Saint Pierre Claver.
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A suivre : XIX. Résurrection d'une négresse et d'un nègre, morts sans baptême.
XVIII. Miracles qu'il opère en faveur des nègres.
Dans un homme appelé à tous les travaux de l'apostolat, il n'est pas étonnant que le don des lumières fût soutenu de celui des miracles. Le nombre de ceux qu'il opéra en faveur des esclaves est si grand, qu'on ne peut en indiquer ici qu'une partie. Un jour qu'il se trouvait au milieu d'une grande troupe de ces sauvages, on vint lui dire qu'une négresse était sur le point d'expirer; il y va sans différer, la couvre de son manteau, lui donne quelques gouttes d'une eau odoriférante et la laisse peu de temps après parfaitement guérie. La vue de ce miracle, dont personne ne douta, inspira à tous les esclaves encore païens le désir d'embrasser une religion où s'opéraient de telles merveilles.
Tandis qu'il était occupé à faire le catéchisme dans une habitation, il apprit qu'un nègre encore idolâtre était dangereusement malade; il laissa aussitôt le soin de l'instruction au Frère qui l'accompagnait, et partit pour aller voir ce malheureux, déjà dans le délire; le maître de la maison voulut empêcher le Père d'aller plus avant, en lui faisant entendre que les nègres ne revenaient jamais de ce mal et de cet état ; mais quoi qu'on pût lui dire, il approcha du nègre, animé de la seule confiance en Dieu. Au bout de quelques heures, le malade revint en pleine connaissance, demanda le baptême, le reçut et alla aussitôt après se ranger parmi ceux qui assistaient au catéchisme.
Une négresse appartenant au capitaine Gaspard de los Reyes était si malade, qu'elle paraissait prête à rendre l'âme et qu'on lui avait déjà mis un cierge bénit à la main. Le serviteur de Dieu arriva dans ce moment sans avoir été appelé, et, feignant de ne rien savoir, il demanda des nouvelles de la malade, comme s'il fût venu uniquement pour lui donner quelque consolation. On lui fit voir le triste état où elle était réduite; et, au sortir de la chambre, on lui demanda ce qu'il en pensait. « Il ne faut, répondit-il, que lui faire boire un peu de menthe infusée dans de l'eau. » Quoique ce remède parût extraordinaire et contraire même à la nature du mal, on le donna cependant avec confiance; et, le jour suivant, la malade demanda à manger, après quoi elle ne sentit plus aucune incommodité. Dieu voulut faire éclater la réalité du miracle par le moyen même que l'humble missionnaire avait pris pour le cacher; car personne ne put s'empêcher de regarder comme miraculeuse une guérison si subite, précédée d'une espèce d'agonie et opérée par un remède qui naturellement devait la retarder.
Le même Espagnol, témoin de ce prodige, déposa encore celui qu'on va rapporter. Il était allé voir un de ses amis, nommé François d'Ortiz, fort affligé de l'état où se trouvait une négresse qui gouvernait toute sa maison et qui se mourait. Tandis que les deux amis s'entretenaient à la porte, ils virent passer le P. Claver, qui demanda à Ortiz le sujet de son affliction. Quand on le lui eut expliqué: « Priez Dieu pour elle, répliquât il en souriant, et bientôt elle sera guérie. » Il continue cependant son chemin, en la recommandant lui-même au Seigneur. A peine eut-il fait vingt pas qu'on descendit en hâte de la chambre de la malade pour dire à son maître qu'elle était absolument hors de danger. Les deux Espagnols, étonnés du peu de temps qui s'était écoulé entre le rétablissement de l'esclave et les prières du saint homme, lui attribuèrent de concert cette guérison.
Emmanuel Lopez avait une esclave nommée Antoinette, dont le P. Claver prenait un soin particulier, parce qu'elle était attachée à l'hôpital de Saint-Lazare, où elle rendait mille services. Elle tomba si dangereusement malade, qu'il passa trois nuits à l'assister et à la disposer à la mort. La veille même de la fête de saint Lazare, l'ayant prise par le bras, comme pour examiner son pouls: « Antoinette, lui dit-il, c'est aujourd'hui la résurrection de Lazare, rendez grâce à Dieu de la santé qu'il vous donne. » A ces mots, comme s'il se fût repenti d'en avoir trop dit, il se déroba aux yeux de ceux qui étaient présents. La malade se trouva parfaitement guérie le même jour; et tant qu'elle vécut, pour marquer à Dieu sa reconnaissance, le jour de saint Lazare elle portait à l'hôpital tout ce qu'elle avait gagné en une année par son travail.
A suivre : XIX. Résurrection d'une négresse et d'un nègre, morts sans baptême.
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Louis- Admin
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XIX. Résurrection d'une négresse et d'un nègre, morts sans baptême.
Quelque diligence que pût faire le zélé missionnaire, comme il ne pouvait se trouver partout où on avait besoin de son secours : il advint qu'une négresse d'Angola, appartenant à Don Vincent de Villalobos, major de Carthagène, mourut sans qu'il eût pu arriver à temps pour l'assister. Déjà son maître donnait des ordres pour l'enterrement, lorsque le Père survient; il arrête la cérémonie et appelle à haute voix la négresse par son nom, sans qu'elle donne le moindre signe de vie. Aussitôt il se met en prières auprès d'elle et, quelques moments après, on aperçut qu'elle remuait. Après avoir jeté une grande quantité de sang par la bouche, elle s'écria d'une voix distincte : « Ah ! JÉSUS, que je reviens fatiguée ! — D'où et de quoi lui ? demanda le Père. — Je marchais vers un jardin délicieux, répondit-elle, et comme j'étais près d'y entrer, un enfant d'une beauté ravissante s'est présenté à moi, m'en a défendu l'entrée, et m'a fait retourner sur mes pas, en me disant que je ne pouvais pas encore arriver au lieu charmant que je voyais. Je suis donc revenue ici, mais sans savoir ni par où, ni comment ; et de là vient l'extrême lassitude que je sens. » Alors le Père fit écarter tout le monde pour la confesser ; mais ayant reconnu qu'elle n'était pas chrétienne, il la disposa au baptême, qu'elle demanda avec instance en présence de tous les assistants. La maîtresse, qui, pendant vingt ans, l'avait vue fréquenter les sacrements, voulait s'y opposer, mais elle se rendit enfin à l'autorité du saint homme ; et à peine la négresse eut-elle été baptisée, qu'elle expira. Dans les informations qui se firent depuis pour servir à la canonisation du P. Claver, Don Vincent attesta ce miracle avec serment.
Il arriva quelque chose de semblable dans la maison de Don François de Silva. On y avait trouvé une pauvre esclave étendue par terre et tellement privée de sentiment, qu'elle parut morte à tout le monde. Les maîtres et les domestiques en furent d'autant plus affligés, qu'elle n'avait pas encore été baptisée. A la première nouvelle de cet accident, le père se transporta à la maison ; et dès qu'on l'aperçut : « Ah ! mon Père, lui dit-on, quel malheur ! et qui l'aurait pu prévoir ? — Hé quoi ! répondit le saint homme sans paraître troublé, le bras de Dieu est-il donc raccourci ? C'est un bon père : un peu de foi et de confiance en lui. Où est l'esclave ? » On la lui montre, il s'approche d'elle, et, après une courte mais fervente prière, il l'appelle et lui demande si elle veut être baptisée. L'esclave, ayant ouvert les yeux, répondit d'une voix distincte qu'elle le voulait de tout son cœur. Il est impossible d'exprimer l'étonnement, la joie et la sainte frayeur dont tous les assistants furent saisis en ce moment ; mais l'admiration augmenta quand, après avoir reçu le baptême, on la vit se lever d'elle-même et marcher parfaitement guérie. La merveille ne se termina pas là. Le Père avait défendu de jeter l'eau qui avait servi à baptiser la négresse : un domestique, qui avait ignoré cette défense, la prit pour arroser un vase où il y avait quelques plantes desséchées depuis cinq ou six mois. En peu de jours, toutes ces plantes reverdirent et produisirent des fleurs très belles et très odoriférantes, tandis que toutes les autres qui étaient proches et qui avaient été arrosées avec de l'eau ordinaire, restèrent sèches et périrent.
Je finirai ce sujet par un autre prodige qui eut encore plus…
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Louis- Admin
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A suivre : XX. Actions héroïques de sa charité envers les nègres les plus malades.
XIX. Résurrection d'une négresse et d'un nègre, morts sans baptême.(suite)
Je finirai ce sujet par un autre prodige qui eut encore plus d'éclat. Ayant été faire ses instructions ordinaires dans une habitation de nègres, il apprit qu'il y en avait deux à l'extrémité, mais fort obstinés dans leur infidélité. Il y court, il leur parle, il redouble ses efforts auprès d'eux, mais toujours sans succès. Épuisé de forces et accablé de douleur, il se retire pour un moment, élève sa voix et son cœur à Dieu, le conjure de ne pas laisser périr des âmes rachetées par le sang de JÉSUS-CHRIST, et offre pour elles ses pénitences et un grand nombre de messes. Tandis qu'il était ainsi en prière, on vint lui dire qu'un de ces malheureux était mort dans son endurcissement ; il y retourne en hâte, et, voyant qu'on voulait déjà l'aller jeter à la voirie, il le fait rapporter sur le lit où il avait expiré. Les gens de la maison l'y suivirent quelques moments après et ils le trouvèrent le crucifix à la main, occupé à instruire et à exhorter ce misérable qui, sorti des bras de la mort, demanda le baptême devant tout le monde. Le bruit de ce miracle s'étant répandu dans toute la contrée, le P. Provincial voulut s'en informer du P. Claver lui-même. Le saint homme pour ne pas désobéir à son supérieur qui l'interrogeait juridiquement, répondit avec une simplicité admirable qu'il était vrai qu'on était venu lui dire que ce nègre était mort ; qu'il y était accouru promptement, et qu'ayant demeuré quelque temps auprès de lui, Dieu avait permis que l'esclave fût retrouvé vivant.
A suivre : XX. Actions héroïques de sa charité envers les nègres les plus malades.
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A suivre : XXI. Traits singuliers de sa charité dans leurs maladies épidémiques.
XX. Actions héroïques de sa charité envers les nègres les plus malades.
Tant d'effets merveilleux de son pouvoir auprès de Dieu, sont peut-être moins étonnants encore que les excès héroïques de sa charité envers les nègres. Pour bien juger de leur mérite, il faut se rappeler ce qu'étaient ces barbares. Leur seule odeur, lors même qu'ils sont en parfaite santé, devient insupportable à la longue ; mais les maladies, les fièvres, les dyssenteries, les apostumes, les cancers, les ulcères et les petites véroles, auxquels ils sont fort sujets ; leurs demeures, qui ne sont que des galetas, de méchants trous où l'air ne pénètre qu'à peine ; tout cela, joint à la chaleur excessive du climat, a de quoi effrayer le courage le plus robuste, et l'impression est telle, que les curés eux-mêmes appelés pour assister ces malheureux, après avoir administré les sacrements à deux ou trois, sont obligés de se retirer promptement. Mais rien n'était capable de rebuter le charitable missionnaire : les loges les plus infectes étaient pour lui des jardins délicieux ; les plaies les plus horribles et l'odeur qui s'en exhalait, lui tenaient lieu des parfums les plus exquis. Sans cesse il visitait ceux qui en étaient affligés, il passait avec eux des heures entières, faisait lui-même leurs lits, les embrassait, nettoyait leurs plaies, et, ce qui paraîtrait incroyable, il y portait les lèvres. On sait ce que firent une sainte Catherine de Sienne, un saint François-Xavier et quelques autres Saints qui eurent le courage d'appliquer la bouche sur des ulcères horribles, dont la vue seule les avait d'abord épouvantés ; mais, sans vouloir rien diminuer de leur mérite, ce qui leur a attiré l'admiration des fidèles et ce qu'ils n'ont fait qu'une seule fois, le P. Claver l'a fait plus de mille, non seulement chez les nègres, mais encore dans les hôpitaux et principalement dans celui des lépreux, où tout conspirait à révolter les sens, ainsi qu'on le verra bientôt.
Un jésuite, qui passa quelques jours à Carthagène avant que de partir pour Rome, voulut s'instruire par lui-même du misérable état des nègres et de tout ce que le Père faisait pour eux : il s'offrit donc à l'accompagner ; mais il fut bientôt si frappé de la seule vue et de l'infection de ces affreuses demeures, qu'il tomba évanoui et qu'il fallut l'emporter. Revenu à lui, et rempli d'admiration pour les merveilles de la charité du P. Claver, dont il avait été le témoin, il ne put s'empêcher de dire hautement qu'il irait les publier partout, dans la capitale du monde chrétien.
Quelque plaisir que la grâce lui fît trouver dans ces sortes de services, souvent la nature se soulevait ; mais son zèle le faisait bientôt triompher de ses répugnances. Ayant été appelé chez un riche armateur pour confesser un nègre tout couvert d'ulcères, il le trouva étendu dans un coin, où on l'avait jeté pour épargner aux autres l'insupportable infection qui s'exhalait de ses plaies. Le maître de la maison et quatre autres Espagnols l'avaient suivi de loin, curieux de voir les effets de cette charité extraordinaire dont ils avaient entendu parler. A la première vue de ce cadavre infect, le saint homme fut saisi d'horreur et son premier mouvement fut de reculer. Mais un moment après, confus de sa lâcheté, il se retire à l'écart, et après s'être donné une rude discipline, en se reprochant de n'avoir pas eu le courage de servir un frère racheté par le sang de JÉSUS-CHRIST, il retourne vers le malade, s'avance à genoux, baise dévotement toutes ses plaies, en appliquant la langue sur les plus rebutantes ; puis non content de l'avoir confessé, il reste encore très longtemps avec lui pour le consoler. Ceux qui l'avaient suivi se retirèrent aussitôt, saisis d'étonnement et de respect. Pour lui, après avoir ainsi pleinement satisfait à la charité, il sortit d'un air aussi grave et aussi tranquille que s'il ne lui fût rien arrivé d'extraordinaire.
Augustin Ugarta, qui fut d'abord inquisiteur à Carthagène, puis évêque de Quito, eut un jour la même curiosité. Sachant que le P. Claver était venu confesser un nègre attaqué d'un mal contagieux, il se mit en lieu de l'examiner attentivement ; et ayant aperçu tout ce qu'on lui avait dit à ce sujet, il se retira sans pouvoir proférer une parole. Il ne se lassait point depuis de publier ces prodiges de charité et de mortification, qu'il n'aurait jamais pu croire, s'il ne les avait vus de ses propres yeux.
A suivre : XXI. Traits singuliers de sa charité dans leurs maladies épidémiques.
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XXI. Traits singuliers de sa charité dans leurs maladies épidémiques.
Cette pratique de baiser et de lécher même les ulcères les plus infects était si familière au saint missionnaire, que D. François de Cavaillero, consul de Carthagène, qui eut souvent occasion de voir et d'admirer ses actions héroïques, sachant qu'on faisait des informations juridiques sur sa vie et ses vertus, vint de lui-même trouver le Recteur du collège. Parmi plusieurs traits dont il avait été témoin, il en rapporta un qui s'était passé à son occasion. En 1628, ce capitaine arriva au port de Carthagène avec quelques vaisseaux chargés de nègres : la petite vérole s'étant mise parmi eux d'une manière si furieuse que tous furent en danger de mort, il demanda s'il y avait dans la ville quelque confesseur qui entendît leur langue; on lui parla aussitôt du zèle et de la charité du P. Claver. Avant que de le faire avertir, il fit parfumer avec des aromates et des herbes odoriférantes les endroits où on avait renfermé les plus malades. Le P. Claver les trouva étendus sur quelques misérables planches ; après les avoir salués d'un air plein de tendresse, il se mit à genoux devant eux, les embrassa tous l'un après l'autre, baisa leurs plaies, et les ayant gagnés par ses manières aimables, il entendit leur confession, après laquelle il leur distribua quelques petits rafraîchissements. Le capitaine fut si frappé de ce spectacle, qu'il regarda depuis le P. Claver comme un saint rempli de l'esprit de Dieu.
Il fallait bien en effet que Dieu le soutînt d'une façon particulière, car tout ce qu'on lui voyait faire alors surpassait les forces de la nature. On en jugera par les deux traits suivants. Ayant été appelé pour une troupe de nègres de Biafara, malades d'une violente dyssenterie, il pria une négresse libre de la même nation, nommée Magdeleine de Mendoza, de venir avec lui pour lui servir d'interprète. Dès qu'il fut arrivé, il commença par les lever de dessus la terre où ils étaient couchés : le premier qu'il prit entre ses bras le couvrit d'une ordure si infecte que la négresse, ne pouvant en soutenir ni l'odeur, ni la vue, se retira aussitôt. Le Père, resté seul et désolé de ne pouvoir plus se faire entendre à ces malheureux : « Magdeleine, s'écria-t-il, revenez, au nom de Dieu ; ce sont nos frères, ce sont des hommes rachetés par le sang de JÉSUS-CHRIST. » A ces mots elle revint un peu confuse de sa fuite précipitée; après les avoir embrassés, après avoir essuyé et baisé leurs plaies, le saint homme les instruisit et les disposa à recevoir le baptême.
Dans une autre occasion, étant allé en hâte confesser un nègre de Tolofo, enflé jusqu'à la gorge, tout couvert d'ulcères et déjà sans parole et sans sentiment, il fut bientôt abandonné de son compagnon et de son interprète, qui ne purent soutenir l'air empoisonné qu'on y respirait. Plein de courage et de confiance en Dieu, le Père approche du malade, lui met son crucifix sur la bouche et sur le cœur, et après avoir été quelque temps en prières, il l'appelle à haute voix. Aussitôt ses deux compagnons reviennent ; et, tout surpris de ne plus respirer qu'un air doux et frais dans ce même lieu dont l'odeur les avait écartés, ils trouvent le malade revenu à lui et en état de se confesser. Le Père resta quelque temps pour lui inspirer des sentiments conformes à la situation où il se trouvait ; et après lui avoir donné l'extrême-onction, il laissa son interprète auprès de lui pour l'assister, en l'assurant qu'il mourrait bientôt : ce qui arriva.
C'était principalement dans les maladies épidémiques et contagieuses que…
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A suivre : XXII. Douleur qu'il ressent à la mort de ses nègres ou à leur départ de Carthagène.
XXI. Traits singuliers de sa charité dans leurs maladies épidémiques.(suite)
C'était principalement dans les maladies épidémiques et contagieuses que le saint empressement de ce zélé missionnaire offrait un spectacle digne de l'admiration des hommes et des anges. La plupart des autres ministres n'osaient approcher: les plus courageux, après quelques efforts, tombaient à la renverse ; lui seul restait inébranlable ; et comme on n'avait de confiance qu'en lui, il se trouvait chargé de tout le travail Son exemple inspirait quelquefois du courage aux plus délicats : « Voyez, disait un jour à ce sujet une mère vertueuse à sa fille, voyez ce saint homme qui baise des plaies que nous n'osons pas seulement regarder; n'est-il pas honteux que nous ne rendions pas du moins quelques services à nos frères ? » Les mouchoirs qu'on lui fournissait à la maison étaient moins pour son usage que pour celui de ses pauvres nègres ; mais c'était surtout son manteau qu'il employait le plus communément aux exercices de sa charité ; il s'en servait pour couvrir les malades, pour les faire asseoir plus commodément, pour essuyer leurs ulcères ; et ce qu'il y a de plus surprenant, c'est que, loin de contracter par là aucune mauvaise odeur, il s'en exhalait au contraire une douce et agréable.
Il semble même que Dieu lui eût attaché une vertu particulière, en conséquence du saint usage qu'en faisait le charitable missionnaire. Pendant la petite vérole qui désola Carthagène en 1633, une esclave de Dona Marie de Maza se trouva attaquée de ce mal d'une manière si horrible, qu'elle n'avait plus la figure humaine et qu'on fut obligé de la confiner dans un réduit étroit et obscur, où elle pouvait à peine respirer. Le P. Claver, la voyant à l'extrémité, s'approcha d'elle et lui dit, en lui présentant le crucifix: « Prenez courage, ma fille, voici votre JÉSUS qui vient vous guérir. » A ces mots, la connaissance lui revint : et ayant reconnu son bon Père, elle se confessa avec beaucoup de piété. Comme elle se plaignait, et de la violence de son mal, et de la dureté de son lit, le Père ordonna à son interprète de la mettre à terre sur son manteau ; et lui ayant fait préparer un lit plus commode, il la laissa presque entièrement guérie.
Il secourut par le même moyen un nègre de D. François de Cavaillero juge de la ville. L'ayant trouvé dans l'état le plus affreux et près de rendre l'âme, il le fit porter au milieu du jardin pour y respirer un air plus sain ; il s'occupa ensuite à nettoyer lui-même ses plaies et à lui faire quelques petits remèdes ; mais comme le malade ne revenait point à lui, il lui fit enfin de son manteau une espèce de tente, au-dessous de laquelle il répandit quelques parfums, et le pauvre nègre fut bientôt en état de connaître et de remercier son bienfaiteur.
On eût dit que rien ne lui était impossible, dès qu'il s'agissait de ses chers esclaves. Une grande troupe de nègres s'étant assemblée autour d'un puits pour tirer de l'eau, il survint tout à coup un orage furieux et le tonnerre tomba au milieu d'eux avec un grand fracas. La roue où la corde était attachée fut mise en pièces, et celui qui tirait le sceau fut précipité dans le puits, tandis que tous ses compagnons tombaient par terre évanouis. On accourut de toutes parts pour secourir ces malheureux, et on appela un habile médecin; mais quoi qu'on pût faire, il ne fut jamais possible d'obtenir d'eux le moindre signe de vie. Cependant on retira le nègre du puits, et, en le voyant, on le jugea mort aussi bien que tous les autres. Au milieu de cet embarras le P. Claver arriva, sans qu'on pût savoir par qui, ni comment il avait été instruit de l'accident. A ce spectacle si triste ses entrailles s'émurent, il laissa couler des larmes et leva les yeux au ciel pour demander au Père des miséricordes la vie de ses chers enfants. Enfin, ayant tiré son manteau, il couvrit tous les nègres l'un après l'autre. A cet attouchement salutaire, l'esprit de vie parut rentrer dans ces corps, à peu près aussi insensibles que les ossements mystérieux que vit le prophète Ézéchiel. Tous au même instant commencèrent à remuer, à se lever, à marcher, aussi sains et aussi vigoureux que s'il ne leur fût rien arrivé d'extraordinaire.
Il ne faut pas s'étonner qu'une charité si généreuse et si tendre lui gagnât la confiance de ces misérables esclaves. L'amour dont il était pénétré à leur égard se glissait jusque dans leurs cœurs : ils l'écoutaient comme leur maître, ils lui obéissaient comme à leur père, ils le regardaient comme un ange descendu du ciel en leur faveur, et ils entraient sans peine dans tous les sentiments qu'il leur suggérait.
A suivre : XXII. Douleur qu'il ressent à la mort de ses nègres ou à leur départ de Carthagène.
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A suivre : LIVRE TROISIÈME.
XXII. Douleur qu'il ressent à la mort de ses nègres ou à leur départ de Carthagène.
Cette charité étonnante du saint missionnaire pour les nègres ne connaissait point de bornes. Il ne les abandonnait pas même après la mort : il les pleurait comme ses fils, il cherchait des aumônes pour les faire enterrer honorablement, il disait la messe pour eux, il allait voir leurs parents, et, pour les consoler plus efficacement de leur affliction, il mêlait ses larmes aux leurs.
Sa douleur n'était guère moins vive quand il fallait se séparer enfin des nègres qu'il avait instruits. Comme la plus grande partie de ceux qu'on amenait à Carthagène ne devait pas y séjourner longtemps, dès qu'il apprenait qu'on devait bientôt les transporter en d'autres contrées, il redoublait ses empressements, les visitait plus souvent qu'à l'ordinaire et s'appliquait plus soigneusement que jamais à les instruire. Il commençait par les consoler de leur départ en leur faisant entendre que le pays où on les conduisait était agréable et fertile ; qu'ils y trouveraient des maîtres pleins de bonté et qu'ils auraient la consolation d'y voir plusieurs de leurs compagnons qui, après avoir été baptisés à Carthagène, y vivaient beaucoup plus contents. Il leur apprenait ensuite à s'approcher avec fruit du sacrement de pénitence et surtout à faire plus fréquemment des actes de contrition, qu'il chargeait les plus habiles d'entre eux de répéter aux autres, afin de pouvoir s'en servir au besoin et dans leurs dernières maladies où ils manqueraient peut-être de confesseurs. Au moment de l'embarquement, il les accompagnait jusqu'au port, les embrassait, leur donnait sa bénédiction ; et, après les avoir très instamment recommandés à leurs capitaines, il restait immobile sur le rivage ; on eût dit qu'on lui arrachait le cœur ; et il ne quittait point le bord de la mer, qu'il n'eût perdu de vue le vaisseau qui emportait son trésor. De retour au collège, il offrait pour eux le sacrifice de la messe, et ne cessait point de les recommander à Dieu dans ses prières.
A suivre : LIVRE TROISIÈME.
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Re: Saint Pierre Claver.
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LIVRE TROISIÈME
Tout occupé qu'était le saint missionnaire à la conversion, à la sanctification et au soulagement des nègres, il n'y trouvait pas encore de quoi contenter l'ardeur de son zèle. Les hérétiques, les mahométans, les catholiques même dont la vie scandaleuse déshonorait la religion, les hôpitaux et les prisons ouvrirent une nouvelle carrière à ses travaux apostoliques. Pour venir à bout de ses généreux desseins, il eut beaucoup d'obstacles à surmonter, de persécutions à souffrir, d'injures même et de calomnies à essuyer; mais sa charité et son courage furent plus puissants que tous les efforts des hommes et des démons ; et Dieu, par les succès miraculeux dont il couronna ses combats, sut le dédommager pleinement de tout ce qu'il entreprenait pour sa gloire.I. Ses travaux dans l'hôpital public des malades. Il prédit à quelques-uns leur guérison.
Il y avait alors à Carthagène deux hôpitaux remarquables : celui de Saint-Sébastien, desservi par les religieux de Saint-Jean de Dieu, et celui de Saint-Lazare, destiné aux lépreux et aux malades attaqués du « feu Saint-Antoine ». Ce furent là deux des principaux théâtres de la charité du P. Claver, tandis qu'il demeurait à Carthagène ; mais pour mettre quelque ordre dans une si grande multitude de travaux entrepris en même temps et qui par là peuvent se confondre, je commencerai par ce qu'il fit dans le premier hôpital, auquel il s'attacha d'abord, mais sans jamais perdre de vue ses chers nègres.
L'hôpital de Saint-Sébastien, quoique sans aucune fondation assurée, était rempli, surtout au temps des armements, d'une telle multitude d'infirmes, que les religieux étaient fort embarrassés à leur chercher des remèdes et de quoi les faire subsister. Le P. Claver, charmé de leur charité, entra dans leurs intérêts; et partout où il les rencontrait, il leur offrait ses services avec une humilité et un zèle qu'ils ne pouvaient s'empêcher d'admirer à leur tour. Durant le cours de l'année, lorsqu'il n'était point occupé aux missions de la campagne, il y allait au moins une fois chaque semaine, vêtu d'une méchante soutane de toile, et portant un balai à la main. En arrivant, il voyait tous les malades l'un après l'autre, leur faisait adorer le crucifix, les exhortait à se disposer au sacrement de pénitence, et quand ils voulaient se confesser, il cherchait toujours la situation la plus commode pour eux et la plus gênante pour lui. Il s'attachait plus particulièrement aux plus misérables, et leur rendait les services les plus bas et les plus pénibles.
Dans le temps des armements, où, comme je l'ai dit, il y avait toujours un grand nombre de malades et de pauvres, il ne se bornait pas aux soins ordinaires; il n'en sortait point de tout le jour, il y disait la messe, il s'y occupait de tous les ministères que son industrieuse charité pouvait lui suggérer, sans que jamais dans tout le cours de la journée on lui vit rien prendre, pas même un verre d'eau. Cette prodigieuse abstinence, au milieu de tant de fatigues et dans les plus extrêmes chaleurs, étonnait fort les bons religieux de l'hôpital, et ils publiaient hautement que cet infatigable ouvrier ne pouvait se soutenir que par un miracle.
Fallait-il en effet balayer les salles, faire les lits, changer les malades, servir les bouillons, apprêter les viandes, aller nettoyer les plats à la cuisine, il était toujours prêt à tout, et ne faisait rien que sous la direction du prieur ou de l'infirmier.
Fallait-il quitter ces exercices, pour aller consoler ou assister quelque malade, il en demandait humblement la permission; et, après s'être acquitté de son ministère, il venait reprendre ses premiers emplois. Jamais ils n'avaient vu tant de ferveur, de zèle, de courage, et ils ne craignaient point de dire que seul il valait plus que quarante autres.
Aussi, dès qu'il paraissait dans l'hôpital, les malades le recevaient-ils avec de vives démonstrations de joie. Lorsque, durant le cours de ses missions, ils étaient privés de sa présence, c'était une désolation générale ; et on célébrait son retour par des acclamations et des fêtes, comme si tous avaient recouvré leur libérateur, et leur père !
On le vit renouveler cent fois dans cet hôpital les actes héroïques…
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
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Re: Saint Pierre Claver.
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A suivre : II. On le fait ministre du collège.
I. Ses travaux dans l'hôpital public des malades. Il prédit à quelques-uns leur guérison.(suite)
On le vit renouveler cent fois dans cet hôpital les actes héroïques dont il avait donné tant d'exemples dans les loges des esclaves. Entre tous les malades, il s'en trouva un si défiguré, si pourri, si infect que les autres, n'en pouvant supporter ni l'odeur, ni la vue même, les religieux furent obligés de le faire transporter dans une loge écartée ; le P. Claver alla l'y chercher et s'assit auprès de lui, le visage presque appuyé sur un des bras de son malade. Comme il en découlait un pus affreux, le pauvre homme le pria lui-même de vouloir bien s'éloigner un peu ; mais le saint missionnaire, lui ayant répondu qu'il n'en était aucunement incommodé, baisa dévotement ses plaies, et resta deux heures entières dans la même situation, pour le consoler et lui inspirer des sentiments chrétiens. Il continua de le visiter tous les jours pendant un long espace de temps, le priant chaque fois de se souvenir de lui, quand il serait avec Dieu.
Un jour que ce malade se crut sur le point de mourir, il voulut donner au Père quelque argent, pour faire dire une messe par un prêtre à son choix, puisque les jésuites ne prenaient jamais rien pour ces sortes de ministères ; mais le Père lui dit de le garder, de ne se point inquiéter, et que lui-même il offrirait le saint sacrifice à son intention. Dès le lendemain, après avoir dit la messe, il retourna le voir: « Soyez tranquille, mon frère, lui dit-il en entrant, Dieu vous aime; et j'espère qu'on vous reverra encore plein de santé dans Carthagène ; mais n'oubliez jamais celui dont vous tiendrez cette grâce, et surtout ne péchez plus; au reste, il aura encore la bonté de vous ôter l'occasion de l'offenser, parce qu'il vous aime. » Depuis ce moment le malade alla toujours de mieux en mieux; mais à mesure que ses plaies se guérissaient, sa vue s'affaiblissait, et il la perdit enfin totalement. Il reparut bientôt après au milieu de la ville et sa vie fut depuis aussi sainte qu'elle avait été jusque-là peu réglée.
Tel est le fruit des calamités que Dieu envoie à ses élus. Entre ses mains, la perte d'une santé dont on abuse pour se livrer à ses passions, d'une fortune dont on fait l'instrument de ses crimes, est une faveur précieuse dont il est aisé de profiter. Un père aime véritablement son fils, quand il lui ôte l'épée dont il se servirait pour se donner le coup de la mort. C'est la solide réflexion que le saint homme employait pour consoler son malade ; et il paraît que, pour le consoler lui-même, Dieu ménageait souvent ces sortes d'épreuves aux pécheurs dont il prenait soin. Dans le même hôpital il y avait un autre malade affligé d'un violent mal de tête, et surtout fort désolé d'avoir perdu la vue. Ayant entendu le P. Claver, qui passait par la salle, il l'appela avec empressement et se plaignit à lui de sa double infirmité: « Prenez, lui répondit le Père, votre aveuglement en patience, comme une grâce à laquelle votre salut est attaché, et pour le reste confiez-vous en Dieu, » En même temps, il lui couvre la tête de son manteau, et lui donne le baiser de paix. La douleur qui le tourmentait se dissipa aussitôt ; mais il resta toujours aveugle.
A suivre : II. On le fait ministre du collège.
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A suivre : III. On lui donne la charge de maître des frères novices ; soins qu'il prend pour les former à la plus haute perfection.
II. On le fait ministre du collège.
Malgré tant d'occupations embarrassantes au dehors, la régularité du saint missionnaire était telle dans la maison, qu'au bout de quelques années le recteur du collège de Carthagène voulut l'avoir pour son ministre. C'est chez les jésuites un emploi important, qui demande autant de charité que d'exactitude, et qui oblige celui qui en est chargé à veiller sur la discipline régulière, et sur les différents offices de la maison. Il fallut pour cela faire violence à son humilité. Un homme qui se faisait un plaisir et un devoir d'obéir aux nègres mêmes, pouvait-il se résoudre sans peine à commander à des religieux qu'il estimait infiniment plus que lui? Plein de défauts à ses propres yeux, lui convenait-il de corriger les fautes d'autrui? C'est ce qu'il représenta fortement à ses supérieurs; mais enfin il obéit, et il n'accepta l'emploi qu'on lui donnait que pour se charger de la plus grande partie de celui des autres; de sorte que le faire ministre du collège, ce fut le faire comme l'esclave de tous ceux qui l'habitaient.
Il commença par les ministères les plus bas: balayer les endroits les plus sales de la maison, aider le cuisinier en ce qu'il y avait de plus pénible dans son état; en un mot, suppléer à tout ce que les autres ne pouvaient pas faire : voilà quels furent les fruits de son nouvel office. Tous les religieux, quelque bonne volonté qu'ils aient, ne sont pas également parfaits; et pour un qui se passe du nécessaire avec mérite, il peut s'en trouver deux qui ne pourraient en manquer sans péril : la nécessité amène insensiblement une coutume peu conforme à l'exacte discipline; et la nécessité ne subsistant plus, souvent la coutume reste. Pour empêcher ce désordre, le P. Claver avait grand soin que tous fussent abondamment pourvus du nécessaire, et même de ce qui était raisonnablement commode; en sorte qu'aucun prétexte ne pût les dispenser de l'observance régulière: ainsi son zèle soutenu de sa charité prévint les mécontentements et les abus qui en sont les suites ordinaires. C'était particulièrement à l'égard des infirmes qu'on voyait éclater son attention et sa tendresse: il suppléait alors presque toujours l'infirmier, ou, pour mieux dire, il servait lui-même d'infirmier à tous les malades. Le jour de la fête de saint Ignace, ayant trouvé le Frère sacristain fort incommodé, il le prit sur ses épaules, le porta sur son lit, et après lui avoir donné tous les soulagements nécessaires, il alla à l'église faire son office tout le reste de la journée.
A suivre : III. On lui donne la charge de maître des frères novices ; soins qu'il prend pour les former à la plus haute perfection.
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III. On lui donne la charge de maître des frères novices ;
soins qu'il prend pour les former à la plus haute perfection.
Le Père recteur voyant qu'en cet emploi il se chargeait de tous les autres, le fit maître des novices coadjuteurs.
Une infinité de gens de toute condition abordent à Carthagène pour y faire une grande fortune en peu de temps, persuadés qu'on y roule sur l'or et sur l'argent. Mais voyant enfin leurs espérances déçues, car la plupart s'en retournent plus pauvres qu'ils n'étaient venus, il s'en trouve plusieurs parmi eux qui, totalement détrompés du monde, prennent le parti de chercher dans la vie religieuse une fortune plus sainte, plus assurée et plus durable. Mais comme ce sont pour l'ordinaire des hommes sans lettres et déjà avancés en âge, ils ne peuvent être reçus dans les communautés qu'en qualité de Frères servants.
Pour leur faciliter l'exécution de leurs bons desseins, outre le noviciat commun à Thonga, les jésuites en avaient établi un particulier pour eux à Carthagène même. Il s'agissait de les y former à la sainteté propre des hommes apostoliques, dévoués par état au service du prochain ; et jamais on n'eût pu choisir un homme plus capable d'y réussir que le P. Claver. Il eut grand soin de leur inspirer de bonne heure l'esprit de recueillement, d'oraison, d'humilité, de mortification et d'obéissance aveugle et prompte aux ordres de leurs supérieurs. Le détachement parfait de tout ce qui empêche l'âme d'aller à Dieu et de s'unir à lui, le désir ardent de tout ce qui peut l'élever à la plus sublime perfection, les moyens de se vaincre et de se dompter soi-même, jusqu'à n'avoir plus de volonté que celle du Seigneur, faisaient la matière la plus ordinaire de ses instructions: mais en leur apprenant ainsi leurs devoirs, il leur en donnait sans cesse l'exemple; et jamais il n'exigeait d'eux que ce qu'ils lui voyaient pratiquer de la manière la plus parfaite.
Rien de plus simple, de plus uni, de plus attentif, ni de plus doux que sa conduite à l'égard de ses novices, tandis qu'il les voyait encore faibles et chancelants dans le bien ; mais dès qu'il les trouvait assez forts et assez fervents pour ne se pas rebuter facilement, alors il ne leur épargnait aucune de ces épreuves qui servent à affermir les grandes âmes dans la vertu.
Tantôt marchant le premier à leur tête, il les conduisait au milieu des rues, vêtus d'une robe de toile, et un balai à la main, pour aller servir les malades de l'hôpital, faire leurs lits, nettoyer leurs ordures.
Tantôt, après avoir rempli un grand panier de vivres, il le leur faisait porter aux pauvres de Saint-Lazare. Il prenait alors lui-même un bout des bâtons qui servaient à le mettre sur les épaules, il faisait prendre l'autre à un de ses novices ; et tandis que les plus jeunes et les plus robustes se trouvaient fatigués d'un si grand poids et d'un chemin si long, il marchait toujours d'un air aussi délibéré, que s'il n'eût point été chargé.
D'autres fois il les menait à ses chers nègres, et il les obligeait de leur prêter leurs manteaux, soit pour les faire asseoir plus commodément, soit même pour couvrir leurs plaies et leurs ulcères.
Souvent après les avoir envoyés par la ville habillés en pauvres, pour demander l'aumône, il les plaçait ensuite à la porte de la maison, pour y servir les véritables pauvres qui s'y rassemblaient de toutes parts ; et pour les accoutumer à vaincre leurs répugnances, il les faisait manger avec eux dans le même plat.
Si dans le temps de la santé il ne les ménageait point, il n'est rien qu'il n'employât pour les soulager lorsqu'ils étaient malades: alors la prudente sévérité du maître se changeait en une affection de mère : il les portait entre ses bras, les mettait dans des lits commodes, préparait lui-même leur nourriture et les remèdes ordonnés par le médecin, et il ne se donnait point de repos qu'ils ne fussent parfaitement rétablis.
Par cet heureux tempérament de douceur et de fermeté, tous ceux qui lui furent confiés firent en peu de temps de si grands progrès dans la perfection, que jamais on ne vit tant de ferveur dans aucun noviciat.
La réputation de vertu qu'avait acquise ce saint maître lui attira deux disciples qui lui donnèrent beaucoup de consolation…
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A suivre : IV. Il quitte l'emploi de maître des novices et il prend soin de l'hôpital des lépreux.
III. On lui donne la charge de maître des frères novices ;
soins qu'il prend pour les former à la plus haute perfection.(suite)
La réputation de vertu qu'avait acquise ce saint maître lui attira deux disciples qui lui donnèrent beaucoup de consolation. C'étaient deux frères Biscayens, distingués par leur noblesse et par leurs talents, qui étaient venus aux Indes avec une grande espérance d'y faire fortune, espérance fondée sur les protections puissantes qu'on leur y avait ménagées. En vain leurs proches et leurs amis voulurent-ils les détourner de leur dessein, en leur représentant la grandeur des avantages auxquels ils renonçaient et la bassesse de l'état de simple Frère coadjuteur où ils s'engageaient; Dieu qui avait sur eux des vues de miséricorde et de salut, les soutint contre toutes les attaques des sens et de la chair. Ils vinrent se présenter avec courage au P. Claver, firent leur noviciat, sous sa conduite, avec la ferveur la plus édifiante; et deux mois après, le Seigneur les appela tous deux à lui, pour leur donner la récompense du sacrifice qu'ils avaient fait pour son amour; ils moururent aussi regrettés de toute la communauté pour les exemples de vertu qu'ils lui donnaient sur la terre, qu'enviés pour la félicité dont on ne doutait point qu'ils ne jouissent dans le ciel.
Ce ne fut pas la seule consolation de cette espèce que Dieu voulut ménager au P. Claver dans son nouvel emploi.
Un officier, également recommandable par sa valeur et par ses services, étant venu faire les exercices spirituels sous sa direction, se sentit si touché de Dieu, après sa confession générale, qu'il demanda avec instance à être reçu dans la maison. Comme on faisait quelque difficulté, dans la crainte que ce ne fût une résolution trop précipitée dont il se repentirait bientôt, il protesta qu'il y resterait au moins comme domestique, si on ne voulait pas l'y admettre comme religieux, On examina, on éprouva sa vocation, et on le reçut enfin dans la Compagnie, où il vécut depuis et mourut en saint.
Le serviteur de Dieu n'eut pas la même satisfaction au sujet d'un jeune jésuite qui était déjà dans les ordres sacrés. Un jour qu'il allait avec lui de Carthagène à Santa-Fé: « Hélas ! mon Frère, lui dit-il par trois fois avant de le quitter, je sais que vous ne persévérerez pas dans la Compagnie. » Celui-ci, qui n'avait jamais eu la moindre tentation à cet égard, se mit à rire et à badiner de sa prophétie ; mais l'événement n'en justifia que trop la vérité. Cinq mois après il tomba dans une mélancolie profonde, à la suite d'une grande maladie: il voulut la dissiper par mille sortes d'amusements et de plaisirs qu'on ne trouve pas dans l'état religieux, et qui ne lui conviennent pas. Pour y suppléer, le Père Provincial lui envoyait quelques religieux d'une humeur douce et agréable, qui jour et nuit lui tenaient compagnie, afin de le consoler et le distraire. Tous ces ménagements furent inutiles: il sortit enfin, pour chercher dans le monde une vie plus commode et plus conforme à ses inclinations.
A suivre : IV. Il quitte l'emploi de maître des novices et il prend soin de l'hôpital des lépreux.
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IV. Il quitte l'emploi de maître des novices et il prend soin de l'hôpital des lépreux.
La même raison qui lui avait fait ôter l'emploi de ministre, lui fit encore ôter au bout de quelque temps celui de maître des novices. Mais l'attention que ses supérieurs avaient à le soulager de ses travaux, ne faisait que multiplier ceux que son zèle lui faisait entreprendre : il se délassait des occupations qu'on ne lui donnait pas au dedans, par celles qu'il se donnait lui-même au dehors.
Ayant désormais plus de temps à lui, il reprit ses premières fonctions avec plus d'ardeur et d'assiduité que jamais : idolâtres, hérétiques, mahométans, libertins, pauvres, malades, prisonniers, sa charité embrassait tout et suffisait à tout.
Quelque tendresse qu'il eût pour l'hôpital de Saint-Sébastien dont on a déjà parlé, celui de Saint-Lazare, dès qu'il le connut, eut encore plus d'attraits pour lui, parce qu'il y trouvait plus d'occasions d'exercer son héroïque charité et de contenter sa mortification. On n'y voyait que des lépreux dont les chairs étaient souvent pourries jusqu'aux os. La violence du mal dont ils étaient attaqués, faisait tomber aux uns le nez, les oreilles, la moitié du visage, les jambes même et les bras ; elle couvrait les autres d'ulcères et d'apostumes qui, en offrant un spectacle affreux à la vue, exhalaient une infection insupportable à l'odorat : c'en fut assez pour leur mériter toute l'affection du P. Claver.
Cet hôpital, quand il commença à le fréquenter, était presque sans secours et même sans prêtre qui prît soin des malades : on se contentait de dire à la hâte une messe les jours de fêtes, après quoi tout le monde se retirait pour éviter l'air contagieux qu'on y respirait. Un lieu si redouté fit bientôt les délices du charitable missionnaire. Les jours destinés à la récréation de la communauté étaient ses jours favoris, parce qu'ils lui laissaient plus de liberté et plus de temps pour aller visiter ses chers lépreux ; c'étaient pour lui de vrais jours de fêtes ; et son plaisir était alors de se priver de son repas pour le porter à l'hôpital. Quelque temps avant le carême, un officier espagnol l'ayant rencontré qui marchait d'un air content hors la porte de la ville, lui demanda où il allait ainsi : « Je vais, répondit-il, faire mon carnaval avec mes pauvres de Saint-Lazare. » L'Espagnol le suivit par curiosité, et fut étrangement surpris de tout ce qu'il lui vit faire. Rien en effet n'était plus digne d'admiration.
En arrivant, il assemblait à la porte de l'église tous ceux qui étaient encore en état de marcher ; se mettait à genoux au milieu d'eux et récitait à haute voix des prières qu'ils répétaient tous après lui ; ensuite après les avoir exhortés à souffrir patiemment cette espèce de purgatoire en ce monde, pour éviter celui de l'autre vie, en se garantissant avec soin de la lèpre honteuse du péché, il s'asseyait sur une pierre pour les confesser. Il les enveloppait de son manteau, dès que le temps était un peu froid, et il prenait même sur ses genoux ceux qui ne pouvaient se tenir commodément dans une autre situation, et dont la seule vue faisait reculer ceux qui l'accompagnaient. Ensuite il entrait dans les loges les plus retirées, ou l'on avait renfermé ceux que l'état affreux où ils étaient réduits avait rendus insupportables, même aux autres lépreux. Là il touchait leurs plaies avec la même complaisance que s'il eût manié les fleurs les plus agréables ; il les baisait et les essuyait même avec sa langue; il nettoyait ceux qui avaient perdu l'usage des bras, leur donnait lui-même à manger ; et quand il en voyait quelqu'un plus dégoûté, après lui avoir mis un morceau dans la bouche, pour lui donner plus d'appétit, il en prenait tout de suite dans le même plat un autre qu'il mangeait en sa présence. Un de ces malheureux étant sorti devant la porte pour demander l'aumône aux passants et n'ayant plus la force de revenir, le Père qui s'en aperçut, le prit à l'instant sur ses épaules, et, quoique la charge fût trop pesante pour lui, la force de son amour la lui rendit si légère, qu'il parut le rapporter sans la moindre peine jusque sur son lit. C'est ce que raconta depuis avec étonnement le capitaine D. Pierre de Maraona, qui regarda toujours ce fait comme un vrai miracle. On pouvait dire de lui, comme de Job, que dans cette triste demeure il était l'œil de l'aveugle, le bras du manchot, le pied du boiteux ; qu'il était tout à ces pauvres lépreux qui trouvaient tout en lui.
Après les avoir confessés…
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IV. Il quitte l'emploi de maître des novices et il prend soin de l'hôpital des lépreux.(suite)
Après les avoir confessés, il leur donnait du tabac, des eaux odoriférantes, des conserves, tout ce qu'il croyait capable de leur faire plaisir. Il faisait pour eux des provisions de linge, de draps, de charpie, de parfums, de remèdes, et quand il ne pouvait aller chercher ces aumônes par lui-même, il envoyait un pauvre les demander de sa part. Sa charité ne se bornait pas au pur nécessaire, il s'efforçait de leur procurer toutes les commodités qui dépendaient de lui. Pour les défendre du froid et des moustiques dont l'incommodité est extrême, il leur fournissait de bons rideaux de forte toile, il allait les tendre lui-même ; et, pour salaire de son travail il les embrassait. Comme il ne se trouvait point de chirurgiens qui eussent le courage d'aller les saigner, ils étaient obligés de se rendre ce service les uns aux autres. Le saint homme ne pouvant le leur rendre par lui-même, leur fournissait du moins pour cet usage les meilleures lancettes qu'il pouvait trouver. Il avait de plus engagé plusieurs personnes pieuses à faire quelques charités extraordinaires les jours des principales fêtes de Notre-Seigneur et de la sainte Vierge, et à lui envoyer en particulier une espèce de petit festin pour les pauvres qui venaient à la porte du collège ; il en recueillait soigneusement les restes et les envoyait à son hôpital, avec quelques joueurs d'instruments pour amuser et réjouir les malades pendant le repas. Enfin, malgré sa pauvreté, il sut trouver tant de ressources, qu'un religieux de la Merci ne craignit pas d'avancer publiquement en chaire que les pauvres périraient, si le P. Claver venait à leur manquer.
Il faudrait répéter cent fois les mêmes choses, si on voulait faire le détail de tout ce qu'il fit pour le service de ses malades, parce que sa charité fut toujours la même partout. Il se trouva dans cet hôpital, comme dans celui de Saint-Sébastien, un malade si couvert de plaies et d'ulcères, qu'il avait plutôt l'air d'un cadavre déjà corrompu que d'un homme encore vivant. Pour délivrer les autres de son infection, on l'avait jeté sous une espèce d'appentis écarté et fort élevé de terre, auquel on montait par une mauvaise échelle, avec un risque continuel de tomber. Dès que le P. Claver sut l'extrémité où ce malheureux était réduit, il se chargea de le secourir lui-même. C'était un spectacle digne de l'admiration des anges, de voir ce vénérable vieillard, déjà fort infirme lui-même et qui pouvait à peine se soutenir, ramper plusieurs fois le jour le long de cette échelle pour aller instruire son malade, le consoler, lui porter sa nourriture et nettoyer ses plaies ; ce qu'il ne cessa point de faire pendant plusieurs mois consécutifs.
La vieille église de l'hôpital étant tombée en ruines et personne ne voulant entreprendre de la rebâtir, le serviteur de Dieu s'en chargea lui-même et se confiant en la Providence, qui ne lui avait jamais manqué au besoin, il chercha partout des aumônes, des matériaux et des ouvriers. Depuis le matin jusqu'au soir, il présidait à l'ouvrage, veillait sur les ouvriers, les excitait à bien faire, il leur portait même de la terre, de l'eau, du bois, tout ce qui leur était nécessaire. Il prenait ses repas dans l'hôpital, et tout ce qu'on lui envoyait du collège il le donnait aux pauvres, dont il mangeait les restes dans le même plat où ils avaient mangé. Dans ce travail il trouvait de quoi satisfaire tout à la fois sa religion, sa charité, son humilité, son amour pour la mortification ; et c'est ce qui lui rendit cet hôpital toujours si cher.
Peu content d'y aller régulièrement deux ou trois fois par semaine...
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A suivre : V. Il convertit les pécheurs et les désespérés.
IV. Il quitte l'emploi de maître des novices et il prend soin de l'hôpital des lépreux.(suite)
Peu content d'y aller régulièrement deux ou trois fois par semaine, il y retournait dès qu'on avait le moindre besoin de son secours, ce qui arrivait très souvent, parce que ces malheureux ne se lassaient point de le voir et de le faire appeler.
Quand quelqu'un des malades mourait, dès le lendemain il allait y dire la messe pour lui; et Dieu lui donnait souvent la joie de savoir que ses prières avaient été exaucées. Un jour qu'il allait à son hôpital à cette intention, il rencontra un Espagnol qui, de son côté, allait à une de ses terres à quelque distance de Carthagène ; il le pria de l'accompagner à Saint-Lazare, parce qu'il n'avait alors personne pour lui servir la messe. L'Espagnol l'ayant suivi, le Père mit son manteau sur le corps du défunt, pour lui tenir lieu de drap mortuaire ; il sortit ensuite pour aller chercher quelques pains, quelques oranges et quatre cierges qu'il fit porter au curé pour son offrande ; après avoir achevé toutes les fonctions de son ministère, il remercia humblement l'Espagnol, en l'assurant que l'âme du mort en avait reçu un extrême soulagement.
On ne doit pas être surpris si, à l'exemple des nègres et des malades de Saint-Sébastien, ces pauvres gens le regardaient comme un ange envoyé du ciel pour leur consolation, puisque Dieu lui-même se plaisait à faire éclater de temps en temps sur sa personne quelques rayons de sa gloire. L'archidiacre de Carthagène étant un jour à l'hôpital pour y distribuer quelques aumônes, y trouva le Père au milieu de ses malades, le visage brillant comme le soleil et la tête environnée d'un cercle de lumière dont les yeux étaient éblouis. Après être demeuré quelque temps saisi d'admiration et de respect, il voulut attendre qu'il eût fini ses instructions pour aller lui baiser la main et se recommander à ses prières ; mais, comme si le saint homme eût senti ce qui lui était arrivé et ce que l'archidiacre voulait faire, il se déroba promptement à ses yeux, sans que celui-ci pût jamais comprendre comment il lui était ainsi échappé, malgré son attention à l'examiner et à le suivre.
A suivre : V. Il convertit les pécheurs et les désespérés.
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A suivre : VI. Il convertit plusieurs hérétiques, notamment un prélat anglais.
V. Il convertit les pécheurs et les désespérés.
Tant de prodiges de zèle et de charité lui avaient attiré, dans ces deux hôpitaux, un tel respect et une telle confiance, qu'il n'y avait rien dont il ne vint à bout pour la gloire de Dieu et le salut des âmes ; de sorte que, quand les religieux de Saint-Sébastien avaient fait inutilement tous leurs efforts auprès de quelque pécheur endurci, ils faisaient venir le saint homme, bien assurés de la victoire. On y amena un homme attaqué d'un mal extraordinaire et tout à fait inconnu; les yeux lui roulaient continuellement dans la tête; ses membres se raidissaient tout à coup avec violence ; il avait plutôt l'air d'un démoniaque que d'un malade : remèdes naturels et surnaturels, tout fut employé pour le faire revenir à lui, mais en vain. Si on lui appliquait quelques reliques, il les rejetait avec fureur ; si on lui parlait de se confesser, il ne répondait que par des injures ; lui présentait-on le crucifix, il détournait la tête en désespéré. Après un jour et une nuit entière passés dans cet état violent, on eut recours au P. Claver, comme au dernier remède. Il accourut, tout vieux et tout infirme qu'il était alors ; à peine eut-il parlé quelques moments au malade, que celui-ci devint doux comme un agneau ; il demanda et reçut les sacrements avec de grandes marques de repentir de ses crimes, et mourut dans les sentiments d'un pécheur sincèrement revenu à Dieu.
Sa présence n'y était pas moins utile à la guérison du corps qu'à celle de l'âme. Je ne sais quel malade eut une extrême envie de manger une espèce de fruit propre du pays et très sain par lui-même, mais qui cette année-là était fort rare. Le prieur de l'hôpital en fit chercher partout ; mais, quelque soin qu'il y apportât, il ne fut pas possible d'en trouver. Il communiqua son embarras au P. Claver : « Fiez-vous à moi, lui dit le saint homme, je vais en chercher moi-même, et j'espère en découvrir.» Il sort aussitôt ; et, au bout d'une demi-heure, il revient avec un grand panier tout rempli de ces fruits, les plus beaux et les plus sains qu'on eût vus depuis longtemps. La surprise fut si grande à cette vue, qu'on ne douta point qu'il ne les eût obtenus de Dieu d'une façon miraculeuse.
Le docteur Adam Sobo, médecin de cet hôpital, a attesté juridiquement que, quand il faisait la visite des malades avec le P. Claver, il lui demandait ordinairement ce qu'il pensait de chacun, et que toutes les fois que le serviteur de Dieu lui répondait : « Faites, Monsieur, ce qui est de votre ministère, et du reste ayons confiance en Dieu, » c'était une marque indubitable que le malade devait guérir, comme il l'avait toujours éprouvé. Aussi avait-il conçu une si haute idée de sa sainteté, qu'il ne manquait pas de lui adresser ceux qui avaient besoin d'un secours extraordinaire. Un jour que ce médecin se trouvait seul avec un malade encore plus infirme d'esprit que de corps, homme soupçonneux, inquiet, taciturne et qui jusqu'alors n'avait voulu entendre parler ni de confession, ni de Dieu ; tout à coup ce malheureux, touché de la grâce, le pria de lui trouver un confesseur : « Mais, ajouta-t-il, je le voudrais habile et discret, parce que mon mal est cent fois plus grand que vous ne pouvez l'imaginer, et que toute main n'est pas propre à une pareille guérison. « Hé bien ! » répondit le médecin, « j'ai déjà trouvé l'homme qu'il vous faut ; vous me direz, plus tard, si je vous aurai bien servi. » Quelques moments après il lui conduit le P. Claver, dont les manières cordiales le gagnèrent du premier abord. C'était un religieux qui avait prêché plusieurs années avec succès et qui, ayant apostasié, menait depuis longtemps une vie fort débordée. Le zélé missionnaire, ayant entendu sa confession générale, lui ouvrit les yeux sur la grandeur de ses crimes, l'anima d'une confiance salutaire en la divine miséricorde, plus grande encore que ses iniquités, et sut si à propos l'épouvanter et le rassurer tout à la fois, qu'il eut la consolation de le voir parfaitement converti. Pour mieux témoigner son repentir et sa reconnaissance, ce pécheur devenu pénitent publiait partout qu'il était le plus grand et le plus indigne des scélérats, et qu'il n'avait pas moins fallu qu'un P. Claver pour l'arracher du fond de l'enfer et le faire rentrer dans la route du ciel.
Ce ne fut pas le seul à qui Dieu accorda une pareille grâce par le ministère de son serviteur. Plusieurs autres, après une apostasie de cinq, de sept et de dix ans, après s'être précipités dans tous les excès qui occasionnent et qui suivent une telle défection, après avoir résisté à tous les avis et à tous les reproches, ne purent résister à la douceur et à la force du P. Claver. Ils retournèrent tous à leurs monastères, où ils devinrent des modèles de la plus parfaite pénitence. Tant il est vrai que dans un ministre de JÉSUS-CHRIST ce n'est pas la rigueur, mais la charité qui trouve l'art de gagner les cœurs à JÉSUS-CHRIST !
A suivre : VI. Il convertit plusieurs hérétiques, notamment un prélat anglais.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
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Re: Saint Pierre Claver.
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VI. Il convertit plusieurs hérétiques, notamment un prélat anglais.
Dans ce même hôpital, il fit éclater le grand talent que le ciel lui avait donné pour ramener les hérétiques au sein de l'Église. Entre plusieurs exemples qu'on en pourrait rapporter, je me contenterai de citer les plus remarquables.
Comme il faisait ses visites ordinaires aux pauvres malades de Saint-Sébastien, il y trouva un calviniste si opiniâtre dans ses erreurs, qu'ayant inutilement employé plusieurs jours à le réduire, il prit enfin le parti de l'abandonner. Croyant que son zèle serait plus efficace auprès d'un autre malade qui n'était pas éloigné, il s'adresse à lui et le trouve animé d'une haine implacable contre un de ses ennemis : il était résolu de le tuer partout où il le trouverait. A tous ce que put lui dire le zélé missionnaire pour l'engager au pardon, il répondait: « J'abandonnerai mes desseins de vengeance quand celui que vous venez de quitter abjurera ses erreurs. » A ces mots, le Père se jette à genoux, adresse une prière fervente au Seigneur et, dans l'instant, on vient l'avertir que l'hérétique est converti et qu'il veut se confesser avant que de mourir.
A cette heureuse nouvelle, se tournant vers le vindicatif obstiné : « Ne voyez-vous pas, mon fils, lui dit-il avec bonté, que Dieu veut vous avoir à quelque prix que ce soit ? Oui, il veut sauver deux pécheurs à la fois : allons à ses pieds pour l'en remercier. » Cet homme, tout étonné et croyant à peine ce qu'il entendait, court lui-même vers l'hérétique pour être témoin de la vérité ; et convaincu par un tel prodige, il se jette humblement aux pieds du saint homme, lui remet tous ses intérêts entre les mains et se réconcilie de bonne foi avec son ennemi.
Mais la conversion la plus éclatante…
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VI. Il convertit plusieurs hérétiques, notamment un prélat anglais.(suite)
Mais la conversion la plus éclatante, parce qu'elle en entraîna un grand nombre d'autres, fut celle d'un prélat anglais. Pour bien entendre ce fait, il faut reprendre les choses de plus haut.
Il y avait déjà plusieurs années que des corsaires anglais et hollandais infestaient les mers de l'Amérique. Après avoir longtemps menacé le nouveau royaume de Grenade, ils s'emparèrent enfin des îles de Saint-Christophe et de Sainte-Catherine, où ils établirent deux puissantes colonies de leur nation. De là ils faisaient sans cesse des courses funestes aux Espagnols, à qui ils enlevaient presque tous les jours des vaisseaux chargés de nègres, de mahométans et d'autres esclaves qu'ils employaient à cultiver leurs terres.
Le roi d'Espagne, informé du préjudice que ces fâcheux voisins causaient à ses sujets, aux marchands et à toutes les habitations situées le long des côtes, envoya contre eux une flotte commandée par Frédéric de Tolède, avec l'ordre très pressant de les chasser de ces îles, à quelque prix que ce fût. Ce grand capitaine s'acquitta si bien de sa mission, que non seulement il se rendit maître des deux îles, mais qu'il fit prisonniers presque tous les Anglais et les Hollandais avec tous les esclaves qu'ils avaient enlevés. Il les embarqua sur ses navires et les emmena à la baie de Carthagène ; mais de crainte qu'ils ne pussent reconnaître l'état et les fortifications de la place et qu'ils ne répandissent leurs erreurs dans le pays, on les obligea de rester sur les galions, sans leur permettre de venir à terre.
Animé de son zèle ordinaire et plein d'une vive confiance en Dieu, Claver demanda à son supérieur et au commandant la permission d'aller sur la flotte ; et l'ayant obtenue, il s'y rendit muni de tous les ornements nécessaires pour célébrer la messe. Étant monté sur un navire où il y avait plus de six cents Anglais gardés par quelques Espagnols, ceux-ci le reçurent avec joie, et le prièrent de leur dire la messe, qu'ils n'avaient point entendue depuis leur départ des îles. On ne pouvait lui faire une demande qui lui fût plus agréable. Sa dévotion en célébrant les divins mystères, sa modestie et la majesté des cérémonies de l'Église frappèrent les hérétiques qui accoururent en foule comme à un spectacle tout à fait nouveau pour eux. Après la messe, les Espagnols invitèrent le Père à dîner sur le vaisseau ; il accepta leur offre avec plaisir, et ce fut la seule fois de sa vie qu'il ne se fit pas prier, dans l'espérance de gagner des âmes à Dieu, à l'exemple de JÉSUS-CHRIST, qui, pour attirer les pécheurs, ne faisait pas difficulté de manger même avec les publicains.
A la fin du repas, quelques Anglais qui y avaient assisté, déjà à demi gagnés par sa douceur et ses manières aimables, lui demandèrent s'il ne voudrait pas voir leur prélat ; c'était le nom qu'ils donnaient à l'archidiacre de Londres. Le saint missionnaire, espérant de gagner le chef et d'attirer par là tous les autres à la foi catholique, répondit qu'il le verrait très volontiers et que ce serait beaucoup d'honneur pour lui. Aussitôt parut un vénérable vieillard, avec un air grave et modeste, une grande barbe et de longs cheveux. Le Père se leva à son arrivée, le salua avec beaucoup de respect ; et ayant été prévenu de leurs coutumes par le capitaine, il but très courtoisement à la santé du prélat, qui, de son côté, lui fit raison de bonne grâce et lui demanda en latin un entretien secret. Tandis que les autres jésuites conféraient avec les Anglais sur quelques points de la religion catholique, le Père et le prélat traitèrent ensemble, jusqu'au soir, de tous les articles controversés entre nous et les protestants. L'Anglais voyait souvent la vérité malgré lui, il était convaincu ; mais…
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VI. Il convertit plusieurs hérétiques, notamment un prélat anglais.(suite)
…l'Anglais voyait souvent la vérité malgré lui, il était convaincu ; mais il se heurtait à des obstacles trop difficiles à surmonter pour une entière persuasion. Il craignait de laisser sans ressources sa femme et ses enfants, s'il se déterminait à changer de parti, et n'ayant pas le courage de faire tant de sacrifices à la fois, l'intérêt de sa fortune l'emportait toujours sur celui de sa religion. Tout ce que le Père put obtenir de lui, ce fut la protestation que toute sa vie il serait catholique dans le cœur, et qu'à la mort il se déclarerait hautement et se réconcilierait avec l'Église. Mais pour ménager des intérêts qui devaient lui être si chers, il professerait à l'extérieur la religion anglicane.
Désolé de la résistance opiniâtre de son cœur aux lumières vives qui éclairaient son esprit, le zélé missionnaire était près de le quitter, lorsque tout à coup il se souvint que ce jour-là même on célébrait la fête de sainte Ursule qui, avec tant d'autres saintes vierges, avait donné son sang pour la foi. Aussitôt se retournant vers le prélat en homme inspiré:« Monsieur, lui dit-il, c'est aujourd'hui la fête d'une vierge illustre, l'honneur de votre patrie, et qui, avec ses compagnes, a signé de son propre sang cette religion catholique dont vous reconnaissez vous-même la vérité. Saint Lucius, roi de votre Bretagne et le modèle de tous les rois vraiment chrétiens, envoyait tous les ans au Saint-Siège des présents dignes d'un monarque, comme un tribut d'actions de grâces, et une marque de son attachement à l'Église (1). Depuis lui, tous vos souverains avaient suivi son exemple et sa piété, jusqu'à l'infortuné Henri VIII. Ce prince lui-même n'avait-il pas écrit pour la défense de cette Église et pour la primauté de la chaire de Pierre ? Qui a donc pu le porter à abandonner l'ancienne religion pour en établir une nouvelle ? Ne fut-ce pas le mariage adultère et scandaleux qu'il contracta avec Anne de Boulen, après avoir répudié sa légitime épouse contre toutes les lois divines et humaines ? Voilà les abominations qui ont donné naissance à votre religion : jugez de l'effet par la cause. Eh ! comment un homme sensé et craignant Dieu préférera-t-il une loi introduite par l'adultère à celle que les apôtres ont annoncée, que tant de martyrs ont confirmée aux dépens de leur vie, que vos illustres vierges ont défendue avec tant de courage, à laquelle tant de princes vertueux sont soumis et que vos ancêtres ont honorée pendant tant de siècles? Comment l'autorité d'un roi décrié pour ses vices pourrait-elle l'emporter sur celle de tant d'autres distingués par leur piété? Quoi ! une religion introduite par la sainteté d'un Lucius sera fausse, et celle qui a été fondée sur l'adultère d'un Henri sera vraie ? Si ce prince n'a pu soutenir ses nouveaux crimes que par l'appui d'une nouvelle religion, pourquoi, vous, sans être coupable des mêmes crimes, soutiendrez-vous cette même religion? Mais si vous la croyez durant la vie, que ne la croyez-vous encore au lit de la mort ? Alors, dites-vous, vous vous repentirez, vous vous déclarerez. Il en sera de vous comme de lui. N'êtes-vous point effrayé de ces tristes paroles avec lesquelles il expira : Omnia perdimus, dit-il, nous avons tout perdu ! Il chercha à se réconcilier avec l'Église, et l'occasion lui manqua : qui vous a assuré qu'elle ne vous manquera pas comme à lui ? Vos biens, votre femme, vos enfants ne vous embarrasseront-ils point alors comme aujourd'hui? Rougissez de n'avoir pas assez de courage pour sacrifier ces sortes de biens, tandis que tant de jeunes vierges en ont eu assez pour sacrifier leur vie. Votre premier intérêt, c'est vous-même, Monsieur : ne vous exposez pas à des supplices éternels, pour quelques biens passagers que vous laisseriez bientôt à d'autres. »
Vivement frappé de ce discours…
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(1). Lucius, roi de la Grande-Bretagne, ayant eu quelque connaissance de la religion chrétienne, écrivit au pape Eleuthère, vers l'an 182, pour lui demander les moyens de se faire instruire des vérités de la foi. Ce pontife lui envoya de saints missionnaires qui le baptisèrent, ainsi qu'une partie de ses sujets.
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A suivre : VII. Il vient à bout des plus obstinés par sa douceur et sa patience.
VI. Il convertit plusieurs hérétiques, notamment un prélat anglais.(suite)
Vivement frappé de ce discours, où la vérité se mêlait au zèle et à la charité, le vieillard le conjura avec larmes de prier Dieu pour lui. Le Père le lui promit, et ils se séparèrent en se donnant mutuellement des marques d'affection. Le saint missionnaire redoubla ses prières et ses pénitences, et huit jours après la Toussaint, en entrant dans l'hôpital de Saint-Sébastien, il vit qu'on y apportait un malade enfermé dans une chaise : c'était le prélat anglais. A la vue du P. Claver : « Il est temps, lui dit-il, il est temps, mon Père, d'accomplir la promesse que j'ai faite à Dieu et à vous d'embrasser la religion de mes pères, et de me convertir à la foi de la sainte Église romaine. » Il le pria en même temps de ne pas l'abandonner, parce qu'il se sentait fort malade. On ne peut exprimer quelle fut la joie du P. Claver, en voyant une conversion si désirée et si peu attendue. Le prélat fit publiquement son abjuration entre ses mains. De maître obstiné de l'erreur devenu tout à coup disciple soumis et docteur éclairé de la vérité, il exhorta dans les termes les plus vifs et les plus touchants tous ceux qui étaient autour de lui à imiter son exemple, en leur répétant plusieurs fois qu'il n'y avait point de salut à espérer hors de l'Église romaine. Il se confessa ensuite avec une grande abondance de larmes, reçut tous les sacrements avec une piété exemplaire, et mourut peu après en s'entretenant doucement avec son Sauveur. Le Père, qui l'avait toujours assisté durant sa maladie, ne l'abandonna pas après sa mort et lui fit faire les obsèques les plus honorables qu'il lui fut possible.
Plusieurs Anglais qui étaient malades dans le même hôpital, voulurent se conformer à l'exemple de leur chef; et persuadés que la religion qu'il avait embrassée dans ce moment critique était la plus sûre, ils moururent eux-mêmes en vrais catholiques. « Saints d'Espagne, s'écriaient-ils avec ferveur, secourez-nous » ; donnant par là à entendre qu'ils voulaient mourir dans la foi des Espagnols.
Après tant d'exemples si consolants, dans l'espérance de gagner ceux qui étaient restés sur la flotte, on leur permit de venir à terre. L'affection que leur avaient inspirée les jésuites dans de fréquentes visites sur leurs vaisseaux, jointe à l'impression que le changement extraordinaire de leur prélat avait faite sur leur esprit, les engagea à conférer de temps en temps avec les Pères. Quelques jours avant Noël, ils demandèrent à voir leur église : on la para le plus magnifiquement qu'il fut possible, et après que toutes les messes eurent été dites, on les y fit entrer. Tout ce qu'ils virent les charma ; ils se mirent respectueusement à genoux devant le grand autel, et ils écoutèrent fort volontiers un discours qu'on leur fit par interprète sur la religion catholique. Frappés de tout ce qu'ils avaient vu et entendu, ils témoignèrent l'envie de ne point retourner la nuit suivante à la flotte ; mais comme il était difficile de leur trouver à tous des logements, le zèle du P. Claver y suppléa. Charmés de ses manières douces et charitables, ils ne pouvaient se lasser d'en parler avec admiration, quand ils eurent rejoint leurs compagnons.
Tous les jours il en débarquait à terre de nouveaux, qui s'en retournaient remplis des mêmes sentiments; de sorte que plus de six cents se convertirent en peu de temps. Le saint missionnaire, au comble de la joie, représenta au commandant de la flotte qu'il était à propos de séparer les Anglais qui s'étaient rendus à la vérité de ceux qui restaient obstinés dans leur erreur, parce que la communication avec l'hérésie est toujours dangereuse pour la foi; il ajouta qu'il fallait même tâcher de leur donner un établissement honorable, pour les empêcher, s'il était possible, de retourner en leur pays avec un danger évident de se pervertir. Le général, qui n'avait pas moins de piété que de bravoure, entra facilement dans ce dessein ; et ayant fait donner aussitôt des logements séparés aux Anglais catholiques, il les prit ensuite au service d'Espagne, en leur faisant des avantages proportionnés au rang de chacun d'eux. Par là il acquit en même temps et des sujets à Dieu, et des soldats au roi.
A suivre : VII. Il vient à bout des plus obstinés par sa douceur et sa patience.
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VII. Il vient à bout des plus obstinés par sa douceur et sa patience.
Il ne trouva pas les mêmes facilités dans toutes les conversions qu'il voulut entreprendre. Certains hérétiques, en le voyant approcher, se bouchaient les oreilles pour ne pas l'entendre ; d'autres, après l'avoir accablé d'injures, se jetaient sur lui comme des furieux, lui déchiraient son manteau et paraissaient vouloir le mettre lui-même en pièces. Mais son zèle et sa douceur triomphaient de tout, et il eut la consolation de voir plus de cent de ces obstinés se convertir enfin de bonne foi.
Parmi les pauvres qui venaient en foule chercher l'aumône à la porte du collège, se trouvait un de ces hérétiques qui, touché de la modestie, de la patience et de la charité du saint missionnaire, se détermina à embrasser la foi catholique, il parut ensuite en public avec un chapelet au cou. Les autres, furieux de se voir enlever ainsi peu à peu tous leurs compagnons, le menacèrent de l'assassiner, s'il ne rentrait dans leur religion. Le Père, averti de ce tumulte, le retira d'entre leurs mains, le mit dans un lieu de sûreté et se chargea de pourvoir lui-même à sa subsistance. Le nouveau converti ne fut pas longtemps dans cette inquiétude. Dieu l'appela bientôt à lui, pour le récompenser de sa généreuse fidélité. Il mourut tranquille, en remerciant la divine Providence de le tirer si à propos du péril où il était de se perdre pour l'éternité.
L'hôpital de Saint-Sébastien se trouvait alors rempli de Hollandais sortis de l'île de Sainte-Catherine. Le Père ayant appris qu'un des plus entêtés était dangereusement malade, se rendit avec empressement auprès de lui ; et après bien des exhortations et des fatigues, il le détermina à embrasser la religion catholique dans laquelle il mourut. Il pourvut lui-même à ses obsèques, et cette marque d'attention de sa part attira à la foi plusieurs autres Hollandais.
On avait pris avec eux une grande multitude de nègres qu'ils avaient infectés de leurs erreurs, sans leur ôter mille superstitions idolâtres auxquelles ils étaient encore attachés. C'était pour le Père un double travail : il fallait leur arracher tout à la fois le paganisme et l'hérésie ; mais son zèle pour ses chers nègres se réveillant, sembla lui donner de nouvelles forces. Comme il s'en trouvait parmi eux plusieurs qui n'avaient pas été baptisés, il commença par les instruire ; quand il les vit bien disposés, il fit élever dans l'église un autel magnifiquement orné ; et pour rendre la cérémonie plus éclatante, il eut soin d'y faire venir un grand chœur de musique. Toute la noblesse de la ville accourut à cet édifiant spectacle, et plusieurs s'offrirent d'eux-mêmes à servir de parrains. La dévotion singulière avec laquelle les nouveaux convertis reçurent le baptême et les autres sacrements, ne contribua pas peu à accréditer la foi catholique.
Tout cela cependant ne fit aucune impression sur un malade qui demeurait toujours obstiné dans ses erreurs.…
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VII. Il vient à bout des plus obstinés par sa douceur et sa patience.(suite)
Tout cela cependant ne fit aucune impression sur un malade qui demeurait toujours obstiné dans ses erreurs. A tous les soins, à toutes les prières du saint missionnaire, il ne répondait que par des injures et des blasphèmes contre l'Église romaine. Tandis que le Père, désolé de son endurcissement, s'occupait à ce travail si ingrat, on apporta à l'hôpital quatorze Hollandais qui étaient en danger de mort. Voulant essayer s'il réussirait mieux auprès d'eux ; il va les trouver, les embrasse, leur prépare des remèdes, accommode leurs lits, leur présente lui-même à manger, leur rend les services les plus bas ; en un mot, il n'omet rien de ce que peut inspirer la plus attentive et la plus humble charité. Cependant il leur parlait souvent de la religion ; et ces pauvres gens, déjà charmés de ses bontés, l'écoutant avec plaisir, il sut si bien les gagner l'un après l'autre, que treize d'entre eux moururent bons catholiques. Il en restait un, qu'il n'avait pu réduire ; voyant que sa maladie augmentait, et qu'il était près de mourir dans l'hérésie, le Père redoubla ses prières et ses efforts, et eut la consolation de le voir expirer avec les plus vifs sentiments de douleur et de foi. Ravi d'un changement si inespéré, il voulut le faire enterrer avec un grand appareil : tentures, luminaire, musique, rien ne fut épargné ; et les obsèques furent honorées par la présence de tout ce qu'il y avait de plus considérable à Carthagène. C'était montrer aux hérétiques le cas que l'on faisait de ceux qui mouraient dans la communion de l'Église, et ces marques flatteuses de distinction, étaient de nature à les gagner.
Malgré tous ces succès, le zèle du saint homme n'était pas satisfait, et il voyait avec douleur le malheureux, auprès duquel il s'était déjà donné tant de peines, plus endurci que jamais. Touché des plaies funestes de son âme encore plus que du triste état où la maladie avait réduit son corps, il retourne à lui et s'avance pour l'embrasser. Celui-ci le repousse rudement, le traite d'hypocrite et d'imposteur, et finit par lui dire avec colère qu'il ne le tromperait pas, comme il en avait déjà trompé tant d'autres assez simples pour se laisser séduire. Un vrai zèle supporte l'humiliation et le mépris, comme il reçoit la gloire et le succès. Celui du Père ne se rebuta point; et le plaisir de souffrir quelque chose pour JÉSUS-CHRIST modérait la douleur qu'il ressentait de voir tant d'obstination dans cet hérétique.
Semblable à un médecin éclairé et charitable qui, sans s'étonner des injures que lui dit son malade, choisit le temps le plus favorable pour lui donner les remèdes propres à le guérir : avertissements, assiduités, services et surtout prières ferventes, il employa tout pour toucher le cœur de ce misérable. Le lendemain de l'enterrement du dernier Hollandais converti, il retourne à celui sur qui il n'avait pu rien gagner encore. Mais ses prières avaient déjà obtenu ce que toutes ses paroles n'avaient pu faire. Dès que l'hérétique l'aperçut : « Ô mon Père! » s'écria-t-il d'un air vivement touché, « mon Père, venez à moi ; » en même temps il ouvre les bras pour le recevoir. Le Père y court transporté de joie, et tous les deux se tenant étroitement embrassés, ils furent quelque temps sans pouvoir se parler que par leurs larmes.
Enfin, le malade ayant poussé un profond soupir : …
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A suivre : VIII. Il entreprend la conversion des mahométans.
VII. Il vient à bout des plus obstinés par sa douceur et sa patience.(suite)
Enfin, le malade ayant poussé un profond soupir : « Écoutez, mon Père, » lui dit-il, « une chose bien étonnante. Ce Hollandais que vous fîtes hier enterrer avec tant de cérémonie m'est apparu cette nuit ; il m'a fait entendre qu'il n'y avait point d'autre route de salut que celle que vous enseignez, et que par elle seule lui et tous ses compagnons se sont sauvés. Il m'a ensuite repris très sévèrement de toutes mes iniquités à votre égard, en m'ordonnant de vous en demander pardon et d'ajouter foi à vos paroles. Je me prosterne donc à vos pieds, mon cher Père, et je m'abandonne entre vos mains : faites de moi tout ce qu'il vous plaira pendant les deux jours que j'ai encore à vivre. Le temps est court, ne le perdons point : aidez-moi, je vous en conjure, de vos prières et de vos conseils. »
Le saint homme, au comble de ses désirs, se surpassa, pour ainsi dire, dans les soins qu'il prit de ce pécheur pénitent : c'était le fils de sa plus amère douleur, et par là même il devint celui de sa joie la plus sensible. Après avoir fait son abjuration, le malade voulut recevoir les sacrements; en les recevant, il pria le Père de ne lui point faire à son enterrement des honneurs dont ses crimes le rendaient indigne, mais de le faire jeter sans sépulture au milieu de la campagne, et ses dernières paroles furent des actes fervents de foi, d'espérance et d'amour, qui remplirent tous les assistants de consolation.
A suivre : VIII. Il entreprend la conversion des mahométans.
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Re: Saint Pierre Claver.
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VIII. Il entreprend la conversion des mahométans.
On sait que, de tous les peuples, les mahométans sont les plus entêtés dans leur secte ; les plaisirs des sens autorisés par leur loi, et la défense qu'ils ont de traiter les matières de religion autrement que par les armes, les rendent en quelque sorte incapables de conversion. Il en arrivait un très grand nombre à Carthagène, tant sur des navires marchands pour y trafiquer, que sur les vaisseaux mêmes du roi pour servir à garder les côtes. Dès que le P. Claver apprenait l'arrivée de quelque flotte chargée de Maures, il allait aussitôt les chercher, soit sur les vaisseaux, soit dans les rues, soit dans les maisons de la ville ; il tâchait de lier peu à peu amitié avec eux; s'intéressait à leurs affaires, leur demandait s'ils avaient besoin de quelque chose. En même temps il leur faisait entendre qu'ils pouvaient disposer de lui, et qu'il était prêt à les secourir en tout ce qui dépendait de ses soins. Enfin il faisait si bien, par ses prévenances et par ses services, qu'il les gagnait insensiblement à JÉSUS-CHRIST.
Parmi les pauvres à qui il avait coutume de donner l'aumône, il trouva un Turc d'un naturel si féroce, que tout autre eût désespéré de le réduire : mais le saint homme, loin de se décourager, en prit occasion de redoubler ses soins pour ce malheureux ; c'était lui qui avait toujours la meilleure part aux aumônes. Cette espèce de combat, d'insultes d'une part et de bons traitements de l'autre, dura plusieurs années, jusqu'à ce qu'enfin le mahométan, vaincu par la douceur et la patience du P. Claver, vint le trouver, se fit instruire, reçut le baptême et devint aussi humble et aussi doux qu'il avait été jusque-là fier et intraitable.
Un Maure, âgé de soixante ans, étant tombé dangereusement malade, ses compagnons, qui craignaient qu'il ne pût résister au zèle de l'apôtre de Carthagène, allaient tous les jours le voir, pour l'encourager à demeurer ferme dans les erreurs de sa secte. En ayant été averti, le gouverneur D. Pierre de Zapata le fit transporter dans sa maison où le P. Claver se rendit aussitôt ; à peine lui eut-il parlé que le malade s'adoucit ; il demanda le baptême, et reçut avec lui la santé de l'âme et du corps en même temps. Le gouverneur, qui connaissait son opiniâtreté et qui lui servit de parrain, attesta qu'une pareille conversion, avec toutes ses circonstances, ne pouvait être que miraculeuse.
Elle fut suivie d'une autre encore plus singulière…
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VIII. Il entreprend la conversion des mahométans.(suite)
Elle fut suivie d'une autre encore plus singulière. Un habitant des environs de Carthagène avait chez lui un Maure d'un caractère fort doux, fort attaché à sa secte, mais qui lui était d'un grand service. Plus attentif au salut de son esclave qu'à ses propres intérêts, le maître l'exhortait souvent à se faire chrétien. Après bien des tentatives inutiles, il l'emmena au P. Claver ; et, dès la première vue, le Maure prit la résolution de se convertir. Peu de jours après, il témoigna qu'il avait à la vérité un désir sincère de recevoir le baptême, mais qu'il serait auparavant bien aise d'apprendre à lire et à bien parler l'espagnol, pour se mettre mieux au fait de notre religion. Le Père approuva ce dessein, et l'ayant trouvé aussi instruit au bout de deux mois que s'il y eût employé plusieurs années, il comprit que Dieu voulait se servir de lui pour procurer sa gloire.
En effet, un de ses frères était arrivé à Carthagène sur la même flotte que lui, sans que ni l'un ni l'autre en eussent eu connaissance. Au bout de quelque temps, ils se rencontrèrent dans la ville ; et l'aîné, qui était déjà converti, voulant rendre son cadet doublement son frère par les liens de la même foi, lui parla avec beaucoup de force de la grâce que Dieu lui avait faite en l'appelant à la vraie religion. Celui-ci, aussi surpris qu'indigné d'un tel discours, lui répondit avec mépris qu'il n'avait qu'à vivre à sa façon, mais que pour lui, étant né musulman, il voulait mourir bon musulman. Le chrétien alla aussitôt raconter son aventure au P. Claver, et lui témoigner le peu d'espérance qui lui restait de gagner son frère. Le saint homme lui promit d'avoir recours à Dieu et le pria de lui amener ce frère le plus tôt qu'il lui serait possible. L'occasion s'en présenta bientôt. Le chrétien l'ayant rencontré peu de jours après, lui dit qu'il n'y avait personne à Carthagène à qui il eût autant d'obligation qu'au P. Claver, et que leurs intérêts devant être communs, il le conjurait de venir avec lui le remercier de ses bienfaits. Le mahométan, qui était rusé et défiant, répondit qu'il ne pouvait regarder comme un bienfait ce qui était un attentat contre sa loi. Attiré cependant peu à peu par tout ce qu'on lui dit des vertus et de la bonté du saint missionnaire, il se décida à aller le trouver.
Le Père, comme s'il eût entendu leur conversation, aborda le musulman avec une douceur angélique ; et, pour ne le pas effaroucher, affecta même de ne lui point parler de religion. Après l'avoir tendrement embrassé, il lui demanda comment il se trouvait à Carthagène, quel traitement il recevait de son maître et à quel emploi on l'occupait. Faisant ensuite tomber adroitement le discours sur son frère, il lui fit de grands éloges de ses bonnes qualités, lui représenta la consolation qu'il goûtait dans la nouvelle religion qu'il avait embrassée, et l'exhorta enfin à participer à son bonheur. Le Maure l'écoutait tranquillement, étonné lui-même de sa propre patience. Le Père, le voyant déjà ébranlé, lui présente tout à coup un crucifix, lui parle avec force, et lui ordonne de se jeter sans différer entre les bras d'un Sauveur qui avait tant fait et tant souffert pour son salut. Frappé comme d'un coup de foudre, le musulman se prosterne en tremblant, et promet au saint homme de revenir au plus tôt le voir. Le Père, croyant en avoir assez fait pour une première fois, le laissa aller. Depuis cette entrevue, le Maure eut bien des tentations à surmonter, et le démon fit tous ses efforts pour le retenir sous son empire ; mais enfin la grâce triompha et, peu de temps après, il reçut le baptême avec de grandes marques de foi et de piété.
Le Père dut souvent acheter plus chèrement ses conquêtes…
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