Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XIV
PROGRÈS ET DANGERS
Le Thérèse ne fut pas longtemps sans être mis à l'essai. En quelque deux mois, il avait fait 3.200 milles sur mer, et il serait bien inutile d'ajouter que cette croisière était loin d'être une partie de plaisir.
Dès le 2 juillet 1930, Mgr Turquetil partait pour le nord à bord du petit bateau, en compagnie d'un Frère mécanicien, d'un Frère ouvrier et d'un jeune pilote esquimau emprunté au Cap Esquimau. A cette place, tout le monde était malade, même le vieux Pierre, l'homme de confiance du prêtre, qui connaissait à fond les récifs et les passages difficiles de la route à suivre. Il n'en monta pas moins à bord, dans le but de donner ses directives tout en restant couché à l'abri du vent.
On arriva ainsi à Chesterfield Inlet le 17 juillet, immédiatement après la débâcle des glaces.
Deux jours après, le Thérèse partait pour le lac Baker. Il trouva cette pièce d'eau encore endormie sous la glace de l'hiver. A peine y avait-il une lisière d'eau le long de la côte nord. Après une attente inutile, on rebroussa chemin, descendant à la course le courant doublé de la marée baissante, toutes les voiles en l'air et le moteur à pleine vitesse.
Soudain un choc : le bateau bondit, se couche sur le côté et, dans cette position, de par l'élan qu'il avait pris, passe au-dessus d'un écueil ! Ce n'était plus Pierre qui conduisait la barque, mais un jeune Esquimau. Heureusement que sainte Thérèse était là, et para à l'ignorance ou l'imprudence du pilote.
Son embarcation n'en fut pas moins endommagée. A la Mission centrale, on répara de son mieux les dégâts, et le 30 on repartit, cette fois pour Southampton, qu'on atteignit sans encombre (1).
Là, un vrai délire de joie…
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(1) Après avoir traversé le courant du pôle nord, qui est assez fort pour empêcher parfois l'eau de geler en hiver.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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CHAPITRE XIV
PROGRÈS ET DANGERS(suite)
Là, un vrai délire de joie, d'après le chroniqueur (2) . Il est dix heures et demie du soir, et le brouillard est épais ; tellement qu'on a entendu pendant trois heures le bruit de son moteur, sans rien voir arriver. En sorte qu'on en a conclu à tort que ce moteur doit être bien faible. Lorsque le bateau émerge enfin des profondeurs de la nuit, et qu'on aperçoit ses lumières blanches, rouges et vertes, on se précipite à sa rencontre. Les voyageurs du Thérèse sont reçus en triomphe, et l'effet moral de son arrivée doit être incalculable sur catholiques et protestants.
Le lendemain, vingt-trois Esquimaux recevaient le sacrement de confirmation, ce qui trahit un progrès appréciable pour la mission, en dépit des efforts des sectaires. Puis on alla en visiter d'autres qui demeuraient plus loin. Enfin, après une traversée de quarante-cinq heures sans arrêts ni accidents, on rentrait à N.-D. de la Délivrande, ou Chesterfield.
Après deux autres voyages au lac Baker et un repos relatif à la Mission centrale, on se remit en route pour Churchill, où l'on arrivait vers la fin de septembre, sain et sauf, mais non sans avoir couru de sérieux dangers, à cause de la saison : celle de l'équinoxe d'automne, fameuse pour les tempêtes qui l'accompagnent d'ordinaire.
L'une de ces tempêtes dura cinq jours et cinq nuits : des montagnes liquides, se poursuivant les unes les autres, et se brisant sur les écueils et les rochers du rivage. Pendant ce temps, deux ancres et un câble retenaient le Thérèse à l'abri d'une pointe rocheuse.
Le 3 octobre, fête de sa glorieuse patronne, le temps était de nouveau mauvais et menaçant, faisant danser le bateau comme une coque de noix sur l'eau. Mais la petite sainte y mit le holà, et tout se calma.
Comme pour mieux faire constater le danger couru et l'efficacité de la protection dont on avait bénéficié, on vit à moitié chemin les restes d'un bateau de mineurs échoué durant la tempête, et abandonné. Le vent l'avait juché jusque sur le haut des rochers, à plus de vingt pieds au-dessus de la marée haute, tandis que le lendemain on apprit, en abordant à Churchill, qu'une grosse goélette de la Compagnie, le York, avait subi le même sort : trois ancres n'avaient pu la retenir, et elle s'était brisée à plus d'un mille dans l'intérieur des terres (3).
L'embryon de ville commencée à Churchill n'était pas…
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(2) Missions des O. M. I. pour 1931, p. 90. — (3) Le terrain étant assez bas en ce point de la Côte.
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Louis- Admin
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L'embryon de ville commencée à Churchill n'était pas encore ouvert au public, le Gouvernement voulant prévenir l'engouement des imprudents et ces spéculations à l'américaine qui enrichissent quelques-uns et appauvrissent le plus grand nombre. L'église catholique était bien debout, mais
inachevée, ou plutôt mal achevée. Par exemple, le papier goudronné destiné à rendre murs et toit imperméables, n'ayant point été appliqué en des conditions propices, la pluie ou la neige qui s'est accumulée entre la voûte et le toit n'attend que le moment où un trou, une fissure s'y forme pour tomber en cataractes sur la tête des fidèles.
Regis ad instar, la demeure du préfet est pauvre et son aménagement incomplet. Elle n'a même pas de poêle, un gros bidon à essence (gazoline) le remplace. On l'a percé en dessus pour recevoir le tuyau, et en avant pour y installer une porte en tôle. Ce qui n'empêche pas un ministre du Gouvernement fédéral de rendre visite au prélat catholique, dont le lit sert alors de fauteuil au grand homme.
L'hiver étant arrivé, les travaux de la future ville sont suspendus, et les 250 catholiques blancs de Mgr Turquetil partis et dispersés aux quatre coins du ciel.
Ailleurs on s'ingénue à compléter ou améliorer les premières installations. Ainsi l'église du cap Esquimau, la plus grande de la préfecture, se termine. Une allonge s'ajoute maintenant à la maison des Pères de Southampton. A Pond Inlet, on a expédié du bois pour remédier au mauvais état de la première construction. Au lac Baker, la Mission se trouvant, par suite de certains développements, en dehors du village, le préfet apostolique a acheté deux bâtisses de mineurs qui ont abandonné la place.
Mais de beaucoup la plus importante de toutes ces améliorations matérielles…
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Louis- Admin
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Mais de beaucoup la plus importante de toutes ces améliorations matérielles, est l'établissement d'un hôpital à Chesterfield. Avec un esprit d'initiative et une sainte audace dont on trouve peu d'exemples dans l'histoire des missions, étant données les conditions tout à fait spéciales de celles de Mgr Turquetil, ce prélat en avait justement fait construire le bâtiment, à l'érection duquel il avait travaillé, ainsi que ses compagnons, pendant ce « repos relatif » qu'il avait pris là au cours de la croisière qui lui avait permis de visiter quatre de ses postes.
Cet hôpital, de beaucoup la plus grande bâtisse du pays, avait 40 pieds sur 60, trois étages, y compris le rez-de-chaussée ou soubassement, et reposait sur des fondations en ciment. Dans l'automne de 1930, la toiture en était terminée, et deux tempêtes successives, avec vent de 48 à 50 milles à l'heure selon les instruments du Gouvernement, ne purent l'ébranler. Les PP. Ducharme et Rio, aidés du Fr. Volant qui, paraît-il, y travaillait avec tant d'ardeur qu'il en oubliait ses marmites, en avaient été les ouvriers constructeurs, ou entrepreneurs.
Des Sœurs Grises de Nicolet, qui ne voulaient pas rester en arrière en fait d'esprit de sacrifice, devaient venir l'année suivante prendre charge de la nouvelle institution, et prodiguer les marques de leur dévouement aux membres souffrants de Jésus-Christ sur ces plages désolées.
Au moment même où nous en sommes dans notre récit, pareille institution de charité aurait rendu les plus grands services en deux autres missions, celle du cap Esquimau et celle de l'île Southampton, sans compter Churchill lui-même, qui se dégarnissait pourtant à l'approche de l'hiver.
Ce n'était ni plus ni moins qu'une épidémie de pneumonie, qui fit alors de grands ravages parmi les Esquimaux. Puis, à Chesterfield, ce fût la mort de Pierre, l'un des premiers convertis de 1917. Ce n'est pas la pneumonie qui l'emporta, mais il quitta ce monde après six années de souffrances, supportées avec une patience qui faisait l'admiration de tous.
— Celui-là est un vrai chrétien, disaient les infidèles; autrement il y a longtemps qu'il se serait suicidé.
Le docteur lui ayant fait une piqûre de morphine, il resta six jours sans connaissance. Quand il revint à lui, il parla longuement de son bonheur d'être chrétien, suppliant tous ceux qui venaient le voir d'être fermes dans leur foi, de se montrer chrétiens de fait et non pas seulement en paroles.
— Pour moi, ajoutait-il, je vais m'éteindre comme une pipe à bout de tabac; mais c'est Jésus qui est le maître de ma vie : il fera de moi ce qu'il voudra.
Il mourut des suites d'un accident, dû à l'intrusion de la civilisation dans son humble foyer. Il avait une lampe à pétrole, que sa femme, aveugle, crut baisser avant de s'endormir le soir. Malheureusement elle fit tout le contraire; elle la haussa démesurément, en sorte que le lendemain matin, le P. Ducharme, appelé en toute hâte, ne trouva chez le bon vieux qu'un nuage d'épaisse fumée. Il parvint à sortir les quatre personnes qui habitaient son gîte ; mais le pauvre Pierre, sans connaissance, en mourut quatre jours plus tard.
Au cap Esquimau…
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Louis- Admin
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Au cap Esquimau, le P. Alain Kermel (4) et son supérieur, le P. Thibert (5), manquèrent de mourir tous les deux d'un accident qui avait quelque analogie avec celui qui eut raison du vieil Esquimau, l'asphyxie, due, tout étrange que cela puisse paraître, à l'extrême rigueur du climat conjuguée avec les moyens normaux d'y remédier chez les civilisés.
C'était aussi dans la nuit, entre le 22 et le 23 janvier 1931. Il faisait un froid si cuisant, que le tuyau du poêle se boucha complètement sur une longueur d'un mètre, en conséquence du givre qui s'y forma au contact de l'air extérieur.
Une fois couché, le P. Kermel se mit à tousser et à cracher, pendant que le gaz le prenait à la gorge et que son estomac se soulevait, sous l'effet d'un malaise qui semblait devoir le faire passer de vie à trépas.
N'osant réveiller son supérieur, et voulant lutter jusqu'au bout contre ce malaise, le jeune prêtre se leva et descendit à la cuisine ; mais le vertige le prit. Il parvint pourtant à sortir un instant de la maison, et put contempler une superbe aurore boréale qui illuminait le ciel; mais le froid était si piquant qu'il dut rentrer de suite.
Le matin, le même Père trouva le P. Thibert étendu sur le dos, dans l'attitude d'un mort, sans mouvement ni parole, Comme il ne répondait point aux questions de son confrère, celui-ci alla chercher de l'eau froide. Peine perdue. Il le traîna jusqu'à la porte de l'église. Le malade ouvrit alors les yeux, et reprit connaissance.
— Ouvrez toutes les portes, dit-il alors d'une voix éteinte.
Puis,
— Habillons-nous et sortons.
Telle fut la conclusion d'un drame qui aurait pu se terminer dans l'éternité. Le lecteur aura compris que les deux prêtres avaient manqué mourir asphyxiés sous l'effet du gaz du charbon, qui ne pouvait plus s'échapper par le tuyau bouché par la gelée. Comprendra-t-on, après cela, l'intensité du froid en ce bienheureux pays? On dit parfois, par manière de plaisanterie, qu'il fait assez froid pour geler le feu. Dans le cas en question, le froid avait non seulement gelé, mais rempli de givre, un tuyau de poêle chauffé au charbon !
Pendant ce temps…
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(4) Du diocèse de Quimper, en Bretagne, où il était né en 1903; ordonné prêtre en 1928. — (5) V. ill. 44.
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Louis- Admin
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Pendant ce temps, les missionnaires du poste polaire de Pond Inlet se réjouissaient du départ d'un Rév. M. Duncan, ministre anglican qui n'avait pu s'entendre avec son collègue, en dépit du fait que leur archidiacre avait proclamé à la radio que les deux copains avaient été créés et mis au monde à seule fin de pouvoir être missionnaires esquimaux (6).
Ces deux-là, paraît-il, ne craignaient rien, pas même les papistes. A tel point qu'on leur avait fait signer un contrat de cinq ans, pendant lesquels ils devaient rester chez les Esquimaux, ce qui portait le frère de l'un d'eux à écrire qu'un tel arrangement était inhumain. Le même Père Girard, qui nous donne ces détails, ajoute:
« Enfin la mission du Sacré-Cœur est fondée. Elle a son église, petite, il est vrai, mais aussi riche que les grandes cathédrales, car elle possède le même Dieu. Elle a aussi des chrétiens, au nombre de vingt-deux. Que Dieu soit béni!... S'il a permis que je sois envoyé ici, connaissant le pauvre outil que je suis, il est forcément obligé de tout faire. C'est bien lui qui a tout fait, en nous accordant des conversions dès la première année ».
Cette mission comptait alors de 330 à 340 indigènes, répartis ainsi qu'il suit : les gens de Pond Inlet même, à savoir les Tunnunermiouts, 22 familles, 90 âmes; ceux d'Arctic Bay, 10 familles, 50 personnes; ceux qui vivent à l'est d'Igloulik, 20 familles, 75 personnes, et les Iglouliks, 25 familles, 110 âmes.
Le P. Girard, cité plus haut, termine sa lettre par une allusion à son compagnon, le P. Etienne Bazin, avec lequel nous aurons l'occasion de faire plus ample connaissance.
« Je suis content », dit-il, « de voir que le P. Bazin a passé un bon hiver. Il ne s'en fait pas; il mange le phoque comme un vrai Esquimau. Pour lui ce n'est pas la qualité, mais la quantité qui compte. Bref, il a passé un bon hiver » (7).
Nous verrons dans notre chapitre final que personne mieux que lui ne put vivre en parfait Esquimau. Rien ne lui arrache sa sérénité d'âme, et les déboires les plus inattendus ne peuvent rider la surface de son tempérament, toujours content, toujours heureux, même dans les circonstances les plus crucifiantes. Une seule chose semble l'intriguer, ou le mettre mal à l'aise. Il pense tellement aux autres, même au bien-être des animaux, qu'il s'étonne de la longueur, sept ou huit pieds, de la défense du narval qui part juste de sa mâchoire. « Ce doit être bien malcommode», ne peut-il s'empêcher de remarquer...
Parlant de la faune du pays esquimau…
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(6) Missions des O. M. I., 1931, p. 459. — (7) Ibid., ibid., p. 460. — ( 8 ) Ibid., ibid., p. 699.
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Louis- Admin
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Parlant de la faune du pays esquimau, le P. Clabaut, maintenant sur l'île de Southampton, après avoir été « comme un Bohémien voyageant un peu partout » ( 8 ), nous fait faire connaissance avec ses principaux représentants.
C'est d'abord l'ours blanc, qui s'y rencontre assez fréquemment, au point que parfois ce fauve est surpris se promenant autour des habitations, et visitant même le cimetière de la Mission (9), alors qu'il fait trêve un moment à son occupation ordinaire, la chasse au phoque.
Le prêtre parle ensuite des baleines blanches, et même des grosses baleines, de troupeaux de phoques qui dansent et disparaissent par ci par là, de gros morses, ou éléphants de mer, qui vous regardent passer, et font le plongeon pour aller digérer au fond de la mer les moules et coquillages de leur dîner. V. illustration N° 32.
Il y a encore, au printemps et en été, une grande variété d'oiseaux, près de soixante-dix espèces, paraît-il, dont les œufs constituent une charmante addition au maigre menu du missionnaire. Voir l'illustration N° 75.
« Durant le mois de juin », écrit le P. Clabaut, « il n'est pas nécessaire d'aller bien loin pour revenir avec plusieurs douzaines d'œufs frais pour son souper. Les perdrix blanches et les hibous hivernent à Southampton, et on peut en tuer de temps en temps » (10).
Puis le même missionnaire devient ethnologue, tout en restant prêtre catholique, et nous fournit les détails qui suivent: …
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(9) V. ill. 69. et V. ill. 69.(Addendum) — (10) Ibid., ibid., p. 701.
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Louis- Admin
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Puis le même missionnaire devient ethnologue, tout en restant prêtre catholique, et nous fournit les détails qui suivent:
« Il y a actuellement, à Southampton, à peu près cent cinquante Esquimaux, divisés en deux tribus: les Aiviliks, venus de Chesterfield et des environs, Wager Inlet, Repulse Bay.. ., et les Okkomiouts, amenés de la Terre de Baffin. Ces derniers ont reçu, par-dessus leur paganisme, un vernis anglican. Ils lisent la Bible et connaissent par cœur certains passages des psaumes ; ils ont été baptisés par quelque ministre de passage en été, ou par quelque Esquimau décoré du titre de catéchiste.
« Mais ils se prêtent leurs femmes, divorcent, travaillent le dimanche, mentent et volent sans que leur religion en souffre aucunement. C'est le cas pour la majorité, bien qu'il y ait parmi eux certains esprits droits, bien intentionnés et convaincus » (11) .
Pendant ce temps, le préfet apostolique n'était pas inactif, bien s'en faut. Le lundi de Pâques, 6 avril 1931, il s'était rendu à Nicolet, où il avait obtenu quatre Sœurs Grises pour l'hôpital qu'il avait bâti l'année précédente, et le 5 juillet il arrivait avec elles à Churchill, où il dut rester jusqu'au 23.
Il fit alors sur le Thérèse un voyage d'affaires, qui fut signalé par un accident peu banal, alors qu'il était conduit par le P. Ducharme et sans pilote responsable. A six milles du rivage, il échoua sur un récif caché à la marée haute, et se coucha sur le côté, comme pour se reposer des fatigues de la croisière qu'on venait de lui imposer.
Pour l'empêcher de verser complètement, on le tint immobile au moyen de bâtons de tente esquimaux. L'un de ces supports s'étant brisé, le bateau tomba assez violemment sur le côté, — histoire de faire constater le danger, en vue de faire mieux apprécier la protection dont on était l'objet. Un coup de vent l'eût sans doute fini à tout jamais, mais sainte Thérèse était là, et, huit heures plus tard, la marée montante le remit sur pied.
Le 11 août suivant, les religieuses en compagnie du préfet apostolique…
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(11) Ibid., ibid., p. 701-02.
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Louis- Admin
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CHAPITRE XIV
PROGRÈS ET DANGERS(suite)
Le 11 août suivant, les religieuses en compagnie du préfet apostolique, arrivaient à Chesterfield par le bateau de la Compagnie. Heureuses et gaies, elles étaient reçues avec un profond respect mêlé de sympathie par les Esquimaux, qui n'allaient pas tarder à admirer la perfection de l'aménagement de l'institution destinée à leurs malades. Son système de chauffage, l'électricité, les réservoirs et pompes, les cabinets hygiéniques et le revêtement des cloisons qui les rendait à l'épreuve du feu étaient prêts au premier étage le 25 septembre suivant.
Seuls les travaux de plomberie étaient dus à un homme du métier amené de Montréal. Les Oblats s'étaient chargés de tout le reste.
On bénit solennellement la chapelle, le parloir, la cuisine, les appartements réservés aux Sœurs, et, le lendemain, à une heure du matin, Mgr Turquetil y disait la première messe, pour repartir de suite pour Churchill avec son petit Thérèse.
Le retour fut marqué par une protection toute spéciale de sa puissante Patronne, que le lecteur me permettra de ne pas relater. On se fatigue même des meilleures choses. Qu'il me suffise de remarquer qu'au plus fort du péril, on se crut obligé de lui promettre un triduum de messes d'actions de grâces si l'on pouvait revoir Churchill sain et sauf.
Peu après, on arrivait à bon port, et, écrit Mgr Turquetil, « quelques instants plus tard, nous étions tous à genoux devant la statue de la « petite Thérèse », la remerciant de tout cœur. Les Pères de la mission de Churchill se joignaient à nous avec d'autant plus de ferveur que, en regardant la mer démontée, il leur semblait incroyable que nous ayons navigué toute la nuit par un temps pareil. Et le petit Thérèse n'avait pas pris une goutte d'eau » (12).
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(12) ibid., 1932, p. 119.
A suivre: Chapitre XV. Evêque.
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Louis- Admin
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CHAPITRE XV
ÉVÊQUE
L'arrivée du chemin de fer à Churchill devait avoir une grande influence sur la vie de Mgr Turquetil. Non seulement il avait dû y établir un poste, qui devait sûrement se transformer avec le temps en paroisse régulière, mais les facilités de communication que la place offrait dès lors le décidèrent à en faire sa résidence habituelle.
De là il pourrait sans trop de difficulté faire ses achats pour l'approvisionnement annuel de ses missions; de là il aurait, par l'intermédiaire de son Thérèse, toute facilité de leur distribuer cet approvisionnement, et de faire à leurs titulaires les visites imposées par la charité et les exigences des règles ecclésiastiques et religieuses.
Avec lui, naturellement, pour assurer la continuité du ministère en ses nombreuses absences, il fallait au moins un prêtre de langue anglaise ou familier avec l'anglais, pour desservir les ouvriers catholiques actuels ou les habitants de même religion de la ville en formation.
Cet homme providentiel, il avait cru le trouver dans la personne d'un prêtre dont il avait fait l'acquisition l'année précédente, et dont il avait écrit le 28 juin 1930:
« L'abbé Charest, ancien secrétaire et chancelier de MGR Mathieu, l'archevêque défunt de Régina, je l'ai obtenu de son successeur, Mgr McGuigan. Il part cet après-midi du Pas, pour nous arriver demain dans la nuit.
« Excellent prêtre, très expérimenté dans la correspondance officielle et la comptabilité, ayant depuis son enfance l'envie des missions, c'est la plus belle acquisition que j'aurais pu faire, même si j'avais travaillé des années entières à chercher quelqu'un de cette trempe pour m'aider » (1).
Malheureusement, à côté des brillantes qualités qu'il lui reconnaissait, l'objet de son choix avait un malencontreux défaut, qu'il ne pouvait guère corriger lui-même — la maladie. Aussi le prélat comptait-il pour cela sur sa protectrice habituelle.
« La petite Thérèse nous a beaucoup aidés pour l'obtenir », continuait-il ; « j'espère qu'elle nous aidera encore en lui conservant la santé qui, chez lui, est plutôt faible; mais le climat de l'Ouest l'ayant assez bien rétabli, il y a lieu de croire que celui de Churchill lui sera favorable » (2).
Cet espoir ne devait pas se réaliser, et l'abbé Charest ne put rester à Churchill. Un P. Gerald O'Shea, 0. M. I., qui lui succéda à côté du P. Duplain, ne devait pas davantage persévérer dans un poste encore si dépourvu des commodités de la vie civilisée. Toutes les races ne sont pas aux mêmes degrés propres aux sacrifices de l'apostolat.
Mais l'heure allait sonner où Churchill…
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(1) Mission des O.M.I., 1930, 9. 375-6. — (2) Ibid., ibid., p. 376.
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Louis- Admin
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XV
ÉVÊQUE(suite)
Mais l'heure allait sonner où Churchill allait avoir dans ses cercles religieux beaucoup plus même qu'un Irlandais. Mgr Turquetil était bien connu des Anglais comme le Bishop des Esquimaux, mais, au point de vue de ce que qu'on appelle le « pouvoir d'Ordre », il n'était encore qu'un simple prêtre honoré de la confiance du Souverain Pontife, qui l'avait chargé du soin de la partie probablement la plus ingrate de son immense troupeau.
Jetons un moment les yeux en arrière, et voyons si cette confiance du Vicaire de Jésus-Christ était justifiée. Nous voici en 1911 ; au point de vue catholique qu'y avait-il alors au pays de la baie d'Hudson? De la glace et de la neige, des roches et de la mousse, avec une population clairsemée dont les moeurs ne peuvent se décrire par une plume qui se respecte.
Et maintenant? Ce même territoire compte maintenant six missions, pauvres mais superbement bien organisées, dont les habitations ont été construites avec des matériaux qui ont tous dû être amenés à grand frais du lointain Montréal, et une population presque toute chrétienne en certains endroits, gens dont la conduite régulière et fervente dans leur foi fait l'admiration de tous ceux qui sont en contact avec eux.
La Mission centrale peut même se glorifier d'un hôpital de vingt-quatre lits des mieux aménagés et pourvu du confort le plus moderne (3). Une douzaine de prêtres, deux frères convers et quatre religieuses se dépensent au salut de ces mêmes Esquimaux, qu'on ne peut plus reconnaître, tellement leurs moeurs et coutumes, non moins que leur foi, sont changées.
Or je le demande, à qui est due cette merveilleuse transformation? Après Dieu et sa servante de Lisieux, à l'esprit de foi, au zèle, au savoir-faire et à l'inlassable persévérance d'un homme — je puis dire d'un seul homme, puisque sans lui rien n'eût été fait — et cet homme qui a tant souffert, tant travaillé et tout créé de rien s'appelle Turquetil.
Aussi, pour parfaire l'œuvre si bien commencée, cet homme était-il promu le 15 décembre 1931, évêque de Ptolémaïs, titre que son Supérieur Général avait porté avant lui, et nommé vicaire apostolique de la baie d'Hudson.
Inutile maintenant de se perdre en considérations dithyrambiques à propos des mérites de l'élu. Il vit encore, et, Dieu merci, il est bien vivant. Bien qu'il n'ait rien à faire avec ces humbles pages, je ne voudrais pas courir le risque de l'offenser en chantant trop haut ses louanges. Il me sera pourtant bien permis de reproduire ici l'appréciation qu'en a faite l'organe officiel des Oblats de Marie Immaculée, ces Missions auxquelles j'ai déjà si souvent renvoyé le lecteur.
MGR Turquetil n'est pas simplement « une volonté au service d'une intelligence claire et positive », assure-t-il ; « c'est aussi un cerveau chercheur, qui approfondit, synthétise et compare » (4).
Ces derniers mots ont probablement trait à ses études philologiques et ethnographiques, publiées dans les revues Anthropos , de Vienne en Autriche, et Primitive Man, de Washington, Etats-Unis, ainsi que son étude de théologie pastorale dont la publication a commencé au mois de juin dernier dans la Revue de l'Université d'Ottawa.
Quant à moi, je ne puis cacher mon opinion que si un prêtre a jamais mérité d'être élevé à l'épiscopat, indépendamment des nécessités locales ou autres, ce prêtre était bien le fondateur des missions esquimaudes (5) .
C'est le 23 février 1932, à la cathédrale de Montréal…
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(3) En cas d'épidémie, il en a contenu plus de quarante. — (4) Missions des O. M. I, 1933, p. 131. — (5) Du reste, c'est précisément, je le vois après coup, ce qu'en disent Les Cloches de S. Boniface, organe de l'archevêché de cette place: « Si jamais promotion épiscopale a été méritée, c'est bien la sienne » (Ubi suprà, janvier 1932).
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XV
ÉVÊQUE(suite)
C'est le 23 février 1932, à la cathédrale de Montréal, que Mgr Arsène Turquetil, Oblat de Marie Immaculée, fut sacré évêque de Ptolémaïs et premier vicaire apostolique de la baie d'Hudson (6).
Naturellement ce fut un grand jour, non seulement pour l'élu du Saint-Siège, mais pour tous ceux qui assistèrent à son sacre, en particulier l'évêque consécrateur, Mgr Georges Gauthier, archevêque-administrateur de Montréal, à qui le nouvel évêque devait tant, et ses deux assistants, NN. SS. Breynat, O. M. I., vicaire apostolique du Mackenzie, et Charlebois, 0. M. I., vicaire apostolique du Keewatin.
Sa Grandeur Mgr Courchesne, évêque de Rimouski, sur le Saint-Laurent, donna le sermon de circonstance.
Rien que la simple nomenclature des autres évêques et supérieurs majeurs présents au sacre, tiendrait trop de place dans ces humbles pages, où l'espace est mesuré. Passons par-dessus les noms personnels, et contentons-nous des titres. Nous avons ainsi :
Les archevêques d'Ottawa, de Régina et de Québec, celui-là un autre frère en religion de l'élu, Monseigneur, aujourd'hui le cardinal, Rodrigue Villeneuve, O. M. I.
Les évêques de Nicolet, de Saint-Jean, d'Hamilton, d'Alexandria, de Prince-Albert, de Mont-Laurier, de London, de Rimouski, de Joliette, et celui des Grecs-Unis du Canada.
Les vicaires apostoliques du Mackenzie, de Grouard, du Keewatin et de l'Ontario-nord.
Les évêques-auxiliaires de Montréal, des Trois-Rivières, de Québec, de Saint-Hyacinthe, etc.
Les abbés mitrés de Muenster, Saskatchewan (Bénédictin), et d'Oka (Trappiste).
Les provinciaux des Oblats du Canada-est, de Lowell, Etats-Unis, de Saint-Boniface, d'Edmonton, ainsi que de Buffalo, Etats-Unis; ceux des Eudistes, des Capucins, des Jésuites et des Pères de Sainte-Croix, etc., sans compter un innombrable clergé de classe inférieure.
Au dîner, le héros de la fête rappela…
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(6) A moins qu'on ne compte ici feu Mgr Provencher, premier évêque de la Rivière-Rouge, qui fut un moment vicaire apostolique de « la baie d'Hudson et de la baie James »
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XV
ÉVÊQUE(suite)
Au dîner, le héros de la fête rappela en termes touchants les commencements de son œuvre sur la baie d'Hudson; après quoi il chanta un hymne de reconnaissance d'abord au Pape des Missions, puis à son lieutenant, le cardinal Van Rossum, préfet de la Propagande; à l'archevêque-administrateur de Montréal, qui venait de lui conférer la plénitude du sacerdoce.
« Montréal, Chesterfield », dit-il, « ces deux noms sont comme inséparables. Au début de la mission, nous partions de Montréal, tout nous venait de Montréal. Ainsi le voulait la géographie du pays. Mais la géographie n'explique pas tout. Le 24 août 1912, le Nascopie doublait le cap Woltstenholme, et pénétrait dans la baie. Grande joie pour les deux Oblats qui, les premiers, au nom de l'Eglise, prenaient possession du pays esquimau.
« A bord, personne ne comprit leur bonheur. Ce même jour, grande joie à la cathédrale de Montréal, et tout le monde comprit ce bonheur: c'était la consécration épiscopale de Sa Grandeur Mgr Georges Gauthier.
« Vingt ans se sont écoulés. La mission de Chesterfield est devenue vicariat apostolique de la baie d'Hudson. La franchise de votre bienveillance, la sincérité de votre sympathie toujours attentive à nous créer des amis partout, autour de vous (autour de vous signifie même parfois jusqu’auprès du Pape), toujours attentive à nous prodiguer le précieux encouragement de votre estime, tout cela de votre part, Excellence, a contribué bien plus et bien mieux qu'aucune condition géographique à resserrer les liens qui nous unissaient déjà à Montréal.
« Aujourd'hui, prévenant mon désir, vous avez bien voulu me conférer la plénitude du sacerdoce. Baie d'Hudson et Montréal sont désormais inséparables, par la reconnaissance inaltérable que nous vous devons. De tout cœur, en mon nom, au nom de mes missionnaires, merci » (7) !
Le nouvel évêque remercie ensuite ses deux assistants-consécrateurs, et il n'oublie pas dans son action de grâces un abbé Joseph Pierre, curé d'une paroisse de la Nouvelle-Orléans, et originaire du même village normand que lui, que son bon cœur et sa fidélité dans ses amitiés ont porté à inviter aux fêtes de son sacre.
«Votre cœur a compris mon appel », lui dit-il; « représenter la France, le diocèse de Lisieux, Notre-Dame de la Délivrande, le petit et le grand séminaire, le tout petit village de Reviers où nous sommes nés; toute notre enfance, la maison paternelle, la famille qui, du haut du ciel, se réjouit aujourd'hui avec nous; que de doux souvenirs se sont présentés d'eux-mêmes à nous, à la pensée d'une rencontre désirée depuis si longtemps » ( 8 ) !
Le soir, une cérémonie religieuse, présidée par le nouvel évêque, se déroulait à l'église Saint-Pierre des Pères oblats. La cathédrale avait eu son sacre; l'église de ses frères en religion eut les prémices de son ministère épiscopal.
Il était dès lors l'évêque de ce qu'on est peut-être en droit d'appeler…
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(7) Missions des O. M. I., 1932, pp. 463-64. — ( 8 ) Ibid., ibid., p. 467.
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CHAPITRE XV
ÉVÊQUE(suite)
Il était dès lors l'évêque de ce qu'on est peut-être en droit d'appeler le plus grand diocèse du monde, un diocèse qui s'étend du 56º parallèle jusqu'au pôle, avec une superficie de 1,652,689 milles, soit 4,278,498 kilomètre» carrés (9). Dans ces immensités de glace, on avait jusqu'alors baptisé, après combien de difficultés! 309 Esquimaux, dont 273 vivaient encore, tandis que 850 autres se préparaient très sérieusement au baptême.
Ce territoire comprenait en outre 2,850 protestants — quel labeur à ajouter à la tâche de convertir au moins 4,627 autres qui sont infidèles, et pour lesquels divers plans de fondations étaient alors à l'étude!
Parmi ces fondations en projet, une avait pour objet la baie Repulse, juste sous le cercle polaire, à 640 kilomètres au nord-nord-est de Chesterfield. Avant d'accompagner l'un de nos missionnaires dans une exploration préparatoire à cet établissement, attardons-nous un instant à l'hôpital de Chesterfield (10), pour voir comment cette institution fonctionne.
Tout y va à merveille. Important pour le pays, le système de chauffage est parfait, et fait l'admiration des visiteurs. Par ailleurs tout y est en ordre dans la maison : « on se croirait à Montréal dès qu'on entre chez les Sœurs », écrivait Mgr Turquetil lui-même (11). Et ces Sœurs sont non seulement amies de l'ordre, mais zélées pour la conversion des pécheurs qui leur sont confiés: en un mot, de véritables apôtres. En voici une preuve entre bien d'autres.
Un pauvre infidèle, Kinersni, souffrait d'un cancer à l'oreille. Quand il vit que son cas était désespéré, il se laissa, comme tant de ses compatriotes non chrétiens, aller à l'obsession du suicide. Comme personne ne voulait le laisser faire, il devint furieux, et voulut tuer tous ceux qui l'approchaient. Les Esquimaux en avaient grand'peur.
La police songeait à l'enfermer; mais les Sœurs obtinrent de le garder, quitte à le surveiller jour et nuit, espérant pouvoir le convertir avant sa mort. Le malade supplia le P. Ducharme de lui tirer une balle dans la tête, ou de lui donner un coup de couteau dans le cœur, lui promettant en retour tous ses chiens, son traîneau et son fusil.
Le prêtre, de son côté, lui demanda non pas ses biens, mais son âme. Que le pauvre homme lui permette seulement de prier pour lui, soit pour qu'il guérisse, ou qu'il aille vite au ciel. Notre homme finit par y consentir, et l'on se mit à le préparer.
Quelques jours après, une artère rongée par le cancer éclata, une hémorragie se déclara et le malade baissa à vue d'œil. Il demanda alors et reçut le baptême, puis une nouvelle hémorragie l'emporta, heureux et souriant à tout le monde.
Vers ce temps-là…
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(9) V. la carte. — (10) Pour rendre à César ce qui appartient à César, disons de suite que le Gouvernement canadien fournit un médecin à cette institution, y paie le salaire d'une garde-malade et accorde un bonus pour chaque patient. — (11) Missions, 1932, p. 476.
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CHAPITRE XV
ÉVÊQUE(suite)
Vers ce temps-là, Sa Grandeur Mgr Turquetil, évêque de Ptolémaïs, rentrait à ce qui devait dès lors être sa ville épiscopale, Churchill, dont il n'y avait guère encore que le site plus ou moins déblayé, et des rues arpentées mais n'existant comme telles que sur le papier.
Ce port, qui se formait avec tant de circonspection qu'aucune habitation privée n'y était encore autorisée, excepté celle de l'évêque catholique, qui en devint par le fait le premier citoyen, est d'accès facile, et se trouve protégé contre les vents du large. Il présente, paraît-il, la forme d'une bouteille, dont le goulot serait tourné vers la mer, et dont le fond serait un peu élargi. Des falaises rocheuses qui le bordent de chaque côté le mettent à l'abri des grands vents.
Le dimanche 12 juin 1932, à l'occasion du retour du nouvel évêque après son sacre, il y eut grande cérémonie à l'église de Churchill. La foule s'y trouvait compacte, comprenant beaucoup de protestants, dont l'un était ministre de l'Eglise Unie (United Church), nouvelle secte formée de l'amalgame de Presbytériens, de Méthodistes et de Congrégationnalistes ; en somme, une nouvelle unité dans la liste déjà si longue des dissidences non-catholiques (12) .
La première construction privée de la nouvelle place était, nous l'avons dit, le « palais épiscopal » de l'évêque catholique. Il mesurait 40 pieds carrés, plus une allonge de 20 pieds à l'arrière, et il avait deux étages. Pour commencer, une chapelle de vingt pieds sur quarante se trouvait au rez-de-chaussée. Inutile d'ajouter que cette bâtisse était différente de celle qu'on avait construite à l'entrée du port, pour le bénéfice surtout des ouvriers du Gouvernement.
Cependant Mgr Turquetil…
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(12) Ne pas oublier que nombre de communautés des deux sectes ayant refusé de s'unir, celle de la United Church en constitue bien réellement une de plus; on accentua la désunion en cherchant l'union: tant il est vrai qu'il ne peut y avoir d'unité en dehors de l'Eglise catholique.
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CHAPITRE XV
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Cependant Mgr Turquetil s'occupait, comme d'habitude, des innombrables colis destinés à ses missions du nord. L'année précédente, il avait manié mainte tonne de marchandises de toutes sortes, au point qu'avec le seul collet romain pour le distinguer des manœuvres, les Anglais qui le cherchaient lui demandaient parfois où était donc le Bishop catholique. Maintenant, hélas! il ne pouvait plus en faire autant. Non pas, certes, que son inaction relative fût due à sa nouvelle dignité. Oh ! non ; mais il avait attrapé une hernie prononcée, qui le forçait à un peu de « retenue »...
Il s'en consolait en pensant qu'il s'en débarrasserait à l'automne, à son retour des visites pastorales qu'il avait à faire (13).
Nous avons vu qu'il avait déjà six missions régulièrement organisées. II devait incontinent en avoir une septième, et c'était au P. Clabaut qu'allait revenir l'honneur de la fonder. Je veux parler de la mission de la baie Repulse, projetée depuis longtemps, mais toujours remise à plus tard, par suite de la difficulté de la ravitailler, vu que la glace, qui certaines années ne se détache pas du rivage, en rend l'accès incertain aux bateaux: d'où son nom, qui correspond quelque peu à notre « Répulsion ».
Ce poste n'en compte pas moins deux maisons de commerce, pour les 174 Esquimaux que le livre bleu d'Ottawa lui assigne. L'achat d'un bateau plus grand que le Thérèse allait rendre cette fondation possible. Mais commençons par le commencement.
Le 19 avril 1932, le P. Clabaut partit pour cette place, suivant de son mieux un constable de la gendarmerie qui, mieux équipé que lui, arrivait toujours deux ou trois heures avant lui au campement. Le pauvre prêtre n'en commençait pas moins tous les jours sa course dès trois heures du matin! De fait, si dur pour lui-même se montra-t-il alors que ce même constable ne cessait de s'extasier devant ce qu'il appelait son endurance.
« Ce P. Clabaut est un homme de fer », disait-il ensuite à Mgr Turquetil. « Je l'ai vu dans les montées et descentes de Wager, conduisant seul ses chiens, son compagnon suivant en arrière à pas lents et se tenant le dos comme un éreinté qui n'en peut plus. Le Père regardait, poussait un « ouf » ! et éclatait de rire, prêt à continuer comme si rien n'était. Je suis sûr qu'il laisserait bien des Esquimaux en arrière, s'il connaissait le chemin et pouvait voyager seul » (14) .
De son côté, le P. Clabaut écrivait à son Ordinaire:
« Quand on est assis toute la journée dans son traîneau, cela passe; mais pour nous qui devons hâler ou pousser la traîne, marcher, courir à pas brisés, glisser, tomber, culbuter, nous en sentons dans les jambes, des kilomètres! Et, le matin, il faut presque assommer les Esquimaux pour les réveiller » (15).
Le bilan de ce voyage préliminaire fut sept baptêmes d'adultes et six d'enfants, treize communions pascales (16), sept premières communions et quatre-vingt-onze communions de dévotion, deux mariages et la visite de quatre camps où se trouvaient vingt-huit chrétiens.
C'est alors que Mgr Turquetil…
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(13) Cf. Missions, 1932, p. 763. — (14) Missions, 1933, p. 76. — (15) Ibid., ibid. — (16) Ce qui indique naturellement que le missionnaire avait trouvé là des chrétiens de vieille date.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XV
ÉVÊQUE(suite)
C'est alors que Mgr Turquetil se procura à La Have, Nouvelle-Ecosse, le bateau auquel j'ai déjà fait allusion. C'était une goélette de trente tonnes, au lieu des douze du Thérèse, qui non seulement diminuait considérablement les frais de transport de l'approvisionnement de ses missions, mais se trouva payée dès la première année par l'épargne des sommes qu'on aurait dû autrement verser. De plus, elle permettait, par suite de sa plus grande contenance, de faire tous ces approvisionnements dans la courte saison où la navigation est possible sur la baie d'Hudson et dans les eaux circonvoisines.
C'était un bateau à deux mâts, et on l'appela le Pie XI (17) .
Son premier voyage servit à l'établissement de la mission de la baie Repulse, qu'on mit sous la protection de N.-D.des Neiges. Le P. Clabaut s'y était rendu de nouveau en traîneau à chiens, et fut enchanté de l'arrivée de la nouvelle goélette, qui lui amena un compagnon, le P. Pierre Henry, Breton du diocèse de Saint-Brieuc, qui tenait à peine debout après une traversée qui ne lui avait pas laissé un instant de répit.
C'était le 9 septembre 1933. L'hiver approchait, et, bien portant ou non, il fallait se presser si l'on voulait avoir un gîte où passer la dure saison alors imminente.
Au point de vue religieux, le lecteur aura déjà deviné que certains des Esquimaux de la baie Repulse avaient été en contact avec la mission de Chesterfield, la mère et maîtresse de toutes les églises du nouveau vicariat apostolique. Malheureusement d'autres avaient été embauchés par les protestants, et s'étaient tournés du côté de l'anglicanisme — ce qui faisait présager un travail aussi ardu que surérogatoire, dont les deux missionnaires eussent bien pu se passer.
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(17) « Ingénieurs, capitaines, surintendants de Churchill, protestants mais amis de nos œuvres, me suggéraient d'appeler le nouveau bateau Turquetil . Comme réclame, cela pouvait faire; comme bénédiction pour les missions, c'était médiocre; comme vraie appellation significative, c'était nul »
(Mgr Turquetil, dans L'Apostolat des Oblats de Marie Immaculée, vol. V, p. 60; Chambly-Bassin, 1933). V. illustrations 67, 68.
A suivre : Chapitre XVI. Le nouveau chez les Esquimaux.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVI
LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX
Saint Paul, écrivant aux nouveaux chrétiens de Corinthe, disait : « Les vieilles choses sont passées, voilà que tout est nouveau (1) ». Si l'Apôtre des Nations venait aujourd'hui visiter les néophytes de la baie d'Hudson, il pourrait leur rendre le même témoignage, et cela au double point de vue spirituel et matériel. En ce qui est du premier, les chapitres qui précèdent celui-ci l'ont, je crois, abondamment prouvé. Inutile d'appuyer encore sur la merveilleuse transformation opérée par le christianisme dans cette lointaine région.
Sans avoir ce texte de l'Ecriture en tête, ni vouloir renchérir sur ce que ses devanciers avaient dit, un jeune prêtre nouvellement au pays, partant prompt à tout remarquer, en écrivait en 1933 :
« La connaissance du Nouveau Testament est indispensable pour l'exposition de la doctrine chrétienne aux Esquimaux, qui jugent tout par l'autorité de l'Evangile. Je suis étonné de l'effet de la parole de Jésus sur ces natures neuves. Il suffit de dire que Notre-Seigneur a affirmé telle vérité pour qu'ils y croient sans hésiter.
« Ordinairement, l'évangélisation des camps commence par la lecture d'un passage de l'Evangile en rapport avec l'instruction proposée. C'est ainsi que certaines tournées dans les terres rappellent en tous points l'apostolat de saint Paul en Asie Mineure et en Grèce. A Chesterfield, on lit chaque dimanche l'Evangile au peuple. Au cap Esquimau, on fait mieux : quotidiennement, l'Evangile de la messe du jour est expliqué après lecture d'après les commentaires de saint Thomas. Le P. Thibert me disait que les fidèles étaient très friands de ce genre d'homélies » (2).
Après avoir remarqué que chacun fourbissait ses armes en vue de prochaines conquêtes dans les glaces, où l'on voit plus qu'ailleurs le travail qu'exige la conversion d'une seule âme, le même missionnaire, P. Henry, O. M. I. comme tous les autres, continuait: « Je quitterai Chesterfield en y laissant la moitié de mon cœur. Nos chrétiens y sont si édifiants! Leur dévotion envers l'Eucharistie, leur foi en toutes les vérités révélées entraînent le missionnaire lui-même à plus de générosité dans sa foi. Leur confiance dans le prêtre renouvelle les scènes évangéliques où l'on nous décrit la confiance des sourds, des muets, des aveugles et des boiteux de Palestine au temps de Notre-Seigneur » (3).
Voilà certes un esprit bien « nouveau » parmi des Esquimaux !...
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(1) II Cor., V, 17. — (2) Missions des O. M. I., 1934, pp. 111-112. — (3) Ibid., ibid., p. 112.
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CHAPITRE XVI
LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX(suite)
Voilà certes un esprit bien « nouveau » parmi des Esquimaux ! Du nouveau aussi toutes ces grandes fêtes occasionnées à Chesterfield par la visite de Mgr Turquetil à ses anciens chrétiens: messes pontificales, baptêmes et confirmations. Et, remarque notre même P. Henry, « tout s'est déroulé avec la pompe possible dans un pays comme le nôtre . . . Monseigneur est plein de noblesse et de majesté dans les cérémonies religieuses. Cette majesté de notre culte impressionne beaucoup nos habitants des neiges.
« Nos chants furent particulièrement soignés. Nous avons une chorale d'enfants dont le plus jeune approche de huit ans. Elle exécute le Credo et la messe des Anges avec une fraîcheur d'âme peu commune. La première fois que je l'entendis, je fus agréablement surpris. Pas d'hésitation, et cependant tout se chante de mémoire. C'est vous dire la facilité de nos enfants pour apprendre par cœur. Les parties communes de la grand'messe sont toutes alternées avec la nef.
« En général, nos Esquimaux aiment le chant à la folie. Ils n'entendent pas un nouveau cantique qu'ils ne veuillent de suite le savoir » (4).
Encore une fois, n'est-ce pas là du nouveau pour des primitifs naguères encore ensevelis dans une corruption indescriptible? Et ne pas oublier ici que cette immense amélioration spirituelle influe encore, et très considérablement, sur le matériel de ces gens. Au point que l'on pourrait dire sans trop se tromper que Mgr Turquetil et ses missionnaires sont, par leur enseignement religieux, en train de sauver la race esquimaude d'une extinction imminente, lente mais certaine.
Et voici comment…
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(4) Ibid., ibid., p. 113.
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CHAPITRE XVI
LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX(suite)
Et voici comment. Au lieu de diminuer comme autrefois d'une manière alarmante, la population commence à croître, parce que :
1º L'esprit de clan disparaissant, les mariages entre proches parents deviennent chose du passé. Conséquence: la stérilité et les naissances d'avortons rachitiques ne se voient plus guère. Ajouter à cet esprit de clan les inimitiés entre les différents camps, qui empêchaient les membres de l'un d'eux d'aller se marier parmi ceux d'un autre.
2° L'infanticide, ou la destruction des petites filles à leur naissance, a cessé. Conséquence : les jeunes gens trouveront bientôt à se marier sans trop de difficulté. En certains endroits, on compte encore de quinze à vingt jeunes gens pour une seule fille nubile.
3° Il n'y a plus de meurtres entre adultes pour se procurer la femme d'un autre.
4° Plus de suicides de malades au désespoir.
5° L'hôpital a sauvé la vie d'un grand nombre de personnes qui seraient mortes autrefois, surtout dans les cas de ces épidémies annuelles qui enlevaient précédemment au moins un tiers des malades. La première année de son fonctionnement, on y eut jusqu'à 48 patients à la fois. Cet hiver 1934-35, on n'en a eu que 4 ou 5.
Même au point de vue de la simple civilisation, le missionnaire a beaucoup fait pour l'Esquimau. Il a détruit les tabous (5), qui souvent étaient cause de famine, comme étaient par exemple:
1° La défense de chasser le caribou tant qu'il y avait du phoque à la maison. On manquait alors l'unique chasse fructueuse et facile, lors de la migration annuelle de ce gibier ;
2° La défense de préparer les habits d'hiver avant qu'on ait pu bâtir l'iglou sur la glace d'eau douce — toute la famille souffrait du froid en attendant et contractait de sérieuses maladies, d'autant plus que les premiers froids sont les plus dangereux parce que les plus humides ;
3° Défense de garder, mais ordre de détruire, tout ce qui avait appartenu à un mort, tente, fusil, bateau, harpons, etc.
Ce à quoi on peut encore ajouter les nombreuses offrandes, aussi vaines qu'onéreuses, qui se faisaient autrefois aux morts ou aux esprits.
Jusqu'ici nous nous trouvons encore dans un ordre de choses qui, matérielles en apparence, n'en touchent pas moins au spirituel.
Mais il y a plus…
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(5) Emprunté aux races océaniques, le tabou est une défense basée sur des idées superstitieuses, qui font croire à des conséquences désastreuses si on la viole.
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CHAPITRE XVI
LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX(suite)
Jusqu'ici nous nous trouvons encore dans un ordre de choses qui, matérielles en apparence, n'en touchent pas moins au spirituel. Mais il y a plus. Comme chacun le sait, le héraut de la Croix a toujours été le précurseur, médiat ou immédiat, de ce que nous sommes convenus d'appeler la civilisation considérée comme telle, c'est-à-dire de ces moeurs et coutumes, surtout de ces avantages matériels, qui découlent de siècles de progrès sociaux chez la race blanche, plus fortunée au point de vue du climat et des circonstances ambiantes.
A la tête de ces avantages, je mettrai volontiers l'art de communiquer sa pensée au moyen de signes appelés caractères ou lettres; en un mot, l'écriture. Son adoption fut souvent due aux premiers ministres de l'Evangile chez les différents peuples, au seuil de leur conversion.
Il suffit de citer un cas bien connu, celui de saint Cyrille, apôtre des Slaves, et les caractères qu'il inventa pour le bénéfice de ses néophytes, caractères qui sont encore en usage parmi différentes nations du même stock.
Le « script » des Celtes, de son côté, dut son origine aux moines de la Gaule, et, comme à cette époque l'Irlandais avait du zèle pour la conversion des infidèles et ne répugnait pas aux sacrifices que comporte toujours l'apostolat, ce genre d'écriture se répandit dans une bonne partie de l'Europe occidentale.
De même, les anciens systèmes scripturaires firent, avec l'introduction du christianisme, place aux méthodes plus perfectionnées apportées par les missionnaires. C'est ainsi que les runes nordiques disparurent bientôt devant le système d'écriture latine introduit par les prêtres catholiques, après que, dans l'Afrique nord-est, les hiéroglyphes égyptiens se fussent, sous la même influence chrétienne, transformés en ce qu'on appelle l'écriture coptique.
Partout et toujours, l'action du missionnaire comme importateur de notre civilisation dans son point le plus typique, l'écriture.
Cette action allait se répéter jusque dans les glaces des Esquimaux…
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CHAPITRE XVI
LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX(suite)
Cette action allait se répéter jusque dans les glaces des Esquimaux. Après avoir reçu d'eux la connaissance de leur langue, Turquetil ne tarda pas à les payer de retour en leur apprenant à la fixer sur le papier, au moyen des caractères en usage chez leurs voisins de l'intérieur, les Montagnais, qu'il avait au préalable légèrement modifiés pour les mieux adapter à la nature de cet idiome.
En 1916-17, il se fit même faire, à New-York, un dactylographe de marque Hammond, genre spécial de machine à écrire, dont l'alphabet se change facilement. Il y remplaça nos lettres par les signes qu'il employait pour rendre la langue esquimaude, et prit de ses écrits religieux, prières, etc., autant de copies qu'il put à l'aide du miméographe (6).
Ainsi furent fabriqués ses tout premiers livres esquimaux. Mais avec l'augmentation numérique de ses chrétiens, il dut avoir recours à l'imprimerie, et, au cours de 1934, il fit tirer en France, à pas moins de 15,000 exemplaires, un livre de piété en règle dont nous reproduisons la couverture grandeur naturelle.
C'est un gentil petit volume de 156 pages, contenant toutes sortes de prières, de nombreux cantiques et les évangiles de tous les dimanches de l'année, le tout illustré de pieuses gravures de nature à parler au cœur, en même temps qu'à l'esprit, de celui qui s'en sert.
Ce petit livre est appelé à rendre les plus grands services. Mais, même à son occasion, nous ne devons pas oublier qu'il est destiné à des primitifs, et qu'on doit parfois garder le lecteur contre la superstition qui, sous une forme ou sous une autre, tend sans cesse chez pareilles gens à se mêler aux meilleures choses.
Ainsi, en date du 22 juillet 1933, le P. Clabaut écrivait de la baie Repulse:
« Les livres de prières, calendriers, bibles protestantes sont très répandus par ici. Il en vient de Pond's Inlet, de Chesterfield, de King William's Island. C'est une plaie, et bien de nos Esquimaux nous font, rien qu'à cause de ces livres-là, une mine rébarbative. Lorsqu'il y a des malades, ils essaient de les guérir avec les livres de prières, imposition du livre, récitation de certaines formules tirées du livre. Si notre livre, ou nos images, ne leur donnent pas de succès, ils recommencent l'opération avec le livre rouge des Anglicans, et ils optent pour celui qui donne le meilleur effet.
« Dernièrement, un primitif orgueilleux venait me dire qu'il avait remisé bien précieusement dans une caisse les livres de prières, images, crucifix qu'il avait eus de nous autres, parce que son petit garçon, malade, avait été « prié » avec le livre des Anglicans » (7).
Tout cela, on en conviendra quand même, est de nature à favoriser la civilisation en même temps que la religion. D'où résultat de nature mixte encore, spirituel aussi bien que matériel. Plus particulièrement matériels, tout en servant assez la religion, étaient les avantages découlant d'entreprises comme l'achat du Thérèse et, plus récemment du Pie XI , dont nous avons apprécié les exploits.
Leur achat était, il est vrai, chose nécessaire, sous peine de faillite ultérieure; mais combien d'autres esprits moins alertes, plus timides et plus ou moins esclaves de la vieille routine y auraient regardé à deux fois avant de se lancer dans des nouveautés qui, après tout, ne pouvaient manquer d'être fort coûteuses au principe?
Autre indice de cet esprit d'entreprise, d'initiative pratique chez Mgr Turquetil…
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(6) Voir ill. 40. (7) Missions des O. M. I, 1934, pp. 118-19.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVI
LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX(suite)
Autre indice de cet esprit d'entreprise, d'initiative pratique chez Mgr Turquetil : l'hôpital de Chesterfield et les détails de sa construction, avec les perfectionnements dont on le dota. Murs et cloisons du bâtiment sont revêtus de feuilles de tentest, composition de bran de scie et de pulpe qui tient lieu de planches, et ensuite de gyproc, espèce de plâtre à l'épreuve du feu, tandis qu'entre les deux se trouve un papier feutre très épais.
Au pays de la glace et du froid, il faut pour les malades une construction chaude ; autrement les dépenses en charbon ruineraient les propriétaires.
Quant au système de chauffage lui-même, on adopta pour l'hôpital un système de distribution d'eau courante dans chaque appartement propre au pays, et cela pour une bonne raison: pendant huit mois de l'année, on n'a point d'eau à Chesterfield, rien que de la glace et de la neige. Un dispositif spécial permet de les faire fondre au moyen du même feu qui fournit l'eau chaude dans la maison.
Puis le générateur électrique qu'on y a installé donne la lumière, en même temps qu'il déclanche automatiquement des pompes à eau aussitôt que, le niveau de l'eau baissant, la pression est réduite à vingt livres.
Tout cela était bien « nouveau » pour les aborigènes; de fait, une sorte d'activité mécanique qui ne leur paraissait rien moins que douée d'intelligence ( 8 ).
Parlant de la lumière, on est, sous ce rapport…
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( 8 ) Cf. Missions des O. M. I., 1932, pp. 374-75.
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVI
LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX(suite)
Parlant de la lumière, on est, sous ce rapport, plus avancé à Chesterfield que dans les villages et la plupart des petites villes de campagne de France. Voyons ce à quoi cette même lumière a récemment servi, et constatons en même temps comment la grande sainte de Lisieux continue à y protéger ses clients.
Au mois de janvier dernier (1935), deux Esquimaux allaient chasser le phoque par une température extrêmement basse, plus de 55° en dessous de zéro. Lorsqu'il fait si froid, la mer fume comme un immense four à chaux; mais le vent venait de terre, et nos chasseurs avaient beau temps pour parcourir les cinq ou six milles de glace qui les séparaient de l'eau.
Tout à coup, le vent changea de direction, et poussa sur eux ce brouillard intense, glacial, qui ne permet de rien voir, même à une faible distance. Comme ils étaient séparés l'un de l'autre, l'aîné appela, tira du fusil, mais ne reçut aucune réponse. Il revint seul à la Mission. Son compagnon, jeune homme de dix-sept ans, n'était pas rentré.
On donna l'alarme, toute la journée du lendemain fut passée en recherches; mais le brouillard couvrait tout comme d'un voile impénétrable, et les chercheurs n'entendirent aucune réponse à leurs appels ni à leurs coups de fusil.
Quand ils revinrent, le soir, toute la population se précipita à la chapelle, pour supplier la « Petite Thérèse » de venir au secours de l'infortuné jeune homme. Alors le vent changea, le brouillard disparut; mais comme il faisait nuit, le P. Thibert alluma les lampes électriques placées en forme de croix au haut du clocher, dans le but de guider les pas du chasseur, si par hasard le vent du large le ramenait vivant, et si, par un autre hasard, le vent l'approchait du rivage en face de la Mission, et non en arrière de la pointe d'où il n'aurait rien pu voir.
Tout le monde était encore à l'église, priant avec ferveur, lorsque le jeune homme entra. Il raconta ensuite que,
sous l'impulsion du vent, une portion de la glace sur laquelle il se trouvait s'était détachée de la masse des cinq ou six milles gelés, le séparant de son compagnon et s'en allant comme à la dérive. Sur ce glaçon, il avait erré dans le brouillard pendant toute une nuit et toute une journée, jusqu'à ce que le vent l'eût ramené vers la glace solide, mais non sans avoir eu à traverser une bande de glace mince, qui s'était formée pendant qu'il était isolé sur son glaçon.
Cette glace nouvelle cédait sous ses pas; mais la vue de la croix électrique qui accusait la présence de l'église dans l'obscurité de la nuit lui avait donné tant de courage qu'il l'avait traversée à la course, sans enfoncer plus que jusqu'aux genoux. Lorsqu'il s'était finalement trouvé sur la glace ferme, il s'était mis à genoux pour remercier le Jésus dont il voyait la maison à cinq milles de distance. Il avait, disait-il, oublié la faim, le froid, le danger, tout, et ne pensait qu'au bonheur de revoir sa famille, de vivre, de prier encore.
En pareille occurrence, un infidèle se serait suicidé, dominé par l'idée que puisque les esprits voulaient sa mort par noyade, il devait manifester sa résignation à leur volonté en sautant lui-même à l'eau. Les missionnaires ont vu de ces cas de soumission religieuse poussée à l'extrême. Un Esquimau chrétien a appris à voir dans les accidents autre chose que la mauvaise volonté des dieux, et il prie alors le « Bon Dieu ».
Et ce jeune Esquimau n'est pas le seul que sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus ait guidé…
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Re: Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.
CHAPITRE XVI
LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX(suite)
Et ce jeune Esquimau n'est pas le seul que sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus ait guidé, comme transporté à un lieu de sûreté loin du glaçon sur lequel il s'était trouvé emprisonné. Pendant l'hiver qui suivit le baptême des premiers chrétiens (1917-18), une famille était campée sur la glace de la mer, tout au bord de l'eau, le chasseur étant ainsi toujours près des phoques qui pourraient montrer la tête.
Un jour, la première petite fille baptisée sous le nom de Thérèse, qui faisait partie de cette famille, vint à terre visiter des amis campés sur la grève. Pendant son absence, une violente tempête s'éleva de terre, le bord de la glace sur lequel étaient les parents de l'enfant se détacha et partit au large avec son fardeau.
Les vagues augmentant toujours, le champ de glace qui portait la famille fut vite mis en pièces: il n'y avait plus aucune espoir de revoir personne vivant. Et la tempête dura quatre jours et quatre nuits!
Ce que voyant, les Esquimaux dirent à la petite Thérèse :
— Ne pleure pas ; nous aurons bien soin de toi.
C'était une manière de lui annoncer qu'elle ne reverrait jamais plus aucun des siens. Et elle de répondre :
— Oh! vous autres païens, vous ne savez pas; mais quand la tempête a commencé, j'ai eu le temps de prier la Petite Fleur (9). Je suis baptisée ; ma mère, mes deux frères sont baptisés; ils prient, eux aussi. Alors ils reviendront.
Les païens ne purent que sourire de sa naïveté. Mais quand la tempête se fut apaisée, le vent tourna, et ramena toute la famille sur un morceau de glace, juste assez grand pour la supporter — le seul qui restât intact. On ne revit jamais personne des trois autres familles campées, elles aussi, non loin de là, sur la glace pendant cette terrible tempête.
Par contre, un infidèle qui, se moquant du dimanche, partait exprès au moment où les chrétiens se rendaient à l'église, en leur disant que c'était une belle journée pour la chasse du morse, ou éléphant marin, n'en revint pas.
Les morses étaient nombreux, mollement étendus sur la glace (voir la gravure N° 32). Le premier qu'il harponna plongea si vite que la corde qui retient le dard et permet de faire revenir l'animal lui serra les doigts comme dans un étau. Ses trois compagnons se précipitèrent à son secours, tirant de toutes leurs forces sur la corde, pour permettre au malheureux de se dégager, et d'éviter d'être entraîné à l'eau.
Mais, sous l'effort combiné des quatre chasseurs, la glace sur laquelle ils étaient se rompit ; les trois hommes durent sauter en arrière pour sauver leur vie, et le moqueur partit sur un tout petit glaçon, que le morse blessé remorquait à toute vitesse. Un plongeon de la bête furieuse fit disparaître à jamais l'infortuné païen.
Ces anecdotes nous ont entraînés loin de la lumière électrique…
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(9) Sainte Thérèse de Lisieux.
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