Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE II
VERS L'OUEST
La Rivière-Rouge.
(1844)(suite)
Le journal de ce premier voyage des sœurs missionnaires, rédigé aux arrêts du jour ou au bivouac du soir, nous a été conservé. Nous en détacherons de courts passages.
Sr Valade écrit d'abord:
"A l'Ile Dorval, nous étions encore assez près, et nous passâmes la nuit telle quelle; mais lorsqu'il fallut, le lendemain matin, nous éloigner de tout ce qui nous était cher, mon pauvre coeur se gonfla. Les voyageurs chantaient pour oublier ce triste moment. J'admirais ma sœur Lagrave qui chantait: Bénissons à jamais... Pour moi, je n'avais que mes larmes pour bénir le Seigneur."
Et voici, le 2 mai, Sr Lagrave, la chanteuse ;
"Que vous dirai-je? C'est à peine si je puis trouver quelques pauvres idées ; je crois que le gros vent les emporte sur le lac Huron. Je suis assise sur le rocher, la tête me tourne, le cœur me palpite... D'abord, laissez-moi vous dire que le voyage est très pénible, et beaucoup plus même que je ne m'y attendais; cependant Dieu me fera la grâce d'aller jusqu'au bout. . . Nous n'avons pas dormi, ma sœur Valade et moi, depuis notre départ; nos deux jeunes sœurs s'en tirent assez bien. Nous avons presque toujours eu du mauvais temps; et quand la pluie cesse nous avons toujours vent contraire, ce qui nous retarde beaucoup; quand il faut camper, nous sommes ordinairement pénétrées par la pluie ou transies de froid. Il est vrai que nous faisons un bon feu; mais tandis qu'on brûle d'un côté, on gèle de l'autre. On dresse la tente, on étend une toile cirée par terre, une couverture par-dessus, et voilà le lit fait. Jugez si on y est fraîchement, surtout quand il a plu toute la journée. Quand il pleut la nuit, ce qui arrive assez fréquemment, notre pauvre maison de toile nous protège peu, et nos hardes se trouvent toutes mouillées... Malgré tout, je suis remplie de courage pour exécuter la sainte volonté de Dieu, dût-il m'en coûter bien davantage. J'ai embrassé la Croix, et je veux la porter jusqu'à la mort, s'il le faut, selon l'esprit de notre sainte règle. Sur les rochers où nous campons aujourd'hui, les serpents sont nombreux; les hommes en ont tué quatre... Hier, nous sautâmes plusieurs rapides assez dangereux. Les bateliers poussaient des cris de joie, en franchissant ces rapides; je riais de bon coeur, mais nos sœurs étaient pâles de frayeur... Il ne nous est encore arrivé rien de fâcheux . Les portages sont quelquefois longs et fatigants, surtout pour moi, quand il faut gravir des montagnes, se frayer un chemin à travers les branches, passer des ravins sur des arbres secs et pourris, ce n'est pas rassurant..."
Et Sr Valade, les choses fâcheuses n'ayant point tardé, continue : …
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE II
VERS L'OUEST
La Rivière-Rouge.
(1844)(suite)
Et Sr Valade, les choses fâcheuses n'ayant point tardé, continue : …
"Depuis que ces lignes sont commencées, ma sœur Lagrave s'est foulé un pied, en glissant sur une roche; deux hommes la transportèrent dans le canot... Je pense qu'elle en a pour longtemps sans marcher, et nos portages ne sont pas finis. Le bon Dieu s'empresse de nous envoyer des croix ; que son saint nom soit béni!"
Le cas était grave, et grand fut l'embarras. Comment transporter, à travers les forêts et les fondrières, une personne dont le poids requérait la force de deux hommes? Les bateliers délibérèrent. Les religieuses imploraient, en larmes, la bonté de leurs guides. A la fin deux vigoureux Iroquois s'offrirent contre bonne récompense, et l'on put poursuivre.
A Fort-William, le bourgeois en charge de la caravane, fatigué de la pauvre infirme, déclara qu'il fallait l'abandonner. Consternées, les sœurs tentèrent tous les moyens de fléchir cet homme. Leur acte de résignation était fait, et leurs dispositions prises, lorsque, au dernier moment, le bourgeois revint sur sa décision.
''Vous comprenez notre bonheur, s'écrie la supérieure, surtout celui de Sr Lagrave, qui avait passé par une véritable agonie. Pour moi, je ne mangeais plus, je n'avais plus ni faim, ni soif devant cette dernière inquiétude..."
Elles arrivèrent à la Rivière-Rouge (Saint-Boniface) le 21 juin, après cinquante-neuf jours ininterrompus de voyage.
Elles furent logées dans une maisonnette, bâtie depuis 1828.
"C'est vraiment l'étable de Bethléem, écrivent-elles."
Les classes commencèrent, le 11 juillet…
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Louis- Admin
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
A suivre: Chapitre III. Vers le Nord.CHAPITRE II
VERS L'OUEST
La Rivière-Rouge.
(1844)(suite)
Les classes commencèrent, le 11 juillet. Cinquante-trois enfants s'y pressèrent dès l'abord, la plupart Sauteux ou Métis, et quelques Sioux.
Durant le premier hiver, le thermomètre descendit à quarante degrés au-dessous de zéro, à l'intérieur de la maisonnette. Mgr Provencher s'en étant aperçu, quoique nulle plainte n'eût été proférée, les fit venir dans son évêché, "où il faisait un peu moins froid."
Sr Lagrave se chargea de l'enseignement religieux au dehors. Tout l'hiver, elle s'en fut, menant elle-même sa voiture, à trois lieues de là, pour apprendre le catéchisme et les prières aux enfants, aux femmes et aux hommes, tous avides de la vérité. Elle était en outre le médecin de toute la région.
L'inondation de 1852 les éprouva rudement:
"Notre communauté commençait à jouir de notre grande maison, terminée l'année dernière, lorsque, le 27 avril, la débâcle vint porter l'angoisse dans tous les cœurs. Durant plusieurs jours l'eau monta de quatorze à quinze pieds; les habitants abandonnaient leurs demeures à la fureur des eaux; l'inondation continua jusqu'au 19 mai, emportant maisons, bâtiments, etc.. Nous nous sommes réfugiées au second étage. La chapelle était inondée, la messe se disait dans le jubé. Le vent souffla si fort dans la nuit du 12 au 13, que toute la maison en fut ébranlée; le 18, les portes étaient enfoncées, et ce ne fut que le 6 juin que l'on put sortir de la maison...''
L'oeuvre de Saint-Boniface était donc bien fondée sur la Croix, Mère d'Youville l'avait bénie d'en-haut : elle devait vivre.
Elle a fructifié en une maison Provinciale, dix-sept maisons régulières, et deux cent quarante-quatre religieuses.
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Louis- Admin
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE III
VERS LE NORD
Lac Sainte-Anne — Saint-Albert — Ile à la Crosse — Lac La Biche.
(1859-1862)
Les Sœurs Grises à la Rivière-Rouge... des religieuses selon le coeur de Dieu veillant sur la portion chérie de son bercail : les petits, les infirmes, les délaissés ; une année après elles, les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée venus au secours des prêtres séculiers, (1) n'était-ce pas le rêve de Mgr Provencher accompli? Aussi, le 7 juin 1853, le saint vieillard pouvait remettre le précieux héritage de ses trente-cinq ans de labeurs, dont trente et un d'épiscopat, aux jeunes mains de son coadjuteur, Mgr Taché, et, consolé, assuré de l'avenir de la foi, s'en aller recevoir sa récompense.
Mgr Taché apprit le décès de Mgr Provencher, au Portage La Loche, au cours de sa visite aux missions, et de là, il écrivit aux religieuses de Saint-Boniface:
"Le coup fatal qui vient de vous frapper nous est trop sensible à tous pour que nous n'en ressentions pas longtemps les suites pénibles; vous êtes orphelines, mes bonnes sœurs, vous ne sauriez assez apprécier la tendresse toute paternelle de celui que vous pleurez. Celui qui le remplace n'a pas sans doute ses vertus; mais il a pour vous la même tendresse, et la même reconnaissance pour le bien que vous opérez dans ce diocèse. Oh ! c'est de vous, mes bonnes sœurs, que j'attends une partie des consolations qui devront diminuer les inquiétudes attachées à la charge de premier pasteur. Plus que cela, c'est de vous que Dieu attend la somme considérable de bien que la religion vous demande..."
Ces derniers mots étaient, le geste du chef montrant aux Sœurs de Charité un nouveau champ apostolique: Plus loin!
La si lointaine Rivière-Rouge, en effet, n'était que le seuil d'un vicariat couvrant 1,800,000 milles carrés.
Or, en 1858, cinq missions centrales se partageaient déjà le nord de ce territoire. La Congrégation des Oblats de Marie Immaculée, par les Pères Grandin,
Grollier, Faraud, Lacombe, Végreville, Clut, Eynard, Tissot, Maisonneuve, Rémas, Gascon, s'élançant de ces missions, à la suite de Mgr Taché, avait conquis à la foi les Peaux-Rouges, jusqu'au cercle polaire. (1) Mais ces missionnaires, réduits, par leurs voyages incessants, par leurs travaux manuels forcés et leur nombre minime, à n'effleurer qu'à peine les âmes, réclamèrent bientôt le secours de celles qui donnent à l'enfance, peuple de demain, l'instruction assidue et l'éducation religieuse fondamentale.
Le lac Sainte-Anne, l'Ile à la Crosse et le lac La Biche réunissaient assez de sauvages et de métis pour être confiés aux Sœurs Grises.
Mgr Taché gagna donc Montréal…
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(1) Les premiers mérites de l'apostolat du Nord reviennent à ces prêtres, recrutés dans l'est du Canada par Mgr Provencher. Saluons particulièrement M. Bourassa, dans la rivière La Paix; M. Thibault, dans l'Alberta, la Saskatchewan et jusqu'au Portage La Loche, où, en 1845, il baptisa les prémices des Montagnais; M. Belcourt, dans le Manitoba; M. Laflèche, à l'Ile à la Crosse, et M. Darveau, le martyr du lac Winnipegosis. Ce n'est certes pas l'esprit de pauvreté et d'obéissance qui manqua aux prêtres séculiers; mais leur condition même ne pouvait promettre, à ces difficiles missions, le nombre et la cohésion nécessaires. C'est pourquoi Mgr Provencher ouvrit son diocèse à des missionnaires religieux. Les Oblats vinrent en 1845, un an après les Sœurs Grises.— (1) Ces missions-centres étaient : 1. La mission du lac Sainte-Anne (jadis lac du Diable), chef-lieu du district de la Saskatchewan. Ses missionnaires avaient parcouru toute la rivière Saskatchewan, la partie haute de la rivière Athabaska, et la rivière La Paix. 2. La mission du lac La Biche (N.-D. des Victoires), qui desservait le Fort Pitt, etc. 3. La mission de l'Ile à la Crosse (Saint-Jean-Baptiste), avec le lac Vert, le Portage La Loche et le lac Caribou pour dépendances. 4. La mission de la Nativité (Fort Chipweyan), sur le lac Athabaska, à laquelle se rattachait N.-D. des Sept Douleurs (Fond-du-Lac). De La Nativité, le P. Faraud était allé prendre possession des Castors du Vermillion et de Dunvegan. 5. La Mission Saint-Joseph (Fort Résolution) sur le Grand Lac des Esclaves, d'où le P. Grollier, talonnant le premier ministre protestant survenu alla fonder les missions de la Grande-Ile, Simpson et Good Hope.
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Louis- Admin
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CHAPITRE III
VERS LE NORD
Lac Sainte-Anne — Saint-Albert — Ile à la Crosse — Lac La Biche..
(1859-1862)(suite)
Mgr Taché gagna donc Montréal.
La Mère Deschamps, femme de haute intelligence et de grande foi, était supérieure générale. . . L'entrevue s'acheva à la ressemblance des scènes de nos Saints Livres. La mère des Machabées n'eût pas autrement parlé, et nul grand général de la guerre moderne n'envoya plus noblement ses braves à la mort.
Le contrat venait d'être passé. Il stipulait que les Sœurs de la Charité fourniraient des sujets, jusqu'à épuisement, à l'unique condition qu'on leur procurerait les secours spirituels et qu'on leur faciliterait l'accomplissement de leurs saintes Règles. Alors, pour être loyal, Mgr Taché "voulut faire observer que, les missions étant pauvres et les ressources incertaines, on ne pouvait pas promettre beaucoup, ni promettre positivement".
— Nous savons bien, répliqua la Mère Générale, que les bons pères chargés des différentes missions ne laisseront pas souffrir nos sœurs ; nous ne demandons que le vêtement et la nourriture.
—Mais si les pères eux-mêmes n'ont pas de quoi pourvoir à leur subsistance ?
—Dans ce cas, nos sœurs jeûneront comme eux, et prieront Dieu de venir en aide aux uns et aux autres.
Le 24 septembre 1859…
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Louis- Admin
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CHAPITRE III
VERS LE NORD
Lac Sainte-Anne — Saint-Albert — Ile à la Crosse — Lac La Biche..
(1859-1862)(suite)
Le 24 septembre 1859, les Sœurs Emery, Lamy et Alphonse arrivèrent au lac Sainte-Anne. En 1863, elles furent transférées à Saint-Albert. Le lac Sainte-Anne, où affluaient de plus en plus les métis, était marécageux, pauvre en terre arable, et trop éloigné des Pieds-Noirs qui demandaient aussi la foi. Mgr Taché se trouvant au lac Sainte-Anne, fin 1860, chaussa les raquettes et s'en fut, avec le P. Lacombe, à la recherche d'un emplacement plus propice. Ils s'arrêtèrent à quarante milles à l'est du lac.
— Ce sera ici, dit Mgr Taché, en plantant son bâton dans la neige, et la mission aura nom Saint-Albert, patron du P. Lacombe.
Le 4 octobre 1860, Mgr Grandin…
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CHAPITRE III
VERS LE NORD
Lac Sainte-Anne — Saint-Albert — Ile à la Crosse — Lac La Biche..
(1859-1862)(suite)
Le 4 octobre 1860, Mgr Grandin, nouvellement sacré, abordait à l'Ile à la Crosse avec les Sœurs Agnès, supérieure, Pépin et Boucher, fondatrices du couvent, "après un voyage de soixante-sept jours, par lacs et rivières, voyage qui fut un enchaînement bien exceptionnel de contretemps, de difficultés, d'accidents de tous genres."
Un fragment de relation assez récente nous laissera deviner quelles durent être les difficultés de ces routes, quarante ans auparavant. Il est de la Mère Letellier, supérieure et vicaire de Saint-Albert.
"Lac Vert, 21 juin 1898.— Nous sommes parvenues ici, saines et sauves, par une voie accidentée, cahoteuse, horriblement pontée à des endroits avec de simples pieux, que rien ne retient, ce qui vous secoue à vous briser les côtes, et cela la longueur de deux ou trois arpents ; j'ai compté vingt et un de ces pontages que le bon guide appelle "cordes du roi"... Ajoutez de longues nuits passées sans sommeil, à entendre la pluie fouetter la tente, ou à combattre contre une armée de
maringouins et d'insectes de tous genres... Je comprends que pareille introduction sur ce coin de terre est bien propre à serrer le coeur de la missionnaire qui vient s'y dévouer; c'est un rude début. Et pour le coeur de celle qui vient visiter ses chères exilées, c'est un motif de plus grande et de plus affectueuse sympathie pour elles..."
Le couvent de l'Ile à la Crosse traversa plus d'un mauvais jour. Un incendie le détruisit totalement, le 1er mars 1867.
"Nous nous tenions là, debout sur le lac glacé, raconte Mgr Grandin, condamnés à voir périr le fruit de tant de travaux, l'objet de tant d'espérances... L'incendie avait fait fondre la neige, nos pieds étaient mouillés, et pas un de nous ne pouvait changer de chaussure... Nous n'avions plus rien, pas même un mouchoir pour essuyer nos larmes. ''
Lors du soulèvement des métis en 1885, les sœurs s'enfuirent, à la suite des PP. Rapet et Dauphin, sur l'Ile aux Anglais et vécurent là, sous la hutte, en saison meurtrière, trente-trois misérables jours.
Lorsque montait l'inondation presque mathématiquement fidèle du printemps, "elles sortaient de leur maison en canot". Le dépôt de ces eaux devint si malsain qu'elles durent abandonner la place... "Les dix religieuses partirent en pleurant. Les bons sauvages les suppliaient de ne pas les abandonner, cherchaient à les retenir de force. . . " C'était en 1905.
Quatre ans plus tard, S. G. Mgr Pascal écrivait à la T. R. Mère Générale:
"Hélas, les remplaçantes n'ont pas su se maintenir, là où les Sœurs Grises ont vécu cinquante ans dans des conditions moins favorables. Le bon Dieu semble nous dire que les Sœurs Grises de Montréal, les apôtres par excellence des missions les plus dures de l'Ouest canadien, sont seules capables de remplir ces postes si méritoires. Le R. P. Grandin et moi avons épuisé toutes les ressources de persuasion, sans succès. Un refus de toutes les communautés. . . Les sauvages sont inconsolables... Vos sœurs, qui reposent là-bas au cimetière, semblent vous pleurer et vous réclament..."
Les Sœurs Grises ne résistèrent point à ces voix. Elles revinrent à leurs enfants.
"Cette chère mission de l’Île à la Crosse est redevenue nôtre, à l'étonnement et à l'édification de tous. Elle nous a pourtant coûté bien cher. .. "
L'institution s'était cependant déplacée de trente-cinq milles. Elle est fixée au lac La Plonge, sous le nom de N.-D. du Sacré-Cœur, Beauval.
La troisième fondation de cette époque…
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Louis- Admin
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CHAPITRE III
VERS LE NORD
Lac Sainte-Anne — Saint-Albert — Ile à la Crosse — Lac La Biche.
(1859-1862)(suite)
La troisième fondation de cette époque et de ces régions fut celle du lac La Biche. Les sœurs Guénette, Daunais, et Tisseur y arrivèrent le 26 août 1862.
Si le lac La Biche, ancien entrepôt des missions du Nord, connut un jour une certaine prospérité, jamais mission ne la gagna par plus d'efforts longs et douloureux. Les sœurs partagèrent généreusement la peine. La preuve en est dans ces réflexions de la Mère Charlebois, visitatrice de 1880 :
"Nos chères sœurs ont beaucoup vieilli; je crois que l'insalubrité de leur maison en est la cause principale. . . L'industrieuse activité de nos pauvres sœurs a apporté une grande amélioration dans l'ensemble de leur établissement. Je remarquai plusieurs petites armoires drôles par leur forme, mais qui servent avantageusement. Elles furent en partie fabriquées par nos sœurs, avec les caisses que nous leur envoyons de temps en temps. Je plaisantais un jour sur la scrupuleuse économie qui préside à tout; à quoi une des sœurs répondit gaiement:
— La pauvreté réelle est la meilleure économie !
En visitant leur lavoir, misérable bicoque ouverte à tout vent, je ne pus retenir une exclamation de triste surprise. Nos sœurs se mirent à rire et elles me dirent :
— Oh, ma Mère, nous sommes comme des reines maintenant.
Je ne proférai pas un mot, pour ne pas trahir l'émotion de mon coeur."
En 1898, les sœurs se transportèrent, du lac La Biche au lac La Selle, au milieu de la réserve sauvage qui alimentait leur école, afin de détruire l'objection des distances qui retenaient les enfants, et de porter échec au protestantisme menaçant. L'école industrielle du lac La Selle prospère actuellement, sous la direction de Sr Saint-Grégoire, supérieure, et du P. Husson, O.M.I., principal.
Quant au couvent du lac La Biche, il passa, dans la suite, à la Congrégation des Filles de Jésus, de Kermaria. Les nombreux colons canadiens venus sur ces terres fertiles leur confient leurs enfants. (1).
Les zones du lac Sainte-Anne, du lac La Biche, et en partie de l'Ile à la Crosse étaient, au temps des fondations, le domaine des Cris, rameau, comme les Sauteux et les Maskégons, de la grande famille algonquine. L'immigration blanche s'y est plus ou moins établie depuis, sans prétendre nuire d'ailleurs à la race rouge. Celle-ci fut seulement amenée par le gouvernement canadien, d'aussi bon gré qu'il fut possible. à troquer l'étendue de ses terres primitives et de sa liberté, contre des limites inviolables de chasse, de pêche, d'exploitation et quelques autres privilèges. Ils prirent le traité.
Un vif portrait des Cris…
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(1) La congrégation des Filles de Jésus, de Kermaria, fondée par l'abbé Noury et la Mère Sainte-Angèle, a pour fin l'éducation de l'enfance et les oeuvres hospitalières. Jusqu'en 1902, toutes les Sœurs étaient bretonnes, et leurs maisons se multipliaient dans diverses nations d'Europe. Depuis 1902, elles se sont accrues de belles vocations canadiennes, et travaillent dans sept diocèses du Canada et des Etats-Unis. Leur nombre actuel est d'environ deux mille. C'est à l'invitation de S. G. Mgr Légal, par l'intermédiaire du P. Jan, O.M.I., que fut négocié leur départ pour l'Amérique. Leur première maison fut l'évêché de Saint-Albert, près des Sœurs Grises, qui les accueillirent avec toute leur charité, et les initièrent à la vie de ce dur climat. Elles en ont écrit:
"A Saint-Albert, Sœurs Grises et Filles de Jésus fraternisent si bien que les joies des unes sont les joies des autres, et qu'il n'est pas une fête au couvent d'Youville, sans que nos Sœurs soient invitées à y prendre part. C'est dire que nous ne sommes nullement considérées comme étrangères dans l'Ouest Canadien".
Elles aussi ont connu au lac La Biche les privations du Nord. Elles les supportèrent, à l'exemple des Sœurs Grises, de bon coeur, pour le bon Dieu et pour les pauvres.
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE III
VERS LE NORD
Lac Sainte-Anne — Saint-Albert — Ile à la Crosse — Lac La Biche..
(1859-1862)(suite)
Un vif portrait des Cris, les Cris des prairies en particulier, ceux qui formaient le principal objet du zèle des sœurs de 1850, nous a été laissé par Mgr Laflèche, ex-missionnaire de l’Île à la Crosse:
"Les sauvages des prairies qui sont les Pieds-Noirs, les Assiniboines, les Cris et une grande partie des Sauteux, sont de la pire espèce, et je crois qu'il n'y a pas d'exagération à dire que c'est l'homme descendu au dernier degré de l'échelle humaine. Cet état de dégradation et de méchanceté vient de leur manière de vivre ; ils sont ordinairement réunis en gros camps de soixante à quatre-vingts loges, et souvent davantage, et mènent une vie errante et oisive, à la suite des innombrables troupeaux qui leur donnent la nourriture et l'habillement. Quand on a sous les yeux la vie dégoûtante de ces sauvages, on comprend que le travail, qui a été imposé à l'homme comme une pénitence après son péché, l'a été pour son bonheur plutôt que pour son malheur... Si les tribus des prairies sont devenues les sentines de tons les vices qui dégradent l'homme; si le vol, le meurtre, et par-dessus tout une dissolution épouvantable sont devenus une occupation journalière pour le grand nombre de ces barbares, c'est parce qu'un travail assidu leur est inconnu."
M. Thibault complétait d'avance ce tableau en écrivant à Mgr Provencher :
"Quand le dernier des bisons sera mort, on pourra alors tenter quelque chose du côté des prairies. "
Le vol, la dissolution, le meurtre n'ont pas été assurément l'apanage exclusif des Cris païens. Ces vices tiennent par leur racine au péché originel commun à tous les humains. Mais la religion du Christ a, toujours et partout, la même efficacité pour relever la nature déchue ; elle la subjugue, elle la paralyse, elle en tue le fruit mauvais, et, sur la partie saine régénérée par la grâce, elle greffe les vertus chrétiennes... Malgré le noir pronostic de M. Thibault, avant la mort du dernier bison, les Cris, sous l'influence de la grâce divine, ont mis quelque frein à leur vie licencieuse et à leurs promiscuités honteuses; de querelleurs nés, ils sont devenus assez doux; les jongleries malfaisantes se sont retranchées dans le groupe, petit et méprisé, des récalcitrants; ils ont aimé la Robe-Noire, écouté ses enseignements, et procuré à leurs missionnaires les consolations attendues.
Honneur aux Sœurs Grises ! A elles, les ouvrières patientes de l'Evangile, Dieu donnera la grande part des récompenses éternelles gagnées par la conversion des Cris. (1).
Saint-Albert, qui ne le cède pas, proportion gardée, à sa voisine de Saint-Boniface, est actuellement !a tête d'une province de sept maisons comprenant cent-une sœurs.
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(1) Les Sœurs Grises de Montréal, ont aussi à Dunbow, depuis 1884, une école industrielle très prospère pour les Pieds Noirs, Blood, Piéganes, Sarcee et Cris de l'Alberta-Sud.
Les Sœurs Grises ont reçu, en ces dernières années, le renfort des Sœurs de l'Assomption de Nicolet, venues, à la demande de Mgr Grandin, pour l'évangélisation d'autres tribus crises dans l'Alberta-Saskatchewan. Elles ont pris charge des écoles de Onion Lake (1891), d'Hobbéma (1894) et de Delmas (1900), ainsi que de Saint-Paul-des-Métis (1897). Cette petite congrégation est née, en 1853, dans la paroisse, aux quatre-cinquièmes acadienne, de Saint-Grégoire, sous l'inspiration de M. Harper. curé de l'endroit. Les Acadiens ont placé leur cause nationale, on le sait, sous la protection de l'Assomption de la Très Sainte Vierge. Les Sœurs de l'Assomption, au nombre présent d'à peu près six cents, se répartissent en cinquante-neuf maisons.
Les Soeurs Grises de Nicolet vinrent en Alberta (diocèse de Calgary) en 1893. Elles y ont fondé trois maisons: un hôpital et une école sur la réserve des Gens du Sang (Blood) et une école sur la réserve des Piéganes.
Les Soeurs de la Présentation dirigent, depuis 1903, la grande école industrielle Saint-Michel, pour les indiens Cris du Lac Canard (Duck Lake), diocèse de Prince-Albert.
Cette florissante congrégation, si avantageusement connue dans l'Est du Canada, fut fondée en France en 1796, par la Vénérable Mère Rivier, pour l'instruction des jeunes filles. La maison-mère de l'Institut est encore au berceau de la fondation, à Bourg-Saint-Andéol, diocèse de Viviers. Au Canada, la première maison fut établie en 1853, à Sainte-Marie de Monnoir, et, en 1858, fut érigée la maison provinciale de Saint-Hyacinthe, dont dépendent actuellement tous les établissements d'Amérique, au nombre de cinquante-quatre, dont trente-quatre au Canada, et vingt aux Etats-Unis, avec un personnel d'environ huit cents religieuses et seize mille élèves.
A suivre : Chapitre IV. Dans l'Extrême Nord.
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE IV
DANS L'EXTRÊME NORD
(1867)
Il y avait vingt-trois ans que les Sœurs Grises se dépensaient à la Rivière-Rouge, et six ans qu'elles avaient occupé, par le lac Sainte-Anne, l'Ile à la Crosse et le lac La Biche, les régions qui forment aujourd'hui l'Alberta et la Saskatchewan, lorsque s'ouvrit à leur dévouement l'immensité comprise entre le cinquante-cinquième degré de latitude et l'Océan Glacial, immensité connue sous le nom d'Athabaska-Mackenzie.
Détaché en 1862, de la juridiction de Mgr Taché, archevêque de Saint-Boniface, le vicariat d'Athabaska-Mackenzie fut confié à Mgr Faraud. Administrateur admirablement doué, Mgr Faraud établit son vicariat sur des bases qui le soutiennent encore.
En 1891, Mgr Grouard succéda à Mgr Faraud.
En 1901, la division du vicariat fut décidée. Mgr Grouard gardait l'Athabaska et Mgr Breynat recevait le Mackenzie.
L'Athabaska possède un couvent de Sœurs Grises, le Mackenzie en a quatre. (1)
Or ce fut dès les commencements du vicariat d'Athabaska-Mackenzie qu'apparurent dans ces glaces les sœurs missionnaires.
Le premier acte de Mgr Faraud fut de solliciter leur concours. Il l'obtint aux conditions passées autrefois entre Mgr Taché et la Supérieure Générale: "Ensemble nous prierons, nous travaillerons et nous jeûnerons."
Les sœurs partirent de Montréal le 17 septembre 1866, et arrivèrent au Mackenzie, par delà le Grand Lac des Esclaves, le 28 août 1867.
Nous entendions dernièrement, au cours d'une conversation familière, Mgr Grouard s'écrier: — Quand j'ai appris, là-bas, à La Providence où j'étais, on peut bien dire au fond du Mackenzie, que les Sœurs Grises allaient venir, je me suis dit: Quelle audace! Mais n'est-ce pas comme tenter Dieu! Comment! de pauvres femmes quitter tout d'un coup leur couvent de Montréal, pour s'en venir dans ces pays perdus, chez des sauvages dont la conversion est à peine entamée! Mais arriveront-elles jamais? Supporteront-elles ces hivers épouvantables, sans pain, sans rien? Nous autres, les hommes, on se réchappe encore, en tuant un lièvre, un rat musqué... Mais des sœurs! Alors qu'on a vu des explorateurs, si bien approvisionnés pourtant par leurs gouvernements, quand ils sont partis, réduits à manger leurs "engagés"... Eh bien, elles sont venues, et elles ont vécu, et voilà qu'on va faire leur jubilé, à La Providence. Vraiment le bon Dieu a été avec elles !
Cette réflexion du vénérable évêque ne contient-elle pas les questions que se pose le lecteur: Dans quel pays se sont-elles exilées? — Quels sauvages y ont-elles évangélisés? — Quels moyens de subsistance y ont-elles trouvés?
A ces questions ce chapitre va répondre. La lumière en éclairera et que nous exposerons ensuite des fondations successives dans l'Extrême-Nord.
Le pays, où sont allées les sœurs missionnaires…
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(1) Ces couvents forment, depuis 1915, la province régulière du Mackenzie. La Révérende Mère Léveillé, provinciale, réside au Fort Smith.
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE IV
DANS L'EXTRÊME NORD
(1867)(suite)
Le pays, où sont allées les sœurs missionnaires contiendrait à l'aise quatre fois la France. Le seul fleuve Mackenzie, dont le débit moyen s'évalue à cinq cent mille pieds cube par seconde, arrose un bassin de 677.400 milles carrés. (1) Ce pays est
fermé, durant ses huit mois de glaces, à tout commerce avec le monde civilisé. D'octobre à juin, les rivières et les lacs, uniques voies praticables, sont immobilisés. De rares traîneaux à chiens, qu'il faut charger le moins possible, relient alors les quelques habitations groupées en localités appelées Forts, par distances de cent à deux cents milles. (1)
Jadis, un objet, fût-il de première nécessité, ne mettait pas moins d'une année à atteindre sa destination de l'Athabaska-Mackenzie. Deux ans s'écoulaient ordinairement, pour les missions les plus éloignées, entre le départ de la lettre de demande et l'arrivée de l'article désiré. Les achats se faisaient alors en Europe. Un retard du courrier, ou une négligence de la "Compagnie", portaient facilement à trois ans ce délai. Et combien péniblement se doublait l'attente, lorsque les lettres étaient perdues, ou qu'un naufrage survenait!
Les sauvages disséminés dans les bois du Mackenzie, et dont les Sœurs de Charité sont devenues…
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(1) The Unexploited West. p. 209. — (1) Le Fort, qui n'a ici de guerrier que le nom, comprend les résidences des commis représentant les diverses compagnies pour l'achat des fourrures, la mission, et plusieurs maisonnettes ou loges d'indiens et métis.
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE IV
DANS L'EXTRÊME NORD
(1867)(suite)
Les sauvages disséminés dans les bois du Mackenzie, et dont les Sœurs de Charité sont devenues les mères, appartiennent à la grande famille des Déné. Quelques Cris fréquentent aussi le couvent du lac Athabaska.
Les Déné du Nord (1) comprennent les Montagnais, du lac Athabaska au Grand Lac des Esclaves (2) ; les Esclaves, tributaires du Grand Lac des Esclaves (ouest) et du fleuve Mackenzie jusqu'à Simpson ; les Peaux-de-Lièvre, échelonnés sur le cours inférieur du Mackenzie, et formant Norman et Good-Hope ; les Loucheux, vers le delta du fleuve; les Plats-Côtés-de-Chien (ou Flancs-de-Chien), voyageant du Grand Lac des Esclaves (nord-est) au Grand Lac d'Ours, avec le Fort-Rae pour base ; les Castors, tribu à peu près éteinte aujourd'hui, sur la rivière La Paix. Les Mangeurs de Caribou , du Fond-du-Lac (Athabaska) et les Couteaux-Jaunes du Grand Lac des Esclaves (est), sont de souche montagnais.
Chacune de ces tribus est représentée par quelques enfants, dans les institutions des Sœurs Grises. Avec un peu d'attention, on ne tarde pas à en distinguer les traits caractéristiques, dans les groupes qu'ils y forment. La note frappante serait que plus les sauvages descendent vers le nord, plus ils paraissent vifs, rieurs, ouverts et affectueux.
De toutes les races indiennes abordées par les missionnaires d'Amérique, la plus sympathique semble être celle des Déné. Le paganisme lui imposa assurément des pratiques inhumaines que la religion dut combattre, et, même après soixante ans d'évangélisation, les traces du règne de Satan n'ont-elles pas été entièrement effacées; mais les Déné furent trouvés de tout temps plus droits, plus pacifiques et plus religieux que les Cris, leurs voisins du sud. Les missionnaires attribuent cette supériorité morale des Déné à leur vie nomade, presque exclusivement familiale, isolée par conséquent des occasions du mal, et aux privations continuelles qu'ils ont à endurer, et qui sont un frein toujours efficace aux appétits pervers, même si elles ne sont ni recherchées, ni aimées. Les Déné reçurent avec joie le prêtre, messager d'un Dieu, pauvre comme eux, souffrant et mourant pour eux.
Leurs défauts dominants, à l'arrivée des missionnaires, étaient…
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(1) La grande famille des Déné-(Hommes, ainsi se nomment-ils eux-mêmes), s'est partagée, de temps immémorial, entre le nord et le sud de l'Amérique septentrionale, enclavant de la sorte, sans se mêler à elles, les autres familles indiennes. Les divisions "les plus populeuses des Déné se trouvent dans le sud des Etats-Unis, où elles sont connues sous le nom de Navajos et d'Apaches." V. Hist. de l'Eglise Cath. dans l'Ouest Canadien, P. Morice , p. 284, T. I. Ce que nous disons ici des Déné du Nord montre de combien ils l'emportent sur leurs congénères du Sud. — (2) Une bande assez considérable de ces Montagnais s'est fixée aux environs du lac Froid et du lac des Cœurs (Alberta), où ils ont choisi plus tard leurs réserves . La réserve du lac Froid vient d'être gratifiée, 1916, d'un hôpital et d'une école. Ce sont les Sœurs de Notre-Dame d'Evron qui en ont accepté la charge.
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE IV
DANS L'EXTRÊME NORD
(1867)(suite)
Leurs défauts dominants, à l'arrivée des missionnaires, étaient la polygamie et la cruauté en-
vers les femmes et les enfants. Ils n'étaient fiers que de leurs garçons. "Ma fille" et "mon chien" se rendaient par la même expression en montagnais. Frapper journellement les épouses, les faire jeûner, les accabler de fardeaux, même tuer les petites filles, ne passaient pas pour de mauvaises actions. De cette barbarie le christianisme .eut assez tôt raison. Les vices les plus réfractaires seraient la susceptibilité, la poltronnerie, un bavardage impitoyable, la mendicité importune et l'imprévoyance dépensière.
La difficulté du combat fut de disputer ces indiens au protestantisme. Tâche redoutable pour des apôtres, si peu nombreux et si pauvres, placés en concurrence avec des prédicants sans scrupules, grassement sustentés par leurs sociétés bibliques, et jouissant des faveurs de maints officiers subalternes de la Compagnie de la Baie d'Hudson, reine de ces territoires. Seuls, certains Esclaves, de tempérament plus lâche, se laissèrent fléchir, ainsi que quelques Loucheux de mauvaise vie.
Les sauvages du Mackenzie, à l'exception de fragments de tribus, trop rejetés dans la profondeur des forêts, ont entendu et suivi l'appel de l'Evangile.
C'est à leurs enfants et à leurs malades, que les Sœurs de Charité sont venues ouvrir leurs couvents.
Mais ces couvents il faut les bâtir; ces enfants…
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE IV
DANS L'EXTRÊME NORD
(1867)(suite)
Mais ces couvents il faut les bâtir; ces enfants, ces infirmes, il faut les nourrir, les vêtir, les réchauffer, les guérir; les religieuses elles-mêmes doivent trouver la subsistance, si pauvre soit-elle, de leur vie sacrifiée, et cela dans le plus dénué des pays du monde.
Là est le problème, le seul. Comment le résoudre ?
Avant tout, qu'il soit bien compris que nul secours ne doit être attendu du côté de l'indien. Le sauvage du Nord reçoit tout, demande tout, trouve naturel qu'on lui donne tout, au point que si le Père et les Sœurs gardent leur réserve pour la saison froide, il en murmure des accusations d'avarice. D'aider le missionnaire en quoi que ce soit, par dîme, don quelconque, ou travail gratuit, la pensée ne lui vient jamais. Il convient de reconnaître qu'il est souvent très indigent lui-même; mais, que l'abondance arrive dans ses pièges et sous ses balles, il en dispersera à la hâte les dépouilles ou le prix, au régal de sa famille, de ses amis, des étrangers même; quant au Père et à la Sœur, le plus petit morceau devra être payé rigoureusement. L'Indien part du principe que les prêtres et les religieuses sont riches, et qu'il leur suffit d'écrire un petit papier aux "grands pays" pour recevoir des cargaisons. Que le missionnaire lui raconte qu'il y a, dans ces "grands pays", de petites ouvrières qui se privent de repos et de tout plaisir pour lui; que la Propagation de la Foi et la Sainte-Enfance puisent, sou par sou, dans les petites bourses ce qu'il gaspillerait, lui, en une heure, afin de lui donner des apôtres qui l'instruiront et sauveront son âme; il n'en croira rien, rira peut-être, et répondra: "Mais tu as bien ceci, cela, toi, alors donne-le moi.'" Là expire sa logique. Grand enfant, il ne comprend pas et semble ne pouvoir comprendre, en dépit de sa perspicacité qui devient extrême, une fois appliquée à d'autres sujets. Et cela est d'autant plus irrémédiable sans doute, qu'il est lui-même naturellement communiste, et que, sans regret comme sans discrétion, il donne ce qu'il lui arrive d'avoir...
"Vous vous sacrifierez pour nos pauvres sauvages, écrivait Mgr Grandin à des religieuses qu'il suppliait de venir dans son vicariat ; mais... vous ne recevrez d'eux que leur vermine, et s'ils pouvaient supposer que vous en profiterez, ils vous demanderaient de la payer. ''
D'où viendra, dès lors, le soutien ?
Il faut nommer, en première ligne, la Propagation de la Foi de Paris et de Lyon. Elle a rendu possible l'évangélisation du Nord. Aujourd'hui même, dans le désarroi des pays européens qui l'alimentent, ne trouve-t-elle pas le moyen de continuer son apostolat magnifique !
La Sainte-Enfance apporta ses secours annuels.
La province de Québec donna abondamment aussi.
Ces aumônes toutefois, si généreuses en elles-mêmes, ne peuvent égaler les besoins....
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE IV
DANS L'EXTRÊME NORD
(1867)(suite)
Ces aumônes toutefois, si généreuses en elles-mêmes, ne peuvent égaler les besoins créés surtout par le développement des écoles indiennes.
A ces écoles, il est vrai que le gouvernement canadien verse, depuis quelques années, une certaine somme proportionnée à un nombre d'enfants qu'il fixe lui-même ; mais, outre que ce nombre, en fait, est toujours dépassé, et de beaucoup, cet appui ne suffirait pas encore, en des pays dont les distances multiplient comme fabuleusement le coût des denrées et des transports.
A la charité des bienfaiteurs que la divine Providence inspire, et au travail manuel des Sœurs Grises et des Oblats de combler ce déficit...
Tandis que les évêques se constituent mendiants, religieuses et missionnaires économisent; ils construisent, ils défrichent, ils disputent aux gelées des nuits d'été, aux sécheresses et aux sauterelles de juillet ce que le sol, éternellement glacé dans ses couches profondes, peut donner de sa surface.
Les aumônes reçues se convertissent surtout en articles de traite, c'est-à-dire en objets qui, à défaut d'un numéraire qui n'a pas cours dans le pays, permettent aux missionnaires d'utiliser leurs propres industries, et d'acheter au besoin le travail étranger. Epicéries, étoffes, ustensiles, poudre, plomb, tabac, thé, etc., en sont les articles ordinaires.
Une ferme commencée par Mgr Breynat, non loin de Fort-Smith, sur la rivière au Sel, et aidée par les élevages particuliers de Fort-Résolution et de Fort-Providence, est en mesure de fournir aux missions, qui ont un personnel plus considérable, deux ou trois animaux, tués l'automne.
Quelques repas de boucherie, "de quoi ne pas en oublier le goût", les produits toujours aléatoires du jardinet, quelques conserves alimentaires apportées au printemps : ces vivres ne sauraient faire face au long hiver, qui retranche du monde approvisionné l'immense vicariat. L'alimentation principale doit être demandée au gibier sauvage, et surtout au poisson.
Les viandes fraîches, séchées, boucanées, sont le fruit des chasses indiennes. Ces chasses ne sont pas toujours faciles, ni plantureuses. Il arrive que la faim torture ou tue le chasseur dans les bois.
Reste le grand mets du Nord, le plat substantiel par excellence qui fera défaut le dernier, le poisson: truite, poisson-blanc, saumon du Mackenzie, brochet, carpe, hareng, etc. Quoique sans apprêt, sans condiments, cuit tel quel dans sa propre graisse, le poisson du Nord est succulent. Dieu soit béni d'avoir donné cette richesse à la terre la plus pauvre de la création !
La pêche est donc le gros travail d'approvisionnement…
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CHAPITRE IV
DANS L'EXTRÊME NORD
(1867)(suite)
La pêche est donc le gros travail d'approvisionnement.
Un mois de l'automne est employé à prendre le poisson, qui regagne le centre des grands lacs, ou la mer arctique, à l'embrocher par dizaines et à le transporter près de la Mission, à l'abri des chiens voraces, sur un échafaudage, à la garde du froid... Se figurera-t-on jamais les fatigues de ces expéditions, les luttes des pêcheurs contre les tempêtes dévastatrices de leurs filets, contre la baisse ou l'excès des eaux, contre les retards du poisson migrateur, contre les froids hâtifs, contre les glaces survenues en une nuit, en une heure parfois, et figeant en plein lac, en pleine rivière, loin des rivages, les bateaux chargés!
La subsistance d'un couvent avec son personnel et ses chiens (ces indispensables coursiers du Nord), requiert aujourd'hui une moyenne de vingt-cinq mille poissons. Que la pêche d'automne vienne à manquer, ne fût-ce qu'en partie, ou bien que la gelée tarde plus qu'il n'est prévu, et qu'ainsi le poisson se détériore, "se faisande" voilà les pêcheurs condamnés à la besogne, la plus dure de toutes : faire, pendant les mois de disette, par trente, quarante degrés de froid et plus, sous une glace épaisse de deux à six pieds, la pêche quotidienne. Le P. Lecorre, supérieur de Providence, écrivait en décembre 1897, à la supérieure générale des Sœurs Grises :
"La glace prématurée nous a joué un bien vilain tour, cet automne. Ordinairement notre pêche pouvait se continuer jusqu'au milieu d'octobre. Une grosse bourrasque du nord accompagnée de neige est venue geler tous les bassins de pêche dès la fin de sep-
tembre, et a emporté la plus grande partie de nos rets. On se disait que le temps doux reviendrait. Vain espoir. Le fleuve a continué à charrier les glaces, et la neige s'est accumulée au lieu de pêche : de sorte que nous avons dû nous contenter de huit mille poissons au lieu de vingt mille qu'il nous faut pour le moins. Vous comprenez le reste: pêche tout l'hiver, ou à peu près, à la Grande-Ile (quarante milles de la mission). Et les souffrances des pauvres frères qui font cette pêche dans le gros froid, au milieu des poudreries du grand lac ; et les fatigues de ceux qui sont constamment à la suite de leur traîne; et la gêne où nous serons, nous les restants, pour les autres travaux. Encore si avec cela la pêche réussit, du moins, sous la glace! Mais parfois dans le rude hiver, le poisson manque, même à la Grande-Ile."
On vient de le lire, les principaux ouvriers de ces pêches sont nos frères convers…
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CHAPITRE IV
DANS L'EXTRÊME NORD
(1867)(suite)
On vient de le lire, les principaux ouvriers de ces pêches sont nos frères convers. Les couvents du Nord leur doivent d'avoir subsisté. Religieux et missionnaires comme nous, ces bons frères dévouent leur vie à l'obscur travail de saint Joseph, et n'attendent leur récompense qu'au ciel.
Aux frères aussi de bâtir, de rassembler l'énorme quantité de bois de chauffage nécessaire, d'équiper les flottes d'été, de mener les scieries mécaniques et de diriger les autres ouvriers. En hiver, lorsqu'un chasseur indien consent à vendre l'orignal ou le caribou abattu dans la forêt, il en indique l'endroit — et c'est parfois à une semaine de marche — touche son paiement, et disparaît. Le frère attelle ses chiens, ajuste ses raquettes et s'en va aux dépouilles. Chacun de ces braves voyageurs conserve de terribles souvenirs des "poudreries", des crevasses béantes, des enlizements de neige, des froids extrêmes, rencontrés dans ces longues courses solitaires.
Disons que plus d'une fois en ces travaux de pêche, de charriage, de constructions et autres, le visiteur ne distinguerait guère le frère du père, de l'évêque, voire de la religieuse.
Tous les labeurs compatibles avec leurs forces et leur vocation ont été honorés au Mackenzie par les Sœurs Grises. Elles ont défriché, labouré, semé, récolté. Il y a eu des bâtisseuses. N'est-ce pas un peu de tout cela que voulait dire Sr Michon, écrivant de Providence, en 1892, après le départ de Sr Ward :
"Songeant qu'il ne nous restait personne pour accompagner le chant, je me suis mise à apprendre la musique, au mois de janvier dernier. Commencer de pareilles études à cinquante ans, c'est sérieux, n'est-ce pas ? J'espère toutefois pouvoir le faire, quoique un peu misérablement, car je n'ai guère les doigts souples maintenant. Le ménage, le bousillage, la hache et la scie me vont mieux sous la main qu'une note de musique ; mais dans ce pauvre pays, si loin de tout secours,il faut bien se tirer d'affaire comme on peut."
Pendant de nombreuses années, les Sœurs de Providence accompagnèrent les frères et les "engagés" aux pêches d'automne. Leur camp était dressé en lieu convenable, sur la grève. Le père pêcheur, qui autant que possible suit la caravane, leur disait la sainte messe. Leurs exercices réguliers accomplis, elles apprêtaient les repas, réparaient les filets, et embrochaient les poissons capturés. Elles restaient à cette tâche jusqu'au bout, et partageaient volontiers les trop fréquents mécomptes du retour.
L'un de ces déboires restera attaché au souvenir de la Saint-Edouard 1903…
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE IV
DANS L'EXTRÊME NORD
(1867)(suite)
L'un de ces déboires restera attaché au souvenir de la Saint-Edouard 1903.
La pêche avait été bonne, à la Grande-Ile. La cargaison étant complète, on décida de s'acheminer, au fil de l'eau, vers la mission, située à quarante milles de là. Il y avait à bord du chaland, les sœurs, les frères Marc et Olivier et le P. Edouard Gouy, supérieur de Providence. Démarrer, un 13 octobre au soir, en la fête du bon père, fut tenu pour de bon augure... Au bout de trois ou quatre heures, le chaland s'engageait de lui-même dans une multitude de petits glaçons, ramassés par le vent sur la surface du Grand Lac des Esclaves, et amenés dans les chenaux du fleuve. Ils s'y tassaient déjà. L'embarcation flotta encore un moment avec eux, puis s'arrêta. Quand le jour parut, les pêcheurs se virent pris parmi les Iles-de-Saules, dans une étendue immobile à perte de vue. Il n'y avait d'autre parti que d'attendre au large, sans abri, les membres transis, que la glace pût supporter les pas. Au bout d'un jour, se confiant aux auges gardiens, ils se risquèrent sur cette glace craquante et parvinrent à porter leur tente jusqu'à l'île voisine. Ils y demeurèrent quatre jours. Entre temps, ils se mirent en devoir de pratiquer à la hache une voie d'eau, du chaland au lac Castor, évasement très considérable du Mackenzie, qu'ils croyaient encore libre. Le chemin fini, — au prix de quels efforts et de quels périls! — comme ils tâchaient d'y lancer enfin le lourd bateau, ils le trouvèrent ancré par le fond même, dans la glace sous-jacente. N'ayant plus à pourvoir qu'à leur salut, ils portèrent les petites barques de pêche dans le chenal taillé, et descendirent au lac Castor. Nouvelle déception : le lac aussi était bloqué. Il fallut regagner l'île pour une cinquième nuit. Le lendemain, abandonnant tristement à l'hiver la précieuse pêche, père, frères et sœurs s'en retournèrent à la mission, à pied, par le long chemin du lac gelé et de la forêt sauvage.
Tel est le dur et cher pays que Dieu ouvrait aux sœurs missionnaires, et qui n'a encore jamais vu d'autres messagers de la miséricorde divine que les Oblats de Marie Immaculée et les Sœurs Grises de Montréal. (1).
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(1) Les Sœurs Grises nous verront avec plaisir mentionner ici la Congrégation des Sœurs de la Providence. Les Sœurs de la Providence ne virent jamais le Mackenzie, ni le lac Athabaska; mais elles se répandirent rapidement cependant dans les régions parallèles de la rivière La Paix et de l'Alaska. Dans la rivière La Paix, elles ont fondé, de 1894 à 1912, les établissements indiens de Grouard (Petit Lac des Esclaves), de Saint-Augustin (Peace River), du Vermillion, du lac Wabaska, du lac Esturgeon, et de Saint-Bruno. En Alaska, elles tiennent les écoles et hôpitaux de Fairbanks et de Nome.
D'autre part, nous trouvons les Sœurs de Sainte-Anne, dont la maison-mère est à Lachine, établies à Dawson (territoire du Yukon) et à Holy Cross (Alaska) : deux institutions, dont chacune comprend une école et un hôpital.
Ces fondations de la rivière La Paix, de l'Alaska et du Yukon, pour être venues beaucoup plus tard que celles des Sœurs Grises, et avoir été faites dans de moins pénibles conditions, n'ont pas laissé toutefois d'être très difficiles et très méritoires devant Dieu.
A suivre : Chapitre V. L'Hôpital du Sacré-Cœur. Fort-Providence.
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE V
L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR
Fort-Providence
(1867)
La mission de La Providence fut fondée, en 1861, par Mgr Grandin. (1)
"Allez, avait dit Mgr Taché à son coadjuteur, choisissez un emplacement central qui conviendra à la résidence de l'évêque que Rome va donner à l'Athabaska-Mackenzie, et qui soit surtout propice à l'établissement d'un couvent, car sans religieuses nous ne ferons rien de stable là-bas."
Mgr Grandin jugea que l'emplacement central devait se trouver par delà le Grand Lac des Esclaves.
Serait-ce la Grande-Ile?
La Grande-Ile (ou Grosse-Ile), située à l'endroit où le Grand Lac des Esclaves, se déversant vers l'Océan Glacial, forme le fleuve Mackenzie, était pour les sauvages le rendez-vous du printemps et de l'automne. Le P. Grollier y avait, dès 1858, commencé la mission du Saint et Immaculé Coeur de Marie, que les missionnaires du Grand Lac visitaient une ou deux fois par an.
Mais la Grande-Ile avait à redouter les inondations; le bois n'y abondait pas, et la terre n'y pouvait subvenir aux besoins d'une résidence et d'un orphelinat. C'est pourquoi Mgr Grandin, confiant d'ailleurs que les sauvages, le suivraient, décida de chercher plus loin.
Ayant descendu le grand fleuve, la distance de quarante milles, il atteignit, au pied d'un long rapide, et à rive droite, un large cap boisé, de surface unie, de terrain fertile, et pointant gracieusement vers la ceinture des îles et îlots du large. Contre ses flancs, un remous s'offrait en port naturel aux bateaux à venir (1). Le prélat arrêta son canot et prit possession du cap, en plaçant une croix faite par le F. Kearney. Puis, il écrivit à Mgr Taché:
"J'ai appelé ce poste: La Providence, parce que je le regarde comme devant être la providence du Nord. Soyons là en nombre suffisant, et nous pouvons sans peine visiter toute la région..."
Le R. P. Belle, O.M.I., assistant général et visiteur du vicariat du Mackenzie, en 1915, au nom de "Mission de la Providence" substituait celui de "Maison de Notre-Dame de la Providence."
La Compagnie de la Baie d'Hudson, frustrée cette fois du premier choix, et forcée de suivre le missionnaire et les indiens, dut accepter le nom donné par Mgr Grandin. L'appellation de "Fort-Providence" est encore officielle aujourd'hui.
L'histoire des premières années de La Providence, 1861-1863, est celle de la misère la plus complète. Elle sera racontée plus tard, s'il plaît à Dieu.
Le strict nécessaire trouvé pour le logement et la subsistance des missionnaires…
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(1) Mgr Grandin ne vint comme évêque, dans l'Athabaska-Mackenzie, que pour cette visite. Elle dura trois ans et deux mois (1861-1864). Il y rencontra de grandes souffrances. Voir Vie de Mgr Grandin, par le R. P. Jonquet, O.M.I. La cause de Mgr Grandin, dont la réputation de sainteté est universelle, a été commencée en 1914. (1) Ce remous, véritable vivier dans les premiers temps, s'épuisa bientôt. Il fallut retourner à la Grande-Ile, pour les grandes pêches.
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CHAPITRE V
L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR
Fort-Providence
(1867)(suite)
Le strict nécessaire trouvé pour le logement et la subsistance des missionnaires, Mgr Grandin s'occupa de bâtir pour les religieuses. L'hiver 1863-1864 y fut employé. La Compagnie de la Baie d'Hudson avait consenti à prêter pour cette fin quelques-uns de ses "engagés." Le rôle de Mgr Grandin était de charrier, avec les chiens, les pièces de bois qui se trouvaient sur l'île d'en face. Le P. Grouard, le F. Alexis et les "engagés"' équarrissaient les troncs d'arbre pour les transformer en murs, charpente, poutres et planchers. Tous se donnèrent main forte pour élever la bâtisse.
En guise de première pierre, Mgr Grandin enfonça la première cheville, et le P. Grouard la deuxième. Les clous, à cette époque, étaient inconnus dans le Nord.
En 1865, lorsque Mgr Faraud aborda à La Providence, le gros de l'ouvrage était fait. Avec l'habileté d'un menuisier, il se mit à confectionner lui-même les meubles. Il eut l'attention délicate de ne rien décider de l'aménagement intérieur, avant l'arrivée des sœurs missionnaires...
Leur demeure étant prête, cinq Sœurs Grises furent envoyées : Sr Lapointe, supérieure; Sr Brunelle, Sr Michon, Sr Saint-Michel des Saints et Sr Ward. Une tertiaire franciscaine, Marie-Domithilde Letendre, leur fut adjointe.
Elles dirent adieu à la maison-mère de Montréal, le 17 septembre 1866, et se mirent en route pour Saint-Boniface, où elles devaient passer l'hiver.
Le chemin de fer de Chicago à Saint-Paul. Minnesota, fonctionnait alors, et le voyage dut être assez calme jusqu'à cet endroit. Mais rien ne nous a appris l'accueil que leur firent les redoutables cinq cents milles qu'il leur fallut encore parcourir, de Saint-Paul à Saint-Boniface, dans les charrettes de la Rivière-Rouge venues à leur rencontre... Quelques mots de Mgr Taché qui, en 1852, avec les PP. Lacombe et Grollier, avait inauguré ce chemin, y suppléeront: "Le chemin que nous avons parcouru est affreux... C'était une chose assez singulière que de voir un pauvre évêque et deux prêtres plongés dans la boue jusqu'à la ceinture, et faisant l'humble métier de bêtes de somme, pour arracher de cette lourde boue les chevaux et les voitures. Et cela non pas une fois, mais des centaines de fois."
L'hiver s'écoula dans la joie et l'intimité de la famille religieuse de Saint-Boniface.
"'Cependant, il faut le dire…
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE V
L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR
Fort-Providence
(1867)(suite)
"'Cependant, il faut le dire, nous avions hâte de voir se lever le jour du départ ; il fallait enfin arriver à notre triste chez-nous, qui, dans son éloignement et sa pauvreté, avait encore plus de charmes pour nous que les lieux les plus enchanteurs."
Ces lignes ardentes sont de Sr Lapointe. Sa relation et celle de Sr Ward, inédites toutes deux, monument inappréciable pour l'histoire des Sœurs Grises, sont trop belles pour n'être pas enchâssés ici. A la plume modeste qui acheva ce récit, sous la lampe huileuse du premier hiver, au Mackenzie, nous devons la joie de l'offrir aujourd'hui, en hommage jubilaire, aux vaillantes missionnaires des cinquante ans passés.
Les sœurs savaient que Mgr Faraud avait remonté les 450 milles, du lac Athabaska au lac La Biche, dans le seul but de les attendre à cette dernière mission, et de les conduire lui-même, de là à Providence. Aussi déplorèrent-elles divers contretemps qui les retinrent plus qu'il n'était prévu. Enfin, l'heure sonna d'embrasser leurs sœurs de Saint-Boniface et d'entreprendre les 910 milles qui les séparaient encore du chez-nous.
De la Rivière-Rouge au lac La Biche, c'était le long chemin de terre, par bœufs et charrettes sans ressorts, via Portage-la-Prairie, Qu'appelle, Carlton, Fort-Pitt, chemin coupé de mille torrents et petites rivières qu'on s'ingéniait à traverser par autant d'expédients, dont les plus simples étaient de défaire les charrettes et de les transformer en barques.
"... Après des tiraillements sans nombre, nous laissions enfin Saint-Boniface, le 8 juin…
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
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Fort-Providence
(1867)(suite)
"... Après des tiraillements sans nombre, nous laissions enfin Saint-Boniface, le 8 juin, recevant avec abondance une bénédiction de rosée céleste, car nous eûmes une pluie battante toute la journée. C'était au point que nous avions de la peine à nous arracher de la vase et de la boue. Je crus même un moment que j'allais être obligée de laisser une partie de mon petit troupeau, car ma Sr Ward, peu exercée à la marche, s'enfonçait si avant dans la terre glaise qu'il fallait le secours d'un bras vigoureux pour l'en retirer. Nous étions cependant heureuses, parce que nous étions enfin parties.
Nous ne poussâmes pas notre course bien loin; la première journée nous arrivions à Saint-François-Xavier, où nous pensions simplement passer la nuit ; mais une pluie torrentielle nous retint pendant trois jours. On eût dit que l'époque du déluge universel était revenue: un pied d'eau couvrait la surface de la terre. Nous croyions avec quelque apparence de raison que nous mangions notre mauvais pain en partant et que ce qui viendrait après ne nous offrirait que plaisir et bonheur. Nous aimions à nous représenter de vastes prairies ondulées comme les vagues de la mer, partout émaillées de fleurs, dont nous espérions savourer les fruits avant la fin du voyage, car le trajet était long. Cruelle déception. La pluie ne nous quitta pas. C'était au point qu'elle durait de dix, douze et jusqu'à quinze jours consécutifs, sauf quelques rares moments où le soleil brûlant se faisait jour à travers les nuages et répandait sur nos têtes comme des charbons ardents.
Cela étant, ai-je besoin de vous dire combien pénible était la marche, combien triste était le repos? Souvent nous arrivions le soir pour passer la nuit dans un bas-fond marécageux, ayant à préparer nos lits sur la terre nue. C'eût été peu en soi; mais nos couvertures, nos robes, nos manteaux, aspergés toute la journée, n'étaient guère propres à nous préserver de la fraîcheur des nuits. Arrière toutes les délicatesses ! Il semblait naturellement que pareil état de choses eût dû nuire à nos santés. Je craignais, en effet, pour mes chères sœurs et pour moi. Mais grâces en soient rendues à jamais à Celui pour qui seul nous nous sacrifions, Il nous garde comme la prunelle de son œil; pas une de nous n'éprouva la plus petite indisposition. Ceci tient vraiment du miracle, et je voudrais faire entendre ma faible voix à toutes les créatures raisonnables, afin qu'elles m'aident à rendre de dignes actions de grâces, et qu'elles apprennent surtout à se confier à Celui qui garde si bien ses enfants.
Souffrir de l'incommodité de la pluie, et quelquefois…
Ce qui précède ne forme qu'un paragraphe; il a été aéré pour faciliter la lecture. Bien à vous.
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Fort-Providence
(1867)(suite)
Souffrir de l'incommodité de la pluie, et quelquefois du froid, car dans ces pays les changements de température sont fréquents, cela nous paraissait peu de chose; mais nous éprouvions nécessairement de longs retards, car les torrents étaient devenus de grandes rivières et les rivelets étaient changés en torrents impétueux. Ne trouvant très souvent aucune place guéable et n'ayant, bien entendu, dans ces déserts, ni barque, ni nacelle pour les traverser, nous étions parfois arrêtées deux ou trois jours dans des lieux où nous aurions pu, en temps ordinaire, passer en quelques minutes. Nous éprouvions cependant dans ces circonstances un certain plaisir à voir combien nos conducteurs étaient ingénieux à se tirer des mauvais pas. En quelques instants, nos petits chars de voyage, enveloppés d'une grande peau de parchemin, étaient lancés sur la rivière et devenaient, à leur grande surprise, barques de gros transports. On attachait une corde à chaque extrémité et les hommes, sur les deux rives, hâlaient tour à tour. Quand le gros bagage était passé, les sœurs passaient à leur tour; le point important était de pouvoir tenir son centre de gravité, car la moindre étourderie ou inadvertance aurait pu nous faire prendre un bain à l'eau fraîche et sale.
Disons-le tout de suite, nous aurions fort mal réussi dans ces différentes évolutions, laissées à nous-mêmes; mais la Providence qui n'abandonne jamais les siens, nous y avait ménagé un secours et une protection d'autant plus précieuse que nous n'avions guère eu droit de nous y attendre. Le R. P. Lacombe, vieux voyageur des prairies, et partant expérimenté, était venu à Saint-Boniface durant l'hiver, et nous avions l'avantage de l'avoir pour guide et pour soutien. Mgr Taché lui avait adjoint pour compagnon le R. P. Leduc, en sorte que nous ne pouvions être sous meilleure garde.. Ce n'est pas ici le cas de vous dire tout ce que nous leur devons. Dieu qui connaît leur dévouement les en récompensera ; sans eux, il nous eût été presque impossible de continuer notre route.
Vous raconter un de ces passages, c'est vous les raconter tous…
Ce qui précède ne forme qu'un paragraphe; il a été aéré pour faciliter la lecture. Bien à vous.
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(1867)(suite)
'Vous raconter un de ces passages, c'est vous les raconter tous. Nous en rencontrâmes plus de cent, grands et petits, durant ce voyage qui dura du 8 juin au 31 juillet. Vous pouvez, par là, juger de ses agréments. (1)
C'était déjà le 30 juillet, et d'après les conventions nous aurions dû arriver au lac La Biche, pour le 15, au plus tard. Nous savions déjà, par des nouvelles reçues au Fort-Pitt, que Mgr Faraud nous attendait depuis le 25 juin. Jugez de notre anxiété et de notre inquiétude. Nous pouvions avoir fait un voyage inutile, car il était permis de supposer que, les berges de la Compagnie étant déjà parties, Monseigneur se serait trouvé dans la triste nécessité de les suivre. Pourtant nous espérions arriver au lac La Biche, le lendemain; c'est pourquoi nous nous levions à une heure du matin, et, à trois heures, nous nous mettions en route. Nous aurions voulu voler, tant nous avions hâte d'arriver; mais nous traversions une vaste forêt, par un chemin tortueux, où des ornières profondes et vaseuses nous permettaient à peine d'aller à pas de tortue.
Ainsi se passa la matinée.
Nous venions de prendre une légère réfection ; remontées en voiture, nous avancions à pas lents, dans un morne silence, la tête baissée, nous demandant encore si nous pourrions arriver, car nous n'avions aucune idée de la distance, quand tout à coup, en sortant d'un détour ténébreux, nous voyons accourir deux cavaliers, à bride abattue. Leur air martial, leur costume, nous les firent de prime abord quasi prendre pour des ennemis. Heureux moment de surprise qui nous cause tant de joie! Ce n'étaient autres que notre évêque et le R. P. Végreville, qui, en désespoir de cause, poussaient à notre rencontre, résolus de pas désemparer avant de nous avoir trouvées. Descendre de voiture, nous jeter aux pieds de notre vénéré pasteur pour en être bénies fut l'affaire d'un instant. Qui dira tous les sentiments qui en ce moment se pressaient dans nos âmes !
Monseigneur, en faisant descendre sur nous une paternelle bénédiction, jetait sur nous un coup d'œil scrutateur, constatant que personne ne manquait à l'appel, et que son petit troupeau jouissait d'une parfaite santé. Louanges, actions de grâces, chants de reconnaissance au Dieu trois fois saint, pour la protection spéciale qu'il nous avait accordée dans un si long voyage, au milieu de tant de périls : tels furent les actes spontanés auxquels se livrait le coeur tendre et aimant de notre père et pasteur. C'était pour nous une espèce de résurrection, nous touchions à une vie nouvelle. Arrière désormais les soucis et les préoccupations ! Sous la houlette d'un pasteur bien-aimé, les brebis n'ont plus qu'à marcher en aveugles.
Quelques heures après, nous nous jetions entre les bras de nos bonnes sœurs du lac La Biche, qui, elles aussi, n'avaient que trop partagé les peines de Monseigneur, par rapport à notre long retard.
Quelques jours de repos…
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(1) Un incident ne figure pas dans la narration, quoiqu'il l'eût mérité. Nous venons de l'apprendre du P. Leduc et de Sœur Domithilde. La caravane avait fait relai, sur le haut du jour, à la rivière aux Anglais, entre les Forts Carlton et Pitt. Sœur Ward s'occupait, sous la tente, et les autres Sœurs cueillaient des fruits sauvages dans les buissons, tandis que Marie-Domithilde préparait, en plein air, les crêpes du dîner. Les vêtements de la cuisinière prirent feu. Elle était déjà tout en flammes, lorsque les PP. Leduc et Maisonneuve (celui ci venu à leur rencontre, à Carlton), jetèrent sur elle tout ce qu'ils avaient pu saisir de linges et de couvertures. Mais le feu résistait toujours. Un seau de lait, justement tiré de la vache nourricière de la famille, était là fumant. Le P. Leduc s'en arma, et le versa d'un bloc sur l'incendiée. C'est ainsi qu'on la sauva. Le P. Maisonneuve sortit du sauvetage, les mains attaquées au point qu'il fut incapable de célébrer la sainte messe pendant quinze jours; et Domithilde continua sa route, la figure et les mains grièvement brûlées. La victime, aujourd'hui Sœur Domithilde, rappelle, en riant de tout son coeur, l'épilogue de l'aventure: "Après m'avoir éteinte avec le lait, le P. Leduc me dit:
—Je ne voudrais pas être avec vous dans le purgatoire: vous criez trop fort!
—Mais vous y seriez moins longtemps, alors, que je lui ai répondu!"
Ce qui précède ne forme qu'un paragraphe; il a été aéré pour faciliter la lecture. Bien à vous.
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Re: Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions
CHAPITRE V
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(1867)(suite)
Quelques jours de repos en si bonne compagnie paraissaient utiles, et même nécessaires, après un tel voyage ; mais qui arrive trop tard doit se hâter de gagner du temps. Nous n'étions encore qu'à moitié chemin, et nous étions loin d'être sorties des périls. A proprement parler, ils ne faisaient que commencer pour nous. Nous avions eu jusqu'ici à nous débattre dans la vase. à partir de ce moment nous étions en présence des rivières, des lacs, des rapides dangereux, et, ce qui rendait la position plus pénible, c'est qu'une grande partie du chemin était encore inexplorée, et que nous n'étions pas en force suffisante pour nous tirer de ce mauvais pas. (1) A vrai dire, nous laissions tout le souci à notre cher et vénéré Seigneur et Père, car il nous semblait impossible de périr en sa compagnie. Une nouvelle cause d'inquiétude pour lui, c'est que nous avions trop de bagage, pour une simple barque de voyage. Mais, bref, ceux que Dieu garde sont bien gardés... Le 3 août donc, à 3 heures du matin, nous étions en éveil. Après une bénédiction solennelle du T. S. Sacrement, nous nous arrachions aux embrassements de nos chères sœurs, désolées de nous voir si peu de temps, et, en présence de la majeure partie de la population du lac La Biche, nous mettions à la voile.
Tant que nous n'eûmes à voguer que sur le lac La Biche et les petites rivières qui en découlent, nous prenions un plaisir charmant à sillonner ces eaux claires et limpides, et nous comprenions difficilement, faute d'expérience, qu'on pût se mettre en peine pour l'avenir. La paix, la tranquillité ne furent pas de longue durée. Dès la première nuit, nous eûmes une pluie battante. Comme nous avions une assez bonne tente, elle ne nous fit pas grand mal et nous procura même le plaisir d'entendre le doux murmure d'un petit ruisseau qui s'était formé sous nous, entre la terre et le prélart. Nous eûmes une charmante matinée, le vent ayant chassé bien loin les nuages, et nous serpentions agréablement sur un petit bras de rivière entourée de grands arbres, qu'un soleil levant dorait. A huit heures, nous commençâmes nos sacrifices. Pour nous les rendre plus faciles, Monseigneur offrit la Grande Victime, à la tête du rapide, et nous nourrit du Pain des Voyageurs. Fortifiées, nous pouvions désormais, à d'exemple d'Elie, marcher quarante jours et quarante nuits sans nous arrêter.
Dans les voyages du Nord…
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(1) Jusqu'en 1867, tous les voyages et transports, à destination du Mackenzie, s'effectuèrent, de la Baie d'Hudson d'abord, de Winnipeg ensuite, par les chaînes de lacs et rivières correspondantes à ces deux points, jusqu'au Portage La Loche. Du Portage La Loche, l'on tombait, par la rivière Eau Claire, dans la rivière Athabaska, à McMurray. On évitait de la sorte les "rapides" de l'Athabaska.
Le premier à se hasarder dans la voie "inexplorée" du lac La Biche à McMurray, fut Mgr Taché, en 1856.
Mgr Faraud reprit cette voie, en 1867, avec les Sœurs Grises, et dans des conditions bien autrement périlleuses. Mgr Taché, en effet, était parti du lac La Biche, de bon printemps, par canot léger, et à la faveur de l'eau haute, qui aplanit maints obstacles; mais, en octobre, rapides et cascades allaient être trouvés dans leur état le plus rocailleux et le plus perfide.
Mgr Faraud, en prévision de cette difficulté, avait obtenu du bourgeois, M. Christie, qu'une berge de la Compagnie accompagnât la sienne: les deux équipages uniraient leurs forces dans les mauvais pas.
Il y avait vingt-six jours que les voyageurs, arrivés du lac Athabaska, attendaient les Sœurs, au lac La Biche. Les provisions de bouche étaient épuisées. D'autre part, les eaux baissaient d'une manière alarmante L'impatience gagnait aussi les sauvages. Pour ces raisons, Mgr Faraud permit à la berge de M. Christie de repartir. Il se condamnait, par le fait, à faire face, seul avec ses propres bateliers et les religieuses, à tous les dangers du retour.
C'est à cette grave situation que le récit des Sœurs vient de faire allusion.
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