Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
A suivre : Chapitre IX.
Le P. Jogues fut témoin, dans cette circonstance, de pratiques idolâtriques d’un genre nouveau pour lui, et d'une cruauté inouïe. Chaque fois qu’on appliquait le feu sur le corps de cette malheureuse femme, l’un des anciens élevait la voix et s’écriait : « Aireskoï, nous t’offrons cette victime que nous brûlons en ton honneur. Rassasie-toi de sa chair, et rends-nous toujours victorieux de nos ennemis. » Son corps coupé en morceaux fut envoyé dans différents villages et dévoré.
Ce sanglant holocauste était, paraît-il, aux yeux des Iroquois, une réparation due à leur Dieu, et l’accomplissement d'un vœu. Ils avaient cru reconnaître qu’il était mécontent de ce que depuis six mois ils n’avaient pas mangé de chair humaine, et dans le sacrifice solennel de deux ours qu’ils firent en son honneur, le Père Jogues les entendit, non sans frémir, proférer ces paroles : « Tu nous punis avec justice, Aireskoï, car il y a longtemps que nous ne nous sommes pas nourris de nos prisonniers. Nous t’avons offensé en nous bornant à leur donner la mort; mais s’il en tombe entre nos mains, nous te promettons de les traiter comme nous allons faire de ces deux animaux. »
Ces tristes scènes se renouvelèrent plusieurs fois à cette époque sous les yeux du P. Jogues, et plongèrent son âme dans une profonde affliction. Mais, dans l’espérance de se rendre utile à ces infortunées victimes, il restait assister à leur supplice, et ne négligeait rien pour les soutenir et les encourager par les pensées de la foi.
Voici avec quel sentiment profond d’humilité il se regardait comme la cause de tous ces malheurs :
« Je ressentais alors, écrit-il, le châtiment que méritaient mes péchés, et que Dieu avait annoncé à son peuple en disant : Les solennités de vos néoménies et vos fêtes seront changées en jours de deuil et d’afflictions (Amos VIII, 10). En effet, aux fêtes de Pâques, de la Pentecôte et de la Nativité de saint Jean-Baptiste, je me suis vu accablé de nouvelles douleurs. Infortuné que je suis ! suis-je donc né pour voir le malheur de mon peuple? (I Marc II, 7.) Au milieu de ces poignantes angoisses intérieures et de bien d'autres, mon âme se consume dans la douleur et mes jours dans les gémissements . (Ps. xxx., 10.) Le Seigneur m’a frappé à cause de mes iniquités, et il a fait dessécher mon âme comme l’araignée. (Ps. XXXVIII 12.) Il m’a rassasié d'amertume et abreuvé d’absinthe. Le consolateur qui pouvait me soulager s’est éloigné de moi (Jér., III, 15); mais au milieu tous ces maux nous triomphons, et avec la grâce de Dieu nous triompherons par la force de celui qui nous a aimés (Rom., VIII, 37), et dans l'attente de celui qui doit venir et qui ne tardera pas (Hébr., x, 37) jusqu'à ce qu’arrive mon heure comme celle du mercenaire (Job, VII,) ou que mon changement s'accomplisse (Job, XIV, 11). »
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
CHAPITRE IX
Démarches du chevalier de Montmagny pour délivrer le P. Jogues. — Lettres du P. Jogues. —
Sa résignation. — Voyage. — Rencontre imprévue. — Consolations.
Pendant longtemps on eut à Québec les inquiétudes les plus sérieuses sur le sort du P. Jogues. Le bruit de sa mort s’était répandu, et il parvint jusqu’en France, où il excita la plus vive impression. Il fut pleuré de sa famille et de ses confrères, jaloux pourtant de son bonheur et de sa gloire.
La nouvelle qu’il vivait encore fut portée à Québec par un Huron compagnon de sa captivité, Joseph Téondéchoren, dont nous avons déjà parlé. Ce bon chrétien avait suivi ses maîtres dans une excursion qu’ils faisaient sur les bords du Saint-Laurent. Là il parvint à tromper leur vigilance, et il s’échappa de leurs mains. Après bien des fatigues et des dangers, il arriva enfin à Trois-Rivières.
Le chevalier de Montmagny, qui désirait avoir des informations sur ce qui se passait chez les Iroquois et surtout sur le P. Jogues, manda le fugitif près de lui.
Le récit détaillé et attendrissant des épreuves subies par l’homme de Dieu, et des périls qui le menaçaient encore à chaque instant, émut d’autant plus le Gouverneur qu’il se sentait impuissant à y porter remède. Les secours qu’il attendait de France n’étaient pas arrivés, et il craignait qu’un acte de vigueur contre des ennemis si audacieux, loin de les intimider, s’ils n’étaient pas abattus, ne les exaspérât encore davantage et ne fît hâter la mort de tous les prisonniers. Il voulait à tout prix conserver la vie d’un missionnaire dont la vertu et l’expérience pouvaient lui être si utiles pour gagner ces barbares. Il chercha donc une occasion favorable de traiter avec prudence une affaire si délicate, et l’ayant rencontrée peu de temps après, il la saisit, mais sans succès.
Le 19 octobre 1642, un Sokoquiois (1), très-considéré dans sa nation, avait été pris par les Algonquins, près de Trois-Rivières. Ils le condamnèrent à passer par toutes les horreurs du supplice. Déjà on lui avait arraché les ongles et coupé deux doigts; un de ses pieds avait été percé avec un bâton aigu, et tout son corps avait été labouré avec des alênes. Quatre jeunes gens lui avait lié les poignets avec une corde à nœud coulant, et ils la tirèrent avec tant de cruauté que les chairs furent coupées jusqu’à l’os. La douleur fut telle que, malgré son impassibilité apparente, le patient tomba évanoui et ne revint à la vie que lorsqu’on lui eût jeté de l’eau froide à la figure.
Aussitôt que le Gouverneur apprit arrivée du prisonnier à Sillery…
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(1) Nation sauvage de la Nouvelle-Angleterre.
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
Aussitôt que le Gouverneur apprit l'arrivée du prisonnier à Sillery, il accourut dans la pensée de l’arracher au trépas. Indépendamment du motif d’humanité et de religion qui le portait à intervenir pour empêcher cet acte de cruelle barbarie, il en avait un autre aussi digne de son cœur que de sa foi. Par le moyen de ce prisonnier, dont la nation était alliée à celle des Iroquois, il espérait obtenir la délivrance du missionnaire, dont toute la colonie et les sauvages eux-mêmes déploraient le triste sort. Le chevalier de Montmagny demanda donc et obtint la liberté du captif.
Les religieuses hospitalières reçurent ce malheureux dans leur maison de Sillery. Ses blessures étaient horribles; les vers et la putréfaction en faisaient un objet de dégoût et de pitié; mais le mal ne résista pas aux soins maternels d’une industrieuse charité.
Quand le malade, guéri de ses blessures, fut en état de se mettre en route, on le combla de présents, et pour tout témoignage de reconnaissance, on le pria de faire intervenir les capitaines de sa nation auprès des Iroquois leurs alliés, afin d’en obtenir le renvoi du P. Jogues.
Après avoir vu la mort de si près, le Sokoquiois retourna plein de joie dans son pays, et raconta par toutes les bontés et les libéralités dont il avait été comblé. L’éloge d’Onontio, le grand capitaine des Français, et celui des Robes-noires ne tarissait pas dans sa bouche, et ceux qui l’entendaient partagèrent bientôt sa gratitude. Car tout grossiers qu’ils étaient, ces peuples épousaient avec ardeur les intérêts d’un de leurs membres, quand il fallait reconnaître un bienfait qu’il avait reçu, comme lorsqu’il s’agissait de venger une injure.
Les Sokoquiois le prouvèrent. Ils se crurent tous débiteurs envers les généreux bienfaiteurs de leur compatriote, et ils se mirent aussitôt en devoir de seconder ses désirs. Une ambassade solennelle alla au mois d’avril demander aux Iroquois la délivrance du P. Jogues, et elle offrit les présents d’usage pour donner plus de poids à ses paroles.
Les Iroquois reçurent les députés avec le cérémonial ordinaire dans une assemblée publique. L’orateur étranger exposa longuement le sujet de son message et les titres des Français à leur amitié. Son éloquence naturelle lui fournit les motifs les plus propres à émouvoir, et il termina en disant : « Mes concitoyens ne croient rien faire de trop pour obliger des cœurs généreux, et, comme ils savent quelle estime les Français ont pour Ondesonk, voici un collier de plusieurs milliers de grains de porcelaines pour couper ses liens. » Après s'être ainsi exprimé, il tira une lettre du Gouverneur de Québec, qu’il mit solennellement entre les mains du P. Jogues avec de grandes démonstrations de respect et d’affection.
Le lendemain, les anciens des Agniers se réunirent pour délibérer et faire connaître leur réponse…
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
Le lendemain, les anciens des Agniers se réunirent pour délibérer et faire connaître leur réponse. On ne l’attendit pas longtemps, et elle fut digne de la réputation de perfidie et d’astuce qui leur était si bien acquise. Ils acceptèrent les présents et promirent la liberté du prisonnier; mais ils voulaient, disaient-ils, se réserver à eux-mêmes l’honneur de reconduire le P. Jogues dans la colonie française, ce qu’ils ne pouvaient faire pour le moment. Ces paroles n’étaient qu’une nouvelle fourberie. Elles furent oubliées aussitôt après le départ de l’ambassade.
La démonstration des Sokoquiois en faveur du P. Jogues ne fut cependant pas sans effet. Elle releva beaucoup aux yeux des Iroquois le mérite du missionnaire, et on commença à le traiter avec plus d’égard.
Si les dangers publics semblaient conjurés, le P. Jogues n’était pas encore à l’abri des vengeances ou des haines privées. Il vit entrer un jour dans sa cabane un homme à moitié fou, qui se jeta sur lui et lui déchargea sur la tête deux coups de massue. Le missionnaire fut renversé, et si on n’avait pas arrêté le bras de l’assassin prêt à frapper encore, c’en était fait de sa vie. Quant au coupable, il se retira tranquillement sans avoir à subir ni châtiment ni reproche,
Toute la satisfaction que reçut le serviteur de Dieu fut dans les larmes de sa tante (1), dont le dévouement et l’affection semblaient croître chaque jour, et qui gémissait d’être impuissante à le protéger. Quand elle pouvait prévoir les dangers, elle se hâtait de le prévenir et de lui donner le moyen de les éviter ; mais dans l’appréhension où elle était de quelque surprise fatale; et voyant qu’il n’était plus question de réaliser les promesses faites aux Sokoquiois, elle finit par lui donner le conseil de s’évader, seul moyen de se soustraire à une si affreuse captivité et d’échapper à une mort presque certaine.
Cependant ce n’était pas sa délivrance qui préoccupait le P. Jogues; il mettait au-dessus d’elle les intérêts de la religion et de sa patrie, et il va donner un beau témoignage de ces héroïques sentiments.
Ayant appris que l’on tentait de nouvelles démarches pour le sauver, il voulut ne rien laisser ignorer de ses dispositions, et n’écoutant que son patriotisme, il se décida à écrire au Gouverneur du Canada et à lui suggérer des mesures qui pouvaient devenir fatales pour lui, mais qui étaient très avantageuses pour la colonie. La Providence lui ménagea une occasion favorable pour faire arriver sa lettre sur les bords du Saint-Laurent.
Pendant l’été, une troupe de guerriers de son village se préparait à faire une excursion sur les bords du grand fleuve, pour tendre des embûches aux Français et à leurs alliés, et un d’eux se chargea du message. Selon l’usage de ces peuples, il devait mettre cette lettre au haut d’un bâton fendu, qu’il planterait dans un lieu par où passent ordinairement les voyageurs. Quel que fût son motif, il voulut faire quelque chose de plus. Il s’approcha du fort Richelieu.
En effet, le 15 août 1643, les soldats du fort aperçurent sur le fleuve un sauvage qui s’avançait seul vers eux…
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(1) Les sauvages disaient oncle ou tante à un supérieur, frère à un égal, neveu à un inférieur.
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
En effet, le 15 août 1643, les soldats du fort aperçurent sur le fleuve un sauvage qui s’avançait seul vers eux. Avant de le laisser approcher, ils s’informent de sa nation et du but de sa démarche : « Je suis Iroquois, leur dit-il, et je viens vous apporter la parole de la Robe-noire, Ondesonk. » A cette nouvelle on lui laisse libre accès, et il remet en effet une lettre du missionnaire adressée au chevalier de Montmagny.
Il voulait se retirer quand le commandant du poste le força d’attendre quelque temps, afin de donner au Gouverneur la facilité de profiter de cette occasion pour répondre au missionnaire. Puis on tira un coup de canon pour annoncer que le message était accompli. Effrayés de ce signal qu’ils prirent pour une attaque, les Iroquois s’enfuirent précipitamment et abandonnèrent leur compagnon. Ce fut, comme nous le verrons, la cause d’une recrudescence de haine contre le P. Jogues.
Sa lettre au Gouverneur était écrite partie en latin, partie en français et partie en huron, afin de la rendre inintelligible si elle tombait entre des mains ennemies. En voici le texte d’après la copie restaurée conservée aux archives du Gésu à Rome.« Du village des Iroquois, le 30 juin 1643
« MONSEIGNEUR,
« Voici la quatrième (1) lettre que j’écris depuis que je suis retenu captif au milieu des Iroquois. Le temps et le papier me manquent également, et m’empêchent de répéter ici ce que j’ai dit ailleurs avec plus de détails.
« Nous vivons encore. Henri, fait prisonnier par les Iroquois auprès de Montréal, la veille de la fête de saint Jean-Baptiste, a été amené au milieu de nous. En effet, il n’a pas été frappé de coups de bâton à son entrée au village, et on ne lui a pas coupé les doigts comme à nous. Il est vivant, lui et les Hurons qui ont été amenés avec lui.
« Craignez sans cesse et partout les embûches de ces hommes, car des bandes de guerriers quittent chaque jour le village pour aller à la guerre, et il n’est pas à croire que le fleuve (2) soit débarrassé de ces sauvages avant la fin de l’automne.
« Ils sont ici au nombre de sept cents, possèdent trois cents fusils dont ils se servent avec une grande adresse, et connaissent plusieurs chemins pour arriver à la station de Trois-Rivières. Le fort Richelieu arrête bien un peu, mais n’empêche pas tout à fait encore leurs excursions.
« Si les Iroquois avaient su que le prisonnier sokoquiois avait dû aux Français d’être arraché des mains des Algonquins, ils auraient épargné, à ce qu’ils disent, les Français qu’ils ont pris et tués auprès de Montréal. Mais on était déjà au milieu de l’hiver quand cette nouvelle parvint à leur connaissance.
« Cependant une nouvelle bande vient de se mettre en campagne. Le chef est celui-là même qui commandait l’expédition dans laquelle nous fûmes fait prisonniers. Ils n’en veulent pas moins aux Français qu’aux Algonquins.
« Ne tenez, je vous prie, aucun compte de ma personne, et qu’aucune considération ayant rapport à moi ne vous empêche de prendre toutes les mesures qui vous paraîtront plus propres à procurer la plus grande gloire de Dieu.
« Voici, autant que je peux le deviner, le dessein des Iroquois : prendre tous les Hurons, s’il leur est possible; faire périr les chefs avec une grande partie de la nation, et former avec les autres un seul peuple et un seul pays.
« Je verse des larmes sur le sort de ces malheureux, dont la plupart sont déjà chrétiens, les autres catéchumènes et parfaitement disposés à recevoir le baptême.
« Quand donc pourra-t-on apporter quelques remèdes à tant de maux? Peut-être quand il n’y aura plus de prisonniers à faire.
« J’ai avec moi une…
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(1) Le» trois autres lettres dont parle le P. Jogues n’arrivèrent pas à leur adresse. — (2) Le Saint-Laurent.
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
« J’ai avec moi une Relation (1) écrite par nos Pères des choses qui se sont passées chez les Hurons, et des lettres écrites par ces mêmes Pères. Les Iroquois les ont enlevées aux Hurons et me les ont remises.
« Plusieurs fois les Hollandais ont essayé de nous délivrer, mais toujours inutilement. Ils renouvellent encore à présent leurs tentatives ; mais ce sera comme je pense avec un même résultat.
« Je forme la résolution, de jour en jour plus arrêtée, de rester ici aussi longtemps qu’il plaît à Notre-Seigneur, et ne pas chercher à conquérir ma liberté, quand même il s’en offrirait des occasions. Je ne veux pas priver les Français, les Hurons et les Algonquins des secours qu’ils reçoivent de mon ministère. Ici j’ai administré le baptême dont plusieurs se sont déjà envolés au ciel.
« Ma seule consolation au milieu de mes souffrances, c’est de penser à la très-sainte volonté de Dieu à laquelle je soumets bien volontiers la mienne.
« Je prie Votre Excellence de bien vouloir faire dire des prières, et célébrer des messes pour nous « tous, et en particulier pour celui qui est en Notre-Seigneur.
« Monsieur,
« Son très-humble et très-obéissant serviteur,« ISAAC JOGUES,
« De la Compagnie de Jésus. »
En insérant cette lettre dans la Relation des missions de 1644, le P. Vimont, supérieur au Canada, ajoute avec une sainte admiration : …
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(1) C'était la Relation annuelle et la mission des Hurons pour 1642. Elle fut enlevée par les Iroquois à un convoi de Hurons qui la portaient à Québec.
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
En insérant cette lettre dans la Relation des missions de 1644, le P. Vimont, supérieur au Canada, ajoute avec une sainte admiration :
« Il y a là plus de suc que de paroles. La tissure est excellente, quoique la main qui a formé ces caractères soit toute déchirée. Son style est plus sublime que celui qui sort des plus pompeuses écoles de rhétorique... Encore que ces paroles nous aient tiré les larmes des yeux, elles n’ont pas laissé d’augmenter la joie de nos cœurs. Il y en a qui lui portent plus envie que compassion. »
A cette lettre, beau moment du zèle ardent et de l’héroïque patriotisme du serviteur de Dieu, nous devons joindre comme complément la fin de celle d’où nous avons extrait une partie des détails de sa captivité, et qu’il écrivit à son Provincial en France, le 5 août 1643. Il était alors en passage avec ses maîtres au poste hollandais de Renselaerswich, nommé aussi fort Orange.
« Quoique bien probablement je puisse prendre la fuite si je le veux, soit par la colonie des Européens ou même par le moyen des autres sauvages nos voisins, cependant je suis bien résolu, avec la grâce de Dieu, de vivre et de mourir sur cette croix où le Seigneur m'a attaché avec lui (1). Autrement qui pourrait consoler et absoudre les captifs français ? Qui rappellera aux Hurons chrétiens leurs devoirs ? Qui instruira les nouveaux prisonniers, fortifiera dans les tourments et baptisera les moribonds? Qui pourvoira au salut des enfants moribonds et à l’instruction des autres ?
« Ce n’est certainement que par une permission toute particulière de la bonté de Dieu que je suis tombé entre les mains de ces sauvages, tandis que leur haine pour la religion, et la guerre cruelle qu'ils faisaient aux autres sauvages et aux Français à cause d’eux, fermaient l’entrée de la foi dans ces contrées. Et c’est encore un effet de sa volonté que ces Iroquois m’aient, comme malgré eux, conservé la vie jusqu’à présent afin que, tout indigne que j’en sois, je puisse instruire, éclairer dans la foi et baptiser tous ceux qui étaient prédestinés à la gloire.
« Depuis ma captivité, j’ai régénéré dans les eaux sacrées, soixante-dix personnes, enfants, jeunes gens et vieillards de cinq nations et de langues différentes, pour que chaque tribu, chaque langue, chaque peuple soit représenté devant l'Agneau (2).
« Voilà pourquoi je fléchis chaque jour le genou devant le Seigneur et le Père de mon Seigneur (1), pour que, si sa gloire le demande, il fasse évanouir les projets des Européens et des sauvages qui songent ou à m’arracher à mon exil, ou à me rendre à mes frères. Plusieurs en effet ont parlé de ma délivrance, et les Hollandais chez qui je vous écris, ont fait des offres généreuses, et en font encore pour ma rançon et celle de mes compagnons, Je les ai visités deux fois, et ils m’ont toujours reçu avec bonté. Ils ne négligent rien pour obtenir notre rachat. Ils vont même jusqu’à combler de présents les sauvages chez qui je vis, pour qu’ils me traitent avec douceur.
« Je conjure donc Votre Révérence de vouloir bien me regarder toujours comme son enfant, quelque indigne que j’en sois. Sauvage par le vêtement et la manière de vivre, et vivant, à cause de l’agitation, comme loin de mon Dieu, je veux cependant mourir, comme j’ai toujours vécu, enfant de la Sainte Église romaine, et membre de la Compagnie de Jésus.
« Demandez pour moi à Dieu…
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(1) Gal. II, 19. — (2) Apoc. VII, 9. — (1) Eph. III, 14.
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
« Demandez pour moi à Dieu dans vos saints sacrifices que, puisque j’ai abusé jusqu’à présent de tant de grâces qu’il m’a données et qui auraient pu m’élever à une sainteté éminente, je profite au moins de cette dernière occasion qui m’est offerte.
« Votre bonté ne refusera pas cette faveur à la prière de votre enfant.
« La vie que je mène est bien triste, et toutes les vertus y sont en danger : la foi dans les épaisses ténèbres de l’infidélité, — l’espérance dans des épreuves si longues et si dures, — la charité au milieu d’une si grande corruption, et loin de tous les sacrements de l’Église. Si la chasteté ne trouve pas ici les dangers des délices de ce monde, elle a celui du mélange et de la familiarité des deux sexes; celui de la liberté absolue laissée à chacun de tout dire et de tout faire, et surtout celui des nudités continuelles. Malgré soi on voit souvent ici ce que l’on cacherait ailleurs, non-seulement aux regards des curieux, mais même de qui que ce soit.
« C’est pourquoi je demande souvent à Dieu de ne pas me laisser sans secours au milieu des morts (1), et de faire en sorte que, malgré toutes les impuretés, et le culte idolâtrique rendu au démon, dont je suis témoin, isolé et sans défense, mon cœur devienne pur devant les commandements (2), afin que lorsque le bon Pasteur rassemblera les tribus dispersées d’Israël (3), il nous retire du milieu des nations pour bénir son saint nom. Fiat, fiat !(4). Permettez-moi de prier Votre Révérence de saluer tous mes RR. PP. et mes très-chers frères, que je chéris et que je respecte tous en « Notre-Seigneur, et de me recommander à leurs prières.
«Votre très-humble serviteur et fils en Jésus-Christ« ISAAC JOGUES, S. J.
« A la colonie de Renselaerswich, dans la Nouvelle-Belgique, le 5 août 1643. »
La répugnance que le P. Jogues…
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(1) Ps. LXXXVII, 6. — (2) Ps. CXVIII, 117. — (3) Ps. CXLVI, 2. — (4) Ps. CV, 67.
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
La répugnance que le P. Jogues manifestait pour voir finir sa captivité n’avait pas d’autre mobile que le désir de procurer plus efficacement la gloire de Dieu. Mais quand il vit l’impossibilité de continuer son œuvre de zèle et de charité, il ne fit pas difficulté de profiter des circonstances que lui ménagea la divine Providence, pour s’échapper des mains de ses bourreaux. C’est ce qui allait bientôt arriver; cependant Dieu lui ménageait auparavant une de ces rencontres qui font éclater la bonté du Seigneur pour ses élus, et qui sont pour ses apôtres la plus douce des récompenses ici-bas.
Une bande de capitaines Iroquois avait été députée au nom de leur nation pour aller visiter une petite nation voisine, qu’ils regardaient comme tributaire de la leur, et dont ils attendaient quelques secours. Le maître du P. Jogues était du voyage, et il amena avec lui son captif. La distance à parcourir était de près de trois cents kilomètres. Le trajet fut très-pénible ; partis comme de coutume sans provisions, les sauvages, contre leur attente, ne trouvèrent pas de gibier sur la route, et ils n’eurent à manger que de misérables fruits très-insipides qu’ils rencontrèrent dans les bois.
Le but des Iroquois, en conduisant le Père avec eux, était de faire parade de leur puissance sur les autres peuples, et même sur les Européens; mais le Seigneur avait d’autres desseins. Il allait récompenser un acte de charité….
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Louis- Admin
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Date d'inscription : 26/01/2009
Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
… Il [ Le Seigneur] allait récompenser un acte de charité.
En arrivant dans la bourgade étrangère, le P. Jogues s’empressa de visiter les cabanes pour baptiser les enfants moribonds, et instruire les malades qu’il trouverait disposés. Quelle fut sa surprise, en entrant dans une des premières cabanes qu’il rencontra, d’entendre un jeune homme couché à terre, et brisé par la souffrance, l’appeler par son nom !
« Ne me reconnais-tu pas, Ondesonk, lui dit le moribond? te souviens-tu du service que je te rendis au pays des Iroquois, et qui te fit tant de bien ?
— Je ne me rappelle pas t’avoir jamais vu, répondit le Père; mais n’importe, je te remercie puisque tu m’as fait du bien. Qu’as-tu donc fait pour moi ?
— C’était, dit le jeune homme, dans la troisième bourgade des Agniers, lorsque tu ne pouvais plus te soutenir et que tes douleurs étaient excessives; te souviens-tu qu’un sauvage s’avança et coupa tes liens ?
— Oui certes, reprit le missionnaire, j’ai béni bien des fois le Seigneur de lui avoir inspiré cet acte de charité. Je ne l'ai jamais rencontré depuis et je serais heureux de le voir, et, si je le pouvais, de lui témoigner toute ma reconnaissance.
— C’est moi-même, repartit le malade. »
A ces mots, le Père se jette à son cou, l’embrasse tendrement et l’inonde de ses larmes de reconnaissance et de compassion : « Que je suis affligé, lui dit-il, de te retrouver dans ce pitoyable état ! que ne puis-je te secourir et te soulager ! Sans te connaître, j’ai souvent prié pour toi le Maître de la vie. Tu vois mon extrême pauvreté; cependant je veux te donner un bien plus grand encore que celui que tu m’as fait. »
Le sauvage écoute avec étonnement. Alors le missionnaire lui parle de Dieu créateur et rémunérateur, de Jésus-Christ et de ses souffrances, de l’éternité et de ses récompenses. Pendant son discours Dieu agissait intérieurement sur ce cœur bien disposé, et bientôt, comme l’Eunuque des actes des Apôtres, le malade demande : «
Que faut-il donc faire pour plaire au Maître de la vie?
— Croire en lui, dit le missionnaire, et en son Fils unique, mort pour nous, et recevoir le baptême. »
L’âme du néophyte s’ouvrit à la lumière, et le ministre de Jésus-Christ eut la consolation de l’instruire et de recevoir des témoignages de sa foi. Il le fit chrétien, et, les progrès du mal augmentant rapidement, il le vit bientôt s’envoler au ciel, sans regret et plein d’espérance. C’est ainsi que Dieu récompensa au centuple celui qui avait eu compassion de son serviteur.
A suivre : Chapitre X.
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
CHAPITRE X
Départ pour la pêche. — Fureur des Iroquois. — On veut le brûler.
— II est sauvé par un capitaine hollandais. — Arrivée à Manhatte. — Départ pour la France.
L'heure de la délivrance approchait; le P. Jogues suivait de nouveau ses maîtres à la pêche sur les bords de l'Hudson, à une trentaine de kilomètres de Renselaerswich. Ce fut cette excursion providentielle qui lui fournit le moyen de s'évader. Écoutons-le raconter lui-même en détail sa fuite dans une lettre (1) qu’il écrivit de ce poste hollandais, sous la date du 30 août 1643, au R. P. Charles Lalemant :
« Je partis le propre jour de la fête de notre bienheureux Père saint Ignace de la bourgade où j’étais captif, pour suivre et accompagner quelques Iroquois qui s’en allaient premièrement en traite (1), puis en pêcherie. Ayant fait leur petit trafic, ils s’arrêtèrent à sept ou huit lieues au-dessous d’une colonie hollandaise (2) placée sur une rivière où nous faisions notre pêche.
« Comme nous dressions des embûches aux poissons, arriva le bruit qu’une escouade d’Iroquois retournée de la chasse aux Hurons, en avait tué cinq ou six sur la place, et amené quatre prisonniers, dont deux étaient déjà brûlés dans notre bourgade avec des cruautés extraordinaires.
« A cette nouvelle, mon cœur fut transpercé d’une douleur très-amère et très-sensible de ce que je n’avais pas vu, ni consolé, ni baptisé ces pauvres victimes ; si bien qu’appréhendant qu’il n’arrivât quelque chose de semblable en mon absence, je dis à la bonne vieille femme qui pour son âge et pour le soin qu’elle avait de moi, et pour la compassion qu’elle me portait, m’appelait son neveu, et moi je l’appelais ma tante : « Ma tante, je voudrais bien retourner en notre cabane; je m’ennuie beaucoup ici. »
« Ce n’était pas que j’attendisse plus de douceur et moins de peine en notre bourgade, où je souffrais un martyre continuel, étant contraint de voir de mes yeux les horribles cruautés qui s’y exercent; mais mon cœur ne pouvait souffrir la mort d’aucun homme sans que je lui procurasse le baptême.
« Cette bonne femme me dit : « Va-t’en donc, mon neveu, puisque tu t'ennuies ici. Prends de quoi manger en chemin. »
« Je m’embarquai dans le premier canot qui remontait à la bourgade, toujours conduit et toujours accompagné des Iroquois.
« Arrivé que nous fûmes en l’habitation des Hollandais, par où il nous fallait passer, j’apprends que toute notre bourgade est animée contre les Français, et qu’on n’attendait plus que mon retour pour nous brûler. Voici le sujet de cette nouvelle : entre plusieurs bandes d’Iroquois qui étaient allées en guerre contre les Français, contre les Algonquins et contre les Hurons, il s’en trouva une qui prit la résolution d’aller à l'entour de Richelieu, pour épier les Français et les sauvages leurs alliés.
« Un certain Huron de cette bande…
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(1) Relation de 1643 p, 75. — (1) Nom donné au commerce d'échange de pelleteries. On appelait traiteurs les Européens qui s’y livraient. — (2) Renselaerswich.
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
« Un certain Huron de cette bande, pris par les Iroquois, et habitué parmi eux, me vint demander des lettres pour les porter aux Français, espérant peut-être en surprendre quelques-uns par cette amorce. Mais comme je ne doutais pas que nos Français ne fussent sur leurs gardes, et que je croyais d’ailleurs qu’il était important que je leur donnasse quelques avis des desseins, des armes et des déloyautés de nos ennemis, je trouvai moyen d’avoir un bout de papier pour leur écrire, les Hollandais me faisant cette charité.
« Je connaissais fort bien les dangers où je m'exposais. Je n'ignorais pas que s'il arrivait quelque disgrâce à ces guerriers, on m’en ferait responsable, et on en accuserait mes lettres. Je prévoyais ma mort, mais elle me semblait douce et agréable, employée pour le bien public, et pour la consolation de nos Français et des pauvres sauvages, qui écoutent la parole de Notre-Seigneur. Mon cœur ne fut saisi d'aucune crainte à la vue de tout ce qui en pourrait arriver, puisqu'il y allait de la gloire de Dieu.
« Je donnai donc ma lettre à ce jeune guerrier qui ne retourna pas. L'histoire que ses camarades ont rapportée, dit qu'il la porta au fort Richelieu, et qu'aussitôt que les Français l’eurent vue ils tirèrent le canon sur eux, ce qui les épouvanta tellement que la plupart s'enfuirent tout nus, qu’ils abandonnèrent un de leurs canots, dans lequel il y avait trois arquebuses, de la poudre et du plomb et quelque autre bagage.
« Pour redoublement de malheur, une troupe revenant d’auprès de Montréal, où ils avaient dressé des embûches aux Français, disait qu'on avait tué un de leurs hommes et blessé deux autres.
« Chacun me faisait coupable de ces mauvaises rencontres. Ils étaient comme forcenés de rage, m'attendant avec impatience. J’écoutais tous ces bruits, m’offrant sans réserve à Notre-Seigneur et me remettant en tout et pour tout en sa très-sainte volonté.
« Le capitaine de l’habitation des Hollandais où nous étions, n’ignorant pas les mauvais desseins de ces barbares, et sachant d’ailleurs que M. le chevalier de Montmagny avait empêché les sauvages de la Nouvelle-France de venir tuer les Hollandais, m’ouvrit les moyens de me sauver. Voilà, me dit-il, un vaisseau à l’ancre (1) qui partira dans peu de jours, jetez-vous dedans secrètement. Il s'en va, premièrement à la Virginie, et de là il vous portera à Bordeaux ou à la Rochelle où il doit aborder.
« L’ayant remercié avec beaucoup de respect de sa courtoisie, je lui dis que les Iroquois, se doutant bien qu’on aurait favorisé ma retraite, pourraient causer quelques dommages à ses gens. « Non, non, répondit-il, ne craignez rien, l’occasion est belle; embarquez-vous; jamais vous ne trouverez de voie plus assurée pour vous sauver. »
« Mon cœur demeura perplexe à ces paroles…
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(1) L'ordre de délivrer le P. Jogues avait été envoyé à tous les commandants de la Nouvelle-Belgique par les États-Généraux de Hollande, à qui la Reine régente de France l’avait fait demander de la manière la plus pressante.
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
« Mon cœur demeura perplexe à ces paroles, doutant s’il n’était point à propos pour la plus grande gloire de Notre-Seigneur que je m’expose au danger du feu et à la furie de ces barbares, pour aider au salut de quelques âmes. Je lui dis donc : Monsieur, l’affaire me semble de telle importance que je ne puis vous répondre sur-le-champ; donnez-moi, s’il vous plaît, la nuit pour y penser. Je me recommanderai à Notre-Seigneur, j’examinerai les raisons de part et d’autre, et demain matin je vous dirai ma dernière résolution. »
« M’ayant accordé ma demande avec étonnement, je passai la nuit en prières, suppliant beaucoup Notre-Seigneur qu’il ne me laissât pas prendre de conclusion de moi-même, qu’il me donnât lumière pour connaître sa sainte volonté, qu’en tout et partout je la voulais suivre, jusqu’à être brûlé à petit feu.
« Les raisons qui pouvaient me retenir dans ce pays étaient la considération des Français et des sauvages. Je sentais de l’amour pour eux et un grand désir de les assister, si bien que j’avais résolu de passer le reste de mes jours dans cette captivité pour leur salut. Mais je voyais la face des affaires toute changée.
« Premièrement, pour ce qui regardait nos trois Français amenés captifs dans le pays aussi bien que moi, l’un d’eux, René Goupil, avait déjà été massacré à mes pieds. Ce jeune homme avait la pureté d’un ange.
« Henri, qu’on avait pris à Montréal, s’était enfui dans les bois. Comme il regardait les cruautés exercées sur deux pauvres Hurons rôtis à petit feu, quelques Iroquois lui dirent qu’on lui ferait le même traitement et à moi aussi, quand je serais de retour. Ces menaces le firent résoudre de se jeter plutôt dans le danger de mourir de faim dans les bois ou d’être dévoré par les bêtes sauvages, que d'endurer les tourments que ces demi-démons faisaient souffrir. Il y avait déjà sept jours qu’il ne paraissait plus.
« Quant à Guillaume Couture, je ne voyais quasi plus de moyens de l’aider ; car on l’avait mis en une bourgade éloignée de celle où j’étais, et les sauvages l’occupaient tellement de çà de là, que je ne le pouvais plus rencontrer. Ajoutez que lui-même m’avait tenu ce discours :
« Mon père, tâchez de vous sauver; sitôt que je ne vous verrai plus, je trouverai les moyens de m’évader. Vous savez bien que je ne demeure dans cette captivité que pour l’amour de vous; faites donc vos efforts pour vous sauver, car je ne puis penser à ma liberté et à ma vie que lorsque je vous verrai en sûreté. »
De plus, ce bon jeune homme avait été donné à un vieillard qui m’assura qu’il le laisserait aller en paix, si je pouvais obtenir ma délivrance; si bien que je ne voyais plus de raison qui m’obligeât de rester pour les Français.
« Pour les sauvages…
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
« Pour les sauvages, j’étais dans l’impossibilité et hors d’espérance de les pouvoir instruire ; car tout le pays était tellement animé contre moi, que je ne trouverais plus aucune ouverture pour leur parler ou pour les gagner. Les Algonquins et les Hurons étaient contraints de s’éloigner de moi comme d’une victime destinée au feu, de peur de participer à la haine et à la rage que me portaient les Iroquois. Je voyais d’ailleurs que j’avais quelque connaissance de leur langue, que je connaissais leur pays et leurs forces, que je pouvais peut-être mieux procurer leur salut par d’autres voies qu’en restant parmi eux. Il me venait à l’esprit que tous ces avantages mourraient avec moi si je ne me sauvais. Ces misérables avaient si peu d’envie de me délivrer qu’ils commirent une perfidie contre le droit et les coutumes de toutes les nations, en acceptant les présents des Sokoquiois sans me mettre en liberté, déloyauté sans exemple parmi ces peuples; car ils gardent pour inviolable cette loi que quiconque touche ou accepte le présent qu’on lui fait, doit exécuter ce qu’on lui demande par ce présent. C’est pourquoi, quand ils ne veulent pas accorder ce qu’on désire, ils renvoient le présent ou en font d’autres à sa place.
« Mais pour revenir à mon propos, ayant balancé devant Dieu, avec tout le dégagement qui m’était possible, les raisons qui me portaient à rester parmi ces barbares ou à les quitter, j'ai cru que Notre-Seigneur aurait plus agréable que je prisse l’occasion de me sauver.
« Le jour étant venu, j’allai saluer M. le Gouverneur, et lui déclarai les pensées que j’avais prises devant Dieu. Il mande les principaux du navire, leur signifie ses intentions, les exhorte à me recevoir, à me tenir caché, en un mot à me repasser en Europe. Ils répondirent que, si je peux mettre une fois le pied dans leur vaisseau, je suis en assurance, et que je n’en sortirai point que je ne sois à Bordeaux ou à la Rochelle. Soit donc, me dit le Gouverneur, retournez-vous-en avec les sauvages, et sur le soir ou dans la nuit, dérobez-vous doucement et tirez vers la rivière; vous y trouverez un petit bateau que je ferai tenir tout prêt pour vous porter secrètement au navire.
« Après mes très-humbles actions de grâce à tous ces messieurs, je m’éloignai des Hollandais pour mieux cacher mon dessein. Vers le soir je me retirai avec dix ou douze Iroquois dans une grange (1) où nous passâmes la nuit.
« Avant de me coucher, je sortis pour voir par quel endroit je pourrais plus facilement m’échapper. Les chiens du Hollandais étant pour lors détachés accourent à moi. Un d’eux, grand et puissant, se jette sur ma jambe que j’avais nue, et me blesse notablement (2).
« Je rentre au plus tôt dans la grange. Les Iroquois la ferment fortement et viennent se coucher auprès de moi, et surtout un d’eux qui avait quelque charge de me surveiller.
« Me voyant serré de si près...
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(1) Cette grange, de près de trente-trois mètres de long, appartenait à un Hollandais marié à une Iroquoise. L’une des extrémités servait de logement à cette famille. Les animaux domestiques occupaient l’autre; le milieu qui était vide fut laissé aux compagnons du P. Jogues. (Mss. du P. Buteux.)
(2) Le fermier s’étant levé au bruit, vint avec une chandelle examiner cette plaie. Emu de compassion, il essaya de la panser et pour tout remède il y appliqua du poil de chien.
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
« Me voyant serré de si près, et la grange bien fermée et entourée de chiens qui m’accuseraient si je prétendais sortir, je crus quasi que je ne pourrais m'évader. Je me plaignais doucement à mon Dieu de ce que, m’ayant donné la pensée de me sauver, il en bouchait les voies et les chemins. Concluserat vias meas lapidibus quadris, et in loco spatioso pedes meos (1).
« Je passai encore cette autre nuit sans dormir. Le jour s'approchant, j’entendis les coqs chanter. Bientôt après un valet du laboureur hollandais qui nous avait hébergés dans sa grange, y étant entré par je ne sais quelle porte, je l’abordai doucement et lui fis signe (car je n’entendais pas son flamand) qu’il empêchât les chiens de japper. Il sort incontinent, et moi après, ayant pris auparavant tout mon meuble qui consistait dans un petit office de la Vierge, un petit Gerson (2), et une croix de bois que je m’étais faite, pour conserver la mémoire des souffrances de mon Sauveur.
« Etant hors de la grange, sans avoir fait aucun bruit ni éveillé mes gardes, je passe par-dessus une barrière qui formait l’enclos de la maison, et je cours droit à la rivière, où était le navire. C’est tout le service que put me rendre ma jambe bien blessée, car il y avait bien un bon quart de lieue de chemin à faire. Je trouvai le bateau, comme on me l’avait dit; mais la mer s’étant retirée, il était à sec. Je le pousse pour le mettre à l’eau ; n’en pouvant venir à bout par sa pesanteur, je crie au navire qu’on m’amène l’esquif pour me passer. — Point de nouvelles : je ne sais si on m’entendait ; quoi qu’il en soit, personne ne parut.
« Le jour cependant commençait à découvrir aux Iroquois le larcin que je faisais de moi-même. Je craignais qu’ils ne me surprissent dans ce délit innocent. Lassé de crier, je retourne au bateau. Je prie Dieu d’augmenter mes forces; je fais si bien, le tournant bout pour bout et le pousse si fortement, que je le mets à l’eau. L’ayant fait flotter, je me jette dedans, et m’en vais tout seul au navire, où j’abordai sans être découvert d’aucun Iroquois.
« On me loge aussitôt à fond de cale…
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(1) Le texte porte : Conclusit vias meas lapidibus quadris (Thren, III, 9) et statuisti in loco spatioso pedes meo (Ps. xxx, 10). — (2) L'Imitation de Jésus-Christ.
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
« On me loge aussitôt à fond de cale, et pour me cacher on met un grand coffre sur l’écoutille. Je fus deux jours et deux nuits dans le ventre de ce vaisseau, avec une telle incommodité que je pensai étouffer et mourir de puanteur. Je me souvins alors du pauvre Jonas, et je priai Notre-Seigneur ne fugerem a facie Domini (1) (que je ne me cachasse point de devant sa face), et que je ne m’éloignasse pas de ses volontés; mais au contraire infatuaret omnia consilia quœ non essent ad suam gloriam, je le priais de renverser tous les conseils qui ne tendraient point à sa gloire, et de m’arrêter dans le pays de ces infidèles, s’il n’approuvait pas ma retraite et ma fuite.
« La seconde nuit de ma prison volontaire, le ministre (1) des Hollandais vint me dire que les Iroquois avaient fait bien du bruit, et que les Hollandais habitants du pays avaient peur qu’ils ne missent le feu à leurs maisons, ou qu’ils ne tuassent leurs bestiaux. Ils ont raison de le craindre, puisqu’ils les ont armés de bonnes arquebuses. À cela je répondis, si propter me orta est tempestas, projice me in mare (2) (si la tempête s’est élevée à mon occasion, je suis prêt à l’apaiser en perdant la vie), je n’avais jamais eu la volonté de me sauver au préjudice du moindre homme de l’habitation.
« Enfin il me fallut sortir de ma caverne. Tous les nautoniers s’en formalisaient, disant qu’on m’avait donné parole d’assurance au cas que je pusse mettre le pied dans le navire, et qu’on m’en retirait au moment qu’il faudrait m’y amener, si je n’y étais pas; — que je m’étais mis en danger de la vie en me sauvant sur leur parole; — qu’il la fallait tenir, quoi qu’il en coûtât.
« Je priai qu’on me laissât sortir, puisque le capitaine qui m’avait ouvert le chemin de la fuite, me demandait. Je le fus trouver dans sa maison, où il me tint caché. Ces allées et ces venues s’étant faites la nuit, je n’étais point encore découvert.
« J’aurais bien pu alléguer quelques raisons en toutes ces rencontres; mais ce n’était pas à moi à parler en ma propre cause, mais bien à suivre les ordres d’autrui que je subissais de bon cœur.
« Enfin le capitaine me dit qu’il fallait doucement céder à la tempête, et attendre que les esprits des sauvages fussent adoucis, et que tout le monde était de cet avis. Me voilà donc prisonnier volontaire dans sa maison, d’où je vous écris la présente.
« Que si vous me demandez mes pensées dans toutes ces rencontres, je vous dirai 1° que ce navire qui m’avait voulu sauver la vie, est parti sans moi.
« 2° Si Notre-Seigneur ne me protège d’une façon quasi miraculeuse…
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(1) Jon. I, 3. — (1) Le nom de ce bienfaiteur du P. Jogues mérite d’être conservé. Il se nommait Jean Mégapolensis, et fut le premier ministre de ce lieu. Il venait de Hollande avec sa femme et ses quatre enfants, et les Etats-Généraux fixèrent une somme pour son entretien. Cette circonstance d’un Jésuite sauvé par un ministre protestant n’est pas un des moins curieux épisodes de cette histoire. On lui doit une notice courte, mais intéressante sur les Agniers. — (2) Ce texte sacré porte : Tollite me et mittite in mare, quoniam propter me tempestas hœc grandis renit super vos. (Jon. I, 12.)
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
« 2° Si Notre-Seigneur ne me protège d’une façon quasi miraculeuse, les sauvages qui vont et viennent ici à tous moments, me découvriront, et si jamais ils se persuadent que je ne sois point parti, il faudra de nécessité me remettre entre leurs mains. Or s’ils avaient une telle rage contre moi avant ma fuite, quel traitement me feront-ils, me voyant retombé en leur pouvoir ? Je ne mourrai point d’une mort commune. Le feu, la rage et la cruauté qu’ils inventent, m’arracheront la vie. Dieu soit béni pour jamais ! Nous sommes incessamment dans le sein de sa divine et toujours adorable Providence. Vestri capilli capitis numerati sunt; nolite timere; multis passeribus meliores estis vos... Unus non cadet super terrain sine Patre vestro (1) (Les cheveux de votre tête sont comptés. Ne craignez pas : vous êtes plus précieux que beaucoup d’oiseaux... et cependant il n'en tombe aucun à terre sans la volonté de votre Père). Celui qui a soin des petits oiseaux de l’air ne vous met pas en oubli.
« Il y a déjà douze jours que je suis caché, il est bien difficile qu’un mauvais jour ne vienne jusqu’à moi.
« 3° Vous voyez les grands besoins que nous avons de vos prières, et des saints sacrifices de tous nos Pères. Procurez-vous cette aumône partout, afin que Dieu me rende propre et bien disposé pour l’aimer, qu’il me rende fort et courageux pour souffrir et pour endurer, et qu’il me donne une généreuse constance pour persévérer en son amour et en son service; c’est ce que je souhaiterais uniquement, avec un petit Nouveau Testament d’Europe. »
« Priez pour ces pauvres nations qui s’entre-brûlent et s’entre-mangent, afin qu’elles viennent enfin à la connaissance de leur Créateur, pour lui rendre le tribut de leur amour. Memor sum vestri in viniculis meis. Je ne vous oublie pas; la captivité ne peut enchaîner ma mémoire.« Je suis de cœur et d’affection, etc. »
Pendant que le commandant de Renselaerswich cherchait à apaiser les sauvages qui, au nombre de dix ou douze, ne pouvaient pas lui inspirer de craintes sérieuses, il vit arriver au milieu de septembre une députation venant d’Agnier pour traiter cette affaire. Les villages s’étaient émus à la nouvelle de la fuite du serviteur de Dieu. On savait que les Hollandais en étaient complices, et on voulait les en rendre responsables.
Les députés choisis parmi les principaux chefs arrivaient les armes à la main, bien déterminés à obtenir le prisonnier de gré ou de force. Tout semblait désespéré, mais le commandant du fort ne se laissa point intimider par les menaces, et resta inébranlable dans son refus.
Les clameurs redoublèrent, et, après plusieurs entrevues tumultueuses…
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( 1) Matth. x, 30.
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
Les clameurs redoublèrent, et, après plusieurs entrevues tumultueuses, on allait en venir aux mains lorsque le brave capitaine hollandais, s’avançant hardiment vers le chef des députés, lui dit d’un ton décidé : « Le Français que vous cherchez est sous ma sauvegarde, je ne puis l’abandonner. En vous le livrant je manquerais à l’honneur et à l'humanité. Vous devriez être heureux vous-mêmes d’avoir une raison de vous justifier aux yeux de vos compatriotes, et de leur épargner un crime. Vous estimez notre nation : eh bien ! sachez qu’il y a des droits de protection que des nations alliées doivent respecter. Vouloir les braver sans ménagement, c’est s’exposer à des ruptures capables d’entraîner des guerres sanglantes et interminables. Le parti que j’ai pris est adopté par tous les Hollandais; vous les aimez assez, je pense, pour déférer à leurs vœux; mais pour vous donner pleine satisfaction, voici de l’or pour la rançon de votre prisonnier. » Et il offrit en même temps trois cents livres.
A ce discours prononcé avec ce ton d’autorité que des circonstances critiques inspirent à un cœur généreux, le chef iroquois, ébloui à la vue de l’argent, consentit à un accommodement, et partit avec sa troupe.
Quoique racheté, le P. Jogues n’en était pas plus libre. On craignait les suites d’une paix traitée avec précipitation, et on attendait impatiemment une nouvelle occasion pour l’Europe.
Le commandant confia alors son hôte aux soins d’un vieillard hollandais, fidèle, mais dur, avare et sans pitié. Celui-ci le logea dans un vrai galetas, où la faim, la soif, la chaleur et la crainte des Iroquois lui firent endurer un supplice de tous les instants; mais le serviteur de Dieu s’abandonna encore là entre les mains de la Providence, comme l’enfant dans les bras de sa mère.
Ce gardien, vivandier de l’habitation, n’avait ni égards ni soins pour le missionnaire. Il lui montait de l’eau tous les quinze jours dans un baquet qui servait à faire la lessive. Les chaleurs du mois d’août et la malpropreté du vase corrompaient l’eau, et ce breuvage dégoûtant causait au pauvre reclus de violentes douleurs d’estomac. Sa nourriture était si mesquine qu’elle suffisait à peine à le soutenir. Un peu de pain noir et du beurre rance, de la citrouille fricassée, jamais de viande, tel était son ordinaire, contrairement aux instructions du commandant, qui lui envoyait de temps en temps un plat de sa table, et qui recommandait de pourvoir à tout ce qui lui était nécessaire; mais on ne tenait pas compte de ses ordres.
Cette séquestration presque complète dura six semaines, que le P. Jogues passa en entretiens avec Dieu et les saints. Le ministre protestant venait cependant quelquefois le voir. Un jour il lui demanda comment il était traité, et s’il ne manquait de rien. Celui-ci, qui s’était tu jusque-là, et qui eût encore gardé le silence s’il n’eût été interrogé, répondit qu’on lui apportait peu de chose. « Je m’en doutais, reprit le pasteur ; ce vieillard est un avare fieffé, et il retient ce qu’on vous envoie. » C’était la vérité. Le commandant eu ayant été averti, fit porter au P. Jogues du pain et de la viande, qui furent à l'avenir remis sans passer par les mains infidèles du gardien.
Un tourment plus douloureux que l'abstinence mit en péril l’existence du P. Jogues…
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
Un tourment plus douloureux que l'abstinence mit en péril l’existence du P. Jogues. Pendant qu’il était sur le vaisseau, on avait appliqué sur sa jambe blessée un emplâtre d'onguent pour la teigne. La plaie s’était envenimée et la gangrène se manifestait déjà lorsque le chirurgien de l'habitation fut appelé et parvint à arrêter les progrès du mal.
Indépendamment de ces souffrances physiques, le pauvre Père était dans des transes continuelles et ne pouvait sortir de sa cachette, les Iroquois rôdant sans cesse dans la cour du fort et y passant souvent la nuit. Il a raconté lui-même dans une de ses lettres qu’il ne comprenait pas comment ces barbares ne l'avaient pas aperçu cent fois pour une. Le grenier était divisé en deux par une cloison en planches minces et si mal ajustées, qu'il y avait plus d’un doigt de distance entre chacune d'elles. D'un côté il était facile de voir tout ce qui était dans l’autre; et c'était là son logement. Or le cantinier conservait dans le premier réduit une partie des marchandises de la traite, et les provisions qu'il vendait. Les Iroquois y venaient constamment pendant le jour, et n'étaient séparés de leur prisonnier que par l'épaisseur d’une latté. Le Père se cachait alors derrière des futailles vides, et y restait quelquefois trois et quatre heures de suite, accroupi et sans mouvement, « position qui lui donnait la géhenne et torture », craignant d’être trahi par le moindre bruit et d’être découvert par ses implacables ennemis.
Après cette longue épreuve à laquelle la divine Providence avait voulu soumettre encore la vertu de son serviteur, l’heure de la délivrance arriva au moment où il s’y attendait le moins.
Le Gouverneur de la Nouvelle-Hollande demeurait à New-Amsterdam (aujourd’hui New-York), dans l’île de Manhatte (1), à cent quatre-vingts kilomètres plus bas que Renselaerswich. C’était alors Guillaume Kieft, cinquième directeur général de cette colonie naissante, dont il avait pris le gouvernement le 28 mars 1638. Ayant appris la triste position du missionnaire et les périls qui l’entouraient, il ordonna au commandant de le lui envoyer par le premier navire, avec toutes les précautions que suggérait la prudence.
Précisément il y avait alors dans le port un bâtiment qui devait descendre la rivière le lendemain. Les préparatifs ne furent pas longs. Le ministre et quelques-uns des principaux habitants accompagnèrent le P. Jogues, qui s’embarqua secrètement et reçut de ses compagnons de voyage de grands témoignages de sympathie et de bienveillance. La traversée dura six jours. Le pasteur Mégapolensis fut d’une bonté constante à son égard, et voulut donner, en son honneur, une petite fête à l’équipage, pour célébrer son heureuse délivrance. « Notamment, raconte le héros de l’aventure, à la rencontre d’une île à laquelle il voulut qu’on donnât mon nom. Au bruit des canons et des bouteilles, chacun témoigna son amour à sa façon. »
Le ministre ne négligeait rien de ce qui pouvait exciter dans les cœurs une joie pure et franche…
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(1) Voyez l'Appendice, p. 89. (Note de Louis : Au moment où j’écris ce texte , cette page 89 n’a aucune signification dans ce livre. Tout ce que je peux dire c’est que nous parlerons de cette île dans l’Appendice à la L’Appendice H....: NOVUM BELGIUM. Bien à vous.
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
Le ministre ne négligeait rien de ce qui pouvait exciter dans les cœurs une joie pure et franche, et le P. Jogues, qu’il appelle un homme très-instruit , se prêtait avec complaisance à ces touchantes démonstrations d’amitié. Chacun admirait son aimable modestie, autant que son humilité.
Le Gouverneur de Manhatte lui fit le plus honorable accueil, l’admit à sa table, et le fit asseoir à côté du pasteur. Il pourvut aussi à ses premiers besoins, et lui fit donner des vêtements convenables en échange de ses haillons sordides et à moitié sauvages.
La présence d’un confesseur de la foi catholique et d’un Jésuite, au milieu d’une population protestante, excita une vive curiosité. On accourait pour le voir, et tous manifestaient un véritable attendrissement au récit des tourments qu’il avait supportés. Quelques-uns lui demandaient comment le récompenseraient Messieurs de la Compagnie de la Nouvelle-France (1) ; car ils se figuraient qu’il avait été ainsi traité à l'occasion de leur commerce. Le Père les détrompa et leur expliqua la sainteté du ministère apostolique : « Aucune pensée d'intérêt terrestre et périssable, leur disait-il, ne m’a fait quitter mon pays; je n'ai ambitionné qu’un seul bien, même en m'exposant aux dangers dans lesquels je suis tombé, celui d’annoncer l’Évangile à ceux qui ne le connaissaient pas. »
Un jeune homme, au service d’un marchand du pays, le rencontrant un jour, courut à lui, se jeta à ses pieds, prit ses mains mutilées et les couvrit de baisers. Il criait, les yeux baignés de larmes : « Martyr de Jésus-Christ! Martyr de Jésus-Christ ! » Le missionnaire, confus et touché, l'embrassa tendrement. Il aurait voulu se soustraire à ces démonstrations qui blessaient son humilité. Il demanda à son admirateur s’il était calviniste : « Non, répondit celui-ci en s'exprimant de son mieux, je suis Polonais et luthérien. » Il ne fut pas possible au P. Jogues de rendre aucun service spirituel à cette âme si bien disposée; il ne pouvait se faire comprendre.
Son embarras fut aussi grand avec une femme d’origine portugaise. En entrant dans une maison près du fort, il avait été agréablement surpris de voir sur la cheminée deux images, l’une de la sainte Vierge, l'autre de saint Louis de Gonzague ; il interroge et apprend que la maîtresse du logis était la femme du porte-enseigne et qu'elle était catholique.
Malheureusement elle ne savait aucune des langues que parlait le P. Jogues.
Il trouva plus de consolation…
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(1) La Compagnie de la Nouvelle-France, qui avait été fondée en 1627 sous le nom de Compagnie des cent associés , était une création de Richelieu. Elle remplaçait dans tous leurs droits et leurs obligations les compagnies de marchands qui avaient eu jusque-là le monopole de tout le commerce du Canada et qui s’étaient plus occupés de leurs intérêts que de ceux de la colonie.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
Il trouva plus de consolation dans ses rapports avec un bon catholique irlandais, qui arriva sur ces entrefaites des côtes de la Virginie. A la nouvelle de la présence d'un prêtre catholique, il n'eut rien de plus pressé que de manifester au serviteur de Dieu tout l’intérêt qu’il prenait à son sort, et de profiter de son ministère pour approcher des sacrements. C'est par lui que le P. Jogues apprit les progrès de la foi dans cette colonie anglaise des bords de Chesapeake. Fondée depuis peu d’années par un lord catholique qui fuyait sa patrie pour jouir de la liberté religieuse et vivre en paix dans sa foi, elle prit le nom de Maryland, en l’honneur de la reine Henriette-Marie. Deux Jésuites, le P. André Witz (1) et le frère John Altham, avaient accompagné les nouveaux colons « pour les aider spirituellement et travailler à la conversion des sauvages. »
Cependant le P. Jogues attendait toujours une occasion favorable pour pouvoir se mettre en route pour l’Europe. Il en trouva une au mois de novembre, et le Gouverneur hollandais lui offrit volontiers d'en profiter. C'était un petit bâtiment de cinquante tonneaux expédié, en toute hâte au gouvernement hollandais pour l’instruire des graves événements qui venaient de se passer, et qui pouvaient compromettre sérieusement l’avenir de la colonie.
Une troupe de soixante colons bien armés s’était chargée de se rendre justice pour venger la mort d’un Hollandais qu’un sauvage dans l’ivresse avait percé d’une flèche. Ils allèrent surprendre une bande de sauvages de cette nation retirés dans une petite île, et en massacrèrent quatre-vingts. Ce fut le signal d’une guerre sanglante.
Ces sauvages usèrent de représailles, et causèrent d’énormes dégâts dans la colonie. On résolut alors de les écraser. Ils furent poursuivis avec tant d’acharnement que plus de seize cents trouvèrent la mort dans le combat; les autres conclurent la paix. Mais ce résultat devint plus fatal qu’avantageux aux Hollandais. Ils sentirent bientôt qu’ils s’étaient aliéné l’esprit des indigènes et qu’ils avaient perdu leur confiance.
Il était important de communiquer au plus tôt ces nouvelles aux États.
Habitué à voir en tout l’action de la Providence, le P. Jogues remercia Dieu de l’occasion qu’il lui offrait, et muni d’une lettre de recommandation du Gouverneur, il s’embarqua pour l’Europe le 5 novembre; mais toutes les précautions prises pour faciliter ce voyage ne purent pas le mettre à l'abri de nouveaux ennuis et de nouvelles souffrances que le Seigneur semblait faire naître sans cesse sous ses pas pour donner un plus grand éclat à sa vertu.
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(1) Après douze années de travaux dans cette colonie, une révolution protestante le força à revenir en Europe en 1645, et il y mourut en 1650 à l'âge de soixante-dix-sept ans.
A suivre : Chapitre XI.
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
CHAPITRE XI
Traversée pénible. — Le P. Jogues en Bretagne. — Touchante hospitalité. — Collège de Rennes. — Arrivée à Paris.
— Parole du Souverain Pontife. — Retour au Canada. — Séjour à Montréal — Délivrance de Couture.
Le voyage du P. Jogues fut très-pénible. Passager sans argent, prêtre catholique, espèce d’esclave mis en liberté sans cautionnement, enfin Jésuite, c’étaient autant de titres qui le faisaient regarder de mauvais œil et comme une surcharge par un équipage calviniste, grossier et intolérant.
Le tillac et quelques cordages lui servaient de chambre et de lit. Lorsque la mer était trop houleuse, il n'avait pour retraite que le fond de cale, qu’il partageait avec des chats nombreux et une cargaison qui exhalait une horrible puanteur. Réduit à la ration des derniers matelots, exposé à l’humidité et à la rigueur de la saison avec des vêtements très-légers, à peine remis de ses fatigues, de ses privations et de ses blessures, enfin exposé, dans un bâtiment d’aussi petite dimension, à sentir la moindre agitation des flots, il continuait sa vie de sacrifices et de dangers.
Il en trouva même de nouveaux en approchant de l’Europe. Un coup de vent très-violent accueillit les voyageurs à l’entrée de la Manche. Ils se virent forcés de rechercher un refuge dans un port d’Angleterre, et ils se dirigèrent vers Falmouth (1), sur les côtes de Cornouailles, qui tenait encore pour l’infortuné Charles Ier. En même temps deux navires du Parlement (2), en croisière dans ces parages, donnèrent la chasse à ce bâtiment pour l’empêcher d’aborder, mais il put leur échapper et entrer dans ce port où il jeta l’ancre à la fin de décembre 1643.
Pour se délasser un peu des fatigues de la traversée, tout l’équipage alla passer la première nuit à terre. Le P. Jogues resta seul avec un matelot chargé de la garde du navire.
Au milieu de la nuit, il fut abordé sans bruit par des voleurs qui venaient pour le piller. Ils étaient persuadés qu’on ne venait pas de si loin sans apporter de grandes richesses. Ils furent déçus malgré leurs recherches et leurs menaces. Ils allèrent même jusqu’à mettre le pistolet sur la gorge du serviteur de Dieu, mais sans le maltraiter. Ils se contentèrent de lui enlever son chapeau, et de faire main basse sur tout le bagage des Hollandais.
Dès le point du jour le P. Jogues courut avertir le capitaine de ce qui s’était passé, et pendant qu'on recherchait les voleurs, il fit la rencontre d’un marin français qui, en voyant un compatriote, lui offrit à déjeuner et lui donna une vieille casaque et un bonnet de matelot; mais quand il connut ses aventures, quand il sut qu’il parlait à un prêtre et à un religieux de la Compagnie de Jésus qui voulait rentrer en France, son cœur fut ému, et il voulut s'occuper activement de son passage.
Il eut le bonheur de rencontrer…
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(1) Ce port très-important est le Cenonis Ostium de Ptolémée. — (2) Le Parlement, fanatisé par Cromwel, ne reconnaissait plus l'autorité du roi, et faisait la guerre à tous ceux qui lui restaient fidèles. C’était le commencement de la rébellion qui devait se consommer par un régicide (1649).
Dernière édition par Louis le Mar 15 Juil 2014, 3:03 pm, édité 1 fois (Raison : orthographe)
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
Il eut le bonheur de rencontrer un petit bâtiment qui allait partir pour la Bretagne, et qui consentit à se charger du missionnaire.
Bien qu’ami du Français, le capitaine hollandais ne goûtait pas cette mesure, et il n’était pas disposé à se dessaisir de son passager avant le payement de la traversée. Il finit par céder aux instances qu’on lui fit, et confiant dans la promesse d’être indemnisé de ses frais à son arrivée en Hollande, il laissa le P. Jogues prendre directement la route de la France.
La veille de Noël, le saint missionnaire s'embarqua dans ce bateau chargé de bouille, qui le déposa le lendemain matin sur les côtes de la basse Bretagne, près de Saint-Pol-de-Léon (1).
Quelle ne fut pas sa joie de se trouver enfin sur une terre catholique ! Quels élans de reconnaissance et d’amour ne s’élevèrent pas de son cœur pour remercier Dieu de l’avoir arraché à tant de périls et de l’avoir rendu à la liberté !
Sa première pensée fut d’aller se prosterner aux pieds des autels, et de tâcher de participer à la sainte Eucharistie dont il était privé depuis plus de treize mois. Il s’avance donc vers la première chaumière qu’il aperçoit sur le rivage afin de demander le chemin de l’église.
En apprenant que ce voyageur inconnu et si pauvrement vêtu s’apprête à recevoir la sainte communion, les pieux villageois, touchés de son air vénérable et de sa misère, lui prêtèrent un chapeau et un petit manteau pour qu’il pût se présenter plus décemment à la communion. Ils l’avaient pris pour quelque pauvre catholique irlandais qui fuyait la persécution, et cette pensée ajoutant à l’intérêt que leur avait inspiré son pieux projet, ils l’avaient engagé à venir chez eux prendre un peu de nourriture, après avoir satisfait sa dévotion.
C’était le beau jour de Noël. Ces bons paysans étaient revêtus de leurs habits de fête, et se préparaient à aller aux offices de la solennité. Ils se firent un bonheur de conduire le nouveau venu à l’église : grande était la joie du serviteur de Dieu de se voir entouré de ces populations bretonnes si profondément catholiques, mais elle le fut bien plus encore quand il lui fut donné d’approcher des sacrements de pénitence et d’eucharistie, et d’assister au saint sacrifice de la messe. Il se rappelait alors avec une vive reconnaissance les longs jours de sa cruelle captivité et cet isolement prolongé au milieu des barbares païens ou des hérétiques : « En ce moment, disait-il plus tard, il me semblait que je commençais à revivre et à goûter toute la douceur de ma délivrance. »
Le P. Jogues revint chez ses hôtes après l’office…
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(1) Le P. Jogues dit qu'il aborda « entre Brest et Saint-Pol-de Léon ». Cette indication, qui comprend près de quarante kilomètres de côtes, nous laisse malheureusement dans l’incertitude sur le lieu de son débarquement; mais les cinq jours de marche qu’il eut encore à faire à cheval pour arriver à Rennes permettent de supposer qu’il devait être rapproché de Saint-Pol-de-Léon.
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
Le P. Jogues revint chez ses hôtes après l’office, afin de prendre un peu de nourriture, si nécessaire dans l’état de fatigue et d’épuisement où il était. La vue de ses mains mutilées excita la curiosité de ces bons paysans, et ils lui demandèrent avec simplicité comment lui était arrivé ce malheur. Le missionnaire leur raconta alors sa longue histoire, et ces cœurs animés d’une foi vive écoutaient avec un profond sentiment de respect et d’admiration le récit émouvant de ces longues souffrances endurées pour la religion. Ce n’était plus simplement de la compassion, mais une véritable vénération qu’ils éprouvaient en présence de l’homme de Dieu. Il a raconté lui-même combien il fut touché quand il vit les deux filles de cette pauvre famille vouloir lui témoigner selon leurs moyens leur compassion et obtenir un souvenir dans ses prières : « Elles vinrent, dit-il, m’offrir avec tant d’humilité et de modestie leur aumône de quelques sous, peut-être tout leur trésor, que mon âme en fut émue jusqu’aux larmes. »
Cependant le P. Jogues avait promis au capitaine qui l’avait conduit en Bretagne qu’après avoir satisfait sa dévotion il retournerait au bâtiment. Il y était à peine revenu, qu’un marchand de Rennes, nommé Berson, qui était alors dans la contrée pour son commerce, se présenta aussi à bord pour traiter avec le capitaine.
Le père Jogues le remarqua, et ayant appris d’où il était, il regarda sa présence en ce lieu comme providentielle pour lui. Saisissant un moment favorable, il s’approche de Berson, et le tirant doucement par l’habit, il le conjure avec instance d’avoir pitié de lui.
A la vue d’un homme si décharné et si pauvrement vêtu, Berson le prend pour un mendiant, et lui présente un sou : celui-ci le refuse. Berson croyant qu’il en veut davantage, lui en offre deux : même refus.
Après un moment d’hésitation, et flottant entre la crainte et l’espérance, le P. Jogues se décide à se faire connaître, et il dit tout bas à Berson : « Mon très-bon monsieur, ayez pitié de moi. Je suis un Père jésuite. »
Aussi surpris qu’ému, Berson lui promit de lui venir en aide. En attendant qu’il eût terminé ses affaires, il le fit conduire chez un de ses amis qui demeurait dans une petite ville à seize kilomètres de là, et le lendemain il alla l'y rejoindre (1). Il prit aussitôt des mesures pour conduire le P. Jogues au collège des Jésuites le plus voisin, celui de Rennes (2). Il regarda comme une faveur insigne de lui servir de guide.
Après cinq jours de marche, le 5 janvier 1644, la P. Jogues frappait à la porte du collège, où il allait retrouver ses frères…
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(1) Le récit du P. Ducreux (Historia canad., à P. Creuxio) que Cbarlevoix n’a pas adopté, offre beaucoup de confusion dans les faits qui se passèrent, soit dans le port anglais, soit sur la côte de Bretagne. Une erreur, qui n’est sans doute qu’une faute typographique, vient encore l’augmenter. On lit littus huronicum pour littus britannicum. — (2) Le collège de Rennes fut fondé en 1606. Il devint bientôt très-florissant. On y comptait 1484 élèves en 1641. Ce chiffre n'était dépassé que par celui de Clermont, à Paris, qui était de 1800, celui de Rouen qui en avait 1968, et surtout celui de la Flèche qui dépassait 2000.
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Louis- Admin
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Re: Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.
Après cinq jours de marche, le 5 janvier 1644, la P. Jogues frappait à la porte du collège, où il allait retrouver ses frères. C’était le matin et d’assez bonne heure. A la vue d’un homme misérablement vêtu, et coiffé d’un simple bonnet, le portier fut loin de soupçonner à qui il avait affaire ; mais apprenant que cet étranger voulait voir le P. Recteur pour lui donner des nouvelles du Canada, le frère portier va en donner avis aussitôt au révérend Père. Celui-ci s’habillait en ce moment pour monter à l’autel. Cédant à un sentiment de compassion autant que de curiosité, il aima mieux retarder un moment l'heure du sacrifice. Peut-être, se disait-il à lui-même, ce malheureux est-il dans une extrême nécessité; peut-être nous apporte-il quelque dépêche importante des généreux apôtres de ces rudes contrées.
Le P. Recteur se hâte donc de descendre au parloir pour voir ce voyageur qui lui présente les lettres de recommandation du Gouverneur hollandais de Manhatte. Mais sans s’arrêter à les lire, il lui adresse mille questions sur le pays d’où il vient, sur l’état des missions et surtout sur le P. Jogues.
« Le connaissez-vous?
— Très-bien, répond l’étranger.
— Nous avons appris, continue le P. Recteur, sa prise par les Iroquois, sa captivité, ses souffrances ; mais nous ne savons ce qu’il est devenu. Est-il mort? est-il encore en vie?
— Il vit, il est en liberté, et c’est lui-même qui vous parle, »
lui dit le P. Jogues en tombant aux pieds de son Supérieur et en lui demandant sa bénédiction. Celui-ci l’embrasse avec tendresse, et l’introduit dans la maison, où bientôt toute la communauté accourt pour saluer l’héroïque missionnaire. On l’interroge, on le console, on se réjouit avec lui. Chacun veut baiser avec respect les cicatrices de ses mains et entendre le récit de sa touchante histoire. Heureux moment que celui où on retrouve un frère éprouvé par tant de malheurs et que l’on croyait perdu sans ressource!
Au milieu des transports de cette sainte joie, tous vont ensemble conduire au pied des autels le bon missionnaire, encore revêtu de son costume de matelot, et rendre à Dieu de justes et ferventes actions de grâces pour cette série si merveilleuse de bienfaits signalés.
Malgré les redites qu’elles contiennent, le lecteur ne verra pas sans intérêt deux lettres que le P. Jogues…
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