le P. Le Blanc, pendant que son supérieur tire les accents les plus harmonieux du petit harmonium qu'ils ont apporté avec eux (15). Puis celui-ci essaie de faire comprendre, dans un mélange de mots esquimaux assaisonnés des termes anglais connus de quelques hommes, comment les prêtres n'étaient pas venus comme les gens du fort pour avoir leurs fourrures, ou faire le commerce avec eux, mais pour leur enseigner à bien vivre et par là mériter d'aller au ciel, la patrie commune vers laquelle chacun doit tendre.

Cette première messe au pays esquimau eut au moins l'avantage d'apporter quelque consolation aux deux apôtres qui, dans leur ignorance du véritable caractère esquimau en ce qui est du surnaturel, purent facilement s'imaginer qu'ils avaient fait du bien à leurs ouailles. En réalité, ils leur avaient donné comme une exhibition de ce qu'était leur grande « médecine », leur sorcellerie à eux — telle était sans nul doute l'impression des assistants à cette cérémonie de nature si insolite pour eux.

N'importe, ils étaient heureux, d'autant plus qu'ils travaillaient dès lors à la disposition intérieure de leur demeure, maintenant presque achevée. Le 2 février 1913, ils installaient le Saint-Sacrement dans leur chapelle intérieure minuscule. Dieu était avec eux, et ils étaient avec Dieu. Ils pouvaient maintenant s'attaquer au travail intellectuel et attendre les prémices de leur ministère sacerdotal.

Pour exercer ce ministère, est-il besoin de le dire…

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(15) Tous les primitifs goûtent fort la musique.

A suivre : CHAPITRE VII . SEMANT DANS LES LARMES

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Message  Louis Jeu 12 Nov 2015, 12:19 pm

CHAPITRE VII

SEMANT DANS LES LARMES

Pour exercer ce ministère, est-il besoin de le dire, il fallait pouvoir parler convenablement ; car les Esquimaux sont par nature moqueurs et même gouailleurs. Ils n'accepteront que ce qui leur est dit d'une manière correcte. D'où connaissance assez parfaite de la langue comme condition sine quâ non de succès, même relatif.

Or les idiomes des aborigènes américains, modelés sur un type absolument différent de celui des nôtres comme terminologie, et surtout comme morphologie, pour parler comme les savants, c'est-à-dire composés de mots formés d'après des règles difficiles à saisir, ne peuvent guère s'apprendre sans livre, ou du moins sans commencer par faire des fautes monumentales.

Sans être hérissé des mêmes difficultés que, par exemple, les langues dénées de la Colombie Britannique, l'esquimau ne fait pourtant point exception à la règle générale. Il peut se vanter de particularités sui generis. Au point de vue de la prononciation, il est plus abordable, vu que sa phonétique, ses sons, n'ont pas la complexité et la délicatesse de ceux qui distinguent les dialectes dénés; mais ses substantifs et ses verbes subissent tant de transformations, qu'on ne peut faire aucun progrès dans l'étude de cette langue tant qu'on n'a pas découvert le mécanisme qui est à la base de tous ces changements.

L'esquimau n'accolera jamais ensemble deux substantifs, comme les Anglais le font pour des noms comme railway, tramway, steamboat, etc., mais il ouvre en deux le substantif, entre le radical et la terminaison, et y intercale toutes les idées immatérielles, tout ce qui n'est pas substantif, de manière à ne faire qu'un mot du tout. C'est ce qu'on appelle le procédé de l'incorporation.

Ainsi un seul terme pourra signifier, selon sa facture particulière:

Avoir une maison, ou faire une maison;

Avoir une belle maison, ou faire une belle maison, une nouvelle maison.

D'où, par exemple, « et pourtant, je voudrais bien avoir une nouvelle maison », qui se rend par un seul mot. Car « avoir » ne se conçoit pas seul, mais suppose la possession de quelque chose, ce qui peut aussi se dire de « faire, vouloir », etc. De même pour ces idées: « et pourtant », et tout ce qui est adverbe de manière, d'être ou d'agir; comme: « il parle beaucoup, il marche vite », etc. : une seule idée, un seul mot.

Mais il est extrêmement difficile au débutant qui comprend qu'on parle d'une maison de savoir ce qu'on en dit.

Et quand, plus tard, le missionnaire s'essaie à composer ainsi des mots longs de huit à quinze syllabes, il doit connaître les règles de la juxtaposition propres aux différentes idées — car on ne les met pas indistinctement où l'on veut, chacune a sa place dans le mot. Puis il doit bien observer les règles d'euphonie, tel son suivi d'un autre changeant de telle ou telle façon, non pas de telle autre.

Sans quoi il dira parfois tout le contraire de ce qu'il a en tête. Ainsi dans l'expression : " il ne peut presque pas marcher ", qui se rend par un seul mot, si vous mettez la négation à la mauvaise place, vous dites: " il peut marcher, et non pas presque ", c'est-à-dire qu'il est un grand marcheur.

Une autre difficulté pour les missionnaires venait de…

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Message  Louis Ven 13 Nov 2015, 11:43 am

CHAPITRE VII

SEMANT DANS LES LARMES

(suite)

Une autre difficulté pour les missionnaires venait de ce que l'Esquimau n'était pas habitué à penser aux choses surnaturelles, et partant n'en parlait pas. Il fallait donc choisir dans son vocabulaire, si riche pour les choses de nature matérielle, les mots, les nuances qui rendraient le mieux l'idée abstraite.

Le P. Turquetil nous apprend dans l'un de ses intéressants rapports comment, au cours de sa troisième année, ayant pu se procurer quelques passages de la Bible traduits en esquimau par les Frères Moraves du Labrador, et ayant lu à ses gens cette recommandation de Notre-Seigneur: « Soyez parfaits comme votre Père du ciel est parfait», les Esquimaux répétèrent ce texte mot à mot, et en approuvèrent pleinement l'exactitude. Mais quand le Père, surpris, leur demanda ce qu'ils avaient compris :

—  C'est bien simple, répondirent-ils, le livre dit qu'il faut être gros et gras, jamais malade; il en est ainsi au ciel !

Si des gens qui ont passé des années et des années en compagnie d'Esquimaux, et peuvent profiter des travaux de leurs devanciers (1), commettent de pareilles énormités dans ce qu'ils ont la prétention de donner comme la parole de Dieu, comment, à plus forte raison, deux Français fraîchement débarqués, et sans l'aide d'une page écrite ou imprimée, ne pouvaient-ils pas tomber dans des fautes de prononciation ou de grammaire, en bégayant une langue qui leur avait jusque-là été totalement étrangère?

Ils pouvaient aussi parfois prendre pour le nom de certains objets une expression destinée simplement à dénoter l'ignorance de leurs soi-disant guides linguistiques. Par exemple, un mot apparemment très simple, amiarô, était noté par eux comme l'équivalent de notre substantif « charbon », alors qu'en réalité il signifie: je ne connais pas cela (2).

C'étaient alors parmi les naturels des scènes d'un burlesque achevé. Les Esquimaux étaient pris d'un fou rire incontrôlable qui n'en finissait pas. Ils se roulaient sur le plancher, et quand, finalement, l'un d'eux pouvait s'échapper de la maison des Pères, il appelait hommes, femmes et enfants campés sous la tente, et chacun de s'écrier:

— Allons, Barbu (3), répète donc ce que tu as dit, afin que nous aussi nous puissions rire.

« Sans grammaire, sans dictionnaire, sans professeur, nous avions notre oreille, notre langue, un crayon, du papier et beaucoup de patience », n'en devait pas moins écrire plus tard celui qui avait le don de tant égayer ses ouailles sans le vouloir. Et il finit par réussir dans l'étude de ce qui, au commencement, n'était guère pour lui que mystère sur mystère.

En attendant…

__________________________________________________________________

(1) Les Frères Moraves sont en Amérique nord-est depuis deux cents ans. — (2) La réponse de l'indigène, évidemment, à la question du prêtre: Comment dis-tu charbon? — (3) Le nom sous lequel les Esquimaux connaissaient le P. Turquetil.

_________________
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Message  Louis Sam 14 Nov 2015, 10:26 am

CHAPITRE VII

SEMANT DANS LES LARMES

(suite)

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En attendant, chacun des deux Pères s'occupait de son mieux à la maison, en dehors des heures de classe. Avec les nombreux exercices religieux des Oblats, les mille petits détails du ménage, sinon le parachèvement de l'habitation commune, impossible de rester oisif. En outre, les missionnaires s'échappaient parfois encore, pour apprendre au contact des Esquimaux, et leur montrer un intérêt qui ne pouvait que tourner à bien. C'est ainsi que le P. Le Blanc écrivait en juin 1913 à Mgr Charlebois, O. M. I. son Ordinaire :

« Je suis rarement sorti au cœur de l'hiver. Trois ou quatre fois, habillé de peau des pieds à la tête, je suis allé voir les Esquimaux chasser le phoque et le morse sur la glace. Mon grand nez a pâli plusieurs fois devant les bourrasques qui le fouettaient, mais les Esquimaux veillaient sur moi, et venaient le frotter lorsqu'il se gelait . . .

« Nous avons passé de longues soirées d'hiver à faire toutes sortes de petits travaux de menuiserie, de sculpture, etc., tout en étudiant la langue . . .



« Nous voici à la mi-juin bientôt. J'ai peine à y croire. Nous avons encore de la neige et de la glace partout, et pas un arbre, pas une fleur ne vient nous annoncer que la saison chaude arrive. Quel triste pays quand même! Mais ce qui n'est pas triste, Monseigneur, c'est notre petite vie de famille et notre affection pour vous » (4).

Ces petites sorties ne pouvaient avoir que de bons résultats, sans compter qu'elles constituaient pour les missionnaires d'honnêtes récréations les jours sur semaine. La vie était si monotone, au sein de leur grand silence blanc, comme on a baptisé leur milieu ! Le dimanche, il en allait autrement, et cette remarque nous rappelle la grande croix que les deux apôtres eurent si longtemps à porter.

Il y avait près d'un an qu'ils s'étaient établis parmi les Esquimaux, et ils n'avaient pas encore eu le moindre ministère à exercer, pas même un baptême d'enfant à conférer. Pas encore le plus faible signe d'une velléité de conversion, ou d'une simple tendance à accepter l'instruction, forcément fragmentaire, ou les manières de faire, de ceux qui avaient tout quitté pour sauver leurs âmes !

Que dis-je? Il semblait même que ces esprits grossiers n'avaient pas encore saisi la nature de leur mission parmi eux!

« Les dimanches et les jours de fête sont assez tristes », écrivaient les deux Pères à M
gr Langevin, O. M. I., archevêque de Saint-Boniface. Nous avons presque toujours du monde, mais pas un seul chrétien, personne qui comprenne quelque chose aux cérémonies, pas de cloche, pas de confessions ni de communions, pas même de catéchisme, juste quelques Esquimaux qui viennent pour entendre la musique et par crainte de nous déplaire en ne venant pas.

« Ces pauvres gens nous prennent pour des sorciers, et croient que nous pourrions les tuer, si nous n'étions pas contents. Ils ne connaissent pas mieux. Quand ils voient l'autel illuminé, les ornements, le prêtre qui prie, chante, asperge ou encense, la petite lampe qui brûle constamment dans la chapelle, quand ils nous entendent dire le chapelet, réciter les litanies — comme il n'y a personne pour leur expliquer ce que cela veut dire — ils pensent que nous faisons quelque sorcellerie, et ils ont peur, ne sachant pas à quel esprit nous nous adressons.

« Eux ils croient à des dieux ou à des déesses au fond de l'eau, qui sont les maîtres absolus des hommes et des animaux. Des sorciers consultent ces esprits, et, comme ils sont grassement payés pour faire leur magie, ils ne seront pas les premiers à se convertir » (5).

A côté de cette ignorance…

___________________________________________________________

(4) Les Cloches de Saint-Boniface, pour 1913, p. 412. — (5) Ibid., 1914, p. 134.

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Message  Louis Dim 15 Nov 2015, 12:02 pm

CHAPITRE VII

SEMANT DANS LES LARMES

(suite)

A côté de cette ignorance, sinon indifférence, religieuse qui fendait le cœur des apôtres, il y avait encore les soucis d'ordre matériel qui surgissaient longtemps après les pre-


mières difficultés de leur installation au pays. Par exemple, leur vicaire apostolique, Mgr Charlebois, leur avait envoyé, non seulement un courrier abondant, mais des provisions et du combustible — combien nécessaire! — mais ils ne reçurent rien. Leur supérieur fut longtemps sans pouvoir communiquer avec eux, mais apprit par un tiers que les deux missionnaires et trois ou quatre employés de la compagnie de la baie d'Hudson, ayant ramassé tout ce qui restait du combustible de l'année précédente, logeaient tous ensemble dans une unique chambre, vivant de la chasse tout comme ceux que les premiers étaient venus évangéliser.

Qu'était-il donc arrivé?

Tout d'abord, ne recevant rien du monde civilisé, et le bateau sauveur s'obstinant à ne pas faire son apparition au moment voulu, ils avaient commencé par faire la guerre au caribou. Malheureusement ce gibier se tenait soigneusement loin de leurs fusils, bien plus, du pays tout entier. En sorte que, pressées par la famine, les autorités de la compagnie des traiteurs avaient dépêché à Churchill, lieu de ravitaillement, une baleinière montée par des Esquimaux.

C'était en juin 1913. Enfin, pensait-on, on allait avoir vivres et correspondance. Les semaines, puis les mois, se succédèrent; rien n'arrivait. L'automne, si vite suivi de l'hiver dans ces parages, approchait, et l'on s'attendait jour après jour à voir poindre à l'horizon les blanches voiles de la baleinière qui allait sauver la situation. Les yeux inquiets de traiteurs et missionnaires en furent pour leur peine.  Rien ne vint.

L'année s'acheva pour tous dans ce qu'on pourrait qualifier de morne consternation. Or le 10 janvier, un cri retentit soudain:

— Les voilà qui arrivent.
— Qui?
— Les Esquimaux, nos baleiniers.
— Sont-ils tous vivants?
— Oui, tous vivants.
Deo gratias! s'écrièrent les deux prêtres; merci, merci (6) , fit la foule.

On apprit bien vite qu'une goélette de cent tonnes, destinée à faire le service entre Churchill et Chesterfield Inlet n'étant point arrivée à temps, les Esquimaux de la baleinière avaient repris la mer, et étaient sur leur retour lorsqu'ils furent assaillis par une tempête qui jeta leur embarcation sur les rochers de la côte, où elle se perdit corps et biens.

L'un d'eux se mit alors en route pour Churchill, dans le but d'y trouver secours et assistance, mais il tomba sur un autre groupe de naufragés, dont le bateau, maintenant en pièces lui aussi, avait été envoyé pour ravitailler Chesterfield. N'était-ce pas jouer de malheur?

Tout était perdu ; dix ou douze tonnes de provisions et deux sacs de lettres, etc., dont l'un fut bien recouvré, mais avec presque tout son contenu en bouillie!

Donc maintenant…

___________________________________________________________

(6) Chez sauvages et Esquimaux, ce mot français est reconnu comme l'expression de la reconnaissance.

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Message  Louis Lun 16 Nov 2015, 10:43 am

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Donc maintenant disette intellectuelle pour les missionnaires: pas de courrier, et disette matérielle, point de vivres! Tout le monde s'en ressentit, naturellement, indigènes et blancs, mais pas tous au même degré, vu que les premiers peuvent faire bombance avec ce qui fait horreur aux seconds.

La Compagnie avait acheté d'eux des peaux de morse qui. écrit le P. Turquetil, « ne sentaient pas la rose » (7), étant donné l'état de semi-putréfaction de l'animal auquel elles avaient appartenu. Après les avoir laissé tremper dans l'eau, on les coupa en lanières à coups de hache, et, bouillies pendant vingt-quatre heures, ces peaux, qui sont extrêmement épaisses et coriaces, servirent de nourriture aux natifs et probablement à d'autres.

« Ce qui est difficile, ce qui est impossible », écrivait encore le directeur de la mission, « c'est de refuser [l'aumône] aux gens qui se trouvent dans une situation extrême. Il nous arrive des voyageurs dont les chiens sont morts de faim en route, et ces pauvres gens, exténués eux-mêmes, exposent si bien leur cas quand nous les questionnons que, sans rien demander ni quêter, ils excitent la pitié et obtiennent toujours quelque chose » ( 8 ).



En dépit de leur propre détresse, les Pères avaient alors toute une famille à leur charge : père, mère et deux enfants ; puis ils adoptèrent temporairement le bébé d'un des Esquimaux naufragés.

Ce qu'il y avait de plus déplorable dans les circonstances était le fait que la disette qui sévissait parmi les indigènes était trop souvent due à leur attachement à leurs superstitions, qui prohibaient tel et tel travail en telles et telles conditions, défense ridicule contre laquelle invectivaient en vain les deux prêtres.

Ceux-ci, le plus âgé surtout, pouvaient maintenant se faire assez comprendre de leurs ouailles — si l'on peut appeler ainsi des gens qui n'appartenaient nullement à leur bercail. Le P. Turquetil se crut dès lors assez fort en esquimau pour donner son premier sermon. C'était le jour de la Pentecôte 1915, et l'impression qu'il produisit fut, paraît-il, énorme. Mais ce fut un succès de nouveauté. L'Esquimau, né malin, incrédule et gouailleur, ne se laissa pas si facilement gagner.

Du reste, disons-le à la honte de notre civilisation…

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(7) Missions des O. M. I., 1914, p. 322. — ( 8 ) Ibid.  p. 323.

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Message  Louis Mar 17 Nov 2015, 12:06 pm

CHAPITRE VII

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Du reste, disons-le à la honte de notre civilisation, un obstacle à la conversion des indigènes qui n'était pas à dédaigner était le scandale causé par quelques-uns des blancs qu'ils connaissaient, et qui se faisaient une gloire de ne croire ni à Dieu ni à diable — sans doute pour pouvoir être plus libres dans leurs rapports avec les Esquimaudes.

Mais les Esquimaux, qui étaient encore pires au point de vue des mœurs, fermaient volontiers les yeux sur leurs dérèglements, et ne considéraient dans le blanc que les effets de son génie : machines de toutes sortes, produits aussi précieux qu'admirables et inventions toutes plus extraordinaires les unes que les autres.

— Si ce que dit le Barbu est vrai, disaient-ils, les blancs, qui ne sont pas fous, le sauraient aussi bien que lui, et se garderaient de tout ce qui pourrait les mener en enfer.

Puis, pour en avoir le cœur net, ils allèrent jusqu'à demander formellement à ces blancs ce qu'ils pensaient de l'enseignement du prêtre.

— Mais c'est bien simple, assurèrent-ils; votre Barbu est un fou, dont personne ne voulait dans son pays. Ne pouvant rester là, il est venu ici essayer de vous initier à ses folies.

Et les Esquimaux juraient bien qu'on ne les y prendrait pas, résolution qui n'était pour eux que trop facile à tenir, vu qu'ils sont par nature tenaces dans leurs idées et ancrés dans les croyances et pratiques qu'ils tiennent de leurs ancêtres.

Pendant ce temps…

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Message  Louis Mer 18 Nov 2015, 10:49 am

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Pendant ce temps, de généreux bienfaiteurs, même dans la vieille France, s'intéressaient au sort des missionnaires et de ceux qu'ils ne pouvaient encore regarder comme leurs ouailles. Parmi ces bienfaiteurs le P. Gasté avec ses amis de Laval, ne fut pas le moindre. Dès le 23 avril 1912, il leur envoyait, avec une bonne somme d'argent, certains objets que je ne puis m'empêcher d'énumérer ici.

C'étaient un petit calice de voyage ayant servi au P. Gasté dans son oratoire privé; un ciboire neuf tout en vermeil donné par la Comtesse de Quatrebarbes ; une croix d'autel avec ses chandeliers; un encensoir avec sa navette; une étole pastorale noire, une chape rouge, deux ornements blancs, un ornement vert, un autre violet, un autre encore pour voyages à cinq couleurs. Puis du linge d'autel : pâles, purificatoires, corporaux, amicts, manuterges, quatre aubes, bourse pour bénédictions, etc. En plus, il y avait pour un Père ou un Frère une couverture, trois excellents pardessus ayant appartenu à un M. de la Péraudière, etc.

Puis c'étaient, en différentes fois, des sommes d'argent variant entre 500, 800, 1,300 et 1,500 francs.

Plus précieux encore pour les deux missionnaires étaient les encouragements qui leur venaient du vétéran retiré avec sa sœur, alors âgée de 91 ans.

« Faut-il vous dire, mes bons Pères », écrivait le P. Gasté, « que votre héroïque courage, votre patiente endurance, en même temps que votre gaîté imperturbable et votre admirable union m'édifient singulièrement, et non pas moi seul, mais encore tous ceux qui peuvent connaître par vos lettres (9) vos lourdes épreuves, non moins que votre rude genre de vie dans ces déserts de glace, où vous travaillez si généreusement à la gloire de Dieu et au salut des âmes les plus abandonnées » (10)

Et de peur que le découragement ne vînt enfin les abattre en présence de l'apparente inutilité de leurs efforts, le même P. Gasté leur mandait deux ans plus tard :

« Quelques entraves que présente à votre ministère actuel l'état des choses qui vous entourent encore, ne désespérez point de l'avenir. Votre endurance religieuse et héroïque vous prépare des triomphes superbes, si vous savez tenir jusqu'au bout. Dussiez-vous ne pas voir vous-mêmes ces triomphes, ce que j'ai peine à croire, vos successeurs récolteraient le fruit de vos travaux. Vous auriez semé dans des larmes bien méritoires, ils récolteraient, eux, dans la joie et la reconnaissance les gerbes abondantes de la moisson que vous leur auriez préparée.. .

« Courage, donc, toujours et quand même, bien chers frères et amis de cœur » (11).

Ces encouragements étaient bien réconfortants, d'autant plus qu'aucun changement n'était alors visible dans les dispositions des Esquimaux, gens tenaces s'il en fut, qui n'abandonnent qu'à bon escient la voie suivie par leurs pères.

Néanmoins l'expérience a prouvé que…


________________________________________

(9) Que reproduisait la Semaine Religieuse de Laval. — (10) Laval, 3 juin 1914. — (11) Laval, le 5 juin 1916. Le P. Gasté avait alors près de 86 ans et sa sœur 93!

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Message  Louis Jeu 19 Nov 2015, 11:46 am

CHAPITRE VII

SEMANT DANS LES LARMES

(suite)

Néanmoins l'expérience a prouvé que, comparés aux Indiens, qui les méprisent autant qu'ils en sont méprisés (12),  il y a chez eux de l'étoffe pour de grandes choses, de fait, plus qu'on en trouve chez les sauvages. Ceux-ci, je me permettrai d'assimiler à une pelote de caoutchouc pleine d'air. Vous la pressez avec le doigt; elle cède de suite, mais revient aussi vite à son état premier dès que vous la lâchez.


C'est le cas de l'Indien qui, n'osant vous contredire en face, suit immédiatement vos directives, quitte, dans trop de cas, à revenir à son vomissement.

La boule à laquelle je comparerai l'Esquimau n'est pas pleine de vent; elle est solide et résiste à la pression du doigt; mais quand cette pression est parvenue à avoir raison de sa résistance, elle retient la forme que vous lui avez imprimée.

C'était là une caractéristique que les premiers missionnaires ne pouvaient deviner. En attendant, ils « semaient dans les larmes » (13) ; récolteraient-ils un jour dans l'allégresse? Le P. Turquetil ne se décourageait point devant les moqueries à peine voilées dont sa prédication était l'objet; mais il n'en était pas de même de l'excellent P. Le Blanc, tout bon, généreux et confiant qu'il était.

Lui aussi dut se mettre à prêcher. Il le fit un an après son supérieur. Mais quand, après avoir bien préparé son sermon, il entendit ses plus grands amis, ceux pour lesquels il s'était pendant presque quatre ans dévoué corps et âme, rire de lui et dire qu'il devait être aussi bête que le Barbu pour ajouter foi à pareilles sornettes, il en fut tout déconcerté, et reçut comme un choc dont il ne devait pas se relever. Il avait été si bon pour les Esquimaux ; il se glorifiait de n'avoir que des amis parmi eux, et voilà comment ils l'en récompensaient!

Il se reprit pourtant assez vite, et continua même à prêcher, mais sans résultat.

Plus tard, un courrier de France lui apprit à la fois la mort de son père et celle de trois de ses frères tombés au champ d'honneur. C'en était trop pour lui, et la nature exigea un copieux tribut de larmes. Malheureusement, il fut surpris pleurant par un Esquimau, qui en fut scandalisé.

— Comment? dit-il, mais après tout ce n'est qu'une femme ! Voyez-le donc qui pleure !

Cette circonstance scella son sort. Désormais, dans la solitude de la Mission, son état ne fit qu'empirer, et, peu après, son supérieur dut se convaincre qu'un changement d'air et de scènes était devenu impérieux pour lui.

« Autre épreuve », écrivait-il le 11 septembre 1916, « le R. P. Le Blanc, mon compagnon, est ruiné de santé ; on ne le reconnaît plus. Heureusement le bateau arrive; autrement il n'y aurait plus d'espoir pour lui de se rétablir » (14).

Le pauvre Père s'en alla donc avec le départ du Nascopie. Mais il ne survécut point au voyage (15). Pendant ce temps, le P. Turquetil restait seul prêtre à la Mission, situation de tous points douloureuse dans un poste si isolé. Il était évidemment écrit qu'il boirait jusqu'à la lie le calice que le Ciel lui présentait. Quatre années de perdues apparemment; pas une seule conversion, pas un baptême même d'enfant? Au lieu de cela les rires et les moqueries de ceux dont il s'était promis de sauver les âmes !

Et pourtant, indice d'un caractère fortement trempa, il ne se découragea point.

__________________________________________________________

(12)  Les Esquimaux prétendent que les Indiens sont issus de leurs lentes. — (13) Ps., CXXV, 5. — (14) Les Cloches de Saint-Boniface, 1916. — (15) A l'annonce de sa mort, Mgr Charlebois, très ému, déclara: «Je sens que mon vicariat perd, en la personne du R. P. Le Blanc, un missionnaire dévoué, prêt à tous les sacrifices et aux plus grandes privations pour la conversion des pauvres Esquimaux. Je considère qu'il est victime de son grand dévouement pour le salut des âmes. » (Ibid., ibid., p. 313).

A suivre : Chapitre VIII : Récoltant dans l'allégresse.

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Message  Louis Ven 20 Nov 2015, 12:40 pm

CHAPITRE VIII

RÉCOLTANT DANS L'ALLÉGRESSE

« Le P. Turquetil restait seul prêtre », ai-je dit. Il ne fut jamais seul Oblat à la mission qu'il avait fondée quatre ans auparavant. Car lorsque le Nascopie était arrivé, le 7 septembre 1916, en était débarqué un frère convers dans toute la force de l'âge qui, comme compagnon, en valait deux sous bien des rapports.

Né à Saint-Tite des Caps, diocèse de Québec, au cours de 1885, le Frère Prime Girard, c'était son nom, avait fait ses premiers vœux en 1904 et ses derniers dix ans plus tard. Il appartenait depuis assez longtemps à la province du Manitoba, qui, pour les Oblats, comprend le diocèse de Régina, où il travailla quelque temps, lorsqu'il s'offrit spontanément pour la difficile mission des Esquimaux de la baie d'Hudson, et le P. Turquetil, qui n'était point lui-même d'humeur morose, allait passer de bonnes journées avec lui.

Car le Frère Girard, il ne peut y avoir de mal à le dire, est ce qu'on est convenu d'appeler un type impayable. Véritable boute-en-train, aussi enjoué qu'actif, il a le don de dérider le misanthrope le plus invétéré, surtout lorsqu'il vous attaque avec les quelques mots latins qu'il a retenus d'une éducation qui n'était point préparatoire à l'état de frère convers, ou qu'il vous accable de grands mots scientifiques, parfois quelque peu écorchés, terminant le tout par un solennel : « Voyez-vous, nous autres savants »... couronné d'un formidable éclat de rire.

Le cher Frère se mit de suite à l'étude de la langue, et sous l'excellent guide qu'était maintenant le P. Turquetil, il ne tarda pas à faire des progrès qui réjouirent grandement maître et élève, d'autant plus que celui-ci était sérieux dans son enjouement et aussi laborieux que plein de zèle. Sa carrière ultérieure allait, du reste, le prouver abondamment.



Un autre sujet de consolation pour son supérieur allait bientôt consister dans une première recrue, lilium inter spinas (1)  une jeune fille de dix-sept à dix-huit ans, baptisée sous le nom de Maria. Elle allait donner satisfaction malgré les difficultés de sa situation. Il lui fallait bien du courage, en plein milieu païen, tous ses parents, jusqu'à son père et sa mère, se moquant d'elle et essayant de la pousser au mal. Elle assistait à la messe chaque jour, et communiait le dimanche et les jours de fête. La communion, le Saint-Sacrifice, le scapulaire et la prière, telle était sa sauvegarde.

Mais hæc  quid sunt inter tantos ? (2)  qu'était cette jeune fille entre tant d'autres? pourrais-je dire, en altérant légèrement le sens de la question évangélique. Les Esquimaux comme peuplade restaient parfaitement infidèles, bien décidés à ne jamais se faire chrétiens.

Or la grande guerre battait son plein. Nombre de missionnaires étaient au front, plusieurs avaient disparu, et beaucoup de troupeaux se trouvaient sans pasteur. D'un autre côté, inutile de compter sur de plus jeunes; tous étaient mobilisés.

De plus, à l'époque où nous sommes…

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(1) « Lis entre les épines ».  Cant., II, 2. — (2) Joan., VI, 9.

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