Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions

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Message  Louis Dim 20 Déc 2015, 12:42 pm

CHAPITRE IV

DANS L'EXTRÊME  NORD

(1867)

(suite)

Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions  - Page 2 Page_110

Le pays, où sont allées les sœurs missionnaires contiendrait à l'aise quatre fois la France. Le seul fleuve Mackenzie, dont le débit moyen s'évalue à cinq cent mille pieds cube par seconde, arrose un bassin de 677.400 milles carrés. (1)  Ce pays est


fermé, durant ses huit mois de glaces, à tout commerce avec le monde civilisé. D'octobre à juin, les rivières et les lacs, uniques voies praticables, sont immobilisés. De rares traîneaux à chiens, qu'il faut charger le moins possible, relient alors les quelques habitations groupées en localités appelées Forts, par distances de cent à deux cents milles. (1)

Jadis, un objet, fût-il de première nécessité, ne mettait pas moins d'une année à atteindre sa destination de l'Athabaska-Mackenzie. Deux ans s'écoulaient ordinairement, pour les missions les plus éloignées, entre le départ de la lettre de demande et l'arrivée de l'article désiré. Les achats se faisaient alors en Europe. Un retard du courrier, ou une négligence de la "Compagnie", portaient facilement à trois ans ce délai. Et combien péniblement se doublait l'attente, lorsque les lettres étaient perdues, ou qu'un naufrage survenait!

Les sauvages disséminés dans les bois du Mackenzie, et dont les Sœurs de Charité sont devenues…

_______________________________________________________________

(1)  The Unexploited West. p. 209. — (1) Le Fort, qui n'a ici de guerrier que le nom, comprend les résidences des commis représentant les diverses compagnies pour l'achat des fourrures, la mission, et plusieurs maisonnettes ou loges d'indiens et métis.

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Message  Louis Lun 21 Déc 2015, 12:06 pm

CHAPITRE IV

DANS L'EXTRÊME  NORD

(1867)

(suite)

Les sauvages disséminés dans les bois du Mackenzie, et dont les Sœurs de Charité sont devenues les mères, appartiennent à la grande famille des Déné. Quelques Cris fréquentent aussi le couvent du lac Athabaska.

Les Déné du Nord (1) comprennent les Montagnais, du lac Athabaska au Grand Lac des Esclaves (2) ; les Esclaves, tributaires du Grand Lac des Esclaves (ouest) et du fleuve Mackenzie jusqu'à Simpson ; les Peaux-de-Lièvre, échelonnés sur le cours inférieur du Mackenzie, et formant Norman et Good-Hope ; les Loucheux, vers le delta du fleuve; les Plats-Côtés-de-Chien (ou Flancs-de-Chien), voyageant du Grand Lac des Esclaves (nord-est) au Grand Lac d'Ours, avec le Fort-Rae pour base ; les Castors, tribu à peu près éteinte aujourd'hui, sur la rivière La Paix. Les Mangeurs de Caribou , du Fond-du-Lac (Athabaska) et les Couteaux-Jaunes du Grand Lac des Esclaves (est), sont de souche montagnais.

Chacune de ces tribus est représentée par quelques enfants, dans les institutions des Sœurs Grises. Avec un peu d'attention, on ne tarde pas à en distinguer les traits caractéristiques, dans les groupes qu'ils y forment. La note frappante serait que plus les sauvages descendent vers le nord, plus ils paraissent vifs, rieurs, ouverts et affectueux.

De toutes les races indiennes abordées par les missionnaires d'Amérique, la plus sympathique semble être celle des Déné. Le paganisme lui imposa assurément des pratiques inhumaines que la religion dut combattre, et, même après soixante ans d'évangélisation, les traces du règne de Satan n'ont-elles pas été entièrement effacées; mais les Déné furent trouvés de tout temps plus droits, plus pacifiques et plus religieux que les Cris, leurs voisins du sud. Les missionnaires attribuent cette supériorité morale des Déné à leur vie nomade, presque exclusivement familiale, isolée par conséquent des occasions du mal, et aux privations continuelles qu'ils ont à endurer, et qui sont un frein toujours efficace aux appétits pervers, même si elles ne sont ni recherchées, ni aimées. Les Déné reçurent avec joie le prêtre, messager d'un Dieu, pauvre comme eux, souffrant et mourant pour eux.

Leurs défauts dominants, à l'arrivée des missionnaires, étaient…

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(1) La grande famille des Déné-(Hommes, ainsi se nomment-ils eux-mêmes), s'est partagée, de temps immémorial, entre le nord et le sud de l'Amérique septentrionale, enclavant de la sorte, sans se mêler à elles, les autres familles indiennes. Les divisions "les plus populeuses des Déné se trouvent dans le sud des Etats-Unis, où elles sont connues sous le nom de Navajos et d'Apaches." V. Hist. de l'Eglise Cath. dans l'Ouest Canadien, P. Morice , p. 284, T. I. Ce que nous disons ici des Déné du Nord montre de combien ils l'emportent sur leurs congénères du Sud. — (2) Une bande assez considérable de ces Montagnais s'est fixée aux environs du lac Froid et du lac des Cœurs (Alberta), où ils ont choisi plus tard leurs réserves . La réserve du lac Froid vient d'être gratifiée, 1916, d'un hôpital et d'une école. Ce sont les Sœurs de Notre-Dame d'Evron qui en ont accepté la charge.

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Message  Louis Mar 22 Déc 2015, 11:48 am

CHAPITRE IV

DANS L'EXTRÊME  NORD

(1867)

(suite)

Leurs défauts dominants, à l'arrivée des missionnaires, étaient la polygamie et la cruauté en-


vers les femmes et les enfants. Ils n'étaient fiers que de leurs garçons. "Ma fille" et "mon chien" se rendaient par la même expression en montagnais. Frapper journellement les épouses, les faire jeûner, les accabler de fardeaux, même tuer les petites filles, ne passaient pas pour de mauvaises actions. De cette barbarie le christianisme .eut assez tôt raison. Les vices les plus réfractaires seraient la susceptibilité, la poltronnerie, un bavardage impitoyable, la mendicité importune et l'imprévoyance dépensière.

La difficulté du combat fut de disputer ces indiens au protestantisme. Tâche redoutable pour des apôtres, si peu nombreux et si pauvres, placés en concurrence avec des prédicants sans scrupules, grassement sustentés par leurs sociétés bibliques, et jouissant des faveurs de maints officiers subalternes de la Compagnie de la Baie d'Hudson, reine de ces territoires. Seuls, certains Esclaves, de tempérament plus lâche, se laissèrent fléchir, ainsi que quelques Loucheux de mauvaise vie.

Les sauvages du Mackenzie, à l'exception de fragments de tribus, trop rejetés dans la profondeur des forêts, ont entendu et suivi l'appel de l'Evangile.

C'est à leurs enfants et à leurs malades, que les Sœurs de Charité sont venues ouvrir leurs couvents.

Mais ces couvents il faut les bâtir; ces enfants…

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Message  Louis Mer 23 Déc 2015, 12:26 pm

CHAPITRE IV

DANS L'EXTRÊME  NORD

(1867)

(suite)

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Mais ces couvents il faut les bâtir; ces enfants, ces infirmes, il faut les nourrir, les vêtir, les réchauffer, les guérir; les religieuses elles-mêmes doivent trouver la subsistance, si pauvre soit-elle, de leur vie sacrifiée, et cela dans le plus dénué des pays du monde.

Là est le problème, le seul. Comment le résoudre ?

Avant tout, qu'il soit bien compris que nul secours ne doit être attendu du côté de l'indien. Le sauvage du Nord reçoit tout, demande tout, trouve naturel qu'on lui donne tout, au point que si le Père et les Sœurs gardent leur réserve pour la saison froide, il en murmure des accusations d'avarice. D'aider le missionnaire en quoi que ce soit, par dîme, don quelconque, ou travail gratuit, la pensée ne lui vient jamais. Il convient de reconnaître qu'il est souvent très indigent lui-même; mais, que l'abondance arrive dans ses pièges et sous ses balles, il en dispersera à la hâte les dépouilles ou le prix, au régal de sa famille, de ses amis, des étrangers même; quant au Père et à la Sœur, le plus petit morceau devra être payé rigoureusement. L'Indien part du principe que les prêtres et les religieuses sont riches, et qu'il leur suffit d'écrire un petit papier aux "grands pays" pour recevoir des cargaisons. Que le missionnaire lui raconte qu'il y a, dans ces "grands pays", de petites ouvrières qui se privent de repos et de tout plaisir pour lui; que la Propagation de la Foi et la Sainte-Enfance puisent, sou par sou, dans les petites bourses ce qu'il gaspillerait, lui, en une heure, afin de lui donner des apôtres qui l'instruiront et sauveront son âme; il n'en croira rien, rira peut-être, et répondra: "Mais tu as bien ceci, cela, toi, alors donne-le moi.'" Là expire sa logique. Grand enfant, il ne comprend pas et semble ne pouvoir comprendre, en dépit de sa perspicacité qui devient extrême, une fois appliquée à d'autres sujets. Et cela est d'autant plus irrémédiable sans doute, qu'il est lui-même naturellement communiste, et que, sans regret comme sans discrétion, il donne ce qu'il lui arrive d'avoir...

"Vous vous sacrifierez pour nos pauvres sauvages, écrivait Mgr Grandin à des religieuses qu'il suppliait de venir dans son vicariat ; mais... vous ne recevrez d'eux que leur vermine, et s'ils pouvaient supposer que vous en profiterez, ils vous demanderaient de la payer. ''

D'où viendra, dès lors, le soutien ?

Il faut nommer, en première ligne, la Propagation de la Foi de Paris et de Lyon. Elle a rendu possible l'évangélisation du Nord. Aujourd'hui même, dans le désarroi des pays européens qui l'alimentent, ne trouve-t-elle pas le moyen de continuer son apostolat magnifique !

La Sainte-Enfance apporta ses secours annuels.

La province de Québec donna abondamment aussi.

Ces aumônes toutefois, si généreuses en elles-mêmes, ne peuvent égaler les besoins....

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Message  Louis Dim 27 Déc 2015, 2:47 pm

CHAPITRE IV

DANS L'EXTRÊME  NORD

(1867)

(suite)

Ces aumônes toutefois, si généreuses en elles-mêmes, ne peuvent égaler les besoins créés surtout par le développement des écoles indiennes.

A ces écoles, il est vrai que le gouvernement canadien verse, depuis quelques années, une certaine somme proportionnée à un nombre d'enfants qu'il fixe lui-même ; mais, outre que ce nombre, en fait, est toujours dépassé, et de beaucoup, cet appui ne suffirait pas encore, en des pays dont les distances multiplient comme fabuleusement le coût des denrées et des transports.  

A la charité des bienfaiteurs que la divine Providence inspire, et au travail manuel des Sœurs Grises et des Oblats de combler ce déficit...

Tandis que les évêques se constituent mendiants, religieuses et missionnaires économisent; ils construisent, ils défrichent, ils disputent aux gelées des nuits d'été, aux sécheresses et aux sauterelles de juillet ce que le sol, éternellement glacé dans ses couches profondes, peut donner de sa surface.

Les aumônes reçues se convertissent surtout en articles de traite, c'est-à-dire en objets qui, à défaut d'un numéraire qui n'a pas cours dans le pays, permettent aux missionnaires d'utiliser leurs propres industries, et d'acheter au besoin le travail étranger. Epicéries, étoffes, ustensiles, poudre, plomb, tabac, thé, etc., en sont les articles ordinaires.

Une ferme commencée par Mgr Breynat, non loin de Fort-Smith, sur la rivière au Sel, et aidée par les élevages particuliers de Fort-Résolution et de Fort-Providence, est en mesure de fournir aux missions, qui ont un personnel plus considérable, deux ou trois animaux, tués l'automne.

Quelques repas de boucherie, "de quoi ne pas en oublier le goût", les produits toujours aléatoires du jardinet, quelques conserves alimentaires apportées au printemps : ces vivres ne sauraient faire face au long hiver, qui retranche du monde approvisionné l'immense vicariat. L'alimentation principale doit être demandée au gibier sauvage, et surtout au poisson.

Les viandes fraîches, séchées, boucanées, sont le fruit des chasses indiennes. Ces chasses ne sont pas toujours faciles, ni plantureuses. Il arrive que la faim torture ou tue le chasseur dans les bois.

Reste le grand mets du Nord, le plat substantiel par excellence qui fera défaut le dernier, le poisson: truite, poisson-blanc, saumon du Mackenzie, brochet, carpe, hareng, etc. Quoique sans apprêt, sans condiments, cuit tel quel dans sa propre graisse, le poisson du Nord est succulent. Dieu soit béni d'avoir donné cette richesse à la terre la plus pauvre de la création !

La pêche est donc le gros travail d'approvisionnement…

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Message  Louis Lun 28 Déc 2015, 1:09 pm

CHAPITRE IV

DANS L'EXTRÊME  NORD

(1867)

(suite)

La pêche est donc le gros travail d'approvisionnement.

Un mois de l'automne est employé à prendre le poisson, qui regagne le centre des grands lacs, ou la mer arctique, à l'embrocher par dizaines et à le transporter près de la Mission, à l'abri des chiens voraces, sur un échafaudage, à la garde du froid... Se figurera-t-on jamais les fatigues de ces expéditions, les luttes des pêcheurs contre les tempêtes dévastatrices de leurs filets, contre la baisse ou l'excès des eaux, contre les retards du poisson migrateur, contre les froids hâtifs, contre les glaces survenues en une nuit, en une heure parfois, et figeant en plein lac, en pleine rivière, loin des rivages, les bateaux chargés!

La subsistance d'un couvent avec son personnel et ses chiens (ces indispensables coursiers du Nord), requiert aujourd'hui une moyenne de vingt-cinq mille poissons. Que la pêche d'automne vienne à manquer, ne fût-ce qu'en partie, ou bien que la gelée tarde plus qu'il n'est prévu, et qu'ainsi le poisson se détériore, "se faisande" voilà les pêcheurs condamnés à la besogne, la plus dure de toutes : faire, pendant les mois de disette, par trente, quarante degrés de froid et plus, sous une glace épaisse de deux à six pieds, la pêche quotidienne. Le P. Lecorre, supérieur de Providence, écrivait en décembre 1897, à la supérieure générale des Sœurs Grises :

"La glace prématurée nous a joué un bien vilain tour, cet automne. Ordinairement notre pêche pouvait se continuer jusqu'au milieu d'octobre. Une grosse bourrasque du nord accompagnée de neige est venue geler tous les bassins de pêche dès la fin de sep-



tembre, et a emporté la plus grande partie de nos rets. On se disait que le temps doux reviendrait. Vain espoir. Le fleuve a continué à charrier les glaces, et la neige s'est accumulée au lieu de pêche : de sorte que nous avons dû nous contenter de huit mille poissons au lieu de vingt mille qu'il nous faut pour le moins. Vous comprenez le reste: pêche tout l'hiver, ou à peu près, à la Grande-Ile (quarante milles de la mission). Et les souffrances des pauvres frères qui font cette pêche dans le gros froid, au milieu des poudreries du grand lac ; et les fatigues de ceux qui sont constamment à la suite de leur traîne; et la gêne où nous serons, nous les restants, pour les autres travaux. Encore si avec cela la pêche réussit, du moins, sous la glace! Mais parfois dans le rude hiver, le poisson manque, même à la Grande-Ile."

On vient de le lire, les principaux ouvriers de ces pêches sont nos frères convers…

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Message  Louis Mar 29 Déc 2015, 11:11 am

CHAPITRE IV

DANS L'EXTRÊME  NORD

(1867)

(suite)

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On vient de le lire, les principaux ouvriers de ces pêches sont nos frères convers. Les couvents du Nord leur doivent d'avoir subsisté. Religieux et missionnaires comme nous, ces bons frères dévouent leur vie à l'obscur travail de saint Joseph, et n'attendent leur récompense qu'au ciel.

Aux frères aussi de bâtir, de rassembler l'énorme quantité de bois de chauffage nécessaire, d'équiper les flottes d'été, de mener les scieries mécaniques et de diriger les autres ouvriers. En hiver, lorsqu'un chasseur indien consent à vendre l'orignal ou le caribou abattu dans la forêt, il en indique l'endroit — et c'est parfois à une semaine de marche — touche son paiement, et disparaît. Le frère attelle ses chiens, ajuste ses raquettes et s'en va aux dépouilles. Chacun de ces braves voyageurs conserve de terribles souvenirs des "poudreries", des crevasses béantes, des enlizements de neige, des froids extrêmes, rencontrés dans ces longues courses solitaires.

Disons que plus d'une fois en ces travaux de pêche, de charriage, de constructions et autres, le visiteur ne distinguerait guère le frère du père, de l'évêque, voire de la religieuse.

Tous les labeurs compatibles avec leurs forces et leur vocation ont été honorés au Mackenzie par les Sœurs Grises. Elles ont défriché, labouré, semé, récolté. Il y a eu des bâtisseuses. N'est-ce pas un peu de tout cela que voulait dire Sr Michon, écrivant de Providence, en 1892, après le départ de Sr Ward :

"Songeant qu'il ne nous restait personne pour accompagner le chant, je me suis mise à apprendre la musique, au mois de janvier dernier. Commencer de pareilles études à cinquante ans, c'est sérieux, n'est-ce pas ? J'espère toutefois pouvoir le faire, quoique un peu misérablement, car je n'ai guère les doigts souples maintenant. Le ménage, le bousillage, la hache et la scie me vont mieux sous la main qu'une note de musique ; mais dans ce pauvre pays, si loin de tout secours,il faut bien se tirer d'affaire comme on peut."



Pendant de nombreuses années, les Sœurs de Providence accompagnèrent les frères et les "engagés" aux pêches d'automne. Leur camp était dressé en lieu convenable, sur la grève. Le père pêcheur, qui autant que possible suit la caravane, leur disait la sainte messe. Leurs exercices réguliers accomplis, elles apprêtaient les repas, réparaient les filets, et embrochaient les poissons capturés. Elles restaient à cette tâche jusqu'au bout, et partageaient volontiers les trop fréquents mécomptes du retour.

L'un de ces déboires restera attaché au souvenir de la Saint-Edouard 1903…

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Message  Louis Mer 30 Déc 2015, 12:45 pm

CHAPITRE IV

DANS L'EXTRÊME  NORD

(1867)

(suite)

L'un de ces déboires restera attaché au souvenir de la Saint-Edouard 1903.

La pêche avait été bonne, à la Grande-Ile. La cargaison étant complète, on décida de s'acheminer, au fil de l'eau, vers la mission, située à quarante milles de là. Il y avait à bord du chaland, les sœurs, les frères Marc et Olivier et le P. Edouard Gouy, supérieur de Providence. Démarrer, un 13 octobre au soir, en la fête du bon père, fut tenu pour de bon augure... Au bout de trois ou quatre heures, le chaland s'engageait de lui-même dans une multitude de petits glaçons, ramassés par le vent sur la surface du Grand Lac des Esclaves, et amenés dans les chenaux du fleuve. Ils s'y tassaient déjà. L'embarcation flotta encore un moment avec eux, puis s'arrêta. Quand le jour parut, les pêcheurs se virent pris parmi les Iles-de-Saules, dans une étendue immobile à perte de vue. Il n'y avait d'autre parti que d'attendre au large, sans abri, les membres transis, que la glace pût supporter les pas. Au bout d'un jour, se confiant aux auges gardiens, ils se risquèrent sur cette glace craquante et parvinrent à porter leur tente jusqu'à l'île voisine. Ils y demeurèrent quatre jours. Entre temps, ils se mirent en devoir de pratiquer à la hache une voie d'eau, du chaland au lac Castor, évasement très considérable du Mackenzie, qu'ils croyaient encore libre. Le chemin fini, — au prix de quels efforts et de quels périls! — comme ils tâchaient d'y lancer enfin le lourd bateau, ils le trouvèrent ancré par le fond même, dans la glace sous-jacente. N'ayant plus à pourvoir qu'à leur salut, ils portèrent les petites barques de pêche dans le chenal taillé, et descendirent au lac Castor. Nouvelle déception : le lac aussi était bloqué. Il fallut regagner l'île pour une cinquième nuit. Le lendemain, abandonnant tristement à l'hiver la précieuse pêche, père, frères et sœurs s'en retournèrent à la mission, à pied, par le long chemin du lac gelé et de la forêt sauvage.

Tel est le dur et cher pays que Dieu ouvrait aux sœurs missionnaires, et qui n'a encore jamais vu d'autres messagers de la miséricorde divine que les Oblats de Marie Immaculée et les Sœurs Grises de Montréal. (1).

_______________________________________________________________________

(1) Les Sœurs Grises nous verront avec plaisir mentionner ici la Congrégation des Sœurs de la Providence. Les Sœurs de la Providence ne virent jamais le Mackenzie, ni le lac Athabaska; mais elles se répandirent rapidement cependant dans les régions parallèles de la rivière La Paix et de l'Alaska. Dans la rivière La Paix, elles ont fondé, de 1894 à 1912, les établissements indiens de Grouard (Petit Lac des Esclaves), de Saint-Augustin (Peace River), du Vermillion, du lac Wabaska, du lac Esturgeon, et de Saint-Bruno. En Alaska, elles tiennent les écoles et hôpitaux de Fairbanks et de Nome.

D'autre part, nous trouvons les Sœurs de Sainte-Anne, dont la maison-mère est à Lachine, établies à Dawson (territoire du Yukon) et à Holy Cross (Alaska) : deux institutions, dont chacune comprend une école et un hôpital.

Ces fondations de la rivière La Paix, de l'Alaska et du Yukon, pour être venues beaucoup plus tard que celles des Sœurs Grises, et avoir été faites dans de moins pénibles conditions, n'ont pas laissé toutefois d'être très difficiles et très méritoires devant Dieu.

A suivre : Chapitre V. L'Hôpital du Sacré-Cœur. Fort-Providence.

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Message  Louis Jeu 31 Déc 2015, 1:31 pm

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

La mission de La Providence fut fondée, en 1861, par Mgr Grandin. (1)

"Allez, avait dit Mgr Taché à son coadjuteur, choisissez un emplacement central qui conviendra à la résidence de l'évêque que Rome va donner à l'Athabaska-Mackenzie, et qui soit surtout propice à l'établissement d'un couvent, car sans religieuses nous ne ferons rien de stable là-bas."

Mgr Grandin jugea que l'emplacement central devait se trouver par delà le Grand Lac des Esclaves.

Serait-ce la Grande-Ile?

La Grande-Ile (ou Grosse-Ile), située à l'endroit où le Grand Lac des Esclaves, se déversant vers l'Océan Glacial, forme le fleuve Mackenzie, était pour les sauvages le rendez-vous du printemps et de l'automne. Le P. Grollier y avait, dès 1858, commencé la mission du Saint et Immaculé Coeur de Marie, que les missionnaires du Grand Lac visitaient une ou deux fois par an.

Mais la Grande-Ile avait à redouter les inondations; le bois n'y abondait pas, et la terre n'y pouvait subvenir aux besoins d'une résidence et d'un orphelinat. C'est pourquoi Mgr Grandin, confiant d'ailleurs que les sauvages, le suivraient, décida de chercher plus loin.

Ayant descendu le grand fleuve, la distance de quarante milles, il atteignit, au pied d'un long rapide, et à rive droite, un large cap boisé, de surface unie, de terrain fertile, et pointant gracieusement vers la ceinture des îles et îlots du large. Contre ses flancs, un remous s'offrait en port naturel aux bateaux à venir (1). Le prélat arrêta son canot et prit possession du cap, en plaçant une croix faite par le F. Kearney.  Puis, il écrivit à Mgr Taché:

"J'ai appelé ce poste: La Providence, parce que je le regarde comme devant être la providence du Nord. Soyons là en nombre suffisant, et nous pouvons sans peine visiter toute la région..."



Le R. P. Belle, O.M.I., assistant général et visiteur du vicariat du Mackenzie, en 1915, au nom de "Mission de la Providence" substituait celui de "Maison de Notre-Dame de la Providence."

La Compagnie de la Baie d'Hudson, frustrée cette fois du premier choix, et forcée de suivre le missionnaire et les indiens, dut accepter le nom donné par Mgr Grandin. L'appellation de "Fort-Providence" est encore officielle aujourd'hui.

L'histoire des premières années de La Providence, 1861-1863, est celle de la misère la plus complète. Elle sera racontée plus tard, s'il plaît à Dieu.

Le strict nécessaire trouvé pour le logement et la subsistance des missionnaires…

_____________________________________________________________

(1) Mgr Grandin ne vint comme évêque, dans l'Athabaska-Mackenzie, que pour cette visite. Elle dura trois ans et deux mois (1861-1864). Il y rencontra de grandes souffrances. Voir Vie de Mgr Grandin, par le R. P. Jonquet, O.M.I. La cause de Mgr Grandin, dont la réputation de sainteté est universelle, a été commencée en 1914. (1) Ce remous, véritable vivier dans les premiers temps, s'épuisa bientôt. Il fallut retourner à la Grande-Ile, pour les grandes pêches.

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Message  Louis Sam 02 Jan 2016, 11:19 am

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)

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Le strict nécessaire trouvé pour le logement et la subsistance des missionnaires, Mgr Grandin s'occupa de bâtir pour les religieuses. L'hiver 1863-1864 y fut employé. La Compagnie de la Baie d'Hudson avait consenti à prêter pour cette fin quelques-uns de ses "engagés." Le rôle de Mgr Grandin était de charrier, avec les chiens, les pièces de bois qui se trouvaient sur l'île d'en face. Le P. Grouard, le F. Alexis et les "engagés"' équarrissaient les troncs d'arbre pour les transformer en murs, charpente, poutres et planchers. Tous se donnèrent main forte pour élever la bâtisse.

En guise de première pierre, Mgr Grandin enfonça la première cheville, et le P. Grouard la deuxième. Les clous, à cette époque, étaient inconnus dans le Nord.  

En 1865, lorsque Mgr Faraud aborda à La Providence, le gros de l'ouvrage était fait. Avec l'habileté d'un menuisier, il se mit à confectionner lui-même les meubles. Il eut l'attention délicate de ne rien décider de l'aménagement intérieur, avant l'arrivée des sœurs missionnaires...

Leur demeure étant prête, cinq Sœurs Grises furent envoyées : Sr Lapointe, supérieure; Sr Brunelle, Sr Michon, Sr Saint-Michel des Saints et Sr Ward. Une tertiaire franciscaine, Marie-Domithilde Letendre, leur fut adjointe.

Elles dirent adieu à la maison-mère de Montréal, le 17 septembre 1866, et se mirent en route pour Saint-Boniface, où elles devaient passer l'hiver.

Le chemin de fer de Chicago à Saint-Paul. Minnesota, fonctionnait alors, et le voyage dut être assez calme jusqu'à cet endroit. Mais rien ne nous a appris l'accueil que leur firent les redoutables cinq cents milles qu'il leur fallut encore parcourir, de Saint-Paul à Saint-Boniface, dans les charrettes de la Rivière-Rouge venues à leur rencontre... Quelques mots de Mgr Taché qui, en 1852, avec les PP. Lacombe et Grollier, avait inauguré ce chemin, y suppléeront: "Le chemin que nous avons parcouru est affreux... C'était une chose assez singulière que de voir un pauvre évêque et deux prêtres plongés dans la boue jusqu'à la ceinture, et faisant l'humble métier de bêtes de somme, pour arracher de cette lourde boue les chevaux et les voitures. Et cela non pas une fois, mais des centaines de fois."

L'hiver s'écoula dans la joie et l'intimité de la famille religieuse de Saint-Boniface.

"'Cependant, il faut le dire…

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Message  Louis Dim 03 Jan 2016, 11:30 am

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)

Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions  - Page 2 Page_110

"'Cependant, il faut le dire, nous avions hâte de voir se lever le jour du départ ; il fallait enfin arriver à notre triste chez-nous, qui, dans son éloignement et sa pauvreté, avait encore plus de charmes pour nous que les lieux les plus enchanteurs."

Ces lignes ardentes sont de Sr Lapointe. Sa relation et celle de Sr Ward, inédites toutes deux, monument inappréciable pour l'histoire des Sœurs Grises, sont trop belles pour n'être pas enchâssés ici. A la plume modeste qui acheva ce récit, sous la lampe huileuse du premier hiver, au Mackenzie, nous devons la joie de l'offrir aujourd'hui, en hommage jubilaire, aux vaillantes missionnaires des cinquante ans passés.

Les sœurs savaient que Mgr Faraud avait remonté les 450 milles, du lac Athabaska au lac La Biche, dans le seul but de les attendre à cette dernière mission, et de les conduire lui-même, de là à Providence. Aussi déplorèrent-elles divers contretemps qui les retinrent plus qu'il n'était prévu. Enfin, l'heure sonna d'embrasser leurs sœurs de Saint-Boniface et d'entreprendre les 910 milles qui les séparaient encore du chez-nous.

De la Rivière-Rouge au lac La Biche, c'était le long chemin de terre, par bœufs et charrettes sans ressorts, via Portage-la-Prairie, Qu'appelle, Carlton, Fort-Pitt, chemin coupé de mille torrents et petites rivières qu'on s'ingéniait à traverser par autant d'expédients, dont les plus simples étaient de défaire les charrettes et de les transformer en barques.

"... Après des tiraillements sans nombre, nous laissions enfin Saint-Boniface, le 8 juin…

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Message  Louis Lun 04 Jan 2016, 11:50 am

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)

"... Après des tiraillements sans nombre, nous laissions enfin Saint-Boniface, le 8 juin, recevant avec abondance une bénédiction de rosée céleste, car nous eûmes une pluie battante toute la journée. C'était au point que nous avions de la peine à nous arracher de la vase et de la boue. Je crus même un moment que j'allais être obligée de laisser une partie de mon petit troupeau, car ma Sr Ward, peu exercée à la marche, s'enfonçait si avant dans la terre glaise qu'il fallait le secours d'un bras vigoureux pour l'en retirer. Nous étions cependant heureuses, parce que nous étions enfin parties.

Nous ne poussâmes pas notre course bien loin; la première journée nous arrivions à Saint-François-Xavier, où nous pensions simplement passer la nuit ; mais une pluie torrentielle nous retint pendant trois jours. On eût dit que l'époque du déluge universel était revenue: un pied d'eau couvrait la surface de la terre. Nous croyions avec quelque apparence de raison que nous mangions notre mauvais pain en partant et que ce qui viendrait après ne nous offrirait que plaisir et bonheur. Nous aimions à nous représenter de vastes prairies ondulées comme les vagues de la mer, partout émaillées de fleurs, dont nous espérions savourer les fruits avant la fin du voyage, car le trajet était long. Cruelle déception. La pluie ne nous quitta pas. C'était au point qu'elle durait de dix, douze et jusqu'à quinze jours consécutifs, sauf quelques rares moments où le soleil brûlant se faisait jour à travers les nuages et répandait sur nos têtes comme des charbons ardents.

Cela étant, ai-je besoin de vous dire combien pénible était la marche, combien triste était le repos? Souvent nous arrivions le soir pour passer la nuit dans un bas-fond marécageux, ayant à préparer nos lits sur la terre nue. C'eût été peu en soi; mais nos couvertures, nos robes, nos manteaux, aspergés toute la journée, n'étaient guère propres à nous préserver de la fraîcheur des nuits.   Arrière toutes les délicatesses !  Il semblait naturellement que pareil état de choses eût dû nuire à nos santés. Je craignais, en effet, pour mes chères sœurs et pour moi. Mais grâces en soient rendues à jamais à Celui pour qui seul nous nous sacrifions, Il nous garde comme la prunelle de son œil; pas une de nous n'éprouva la plus petite indisposition. Ceci tient vraiment du miracle, et je voudrais faire entendre ma faible voix à toutes les créatures raisonnables, afin qu'elles m'aident à rendre de dignes actions de grâces, et qu'elles apprennent surtout à se confier à Celui qui garde si bien ses enfants.

Souffrir de l'incommodité de la pluie, et quelquefois…

Ce qui précède ne forme qu'un paragraphe; il a été aéré pour faciliter la lecture. Bien à vous.

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Message  Louis Mar 05 Jan 2016, 11:53 am

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)


Souffrir de l'incommodité de la pluie, et quelquefois du froid, car dans ces pays les changements de température sont fréquents, cela nous paraissait peu de chose; mais nous éprouvions nécessairement de longs retards, car les torrents étaient devenus de grandes rivières et les rivelets étaient changés en torrents impétueux. Ne trouvant très souvent aucune place guéable et n'ayant, bien entendu, dans ces déserts, ni barque, ni nacelle pour les traverser, nous étions parfois arrêtées deux ou trois jours dans des lieux où nous aurions pu, en temps ordinaire, passer en quelques minutes. Nous éprouvions cependant dans ces circonstances un certain plaisir à voir combien nos conducteurs étaient ingénieux à se tirer des mauvais pas. En  quelques instants, nos petits chars de voyage, enveloppés d'une grande peau de parchemin, étaient lancés sur la rivière et devenaient, à leur grande surprise, barques de gros transports. On attachait une corde à chaque extrémité et les hommes, sur les deux rives, hâlaient tour à tour. Quand le gros bagage était passé, les sœurs passaient à leur tour; le point important était de pouvoir tenir son centre de gravité, car la moindre étourderie ou inadvertance aurait pu nous faire prendre un bain à l'eau fraîche et sale.

Disons-le tout de suite, nous aurions fort mal réussi dans ces différentes évolutions, laissées à nous-mêmes; mais la Providence qui n'abandonne jamais les siens, nous y avait ménagé un secours et une protection d'autant plus précieuse que nous n'avions guère eu droit de nous y attendre. Le R. P. Lacombe, vieux voyageur des prairies, et partant expérimenté, était venu à Saint-Boniface durant l'hiver, et nous avions l'avantage de l'avoir pour guide et pour soutien. Mgr Taché lui avait adjoint pour compagnon le R. P. Leduc, en sorte que nous ne pouvions être sous meilleure garde.. Ce n'est pas ici le cas de vous dire tout ce que nous leur devons. Dieu qui connaît leur dévouement les en récompensera ; sans eux, il nous eût été presque impossible de continuer notre route.

Vous raconter un de ces passages, c'est vous les raconter tous…

Ce qui précède ne forme qu'un paragraphe; il a été aéré pour faciliter la lecture. Bien à vous.

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Message  Louis Mer 06 Jan 2016, 11:43 am

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)

'Vous raconter un de ces passages, c'est vous les raconter tous. Nous en rencontrâmes plus de cent, grands et petits, durant ce voyage qui dura du 8 juin au 31 juillet. Vous pouvez, par là, juger de ses agréments. (1)


C'était déjà le 30 juillet, et d'après les conventions nous aurions dû arriver au lac La Biche, pour le 15, au plus tard. Nous savions déjà, par des nouvelles reçues au Fort-Pitt, que Mgr Faraud nous attendait depuis le 25 juin. Jugez de notre anxiété et de notre inquiétude. Nous pouvions avoir fait un voyage inutile, car il était permis de supposer que, les berges de la Compagnie étant déjà parties, Monseigneur se serait trouvé dans la triste nécessité de les suivre. Pourtant nous espérions arriver au lac La Biche, le lendemain; c'est pourquoi nous nous levions à une heure du matin, et, à trois heures, nous nous mettions en route. Nous aurions voulu voler, tant nous avions hâte d'arriver; mais nous traversions une vaste forêt, par un chemin tortueux, où des ornières profondes et vaseuses nous permettaient à peine d'aller à pas de tortue.

Ainsi se passa la matinée.

Nous venions de prendre une légère réfection ; remontées en voiture, nous avancions à pas lents, dans un morne silence, la tête baissée, nous demandant encore si nous pourrions arriver, car nous n'avions aucune idée de la distance, quand tout à coup, en sortant d'un détour ténébreux, nous voyons accourir deux cavaliers, à bride abattue. Leur air martial, leur costume, nous les firent de prime abord quasi prendre pour des ennemis. Heureux moment de surprise qui nous cause tant de joie! Ce n'étaient autres que notre évêque et le R. P. Végreville, qui, en désespoir de cause, poussaient à notre rencontre, résolus de pas désemparer avant de nous avoir trouvées. Descendre de voiture, nous jeter aux pieds de notre vénéré pasteur pour en être bénies fut l'affaire d'un instant. Qui dira tous les sentiments qui en ce moment se pressaient dans nos âmes !  

Monseigneur, en faisant descendre sur nous une paternelle bénédiction, jetait sur nous un coup d'œil scrutateur, constatant que personne ne manquait à l'appel, et que son petit troupeau jouissait d'une parfaite santé. Louanges, actions de grâces, chants de reconnaissance au Dieu trois fois saint, pour la protection spéciale qu'il nous avait accordée dans un si long voyage, au milieu de tant de périls : tels furent les actes spontanés auxquels se livrait le coeur tendre et aimant de notre père et pasteur. C'était pour nous une espèce de résurrection, nous touchions à une vie nouvelle. Arrière désormais les soucis et les préoccupations ! Sous la houlette d'un pasteur bien-aimé, les brebis n'ont plus qu'à marcher en aveugles.

Quelques heures après, nous nous jetions entre les bras de nos bonnes sœurs du lac La Biche, qui, elles aussi, n'avaient que trop partagé les peines de Monseigneur, par rapport à notre long retard.

Quelques jours de repos…

________________________________________________________________

(1) Un incident ne figure pas dans la narration, quoiqu'il l'eût mérité. Nous venons de l'apprendre du P. Leduc et de Sœur Domithilde. La caravane avait fait relai, sur le haut du jour, à la rivière aux Anglais, entre les Forts Carlton et Pitt. Sœur Ward s'occupait, sous la tente, et les autres Sœurs cueillaient des fruits sauvages dans les buissons, tandis que Marie-Domithilde préparait, en plein air, les crêpes du dîner. Les vêtements de la cuisinière prirent feu. Elle était déjà tout en flammes, lorsque les PP. Leduc et Maisonneuve (celui ci venu à leur rencontre, à Carlton), jetèrent sur elle tout ce qu'ils avaient pu saisir de linges et de couvertures. Mais le feu résistait toujours. Un seau de lait, justement tiré de la vache nourricière de la famille, était là fumant. Le P. Leduc s'en arma, et le versa d'un bloc sur l'incendiée. C'est ainsi qu'on la sauva. Le P. Maisonneuve sortit du sauvetage, les mains attaquées au point qu'il fut incapable de célébrer la sainte messe pendant quinze jours; et Domithilde continua sa route, la figure et les mains grièvement brûlées. La victime, aujourd'hui Sœur Domithilde, rappelle, en riant de tout son coeur, l'épilogue de l'aventure: "Après m'avoir éteinte avec le lait, le P. Leduc me dit:

—Je ne voudrais pas être avec vous dans le purgatoire: vous criez trop fort!

—Mais vous y seriez moins longtemps, alors, que je lui ai répondu!"

Ce qui précède ne forme qu'un paragraphe; il a été aéré pour faciliter la lecture. Bien à vous.

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Message  Louis Jeu 07 Jan 2016, 12:23 pm

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)


Quelques jours de repos en si bonne compagnie paraissaient utiles, et même nécessaires, après un tel voyage ; mais qui arrive trop tard doit se hâter de gagner du temps. Nous n'étions encore qu'à moitié chemin, et nous étions loin d'être sorties des périls. A proprement parler, ils ne faisaient que commencer pour nous. Nous avions eu jusqu'ici à nous débattre dans la vase. à partir de ce moment nous  étions  en présence  des rivières,  des lacs,  des rapides dangereux, et, ce qui rendait la position plus pénible, c'est qu'une grande partie du chemin était encore inexplorée, et que nous n'étions pas en force suffisante pour nous tirer de ce mauvais pas. (1) A vrai dire, nous laissions tout le souci à notre cher et vénéré Seigneur et Père, car il nous semblait impossible de périr en sa compagnie. Une nouvelle cause d'inquiétude pour lui, c'est que nous avions trop de bagage, pour une simple barque de voyage. Mais, bref, ceux que Dieu garde sont bien gardés... Le 3 août donc, à 3 heures du matin, nous étions en éveil. Après une bénédiction solennelle du T. S. Sacrement, nous nous arrachions aux embrassements de nos chères sœurs, désolées de nous voir si peu de temps, et, en présence de la majeure partie de la population du lac La Biche, nous mettions à la voile.

Tant que nous n'eûmes à voguer que sur le lac La Biche et les petites rivières qui en découlent, nous prenions un plaisir charmant à sillonner ces eaux claires et limpides, et nous comprenions difficilement, faute d'expérience, qu'on pût se mettre en peine pour l'avenir. La paix, la tranquillité ne furent pas de longue durée. Dès la première nuit, nous eûmes une pluie battante. Comme nous avions une assez bonne tente, elle ne nous fit pas grand mal et nous procura même le plaisir d'entendre le doux murmure d'un petit ruisseau qui s'était formé sous nous, entre la terre et le prélart. Nous eûmes une charmante matinée, le vent ayant chassé bien loin les nuages, et nous serpentions agréablement sur un petit bras de rivière entourée de grands arbres, qu'un soleil levant dorait. A huit heures, nous commençâmes nos sacrifices. Pour nous les rendre plus faciles, Monseigneur offrit la Grande Victime,  à la tête  du rapide, et nous nourrit du Pain des Voyageurs. Fortifiées, nous pouvions désormais, à d'exemple d'Elie, marcher quarante jours et quarante nuits sans nous arrêter.




Dans les voyages du Nord…
_________________________________________________________

(1) Jusqu'en 1867, tous les voyages et transports, à destination du Mackenzie, s'effectuèrent, de la Baie d'Hudson d'abord, de Winnipeg ensuite, par les chaînes de lacs et rivières correspondantes à ces deux points, jusqu'au Portage La Loche. Du Portage La Loche, l'on tombait, par la rivière Eau Claire, dans la rivière Athabaska, à McMurray. On évitait de la sorte les "rapides" de l'Athabaska.

Le premier à se hasarder dans la voie "inexplorée" du lac La Biche à McMurray, fut Mgr Taché, en 1856.

Mgr Faraud reprit cette voie, en 1867, avec les Sœurs Grises, et dans des conditions bien autrement périlleuses. Mgr Taché, en effet, était parti du lac La Biche, de bon printemps, par canot léger, et à la faveur de l'eau haute, qui aplanit maints obstacles; mais, en octobre, rapides et cascades allaient être trouvés dans leur état le plus rocailleux et le plus perfide.

Mgr Faraud, en prévision de cette difficulté, avait obtenu du bourgeois, M. Christie, qu'une berge de la Compagnie accompagnât la sienne: les deux équipages uniraient leurs forces dans les mauvais pas.

Il y avait vingt-six jours que les voyageurs, arrivés du lac Athabaska, attendaient les Sœurs, au lac La Biche. Les provisions de bouche étaient épuisées. D'autre part, les eaux baissaient d'une manière alarmante L'impatience gagnait aussi les sauvages. Pour ces raisons, Mgr Faraud permit à la berge de M. Christie de repartir. Il se condamnait, par le fait, à faire face, seul avec ses propres bateliers et les religieuses, à  tous les dangers du  retour.

C'est à cette grave situation que le récit des Sœurs vient de faire allusion.

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Message  Louis Ven 08 Jan 2016, 12:17 pm

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)

Dans les voyages du Nord, on fait comme en temps de famine : on se débarrasse des bouches inutiles. Comme l'eau était trop basse, le guide nous signifia de le débarrasser de nos personnes. Monseigneur dirigeant la marche à travers la forêt, nous éprouvions un réel plaisir à suivre Sa Grandeur, tandis que les hommes traînaient la barque et la faisaient passer d'une roche à l'autre. Il n'y a pas de plaisir sans mélange. Celui de suivre notre évêque était un peu dérangé par la difficulté de se frayer un chemin au milieu de grandes herbes qui, saturées d'eau par la pluie précédente, se déchargeaient sur nos longues robes, et nous rendirent bientôt si pesantes que nous n'avancions plus qu'à grand'peine. Ajoutez à cela qu'un soleil ardent dardait ses rayons sur nos têtes. En allant au petit pas, nous reposant souvent, nous fîmes, ce jour-là, environ six milles. Nous avions déjà assez goûté au plaisir de la promenade, aussi ne fut-ce pas sans satisfaction que nous reprîmes nos places dans la barque, à l'invitation du guide. Les forces ne répondent pas toujours au courage: nous n'en pouvions plus...

Sans croire avoir beaucoup fait, nous nous persuadions cependant, le lendemain, que nous ne serions pas mises à plus forte épreuve que la veille. Nous causions, nous nous divertissions, autant que la position le permettait ; mais tout à coup on crie: Halte-là, on ne va pas plus loin! Nous nous trouvions, en effet, dans une difficulté sérieuse. A partir de ce lieu jusqu'à l'entrée de la grande rivière La Biche (rivière Athabaska), environ soixante milles plus bas, ce ne sont que petits rapides rocailleux, où l'eau éparpillée sur une assez vaste surface, ne permet plus de naviguer à pleine cargaison. Que faire? Descendre d'abord avec la moitié de la charge, puis retourner prendre l'autre, c'eût été probablement le plus facile, mais les sauvages voyageurs déclarèrent sans détour que, s'ils descendaient, ils ne remonteraient plus, car ils étaient fatigués du long retard. Dès lors, il ne nous restait plus que deux partis également pénibles : ou bien laisser la moitié de notre bagage, qui nous avait causé tant de dépenses, de fatigues et de soucis, ou bien se résoudre à marcher tout le temps. Le premier parti nous répugnait trop, nous essayâmes le second. Il ne s'agissait plus, comme la première fois, de marcher deux ou trois heures dans des prairies humides, mais bien deux ou trois jours, tantôt dans une forêt épaisse, tantôt sur des rives escarpées, nous enfonçant à chaque pas dans la vase, traversant mille ruisseaux et nous égarant dans des fourrés d'arbres secs et sans issue, etc., etc. !...

Le gros travail n'était pas pour nous, car…

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Message  Louis Sam 09 Jan 2016, 4:28 pm

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)


Le gros travail n'était pas pour nous, car Monseigneur nous précédait, une hache à la main, choisissant les passages les moins difficiles, abattant les arbres sur notre passage, jetant des ponts sur les ravines, etc. Mais comme nous étions peu aguerries à la marche, nous étions vraiment hors d'haleine. Ce qui m'affectait plus que mes propres fatigues était que je voyais que quelques-unes de nos sœurs étaient vraiment trop faibles pour résister. Nous allâmes pourtant toute la matinée. Nous avions parcouru, y compris les détours, environ quinze milles. Comme nous avions entièrement perdu de vue la rivière, nous ignorions si les voyageurs étaient devant ou derrière. Quoi qu'il en fût, n'en pouvant plus, nous nous arrêtâmes pour nous reposer. Nous allumâmes un grand feu, et, peu après, nous entendîmes nos gens criant, se débattant, et traînant avec peine leur barque. Sans être bien valeureuses, nous étions cependant arrivées les premières.

Les hommes firent halte, prirent une forte réfection, et se disposèrent à partir. Comme je prévoyais que Sr Ward ne pourrait plus marcher, je leur proposai de la prendre. Ils y consentirent, à condition qu'elle invoquerait les Grands Esprits pour faciliter la marche. Soit hasard, soit miracle, à peine ma Sœur Ward se fut-elle embarquée, que



la barque passait presque partout sans toucher. Ceci allait fort bien pour les voyageurs: mais nous, qui venions par derrière, hâtant le pas. à travers les broussailles, nous ne pouvions pas même les suivre de l'œil. La fatigue du matin nous avait déjà fort affaiblies, en sorte que nous ne pouvions plus aller. A force de crier, nous nous fîmes entendre, la barque s'arrêta; nous avions marché encore six milles. Bon gré, mal gré, il fallut nous recevoir: mais à peine nous fûmes-nous embarquées qu'il fut impossible de faire mouvoir la berge. Les hommes furent obligés de porter le bagage sur leurs épaules, en sorte qu'en deux ou trois heures de temps nous avions fait à peine un demi-mille. Comme tout le monde était fatigué, nous campâmes un peu plus tôt que de coutume. Ce n'était pas sans crainte que je voyais venir le lendemain.

Le sommeil repose et la nuit porte quelquefois bonheur…

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Message  Louis Dim 10 Jan 2016, 1:14 pm

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Le sommeil repose et la nuit porte quelquefois bonheur. Nous eûmes, toute la nuit, une pluie battante; les éclairs sillonnaient les nues, et les tonnerres faisaient trembler la terre autour de nous. Le matin, nous nous levâmes, les jambes raides, les reins brisés, la fièvre dans tous les membres; la pensée de ce qui nous attendait nous faisait frémir. Dieu avait cependant pourvu aux besoins de ses enfants. car la tempête de la nuit avait fait croître temporairement  les  eaux,  en  sorte  que inspection faite, notre guide nous dit que nous pouvions tous nous embarquer. A partir de là, en effet, la berge flotta le plus souvent, et dans les places les plus difficiles les hommes parvenaient facilement à la dégager. Nous fûmes cependant obligées de marcher encore de temps en temps, mais ces courses ne dépassèrent jamais la mesure de nos forces.

Après trois jours d'anxiété et de fatigue, la rivière Athabaska se présenta enfin à nos regards, et nous assura, pendant deux ou trois jours, plus de tranquillité. . . Cette rivière présente bien aussi ses dangers; mais enfin pour le moment nous jouissions sans arrière-pensée des plaisirs innocents et permis que font éprouver à l'âme les spectacles grandioses de la nature. Cette rivière rapide nous entraînait comme par enchantement, tout en nous donnant le temps de repaître nos regards des sites pittoresques et variés que les nombreux détours présentent sans cesse. C'était trop de bonheur, pour attendre qu'il durât longtemps. Nous croyions avoir déjà fait merveille, nous en étions encore à notre coup d'essai.

Un jour, vers deux heures après-midi, nous entendions dans le lointain un bruit sombre et monotone, semblant sortir des eaux. Aussi loin cependant que la vue pouvait s'étendre, elle se perdait sur la surface de l'eau, et rien d'extraordinaire ne frappait. Je m'informai d'où venait ce bruit; on me répondit que nous le verrions bientôt.

Deux heures après, nous arrivions au Grand-Rapide…

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Message  Louis Lun 11 Jan 2016, 12:43 pm

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(1867)

(suite)

Deux heures après, nous arrivions au Grand-Rapide. C'est un endroit où d'énormes blocs de pierre ont formé une petite île au milieu de la rivière, qui, ainsi partagée en deux, lance ses eaux par cascades vertigineuses. La seule vue de ces gouffres fait frémir. Aussi ce ne fut pas sans crainte et sans saisissement de coeur que nous l'abordâmes. La chose est d'autant plus difficile qu'il faut approcher l'île, juste à la place où le courant se divise. Un faux coup de rame peut faire tourner la berge sur un côté ou sur l'autre, et l'y précipiter. Par une manœuvre heureuse, notre guide parvint à l'amarrer, entre deux énormes pierres.  Là nous débarquâmes, et, passant d'un tronc d'arbre à un autre, nous pûmes enfin mettre le pied sur l'île. Nos coeurs encore en émoi dirent, autant que nos bouches, un Deo gratias. Cependant nos voyageurs, par des efforts inouïs, parvinrent à tirer tout le bagage et même la barque de l'eau. Cette première opération faite, ils transportèrent le tout sur leurs épaules jusqu'à l'autre bout de l'île environ un demi-mille. Jusque-là, tout allait assez bien pour nous; mais la berge restait. Il ne s'agissait pas de la porter, mais de la traîner.

Comme elle était lourde, les hommes se trouvaient trop faibles pour la remuer. Monseigneur vint alors gravement et sérieusement inviter les sœurs à se mettre de la partie. On nous attela, deux à deux, à des colliers, et nous fîmes si bien qu'à la force la berge se décida à prendre ses jambes, et nous la traînâmes jusqu'à l'autre bout de l'île. C'est ce qu'on appelle ici "faire portage".

Comme Sa Grandeur nous avait recommandé de ne pas hâler trop fort pour ne pas nous faire mal, nous ménageâmes nos forces, aussi nos voyageurs observaient-ils en plaisantant que nous n'avions pas brisé nos colliers. Quoique nous fussions réellement fatiguées, nous eûmes plus de plaisir que de peine, et j'aurais payé cher pour que quelques personnes de Montréal eussent pu nous contempler dans nos nouvelles fonctions. Cinq Sœurs Grises attelées! N'est-ce pas un joli coup d'œil?.. .

Le gros du travail était fait, mais il n'était pas facile de nous tirer de là. On embarqua le bagage, nous nous embarquâmes nous-mêmes, dans un lieu où les houles soulevaient barque et bagage avec fureur, et ce ne fut pas sans frayeur que nous vîmes la barque se détacher du rivage. Il nous paraissait impossible de ne pas périr. Ne pouvant supporter la vue de ces vagues courroucées, nous fermâmes les yeux quelques secondes ; en les ouvrant, nous constatâmes avec bonheur que nous étions déjà hors de danger. A partir de ce moment, nous eûmes moins à craindre, ou plutôt nous nous accoutumâmes à voir le danger sans pâlir. Quelques-unes de nos sœurs en étaient venues au point de dire qu'elles aimaient à sauter les rapides. Cela pouvait être vrai pour les petits; mais il y en a de toutes espèces.   Un jour après-midi, nous nous étions



évertuées à grimper sur le haut des collines pour cueillir des poires sauvages, que la nature sert ici aux voyageurs avec abondance. Comme cependant nous étions très pressées, et que les fruits sont très petits, pour avoir plus tôt fait, nous avions coupé et apporté les branches. Or, tandis que nous dégustions avec reconnaissance ces fruits, aussi doux au goût qu'agréables à l'odorat…

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Message  Louis Mar 12 Jan 2016, 2:38 pm

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)

...Or, tandis que nous dégustions avec reconnaissance ces fruits, aussi doux au goût qu'agréables à l'odorat, la barque arriva, en se précipitant, sur un gros rapide ; nous l'avons à peine aperçu que déjà le fer de la quille, frappant avec violence un roc à fleur d'eau, éclate en morceaux, fait entendre un cri sinistre et secoue la berge comme un vent violent agite les branches d'un arbre. Au même instant nous tombions au milieu des houles. Un cri d'effroi se fait entendre, les fruits tombent de nos mains, une sueur froide se répand sur nos fronts, tout le sang se porte vers le coeur. Nous avions peur! Ce fut en réalité notre plus grand mal, mais il fut sérieux, car, une demi-heure après, quelques-unes des sœurs avaient encore peine à se remettre et à retirer leur souffle. Cette alerte mit fin à toutes les vanteries et bravades. Ce fut du reste la dernière épreuve de cette rivière Athabaska.

Pour n'être plus en danger, nous n'étions pas plus à l'aise (depuis McMurray), car à partir de ce moment on n'allait plus à terre pour passer la nuit; mais, tandis que la berge allait à la dérive, chacun se logeait le moins mal possible. Monseigneur était couché entre les ballots, ayant pour matelas un grand côté de poêle et pour oreiller une caisse. Nous avions l'honneur d'être logées à l'entrepont, mais, comme il n'était pas assez long ni assez large, nous nous jetâmes pêle-mêle, les pieds de l'une servant de chevet à l'autre. S'il était permis de mentionner un si faible incident, je dirais que nous passâmes là les deux plus mauvaises nuits de notre voyage.

Le 13 août, le beau lac Athabaska présenta sa vaste superficie parsemée d'îlots couverts d'arbres verts. Nous y respirions plus à notre aise, et nous avions de plus l'espoir d'arriver le soir à la belle mission de La Nativité, la plus ancienne du vicariat du Nord. Poussées par un vent favorable, nous y arrivâmes de bonne heure, au bruit répété des décharges de mousqueterie.

Ai-je besoin de dire que nous y fûmes l'objet d'un scrupuleux examen de la part des sauvages, qui n'avaient jamais vu de sœurs et qui, les croyant d'une nature différente des autres mortels, demandaient ingénument si elles disaient la messe, si elles confessaient au moins les femmes ; un d'entre eux vint même s'agenouiller pour me demander, la bénédiction...

Nous étions pressées et nous fîmes cependant une halte de trois jours. La raison en était sérieuse et agréable. Nous trouvâmes là réunis Mgr Clut, évêque d'Arindèle et les RR. PP. Eynard et Tissier. Mgr Clut, auxiliaire de Mgr Faraud, devait y recevoir la consécration épiscopale. Dès le lendemain donc, nous prîmes nos fonctions de sacristines, et, au moyen de quelques décorations, nous rendîmes magnifique pour la fête l'église de cette mission, déjà si coquette par elle-même. Le 15 août, fête de l'Assomption, eut lieu le sacre. Les officiers n'étaient pas nombreux. Les Rév. Pères, faute d'autres évêques, faisaient évêques assistants, et le consécrateur n'avait pour le servir que le bon Frère Salasse et quelques enfants de chœur. Les sauvages n'étaient pas non plus très nombreux, parce que, fatigués d'attendre, ils étaient partis depuis quelques jours. Mais la fête n'en était pas moins solennelle. N'était-ce pas touchant de voir une pareille cérémonie dans un lieu, où il y a à peine quelques années le nom de Dieu était encore ignoré, et où actuellement, grâce au zèle et à la persévérance des missionnaires, on trouve tant de chrétiens. Je me plaisais à croire qu'un bon nombre d'anges étaient descendus avec leur Reine, pour assister à cette auguste cérémonie et y exalter le Roi de gloire. Nous étions certes déjà bien payées des quelques désagréments du voyage, par la pensée de contribuer pour notre petite part à l'éclat de la fête... Nous eussions volontiers passé là plusieurs jours; mais cette terrible voix qui nous criait déjà depuis si longtemps: marche ! marche ! se fit encore entendre, et nous partîmes.

Bientôt entraînés par la majestueuse rivière…

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Message  Louis Mer 13 Jan 2016, 12:34 pm

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)

Bientôt entraînés par la majestueuse rivière des Esclaves, nous perdions de vue le lac Athabaska,


et  nous entrions comme dans un nouveau monde. Plus de rochers, plus de rives escarpées; mais une masse d'eau presque aussi considérable que le Saint-Laurent, coulant à pleins bords et sans bruit, à travers des forêts de grands arbres. Les journées paraissaient bien courtes, au milieu de cette magnificence. Elles furent encore raccourcies par la rapidité du courant. Aussi, une journée suffit pour nous conduire aux nombreuses chutes successives; où l'eau, interceptée dans son cours par des pics énormes, se divise en mille canaux, s'élève en bouillonnant, et retombe avec fracas en bas des cataractes (la chaîne des rapides du Fort-Smith, seize milles, les derniers obstacles à la navigation jusqu'à l'Océan glacial,). En approchant de ces gouffres affreux, une frayeur involontaire s'empara de nous. Nous avions pourtant moins à craindre que partout ailleurs, non pas parce que le danger était moins grand, mais parce que notre guide, qui a passé dans ces lieux plus de cinquante fois, en connaissait tous les détours, et y lançait sa barque d'une main sûre. Il fallut cependant y faire quatre portages.

Quelques instants après avoir repris l'eau calme, nous étions entourées de sauvages, qui, impatients de nous voir, étaient venus à notre rencontre. Le lendemain nous arrivions à la rivière au Sel, chez le patriarche Beaulieu.   C'est un métis montagnais, qui par sa bonne conduite, s'est attiré l'estime et l'affection des sauvages qui le regardent tous comme leur père. . Ce ne fut pas sans une vive émotion que nous vîmes ces pauvres enfants des bois, réunis là pour nous attendre, et groupés dans leur chapelle modeste, autour de leur évêque, assistant avec une modestie angélique à la sainte messe. Comme ils avaient manifesté le désir d'entendre chanter les sœurs, elles tinrent grand orchestre pendant la messe ; mais après l'instruction, ils nous régalèrent eux aussi d'un magnifique cantique en leur langue, dont le chant bien nourri et en accord parfait, nous remplit d'admiration. Soit fatigue du voyage, soit enthousiasme de ce que nous voyions, nous eussions volontiers consenti à passer là quelques jours de repos, mais l'impitoyable voix criait encore: marche ! marche !

Nous marchâmes si bien que deux nuits et deux jours suffirent pour nous conduire à la mission Saint-Joseph, Grand Lac des Esclaves. Le R. P. Gascon, seul depuis si longtemps, et de plus en peine de notre retard, nous reçut à bras ouverts dans sa pauvre demeure. Ses yeux humides se portaient de Monseigneur à nous, et de nous à Monseigneur. Il paraissait ne pas croire à la réalité. Il se convainquit bien vite que nous n'étions pas des êtres fantastiques, et put dégonfler son bon cœur tout à son aise. Il eût désiré nous garder plusieurs jours, mais Monseigneur qui  voulait  profiter du  beau  temps  désirait  partir tout de suite. Le bon père fit si bien par ses prières et par ses larmes, que le ciel s'irrita, et qu'un vent violent, soulevant avec fureur les eaux du lac, nous obligea à une halte de deux jours…
.
Nous étions à la dernière étape…

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Message  Louis Jeu 14 Jan 2016, 12:12 pm

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)

Nous étions à la dernière étape, en sorte que ce ne fut pas sans une vive satisfaction que nous vîmes remettre à la voile. Le Grand Lac des Esclaves est une véritable mer intérieure, et, comme les vents y règnent en souverains, on ne se hasarde qu'à temps à le traverser. Aussi notre marche était lente. Quelquefois, après deux heures, nous étions obligées de nous retirer dans un port naturel pour nous mettre à l'abri des journées entières. Ces haltes forcées nous étaient d'autant plus pénibles que nous savions être plus rapprochées du but de notre interminable voyage. Le 27 août, nous marchâmes longtemps avec un vent douteux ; sur le soir, il devint meilleur, en sorte que l'espoir d'arriver plus tôt nous détermina à passer la nuit sur la berge. Mal nous en voulut, car bientôt le vent changea, le ciel se couvrit, si bien que ne sachant plus où diriger notre marche, on fit échouer la berge sur un roc à fleur d'eau. Nous y fûmes exposées, toute la nuit, à la pluie et au froid, sans qu'il nous fût possible de reposer. Heureusement c'était la dernière.

A peine l'étoile du matin reparut-elle, que notre guide se reconnut. Il éveilla les rameurs, et dans peu de temps il amarrait la berge, pour déjeuner, à une petite île de l'entrée du grand fleuve Mackenzie. Deo gratias! Encore quelques heures et nous sommes chez nous! Elles furent, ou plutôt nous parurent, encore longues, car ce ne fut qu'à trois heures après-midi que nous aperçûmes le drapeau flottant sur l'évêché. Bientôt cependant le paysage se dessina mieux, et nous aperçûmes sur la rive une foule de sauvages et autres personnes, s'agitant et tirant du fusil, pour nous souhaiter la bienvenue. Nous ne voulûmes pas rester en arrière, les sœurs entonnèrent un Magnificat solennel. Ce fut en chantant le cantique de la Reine du Ciel que nous fûmes reçues par le R. P. Grouard, les frères Alexis et Boisramé, et toute la foule... Enfin, nos coeurs battaient sur la terre étrangère désirée, devenue notre patrie, notre chez-nous, notre tombeau !...

Que vous dire de plus ? Depuis notre arrivée, non seulement nous n'avons pas regretté d'être venues, mais nous avons été toujours heureuses. Cela ne veut pas dire que nous y ayons tout à souhait. Au contraire, les sacrifices y sont nombreux; mais c'est ce que nous sommes venues chercher, de sorte que cela n'a pas lieu de nous surprendre. Nous avons eu quelque peine à nous accoutumer à la nourriture grossière, et toujours la même... Nous n'avons plus jamais goûté au pain.. .

...Adieu, bonne et bien-aimée Mère; ce papier, plus heureux que nous, va se rendre à notre chère communauté. Moins privilégiées que lui, nous le suivrons en esprit, ou plutôt nous le devancerons, car certainement de cette manière nous voyagerons plus rapidement que lui. Adieu, bonnes et bien chères sœurs, nous ne nous reverrons plus très probablement sur cette terre d'exil. Adieu donc, jusqu'au beau jour qui nous réunira là-haut... Veuillez nous accorder à toutes un souvenir quotidien aux pieds du bon Jésus de chez-nous, puis auprès de la châsse de notre vénérée Mère d'Youville... "
Ainsi allait-on vers le pôle, en 1867.

Ainsi voyagèrent, pendant cinquante ans, les Sœurs Grises…

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Message  Louis Ven 15 Jan 2016, 2:10 pm

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)

Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions  - Page 2 Page_110

Ainsi voyagèrent, pendant cinquante ans, les Sœurs Grises.

"...Pluie toute la journée, écrivait la Mère Charlebois, arrivant le même jour, treize ans plus tard, à Providence, pour visiter les missionnaires. Nous avons campé avec tout notre linge mouillé... Assurément je n'aurais jamais pensé que je dusse séjourner et coucher, des mois entiers, dans ces berges; je vous assure que c'est un bien triste métier pour des religieuses ; les scrupuleuses seraient à plaindre. Mais qu'y faire? C'est l'unique voie pour se rendre dans l'Extrême-Nord. "

Entendons tout près de nous, 24 mai 1912, la T. H. Mère Piché, supérieure générale et visitatrice du Nord, "après un trajet des plus misérables, où elle souffrit du froid et même de la faim... réduite à ne prendre que des aliments froids, et cela dans un équipage de métis ivrognes..."

"Nous eûmes, écrit-elle du lac Athabaska, quelques difficultés pour nous rendre, à cause de la glace qui encombrait le lac. . . Je n'ai pu avoir que ma valise, toutes nos caisses sont restées à Athabaska-Landing (le point de départ des berges). Que de difficultés ! Que de misères pour le transport !... Mon Dieu, il faut bien que ce soit pour sauver des âmes que des victimes s'expatrient ainsi volontairement et si généreusement."

La Mère Stubinger, qui prit un mois et cinq jours de l'automne 1893, à remonter la rivière Athabaska, ne dut son salut qu'à quelques lièvres chétifs pris au lacet, pendant les nuits. Il neigeait et gelait.

Ces mots, détachés au hasard de cent correspondances, et le récit de 1867, ne racontent que le voyage normal, sans désastre... Point d'objets indispensables à jamais perdus; aucune barque broyée sur les récifs; les sœurs ne furent point jetées à l'eau; une tempête de deux jours et de deux nuits ne les emporta point au large du Grand Lac des Esclaves, désemparées, épouvantées, certaines, pendant ces quarante-huit heures, que chaque vague qui se dressait sur elles était celle qui venait les engloutir: autant d'épreuves réservées aux convois futurs, et dont des Sœurs Grises furent les victimes.



Elles ne furent pas non plus abandonnées de leurs guides, au Grand-Rapide, ainsi que Sr Marie-Marguerite, la douce auxiliaire franciscaine qui, en 1870, envoyée à Providence, descendait avec Mgr Clut et le jeune P. Roure. Mgr Clut s'en fut chercher secours, à pied, à travers bois. Lorsqu'il revint, au bout d'un mois, les intempéries, la faim, la fièvre, l'ennui avaient achevé la pauvre fille. Elle mourut six jours après, au lac Athabaska.  (1)
____________________________________________________________

(1) Le P. Roure en fut réduit aussi à l'extrémité. Une longue maladie, dont les traces subsistent encore, l'arrêta au Grand Lac des Esclaves. "Après trente-neuf ans passés dans la solitude,"parmi les Plats-Côtés-de-Chien, au Fort Rae, et quelques années à la ferme Saint-Bruno du Fort Smith, qu'il établit, et qu'il dût quitter au moment d'en goûter les premiers fruits, le P. Roure est devenu aujourd'hui le chapelain vénéré des Sœurs Grises, à Notre-Dame de la Providence.

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Message  Louis Sam 16 Jan 2016, 10:55 am

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)

Les Soeurs Grises dans l'Extrême-Nord : Cinquante ans de Missions  - Page 2 Page_110

Les sœurs missionnaires du Mackenzie mesurèrent du premier regard le champ offert à leur courage et à leur abnégation. Elles trouvaient les peuplades sauvages, trop près encore de la dégradation primitive, pour n'avoir pas la triste et consolante évidence que leur sacrifice, ajouté à celui des missionnaires prêtres, serait le prix de la régénération de ces âmes.

Elles s'en ouvrent, dans leurs notes de 1867 :

"Je ne résiste point au désir de vous citer quelques  traits  propres à vous  faire  comprendre quel



genre de misères nous sommes appelées à soulager. Ces traits, pris entre mille, vous feront frémir, comme ils me soulèvent le cœur en vous les racontant. C'était un usage assez général, parmi les sauvages de ces contrées, de se défaire en les tuant, voire même en les mangeant, des petits enfants orphelins, surtout des petites filles. La religion a beaucoup changé cela, mais, outre qu'elle n'a pas encore pu faire sentir son influence partout, il se présente encore assez souvent de ces infanticides. Une mère regardant avec dédain sa fille, qui venait de naître, lui dit:

— Ton père m'a abandonnée, je ne prendrai pat la peine de te nourrir.

Aussitôt elle l'emporte hors de sa hutte, la couvre d'une grande peau, l'étouffe et la jette à la voirie.

Une autre, marchant sur la neige, dit à son enfant :

—Ton père est mort ; qui te nourrira ? J'ai, pour ma part, assez de mes misères.

Elle fait alors un trou dans la neige, y enterre l'enfant, et passe son chemin.

À l'époque d'une assez grave maladie, un malheureux sauvage avait perdu son épouse et deux ou trois de ses enfants; il lui en restait encore un au maillot. Il le porta deux ou trois jours, le suspendit à mi branche d'arbre et partit.

En voilà déjà trop pour un cœur sensible. Il est évident que tous ces gens auraient mieux aimé nous confier leurs enfants que de les faire mourir."

Sauver l'enfance fut donc le premier souci et le premier soin…

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Message  Louis Dim 17 Jan 2016, 12:23 pm

CHAPITRE V

L'HÔPITAL DU SACRÉ-CŒUR

Fort-Providence

(1867)

(suite)

Sauver l'enfance fut donc le premier souci et le premier soin.

"Un autre but non moins important que nous nous proposons d'atteindre, c'est de recueillir un grand nombre d'enfants métis ou sauvages, et de leur donner une bonne éducation, afin qu'ils puissent répandre plus tard la connaissance de notre sainte religion parmi leurs frères. Ces écoles auront de plus l'avantage d'élever notre sainte cause aux yeux de nos frères séparés, qui, comme vous le savez, s'attachent beaucoup à l'extérieur... "

La première classe fut faite, le 7 octobre, par Sr Saint-Michel des Saints. Il y eut onze élèves.

En même temps qu'école de sauvageons, le couvent de Providence était refuge des infirmes. Son nom d'Hôpital du Sacré-Cœur le rappelait sans cesse.

En fait, toutes les misères du Mackenzie y furent recueillies pendant cinquante ans, et Dieu sait de combien de maux ces pauvres indiens sont affligés! Plusieurs malades passèrent auprès des Sœurs de Charité de nombreuses années. Les noms de Marguerite l'aveugle, Lidwine la paralytique, Petit-Fou, etc., rappellent de ces longs dévouements... Le Petit-Fou (on ne l'appela jamais autrement) était un enfant de la tribu des Esclaves.    

Comme il était idiot, et à demi paralytique, son père l'avait jeté sur les bords de la rivière pour s'en débarrasser. Les sœurs le trouvèrent là. Pendant vingt ans, sans faire cas de son infirmité mentale ni de ses colères, elles soignèrent le Petit-Fou. Lorsqu'il se fâchait, il courait à  quatre pattes contre ses infirmières et les frappait, si elles n'avaient la précaution de fuir. Elles lui donnèrent tant de patience et de tendresse, qu'elles le rendirent à la fin presque obéissant, et  lui apprirent sa religion.

On ne négligea jamais non plus, à Providence, les malades du dehors, ceux que l'on panse à domicile, dans le rayon du Fort. Chaque jour la Sœur supérieure prend sous sa mante grise cachets, bistouris, charpie, eau chaude, et s'en va, à petits pas vifs dans la neige, distribuer, de loge en loge, de cabane en cabane, d'ulcère en ulcère, le remède et le  sourire de la charité. Et lorsque la mort est plus forte que la charité, quel deuil ! Et si les trépas se multiplient, comme dans ces épidémies qui, par époques, déciment les Peaux-Rouges, hâtant la disparition de.la race, n'épargnant même pas les bien-aimés du couvent, il n'est de larmes que leur coeur ne verse sur ces tombes où elles déposent les petits corps, après en avoir donné les âmes au ciel. Les mères ne pleurent ni plus tendrement, ni plus longtemps.




Sr Beaudin écrit, le 21 novembre 1903:…

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