Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.

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Message  Louis Jeu 03 Juil 2014, 1:43 pm

CHAPITRE  X


Départ pour la pêche.   — Fureur des Iroquois. — On veut le brûler.
— II est sauvé par un capitaine hollandais. — Arrivée à Manhatte. — Départ pour la France.


L'heure de la délivrance approchait; le P. Jogues suivait de nouveau ses maîtres à la pêche sur les bords de l'Hudson, à une trentaine de kilomètres de Renselaerswich. Ce fut cette excursion providentielle qui lui fournit le moyen de s'évader. Écoutons-le raconter lui-même en détail sa fuite dans une lettre (1) qu’il écrivit de ce poste hollandais, sous la date du 30 août 1643, au R. P. Charles Lalemant :

« Je partis le propre jour de la fête de notre bienheureux Père saint Ignace de la  bourgade où j’étais captif, pour suivre et accompagner quelques Iroquois qui s’en allaient premièrement en traite (1), puis en pêcherie. Ayant fait leur petit trafic, ils s’arrêtèrent à sept ou huit lieues au-dessous d’une colonie hollandaise (2) placée sur une rivière où nous faisions notre pêche.

« Comme nous dressions des embûches aux poissons, arriva le bruit qu’une escouade d’Iroquois retournée de la chasse aux Hurons, en avait tué cinq ou six sur la place, et amené quatre prisonniers, dont deux étaient déjà brûlés dans notre bourgade avec des cruautés extraordinaires.

« A cette nouvelle, mon cœur fut transpercé d’une douleur très-amère et très-sensible de ce que je n’avais pas vu, ni consolé, ni baptisé ces pauvres victimes ; si bien qu’appréhendant qu’il n’arrivât quelque chose de semblable en mon absence, je dis à la bonne vieille femme qui pour son âge et pour le soin qu’elle avait de moi, et pour la compassion qu’elle me portait, m’appelait son neveu, et moi je l’appelais ma tante : « Ma tante, je voudrais bien retourner en notre cabane; je m’ennuie beaucoup ici. »

« Ce n’était pas que j’attendisse plus de douceur et moins de peine en notre bourgade, où je souffrais un martyre continuel, étant contraint de voir de mes yeux les horribles cruautés qui s’y exercent; mais mon cœur ne pouvait souffrir la mort d’aucun homme sans que je lui procurasse le baptême.

« Cette bonne femme me dit : « Va-t’en donc, mon neveu, puisque tu t'ennuies ici. Prends de quoi manger en chemin. »

« Je m’embarquai dans le premier canot qui remontait à la bourgade, toujours conduit et toujours accompagné des Iroquois.

« Arrivé que nous fûmes en l’habitation des Hollandais, par où il nous fallait passer, j’apprends que toute notre bourgade est animée contre les Français, et qu’on n’attendait plus que mon retour pour nous brûler. Voici le sujet de cette nouvelle : entre plusieurs bandes d’Iroquois qui étaient allées en guerre contre les Français, contre les Algonquins et contre les Hurons, il s’en trouva une qui prit la résolution d’aller à l'entour de Richelieu, pour épier les Français et les sauvages leurs alliés.

« Un certain Huron de cette bande…

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(1) Relation de 1643 p, 75. — (1)  Nom donné au commerce d'échange de pelleteries. On appelait traiteurs les Européens qui s’y livraient. — (2) Renselaerswich.

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Message  Louis Ven 04 Juil 2014, 11:49 am

« Un certain Huron de cette bande, pris par les Iroquois, et habitué parmi eux, me vint demander des lettres pour les porter aux Français, espérant peut-être en surprendre quelques-uns par cette amorce. Mais comme je ne doutais pas que nos Français ne fussent sur leurs gardes, et que je croyais d’ailleurs qu’il était important que je leur donnasse quelques avis des desseins, des armes et des déloyautés de nos ennemis, je trouvai moyen d’avoir un bout de papier pour leur écrire, les Hollandais me faisant cette charité.

« Je connaissais fort bien les dangers où je m'exposais. Je n'ignorais pas que s'il arrivait quelque disgrâce à ces guerriers, on m’en ferait responsable, et on en accuserait mes lettres. Je prévoyais ma mort, mais elle me semblait douce et agréable, employée pour le bien public, et pour la consolation de nos Français et des pauvres sauvages, qui écoutent la parole de Notre-Seigneur. Mon cœur ne fut saisi d'aucune crainte à la vue de tout ce qui en pourrait arriver, puisqu'il y allait de la gloire de Dieu.

« Je donnai donc ma lettre à ce jeune guerrier qui ne retourna pas. L'histoire que ses camarades ont rapportée, dit qu'il la porta au fort Richelieu, et qu'aussitôt que les Français l’eurent vue ils tirèrent le canon sur eux, ce qui les épouvanta tellement que la plupart s'enfuirent tout nus, qu’ils abandonnèrent un de leurs canots, dans lequel il y avait trois arquebuses, de la poudre et du plomb et quelque autre bagage.

« Pour redoublement de malheur, une troupe revenant d’auprès de Montréal, où ils avaient dressé des embûches aux Français, disait qu'on avait tué un de leurs hommes et blessé deux autres.

« Chacun me faisait coupable de ces mauvaises rencontres. Ils étaient comme forcenés de rage, m'attendant avec impatience. J’écoutais tous ces bruits, m’offrant sans réserve à Notre-Seigneur et me remettant en tout et pour tout en sa très-sainte volonté.

« Le capitaine de l’habitation des Hollandais où nous étions, n’ignorant pas les mauvais desseins de ces barbares, et sachant d’ailleurs que M. le chevalier de Montmagny avait empêché les sauvages de la Nouvelle-France de venir tuer les Hollandais, m’ouvrit les moyens de me sauver. Voilà, me dit-il, un vaisseau à l’ancre (1) qui partira dans peu de jours, jetez-vous dedans secrètement. Il s'en va, premièrement à la Virginie, et de là il vous portera à Bordeaux ou à la Rochelle où il doit aborder.

« L’ayant remercié avec beaucoup de respect de sa courtoisie, je lui dis que les Iroquois, se doutant bien qu’on aurait favorisé ma retraite, pourraient causer quelques dommages à ses gens. « Non, non, répondit-il, ne craignez rien, l’occasion est belle; embarquez-vous; jamais vous ne trouverez de voie plus assurée pour vous sauver. »

« Mon cœur demeura perplexe à ces paroles…

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(1) L'ordre de délivrer le P. Jogues avait été envoyé à tous les commandants de la Nouvelle-Belgique par les États-Généraux de Hollande, à qui la Reine régente de France l’avait fait demander de la manière la plus pressante.



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Message  Louis Sam 05 Juil 2014, 12:03 pm


« Mon cœur demeura perplexe à ces paroles, doutant s’il n’était point à propos pour la plus grande gloire de Notre-Seigneur que je m’expose au danger du feu et à la furie de ces barbares, pour aider au salut de quelques âmes. Je lui dis donc : Monsieur, l’affaire me semble de telle importance que je ne puis vous répondre sur-le-champ; donnez-moi, s’il vous plaît, la nuit pour y penser. Je me recommanderai à Notre-Seigneur, j’examinerai les raisons de part et d’autre, et demain matin je vous dirai ma dernière résolution. »

« M’ayant accordé ma demande avec étonnement, je passai la nuit en prières, suppliant beaucoup Notre-Seigneur qu’il ne me laissât pas prendre de conclusion de moi-même, qu’il me donnât lumière pour connaître sa sainte volonté, qu’en tout et partout je la voulais suivre, jusqu’à être brûlé à petit feu.

« Les raisons qui pouvaient me retenir dans ce pays étaient la considération des Français et des sauvages. Je sentais de l’amour pour eux et un grand désir de les assister, si bien que j’avais résolu de passer le reste de mes jours dans cette captivité pour leur salut. Mais je voyais la face des affaires toute changée.

« Premièrement, pour ce qui regardait nos trois Français amenés captifs dans le pays aussi bien que moi, l’un d’eux, René Goupil, avait déjà été massacré à mes pieds. Ce jeune homme avait la pureté d’un ange.

« Henri, qu’on avait pris à Montréal, s’était enfui dans les bois. Comme il regardait les cruautés exercées sur deux pauvres Hurons rôtis à petit feu, quelques Iroquois lui dirent qu’on lui ferait le même traitement et à moi aussi, quand je serais de retour. Ces menaces le firent résoudre de se jeter plutôt dans le danger de mourir de faim dans les bois ou d’être dévoré par les bêtes sauvages, que d'endurer les tourments que ces demi-démons faisaient souffrir. Il y avait déjà sept jours qu’il ne paraissait plus.

« Quant à Guillaume Couture, je ne voyais quasi plus de moyens de l’aider ; car on l’avait mis en une bourgade éloignée de celle où j’étais, et les sauvages l’occupaient tellement de çà de là, que je ne le pouvais plus rencontrer. Ajoutez que lui-même m’avait tenu ce discours :

« Mon père, tâchez de vous sauver; sitôt que je ne vous verrai plus, je trouverai les moyens de m’évader. Vous savez bien que je ne demeure dans cette captivité que pour l’amour de vous; faites donc vos efforts pour vous sauver, car je ne puis penser à ma liberté et à ma vie que lorsque je vous verrai en sûreté. »

De plus, ce bon jeune homme avait été donné à un vieillard qui m’assura qu’il le laisserait aller en paix, si je pouvais obtenir ma délivrance; si bien que je ne voyais plus de raison qui m’obligeât de rester pour les Français.

« Pour les sauvages…


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Message  Louis Dim 06 Juil 2014, 11:48 am


« Pour les sauvages, j’étais dans l’impossibilité et hors d’espérance de les pouvoir instruire ; car tout le pays était tellement animé contre moi, que je ne trouverais plus aucune ouverture pour leur parler ou pour les gagner. Les Algonquins et les Hurons étaient contraints de s’éloigner de moi comme d’une victime destinée au feu, de peur de participer à la haine et à la rage que me portaient les Iroquois. Je voyais d’ailleurs que j’avais quelque connaissance de leur langue, que je connaissais leur pays et leurs forces, que je pouvais peut-être mieux procurer leur salut par d’autres voies qu’en restant parmi eux. Il me venait à l’esprit que tous ces avantages mourraient avec moi si je ne me sauvais. Ces misérables avaient si peu d’envie de me délivrer qu’ils commirent une perfidie contre le droit et les coutumes de toutes les nations, en acceptant les présents des Sokoquiois sans me mettre en liberté, déloyauté sans exemple parmi ces peuples; car ils gardent pour inviolable cette loi que quiconque touche ou accepte le présent qu’on lui fait, doit exécuter ce qu’on lui demande par ce présent. C’est pourquoi, quand ils ne veulent pas accorder ce qu’on désire, ils renvoient le présent ou en font d’autres à sa  place.

« Mais pour revenir à mon propos, ayant balancé devant Dieu, avec tout le dégagement qui m’était possible, les raisons qui me portaient à rester parmi ces barbares ou à les quitter, j'ai cru que Notre-Seigneur aurait plus agréable que je prisse  l’occasion de me sauver.

« Le jour étant venu, j’allai saluer M. le Gouverneur, et lui déclarai les pensées que j’avais prises devant Dieu. Il mande les principaux du navire, leur signifie ses intentions, les exhorte à me recevoir, à me tenir caché, en un mot à me repasser en Europe. Ils répondirent que, si je peux mettre une fois le pied dans leur vaisseau, je suis en assurance, et que je n’en sortirai point que je ne sois à Bordeaux ou à la Rochelle. Soit donc, me dit le Gouverneur, retournez-vous-en avec les sauvages, et sur le soir ou dans la nuit, dérobez-vous doucement et tirez vers la rivière; vous y trouverez un petit bateau que je ferai tenir tout prêt pour vous porter secrètement au navire.

« Après mes très-humbles actions de grâce à tous ces messieurs, je m’éloignai des Hollandais pour mieux cacher mon dessein. Vers le soir je me retirai avec dix ou douze Iroquois dans une grange (1) où nous passâmes la nuit.

« Avant de me coucher, je sortis pour voir par quel endroit je pourrais plus facilement m’échapper. Les chiens du Hollandais étant pour lors détachés accourent à moi. Un d’eux, grand et puissant, se jette sur ma jambe que j’avais nue, et me blesse notablement (2).

« Je rentre au plus tôt dans la grange. Les Iroquois la ferment fortement et viennent se coucher auprès de moi, et surtout un d’eux qui avait quelque charge de me surveiller.

« Me voyant serré de si près...

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(1) Cette grange, de près de trente-trois mètres de long, appartenait à un Hollandais marié à une Iroquoise. L’une des extrémités servait de logement à cette famille. Les animaux domestiques occupaient l’autre; le milieu qui était vide fut laissé aux compagnons du P. Jogues. (Mss. du P. Buteux.)

(2)  Le fermier s’étant levé au bruit, vint avec une chandelle examiner cette plaie. Emu de compassion, il essaya de la panser et pour tout remède il y appliqua du poil de chien.

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Message  Louis Lun 07 Juil 2014, 11:56 am


« Me voyant serré de si près, et la grange bien fermée et entourée de chiens qui m’accuseraient si je prétendais sortir, je crus quasi que je ne pourrais m'évader. Je me plaignais doucement à mon Dieu de ce que, m’ayant donné la pensée de me sauver, il en bouchait les voies et les chemins. Concluserat vias meas lapidibus quadris, et in loco spatioso pedes meos (1).

« Je passai encore cette autre nuit sans dormir. Le jour s'approchant, j’entendis les coqs chanter. Bientôt après un valet du laboureur hollandais qui nous avait hébergés dans sa grange, y étant entré par je ne sais quelle porte, je l’abordai doucement et lui fis signe (car je n’entendais pas son flamand) qu’il empêchât les chiens de japper. Il sort incontinent, et moi après, ayant pris auparavant tout mon meuble qui consistait dans un petit office de la Vierge, un petit Gerson (2), et une croix de bois que je m’étais faite, pour conserver la mémoire des souffrances de mon Sauveur.

« Etant hors de la grange, sans avoir fait aucun bruit ni éveillé mes gardes, je passe par-dessus une barrière qui formait l’enclos de la maison, et je cours droit à la rivière, où était le navire. C’est tout le service que put me rendre ma jambe bien blessée, car il y avait bien un bon quart de lieue de chemin à faire. Je trouvai le bateau, comme on me l’avait dit; mais la mer s’étant retirée, il était à sec. Je le pousse pour le mettre à l’eau ; n’en pouvant venir à bout par sa pesanteur, je crie au navire qu’on m’amène l’esquif pour me passer. — Point de nouvelles : je ne sais si on m’entendait ; quoi qu’il en soit, personne ne parut.

« Le jour cependant commençait à découvrir aux Iroquois le larcin que je faisais de moi-même. Je craignais qu’ils ne me surprissent dans ce délit innocent. Lassé de crier, je retourne au bateau. Je prie Dieu d’augmenter mes forces; je fais si bien, le tournant bout pour bout et le pousse si fortement, que je le mets à l’eau. L’ayant fait flotter, je me jette dedans, et m’en vais tout seul au navire, où j’abordai sans être découvert d’aucun Iroquois.

« On me loge aussitôt à fond de cale…

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(1)  Le texte porte : Conclusit vias meas lapidibus quadris (Thren, III, 9) et statuisti in loco spatioso pedes meo (Ps. xxx, 10). — (2) L'Imitation de Jésus-Christ.

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Message  Louis Mar 08 Juil 2014, 12:26 pm


« On me loge aussitôt à fond de cale, et pour me cacher on met un grand coffre sur l’écoutille. Je fus deux jours et deux nuits dans le ventre de ce vaisseau, avec une telle incommodité que je pensai étouffer et mourir de puanteur. Je me souvins alors du pauvre Jonas, et je priai Notre-Seigneur ne fugerem a facie Domini (1) (que je ne me cachasse point de devant sa face), et que je ne m’éloignasse pas de ses volontés; mais au contraire infatuaret omnia consilia quœ non essent ad suam gloriam, je le priais de renverser tous les conseils qui ne tendraient point à sa gloire, et de m’arrêter dans le pays de ces infidèles, s’il n’approuvait pas ma retraite et ma fuite.

« La seconde nuit de ma prison volontaire, le ministre (1) des Hollandais vint me dire que les Iroquois avaient fait bien du bruit, et que les Hollandais habitants du pays avaient peur qu’ils ne missent le feu à leurs maisons, ou qu’ils ne tuassent leurs bestiaux. Ils ont raison de le craindre, puisqu’ils les ont armés de bonnes arquebuses. À cela je répondis, si propter me orta est tempestas, projice me in mare (2) (si la tempête s’est élevée à mon occasion, je suis prêt à l’apaiser en perdant la vie), je n’avais jamais eu la volonté de me sauver au préjudice du moindre homme de l’habitation.

« Enfin il me fallut sortir de ma caverne. Tous les nautoniers s’en formalisaient, disant qu’on m’avait donné parole d’assurance au cas que je pusse mettre le pied dans le navire, et qu’on m’en retirait au moment qu’il faudrait m’y amener, si je n’y étais pas; — que je m’étais mis en danger de la vie en me sauvant sur leur parole; — qu’il la fallait tenir, quoi qu’il en coûtât.

« Je priai qu’on me laissât sortir, puisque le capitaine qui m’avait ouvert le chemin de la fuite, me demandait. Je le fus trouver dans sa maison, où il me tint caché. Ces allées et ces venues s’étant faites la nuit, je n’étais point encore découvert.

« J’aurais bien pu alléguer quelques raisons en toutes ces rencontres; mais ce n’était pas à moi à parler en ma propre cause, mais bien à suivre les ordres d’autrui que je subissais de bon cœur.

« Enfin le capitaine me dit qu’il fallait doucement céder à la tempête, et attendre que les esprits des sauvages fussent adoucis, et que tout le monde était de cet avis. Me voilà donc prisonnier volontaire dans sa maison, d’où je vous écris la présente.

« Que si vous me demandez mes pensées dans toutes ces rencontres, je vous dirai 1° que ce navire qui m’avait voulu sauver la vie, est parti sans moi.

« 2° Si Notre-Seigneur ne me protège d’une façon quasi miraculeuse…

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(1) Jon. I, 3. — (1)  Le nom de ce bienfaiteur du P. Jogues mérite d’être conservé. Il se nommait Jean Mégapolensis, et fut le premier ministre de ce lieu. Il venait de Hollande avec sa femme et ses quatre enfants, et les Etats-Généraux fixèrent une somme pour son entretien. Cette circonstance d’un Jésuite sauvé par un ministre protestant n’est pas un des moins curieux épisodes de cette histoire. On lui doit une notice courte, mais intéressante sur les Agniers. — (2) Ce texte sacré porte : Tollite me et mittite in mare, quoniam propter me tempestas hœc grandis renit super vos. (Jon. I, 12.)

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Message  Louis Mer 09 Juil 2014, 11:25 am


« 2° Si Notre-Seigneur ne me protège d’une façon quasi miraculeuse, les sauvages qui vont et viennent ici à tous moments, me découvriront, et si jamais ils se persuadent que je ne sois point parti, il faudra de nécessité me remettre entre leurs mains. Or s’ils avaient une telle rage contre moi avant ma fuite, quel traitement me feront-ils, me voyant retombé en leur pouvoir ? Je ne mourrai point d’une mort commune. Le feu, la rage et la cruauté qu’ils inventent, m’arracheront la vie. Dieu soit béni pour jamais ! Nous sommes incessamment dans le sein de sa divine et toujours adorable Providence. Vestri capilli capitis numerati sunt; nolite timere; multis passeribus meliores estis vos... Unus non cadet super terrain sine Patre vestro (1) (Les cheveux de votre tête sont comptés. Ne craignez pas : vous êtes plus précieux que beaucoup d’oiseaux... et cependant il n'en tombe aucun à terre sans la volonté de votre Père). Celui qui a soin des petits oiseaux de l’air ne vous met pas en oubli.

« Il y a déjà douze jours que je suis caché, il est bien difficile qu’un mauvais jour ne vienne jusqu’à moi.

« 3° Vous voyez les grands besoins que nous avons de vos prières, et des saints sacrifices de tous nos Pères. Procurez-vous cette aumône partout, afin que Dieu me rende propre et bien disposé pour l’aimer, qu’il me rende fort et courageux pour souffrir et pour endurer, et qu’il me donne une généreuse constance pour persévérer en son amour et en son service; c’est ce que je souhaiterais uniquement, avec un petit Nouveau Testament d’Europe. »

« Priez pour ces pauvres nations qui s’entre-brûlent et s’entre-mangent, afin qu’elles viennent enfin à la connaissance de leur Créateur, pour lui rendre le tribut de leur amour. Memor sum vestri in viniculis meis. Je ne vous oublie pas; la captivité ne peut enchaîner ma mémoire.

« Je suis de cœur et d’affection, etc. »

Pendant que le commandant de Renselaerswich cherchait à apaiser les sauvages qui, au nombre de dix ou douze, ne pouvaient pas lui inspirer de craintes sérieuses, il vit arriver au milieu de septembre une députation venant d’Agnier pour traiter cette affaire. Les villages s’étaient émus à la nouvelle de la fuite du serviteur de Dieu. On savait que les Hollandais en étaient complices, et on voulait les en rendre responsables.

Les députés choisis parmi les principaux chefs arrivaient les armes à la main, bien déterminés à obtenir le prisonnier de gré ou de force. Tout semblait désespéré, mais le commandant du fort ne se laissa point intimider par les menaces, et resta inébranlable dans son refus.

Les clameurs redoublèrent, et, après plusieurs entrevues tumultueuses…

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( 1) Matth. x, 30.


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Message  Louis Jeu 10 Juil 2014, 11:48 am


Les clameurs redoublèrent, et, après plusieurs entrevues tumultueuses, on allait en venir aux mains lorsque le brave capitaine hollandais, s’avançant hardiment vers le chef des députés, lui dit d’un ton décidé : « Le Français que vous cherchez est sous ma sauvegarde, je ne puis l’abandonner. En vous le livrant je manquerais à l’honneur et à l'humanité. Vous devriez être heureux vous-mêmes d’avoir une raison de vous justifier aux yeux de vos compatriotes, et de leur épargner un crime. Vous estimez notre nation : eh bien ! sachez qu’il y a des droits de protection que des nations alliées doivent respecter. Vouloir les braver sans ménagement, c’est s’exposer à des ruptures capables d’entraîner des guerres sanglantes et interminables. Le parti que j’ai pris est adopté par tous les Hollandais; vous les aimez assez, je pense, pour déférer à leurs vœux; mais pour vous donner pleine satisfaction, voici de l’or pour la rançon de votre prisonnier. » Et il offrit en même temps trois cents livres.

A ce discours prononcé avec ce ton d’autorité que des circonstances critiques inspirent à un cœur généreux, le chef iroquois, ébloui à la vue de l’argent, consentit à un accommodement, et partit avec sa troupe.

Quoique racheté, le P. Jogues n’en était pas plus libre. On craignait les suites d’une paix traitée avec précipitation, et on attendait impatiemment une nouvelle occasion pour l’Europe.

Le commandant confia alors son hôte aux soins d’un vieillard hollandais, fidèle, mais dur, avare et sans pitié. Celui-ci le logea dans un vrai galetas, où la faim, la soif, la chaleur et la crainte des Iroquois lui firent endurer un supplice de tous les instants; mais le serviteur de Dieu s’abandonna encore là entre les mains de la Providence, comme l’enfant dans les bras de sa mère.

Ce gardien, vivandier de l’habitation, n’avait ni égards ni soins pour le missionnaire. Il lui montait de l’eau tous les quinze jours dans un baquet qui servait à faire la lessive. Les chaleurs du mois d’août et la malpropreté du vase corrompaient l’eau, et ce breuvage dégoûtant causait au pauvre reclus de violentes douleurs d’estomac. Sa nourriture était si mesquine qu’elle suffisait à peine à le soutenir. Un peu de pain noir et du beurre rance, de la citrouille fricassée, jamais de viande, tel était son ordinaire, contrairement aux instructions du commandant, qui lui envoyait de temps en temps un plat de sa table, et qui recommandait de pourvoir à tout ce qui lui était nécessaire; mais on ne tenait pas compte de ses ordres.

Cette séquestration presque complète dura six semaines, que le P. Jogues passa en entretiens avec Dieu et les saints. Le ministre protestant venait cependant quelquefois le voir. Un jour il lui demanda comment il était traité, et s’il ne manquait de rien. Celui-ci, qui s’était tu jusque-là, et qui eût encore gardé le silence s’il n’eût été interrogé, répondit qu’on lui apportait peu de chose. « Je m’en doutais, reprit le pasteur ; ce vieillard est un avare fieffé, et il retient ce qu’on vous envoie. » C’était la vérité. Le commandant eu ayant été averti, fit porter au P. Jogues du pain et de la viande, qui furent à l'avenir remis sans passer par les mains infidèles du gardien.

Un tourment plus douloureux que l'abstinence mit en péril l’existence du P. Jogues…

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Message  Louis Ven 11 Juil 2014, 5:05 pm


Un tourment plus douloureux que l'abstinence mit en péril l’existence du P. Jogues. Pendant qu’il était sur le vaisseau, on avait appliqué sur sa jambe blessée un emplâtre d'onguent pour la teigne. La plaie s’était envenimée et la gangrène se manifestait déjà lorsque le chirurgien de l'habitation fut appelé et parvint à arrêter les progrès du mal.

Indépendamment de ces souffrances physiques, le pauvre Père était dans des transes continuelles et ne pouvait sortir de sa cachette, les Iroquois rôdant sans cesse dans la cour du fort et y passant souvent la nuit. Il a raconté lui-même dans une de ses lettres qu’il ne comprenait pas comment ces barbares ne l'avaient pas aperçu cent fois pour une. Le grenier était divisé en deux par une cloison en planches minces et si mal ajustées, qu'il y avait plus d’un doigt de distance entre chacune d'elles. D'un côté il était facile de voir tout ce qui était dans l’autre; et c'était là son logement. Or le cantinier conservait dans le premier réduit une partie des marchandises de la traite, et les provisions qu'il vendait. Les Iroquois y venaient constamment pendant le jour, et n'étaient séparés de leur prisonnier que par l'épaisseur d’une latté. Le Père se cachait alors derrière des futailles vides, et y restait quelquefois trois et quatre heures de suite, accroupi et sans mouvement, « position qui lui donnait la géhenne et torture », craignant d’être trahi par le moindre bruit et d’être découvert par ses implacables ennemis.

Après cette longue épreuve à laquelle la divine Providence avait voulu soumettre encore la vertu de son serviteur, l’heure de la délivrance arriva au moment où il s’y attendait le moins.

Le Gouverneur de la Nouvelle-Hollande demeurait à New-Amsterdam (aujourd’hui New-York), dans l’île de Manhatte (1), à cent quatre-vingts kilomètres plus bas que Renselaerswich. C’était alors Guillaume Kieft, cinquième directeur général de cette colonie naissante, dont il avait pris le gouvernement le 28 mars 1638. Ayant appris la triste position du missionnaire et les périls qui l’entouraient, il ordonna au commandant de le lui envoyer par le premier navire, avec toutes les précautions que suggérait la prudence.

Précisément il y avait alors dans le port un bâtiment qui devait descendre la rivière le lendemain. Les préparatifs ne furent pas longs. Le ministre et quelques-uns des principaux habitants accompagnèrent le P. Jogues, qui s’embarqua secrètement et reçut de ses compagnons de voyage de grands témoignages de sympathie et de bienveillance. La traversée dura six jours. Le pasteur Mégapolensis fut d’une bonté constante à son égard, et voulut donner, en son honneur, une petite fête à l’équipage, pour célébrer son heureuse délivrance. « Notamment, raconte le héros de l’aventure, à la rencontre d’une île à laquelle il voulut qu’on donnât mon nom. Au bruit des canons et des bouteilles, chacun témoigna son amour à sa façon. »

Le ministre ne négligeait rien de ce qui pouvait exciter dans les cœurs une joie pure et franche…

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(1) Voyez l'Appendice, p. 89. (Note de Louis : Au moment où j’écris ce texte , cette page 89 n’a aucune signification dans ce livre. Tout ce que je peux dire c’est que nous parlerons de cette île dans l’Appendice à la L’Appendice H....: NOVUM  BELGIUM.  Bien à vous.  

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Message  Louis Sam 12 Juil 2014, 11:44 am


Le ministre ne négligeait rien de ce qui pouvait exciter dans les cœurs une joie pure et franche, et le P. Jogues, qu’il appelle un homme très-instruit , se prêtait avec complaisance à ces touchantes démonstrations d’amitié. Chacun admirait son aimable modestie, autant que son humilité.

Le Gouverneur de Manhatte lui fit le plus honorable accueil, l’admit à sa table, et le fit asseoir à côté du pasteur. Il pourvut aussi à ses premiers besoins, et lui fit donner des vêtements convenables en échange de ses haillons sordides et à moitié sauvages.

La présence d’un confesseur de la foi catholique et d’un Jésuite, au milieu d’une population protestante, excita une vive curiosité. On accourait pour le voir, et tous manifestaient un véritable attendrissement au récit des tourments qu’il avait supportés. Quelques-uns lui demandaient comment le récompenseraient Messieurs de la Compagnie de la Nouvelle-France (1) ; car ils se figuraient qu’il avait été ainsi traité à l'occasion de leur commerce. Le Père les détrompa et leur expliqua la sainteté du ministère apostolique : « Aucune pensée d'intérêt terrestre et périssable, leur disait-il, ne m’a fait quitter mon pays; je n'ai ambitionné qu’un seul bien, même en m'exposant aux dangers dans lesquels je suis tombé, celui d’annoncer l’Évangile à ceux qui ne le connaissaient pas. »

Un jeune homme, au service d’un marchand du pays, le rencontrant un jour, courut à lui, se jeta à ses pieds, prit ses mains mutilées et les couvrit de baisers. Il criait, les yeux baignés de larmes : « Martyr de Jésus-Christ! Martyr de Jésus-Christ ! » Le missionnaire, confus et touché, l'embrassa tendrement. Il aurait voulu se soustraire à ces démonstrations qui blessaient son humilité. Il demanda à son admirateur s’il était calviniste : « Non, répondit celui-ci en s'exprimant de son mieux, je suis Polonais et luthérien. » Il ne fut pas possible au P. Jogues de rendre aucun service spirituel à cette âme si bien disposée; il ne pouvait se faire comprendre.

Son embarras fut aussi grand avec une femme d’origine portugaise. En entrant dans une maison près du fort, il avait été agréablement surpris de voir sur la cheminée deux images, l’une de la sainte Vierge, l'autre de saint Louis de Gonzague ; il interroge et apprend que la maîtresse du logis était la femme du porte-enseigne et qu'elle était catholique.

Malheureusement elle ne savait aucune des langues que parlait le P. Jogues.

Il trouva plus de consolation…

________________________________________________

(1) La Compagnie de la Nouvelle-France, qui avait été fondée en 1627 sous le nom de Compagnie des cent associés , était une création de Richelieu. Elle remplaçait dans tous leurs droits et leurs obligations les compagnies de marchands qui avaient eu jusque-là le monopole de tout le commerce du Canada et qui s’étaient plus occupés de leurs intérêts que de ceux de la colonie.

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Message  Louis Dim 13 Juil 2014, 12:44 pm


Il trouva plus de consolation dans ses rapports avec un bon catholique irlandais, qui arriva sur ces entrefaites des côtes de la Virginie. A la nouvelle de la présence d'un prêtre catholique, il n'eut rien de plus pressé que de manifester au serviteur de Dieu tout l’intérêt qu’il prenait à son sort, et de profiter de son ministère pour approcher des sacrements. C'est par lui que le P. Jogues apprit les progrès de la foi dans cette colonie anglaise des bords de Chesapeake. Fondée depuis peu d’années par un lord catholique qui fuyait sa patrie pour jouir de la liberté religieuse et vivre en paix dans sa foi, elle prit le nom de Maryland, en l’honneur de la reine Henriette-Marie. Deux Jésuites, le P. André Witz (1) et le frère John Altham, avaient accompagné les nouveaux colons « pour les aider spirituellement et travailler à la conversion des sauvages. »

Cependant le P. Jogues attendait toujours une occasion favorable pour pouvoir se mettre en route pour l’Europe. Il en trouva une au mois de novembre, et le Gouverneur hollandais lui offrit volontiers d'en profiter. C'était un petit bâtiment de cinquante tonneaux expédié, en toute hâte au gouvernement hollandais pour l’instruire des graves événements qui venaient de se passer, et qui pouvaient compromettre sérieusement l’avenir de la colonie.

Une troupe de soixante colons bien armés s’était chargée de se rendre justice pour venger la mort d’un Hollandais qu’un sauvage dans l’ivresse avait percé d’une flèche. Ils allèrent surprendre une bande de sauvages de cette nation retirés dans une petite île, et en massacrèrent quatre-vingts. Ce fut le signal d’une guerre sanglante.

Ces sauvages usèrent de représailles, et causèrent d’énormes dégâts dans la colonie. On résolut alors de les écraser. Ils furent poursuivis avec tant d’acharnement que plus de seize cents trouvèrent la mort dans le combat; les autres conclurent la paix. Mais ce résultat devint plus fatal qu’avantageux aux Hollandais. Ils sentirent bientôt qu’ils s’étaient aliéné l’esprit des indigènes et qu’ils avaient perdu leur confiance.

Il était important de communiquer au plus tôt ces nouvelles aux États.

Habitué à voir en tout l’action de la Providence, le P. Jogues remercia Dieu de l’occasion qu’il lui offrait, et muni d’une lettre de recommandation du Gouverneur, il s’embarqua pour l’Europe le 5 novembre; mais toutes les précautions prises pour faciliter ce voyage ne purent pas le mettre à l'abri de nouveaux ennuis et de nouvelles souffrances que le Seigneur semblait faire naître sans cesse sous ses pas pour donner un plus grand éclat à sa vertu.

_______________________________________________________

(1) Après douze années de travaux dans cette colonie, une révolution protestante le força à revenir en Europe en 1645, et il y mourut en 1650 à l'âge de soixante-dix-sept ans.

A suivre : Chapitre XI.

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Message  Louis Lun 14 Juil 2014, 11:38 am

CHAPITRE  XI


Traversée pénible. — Le P. Jogues en Bretagne. — Touchante hospitalité. — Collège de Rennes. — Arrivée à Paris.
—  Parole du Souverain Pontife. — Retour au Canada. — Séjour à Montréal — Délivrance de Couture.

 Le voyage du P. Jogues fut très-pénible. Passager sans argent, prêtre catholique, espèce d’esclave mis en liberté sans cautionnement, enfin Jésuite, c’étaient autant de titres qui le faisaient regarder de mauvais œil et comme une surcharge par un équipage calviniste, grossier et intolérant.

Le tillac et quelques cordages lui servaient de chambre et de lit. Lorsque la mer était trop houleuse, il n'avait pour retraite que le fond de cale, qu’il partageait avec des chats nombreux et une cargaison qui exhalait une horrible puanteur. Réduit à la ration des derniers matelots, exposé à l’humidité et à la rigueur de la saison avec des vêtements très-légers, à peine remis de ses fatigues, de ses privations et de ses blessures, enfin exposé, dans un bâtiment d’aussi petite dimension, à sentir la moindre agitation des flots, il continuait sa vie de sacrifices et de dangers.

Il en trouva même de nouveaux en approchant de l’Europe. Un coup de vent très-violent accueillit les voyageurs à l’entrée de la Manche. Ils se virent forcés de rechercher un refuge dans un port d’Angleterre, et ils se dirigèrent vers Falmouth (1), sur les côtes de Cornouailles, qui tenait encore pour l’infortuné Charles Ier. En même temps deux navires du Parlement (2), en croisière dans ces parages, donnèrent la chasse à ce bâtiment pour l’empêcher d’aborder, mais il put leur échapper et entrer dans ce port où il jeta l’ancre à la fin de décembre 1643.

Pour se délasser un peu des fatigues de la traversée, tout l’équipage alla passer la première nuit à terre. Le P. Jogues resta seul avec un matelot chargé de la garde du navire.

Au milieu de la nuit, il fut abordé sans bruit par des voleurs qui venaient pour le piller. Ils étaient persuadés qu’on ne venait pas de si loin sans apporter de grandes richesses. Ils furent déçus malgré leurs recherches et leurs menaces. Ils allèrent même jusqu’à mettre le pistolet sur la gorge du serviteur de Dieu, mais sans le maltraiter. Ils se contentèrent de lui enlever son chapeau, et de faire main basse sur tout le bagage des Hollandais.

Dès le point du jour le P. Jogues courut avertir le capitaine de ce qui s’était passé, et pendant qu'on recherchait les voleurs, il fit la rencontre d’un marin français qui, en voyant un compatriote, lui offrit à déjeuner et lui donna une vieille casaque et un bonnet de matelot; mais quand il connut ses aventures, quand il sut qu’il parlait à un prêtre et à un religieux de la Compagnie de Jésus qui voulait rentrer en France, son cœur fut ému, et il voulut s'occuper activement de son passage.

Il eut le bonheur de rencontrer…

________________________________________________________

(1)  Ce port très-important est le Cenonis Ostium de Ptolémée. — (2)  Le Parlement, fanatisé par Cromwel, ne reconnaissait plus l'autorité du roi, et faisait la guerre à tous ceux qui lui restaient fidèles. C’était le commencement de la rébellion qui devait se consommer par un régicide (1649).


Dernière édition par Louis le Mar 15 Juil 2014, 3:03 pm, édité 1 fois (Raison : orthographe)

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Message  Louis Mar 15 Juil 2014, 12:19 pm


Il eut le bonheur de rencontrer un petit bâtiment qui allait partir pour la Bretagne, et qui consentit à se charger du missionnaire.

Bien qu’ami du Français, le capitaine hollandais ne goûtait pas cette mesure, et il n’était pas disposé à se dessaisir de son passager avant le payement de la traversée. Il finit par céder aux instances qu’on lui fit, et confiant dans la promesse d’être indemnisé de ses frais à son arrivée en Hollande, il laissa le P. Jogues prendre directement la route de la France.

La veille de Noël, le saint missionnaire s'embarqua dans ce bateau chargé de bouille, qui le déposa le lendemain matin sur les côtes de la basse Bretagne, près de Saint-Pol-de-Léon (1).

Quelle ne fut pas sa joie de se trouver enfin sur une terre catholique ! Quels élans de reconnaissance et d’amour ne s’élevèrent pas de son cœur pour remercier Dieu de l’avoir arraché à tant de périls et de l’avoir rendu à la liberté !

Sa première pensée fut d’aller se prosterner aux pieds des autels, et de tâcher de participer à la sainte Eucharistie dont il était privé depuis plus de treize mois. Il s’avance donc vers la première chaumière qu’il aperçoit sur le rivage afin de demander le chemin de l’église.

En apprenant que ce voyageur inconnu et si pauvrement vêtu s’apprête à recevoir la sainte communion, les pieux villageois, touchés de son air vénérable et de sa misère, lui prêtèrent un chapeau et un petit manteau pour qu’il pût se présenter plus décemment à la communion. Ils l’avaient pris pour quelque pauvre catholique irlandais qui fuyait la persécution, et cette pensée ajoutant à l’intérêt que leur avait inspiré son pieux projet, ils l’avaient engagé à venir chez eux prendre un peu de nourriture, après avoir satisfait sa dévotion.

C’était le beau jour de Noël. Ces bons paysans étaient revêtus de leurs habits de fête, et se préparaient à aller aux offices de la solennité. Ils se firent un bonheur de conduire le nouveau venu à l’église : grande était la joie du serviteur de Dieu de se voir entouré de ces populations bretonnes si profondément catholiques, mais elle le fut bien plus encore quand il lui fut donné d’approcher des sacrements de pénitence et d’eucharistie, et d’assister au saint sacrifice de la messe. Il se rappelait alors avec une vive reconnaissance les longs jours de sa cruelle captivité et cet isolement prolongé au milieu des barbares païens ou des hérétiques : « En ce moment, disait-il plus tard, il me semblait que je commençais à revivre et à goûter toute la douceur de ma délivrance. »

Le P. Jogues revint chez ses hôtes après l’office…

__________________________________________________________

(1) Le P. Jogues dit qu'il aborda « entre Brest et Saint-Pol-de Léon ». Cette indication, qui comprend près de quarante kilomètres de côtes, nous laisse malheureusement dans l’incertitude sur le lieu de son débarquement; mais les cinq jours de marche qu’il eut encore à faire à cheval pour arriver à Rennes permettent de supposer qu’il devait être rapproché de Saint-Pol-de-Léon.


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Message  Louis Mer 16 Juil 2014, 12:22 pm


Le P. Jogues revint chez ses hôtes après l’office, afin de prendre un peu de nourriture, si nécessaire dans l’état de fatigue et d’épuisement où il était. La vue de ses mains mutilées excita la curiosité de ces bons paysans, et ils lui demandèrent avec simplicité comment lui était arrivé ce malheur. Le missionnaire leur raconta alors sa longue histoire, et ces cœurs animés d’une foi vive écoutaient avec un profond sentiment de respect et d’admiration le récit émouvant de ces longues souffrances endurées pour la religion. Ce n’était plus simplement de la compassion, mais une véritable vénération qu’ils éprouvaient en présence de l’homme de Dieu. Il a raconté lui-même combien il fut touché quand il vit les deux filles de cette pauvre famille vouloir lui témoigner selon leurs moyens leur compassion et obtenir un souvenir dans ses prières : « Elles vinrent, dit-il, m’offrir avec tant d’humilité et de modestie leur aumône de quelques sous, peut-être tout leur trésor, que mon âme en fut émue jusqu’aux larmes. »

Cependant le P. Jogues avait promis au capitaine qui l’avait conduit en Bretagne qu’après avoir satisfait sa dévotion il retournerait au bâtiment. Il y était à peine revenu, qu’un marchand de Rennes, nommé Berson, qui était alors dans la contrée pour son commerce, se présenta aussi à bord pour traiter avec le capitaine.

Le père Jogues le remarqua, et ayant appris d’où il était, il regarda sa présence en ce lieu comme providentielle pour lui. Saisissant un moment favorable, il s’approche de Berson, et le tirant doucement par l’habit, il le conjure avec instance d’avoir pitié de lui.

A la vue d’un homme si décharné et si pauvrement vêtu, Berson le prend pour un mendiant, et lui présente un sou : celui-ci le refuse. Berson croyant qu’il en veut davantage, lui en offre deux : même refus.

Après un moment d’hésitation, et flottant entre la crainte et l’espérance, le P. Jogues se décide à se faire connaître, et il dit tout bas à Berson : « Mon très-bon monsieur, ayez pitié de moi. Je suis un Père jésuite. »

Aussi surpris qu’ému, Berson lui promit de lui venir en aide. En attendant qu’il eût terminé ses affaires, il le fit conduire chez un de ses amis qui demeurait dans une petite ville à seize kilomètres de là, et le lendemain il alla l'y rejoindre (1). Il prit aussitôt des mesures pour conduire le P. Jogues au collège des Jésuites le plus voisin, celui de Rennes (2). Il regarda comme une faveur insigne de lui servir de guide.

Après cinq jours de marche, le 5 janvier 1644, la P. Jogues frappait à la porte du collège, où il allait retrouver ses frères…

__________________________________________________________

(1) Le récit du P. Ducreux (Historia canad., à P. Creuxio) que Cbarlevoix n’a pas adopté, offre beaucoup de confusion dans les faits qui se passèrent, soit dans le port anglais, soit sur la côte de Bretagne. Une erreur, qui n’est sans doute qu’une faute typographique, vient encore l’augmenter. On lit littus huronicum pour littus britannicum. — (2) Le collège de Rennes fut fondé en 1606. Il devint bientôt très-florissant. On y comptait 1484 élèves en 1641. Ce chiffre n'était dépassé que par celui de Clermont, à Paris, qui était de 1800, celui de Rouen qui en avait 1968, et surtout celui de la Flèche qui dépassait 2000.

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Message  Louis Jeu 17 Juil 2014, 12:38 pm


Après cinq jours de marche, le 5 janvier 1644, la P. Jogues frappait à la porte du collège, où il allait retrouver ses frères. C’était le matin et d’assez bonne heure. A la vue d’un homme misérablement vêtu, et coiffé d’un simple bonnet, le portier fut loin de soupçonner à qui il avait affaire ; mais apprenant que cet étranger voulait voir le P. Recteur pour lui donner des nouvelles du Canada, le frère portier va en donner avis aussitôt au révérend Père. Celui-ci s’habillait en ce moment pour monter à l’autel. Cédant à un sentiment de compassion autant que de curiosité, il aima mieux retarder un moment l'heure du sacrifice. Peut-être, se disait-il à lui-même, ce malheureux est-il dans une extrême nécessité; peut-être nous apporte-il quelque dépêche importante des généreux apôtres de ces rudes contrées.

Le P. Recteur se hâte donc de descendre au parloir pour voir ce voyageur qui lui présente les lettres de recommandation du Gouverneur hollandais de Manhatte. Mais sans s’arrêter à les lire, il lui adresse mille questions sur le pays d’où il vient, sur l’état des missions et surtout sur le P. Jogues.

«  Le connaissez-vous?

— Très-bien, répond l’étranger.

— Nous avons appris, continue le P. Recteur, sa prise par les Iroquois, sa captivité, ses souffrances ; mais nous ne savons ce qu’il est devenu. Est-il mort? est-il encore en vie?

— Il vit, il est en liberté, et c’est lui-même qui vous parle, »

lui dit le P. Jogues en tombant aux pieds de son Supérieur et en lui demandant sa bénédiction. Celui-ci l’embrasse avec tendresse, et l’introduit dans la maison, où bientôt toute la communauté accourt pour saluer l’héroïque missionnaire. On l’interroge, on le console, on se réjouit avec lui. Chacun veut baiser avec respect les cicatrices de ses mains et entendre le récit de sa touchante histoire. Heureux moment que celui où on retrouve un frère éprouvé par tant de malheurs et que l’on croyait perdu sans ressource!

Au milieu des transports de cette sainte joie, tous vont ensemble conduire au pied des autels le bon missionnaire, encore revêtu de son costume de matelot, et rendre à Dieu de justes et ferventes actions de grâces pour cette série si merveilleuse de bienfaits signalés.

Malgré les redites qu’elles contiennent, le lecteur ne verra pas sans intérêt deux lettres que le P. Jogues…

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Message  Louis Ven 18 Juil 2014, 1:05 pm


Malgré les redites qu’elles contiennent, le lecteur ne verra pas sans intérêt deux lettres que le P. Jogues écrivit en arrivant à Rennes, et où sa belle âme se montre à découvert.

L’une est adressée à un de ses amis le jour même de son arrivée.

« Enfin mes péchés m’ont rendu indigne de mourir parmi les Iroquois ! je vis encore, et Dieu veuille que ce soit pour m’amender!

« Pour le moins je reconnais comme une grande faveur de ce qu’il a voulu que j’aie enduré quelque chose. Je dis seulement avec ressentiment : Bonum mihi quia humiliasti me, ut discam justifiaitiones tuas. Ps. cxviii, 76. (C’est un bonheur pour moi que vous m’ayez humilié pour m’apprendre vos commandements.)

« Je partis le 5 de novembre de l’habitation des  Hollandais dans une barque de 50 tonneaux, qui me rendit à Falmouth en Angleterre, la veille de Noël, et j’arrivai en Basse-Bretagne, entre Brest et Saint-Pol de Léon, le propre jour de Noël, assez tôt pour avoir le bien d’entendre la messe et faire mes dévotions. Un honnête marchand m’ayant rencontré, m’a amené et défrayé jusqu’à Rennes, où je suis arrivé ce jourd’hui, jour des Rois.

« Quel bonheur, après avoir demeuré si longtemps parmi les sauvages, après avoir conversé avec des Calvinistes, des Luthériens, des Anabaptistes et des Puritains, de se voir parmi les serviteurs de Dieu, dans l’Église catholique, de se voir dans la Compagnie de Jésus ! C’est une petite idée des contentements que nous recevrons quelque jour au Paradis, s’il plaît à Dieu, lorsque dispersiones Isrælis congregabit » (Ps. CXLVI, 1) (Lorsqu’il rassemblera les enfants dispersés d’Israël).

« Quand est-ce que Dieu retirera sa main de dessus nos pauvres Français et nos pauvres sauvages? Vœ mihi ! ut quid natus sum videre contritionem populi mei (1) ! Mes péchés et les infidélités de ma vie passée ont beaucoup appesanti la main de la divine Majesté justement irritée contre nous.

« Je supplie V. R. de m’obtenir de N. S. une parfaite conversion, et que ce petit châtiment qu’il m’a donné me serve, selon son dessein, à me rendre meilleur. Le P. Raymbault, le P. Dolebeau (2) et le P. Davost (3) sont donc morts? Ils étaient murs pour le Paradis, et la Nouvelle-France a perdu en une année trois personnes qui y avaient beaucoup travaillé.

« Je ne sais si on a reçu cette année une copie de la Relation des Hurons, qui descendaient aux Français au mois de juin, et qui me fut rendue au pays des Iroquois avec un gros paquet de lettres que nos Pères des Hurons envoyaient en France. Si j’eusse cru que Dieu me voulait délivrer, je l’aurais porté avec moi quand j’allais visiter les Hollandais. Tout est demeuré dans la cabane où j’étais. Une autre fois je serai plus long : en voilà assez pour le premier jour de mon arrivée. »


« A Rennes, ce 5 de janvier 1644.

La deuxième lettre du P. Jogues était adressée…
_______________________________________________________________

(1) I, Mac. II 7. — (2) Venu au Canada en 1640, le P. Jean Dolebeau ne quitta pas la mission de Miskou dans le golfe Saint-Laurent. La maladie l'ayant forcé à retourner en France en 1643, le vaisseau qui le portait fut pris par trois frégates ennemies. Pendant que les vainqueurs se livraient au pillage, le feu prit aux poudres et le vaisseau sauta. Tous ceux qu’il portait périrent. Plus d’un historien a confondu ce P. Dolebeau Jésuite avec le P. Dolbeau Récollet, qui alla au Canada en 1615, et revint en France en 1629. — (3) Le P. Ambroise Davost vint au Canada en 1632 avec le P. Ant. Daniel, et desservit d’abord le poste de Sainte-Anne dans l'île du Cap-Breton, à l'entrée du golfe Saint-Laurent. Nous le trouvons ensuite successivement dans la mission des Hurons, à Québec et à Montréal. Miné par le scorbut, il fallut le renvoyer en France en 1643, mais il mourut en chemin, et l'Océan lui servit de tombeau.

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Message  Louis Sam 19 Juil 2014, 11:53 am


La deuxième lettre du P. Jogues était adressée au P. Charles Lalemant, alors procureur à Paris de la mission du Canada.


Rennes, le 6 janvier 1644.

M. R. P.


« Nunc scio vere quia misit Deus Angelum suum et cripuit m de manu Herodis et de omni expectatione plebis Judœorum (Act. XII, 11). (Je vois bien maintenant que Dieu a envoyé son Ange, qu’il m’a soustrait aux mains d’Hérode et à toute l'attente du peuple Juif.)

« Enfin je suis délivré ! N. S. a envoyé un de ses Anges pour me tirer de la captivité. Les Iroquois s’étant rendus à l’habitation des Hollandais vers la mi-septembre, après avoir fait beaucoup de bruit, ont enfin reçu des présents que le capitaine qui me tenait caché leur a fait jusqu’à la concurrence d’environ 300 francs que je m’efforcerai de reconnaître. Toutes choses étant pacifiées je fus envoyé à Manhatte, où demeure le Gouverneur de tout le pays. Il me reçut fort humainement, il me donna un habit, et puis me fit monter dans une barque de charbonnier qui m’a porté en Basse-Bretagne avec un bonnet de nuit en tête et dans l’indigence de toutes choses, en la même façon que vous arrivâtes à Saint-Sébastien, mais non dégouttant d’un second naufrage (1).....»

La mère du Père Jogues vivait encore, et on comprend les angoisses et les perplexités de son cœur maternel à la nouvelle des souffrances de son fils chéri. Il se hâta de lui écrire le lendemain de son arrivée à Rennes, mais sa lettre n’est pas arrivée jusqu’à nous.

Le P. Jogues ne resta pas longtemps à Rennes. Ses Supérieurs l’appelèrent à Paris où il était attendu avec impatience. Partout il recevait le même accueil et excitait le même intérêt. On le regardait avec raison comme un confesseur de la foi, et sur son corps mutilé on aimait à vénérer les insignes de sa victoire.

La reine Anne d’Autriche, informée de l’arrivée du P. Jogues dont elle connaissait déjà les vertus et les labeurs, dit hautement en présence des courtisans : « On fait tous les jours des romans qui a ne sont que mensonges, en voici un qui est une « vérité, et où le merveilleux se trouve joint à l’héroïsme le plus admirable. »

Elle voulut voir le missionnaire, et elle fut attendrie jusqu’aux larmes en apercevant les traces à peine cicatrisées de la cruauté des Iroquois. Le sentiment qu’elle éprouva fut semblable à celui que fit éclater Constantin envers les Pères du concile de Nicée, quand il baisa avec respect les plaies de ces glorieux défenseurs de la foi.

Pendant le séjour du P. Jogues en France, on écrivit à Rome, pour obtenir du Souverain Pontife…

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(1) Le P. Jogues fait allusion aux deux naufrages du P. Ch. Lalemant. Le premier avait eu lieu dans la malheureuse tentative qu’il fit pour porter secours à ses frères du Canada en 1629. Arrêté par la tempête avant d'entrer dans le golfe Saint-Laurent, il fut jeté à la côte sud de l'île du Cap-Breton. Le P. Noyrot et le F. Malo périrent dans ce naufrage. Le second arriva sur les côtes d’Espagne à son retour en Europe cette même année.

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Message  Louis Dim 20 Juil 2014, 12:03 pm


Pendant le séjour du P. Jogues en France, on écrivit à Rome, pour obtenir du Souverain Pontife la faveur de célébrer la messe, malgré l’état de mutilation de ses mains. La réputation du serviteur de Dieu et le récit de ses combats avaient déjà pénétré dans la Ville éternelle. Le Souverain Pontife, Urbain VIII, plein d’admiration pour un courage si héroïque, répondit par ces paroles célèbres : « Il ne serait pas juste de refuser à un martyr de Jésus-Christ de boire le sang de Jésus-Christ. Indignum esset Christi martyrem, Christi non bibere sanguinem. »

L’humble missionnaire souffrait du bruit et des honneurs dont il était l’objet. On venait par dévotion assister à sa messe ; et on ne se lassait pas d’admirer son humilité, sa modestie et sa piété. Plus on s’occupait de lui, plus il semblait profondément pénétré de son néant; et loin d’aimer à parler de ses souffrances passées, c’était un supplice pour lui d’entendre les autres s’en entretenir ou d'être obligé de montrer comme une curiosité, ses doigts tronqués ou disloqués. Ses Supérieurs furent même obligés de recommander qu’on ménageât sur ce point sa délicatesse.

Un guerrier n’a pas plus d’orgueil à étaler les glorieuses blessures reçues pour la défense de la patrie, que le serviteur de Dieu ne mettait de soin à cacher les cicatrices dont son corps était couvert, et que, comme saint Paul, il pouvait appeler les stigmates de Jésus-Christ.

La répugnance du P. Jogues à se produire au dehors fut le principal motif qui le détermina à résister aux instances de sa famille, si désireuse de jouir de sa présence et de voir de plus près une vertu qui jetait tant d’éclat. Comme Xavier, son modèle, il ne voulut pas céder à ces pieux désirs. Cette consolation si légitime lui sembla ne pas s’accorder avec la carrière de sacrifices qu’il avait embrassée, et le ministère d'apôtre que  lui avait confié la Providence. D’ailleurs si sa modestie souffrait déjà dans l’intérieur des maisons de son Ordre, que ne devait-elle pas redouter en se montrant dans des lieux où il était si connu ?

Ce cœur vraiment apostolique…

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Message  Louis Lun 21 Juil 2014, 12:29 pm


Ce cœur vraiment apostolique ne recueillit de tous les témoignages d’admiration, d’amitié et de vénération qui lui furent prodigués, que le besoin de retourner sur le champ de bataille où il avait déjà combattu si vaillamment. Il soupirait après sa chère mission avec laquelle il avait contracté une alliance si étroite, cimentée de son sang. L’un de ses amis et de ses confidents, qui connaissait le fond de sa pensée, disait de lui : « Il est aussi gai que s’il n’avait rien souffert ; il est aussi zélé de retourner aux Hurons, parmi tous les dangers, que si ces dangers étaient pour lui un abri et un port. »

Ses Supérieurs ne voulurent pas s’opposer à ces saints désirs; il s’était montré digne d’un aussi bel héritage, et son cœur entretenait toujours la douce espérance de recevoir la couronne du martyre, qu’il avait vue briller tant de fois sur sa tête.

Le P. Jogues n’avait passé que quelques mois en France, quand au printemps de 1644, il voulut profiter d’un vaisseau de la Rochelle qui partait pour le Canada, et il s’embarqua de nouveau pour sa mission.

Plus que jamais son cœur brûlait du désir de travailler à la gloire de son Dieu. Il lui semblait que les bienfaits signalés qu'il venait de recevoir le liaient plus étroitement à son service, et lui demandaient un sacrifice de lui-même plus généreux et plus complet que jamais. La traversée lui offrit plus d’une occasion d’exercer ce zèle, et il ne les laissa pas échapper.

A peine le vaisseau qui le portait avait-il perdu de vue les côtes de France, que les marins mécontents complotèrent contre leur capitaine, et formèrent le projet de l’obliger à rentrer dans le port. Ils prétextaient le mauvais état du bâtiment, et après avoir éprouvé un coup de vent assez fort, ils ne le jugeaient pas capable de résister à une longue navigation. Ils ne voulaient pas du moins en faire l’épreuve à leurs risques et périls.

Ces murmures arrivèrent jusqu'aux oreilles du P. Jogues, et il comprit sans peine toute la portée que pouvaient avoir ces germes d’insubordination. Il n’hésita pas à intervenir, et grâce à sa prudence et à l’influence qu’exerçait déjà sa vertu, ses paroles de paix furent écoutées. Le calme se rétablit dans les esprits, et bientôt le bon ordre et l’harmonie régnèrent dans tout l’équipage. La présence du saint prêtre inspira à tous de la confiance, et parut une garantie de sécurité plus efficace que toutes les ressources de la prudence humaine. Ils eurent bientôt des preuves de cette protection toute spéciale de Dieu.

Au milieu de leur route les voyageurs furent assaillis par une horrible tempête…


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Message  Louis Mar 22 Juil 2014, 11:57 am


Au milieu de leur route les voyageurs furent assaillis par une horrible tempête. L'enfer semblait avoir déchaîné toute la fureur des éléments, et le péril parut si grand aux hommes même les plus aguerris à la mer, que tous se crurent sans ressource, et poussèrent en même temps ce cri d’effroi : Nous sommes perdus !

A genoux en ce moment dans sa cabine, le P. Jogues lisait pieusement la sainte Écriture. Le bruit qu’il entendit sur le pont le tira de sa douce contemplation, et il accourut l’esprit tout occupé d’un passage du prophète Isaïe qu’il venait de lire, où Dieu reproche à son peuple ses prévarications. Il le cite à haute voix avec énergie, afin de faire pénétrer dans tous les cœurs la pensée de Dieu et de les porter à recourir à sa miséricorde.

Ces paroles produisirent leurs fruits même sur les plus endurcis. Effrayés en présence de la mort qui semblait imminente, et touchés de la grâce, ils furent les premiers à se jeter aux pieds du missionnaire pour avouer leurs fautes et implorer leur pardon. Dieu semblait attendre ce cri du repentir pour détourner les foudres de sa colère et réduire le démon à l’impuissance. La tempête se calma bientôt. Un vent favorable poussa le navire, et le conduisit enfin au rivage désiré. Vers la fin de juin, le P. Jogues put embrasser ses frères de Québec, et se réjouir avec eux et avec tous ses habitants de la conduite de la Providence à son égard.

Le serviteur de Dieu se mit aussitôt entre les mains du R. P. Vimont, supérieur de la mission, pour reprendre sa vie apostolique. Il fut immédiatement envoyé à Ville-Marie (auj. Montréal), située sur le fleuve 240 kilomètres plus haut que Québec. Les sauvages de différentes nations commençaient à fréquenter ce lieu, et la connaissance que le P. Jogues avait de leurs langues pouvait être d’une grande utilité.

La fondation de ce poste datait à peine de deux années. Il était le plus avancé vers l’ouest, mais aussi le plus périlleux. On l’avait placé dans une délicieuse et riche contrée, sur la côte sud de l’île de Montréal. Cette île avait été visitée par Jacques Cartier en 1534, et il avait donné le nom de Mont-royal à la haute montagne qui s’élève sur ses rives, et qui domine la contrée, comme un roi sur ses sujets. Le hardi navigateur trouva à ses pieds le grand village sauvage d’Hochelaga, où il fut accueilli avec les plus grands honneurs.

Quand Champlain alla dans ces lieux en 1611, la population sauvage avait entièrement disparu, mais la beauté du site, la fertilité du sol, la richesse des eaux et des forêts, la facilité des relations avec tout le pays frappèrent l’habile capitaine, et il désigna ce poste comme un point à occuper aussitôt qu’on le pourrait. Il semblait entrevoir déjà l'importance qu’aurait un jour cette cité et les grands développements qu'elle prendrait. Par son commerce, ses richesses et sa population qui dépasse aujourd’hui cent mille âmes, Montréal est devenu la ville la plus importante du Canada.

La fondation de cette ville eut un caractère exclusivement religieux…


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Message  Louis Mer 23 Juil 2014, 11:18 am


La fondation de cette ville eut un caractère exclusivement religieux.Un grand serviteur de Dieu, le vénérable M. Olier, fondateur des Sulpiciens, poussé par l’esprit de Dieu, s’associa des cœurs zélés pour former au Canada un centre actif de propagation religieuse, dans l’intérêt des sauvages habitants de ces contrées. Ils devaient exclure de leur plan tout motif d’intérêt et tout mobile humain.

L’exécution de ce projet avait été confié à un brave et vertueux gentilhomme, M. de Maisonneuve, et le 17 mai 1642, il arriva sur ce rivage avec les quarante premiers colons, tous animés du même courage et du même sentiment religieux. Ils y venaient les armes à la main, car à cette époque de la guerre la plus active des Iroquois, il fallait être prêt à manier le mousquet aussi souvent que la charrue.

Pour prise de possession ils plantèrent là le drapeau de la France et le symbole de la foi. Le P. Vimont les avait accompagnés, et dès le premier jour il offrit le saint sacrifice dans une humble chapelle d’écorce, pour consacrer à Dieu un sol sur lequel le démon avait jusque-là régné en maître.

Née sous de semblables auspices, la petite colonie s’épanouit sous l’influence salutaire de la religion, et elle en conserva toujours le caractère. La foi et la piété en formaient l’âme; la paix et l’harmonie y régnaient. C’est pour cela qu'un chroniqueur de cette époque a pu dire avec vérité : « Si jusqu’à présent ces déserts ont été le domaine des démons, ils sont aujourd’hui habités par des anges. »

Quand le P. Jogues arriva à Ville-Marie, les cabanes d’écorce étaient devenues de solides maisons en bois. Un petit hôpital avait déjà été dressé, ainsi que la chapelle et la maison des missionnaires (1). Le serviteur de Dieu se mit aussitôt à l’œuvre auprès des sauvages voyageurs qui abordaient souvent en ce lieu, mais il travailla aussi à entretenir la ferveur de la petite colonie. Trois ans plus tard, le P. Jér. Lalemant donnera ce beau témoignage sur son séjour à ce poste : « Sa mémoire y est encore vivante. L’odeur de ses vertus récrée et conforte toujours tous ceux qui ont eu le bonheur de le connaître et de converser avec lui.

Les heureux commencements de Ville-Marie contrastaient étrangement avec l’agitation et l’inquiétude répandues alors dans le pays tout entier. La guerre des Iroquois avait pris un caractère alarmant d’audace et de fureur. Ils infestaient tous les chemins. Ils semblaient avoir disposé leur plan d’attaque sur une plus grande échelle que jamais, et avec un art stratégique qu’on ne s'attendait pas à trouver chez des barbares. Leurs guerriers, divisés en dix bandes, étaient échelonnés sur toutes les routes ; ils savaient prendre des positions telles qu’ils pouvaient découvrir les voyageurs à seize et vingt kilomètres de distance sans être vus eux-mêmes, et ils ne tentaient l’attaque que quand ils se croyaient les plus forts.

On ne pouvait plus voyager avec sécurité dans le pays…

_______________________________________________

(1) Les Jésuites ne furent chargés de l’administration spirituelle de cette ville naissante que pendant les quinze premières années c’est-à-dire jusqu'à l’arrivée des Sulpiciens envoyés par M. Olier, qui devinrent les seigneurs et les pasteurs de l'Ile entière .

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Message  Louis Jeu 24 Juil 2014, 12:22 pm


On ne pouvait plus voyager avec sécurité dans le pays ; les Hurons et les Algonquins n'osaient plus descendre à Québec.

« J’aimerais presque autant, écrivait le P. Vimont, être assiégé par des lutins que par des Iroquois. Les uns ne sont guère plus visibles que les autres. Quand ils sont éloignés, on les croit à nos portes, et lorsqu’ils se jettent sur leur proie, on s’imagine qu’ils sont dans leur pays. »

Ces difficultés avaient empêché depuis trois ans d’envoyer des secours aux missionnaires des Hurons, et le Supérieur de Québec les croyait avec raison dans un grand état de détresse. Leurs vêtements tombaient en lambeaux et leurs approvisionnements étaient épuisés. On voulut, au printemps de 1644, faire une tentative pour leur porter quelques soulagements.

Il y avait alors à Québec un jeune missionnaire, le P. Jos. Bressani, de la province de Rome, qui avait obtenu par ses instances la mission du Canada, et qui y arriva en 1642. Telle était l’idée qu’inspirait sa vertu et son courage, qu’on le jugea digne de conduire cette expédition périlleuse. Mais son apostolat auprès des sauvages allait commencer par la captivité, et sa prédication par les souffrances.

Un jeune Français et quelques Hurons chrétiens formaient son escorte. Pour être prêts à tout événement, tous s’étaient préparés à ce voyage comme s’ils avaient dû trouver la mort en chemin. Le Gouverneur leur avait fait distribuer des arquebuses; mais la joie que leur causait ce présent, qui n’était accordé alors qu’aux seuls chrétiens, fut la cause innocente de leur perte. Leur fusillade multipliée donna l’éveil à des Iroquois embusqués sur les bords du lac Saint-Pierre.

Ceux-ci purent à loisir organiser leur surprise et tomber en force sur le convoi sans lui donner le temps de se défendre. C’est ce qui arriva. Un seul Huron périt dans l’attaque. Le P. Bressani et tous les néophytes furent faits prisonniers et condamnés à d’horribles supplices. Mais après quatre mois de captivité le missionnaire (1) fut racheté par les Hollandais de Renselaerswich et renvoyé en Europe.

La nouvelle de la prise du P. Bressani et de ses néophytes jeta la consternation dans la colonie française. Privé de tout secours d’Europe, le Gouverneur était dans l’impuissance de faire la loi aux Iroquois et de punir leur audace. C'est à peine si avec ses quelques soldats il pouvait faire suffisamment respecter les postes occupés par les Français. Heureusement les Iroquois n’avaient pas le secret de la faiblesse de la colonie.

Dans une situation si précaire…

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(1) Comme le P. Jogues, le P. Bressani a été l'historien de ses propres souffrances. Son récit, plein d’une touchante simplicité, est inséré dans une intéressante histoire de la mission huronne, qu’il publia en italien en 1653. Elle a été reproduite en français à Montréal (Canada), en 1852. Le P. Bressani retourna au Canada en 1646, et y resta jusqu'à la destruction de la nation huronne en 1649. Rentré alors dans la province romaine, il obtint comme missionnaire des fruits abondants, dus moins encore à son éloquence qu’à sa qualité de missionnaire des sauvages, et aux glorieuses cicatrices qu’on voyait sur ses mains. La Bibliographie universelle (Michaud) et la Bibliographie générale (Didot) font deux hommes de ce missionnaire sous le nom de Brassoni et de Bressani. Le P. Patrignani (Menolog.) le nomme à tort Bresclani.

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Message  Louis Ven 25 Juil 2014, 12:44 pm


Dans une situation si précaire, le Gouverneur de Montmagny ne voyait de ressource que dans un traité de paix avec ces cruels ennemis, mais il le voulait sans détriment pour l’honneur de la France. Par bonheur pour la colonie, un parti puissant chez les Iroquois inclinait aussi pour la paix, et ne cachait pas son désir. Ils voyaient que la guerre épuisait les forces de la nation; leurs guerriers disparaissaient peu à peu sans se renouveler, en sorte que les victoires finissaient par devenir des désastres. Ils avaient d’ailleurs en ce moment-là une guerre acharnée à soutenir contre une nation puissante du sud, et une diversion leur serait fatale.

Ces dispositions une fois connues, le Gouverneur chercha une occasion d’entrer en négociation sans compromettre la dignité de la France, et il la trouva peu de temps après, à la fin de mai.

Deux guerriers iroquois avaient été faits prisonniers par les Algonquins, et, selon l'usage, ils étaient condamnés au feu. Le Gouverneur intervint, et ayant obtenu leur délivrance, il les renvoya dans leur pays comme témoignage de bienveillance, et pour les engager à pousser à la paix.

Il voulut obtenir des Hurons, qui avaient tant à souffrir de la guerre des Iroquois, une démarche semblable. Il demanda à quelques-uns de leurs guerriers la délivrance d'un prisonnier Iroquois tombé entre leurs mains, et il fît même des présents pour l'obtenir. L'orgueil des Hurons fut froissé, et la soif de la vengeance les rendait difficiles. Un des capitaines fit à cette proposition une réponse qui, dans une autre bouche que dans celle d'un sauvage, passerait pour une injure; dans la sienne elle révélait la fierté du caractère et la profondeur de la plaie que sa nation avait reçue :

« Je suis homme de guerre et non marchand : je suis venu combattre et non trafiquer. Ma gloire n'est pas de rapporter des présents, mais de ramener des prisonniers. Ainsi je ne veux toucher ni à tes haches ni à tes chaudières. Si tu as si grand désir d'avoir ce prisonnier prends-le. J'ai encore assez de force pour aller en faire un autre. Si j’y perds la vie, on dira dans mon pays ; Onontio a retenu leur prisonnier, et ils se sont voués à la mort pour en  avoir un autre. »

Charles, Huron chrétien, intervint dans le conflit et parla avec plus de modestie et de raison :

« Ne te fâche pas, Onontio, lui dit-il; ce n’est pas pour te désobéir que nous agissons ainsi ; mais il y va de notre honneur et de notre vie. Nous avons promis à nos anciens que si nous faisions quelque prisonnier, nous le leur remettrions entre les mains. De même que les soldats qui t’entourent t’obéissent, ainsi faut-il que nous obéissions à ceux qui nous commandent. Que répondrions-nous au reproche de tout le pays, quand sachant que nous avions fait des prisonniers, il ne verrait dans nos mains que des haches et des chaudières? Nous serions condamnés comme des gens sans esprit pour avoir décidé une affaire de cette importance sans l’avis des anciens. Tu veux la paix; nous la voulons aussi, et nos anciens ne s’y opposent pas. Si nous lâchions notre prisonnier, notre vie pourrait être compromise. Les Iroquois sont partout sur la route. Si nous les rencontrons, nous n’aurons rien à craindre en montrant notre prisonnier à qui nous n’avons fait aucun mal, et que nous voulons offrir à nos anciens comme moyen d’obtenir la paix. »

Un discours si judicieux et si mesuré était sans réplique. Le Gouverneur comprit…

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Message  Louis Sam 26 Juil 2014, 12:10 pm


Un discours si judicieux et si mesuré était sans réplique. Le Gouverneur comprit tout l’avantage qu’il y avait à laisser aux Hurons toute l'initiative de ces démarches. Il se contenta de les y engager fortement, et les anciens des Hurons rendirent en effet ce prisonnier à sa patrie.

Cette conduite bienveillante des Français et de leurs alliés porta ses fruits. Les Agniers voulurent aussi se piquer de générosité, et en témoignage de leurs bonnes dispositions, ils donnèrent la liberté à Guill. Couture, ce jeune Français compagnon de captivité du P. Jogues, et le renvoyèrent accompagné de trois Iroquois chargés d'entamer des négociations de paix.

L'arrivée de cette ambassade fut un événement pour la colonie. Elle aborda à Trois-Rivières le 5 de juillet 1644. Toute la population Française et sauvage était accourue sur le rivage. Kiotsaeton, que les Français surnommèrent le Crochet, était le chef de l’ambassade. Il était secondé par le capitaine  Atogoüaekouan, c'est-à-dire la Grande-Cuiller. Celui-ci, dit le P. Le Jeune, était de belle taille, bien fait, hardi, éloquent, mais fourbe et railleur.

Kiotsaeton était revêtu de ses plus riches habits. Sa tête, son cou, ses poignets portaient des ornements de toute espèce aux couleurs variées. Il fit arrêter son canot tout près de terre, et avant de descendre, il se leva sur l'avant et dit à la foule : « J'ai quitté mon pays pour vous voir. On m'a dit que je venais chercher la mort et que je ne reverrais plus ma patrie : je n'ai rien craint. Je me suis volontiers exposé pour le bien de la paix, et je viens en toute confiance vous porter les pensées des Iroquois. »

Le canon du fort salua l'arrivée des Iroquois. On voulait leur donner une haute idée de la puissance et de la magnificence des Français.

Cependant le héros de cette fête fut le bon Couture. On le croyait mort depuis longtemps. Chacun voulait lui manifester sa joie, et bénir avec lui le Seigneur de son heureuse délivrance. Sa captivité avait fini par devenir peu rigoureuse. « Les Iroquois le tenaient en estime et réputation; aussi tranchait-il du capitaine, s’étant acquis ce crédit par sa prudence et par sa sagesse, tant la vertu est aimable, même parmi les barbares ! (1) »

Les négociations de la paix vont faire reparaître le P. Jogues sur la scène. Il fut appelé à Trois-Rivières pour suivre cette affaire. Sans cesser d'être apôtre, il allait devenir négociateur.

Ce sera pour lui le chemin du martyre.

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(1) Lett. de la V. Mère Marie de l'Incarn.


A suivre : Chapitre XII.

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Message  Louis Dim 27 Juil 2014, 12:02 pm

CHAPITRE  XII
Grande assemblée de Trois-Rivières—Traité de paix. — Le P. Jogues chez les Iroquois. —Voyage pénible. — Retour à Trois-Rivières.

Le 12 juillet 1644, une assemblée solennelle eut lieu à Trois-Rivières. Le Gouverneur général la présida sur la place du fort, ayant à ses côtes M. de Champflour, commandant de la ville, et le P. Vimont, qui tenait la place du R. P. Lalemant, Supérieur général des missions de la Nouvelle-France, retenu encore chez les Hurons. Des voiles de navire formaient une vaste tente. Une écorce de sapin, placée à une certaine distance devant le fauteuil du chevalier de Montmagny, servait de siège aux Iroquois. Les Algonquins, les Montagnais et les Attikamèques étaient derrière eux. Les Hurons mêlés aux Français formaient la haie des deux côtés.

Les Iroquois avaient planté deux perches au milieu de l'enceinte, et la corde tendue de l’une à l'autre devait porter les dix-sept colliers de porcelaine (1), qui étaient comme leur parole.

Cette scène curieuse et animée peint au naturel les mœurs et le caractère du sauvage. Esclave des sens, il faut pour lui que tout parle aux yeux. Il revêtira toutes ses paroles d'images, et son imagination toujours en contact avec la nature lui empruntera le plus souvent ses comparaisons et ses tableaux. Le bon sens, l’éloquence et la noblesse de sentiments ne dépendent pas de l’éducation seule, et souvent on retrouve sous l’enveloppe brute de ces enfants des forêts toute l'astuce du diplomate et le pathétique de l'orateur.

Quand chacun eut pris place, Kiotsaeton se leva. On reconnaissait en lui un homme habitué à son rôle, et il le remplissait avec une dignité qui n’avait rien de sauvage; sa mémoire tenait du prodige. Il possédait son thème pour expliquer chacun des colliers, comme s’il avait eu sa leçon écrite. Les métaphores et les figures coulaient comme de source, jointes à des gestes et à une pantomime très-expressive.

Prenant un premier collier et s’adressant au Gouverneur, il lui dit: …

_________________________________________________________________

(1) La porcelaine que les sauvages nommaient Wampum , doit son nom à un coquillage ( Vignols ou Porcella ) remarquable par son poli, son éclat vitreux et transparent. On le divisait en petits fragments de différentes formes qu’on nommait grains , et avec ceux-ci on formait des colliers ou bandes qui servaient d’ornement et de parure, ou de gage et de sanction dans les transactions sociales. Les grains de rassade, que les Européens introduisirent dans le pays, prirent bientôt la place des coquillages, mais en empruntant leur nom.

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