Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.

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Message  Louis Mer 23 Juil 2014, 11:18 am


La fondation de cette ville eut un caractère exclusivement religieux.Un grand serviteur de Dieu, le vénérable M. Olier, fondateur des Sulpiciens, poussé par l’esprit de Dieu, s’associa des cœurs zélés pour former au Canada un centre actif de propagation religieuse, dans l’intérêt des sauvages habitants de ces contrées. Ils devaient exclure de leur plan tout motif d’intérêt et tout mobile humain.

L’exécution de ce projet avait été confié à un brave et vertueux gentilhomme, M. de Maisonneuve, et le 17 mai 1642, il arriva sur ce rivage avec les quarante premiers colons, tous animés du même courage et du même sentiment religieux. Ils y venaient les armes à la main, car à cette époque de la guerre la plus active des Iroquois, il fallait être prêt à manier le mousquet aussi souvent que la charrue.

Pour prise de possession ils plantèrent là le drapeau de la France et le symbole de la foi. Le P. Vimont les avait accompagnés, et dès le premier jour il offrit le saint sacrifice dans une humble chapelle d’écorce, pour consacrer à Dieu un sol sur lequel le démon avait jusque-là régné en maître.

Née sous de semblables auspices, la petite colonie s’épanouit sous l’influence salutaire de la religion, et elle en conserva toujours le caractère. La foi et la piété en formaient l’âme; la paix et l’harmonie y régnaient. C’est pour cela qu'un chroniqueur de cette époque a pu dire avec vérité : « Si jusqu’à présent ces déserts ont été le domaine des démons, ils sont aujourd’hui habités par des anges. »

Quand le P. Jogues arriva à Ville-Marie, les cabanes d’écorce étaient devenues de solides maisons en bois. Un petit hôpital avait déjà été dressé, ainsi que la chapelle et la maison des missionnaires (1). Le serviteur de Dieu se mit aussitôt à l’œuvre auprès des sauvages voyageurs qui abordaient souvent en ce lieu, mais il travailla aussi à entretenir la ferveur de la petite colonie. Trois ans plus tard, le P. Jér. Lalemant donnera ce beau témoignage sur son séjour à ce poste : « Sa mémoire y est encore vivante. L’odeur de ses vertus récrée et conforte toujours tous ceux qui ont eu le bonheur de le connaître et de converser avec lui.

Les heureux commencements de Ville-Marie contrastaient étrangement avec l’agitation et l’inquiétude répandues alors dans le pays tout entier. La guerre des Iroquois avait pris un caractère alarmant d’audace et de fureur. Ils infestaient tous les chemins. Ils semblaient avoir disposé leur plan d’attaque sur une plus grande échelle que jamais, et avec un art stratégique qu’on ne s'attendait pas à trouver chez des barbares. Leurs guerriers, divisés en dix bandes, étaient échelonnés sur toutes les routes ; ils savaient prendre des positions telles qu’ils pouvaient découvrir les voyageurs à seize et vingt kilomètres de distance sans être vus eux-mêmes, et ils ne tentaient l’attaque que quand ils se croyaient les plus forts.

On ne pouvait plus voyager avec sécurité dans le pays…

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(1) Les Jésuites ne furent chargés de l’administration spirituelle de cette ville naissante que pendant les quinze premières années c’est-à-dire jusqu'à l’arrivée des Sulpiciens envoyés par M. Olier, qui devinrent les seigneurs et les pasteurs de l'Ile entière .

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Message  Louis Jeu 24 Juil 2014, 12:22 pm


On ne pouvait plus voyager avec sécurité dans le pays ; les Hurons et les Algonquins n'osaient plus descendre à Québec.

« J’aimerais presque autant, écrivait le P. Vimont, être assiégé par des lutins que par des Iroquois. Les uns ne sont guère plus visibles que les autres. Quand ils sont éloignés, on les croit à nos portes, et lorsqu’ils se jettent sur leur proie, on s’imagine qu’ils sont dans leur pays. »

Ces difficultés avaient empêché depuis trois ans d’envoyer des secours aux missionnaires des Hurons, et le Supérieur de Québec les croyait avec raison dans un grand état de détresse. Leurs vêtements tombaient en lambeaux et leurs approvisionnements étaient épuisés. On voulut, au printemps de 1644, faire une tentative pour leur porter quelques soulagements.

Il y avait alors à Québec un jeune missionnaire, le P. Jos. Bressani, de la province de Rome, qui avait obtenu par ses instances la mission du Canada, et qui y arriva en 1642. Telle était l’idée qu’inspirait sa vertu et son courage, qu’on le jugea digne de conduire cette expédition périlleuse. Mais son apostolat auprès des sauvages allait commencer par la captivité, et sa prédication par les souffrances.

Un jeune Français et quelques Hurons chrétiens formaient son escorte. Pour être prêts à tout événement, tous s’étaient préparés à ce voyage comme s’ils avaient dû trouver la mort en chemin. Le Gouverneur leur avait fait distribuer des arquebuses; mais la joie que leur causait ce présent, qui n’était accordé alors qu’aux seuls chrétiens, fut la cause innocente de leur perte. Leur fusillade multipliée donna l’éveil à des Iroquois embusqués sur les bords du lac Saint-Pierre.

Ceux-ci purent à loisir organiser leur surprise et tomber en force sur le convoi sans lui donner le temps de se défendre. C’est ce qui arriva. Un seul Huron périt dans l’attaque. Le P. Bressani et tous les néophytes furent faits prisonniers et condamnés à d’horribles supplices. Mais après quatre mois de captivité le missionnaire (1) fut racheté par les Hollandais de Renselaerswich et renvoyé en Europe.

La nouvelle de la prise du P. Bressani et de ses néophytes jeta la consternation dans la colonie française. Privé de tout secours d’Europe, le Gouverneur était dans l’impuissance de faire la loi aux Iroquois et de punir leur audace. C'est à peine si avec ses quelques soldats il pouvait faire suffisamment respecter les postes occupés par les Français. Heureusement les Iroquois n’avaient pas le secret de la faiblesse de la colonie.

Dans une situation si précaire…

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(1) Comme le P. Jogues, le P. Bressani a été l'historien de ses propres souffrances. Son récit, plein d’une touchante simplicité, est inséré dans une intéressante histoire de la mission huronne, qu’il publia en italien en 1653. Elle a été reproduite en français à Montréal (Canada), en 1852. Le P. Bressani retourna au Canada en 1646, et y resta jusqu'à la destruction de la nation huronne en 1649. Rentré alors dans la province romaine, il obtint comme missionnaire des fruits abondants, dus moins encore à son éloquence qu’à sa qualité de missionnaire des sauvages, et aux glorieuses cicatrices qu’on voyait sur ses mains. La Bibliographie universelle (Michaud) et la Bibliographie générale (Didot) font deux hommes de ce missionnaire sous le nom de Brassoni et de Bressani. Le P. Patrignani (Menolog.) le nomme à tort Bresclani.

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Message  Louis Ven 25 Juil 2014, 12:44 pm


Dans une situation si précaire, le Gouverneur de Montmagny ne voyait de ressource que dans un traité de paix avec ces cruels ennemis, mais il le voulait sans détriment pour l’honneur de la France. Par bonheur pour la colonie, un parti puissant chez les Iroquois inclinait aussi pour la paix, et ne cachait pas son désir. Ils voyaient que la guerre épuisait les forces de la nation; leurs guerriers disparaissaient peu à peu sans se renouveler, en sorte que les victoires finissaient par devenir des désastres. Ils avaient d’ailleurs en ce moment-là une guerre acharnée à soutenir contre une nation puissante du sud, et une diversion leur serait fatale.

Ces dispositions une fois connues, le Gouverneur chercha une occasion d’entrer en négociation sans compromettre la dignité de la France, et il la trouva peu de temps après, à la fin de mai.

Deux guerriers iroquois avaient été faits prisonniers par les Algonquins, et, selon l'usage, ils étaient condamnés au feu. Le Gouverneur intervint, et ayant obtenu leur délivrance, il les renvoya dans leur pays comme témoignage de bienveillance, et pour les engager à pousser à la paix.

Il voulut obtenir des Hurons, qui avaient tant à souffrir de la guerre des Iroquois, une démarche semblable. Il demanda à quelques-uns de leurs guerriers la délivrance d'un prisonnier Iroquois tombé entre leurs mains, et il fît même des présents pour l'obtenir. L'orgueil des Hurons fut froissé, et la soif de la vengeance les rendait difficiles. Un des capitaines fit à cette proposition une réponse qui, dans une autre bouche que dans celle d'un sauvage, passerait pour une injure; dans la sienne elle révélait la fierté du caractère et la profondeur de la plaie que sa nation avait reçue :

« Je suis homme de guerre et non marchand : je suis venu combattre et non trafiquer. Ma gloire n'est pas de rapporter des présents, mais de ramener des prisonniers. Ainsi je ne veux toucher ni à tes haches ni à tes chaudières. Si tu as si grand désir d'avoir ce prisonnier prends-le. J'ai encore assez de force pour aller en faire un autre. Si j’y perds la vie, on dira dans mon pays ; Onontio a retenu leur prisonnier, et ils se sont voués à la mort pour en  avoir un autre. »

Charles, Huron chrétien, intervint dans le conflit et parla avec plus de modestie et de raison :

« Ne te fâche pas, Onontio, lui dit-il; ce n’est pas pour te désobéir que nous agissons ainsi ; mais il y va de notre honneur et de notre vie. Nous avons promis à nos anciens que si nous faisions quelque prisonnier, nous le leur remettrions entre les mains. De même que les soldats qui t’entourent t’obéissent, ainsi faut-il que nous obéissions à ceux qui nous commandent. Que répondrions-nous au reproche de tout le pays, quand sachant que nous avions fait des prisonniers, il ne verrait dans nos mains que des haches et des chaudières? Nous serions condamnés comme des gens sans esprit pour avoir décidé une affaire de cette importance sans l’avis des anciens. Tu veux la paix; nous la voulons aussi, et nos anciens ne s’y opposent pas. Si nous lâchions notre prisonnier, notre vie pourrait être compromise. Les Iroquois sont partout sur la route. Si nous les rencontrons, nous n’aurons rien à craindre en montrant notre prisonnier à qui nous n’avons fait aucun mal, et que nous voulons offrir à nos anciens comme moyen d’obtenir la paix. »

Un discours si judicieux et si mesuré était sans réplique. Le Gouverneur comprit…

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Message  Louis Sam 26 Juil 2014, 12:10 pm


Un discours si judicieux et si mesuré était sans réplique. Le Gouverneur comprit tout l’avantage qu’il y avait à laisser aux Hurons toute l'initiative de ces démarches. Il se contenta de les y engager fortement, et les anciens des Hurons rendirent en effet ce prisonnier à sa patrie.

Cette conduite bienveillante des Français et de leurs alliés porta ses fruits. Les Agniers voulurent aussi se piquer de générosité, et en témoignage de leurs bonnes dispositions, ils donnèrent la liberté à Guill. Couture, ce jeune Français compagnon de captivité du P. Jogues, et le renvoyèrent accompagné de trois Iroquois chargés d'entamer des négociations de paix.

L'arrivée de cette ambassade fut un événement pour la colonie. Elle aborda à Trois-Rivières le 5 de juillet 1644. Toute la population Française et sauvage était accourue sur le rivage. Kiotsaeton, que les Français surnommèrent le Crochet, était le chef de l’ambassade. Il était secondé par le capitaine  Atogoüaekouan, c'est-à-dire la Grande-Cuiller. Celui-ci, dit le P. Le Jeune, était de belle taille, bien fait, hardi, éloquent, mais fourbe et railleur.

Kiotsaeton était revêtu de ses plus riches habits. Sa tête, son cou, ses poignets portaient des ornements de toute espèce aux couleurs variées. Il fit arrêter son canot tout près de terre, et avant de descendre, il se leva sur l'avant et dit à la foule : « J'ai quitté mon pays pour vous voir. On m'a dit que je venais chercher la mort et que je ne reverrais plus ma patrie : je n'ai rien craint. Je me suis volontiers exposé pour le bien de la paix, et je viens en toute confiance vous porter les pensées des Iroquois. »

Le canon du fort salua l'arrivée des Iroquois. On voulait leur donner une haute idée de la puissance et de la magnificence des Français.

Cependant le héros de cette fête fut le bon Couture. On le croyait mort depuis longtemps. Chacun voulait lui manifester sa joie, et bénir avec lui le Seigneur de son heureuse délivrance. Sa captivité avait fini par devenir peu rigoureuse. « Les Iroquois le tenaient en estime et réputation; aussi tranchait-il du capitaine, s’étant acquis ce crédit par sa prudence et par sa sagesse, tant la vertu est aimable, même parmi les barbares ! (1) »

Les négociations de la paix vont faire reparaître le P. Jogues sur la scène. Il fut appelé à Trois-Rivières pour suivre cette affaire. Sans cesser d'être apôtre, il allait devenir négociateur.

Ce sera pour lui le chemin du martyre.

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(1) Lett. de la V. Mère Marie de l'Incarn.


A suivre : Chapitre XII.

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Message  Louis Dim 27 Juil 2014, 12:02 pm

CHAPITRE  XII
Grande assemblée de Trois-Rivières—Traité de paix. — Le P. Jogues chez les Iroquois. —Voyage pénible. — Retour à Trois-Rivières.

Le 12 juillet 1644, une assemblée solennelle eut lieu à Trois-Rivières. Le Gouverneur général la présida sur la place du fort, ayant à ses côtes M. de Champflour, commandant de la ville, et le P. Vimont, qui tenait la place du R. P. Lalemant, Supérieur général des missions de la Nouvelle-France, retenu encore chez les Hurons. Des voiles de navire formaient une vaste tente. Une écorce de sapin, placée à une certaine distance devant le fauteuil du chevalier de Montmagny, servait de siège aux Iroquois. Les Algonquins, les Montagnais et les Attikamèques étaient derrière eux. Les Hurons mêlés aux Français formaient la haie des deux côtés.

Les Iroquois avaient planté deux perches au milieu de l'enceinte, et la corde tendue de l’une à l'autre devait porter les dix-sept colliers de porcelaine (1), qui étaient comme leur parole.

Cette scène curieuse et animée peint au naturel les mœurs et le caractère du sauvage. Esclave des sens, il faut pour lui que tout parle aux yeux. Il revêtira toutes ses paroles d'images, et son imagination toujours en contact avec la nature lui empruntera le plus souvent ses comparaisons et ses tableaux. Le bon sens, l’éloquence et la noblesse de sentiments ne dépendent pas de l’éducation seule, et souvent on retrouve sous l’enveloppe brute de ces enfants des forêts toute l'astuce du diplomate et le pathétique de l'orateur.

Quand chacun eut pris place, Kiotsaeton se leva. On reconnaissait en lui un homme habitué à son rôle, et il le remplissait avec une dignité qui n’avait rien de sauvage; sa mémoire tenait du prodige. Il possédait son thème pour expliquer chacun des colliers, comme s’il avait eu sa leçon écrite. Les métaphores et les figures coulaient comme de source, jointes à des gestes et à une pantomime très-expressive.

Prenant un premier collier et s’adressant au Gouverneur, il lui dit: …

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(1) La porcelaine que les sauvages nommaient Wampum , doit son nom à un coquillage ( Vignols ou Porcella ) remarquable par son poli, son éclat vitreux et transparent. On le divisait en petits fragments de différentes formes qu’on nommait grains , et avec ceux-ci on formait des colliers ou bandes qui servaient d’ornement et de parure, ou de gage et de sanction dans les transactions sociales. Les grains de rassade, que les Européens introduisirent dans le pays, prirent bientôt la place des coquillages, mais en empruntant leur nom.

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Message  Louis Lun 28 Juil 2014, 11:02 am


Prenant un premier collier et s’adressant au Gouverneur, il lui dit : source, jointes à des gestes et à une pantomime très-expressive.

« Onontio, prête l’oreille à  ma voix, je suis la bouche de tout mon peuple. Tu écoutes tous les Iroquois, entendant ma parole. Mon cœur n’a point de mauvais sentiments, mes intentions sont droites. Nous voulons oublier tous nos chants de guerre et leur substituer des chansons joyeuses. »

Il se mit alors à chanter en marchant à grands pas et en gesticulant. Ses compagnons marquaient la mesure avec le hé ! cadencé et fortement aspiré qu’ils tirent du fond de leur poitrine.

Kiotsaeton regardait souvent le soleil, et se pressait les bras avec les mains, comme pour en tirer la vertu guerrière, qui les avait tenus armés pendant si longtemps.

Bientôt il reprit un air composé, et continua ainsi :

« Ce collier que je te présente, te remercie d’avoir donné la vie à mon frère Tokrahenehiaron, tu l’as retiré du feu et de la dent des Hurons; mais comment as-tu pu le laisser partir seul ? Si son canot eût chaviré, qui l'eût aidé à se relever ? S’il se fût noyé ou qu’il eût péri par quelque autre accident, tu n’aurais aucune nouvelle de la paix, et peut-être aurais-tu rejeté sur nous une faute dont toi seul étais coupable. »

Après avoir suspendu ce collier à la corde, il en prend un second, l’attache au bras de Couture, puis se tournant vers le Gouverneur : « Mon père, ce collier te ramène ton sujet; mais je me suis bien gardé de lui dire : Mon neveu, prends ce canot et retourne à Québec ; mon esprit n’aurait pas été tranquille avant d’avoir des nouvelles certaines de son arrivée. Mon frère, que tu nous as renvoyé, a beaucoup souffert, et a couru bien des risques. Il était seul à porter son bagage, à nager toute la journée, et à traîner son canot dans les rapides. Il lui fallait en même temps être toujours en garde contre les surprises. »

Une gesticulation animée accompagnait toutes ces paroles. On croyait voir un homme tantôt pousser son canot avec la perche, tantôt parer une vague ou éviter un rocher avec l’aviron. Il paraissait par moments épuisé et hors d’haleine; puis il reprenait courage, et restait quelque temps en repos. Il se mettait ensuite à marcher comme pour faire portage , et feignait de s’être heurté le pied contre une pierre. Alors, comme s’il se fût blessé, il s’avançait en boitant et marchait avec effort. « Encore, s’écriait-il, si on l’eût aidé à franchir les endroits les plus difficiles ! En vérité, mon père, je ne sais où tu avais l’esprit de renvoyer ainsi un de tes enfants tout seul  et sans secours. Je n’ai pas agi ainsi avec Couture; je lui ai dit : Allons, mon neveu, suis-moi; je veux te rendre à ta famille, au péril de ma vie. »

Chaque collier avait ainsi son but particulier.

Le quatrième annonce que l'Iroquois a renoncé à toute idée de vengeance pour ses frères tués par les Algonquins…

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Message  Louis Mar 29 Juil 2014, 12:38 pm


Le quatrième annonce que l'Iroquois a renoncé à toute idée de vengeance pour ses frères tués par les Algonquins le printemps précédent, et il donne à sa pensée ce tour ingénieux :

« En venant ici, j’ai passé près du théâtre du dernier combat, où ces deux frères-ci ont été faits prisonniers. J'ai marché le plus vite que j’ai pu, pour ne pas voir le sang de mes compatriotes qu’ont fait couler Piescaret (1) et les Algonquins. Comme leurs cadavres sont encore sans sépulture, j’ai détourné les yeux pour empêcher ma colère de s’allumer. »

Il se met à frapper la terre et à écouter; puis il ajoute : « J’ai entendu la voix de mes ancêtres tués autrefois par les Algonquins, ils me voyaient porté à la vengeance; ils m’ont dit avec douceur : — Sois bon, mon petit-fils, n’écoute pas ton ressentiment. Tu essayerais inutilement de nous arracher à la mort. Pense aux vivants et travaille pour eux; détourne le glaive de dessus leur tête, et le feu qu’on prépare pour les brûler.»

Le cinquième chassait les canots ennemis.

Le sixième abaissait les rapides qui conduisent au pays des Iroquois.

Le huitième était pour faire le chemin.

Vous eussiez dit, écrit le P. Vimont, qu’il abattait des arbres, qu’il coupait des branches, qu’il écartait les bois, et qu’il mettait de la terre dans les endroits creux.

« Voilà, disait-il, le chemin tout net, tout poli, tout droit. Il se baissait vers la terre, regardant s’il n’y avait plus d’épines ou de bois, s’il n’y avait point de butte qu’on pût heurter en marchant. C’en est fait, ajoutait-il, on verra la fumée de nos cabanes depuis Québec jusqu’au fond de notre pays (1). Tous les obstacles sont levés. »

Le dixième, plus grand et plus beau que les autres, annonçait la paix entre les Français, les Algonquins et les Agniers. Et, comme symbole de cette union, l’orateur, tout en pérorant, prend un Français et un Algonquin, et les attache ensemble par le bras avec ce collier.

Le onzième promet bonne chère : « Nous avons beaucoup de poissons et de gibier, disait l’orateur. — Nos forêts sont peuplées de cerfs, d’orignaux, de chevreuils, d’ours, de castors. Laissez là ces puants pourceaux qui salissent vos maisons et qui ne se nourrissent que d’ordures. »

Le douzième collier chasse tous les soupçons de perfidie qu’on leur a imputée. L’ambassadeur l’élève et l’agite en l’air comme pour dissiper et repousser les nuages : « Que partout brillent le soleil et la vérité, » s’écrie-t-il !

Les treizième et quatorzième…

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(1) Célèbre capitaine algonquin. — (1) Il s’agit d’une distance de près de cinq cents kilomètres !

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Message  Louis Mer 30 Juil 2014, 1:04 pm


Les treizième et quatorzième sont adressés aux Hurons :

« Vous avez eu autrefois envie de faire la paix; il y a cinq ans vous aviez à la main un sac plein de colliers et d’autres présents pour demander notre amitié. Qui vous en a empêché ? Votre sac tombera à terre; les présents seront brisés, dispersés, et alors vous perdrez courage. Pourquoi attendez-vous si longtemps ? »

Le quinzième présent était d’un intérêt plus piquant encore que les autres et, malgré toute l’astucieuse éloquence de Kiotsaeton, il aurait motivé l’accusation de duplicité si, dans sa position, il n'avait pas eu pour but d’atténuer, par tous les moyens, la conduite cruelle de ses compatriotes. Il s’efforçait de les justifier au sujet du P. Jogues et du P. Bressani :

« Nous voulions vous les ramener tous les deux, mais nous n’avons pas pu accomplir notre dessein. L’un s’est échappé de nos mains malgré nous, et l’autre a voulu absolument être remis aux Hollandais. Nous avons cédé à ses désirs. Nous regrettons non qu’ils soient libres, mais que nous ne sachions pas ce qu’ils sont devenus. Peut-être même qu’au moment où nous parlons d’eux, ils sont engloutis dans les flots ou victimes de quelque cruel ennemi; mais les Agniers n’avaient pas le dessein de les faire mourir. »

Le chef iroquois ignorait que le P. Jogues assistât à cette assemblée…


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Message  Louis Jeu 31 Juil 2014, 12:36 pm


Le chef iroquois ignorait que le P. Jogues assistât à cette assemblée. Celui-ci ne put s’empêcher de sourire à son discours. « Malgré toutes ces belles paroles, dit-il à ses voisins, les bûchers étaient préparés et les bourreaux attendaient. Si Dieu ne m’avait pas arraché de leurs mains, j’aurais été bel et bien brûlé, et je serais mort cent fois pour une; mais laissons-le dire. »

Le dix-septième présent regardait Honateniate, l’un des deux captifs iroquois arrachés aux Algonquins et retenus comme otages par le Gouverneur, jusqu’au retour de celui qui était allé porter à ses compatriotes les premières paroles de paix. Sa vieille mère avait déjà perdu son fils aîné à la guerre, et c’est pour le remplacer que le P. Jogues lui avait été donné. Ayant appris que son second fils vivait encore, elle accourut vers Kiotsaeton avant son départ, lui donna un de ses colliers, qu’elle avait souvent porté, et avec un sentiment touchant de tendresse maternelle le pria d’en faire hommage à celui qui avait sauvé la vie de son enfant.

Au début de sa captivité, ce jeune homme avait été accablé sous le poids de la crainte et d’une tristesse mortelle. Rien ne pouvait le distraire, et il semblait en proie au plus sombre désespoir. Il apprit que le P. Jogues était à Trois-Rivières ; il se rappela sa vertu, la tendresse de sa mère pour lui, et il chercha à lui parler. Aussitôt qu’il l’aperçut, les transports de sa joie la plus vive éclatèrent ; on eût dit qu’il retrouvait sa famille et qu’il jouissait de la liberté. Le missionnaire le consola et fit rentrer la paix et l’espérance dans son âme.

Témoin de cette imposante réunion, un Huron, dont les dispositions n’étaient pas favorables aux Français, chercha à inspirer de la défiance au capitaine iroquois, et à semer dans son esprit des doutes sur la loyauté de leurs intentions. Celui-ci lui répondit adroitement : « J'ai la figure peinte et barbouillée d’un côté; de l’autre elle est propre et nette. Du premier côté, je ne vois pas clair, de l’autre j’ai la vue bonne. Le côté peint, c’est la côté des Hurons; je n’y vois goutte. Le côté propre est celui des Français, j’y vois clair comme en plein midi. » Le Huron ne répliqua pas et se retira confus.

Deux jours après, le chevalier de Montmagny fit connaître sa réponse avec le même appareil que dans la première séance, et il offrit en même temps 14 présents. Le célèbre Piescaret, la terreur des Iroquois pendant longtemps, parla pour les Algonquins, et Noël Négabamat, le fervent capitaine da Sillery, pour les Montagnais; les autres nations n’avaient pas d’orateur.

Trois coups de canon annoncèrent la fin de la séance. « C’était, dit le Gouverneur, pour chasser le mauvais air, et pour porter en tous lieux la nouvelle de la paix. »

Il donna ensuite un grand festin aux ambassadeurs, et on prononça encore là bien des discours; car rien ne rend les sauvages loquaces et éloquents comme la bonne chère, et aucune affaire ne peut se conclure avec eux sans un festin.

Un incident mystérieux…

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Message  Louis Ven 01 Aoû 2014, 1:20 pm


Un incident mystérieux qui semblait prouver les intentions peu sincères des Iroquois, faillit rompre les négociations (l). Après la fête publique, le capitaine Kiotsaeton demanda une entrevue particulière avec le Gouverneur, « il avait, disait-il, un présent à lui faire. » Quand il fut en sa présence, il lui dit qu’il n’entendait conclure la paix qu’avec les Français et les Hurons, mais qu’il ne voulait pas y comprendre les Algonquins.

Cette ouverture imprévue mécontenta le chevalier de Montmagny, qui refusa le présent et ne consentit même pas à le voir; il déclara qu’il n’approuverait jamais cette condition.

Le capitaine iroquois fut sensible à ce refus, et le traité fut sur le point d’être rompu. On prit du temps pour réfléchir, et le Gouverneur, dans une deuxième entrevue secrète, trouva un terme moyen. Il expliqua à l’Iroquois qu’il y avait deux sortes d’Algonquins, les uns chrétiens, qui étaient comme les Français, et sans lesquels il ne ferait jamais la paix; les autres, qui étaient plus indépendants et dont les intérêts n’étaient pas si étroitement unis aux leurs, en seraient seuls exclus. Cette distinction contenta l’ambassadeur, et les Algonquins en question furent admis dans la convention. Les Agniers publièrent cette condition dans leur pays, mais les Français ne l’avouèrent pas en public.

Les heureux résultats de cette première assemblée répandirent la joie dans la colonie et firent renaître partout l’espérance. Ce n’était cependant qu’un préliminaire de la paix. Les ambassadeurs iroquois devaient faire approuver leur conduite par les capitaines de leur nation, et revenir ensuite avec de plus amples pouvoirs.

D’un autre côté, le Gouverneur de Montmagny voulait que les nations alliées des Français, qui devaient autant qu’eux profiter des bienfaits de la paix, prissent une part active à sa conclusion. Elles furent toutes convoquées pour le mois de septembre, et on vit alors accourir à Trois-Rivières plus de quatre cents sauvages Hurons, Attikamèques, Montagnais, Sauvages de l'Ile, etc.

Quatre ambassadeurs Iroquois, toujours accompagnés de Couture, qui leur servait d’interprète, arrivèrent au rendez-vous, et alors eurent lieu de grandes assemblées auxquelles prirent part toutes les nations sauvages alliées des Français sans exception.

Tout se passa avec le plus grand ordre et la plus parfaite harmonie. Malheureusement le canton des Iroquois Agniers prenait seul part à ces négociations, et malgré les espérances qu'ils donnaient d’entraîner les autres cantons, non-seulement ceux-ci ne se lièrent pas, mais on vit alors même quelques-uns de leurs guerriers attaquer les Algonquins et les Français près de Montréal, ou faire des excursions dans le pays des Hurons.

La paix n’en fut pas moins conclue avec les Iroquois Agniers…


(1) Journ. Jés.


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Message  Louis Sam 02 Aoû 2014, 12:22 pm


La paix n’en fut pas moins conclue avec les Iroquois Agniers; mais les dernières ratifications ne furent données qu’au mois de mai 1646. C’est dans une de ces réunions que pour montrer toute sa sympathie pour les Français, le fameux orateur Kiotsaeton offrit aux missionnaires un présent en porcelaine, à cause de la mort du P. de Noüe (1), qu’on trouva gelé au mois de février : « Voilà, leur dit-il, pour réchauffer le lieu où le froid a fait geler ce bon Père : mettez ce présent dans votre sein pour vous distraire des pensées qui pourraient vous attrister. »

Des chants, des danses, des festins couronnèrent ces solennelles assemblées, où l’on voyait confondus dans l’élan d’une commune joie des hommes qui s’étaient fait une guerre si acharnée. On les vit chasser ensemble et en paix dans les mêmes lieux où ils se dressaient des embûches de mort. Mais bientôt ils se dispersèrent de différents côtés, les uns pour gagner les rivages lointains du lac Huron, les autres pour s’enfoncer vers le nord dans leur pays de chasse, et les Iroquois pour retourner à leurs bourgades sur la rivière des Mohawks.

Jusque-là Couture (1) avait seul porté la parole des Français chez les Iroquois, mais plutôt comme interprète que comme négociateur. Le Gouverneur comprit que pour donner une plus grande importance à ce traité, il devait confier sa conclusion à des agents d’un rang plus élevé.

On jeta les yeux sur le P. Jogues, qui pendant ces longs pourparlers pour la paix avait repris le chemin de Montréal, et y continuait ses travaux. La connaissance qu’il avait de la langue et des mœurs des Iroquois semblait le désigner d’avance pour cette mission périlleuse. Il l’avait achetée assez cher. II allait d’ailleurs remplir là un devoir religieux autant que politique. Il ne portait pas seulement les paroles du Gouverneur français, il devait préparer les voies à l’Évangile.

La pensée de confier cet apostolat au P. Jogues préoccupait le Supérieur de la mission du Canada…


________________________________________________________

(1) Le P. de Noüe mourut le 2 février 1646, à l’âge de soixante-trois ans. Il allait à pied sur le fleuve gelé, depuis Trois-Rivières jusqu'au fort Richelieu, pour les besoins spirituels de la petite garnison. Une tempête de neige lui déroba entièrement l'horizon et il s’égara. On le trouva gelé sur la côte, seize kilomètres plus loin que le fort. Il était à genoux, les mains croisées sur la poitrine, et les yeux ouverts levés vers le ciel. Il mourait martyr du devoir et de la charité. — (1) Couture alla jeune au Canada, et travailla d'abord dans la mission huronne. On le voit dès 1640 sur la liste des donnés . Dans le catalogue des emplois, il figure tantôt comme menuisier, tantôt avec la simple indication ad multa, preuve de l’utilité de ses services. Il fut négociateur de la paix avec les Iroquois, ce qui lui valut la fin de sa captivité. Laissé libre de rompre son contrat comme donné , il se maria et fut la souche d'une nombreuse famille. Il ne mourut qu'en 1702 à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans.

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Message  Louis Dim 03 Aoû 2014, 11:57 am


La pensée de confier cet apostolat au P. Jogues préoccupait le Supérieur de la mission du Canada, depuis qu’on voyait les projets de paix avec les Iroquois prendre une tournure favorable. La hardiesse et le danger de l’entreprise demandaient qu’elle fût traitée avec toute la prudence et la maturité possible. Nous voyons qu’au mois de janvier 1646 elle fut le sujet d’une grave consulte entre le P. Jér. Lalemant, Supérieur de la mission, et les P. Vimont, de Quen, d’Eudemare et Pierre Pijart, alors présents à Québec. Nous en trouvons le résultat consigné en ces termes dans le registre du Supérieur de Québec (omnium consensu approbata profectio). « Tous furent unanimes pour approuver ce départ. »

Au moment de le réaliser, le P. Lalemant fit connaître au P. Jogues la mission qu’on voulait lui confier. Nous ne savons pas en quels termes le P. Lalemant demandait au P. Jogues cet acte d’héroïque dévouement : mais nous avons le bonheur de posséder la réponse du serviteur de Dieu, aussi digne de son humilité que de son grand cœur (1).


Montréal, le 2 mai 1646.


« Celle qu’il a plu à Votre Révérence de m’écrire, m’a trouvé dans la retraite et dans les Exercices, que j'avais commencés au départ du canot qui porte nos lettres. J’ai pris ce temps, parce que les sauvages étant à la chasse, nous laissent jouir d’un plus grand silence.

« Croiriez-vous bien qu'à l'ouverture des lettres de Votre Révérence, mon cœur a été comme saisi de crainte au commencement, appréhendant que ce que je souhaite et que mon esprit doit extrêmement estimer, n’arrivât pas. La pauvre nature qui s'est souvenue du passé a tremblé; mais Notre- Seigneur, par sa bonté, y a mis et y mettra le calme encore davantage. Oui, mon Père, je veux tout ce que Notre-Seigneur veut, au péril de mille vies. Oh! que j'aurais de regret de manquer une si bonne occasion ! Pourrais-je souffrir la pensée qu'il a tenu à moi que quelques âmes ne fussent sauvées! J'espère que sa bonté, qui ne m'a jamais abandonné dans les autres rencontres, m'assistera encore; Lui et moi nous sommes capables de passer sur le ventre de toutes les difficultés qui se pourraient opposer.

« C’est beaucoup d'être in medio nationis pravœ (1), d'être seul au milieu d'une nation méchante, sans messe, sans autel, sans confession, sans sacrements; mais sa sainte volonté et sa douce disposition valent bien cela.

« Celui qui nous a conservés par sa sainte grâce sans ces secours, pendant dix-huit ou vingt mois, ne nous refusera pas la même faveur à nous qui ne nous ingérons pas dans cette œuvre et qui n'entreprenons ce voyage que pour lui plaire uniquement, contre toutes les inclinations de la nature.

« Ce que j’ai à dire de toutes ces allées et venues d’Iroquois…

___________________________________________________________

(1) Relat. 1647. — (1) Phil. II, 15.

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Message  Louis Lun 04 Aoû 2014, 12:13 pm


« Ce que j’ai à dire de toutes ces allées et venues d’Iroquois (1), c’est qu’on en voit peu des deux premiers bourgs (2). Ce sont cependant ceux à qui nous avons principalement affaire, et desquels étaient les derniers tués. Il n’y a presque que ceux du dernier village (3), où était Couture, lesquels ont fait profession, à ce qu’ils disent, de ne pas venir en guerre de ces côtés-ci. Ce n’est pas chez ces derniers que nous devons demeurer; mais chez les autres qu’on ne voit pas.

« Je remercie affectueusement Votre Révérence de ce qu'elle m’a envoyé ses préceptes hurons. Elle joindra le reste quand il lui plaira. C’est principalement des prières, des formulaires pour la confession et autres ejusdem generis , que j’ai besoin. Ce me sera un surcroît de lui être ce que je lui suis déjà pour beaucoup de titres.

« Je suis redevable à Votre Révérence d’un navré de la prise et de la mort du bon René Goupil que je devrais déjà lui avoir envoyé. Si les porteurs me donnent loisir de l’écrire, je le joindrai à la présente.

« Il faudrait que celui qui viendra avec moi fût bien vertueux, capable de conduite, courageux, et qu’il voulût endurer quelque chose pour Dieu. Il serait à propos qu’il sût faire des canots, afin que nous pussions aller et venir sans recourir aux sauvages. »

Le P. Lalemant n’avait pas trop présumé du courage du Père Jogues. Il écrit à ce sujet dans la Relation de 1646 :

« Celui-ci fut plus tôt prêt qu’on ne lui en fit la proposition. Lui qui avait soutenu le poids de la guerre, n’était pas homme à reculer dans la paix. Il fut bien aise de sonder leur amitié après avoir éprouvé la rage de leur haine. Il n’ignorait ni l’inconstance de ces barbares, ni la difficulté des chemins. Il voyait les dangers où il se jetait; mais qui ne risque jamais pour Dieu, ne sera jamais gros marchand des richesses du ciel. »

Les ambassadeurs iroquois agréèrent ce choix, et le Gouverneur français, en y applaudissant de grand cœur, lui donna un caractère officiel, et associa le P. Jogues au négociateur laïque qu’il avait choisi, M. Bourdon, homme de bien et de dévouement ingénieur de la Colonie (1).

En voyant le P. Jogues s’embarquer, les Algonquins chrétiens manifestèrent leurs craintes et lui conseillèrent de ne pas parler de la foi dès le premier abord. « Il n’y a rien, lui disaient-ils, de plus rebutant dans les commencements que cette doctrine, qui semble exterminer tout ce que les hommes ont de plus cher, et comme ta longue robe prêche autant que ta bouche, il sera plus à propos de voyager en habit plus court. »

Cet avis dicté par la prudence fut suivi….


_____________________________________

(1) Le P. Lalemant avait consulté le P. Jogues sur ces nombreuses visites des Iroquois, avant que la paix ne fût définitivement conclue. Le caractère double, capricieux et changeant de ce peuple, dont la perfidie était proverbiale, n’inspirait qu’une demi-confiance. Le P. Jogues est loin de le rassurer, mais cette incertitude n’est pas pour lui un motif de reculer. — (2)  Ossernenon et Andagaron. — (3) Tionnontogen. —(1) Jean Bourdon était au Canada depuis 1634. Il jouissait d’une grande réputation de probité et d’intelligence. Il fut ingénieur puis procureur général de la Nouvelle-France, et s’occupa activement des découvertes sur la côte du Labrador et dans la baie des Esquimaux.

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Message  Louis Mar 05 Aoû 2014, 12:05 pm



Cet avis dicté par la prudence fut suivi. Il était juste de traiter des malades en malades, et de ménager les susceptibilités de gens prévenus et irritables. A l’exemple de l’apôtre, l’ouvrier évangélique doit être prêt à se plier aux circonstances, et à se faire tout à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ.

« Quand je parle d’une mission iroquoise, dit le P. Jér. Lalemant en annonçant en France le départ du P. Jogues, il me semble que je parle d’un songe, et néanmoins c’est une vérité. C’est à bon droit qu’on lui fait porter le nom de Mission des martyrs, car outre les cruautés que ces barbares ont déjà fait souffrir à quelques personnes amoureuses du salut des âmes, outre les peines et les fatigues que ceux qui sont destinés à cette mission doivent encourir, nous pouvons dire avec vérité qu’elle a été déjà empourprée du sang d’un martyr, puisque le Français qui fut tué aux pieds du P. Jogues perdit sa vie pour avoir fait former le signe de notre croyance à quelques petits enfants iroquois. S'il est permis de conjecturer en des choses qui donnent de grandes apparences, il est croyable que les desseins que nous avons contre l'empire de Satan ne porteront point leurs fruits qu'ils ne soient arrosés du sang de quelques autres martyrs (1). »

Toute la colonie s'était pieusement émue, au moment de l'exécution de cette grave démarche, dont les résultats intéressaient si fortement la religion et sa prospérité. On commença de suite dans toutes les églises des prières publiques pour assurer son succès.

Le P. Jogues et M. Bourdon partirent de Trois-Rivières le 16 mai, avec les quatre députés agniers qui devaient être leurs guides et leurs introducteurs, et deux Algonquins chargés par leur nation de présenter aux Iroquois des présents en son nom, pour confirmer la paix.

Malgré la chaleur, le voyage sur les eaux de la rivière des Iroquois, du lac Champlain et du lac Georges s'accomplit heureusement. C'est en traversant ce dernier lac, le 30 mai, jour de la Fête-Dieu, que le P. Jogues lui donna le nom du lac Saint-Sacrement (1). Les sauvages le nommaient Andiatarocte (c’est-à-dire lieu où le lac se ferme).

Arrivés à l’extrémité de ce lac, les voyageurs..

_____________________________________________

(1) Relat. de 1646. — (1) Cette origine était ignorée par le géographe Spaffort, qui attribue ce nom à la pureté des eaux de ce lac. Son explication a été longtemps la seule adoptée par les auteurs anglais et américains. Le nom de lac Georges, dû à quelque ambitieux ou à quelque flatteur du roi d’Angleterre, a été introduit peu avant la conquête du Canada. MM. John Shea et Fr. Parkman ont demandé qu’on lui donnât le nom de lac Jogues.

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Message  Louis Mer 06 Aoû 2014, 12:35 pm


Arrivés à l’extrémité de ce lac, les voyageurs avaient à faire la partie la plus pénible de la route, et il fallait la faire nécessairement à pied. Or, vu leur petit nombre et la quantité considérable de présents qu’ils avaient apportés, on pouvait prévoir une fatigue capable d’épuiser les plus robustes. Les deux Algonquins furent les premiers effrayés. Ils se décidèrent à laisser en arrière une partie des vingt-quatre peaux d’élan dont ils s’étaient chargés, et les déposèrent sur les bords du lac, où ils les cachèrent avec soin. Pour le P. Jogues, rapporte M. Bourdon, il était infatigable.

Cependant, après deux jours de marche, les guides iroquois renoncèrent à aller directement à leur village. À cause de l’épuisement de leurs compagnons, ils redoutaient le reproche de n’avoir pas ménagé suffisamment les forces de leurs nouveaux alliés. Se détournant alors vers la gauche, ils se dirigèrent vers un lieu nommé Ossarague (c'est-à-dire Chaussée du castor), que leurs compatriotes fréquentaient souvent à cause de l’abondance de la pêche. Ils espéraient trouver là du secours pour les aider à porter leurs bagages, et ils rencontrèrent en effet ce qu'ils cherchaient.

Ce détour, qui paraissait tout fortuit, était l’effet d'une protection providentielle du Seigneur sur ses élus. Le P. Jogues trouva dans ce lieu la jeune Thérèse, cette Huronne chrétienne prise en même temps que lui, et restée depuis lors captive des Iroquois. La présence du missionnaire la combla de joie. Elle s'approcha du tribunal de la pénitence, et les paroles du Père ravivèrent ses sentiments de foi et de piété. Sa confiance se ranima en apprenant tout ce qu'on faisait à Québec pour sa délivrance. « Courage, lui disait le saint prêtre, tu seras heureuse au ciel, si tu persévères. »

Sa vertu ne s'était pas démentie pendant une captivité de deux années. Les leçons de ses bonnes institutrices avaient fructifié, et loin de rougir de son baptême, elle s’en glorifiait. Privée de son chapelet, elle en récitait chaque jour les prières sur ses doigts, ou en marquait les dizaines avec de petits cailloux. Elle disait quelquefois à son oncle, le sage et pieux Joseph Téondéchoren, captif comme elle pendant quelques mois, mais qui parvint à s’échapper ; « Si mes Mères me voyaient avec ces méchants Iroquois qui ne connaissent pas Dieu, elles auraient bien pitié de moi. » Sans la voir, les Ursulines ne l'oubliaient pas; leur amitié croissait avec ses dangers, et elle ne se manifesta pas seulement par des prières, mais par bien des démarches.

Le 4 juin, nos voyageurs…

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Message  Louis Jeu 07 Aoû 2014, 12:52 pm


Le 4 juin, nos voyageurs descendirent la rivière, et s’arrêtèrent un moment à l’habitation hollandaise de Renselaerswich, où le capitaine du fort d’Orange les accueillit avec une grande bienveillance. Le chevalier de Montmagny avait chargé le P. Jogues de lettres de remercîment et de salutations pour le Gouverneur hollandais, et le serviteur de Dieu était heureux de pouvoir lui-même témoigner sa reconnaissance à ceux qui lui avaient sauvé la vie. Les ambassadeurs partirent deux jours après (1), accompagnés de plusieurs Iroquois qui étaient là, et qui partagèrent entre eux les bagages. Enfin, le lendemain soir, la petite caravane arriva dans la bourgade iroquoise d’Oneougiouré, autrefois Osserion, à laquelle le P. Jogues donna le nom de la Sainte-Trinité.

Deux jours entiers suffirent à peine pour satisfaire la curiosité des habitants de la contrée. Ils accouraient de toutes parts pour voir les députés. Ceux qui avaient autrefois persécuté et torturé le missionnaire, faisaient semblant de ne plus s’en souvenir, et ceux qui n’avaient pas pu se défendre d’un sentiment de compassion à la vue de ses tourments et de sa résignation, témoignaient leur contentement et leur bonheur de le revoir dans un état si différent, et revêtu d’un titre si honorable.

Le 10 juin se tint une assemblée générale des capitaines et des anciens du pays pour la réception des ambassadeurs. Elle fut brillante et solennelle. Les présents placés, selon l'usage, devant les spectateurs nombreux, témoignaient de la magnificence du roi de France et de ses intentions pacifiques.

Le P. Jogues, chargé de porter la parole du Gouverneur et des Français, sut…

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(1) La Relation de 1646 dit le 16. Le contexte suffit pour relever cette erreur typographique.

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Message  Louis Ven 08 Aoû 2014, 12:27 pm



Le P. Jogues, chargé de porter la parole du Gouverneur et des Français, sut se plier, pour le style et les manières, aux habitudes de ce peuple. Au milieu d'un profond silence, il éleva la voix, et, après avoir exprimé la joie universelle qu’avait excitée dans la colonie la vue des députés iroquois et la nouvelle de la paix conclue entre eux, les Français, les Hurons et les Algonquins, il s’écria : « Le feu du conseil est allumé à Trois-Rivières, il ne s’éteindra plus. Les Français seront vos frères; vos ennemis seront leurs ennemis, et leur bras s'étendra pour vous défendre. Nous nous sommes réjouis quand nous avons appris que vous aviez jeté loin de vous les chevelures des Algonquins et Montagnais, que les Sokoquiois ont massacrés l'année dernière (1).

« Voici cinq mille grains pour briser les liens du jeune Français qui est encore avec vous, et un autre collier de cinq mille grains pour Thérèse, afin qu'ils soient l'un et l’autre rendus à la liberté et qu’ils arrivent promptement à Québec. »

Cette harangue fut écoutée avec la plus profonde attention et les présents acceptés avec reconnaissance. La famille du Loup, la plus considérable de la nation, qui avait témoigné au P. Jogues des égards et des bontés pendant sa captivité, reçut un présent particulier.

Le missionnaire ambassadeur prit encore la parole pour les Algonquins, qui n’avaient aucune notion de la langue iroquoise. Ils étaient d’ailleurs timides, et un peu honteux d’avoir laissé derrière eux une partie de leurs présents. Il ne leur restait que dix peaux d’élans. Le P. Jogues les excusa sur la blessure de l’un des jeunes gens, sur la pesanteur du fardeau et sur la difficulté des chemins. L’assemblée se montra satisfaite, et répondit aux Algonquins par deux présents; elle en fit aussi deux pour les Hurons.

La réponse à Onontio et aux Français…

_____________________________________________

— (1) Les Sokoquiois s'étaient armés contre les Algonquins, et étaient venus jusque sous les murs de Québec enlever la chevelure à quelques sauvages de cette nation. A la nouvelle des démarches qui avaient lieu pour la paix générale, ils voulurent l'empêcher entre les Algonquins et les Iroquois. Ornés de leur trophée sanglant, ils allèrent en députation chez ces derniers. Un conseil fut convoqué, et l’orateur sokoquiois, prenant la parole, dit: «Il y a longtemps que je vous ai entendu dire que les Algonquins étaient vos ennemis irréconciliables, et que vous les haïssiez même au delà du tombeau; de telle sorte que si dans l’autre vie vous pouviez les rencontrer, votre guerre serait éternelle. Nous sommes vos alliés; nous entrons dans vos passions et dans vos intérêts. Voici les chevelures des Algonquins que nous avons massacrés, c'est un présent qui doit sourire à votre cœur. Je vous donne en même temps ce collier qui vous servira de chaîne pour en lier comme nous, autant qu’il sera possible. » Et le Sokoquiois déposa à terre un grand collier de porcelaine.

Les Iroquois furent indignés de cette proposition. Un des capitaines répondit en rejetant ces présents : « Nous sommes surpris de votre hardiesse ou plutôt de votre témérité. Vous nous jetez la honte au visage. Vous nous considérez comme des fourbes. Onontio, avec qui nous avons traité de la paix, n’est pas un enfant. Si nous vous regardions de bon œil, il aurait raison de dire : Les Agnieronnons n’ont pas tué nos alliés, mais bien leur hache. Je pensais agir avec de véritables hommes, je n’ai traité qu’avec des trompeurs. — Ce n’est pas tout, les Algonquins, apprenant que les chevelures de leurs frères sont dans nos cabanes, enlèveraient celle des nôtres qui sont dans leur pays. Voilà le fruit de votre audace. Ainsi retirez-vous, et cachez ces chevelures. De même que nous n’avons qu’un cœur, nous ne voulons avoir qu’une langue. »


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Message  Louis Sam 09 Aoû 2014, 11:51 am


La réponse à Onontio et aux Français, qui étaient l’âme de cette négociation, fut donnée avec beaucoup de pompe et de solennité. Toutes les démonstrations de la plus sincère amitié leur furent prodiguées.

Le Français captif fut relâché ; les sauvages mirent sur lui un collier de deux mille grains de porcelaine : « Voilà, dirent-ils, le lien qui le retenait. Prends le prisonnier et sa chaîne, et fais-en ce qui plaira à Onontio. »

Quant à Thérèse, qui était mariée, ils répondirent que la liberté lui serait rendue dans le village qu’elle habitait. « Voici un collier de quinze cents grains, ajoutèrent-ils, pour garantie de notre parole. »

La famille du Loup fit son présent particulier; trente-six palmes de porcelaine assuraient les Français qu’ils trouveraient toujours une demeure parmi eux; « et toi, dirent-ils au P. Jogues, tu auras toujours chez nous une natte pour te coucher et un feu pour te réchauffer. »

Le P. Jogues avait remarqué dans l'assemblée quelques Iroquois des autres cantons et entre autres des Onnontaguerronons. Il leur fit en public un présent de mille grains de porcelaine. « Nous voulons, dit-il au capitaine, aller te saluer dans ton pays; prends ce présent pour rendre le chemin facile, et pour que personne ne soit surpris de notre visite. Au reste, nous avons trois chemins pour aller chez toi : l’un par les Agnieronnons, l’autre par le grand lac que tu nommes Ontario (1), le troisième par le pays des Hurons. »

Cette nouvelle parut surprendre les Agniers : «Il vaut mieux, lui dit un des anciens, que tu prennes le chemin qu’a tracé Onontio. Les autres sont trop dangereux; tu n’y trouverais que des gens de guerre, des hommes à figures peintes, toujours le tomawck et la hache à la main; ils ne demandent qu’à tuer. Aucun chemin n’est plus sûr que celui qui conduit ici. »

L’orateur, qui avait simplement voulu faire sentir aux Agniers qu’on pouvait se rendre indépendant d'eux, si on voulait communiquer avec les autres cantons, continua son discours et offrit son présent. Les Onnontaguerronons l'acceptèrent et promirent de le porter aux capitaines et aux anciens de leur pays.

Les négociations de la politique n’avaient pas fait perdre de vue au missionnaire l’objet de ses désirs et le but secret de sa mission…

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(1) Le lac Ontario a porté différents noms: lac Saint-Louis, lac Frontenac, lac des Iroquois, lac Catarakoui et lac Skanadario.

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Message  Louis Dim 10 Aoû 2014, 11:43 am


Les négociations de la politique n’avaient pas fait perdre de vue au missionnaire l’objet de ses désirs et le but secret de sa mission. Il administra les sacrements à plusieurs chrétiens hurons et algonquins captifs, et leur apprit à porter leur croix avec mérite. Il visita et soulagea les malades, et envoya au ciel plusieurs enfants moribonds.

Les assemblées étant terminées, les Agniers conseillèrent au P. Jogues de ne pas prolonger son séjour parmi eux. Ils pressèrent son départ, « parce que, disaient-ils, une troupe d’Iroquois du haut pays était partie pour dresser des embûches aux Hurons qui allaient descendre chez les Français. Ils doivent suivre le Saint-Laurent et remonter par la rivière des Iroquois. Nous ne croyons pas qu’ils te fassent de mal s’ils te rencontrent, mais nous craignons pour les deux Algonquins qui sont avec toi. »

Le Père manifesta son étonnement : « Comment, dit-il, leur permettez-vous de faire la guerre dans les limites de votre territoire? — Nous les avons avertis, reprirent-ils. — Quoi ! ajouta l’envoyé français, ils méprisent donc votre parole! Mais ne voyez-vous pas qu’on vous imputera tous les désordres dont ils seront les auteurs ? » Ils parurent ouvrir les yeux sur l'inconséquence de leur conduite, et promirent d'y remédier en s'opposant à tout ce qui pouvait porter atteinte à leur loyauté. Quoi qu'il en soit, les commissaires, ayant rempli leur mandat, profitèrent de l'avis et se disposèrent au retour. Ils quittèrent le bourg de la Trinité le 16 juin, et marchèrent jusqu'au lac Saint-Sacrement. Là ils firent des canots d’écorce, et le 29, jour de la fête de saint Pierre et saint Paul, ils abordèrent à Trois-Rivières, et le 3 juillet à Québec (1).

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(1) Un manuscrit de l'époque, le Diarium des Jésuites de Québec, nous apprend que le P. Jogues avait écrit le récit détaillé de cette ambassade. Cette pièce a été perdue avec une partie des archives des Jésuites, dont le gouvernement anglais s’est emparé en 1800, à la mort du dernier membre de la Compagnie de Jésus dans le Canada, le H. P Cazot.

A suivre : Chapitre XIII.

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Message  Louis Lun 11 Aoû 2014, 11:53 am

CHAPITRE  XIII

Troisième voyage du P. Jogues chez les Iroquois. — Mauvais traitements. — Division parmi les Iroquois. — Meurtre du P. Jogues, — Châtiment de son meurtrier.

Le succès de son voyage inspira une nouvelle ardeur au P. Jogues. Pour continuer une œuvre qui s'ouvrait sous de si consolants auspices, il songea à aller passer l'hiver au milieu des Iroquois. Dans le désir candide de son cœur, il les voyait déjà prêter l'oreille à ses discours, se soumettre aux enseignements de son divin maître, embrasser la foi et en devenir un des glorieux triomphes, après en avoir été la plus infranchissable barrière. Il remerciait Dieu d’avoir été choisi pour être l’instrument d'une si miséricordieuse providence à leur égard, et dans cette douce espérance il souriait d’avance à la pensée du jour où il présenterait à Dieu, comme ses enfants chéris, ceux qui avaient été jusque-là ses ennemis et ses bourreaux.

Mais toujours impénétrable dans ses desseins, le Seigneur allait lui demander un autre témoignage que celui de la parole; il voulait la dernière goutte de ce sang généreux qui avait déjà coulé pour sa gloire. Entré dans la voie de la croix, le ministre de Jésus-Christ n'en sortira plus, et sa grande âme ne faillira jamais. S'il n’a pas eu, comme quelques-uns de ses frères, la consolation de voir le fruit de son entreprise, il n’en bénira pas moins le nom de celui pour l'amour de qui il a travaillé. Il savait que celui qui sème et qui arrose peut mériter autant que celui qui recueille et qui moissonne.

La perspective d’un nouveau voyage du P. Jogues aux Iroquois parut d'abord peu probable. On le discuta cependant le 9 juillet, dans une consulte que le P. Lalemant tint avec les PP. Le Jeune et Vimont, et à laquelle assista le P. Jogues, qui était le plus au courant de toute l'affaire. Le succès en parut si douteux, que le projet d'hivernement fut suspendu, « à moins qu'il ne se présentât quelque occasion favorable. » En attendant, le P. Jogues fut renvoyé à Montréal continuer son ministère auprès des sauvages.

Les circonstances changèrent peu de temps après, quoique nous n’en connaissions pas la cause. Le fait est consigné dans le journal du Supérieur de Québec, sous la date du 21 du même mois. Le P. Lalemant appelle les PP. Le Jeune, Vimont et de Quen à une consulte d’importance , ainsi qu’il la nomme, et la décision prise est exprimée par ces simples mots : « Arrêté l’hivernement du P. Jogues aux Iroquois. »

Cependant cette résolution ne fut pas mise immédiatement en exécution. Il y avait des préparatifs à faire et des compagnons à choisir.

Le P. Jogues ne descendit de Montréal qu’au mois d’août, et ce ne fut que le 27 septembre qu’il se mit en route pour les Iroquois. Il était accompagné d’un jeune Français, Jean De La Lande, et de quelques Hurons qui devaient prendre soin du canot et des bagages, et qui profitaient de l’occasion pour visiter leurs parents captifs. Mais bientôt effrayés de la témérité de cette entreprise, ou rebutés des périls de la navigation et de la difficulté des chemins, ces Hurons, à l’exception d’un seul, abandonnèrent en route le missionnaire. Pour lui, il ne voyait qu’un devoir à remplir, et il avançait plein de confiance. Indépendamment du but religieux qu’il se proposait, il avait mission d’entretenir la paix si solennellement jurée, et il se promettait d’en profiter pour cultiver la semence qu’il avait déjà jetée sur cette terre ingrate.

Chez les Iroquois, les dispositions à son égard n’étaient plus les mêmes, et une grande fermentation hostile régnait dans les esprits…

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Message  Louis Mar 12 Aoû 2014, 12:31 pm


Chez les Iroquois, les dispositions à son égard n’étaient plus les mêmes, et une grande fermentation hostile régnait dans les esprits. Aux intentions pacifiques avait succédé une violente animosité soulevée par la défiance. En voici la cause.

Au moment de quitter les Iroquois, le P. Jogues, qui nourrissait déjà la pensée et le désir de revenir, laissa chez son hôte un petit coffre, qui contenait son modeste viatique et quelques objets de piété ; il le lui confiait comme gage de son retour, et pour s’éviter la peine d’un double transport.

Ce dépôt parut mystérieux à plusieurs de ces esprits ignorants et soupçonneux. Ils ne cachèrent pas leurs appréhensions. Ils voyaient là un charme secret qui devait préparer leur ruine et faire le malheur de tout le pays.

Témoin de ces fâcheuses préventions, le serviteur de Dieu crut que pour les dissiper il lui suffirait de mettre sous leurs yeux les objets de leur crainte. Il ouvrit sa malle et montra devant la foule tout ce qu’elle renfermait. Mais souvent, chez les âmes égarées, la vérité pénètre plus difficilement que le mensonge.

On parut d’abord le croire, et cependant, aussitôt après son départ, les craintes ne firent que croître et se confirmer. Les fléaux les plus redoutés semblèrent fondre alors sur le pays. Ce fut premièrement une maladie contagieuse qui fit beaucoup de victimes, et, ensuite, l’apparition de certains petits vers qui détruisirent presque entièrement la récolte. Il n’en fallait pas tant pour faire triompher la calomnie et surexciter tous les esprits. La malle, instrument du maléfice, fut jetée dans la rivière sans qu’on osât l’ouvrir, et pendant un mois avant l'arrivée du missionnaire, les ennemis des Français et de la prière étaient parvenus à souffler partout la haine et la vengeance contre celui qu’on regardait comme l’auteur de tout le mal.

Sans connaître ces dispositions hostiles, le Père Jogues avait eu de sinistres pressentiments sur ce voyage, et il ne s’était pas dissimulé les dangers de sa mission. Avant de partir, il écrivit à un Jésuite de France, dépositaire des secrets de son cœur, et lui confia ses appréhensions. Ce précieux monument de son zèle pour la gloire de Dieu et de son amour pour la croix, prouve qu’il ne se cachait aucun des risques qu’il allait courir, et qu’il s’y exposait avec autant de sang-froid que d’obéissance et d’abnégation.

« Hélas ! mon très-cher Père, quand commencerai-je à aimer et à servir celui qui n’a jamais commencé à nous aimer? Quand commencerai-je à me donner totalement à celui qui s’est donné à moi sans réserve? Quoique je sois extrêmement misérable et que j’aie fait un mauvais usage des grâces que Notre-Seigneur m’a faites en ce pays, je ne perds pas courage, puisqu’il prendra soin de me rendre meilleur, me fournissant encore de nouvelles occasions de mourir à moi-même, et de m’unir inséparablement à lui.

« Les Iroquois sont venus faire quelques présents à notre Gouverneur pour retirer des prisonniers qu’il avait…


Dernière édition par Louis le Mar 12 Aoû 2014, 2:07 pm, édité 1 fois (Raison : orthographe)

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Message  Louis Mer 13 Aoû 2014, 11:50 am


« Les Iroquois sont venus faire quelques présents à notre Gouverneur pour retirer des prisonniers qu’il avait, et traiter de paix avec lui, au nom de tout le pays. Elle a été conclue, au grand contentement des Français. Elle durera tant qu’il plaira à Notre-Seigneur.

« On juge nécessaire ici pour l’entretenir, et voir doucement ce que l’on peut faire pour l’instruction de ces peuples, d’y envoyer quelque Père. J’ai sujet de croire que je serai envoyé, ayant quelque connaissance de la langue du pays. Vous voyez comme j’ai besoin d’un secours puissant de prières, étant au milieu de ces barbares. Il faudra demeurer parmi eux, sans avoir presque la liberté de prier, sans messe, sans sacrements. Il faudra être responsable de tous les accidents entre les Iroquois et les Français, les Algonquins et les Hurons.

« Mais quoi ! mon espérance est en Dieu, qui n’a que faire de nous pour l’exécution de ses desseins. C’est à nous à tâcher de lui être fidèle et de ne pas gâter son ouvrage par nos lâchetés. J’espère que vous m’obtiendrez cette faveur de Notre-Seigneur, et qu’après avoir mené une vie si tiède jusqu’à maintenant, je commencerai à le mieux servir.

« Le cœur me dit que si j’ai le bien d’être employé dans cette mission, ibo et non redibo (j’irai, mais je ne reviendrai pas); mais je serais heureux si Notre-Seigneur voulait achever le sacrifice là où il l’a commencé, et que le peu de sang répandu en cette terre fût comme les arrhes de celui que je lui donnerais de toutes les veines de mon corps et de mon cœur. Enfin ce peuple-là, sponsus mihi sanguinum est; hunc mihi despondi sanguine meo (Exod. iv, 25) (Il est pour moi un époux de sang; j’ai scellé cette alliance dans mon sang) Notre bon Maître, qui se l’est acquis par son sang, lui ouvre, s’il lui plaît, la porte de son Évangile, aussi à quatre autres nations ses alliées, qui sont proche de lui !

« Adieu, mon cher Père, priez-le qu'il m'unisse inséparablement à lui ! »

De si justes pressentiments, et l’abandon de ses compagnons presque au début du voyage, auraient dû lui ôter tout courage. Loin de là, la pensée et la vue de la mort ne le feront pas reculer, et il marchera en avant comme s’il allait à l’accomplissement de ses vœux les plus chers.

Cependant les calamités publiques avaient agi violemment sur le peuple; elles poussèrent jusqu'à la démence et à la fureur ces sauvages crédules et farouches. Ils virent dans les accidents naturels les effets de la duplicité et de la malveillance, et ils oublièrent leurs récentes promesses d’amitié. L’agitation allait croissant. Les plus sensés et les plus prudents voulaient le maintien de la paix, mais la partie remuante et irascible l’emporta, et la guerre fut décidée contre les Français, les Hurons et les Algonquins, qu’on considérait comme des traîtres acharnés à la ruine des Iroquois.

Une troupe de guerriers se mit aussitôt en campagne et se dirigea vers Montréal…

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Message  Louis Jeu 14 Aoû 2014, 11:34 am


Une troupe de guerriers se mit aussitôt en campagne et se dirigea vers Montréal ; elle surprit deux Français dans les environs de la ville. Une autre bande marchait sur le fort Richelieu, lorsqu’elle rencontra le P. Jogues à deux journées du village. Ils se jettent sur le missionnaire et sur son compagnon, les dépouillent de leurs vêtements en les accablant d’injures, et les emmènent prisonniers. Le 17 octobre 1646, ils font leur entrée triomphale dans la bourgade d’Andagaron, où le serviteur de Dieu avait déjà passé ses treize mois de captivité (1).

Les menaces de mort retentissaient de toute part à leurs oreilles. Les coups de poing et de bâton s’y joignirent bientôt comme les tristes avant coureurs de leur supplice.

« Vous mourrez demain, leur disait-on, mais ne craignez pas, vous ne serez pas brûlés; vos têtes tomberont sous nos haches, et nous les planterons sur les pieux qui entourent notre village, pour les montrer longtemps à ceux de vos frères que nous prendrons. »

Le P. Jogues essaya de leur représenter l’indignité d’une telle conduite, la confiance avec laquelle il s’était livré à eux, les invitations qu’ils lui avaient faites pour l’engager à vivre avec eux, les promesses qu’ils lui avaient solennellement jurées, la manière dont les Français en avaient usé à leur égard, leurs traités, leur parole engagée, enfin les suites fâcheuses qu’attirerait la guerre; tout fut inutile, et un morne silence lui apprit qu’il parlait à des sourds.

Ce ne fut pas tout : un sauvage furieux lui enleva des morceaux de chair sur les bras et sur le dos, et les dévora en lui disant : « Voyons si cette chair blanche est une chair de Manitou ! »

Le courage du patient ne se démentait pas.

« Non, lui répondit-il, je ne suis qu’un homme comme vous tous; mais je ne crains ni la mort ni les tourments. Pourquoi me faites-vous mourir? Je suis venu dans votre pays pour cimenter la paix, affermir la terre et vous montrer le chemin du ciel, et vous me traitez comme une bête fauve! craignez les châtiments du maître de la vie (1). »

Cependant la division était dans la tribu. Les familles (2) du Loup et de la Tortue voulaient sauver la vie des prisonniers, et faisaient tous leurs efforts pour l’obtenir. « Tuez-nous, disaient-ils à leurs adversaires, plutôt que de massacrer ainsi des personnes qui ne nous ont fait aucun mal, et qui viennent chez nous sur la foi d’un traité ; » mais la famille de l’Ours voulait absolument leur mort.

La question était très-grave dans l’intérêt de la nation entière…

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(1) La Relation de 1668 donne à tort dix-huit mois à la captivité du P. Jogues (comme ce Père lui-même dans sa lettre du 2 mai), et elle le fait mourir à Gandaouague (l’'Ossernénon du P. Jogues.) — (1)  Mss. du P. de Quen. — (2)  Chaque nation iroquoise était composée de groupes ou de familles, qui prenaient ordinairement le nom d’un animal. A ces familles appartenait le droit de nommer un ou plusieurs capitaines, qui avaient rang dans les assemblées de la confédération, et qui conduisaient les expéditions guerrières.

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Message  Louis Ven 15 Aoû 2014, 12:06 pm


La question était très-grave dans l’intérêt de la nation entière. On en référa à une grande assemblée des anciens et des capitaines qui fut convoquée à Tionnontogen, la plus considérable des bourgades des Agniers, située seize ou vingt kilomètres plus loin. Ici le parti de la paix l’emporta. Il fut décidé que les captifs auraient la vie sauve et la liberté ; mais le parti acharné à leur perte n’attendit pas les suites de cette résolution, et le crime était consommé quand les députés du conseil revinrent pour le prévenir.

Le 18 octobre, quelques Iroquois de la famille de l’Ours avaient formé en secret le criminel complot d’exécuter eux-mêmes et de leur autorité privée cet odieux attentat.

Le 18 octobre (1) au soir, ils allèrent inviter perfidement le P. Jogues à prendre son repas dans leur cabane. Habitué à voir en tout une disposition mystérieuse de la divine Providence, le serviteur de Dieu les suivit humblement. C'était l’heure de son dernier sacrifice.

Mais quelque soudain que fût le coup qui le frappa, il n’était pas pour lui imprévu. Il se tenait toujours prêt à tout événement. Au moment où le P. Jogues franchissait le seuil de la cabane, on lui asséna un coup de hache qui l’étendit mort. Sa tête fut aussitôt tranchée et placée sur un des pieux de la palissade d’enceinte, la face tournée vers le chemin par lequel il était venu.

Le lendemain de grand matin, son compagnon (1) et le Huron qui les avait conduits eurent le même sort, et leurs corps furent jetés dans la rivière.

Cet assassinat fut blâmé publiquement par le principal capitaine des Iroquois : « Ce coup de hache, dit-il, ne peut nous apporter que des malheurs. » Mais là se bornait son droit de répression du crime.

Kiotsaéton, un des députés pour la paix en 1643, déclama hautement contre cette criminelle perfidie…

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(1) Charlevoix adopte à tort la date du 17 octobre. Voy. Relat. 1646-47. — Mss. de 1652. — Lettre du P. J. Lalemant. Archives du Gesù. — (1) Ce jeune Français, Jean de la Lande, était né à Dieppe ; il ne s'engagea dans ce périlleux voyage que par des motifs surnaturels. Le désir de contribuer à la gloire de Dieu, même au péril de sa vie, l'avait poussé à solliciter la faveur d’accompagner l’intrépide missionnaire. Il trouva une couronne digne d’envie pour un cœur plein de foi.

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Message  Louis Sam 16 Aoû 2014, 12:16 pm



Kiotsaéton, un des députés pour la paix en 1643, déclama hautement contre cette criminelle perfidie, et il devint même, par son franc parler, suspect au parti des méchants. Un autre Iroquois, surnommé par les Français « le Berger », voulut aussi s'opposer à cette mort. Il était poussé par la reconnaissance; car ayant été fait prisonnier par les Algonquins, il dut son salut et sa liberté à l’intervention de M. de Montmagny. Mais ses efforts pour empêcher la fin tragique du P. Jogues furent inutiles. Quand il vit le meurtrier lever la hache pour frapper, il voulut parer le coup, et fut blessé au bras.

Cet acte de charité lui attira les bénédictions célestes; il eut le bonheur de mourir chrétien et avec les sentiments de la plus tendre piété pendant un voyage qu’il fit en France (1).

La vieille femme à qui avait appartenu le P. Jogues pendant sa captivité, qui l’avait soigné, et qu’il appelait sa tante, s’opposa, elle aussi, énergiquement au meurtre que l’on méditait : « Vous me tuerez du même coup, » disait-elle. Ce fut en vain; son frère, qui était loin de partager ses sentiments, fut même complice de cette mort, et livra la victime.

On eut encore d'autres témoignages de la division qui régnait parmi les Iroquois à la suite de cette déplorable exécution. Un capitaine, qui avait en son pouvoir un prisonnier huron, fut tellement indigné de la conduite de ses compatriotes, qu’il lui donna la liberté et le renvoya pour aller dire aux Français qu’il ne voulait pas la guerre avec eux, et que les Algonquins seuls étaient ses ennemis.

Cependant la mort du P. Jogues resta longtemps inconnue en Canada. Le bruit en avait couru, mais d’une manière un peu vague, sur le rapport de quelques femmes qui s’étaient échappées du pays des Iroquois, et sur celui du Huron qui avait été rendu à la liberté.

On put cependant bientôt la soupçonner avec raison, quand on vit de nouveau des bandes d’Iroquois infester le grand fleuve et recommencer leurs déprédations et leurs cruautés.

Une lettre de Guillaume Kieft, Gouverneur de Manhatte, adressée au chevalier de Montmagny, vint confirmer toutes les appréhensions. Quoique datée du mois de novembre 1646, elle n’arriva qu’au mois de juin de l’année suivante.

La voici d’après le manuscrit de 1652 : …

_______________________________________________________________________

(1) Cet Iroquois était tombé entre les mains d'Algonquins chrétiens alors que la religion commençait à inspirer aux sauvages plus d’humanité.  En recevant solennellement ce  captif dans le village de Sillery, un capitaine lui dit : « Ne crains pas de mauvais traitements;  nous avons quitté nos cruelles habitudes. » Quand le Berger vit briser ses liens, il en croyait à peine ses yeux. Il était  traité  avec douceur lorsqu’il s’attendait à subir toutes les horreurs du supplice. Le Gouverneur, chargé de décider sur son sort, le déclara libre, loua son courage, lui dit qu’il avait pour lui de l’amitié et lui fit des présents. L’Iroquois s’écria aussitôt : « Voilà qui va bien : mon corps est délivré de la mort, je suis exempt du feu. Onontio, tu me donnes la vie, je t’en remercie; je ne l'oublierai jamais; tout mon pays en sera reconnaissant.  La terre va être toute belle; les rivières seront calmes et unies; la paix nous fera tous amis. Je n’ai plus d'ombre dans les yeux. Les âmes de nos ancêtres massacrés par les Algonquins ont disparu. Je les ai sous les pieds. Onontio, il faut avouer que tu es bon, et que  nous sommes  méchants ; mais notre colère est éteinte. » Puis il se mit à chanter et à danser en cadence. Tout à coup  il s'arrête, saisit une hache, l’agite et gesticule comme un homme en fureur. Enfin jetant la hache au feu il dit : « Voilà ma fureur vaincue; je mets bas les armes, je suis votre ami pour toujours. » Il  tint parole et resta fidèle aux Français.

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