Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XII
EXTENSION À L'EST ET À L'OUEST(suite)
Quant aux deux missionnaires catholiques, ils s'employaient à terminer avec du bois arrivé comme miraculeusement ce que les premiers constructeurs n'avaient pu parfaire, faute de matériaux. Puis ils couraient de ci de là, surtout parmi les Aiviliks, leur faisant le catéchisme, pour lequel les adultes ne manifestaient pas trop d'avidité, et le supérieur rapporte même une guérison qu'il est difficile de ne pas qualifier de miraculeuse, obtenue par l'intercession de Mgr de Mazenod, fondateur des Oblats de Marie Immaculée.
La fille d'un protestant, enfant d'une douzaine d'années, s'était gravement blessée au poignet, d'où une hémorragie qui lui avait fait perdre une sérieuse quantité de sang, deux pleins bassins, disait-on. Trois ou quatre jours après que la plaie se fût fermée, elle s'était rouverte d'elle-même, et la pauvre enfant fut bientôt à bout de forces.
Comme on ne pouvait arrêter le sang, et que la malade paraissait plus morte que vive, on alla chercher le prêtre, qui, devant son état désespéré, promit à Mgr de Mazenod de publier le fait si, dans trois jours, elle pouvait marcher. En même temps, il mettait à l'oreille de la jeune Esquimaude des cheveux du Serviteur de Dieu, et la faisait amener chez lui.
Arrivée à la Mission, l'hémorragie s'arrêtait. Mais la malade était si faible qu'elle ne pouvait même pas lever la tête de son oreiller.
Le lendemain matin, elle était assez forte pour s'accouder sur sa couche, et de là suivre les prières de la messe. Dans l'après-midi du même jour, elle marchait ( 8 ) !
C'était au cours de 1928…
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( 8 ) Ibid.., p. 34, 35.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XII
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C'était au cours de 1928. Un an auparavant, une autre fondation religieuse s'était effectuée, juste à l'opposé du pays, laquelle devait reproduire, et même amplifier, les difficultés dues à l'apathie, sinon l'hostilité, des premiers Esquimaux de Chesterfield — et cela pour une double raison facile à comprendre. D'abord les gens avaient abusé de la grâce, et ensuite il y avait la concurrence protestante qui, comme d'habitude, paralysait l'action du prêtre sans parvenir à faire de bons protestants.
On aurait voulu fonder dans le nord, à une place, Pond Inlet, avec laquelle nous aurons plus tard à faire connaissance. La naufrage du Bay Ungava retarda l'érection d'une mission à cette localité, cet accident ayant empêché ce navire d'arriver à temps à l'endroit choisi. Au lieu de l'extrême Nord, on pensa alors à l'Ouest, et l'on se fixa sur l'extrémité occidentale du lac Baker, à 210 milles de N.-D. de la Délivrande.
Le lac Baker est une longue pièce d'eau, qui semble comme le prolongement de la baie, ou inlet, Chesterfield, elle-même faite d'eau qui n'est nullement salée, ainsi que nous l'avons vu. La mission qu'on y érigea fut pénible dès les tout premiers commencements. Le vaisseau chargé des matériaux qu'on utilisa dans sa fondation ayant fait naufrage, se remplit d'eau, puis, à la marée basse, flotta de nouveau et frappa des récifs, après quoi il mit huit jours à se rendre à destination.
Toute sa cargaison était naturellement endommagée. De fait, les sacs de denrées étaient sur le point d'éclater par suite de la fermentation au contact de l'eau. Le bois même était tout mouillé et, pour le moment, perdu.
On s'en servit quand même; mais lorsqu'on installa le poêle dans la nouvelle maison, les planches se retirèrent énormément en séchant, et les murs s'ouvrirent en proportion ; en sorte que les deux fondateurs (9) purent contempler les étoiles à leur aise, sans avoir à sortir de chez eux. Vivres gâtés et pourris, maison extrêmement froide; la situation devenait insupportable. Nos Oblats n'en restèrent pas moins à leur poste.
Du reste, n'avaient-ils pas à leur porte des beautés naturelles, fruit du climat et de la conformation du pays, pour les compenser de toutes ces misères? La mission du lac Baker est la seule qui ne soit pas sur la mer. Bien que sur les bords de l'eau comme tous les principaux points fréquentés par les Esquimaux, elle se trouve, nous l'avons vu, à 210 milles de la baie d'Hudson, c'est-à-dire en pleines Terres Stériles, où les originalités, sinon les rigueurs, du climat font l'admiration de quiconque a une parcelle de génie poétique dans les veines.
Le défunt P. Petitot les décrit ainsi : …
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(9) Deux jeunes prêtres français ordonnés en 1926, les PP. Marcel Rio, du diocèse de Rennes, et Armand Clabaut, du diocèse de Lille, sous la direction du préfet apostolique venu les aider dans l'érection de leur maison.
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Louis- Admin
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Le défunt P. Petitot les décrit ainsi :
« Si nous élevons nos regards vers l'Ourse glacée, qui tourne sans cesse autour de nos têtes comme sur un pivot, notre œil ravi est ébloui du spectacle sublime et multiforme que le magnétisme terrestre, en connexion avec les forces électro-dynamiques, produit dans l'éther assombri par la nuit.
« Brillante couronne terrestre ou aigrettes innombrables, semblables aux feux de Saint-Elme, se jouant à la cîme des mâts; zones d'or capricieusement ondulées, ou bien serpents livides aux reflets métalliques et chatoyants, qui glissent silencieusement et avec un éclat toujours nouveau dans les profondeurs des espaces; arcs-en-ciel concentriques et immobiles, ou bien aurores aux mille rayons rutilants et irrisés; coupoles splendides et diaphanes illuminant le ciel entier et tamisant toutefois la lumière sidérale, ou bien nuées sanglantes et lugubres dans leur immobilité; bandes polaires longues et blanches s'étendant en droite ligne d'un bout à l'autre de l'horizon, comme une route de nacre tracée dans le sombre azur pour le char de Phébé, ou bien frêles et incertaines nébulosités suspendues comme un voile de gaze à des hauteurs incommensurables : la lumière arctique, Protée aérien, revêt toutes ces formes, réjouit l'œil de tous ces feux, se prête à toutes ces combinaisons merveilleuses.
« Le Créateur pouvait-il se montrer artiste plus habile en même temps que physicien plus consommé? Ainsi il charme nos regards, tout en éclairant nos pas et en veillant à l'équilibre du monde.
« L'aurore boréale s'évanouit-elle, la lune radieuse demeure, une lune qui ignore son coucher, comme le Lucifer dont parlent nos saints livres, une lune qui transforme en jours les longues nuits du solstice d'hiver. Tantôt elle s'entoure de halos et de couronnes lumineuses, tantôt elle se multiplie par le mirage de la parasélène.
« Vous représentez-vous ces nuits si calmes, si silencieuses, que les battements de votre cœur deviennent perceptibles ; si froides que les arbres de la forêt éclatent et se fendent sous leur impression et que l'haleine produit, en s'exhalant à travers l'air dense, un bruissement semblable à celui d'une verge d'acier que l'on agite; vous les figurez-vous embellies par la décoration fantastique que forme la lumière en se jouant à travers les frimas, dont la végétation endormis est revêtue et que la pierre a aussi acceptée?...
« Quelquefois, au milieu de ces belles nuits, un éclair subit et sans détonation vous tire de votre rêverie, et vous annonce la fin d'une aurore boréale, d'un orage magnétique
dont le foyer est placé en dehors de votre vue ; ou bien des grondements semblables à ceux du tonnerre vous avertissent du voisinage d'un lac dont les sources font dilater la glace.
« Entendez-vous cette conversation, cette note mélancolique et plaintive du sauvage ?...
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Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XII
EXTENSION À L'EST ET À L'OUEST(suite)
« Entendez-vous cette conversation, cette note mélancolique et plaintive du sauvage ? Percevez-vous ce craquement des raquettes sur la neige gelée, ce tintement de clochettes à chiens, ces claquements de fouet qui se répercutent sous la voûte des bois ou rebondissent sur la surface des lacs comme des coups de feu? Vous pensez que c'est là, tout près de vous, que ces bruits retentissent. Bien, attendez. Les instants et les heures se passeront avant que vous ayez vu arriver les mystérieux voyageurs dont une lieue ou deux vous séparaient. Et cependant un coup de fusil tiré à vos côtés n'a pas plus ébranlé l'atmosphère que si vous eussiez brisé une noix avec un casse-noisette.
« Mais les longues nuits de solstice d'hiver, ces nuits de vingt heures (10) , se sont enfuies dans l'ouest, et l'Esquimau a salué par ses chants et ses danses la réapparition de l'étoile du jour, après une absence de deux mois. Alors peu à peu la scène change, et de nouveaux spectacles sont donnés à l'homme. Ici c'est le phénomène du mirage avec ses illusions, ses fantômes de rivages, ses montagnes renversées, ses arbres qui marchent, ses collines qui se poursuivent, ses dislocations de paysage, ses fantasmagories kaléidoscopiques.
« Là c'est la radieuse parhélie, tantôt segmentaire, tantôt équipolée; le plus souvent avec deux ou trois faux soleils, quelquefois avec quatre, huit et même seize spectres lumineux, qui deviennent le centre d'autant de vastes circonférences; parfois même, mais rarement, horizontale au lieu d'être verticale, elle entoure le spectateur d'une multitude d'images solaires, et le transporte comme sous un dôme dont le pourtour serait illuminé par des lanternes vénitiennes.
« Ce froid intense, plus terrible que le loup blanc des steppes, que l'ours gris des montagnes; ce froid qui saisit sa victime à son insu, instantanément, mortellement, ce froid a sa nécessité, son utilité, ses curiosités bizarres. Il vivifie, active et purifie le sang, il ravive les forces, il décuple l'énergie vitale, il aiguise l'appétit, il favorise les fonctions de l'estomac et le rend le meilleur des calorifères, il endort la douleur, arrête l'hémorragie, prolonge la vie, et, si tant est qu'il nous frappe, c'est en nous envoyant le sommeil, et il nous donne la mort au milieu de rêves dorés.
« Ce froid intense, si sec, si pur, suspend la putréfaction, détruit les miasmes, assainit l'air et en augmente la densité. Il purifie l'eau douce, distille les eaux amères de la mer et les rend potables, il transforme en cristaux le lait, le vin et les liqueurs, il remplace le sel dans les viandes, la cuisson dans les fruits dont il fait des conserves économiques et durables ; il rend comestibles la viande et le suif crus ; il dessèche et étanche les lagunes, arrête le cours des maladies, il favorise l'évaporation et la disparition des neiges et des glaces elles-mêmes, et révèle au chasseur la présence du renne en entourant celui-ci de brouillards.
« Trouvez-vous à la chaleur autant de propriétés » (11).
Descendons maintenant des hauteurs d'un ciel tout à fait spécial au pays même sur lequel il s'étend…
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(10) Nous allons présentement voir que dans certaines des missions de Mgr Turquetil, ces nuits ont parfois la longueur de 92 jours solaires de chez nous! — (11) Petitot, Mémoire abrégé sur la Géographie de l'Athabaskaw-Mackenzie et des Grands Lacs des Bassins arctiques de l'Amérique, ap. Missions des Oblats de Marie Immaculée pour 1875, pp. 227-30.
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Louis- Admin
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Descendons maintenant des hauteurs d'un ciel tout à fait spécial au pays même sur lequel il s'étend. Moins enthousiaste et plus rassis que le méridional Français, un auteur anglais, Warburton Pike, apprécie avec le flegme de sa race les Terres Stériles elles-mêmes, où nos deux Oblats étaient maintenant campés:
« Pour l'homme qui n'est pas amateur de la nature sous toutes ses formes, les Terres Stériles doivent être toujours une criante (howling) sauvagerie pleine de désolation. Quant à moi, je puis comprendre le sentiment qui dictait la réponse de Saltatha au digne prêtre qui lui expliquait les beautés du ciel.
— « Mon Père, tu as bien parlé. Tu as dit que le ciel est très beau; dis-moi maintenant une chose de plus. Est-il plus beau que le pays du bœuf musqué en été, alors que parfois le brouillard s'élève des lacs et que parfois l'eau est bleue et que souvent les huards font entendre leur cri plaintif? Ça c'est beau, et si le ciel est encore plus beau, mon cœur sera content et je serai heureux de m'y reposer jusqu'à un âge fort avancé » (12) .
Mais il n'est guère probable que les fondateurs de la mission du lac Baker...
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(12) Warburton Pike, The Barren Ground of Northern Canada, p. 276. Londres, 1892.
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Louis- Admin
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CHAPITRE XII
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Mais il n'est guère probable que les fondateurs de la mission du lac Baker se soient préoccupés outre mesure des spectacles féeriques dus à une température qu'ils trouvaient, au contraire, bien gênante dans leur réduit ouvert à tous les vents, pas plus que de la beauté des brouillards estivaux et .des plaintes du huard. Ils avaient autre chose à faire, et cet autre chose, ils ne pouvaient malheureusement y réussir.
La population qu'ils étaient venus convertir avait presque toute résidé à Chesterfield. Ses membres avaient donc eu toutes les chances du monde d'embrasser le catholicisme. Mais au lieu de faire cas des enseignements du prêtre, ils avaient en majorité cultivé l'amitié, et copié les manières, des blancs protestants ou agnostiques de la place, qui les avaient encouragés dans leur résistance à la grâce.
Aussi, lorsqu'un comptoir fut établi au milieu d'eux au lac Baker, ils se prétendirent aussi religieux que leurs congénères de Chesterfield Inlet. Mais, prétextant qu'on leur avait à tort refusé le baptême à cette place, ils optèrent pour la religion de leurs commerçants, qui favorisèrent alors la venue d'un ministre protestant, promettant formellement de ne jamais se faire catholiques.
Ils ne devaient que trop longtemps tenir parole, et, pendant six longues années, le prêtre put croire qu'il perdait-son temps avec eux (13). De son côté, au bout de trois ans, le ministre anglican fit quelques baptêmes, juste avant son départ définitif, mais ce n'était guère plus qu'une affaire de marchandage; on voulait pouvoir afficher quelques succès comme compensation pour l'argent déboursé.
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(13) « La Mission Saint-Paul de Baker Lake... a traversé pendant six ans des épreuves pénibles, dont la principale a été l'absence de conversions. Le R. P. Rio n'a eu, pendant ces dures années, que très peu de consolations: quelques baptêmes à l'article de la mort.
« 1933 a vu un changement notable dans la face des choses : six baptêmes d'adultes et une quinzaine de catéchumènes résolus. D'autres sont catéchumènes de cœur, et ne tarderont pas à entrer dans la voie du catéchuménat régulier... Le R. P. Rio a profité de l'été 1933 pour bâtir une chapelle intérieure, et modifier sa maison de fond en comble; en septembre il a posé un clocher sur l'église. Il lui a fallu faire tous les métiers, étant seul à Saint-Paul. La fin de septembre est prise par la pêche; l'hiver sera occupé aux voyages. Il compte aller du côté du lac Yiatkich dans le sud, et y établir un avant-poste bien modeste, une hutte en roches, bourrée de mousse, seuls matériaux de la région » (Missions des O. M. I.., 1934, p. 357).
A suivre : Chapitre XIII. Au Nord et au Sud.
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Louis- Admin
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CHAPITRE XIII
AU NORD ET AU SUD
Le directeur de la nouvelle mission était le P. Rio (1) qui ne pouvait que contraster les dispositions de ses « paroissiens » avec celles des Esquimaux de la station centrale. « Nos chrétiens en permanence à Chesterfield ne dépassent pas la vingtaine », avait-il récemment écrit à un périodique de France (2). « Tous sont employés au service des blancs. La plupart assistent à la messe et communient tous les jours. Quelques familles font ainsi tous les matins presque deux kilomètres, même par les grandes poudreries, et Dieu sait par quels chemins!
« Quelques-uns prennent note du sermon du dimanche. Ils s'assimilent ainsi beaucoup de connaissances religieuses. J'ai entendu un de nos premiers chrétiens commenter pendant quarante minutes les paroles Ave, Maria . Il parlait à des païens, et ceux-ci l'écoutaient comme un Père d'Éphèse » (3)
Son compagnon, le P. Clabaut, avait justement fait à cette mission son oblation perpétuelle, la première, avec celle du Fr. Volant, qu'on eût vue chez les Esquimaux. Deux enfants de cette race servaient la messe, à laquelle assistaient une trentaine de grandes personnes, tandis que le Fr. Girard jouait de l'harmonium, et que MgrTurquetil officiait, entouré des PP. Ducharme et Rio. C'était le 24 août 1927 (4).
Vers le milieu de l'hiver, le préfet apostolique crut devoir aller voir et encourager ses prêtres des deux autres missions continentales. Le Fr. Girard donne de sa visite au cap Esquimau l'aperçu pittoresque que voici :
« Il fait bien froid. Le vent qui soulève la neige ne nous permet pas de voir bien loin. C'est pourtant aujourd'hui qu'il doit arriver.
« Vers trois heures du soir, un point noir apparaît à l'horizon, du côté nord. Bientôt tout se dessine. L'imagination aidant sans doute un peu, nous voyons: les chiens, le guide, la traîne de notre Père lui-même, la barbe frimassée et collée par le gel à son habit de fourrures.
« En un instant, la nouvelle fait le tour du village. Et tous nos Esquimaux, même plusieurs que je croyais indifférents, de s'écrier : « C'est lui, c'est notre Père, le grand Priant ».
« Nous accourons à sa rencontre. Il est tout blanc, couvert de frimas et de neige. Il a voyagé dix jours au pays des glaces. N'est-ce pas suffisant pour avoir l'air d'un glacier mouvant? Mais le cœur d'un apôtre, malgré frimas et neige, est toujours brûlant.
« Seuls ceux qui vivent dans un isolement semblable au nôtre peuvent comprendre la joie qu'apporte l'arrivée de notre Père, le préfet apostolique. Pendant plusieurs jours il sera non seulement avec nous, mais à nous. Il partagera nos joies et nos peines. Il nous encouragera de sa parole ardente, surtout de son exemple . . .
« Il aura le bonheur de baptiser nos catéchumènes et de confirmer tous ceux qui sont prêts à devenir parfaits chrétiens. C'est une ère nouvelle sous le règne de Jésus-Christ commencée humblement il y a trois ans; après les semailles dans les larmes, c'est la moisson dans la joie » (5) .
Après sa visite au cap Esquimau…
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(1) v. ill. 44.— (2) La Revue Apostolique, publication oblate de Lyon. — (3) Les Cloches de Saint-Boniface, septembre 1927, p. 202. — (4) Pour les enfants de chœur, V. la gravure Nº 47. — (5) Ibid., décembre 1928, p. 280.
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Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XIII
AU NORD ET AU SUD(suite)
Après sa visite au cap Esquimau, Mgr Turquetil se rendit au lac Baker, où il arriva le Vendredi-Saint, juste après le chemin de la Croix. Hélas! il n'y trouva point la ferveur de la place qu'il venait de visiter. Pour toute assistance à cet exercice d'ordinaire si impressionnant pour des indigènes, il n'y avait eu qu'une chrétienne et une catéchumène.
Donc vers trois heures et demie, un étranger entrait à la Mission. La neige recouvrait ses vêtements de peau de caribou ; des glaçons entouraient son capuchon.
—Qui est cet individu? demande alors le P. Clabaut au P. Rio.
Mais l'hésitation ne pouvait durer longtemps, et fit vite place à la joie devant le bruyant « bonjour » dont les deux Oblats étaient salués.
— C'est lui, c'est Monseigneur, s'écrient-ils à la fois.
Dès lors plus de grand silence (6) ; plus de deuil à la maison. C'est plutôt un alleluia anticipé. On s'embrasse chaleureusement, et l'on se sent heureux.
« Pensez-y donc », écrit le P. Clabaut, « deux jeunes sans expérience, après six mois passés absolument seuls! Monseigneur est avec nous pour cinq ou six semaines; on va pouvoir se raconter beaucoup de choses, apprendre beaucoup et faire de l'esquimau » (7).
Malgré les dispositions assez peu satisfaisantes de ses habitants, la même mission eut cinq baptêmes d'adultes — un oasis dans le désert. C'était au mois de juillet 1928.
Plus tard, le 25 août de la même année, le P. Clabaut communiquait certains détails sur ce qui lui paraissait présager des jours mauvais pour au moins un point du pays.
« La civilisation approche de nos portes », écrivait-il sous une impression fâcheuse qui, heureusement, ne devait guère se réaliser. « Le chemin de fer arrivera bientôt jusqu'à Churchill, et voilà qu'à une centaine de milles au sud de chez nous, toute une colonie de treize blancs s'est installée à la recherche de soi-disant trésors, mines d'or, etc. Ils ont un avion, auto-chenilles, station de radio avec poste émetteur, etc., etc ...
« Tous ces blancs qui nous arrivent nous font bien du tort. On a plus de misères avec eux qu'avec toutes les rigueurs du climat, des poudreries, de la gelée réunies ensemble. S'ils pouvaient remporter leurs avions, leurs autos et toute leur civilisation diabolique !. . . Enfin c'est une croix pour nous; la croix que le Bon Dieu nous donne pour aider à sauver les Esquimaux » ( 8 ) !
Avant d'entrer dans quelques détails au sujet des développements qui s'annonçaient…
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(6) Que les Oblats observent le Vendredi-Saint. — (7) Ibid., ibid., p. 282. — ( 8 ) Ibid., ibid., p. 283.
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Louis- Admin
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CHAPITRE XIII
AU NORD ET AU SUD(suite)
Avant d'entrer dans quelques détails au sujet des développements qui s'annonçaient, non pas pour le cap Esquimau, mais pour le seul poste de Churchill, il me faut relater un événement que ni le P. Clabaut ni ses gens ne pouvaient certes regretter, un événement qui, de bonne augure pour les missions esquimaudes, était en même temps la plus précieuse récompense possible pour celui qui en était l'objet.
J'ai en mainte occasion dû mentionner le Fr. Girard, son zèle ardent et son inaltérable bonne humeur. Il était maintenant, aux côtés du préfet apostolique, celui qui était le plus en droit de se prévaloir de sa connaissance de la langue indigène, le plus ancien des Oblats sur la Baie, et partant celui que cette même familiarité avec la langue rendait comme indispensable à son supérieur — sans compter son caractère débrouillard et son activité innée.
Un autre religieux, le R. P. Jean-Baptiste Beys, lui avait, paraît-il, fait faire un assez bon cours de philosophie et de théologie lorsque les deux Oblats se trouvaient de maison à Norway-House, à l'extrémité nord du lac Winnipeg. Le P. Beys aimait les sciences ecclésiastiques, et les repassait en récréation en compagnie du Fr. Girard, qui ne se gênait pas pour poser toutes sortes de questions et faire mainte objection, acquérant ainsi une bonne connaissance pratique des sujets à l'étude.
Du reste, la perspective de s'acheminer par là vers le sacerdoce, que Girard avait toujours désiré, l'encourageait beaucoup dans ces études.
Plus tard, à Chesterfield Inlet, le P. Turquetil lui avait lui-même fait suivre un cours en français, d'après Gousset, en 1916-17, puis en 1923-24. Le Frère continua au cap Esquimau; si bien que ses solutions des cas spéciaux qui lui furent soumis donnaient généralement la note juste.
En sorte que, vu les besoins de sa préfecture, et en vue surtout d'une nouvelle fondation depuis longtemps projetée, Mgr Turquetil obtint de Rome un indult spécial pour son ordination aux divers ordres sacrés, dont le couronnement se fit à Régina, Saskatchewan, le 19 mai 1929, aux mains de Mgr Olivier-Elzéar Mathieu, archevêque de cette ville. Ainsi l'ami Girard devint-il alors par l'onction sainte le Révérend Père Prime Girard, O. M. I.
Il allait incontinent inaugurer sa vie sacerdotale…
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XIII
AU NORD ET AU SUD(suite)
Il allait incontinent inaugurer sa vie sacerdotale avec le titre de fondateur et directeur d'une nouvelle mission, celle de Pond Inlet, qu'on allait mettre sous la protection du Sacré-Cœur de Jésus.
Ce qu'on appelle Pond Inlet, ou la longue baie de Pond, n'est ni inlet ni baie, mais plutôt un canal naturel, ou passage par eau, entre l'île Bylot et la Terre de Baffin, au nord de cette dernière. C'est la mission la plus septentrionale du monde, située comme elle est par le 72° 40' de latitude et le 77° 43' de longitude. La gendarmerie canadienne y a un poste, ainsi que la compagnie de la baie d'Hudson.
Le pays est montagneux et pauvre en gibier terrestre, mais le détroit, ou canal, possède, en outre du phoque et du requin, un cétacé d'aspect original, le narval, espèce de baleine dont une des dents frontales se projette en avant chez le mâle, comme une défense d'ivoire, presque aussi longue que la moitié de son corps, qui est loin d'être court. Indépendamment de l'huile et de l'ivoire qu'il fournit, ce cétacé offre dans sa peau elle-même une ressource alimentaire recherchée, un mets des plus délicats. Il est vrai que cette peau n'a pas moins de deux centimètres, soit trois quarts de pouce, d'épaisseur.
A cause de sa situation géographique, bien avant sous le cercle polaire (9), ce pays est extrêmement froid et ses jours très longs, ou très courts, selon la saison. Dès la première moitié de septembre, la neige y recouvre le sol et y reste jusqu'en juillet, tandis que, pendant l'hiver, la nuit dure la valeur de 92 jours et nuits solaires ordinaires, alors qu'on voit les étoiles en plein midi, et qu'on ne peut guère sortir sans fanal.
La première idée d'y fonder une mission vint d'une…
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(9) Qui, comme chacun sait, coïncide avec le 67°.
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Louis- Admin
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CHAPITRE XIII
AU NORD ET AU SUD(suite)
La première idée d'y fonder une mission vint d'une lettre d'un agent de commerce, qui connaissait Mgr Turquetil pour avoir voyagé avec lui à bord du Nascopie. Ce protestant pensait que seule la religion pourrait faire des Esquimaux de bons chasseurs, des gens actifs et assez honnêtes pour payer leurs dettes.
Il en écrivit aux autorités de sa propre secte, qui refusèrent d'accéder à sa requête. Il s'adressa alors au Père Turquetil. C'était en 1923, alors que celui-ci était encore sous la juridiction de Mgr Charlebois. En 1927, le premier étant devenu indépendant de ce prélat, décida d'y faire une fondation, que le naufrage du Bay Ungava remit forcément à plus tard.
Le projet fut repris en 1929, et, au mois de juillet de cette année, les PP. Girard et Bazin prenaient le Nascopie à son passage à la Baie, pour atteindre Pond Inlet le 2 septembre suivant.
Il n'était que temps. Quelques minutes avant qu'ils eussent pu mettre pied à terre, non seulement deux ministres anglicans (qui ne devaient pas vivre longtemps en bonne harmonie ensemble), mais l'un de leurs bishops, ou soi-disant évêques, venu l'on ne sait d'où et qui n'avait point autorité sur le pays, trouvèrent le moyen de débarquer parmi les Esquimaux. A l'aide d'un interprète, ce prétendu prélat s'empressa alors de donner aux indigènes les marques de la véritable Eglise de Jésus-Christ, selon sa théologie toute spéciale.
— Les vrais prêtres, assure-t-il, sont ceux qui sont habillés en hommes. N'ayez rien à faire avec ceux qui portent des robes comme les femmes — par allusion au port de la soutane. Ceux-là mènent le monde en enfer.
Et en moins d'un quart d'heure, les Esquimaux présents étaient baptisés ! ...
Depuis lors, la grande tactique des révérends…
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XIII
AU NORD ET AU SUD(suite)
Depuis lors, la grande tactique des révérends, fut de réunir les Esquimaux au moment précis où le prêtre catholique aurait eu besoin d'eux : le soir, qu'il aurait voulu consacrer au catéchisme, et le matin, alors qu'il célébrait la sainte messe. Dans ce but, ils les attiraient et les retenaient fort tard dans la nuit, les occupant à des jeux, à des vues cinématographiques, à des thés avec biscuits, etc., en sorte que le lendemain matin ils ne pouvaient se lever assez tôt pour assister à la messe.
Les chasseurs y gagnèrent-ils, dans ce pays où les jours sont si courts? Qu'importe; ils avaient un bon repas chaque soir, et cela remplaçait peut-être les phoques et autre gibier qu'ils eussent pu prendre. Dans tous les cas, les ministres réussissaient de cette manière à en éloigner un certain nombre du prêtre qui « mène le monde en enfer ».
Malgré tout, le catholicisme devait finir par s'implanter sur ces plages lointaines et désolées. En dépit des différences dialectiques de la langue locale, le P. Girard put commencer ses instructions dès le mois de décembre 1929, pendant que son compagnon s'efforçait de pénétrer dans ses arcanes plus ou moins rebutantes. Le 12 février 1930, après leurs 92 jours d'obscurité, l'un et l'autre Pères étaient heureux de gravir une côte avoisinante pour saluer le soleil, qui faisait alors une très courte apparition après s'être caché si longtemps.
La population de Pond Inlet avait reçu dans son sein, et gardé une année entière, deux familles chrétiennes de Chesterfield — toujours le nomadisme ! — et en avait profité pour copier les livres du prêtre et apprendre ses cantiques. Les Esquimaux de la place n'avaient jamais vu de prêtre, mais désiraient ardemment sa venue parmi eux. Ce fut donc avec de véritables transports de joie que, en dépit des ministres, ils avaient reçu leurs deux messagers de Jésus-Christ, dans la personne des PP. Girard et Bazin.
Ces aborigènes étaient déjà chrétiens de cœur. Aussi, après leur avoir donné une quarantaine d'instructions sur le catéchisme, les deux Pères crurent-ils pouvoir en baptiser vingt-deux, vieillards et enfants pour la plupart, dont huit eurent bientôt après le bonheur d'être admis à la première communion.
Le 1er août 1930, le P. Bazin, heureux comme son supérieur, écrivait à son tour, s'extasiant sur la longueur des jours polaires: le soleil tournait sans cesse dans le ciel pour ne se coucher qu'au bout de 92 jours, disait-il. « C'est commode pour voyager », ajoutait-il; « et l'on fait à la maison des économies de luminaire » (10).
Les succès de nos missionnaires sur les différents points où ils s'étaient jusque-là établis…
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(10) Missions des O. M. I., 1930, p. 400.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XIII
AU NORD ET AU SUD(suite)
Les succès de nos missionnaires sur les différents points où ils s'étaient jusque-là établis furent dus non seulement à leur zèle infatigable, mais encore et surtout à la merveilleuse assistance de leur grande protectrice, sainte Thérèse de Lisieux, qui ne cessait de veiller sur eux et de donner à leurs ouailles des preuves frappantes de sa toute-puissance sur le Cœur de Dieu.
C'est ainsi que l'automne précédent, 1929, Mgr Turquetil ayant appris par le directeur d'une mission où il arrivait que la femme d'un païen fort connu dans le pays se mourait, il se rendit chez elle, et constata que le médecin du fort de la Compagnie avait déclaré qu'elle achevait d'expectorer son deuxième poumon.
Touché de son état pitoyable, non moins que de l'endurcissement de son mari, le prélat demanda à ce dernier :
— Si notre bonne sainte Thérèse guérit ta femme, embrasseras-tu notre religion?
— Grand Père, répondit-il, si ta sainte fait cela, je te promets d'aller me faire instruire à la Maison de la Prière.
— Entendu, fit Turquetil ; nous allons prier la petite sainte.
Et, de concert avec sa femme, qui était catholique, il commença une neuvaine.
Quelques jours plus tard, la jeune Esquimaude était en parfaite santé! La grande Patronne des missions lui avait obtenu une nouvelle paire de poumons ! ... En veut-on une preuve? Elle courut tout l'hiver devant les chiens de son mari, pendant les voyages, en vue de les encourager dans leur tâche de tirer le traîneau — l'exercice le plus dur pour les poumons qui se puisse imaginer (11) !
La chère petite sainte aidait encore nos missionnaires en aveuglant, pour ainsi dire, même les ministres protestants. Ainsi, tel révérend, installé avant nos missionnaires à telle et telle place, décidait de prendre des vacances dans la civilisation, puis de les prolonger. Heureuse absence, qui permettait au prêtre de travailler à sa place, en sorte que les Esquimaux le voyant à l'œuvre sans relâche, comparaient instinctivement les deux espèces de pasteurs, et se rangeaient du côté de celui qui n'abandonnait point ses ouailles.
L'année suivante, 1930…
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(11) Ibid., ibid., p. 435.
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CHAPITRE XIII
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L'année suivante, 1930, celui qui était l'âme et l'esprit dirigeant de tous les développements jusqu'ici chroniques, Mgr Turquetil, allait faire une fondation dont l'importance, sous certains rapports, devait éclipser celle de toutes les autres.
Depuis longtemps, l'Ouest canadien, devenu comme le grenier d'abondance du monde, réclamait un débouché pour ses produits, son blé et ses bestiaux, considérablement plus proche que Fort-William et Montréal, dont l'éloignement des plaines occidentales entraînait des frais de transport exorbitants; sans compter que la traversée des côtes de la baie d'Hudson en Angleterre était notablement plus courte que celle de Fort-William à Liverpool.
Après des tiraillements sans fin, on s'était mis à construire une ligne de chemin de fer qui devait aboutir à Port- Nelson, sur cette mer intérieure. Puis, des examens topographiques ultérieurs avaient porté les autorités à s'arrêter sur un point où un poste de traite avec Indiens et Esquimaux était établi depuis les temps héroïques du commerce des fourrures. Par l'intermédiaire d'aventuriers aussi osés que belliqueux, la France disputait alors la suprématie à l'Angleterre sur ces plages sauvages.
C'était Churchill, à l'embouchure du fleuve du même nom, par 58° 46' de latitude et 94° 10' de longitude ouest. Comme tête de ligne du chemin de fer de la baie d'Hudson, ce poste ne pouvait, en dépit de sa situation géographique en pays si froid et malgré le caractère rocailleux de son terrain (V. la gravure 56), que prendre une importance hors ligne au point de vue commercial.
Mgr Turquetil était trop perspicace pour ne pas le sentir; il s'était jusqu'alors montré trop actif, trop entreprenant pour ne pas prendre ses précautions en conséquence, et s'implanter fermement dans la métropole en herbe avant qu'il ne fût trop tard.
Aussi le voyons-nous, dès le 28 juin 1930, camper sous la tente au site de la future ville, après avoir passé de longues semaines en pourparlers avec les autorités du chemin de fer, avec le Gouvernement fédéral, ainsi que celui du Manitoba, dans les limites duquel se trouvait la nouvelle place, sans compter de fastidieuses négociations avec divers fournisseurs, des directeurs de messageries, etc., à propos d'expéditions à faire à ses missions. On n'en était plus aux jours du petit orphelin de Reviers!...
Il était alors en train de se construire un petit hangar de 6 mètres carrés, pour abriter ses marchandises — le chemin de fer et le nouveau port devant le libérer de la si longue et si dispendieuse route du Nascopie. Il bâtissait aussi une église provisoire de 9m 15 sur 9m 15.
En outre, l'entreprenant prélat…
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CHAPITRE XIII
AU NORD ET AU SUD(suite)
En outre, l'entreprenant prélat s'était procuré un bateau à moteur, qu'il avait baptisé le Thérèse, et qui venait d'arriver par le train après bien des hésitations et tergiversations, vu qu'il était plus large que les wagons, et qu'on avait dû le faire passer par des voies spéciales.
Ce n'était pourtant pas un transatlantique, bien s'en faut, et il n'était destiné à faire concurrence à personne: 12 mètres 50, soit environ 42 pieds, de long, sur 3 mètres 75, ou 12 pieds et demi, de large. Son moteur avait une force de 50 à 70 chevaux-vapeur, et il était garanti pouvoir faire au moins douze milles à l'heure. Il pesait huit tonnes sans son moteur, avait trois voiles, et les ingénieurs du port, charmés de l'esprit d'initiative du prélat catholique, l'avaient eux-mêmes mis à la mer pour lui.
Ecoutons maintenant l'excellent administrateur et homme d'affaires qu'était le préfet apostolique, nous rappelant qu'il avait alors à Churchill pas moins de sept wagons de marchandises pour ses différentes missions, celle de cette place y comprise:
« Voici le but et l'avantage de ce petit bateau... D'abord je suis sûr de pouvoir aller visiter nos Pères de Southampton Island cette année ; je n'ai plus à dépendre des compagnies comme par le passé: cela seul justifierait l'entreprise. De plus, la Compagnie demande 45 dollars la tonne d'ici au cap Esquimau (180 milles) ; mettez en moyenne une douzaine de tonnes de marchandises pour cette mission (en comptant le charbon naturellement), et voilà 540 dollars.
« Même si nous n'allions jamais à la voile et toujours à toute vitesse, ce qui prend plus de gazoline, je puis faire le voyage, aller et retour, pour 175 dollars, gazoline, vivres, etc., tout compté. Avec un peu de bon vent, il est certain que j'épargne 400 dollars par voyage, car je puis mettre facilement de douze à quinze tonnes de marchandises dans le Thérèse .
« Du cap Esquimau à Chesterfield, j'épargne encore 300 dollars par voyage, et autant de Chesterfield à Baker Lake. Si je puis faire plusieurs voyages, je compte économiser 2.000 dollars sur les transports. L'an prochain, une fois mieux organisé et la première expérience faite, ce sera peut-être davantage. En trois ans au plus, le bateau aura payé ses frais de construction et de transport, et il sera peut-être temps de penser à en avoir un plus gros : tout dépendra des conditions de transport qui nous seront faites alors » (12) .
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(12) Ibid., ibid., p. 394.
A suivre : Chapitre XIV. Progrès et Dangers.
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CHAPITRE XIV
PROGRÈS ET DANGERS
Le Thérèse ne fut pas longtemps sans être mis à l'essai. En quelque deux mois, il avait fait 3.200 milles sur mer, et il serait bien inutile d'ajouter que cette croisière était loin d'être une partie de plaisir.
Dès le 2 juillet 1930, Mgr Turquetil partait pour le nord à bord du petit bateau, en compagnie d'un Frère mécanicien, d'un Frère ouvrier et d'un jeune pilote esquimau emprunté au Cap Esquimau. A cette place, tout le monde était malade, même le vieux Pierre, l'homme de confiance du prêtre, qui connaissait à fond les récifs et les passages difficiles de la route à suivre. Il n'en monta pas moins à bord, dans le but de donner ses directives tout en restant couché à l'abri du vent.
On arriva ainsi à Chesterfield Inlet le 17 juillet, immédiatement après la débâcle des glaces.
Deux jours après, le Thérèse partait pour le lac Baker. Il trouva cette pièce d'eau encore endormie sous la glace de l'hiver. A peine y avait-il une lisière d'eau le long de la côte nord. Après une attente inutile, on rebroussa chemin, descendant à la course le courant doublé de la marée baissante, toutes les voiles en l'air et le moteur à pleine vitesse.
Soudain un choc : le bateau bondit, se couche sur le côté et, dans cette position, de par l'élan qu'il avait pris, passe au-dessus d'un écueil ! Ce n'était plus Pierre qui conduisait la barque, mais un jeune Esquimau. Heureusement que sainte Thérèse était là, et para à l'ignorance ou l'imprudence du pilote.
Son embarcation n'en fut pas moins endommagée. A la Mission centrale, on répara de son mieux les dégâts, et le 30 on repartit, cette fois pour Southampton, qu'on atteignit sans encombre (1).
Là, un vrai délire de joie…
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(1) Après avoir traversé le courant du pôle nord, qui est assez fort pour empêcher parfois l'eau de geler en hiver.
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CHAPITRE XIV
PROGRÈS ET DANGERS(suite)
Là, un vrai délire de joie, d'après le chroniqueur (2) . Il est dix heures et demie du soir, et le brouillard est épais ; tellement qu'on a entendu pendant trois heures le bruit de son moteur, sans rien voir arriver. En sorte qu'on en a conclu à tort que ce moteur doit être bien faible. Lorsque le bateau émerge enfin des profondeurs de la nuit, et qu'on aperçoit ses lumières blanches, rouges et vertes, on se précipite à sa rencontre. Les voyageurs du Thérèse sont reçus en triomphe, et l'effet moral de son arrivée doit être incalculable sur catholiques et protestants.
Le lendemain, vingt-trois Esquimaux recevaient le sacrement de confirmation, ce qui trahit un progrès appréciable pour la mission, en dépit des efforts des sectaires. Puis on alla en visiter d'autres qui demeuraient plus loin. Enfin, après une traversée de quarante-cinq heures sans arrêts ni accidents, on rentrait à N.-D. de la Délivrande, ou Chesterfield.
Après deux autres voyages au lac Baker et un repos relatif à la Mission centrale, on se remit en route pour Churchill, où l'on arrivait vers la fin de septembre, sain et sauf, mais non sans avoir couru de sérieux dangers, à cause de la saison : celle de l'équinoxe d'automne, fameuse pour les tempêtes qui l'accompagnent d'ordinaire.
L'une de ces tempêtes dura cinq jours et cinq nuits : des montagnes liquides, se poursuivant les unes les autres, et se brisant sur les écueils et les rochers du rivage. Pendant ce temps, deux ancres et un câble retenaient le Thérèse à l'abri d'une pointe rocheuse.
Le 3 octobre, fête de sa glorieuse patronne, le temps était de nouveau mauvais et menaçant, faisant danser le bateau comme une coque de noix sur l'eau. Mais la petite sainte y mit le holà, et tout se calma.
Comme pour mieux faire constater le danger couru et l'efficacité de la protection dont on avait bénéficié, on vit à moitié chemin les restes d'un bateau de mineurs échoué durant la tempête, et abandonné. Le vent l'avait juché jusque sur le haut des rochers, à plus de vingt pieds au-dessus de la marée haute, tandis que le lendemain on apprit, en abordant à Churchill, qu'une grosse goélette de la Compagnie, le York, avait subi le même sort : trois ancres n'avaient pu la retenir, et elle s'était brisée à plus d'un mille dans l'intérieur des terres (3).
L'embryon de ville commencée à Churchill n'était pas…
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(2) Missions des O. M. I. pour 1931, p. 90. — (3) Le terrain étant assez bas en ce point de la Côte.
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CHAPITRE XIV
PROGRÈS ET DANGERS(suite)
L'embryon de ville commencée à Churchill n'était pas encore ouvert au public, le Gouvernement voulant prévenir l'engouement des imprudents et ces spéculations à l'américaine qui enrichissent quelques-uns et appauvrissent le plus grand nombre. L'église catholique était bien debout, mais
inachevée, ou plutôt mal achevée. Par exemple, le papier goudronné destiné à rendre murs et toit imperméables, n'ayant point été appliqué en des conditions propices, la pluie ou la neige qui s'est accumulée entre la voûte et le toit n'attend que le moment où un trou, une fissure s'y forme pour tomber en cataractes sur la tête des fidèles.
Regis ad instar, la demeure du préfet est pauvre et son aménagement incomplet. Elle n'a même pas de poêle, un gros bidon à essence (gazoline) le remplace. On l'a percé en dessus pour recevoir le tuyau, et en avant pour y installer une porte en tôle. Ce qui n'empêche pas un ministre du Gouvernement fédéral de rendre visite au prélat catholique, dont le lit sert alors de fauteuil au grand homme.
L'hiver étant arrivé, les travaux de la future ville sont suspendus, et les 250 catholiques blancs de Mgr Turquetil partis et dispersés aux quatre coins du ciel.
Ailleurs on s'ingénue à compléter ou améliorer les premières installations. Ainsi l'église du cap Esquimau, la plus grande de la préfecture, se termine. Une allonge s'ajoute maintenant à la maison des Pères de Southampton. A Pond Inlet, on a expédié du bois pour remédier au mauvais état de la première construction. Au lac Baker, la Mission se trouvant, par suite de certains développements, en dehors du village, le préfet apostolique a acheté deux bâtisses de mineurs qui ont abandonné la place.
Mais de beaucoup la plus importante de toutes ces améliorations matérielles…
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CHAPITRE XIV
PROGRÈS ET DANGERS(suite)
Mais de beaucoup la plus importante de toutes ces améliorations matérielles, est l'établissement d'un hôpital à Chesterfield. Avec un esprit d'initiative et une sainte audace dont on trouve peu d'exemples dans l'histoire des missions, étant données les conditions tout à fait spéciales de celles de Mgr Turquetil, ce prélat en avait justement fait construire le bâtiment, à l'érection duquel il avait travaillé, ainsi que ses compagnons, pendant ce « repos relatif » qu'il avait pris là au cours de la croisière qui lui avait permis de visiter quatre de ses postes.
Cet hôpital, de beaucoup la plus grande bâtisse du pays, avait 40 pieds sur 60, trois étages, y compris le rez-de-chaussée ou soubassement, et reposait sur des fondations en ciment. Dans l'automne de 1930, la toiture en était terminée, et deux tempêtes successives, avec vent de 48 à 50 milles à l'heure selon les instruments du Gouvernement, ne purent l'ébranler. Les PP. Ducharme et Rio, aidés du Fr. Volant qui, paraît-il, y travaillait avec tant d'ardeur qu'il en oubliait ses marmites, en avaient été les ouvriers constructeurs, ou entrepreneurs.
Des Sœurs Grises de Nicolet, qui ne voulaient pas rester en arrière en fait d'esprit de sacrifice, devaient venir l'année suivante prendre charge de la nouvelle institution, et prodiguer les marques de leur dévouement aux membres souffrants de Jésus-Christ sur ces plages désolées.
Au moment même où nous en sommes dans notre récit, pareille institution de charité aurait rendu les plus grands services en deux autres missions, celle du cap Esquimau et celle de l'île Southampton, sans compter Churchill lui-même, qui se dégarnissait pourtant à l'approche de l'hiver.
Ce n'était ni plus ni moins qu'une épidémie de pneumonie, qui fit alors de grands ravages parmi les Esquimaux. Puis, à Chesterfield, ce fût la mort de Pierre, l'un des premiers convertis de 1917. Ce n'est pas la pneumonie qui l'emporta, mais il quitta ce monde après six années de souffrances, supportées avec une patience qui faisait l'admiration de tous.
— Celui-là est un vrai chrétien, disaient les infidèles; autrement il y a longtemps qu'il se serait suicidé.
Le docteur lui ayant fait une piqûre de morphine, il resta six jours sans connaissance. Quand il revint à lui, il parla longuement de son bonheur d'être chrétien, suppliant tous ceux qui venaient le voir d'être fermes dans leur foi, de se montrer chrétiens de fait et non pas seulement en paroles.
— Pour moi, ajoutait-il, je vais m'éteindre comme une pipe à bout de tabac; mais c'est Jésus qui est le maître de ma vie : il fera de moi ce qu'il voudra.
Il mourut des suites d'un accident, dû à l'intrusion de la civilisation dans son humble foyer. Il avait une lampe à pétrole, que sa femme, aveugle, crut baisser avant de s'endormir le soir. Malheureusement elle fit tout le contraire; elle la haussa démesurément, en sorte que le lendemain matin, le P. Ducharme, appelé en toute hâte, ne trouva chez le bon vieux qu'un nuage d'épaisse fumée. Il parvint à sortir les quatre personnes qui habitaient son gîte ; mais le pauvre Pierre, sans connaissance, en mourut quatre jours plus tard.
Au cap Esquimau…
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CHAPITRE XIV
PROGRÈS ET DANGERS(suite)
Au cap Esquimau, le P. Alain Kermel (4) et son supérieur, le P. Thibert (5), manquèrent de mourir tous les deux d'un accident qui avait quelque analogie avec celui qui eut raison du vieil Esquimau, l'asphyxie, due, tout étrange que cela puisse paraître, à l'extrême rigueur du climat conjuguée avec les moyens normaux d'y remédier chez les civilisés.
C'était aussi dans la nuit, entre le 22 et le 23 janvier 1931. Il faisait un froid si cuisant, que le tuyau du poêle se boucha complètement sur une longueur d'un mètre, en conséquence du givre qui s'y forma au contact de l'air extérieur.
Une fois couché, le P. Kermel se mit à tousser et à cracher, pendant que le gaz le prenait à la gorge et que son estomac se soulevait, sous l'effet d'un malaise qui semblait devoir le faire passer de vie à trépas.
N'osant réveiller son supérieur, et voulant lutter jusqu'au bout contre ce malaise, le jeune prêtre se leva et descendit à la cuisine ; mais le vertige le prit. Il parvint pourtant à sortir un instant de la maison, et put contempler une superbe aurore boréale qui illuminait le ciel; mais le froid était si piquant qu'il dut rentrer de suite.
Le matin, le même Père trouva le P. Thibert étendu sur le dos, dans l'attitude d'un mort, sans mouvement ni parole, Comme il ne répondait point aux questions de son confrère, celui-ci alla chercher de l'eau froide. Peine perdue. Il le traîna jusqu'à la porte de l'église. Le malade ouvrit alors les yeux, et reprit connaissance.
— Ouvrez toutes les portes, dit-il alors d'une voix éteinte.
Puis,
— Habillons-nous et sortons.
Telle fut la conclusion d'un drame qui aurait pu se terminer dans l'éternité. Le lecteur aura compris que les deux prêtres avaient manqué mourir asphyxiés sous l'effet du gaz du charbon, qui ne pouvait plus s'échapper par le tuyau bouché par la gelée. Comprendra-t-on, après cela, l'intensité du froid en ce bienheureux pays? On dit parfois, par manière de plaisanterie, qu'il fait assez froid pour geler le feu. Dans le cas en question, le froid avait non seulement gelé, mais rempli de givre, un tuyau de poêle chauffé au charbon !
Pendant ce temps…
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(4) Du diocèse de Quimper, en Bretagne, où il était né en 1903; ordonné prêtre en 1928. — (5) V. ill. 44.
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CHAPITRE XIV
PROGRÈS ET DANGERS(suite)
Pendant ce temps, les missionnaires du poste polaire de Pond Inlet se réjouissaient du départ d'un Rév. M. Duncan, ministre anglican qui n'avait pu s'entendre avec son collègue, en dépit du fait que leur archidiacre avait proclamé à la radio que les deux copains avaient été créés et mis au monde à seule fin de pouvoir être missionnaires esquimaux (6).
Ces deux-là, paraît-il, ne craignaient rien, pas même les papistes. A tel point qu'on leur avait fait signer un contrat de cinq ans, pendant lesquels ils devaient rester chez les Esquimaux, ce qui portait le frère de l'un d'eux à écrire qu'un tel arrangement était inhumain. Le même Père Girard, qui nous donne ces détails, ajoute:
« Enfin la mission du Sacré-Cœur est fondée. Elle a son église, petite, il est vrai, mais aussi riche que les grandes cathédrales, car elle possède le même Dieu. Elle a aussi des chrétiens, au nombre de vingt-deux. Que Dieu soit béni!... S'il a permis que je sois envoyé ici, connaissant le pauvre outil que je suis, il est forcément obligé de tout faire. C'est bien lui qui a tout fait, en nous accordant des conversions dès la première année ».
Cette mission comptait alors de 330 à 340 indigènes, répartis ainsi qu'il suit : les gens de Pond Inlet même, à savoir les Tunnunermiouts, 22 familles, 90 âmes; ceux d'Arctic Bay, 10 familles, 50 personnes; ceux qui vivent à l'est d'Igloulik, 20 familles, 75 personnes, et les Iglouliks, 25 familles, 110 âmes.
Le P. Girard, cité plus haut, termine sa lettre par une allusion à son compagnon, le P. Etienne Bazin, avec lequel nous aurons l'occasion de faire plus ample connaissance.
« Je suis content », dit-il, « de voir que le P. Bazin a passé un bon hiver. Il ne s'en fait pas; il mange le phoque comme un vrai Esquimau. Pour lui ce n'est pas la qualité, mais la quantité qui compte. Bref, il a passé un bon hiver » (7).
Nous verrons dans notre chapitre final que personne mieux que lui ne put vivre en parfait Esquimau. Rien ne lui arrache sa sérénité d'âme, et les déboires les plus inattendus ne peuvent rider la surface de son tempérament, toujours content, toujours heureux, même dans les circonstances les plus crucifiantes. Une seule chose semble l'intriguer, ou le mettre mal à l'aise. Il pense tellement aux autres, même au bien-être des animaux, qu'il s'étonne de la longueur, sept ou huit pieds, de la défense du narval qui part juste de sa mâchoire. « Ce doit être bien malcommode», ne peut-il s'empêcher de remarquer...
Parlant de la faune du pays esquimau…
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(6) Missions des O. M. I., 1931, p. 459. — (7) Ibid., ibid., p. 460. — ( 8 ) Ibid., ibid., p. 699.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XIV
PROGRÈS ET DANGERS(suite)
Parlant de la faune du pays esquimau, le P. Clabaut, maintenant sur l'île de Southampton, après avoir été « comme un Bohémien voyageant un peu partout » ( 8 ), nous fait faire connaissance avec ses principaux représentants.
C'est d'abord l'ours blanc, qui s'y rencontre assez fréquemment, au point que parfois ce fauve est surpris se promenant autour des habitations, et visitant même le cimetière de la Mission (9), alors qu'il fait trêve un moment à son occupation ordinaire, la chasse au phoque.
Le prêtre parle ensuite des baleines blanches, et même des grosses baleines, de troupeaux de phoques qui dansent et disparaissent par ci par là, de gros morses, ou éléphants de mer, qui vous regardent passer, et font le plongeon pour aller digérer au fond de la mer les moules et coquillages de leur dîner. V. illustration N° 32.
Il y a encore, au printemps et en été, une grande variété d'oiseaux, près de soixante-dix espèces, paraît-il, dont les œufs constituent une charmante addition au maigre menu du missionnaire. Voir l'illustration N° 75.
« Durant le mois de juin », écrit le P. Clabaut, « il n'est pas nécessaire d'aller bien loin pour revenir avec plusieurs douzaines d'œufs frais pour son souper. Les perdrix blanches et les hibous hivernent à Southampton, et on peut en tuer de temps en temps » (10).
Puis le même missionnaire devient ethnologue, tout en restant prêtre catholique, et nous fournit les détails qui suivent: …
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(9) V. ill. 69. et V. ill. 69.(Addendum) — (10) Ibid., ibid., p. 701.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XIV
PROGRÈS ET DANGERS(suite)
Puis le même missionnaire devient ethnologue, tout en restant prêtre catholique, et nous fournit les détails qui suivent:
« Il y a actuellement, à Southampton, à peu près cent cinquante Esquimaux, divisés en deux tribus: les Aiviliks, venus de Chesterfield et des environs, Wager Inlet, Repulse Bay.. ., et les Okkomiouts, amenés de la Terre de Baffin. Ces derniers ont reçu, par-dessus leur paganisme, un vernis anglican. Ils lisent la Bible et connaissent par cœur certains passages des psaumes ; ils ont été baptisés par quelque ministre de passage en été, ou par quelque Esquimau décoré du titre de catéchiste.
« Mais ils se prêtent leurs femmes, divorcent, travaillent le dimanche, mentent et volent sans que leur religion en souffre aucunement. C'est le cas pour la majorité, bien qu'il y ait parmi eux certains esprits droits, bien intentionnés et convaincus » (11) .
Pendant ce temps, le préfet apostolique n'était pas inactif, bien s'en faut. Le lundi de Pâques, 6 avril 1931, il s'était rendu à Nicolet, où il avait obtenu quatre Sœurs Grises pour l'hôpital qu'il avait bâti l'année précédente, et le 5 juillet il arrivait avec elles à Churchill, où il dut rester jusqu'au 23.
Il fit alors sur le Thérèse un voyage d'affaires, qui fut signalé par un accident peu banal, alors qu'il était conduit par le P. Ducharme et sans pilote responsable. A six milles du rivage, il échoua sur un récif caché à la marée haute, et se coucha sur le côté, comme pour se reposer des fatigues de la croisière qu'on venait de lui imposer.
Pour l'empêcher de verser complètement, on le tint immobile au moyen de bâtons de tente esquimaux. L'un de ces supports s'étant brisé, le bateau tomba assez violemment sur le côté, — histoire de faire constater le danger, en vue de faire mieux apprécier la protection dont on était l'objet. Un coup de vent l'eût sans doute fini à tout jamais, mais sainte Thérèse était là, et, huit heures plus tard, la marée montante le remit sur pied.
Le 11 août suivant, les religieuses en compagnie du préfet apostolique…
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(11) Ibid., ibid., p. 701-02.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XIV
PROGRÈS ET DANGERS(suite)
Le 11 août suivant, les religieuses en compagnie du préfet apostolique, arrivaient à Chesterfield par le bateau de la Compagnie. Heureuses et gaies, elles étaient reçues avec un profond respect mêlé de sympathie par les Esquimaux, qui n'allaient pas tarder à admirer la perfection de l'aménagement de l'institution destinée à leurs malades. Son système de chauffage, l'électricité, les réservoirs et pompes, les cabinets hygiéniques et le revêtement des cloisons qui les rendait à l'épreuve du feu étaient prêts au premier étage le 25 septembre suivant.
Seuls les travaux de plomberie étaient dus à un homme du métier amené de Montréal. Les Oblats s'étaient chargés de tout le reste.
On bénit solennellement la chapelle, le parloir, la cuisine, les appartements réservés aux Sœurs, et, le lendemain, à une heure du matin, Mgr Turquetil y disait la première messe, pour repartir de suite pour Churchill avec son petit Thérèse.
Le retour fut marqué par une protection toute spéciale de sa puissante Patronne, que le lecteur me permettra de ne pas relater. On se fatigue même des meilleures choses. Qu'il me suffise de remarquer qu'au plus fort du péril, on se crut obligé de lui promettre un triduum de messes d'actions de grâces si l'on pouvait revoir Churchill sain et sauf.
Peu après, on arrivait à bon port, et, écrit Mgr Turquetil, « quelques instants plus tard, nous étions tous à genoux devant la statue de la « petite Thérèse », la remerciant de tout cœur. Les Pères de la mission de Churchill se joignaient à nous avec d'autant plus de ferveur que, en regardant la mer démontée, il leur semblait incroyable que nous ayons navigué toute la nuit par un temps pareil. Et le petit Thérèse n'avait pas pris une goutte d'eau » (12).
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(12) ibid., 1932, p. 119.
A suivre: Chapitre XV. Evêque.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XV
ÉVÊQUE
L'arrivée du chemin de fer à Churchill devait avoir une grande influence sur la vie de Mgr Turquetil. Non seulement il avait dû y établir un poste, qui devait sûrement se transformer avec le temps en paroisse régulière, mais les facilités de communication que la place offrait dès lors le décidèrent à en faire sa résidence habituelle.
De là il pourrait sans trop de difficulté faire ses achats pour l'approvisionnement annuel de ses missions; de là il aurait, par l'intermédiaire de son Thérèse, toute facilité de leur distribuer cet approvisionnement, et de faire à leurs titulaires les visites imposées par la charité et les exigences des règles ecclésiastiques et religieuses.
Avec lui, naturellement, pour assurer la continuité du ministère en ses nombreuses absences, il fallait au moins un prêtre de langue anglaise ou familier avec l'anglais, pour desservir les ouvriers catholiques actuels ou les habitants de même religion de la ville en formation.
Cet homme providentiel, il avait cru le trouver dans la personne d'un prêtre dont il avait fait l'acquisition l'année précédente, et dont il avait écrit le 28 juin 1930:
« L'abbé Charest, ancien secrétaire et chancelier de MGR Mathieu, l'archevêque défunt de Régina, je l'ai obtenu de son successeur, Mgr McGuigan. Il part cet après-midi du Pas, pour nous arriver demain dans la nuit.
« Excellent prêtre, très expérimenté dans la correspondance officielle et la comptabilité, ayant depuis son enfance l'envie des missions, c'est la plus belle acquisition que j'aurais pu faire, même si j'avais travaillé des années entières à chercher quelqu'un de cette trempe pour m'aider » (1).
Malheureusement, à côté des brillantes qualités qu'il lui reconnaissait, l'objet de son choix avait un malencontreux défaut, qu'il ne pouvait guère corriger lui-même — la maladie. Aussi le prélat comptait-il pour cela sur sa protectrice habituelle.
« La petite Thérèse nous a beaucoup aidés pour l'obtenir », continuait-il ; « j'espère qu'elle nous aidera encore en lui conservant la santé qui, chez lui, est plutôt faible; mais le climat de l'Ouest l'ayant assez bien rétabli, il y a lieu de croire que celui de Churchill lui sera favorable » (2).
Cet espoir ne devait pas se réaliser, et l'abbé Charest ne put rester à Churchill. Un P. Gerald O'Shea, 0. M. I., qui lui succéda à côté du P. Duplain, ne devait pas davantage persévérer dans un poste encore si dépourvu des commodités de la vie civilisée. Toutes les races ne sont pas aux mêmes degrés propres aux sacrifices de l'apostolat.
Mais l'heure allait sonner où Churchill…
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(1) Mission des O.M.I., 1930, 9. 375-6. — (2) Ibid., ibid., p. 376.
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