DE LA GENÈSE AU SENS LITTÉRAL (EXTRAITS). Par Saint Augustin.
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LIVRE XI.
CHUTE ET CHÂTIMENT D'ADAM.
DE LA GENÈSE AU SENS LITTÉRAL.
Par Saint Augustin.
CHAPITRE XXXI. COMMENT ET SUR QUOI LEURS YEUX S'OUVRIRENT-ILS ?
40. "Ils en mangèrent donc et leurs yeux s'ouvrirent," mais sur quoi ? Ce fut hélas! pour éprouver les feux de la concupiscence et subir la peine du péché qui, avec la mort, s'était insinuée dans leur chair. Celle-ci ne fut plus seulement ce corps animal, qui pouvait se transformer, s'ils avaient persévéré dans l'obéissance, en un corps plus parfait et tout spirituel sans passer par la mort; elle devint une chair de mort et une loi lutta désormais dans les membres "contre la loi de l'esprit (1)." Car, ils n'avaient pas été créés les yeux fermés; ils n'avaient pas erré à tâtons dans l'Éden, exposés à toucher sans le savoir l'arbre défendu et à en cueillir les fruits malgré eux. D'ailleurs, comment les animaux auraient-ils été amenés à Adam pour qu'il vît comment il les nommerait, s'il n'avait pas vu en effet ? Comment la femme aurait-elle été présentée à l'homme et lui aurait-elle fait dire: "Voilà l'os de mes os et la chair de ma chair (2)," s'il avait été aveugle ? Enfin, comment Ève elle-même eût-elle vu que le fruit défendu "était beau à voir et agréable à manger," si leurs yeux avaient été réellement fermés ?
1. Romains VII, 23.
2. Genèse II, 19, 22-23.
DE LA GENÈSE. COMMENTAIRES SUR L'ANCIEN TESTAMENT. Ouvrages tirés des Œuvres complètes de Saint Augustin, traduites pour la première
fois en français sous la direction de M. Raulx, Bar-Le-Duc, 1866, tome Quatrième p. 88-322. Cette traduction est l'œuvre de M. Citoleux.
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CHAPITRE XXXI. COMMENT ET SUR QUOI LEURS YEUX S'OUVRIRENT-ILS ?
41. Il ne faudrait pas toutefois, en prenant un seul mot dans le sens métaphorique, changer ce passage en une allégorie. C'est à nous d'examiner en quel sens le serpent a dit: "Vos yeux s'ouvriront." Sans doute le serpent à tenu ce langage, l'écrivain sacré le raconte; mais nous pouvons examiner quel en est le sens. Ces expressions: "Leurs yeux furent ouverts et ils s'aperçurent qu'ils étaient nus," sont le récit d'un fait historique; rien ne nous autorise à y voir une allégorie. L'Évangéliste apparemment n'introduisait pas dans son récit les paroles métaphoriques de quelque personnage, mais rappelait en son nom ce qui s'était passé lorsqu'il disait des deux disciples d'Emmaüs, dont l'un s'appelait Cléophas, que leurs yeux s'ouvrirent, quand le Seigneur rompit le pain, et qu'ils le reconnurent; ces disciples en effet n'avaient pas marché les yeux fermés, mais leur, vue était d'abord impuissante à reconnaître le Sauveur (3).
Dans ces deux récits il n'y a aucune allégorie, quoique l'Ecriture dise au figuré que leurs yeux s'ouvrirent. Ils n'étaient pas fermés en effet, mais ils s'ouvrirent en ce sens qu'ils se fixèrent sur des objets qui jusque-là n'avaient point attiré leur attention. Quand donc Adam et Ève eurent été entraînés à enfreindre le précepte par une curiosité criminelle, avide de reconnaître les conséquences mystérieuses qu'ils auraient à subir s'ils touchaient au fruit défendu, et, qu'ayant vu ce fruit tout semblable à ceux dont ils avaient mangé sans éprouver aucun mal, ils eurent plus de [peine] à croire que Dieu excuserait aisément leur faute, qu'à résister à la tentation de découvrir les propriétés de ce fruit, ainsi que le motif qui avait décidé Dieu à le leur défendre; lorsqu'ils eurent transgressé le commandement et qu'ils furent dépouillés intérieurement de la grâce qu'ils avaient offensée parleur orgueil et les fumées de leur amour-propre; alors ils jetèrent les yeux sur leur corps et éprouvèrent, par un mouvement jusque-là inconnu, les désordres de la concupiscence. Par conséquent, leurs yeux s'ouvrirent sur un point qui jusque-là avait échappé à leurs regards, quoiqu'ils fussent antérieurement ouverts sur d'autres objets.
3. Luc XXIV, 13-31.
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CHAPITRE XXXII. DU PRINCIPE DE LA MORTALITÉ ET DE LA CONCUPISCENCE.
42. La mort entra ainsi dans leurs organes le jour même où la défense de Dieu fut violée. Leur corps n'eut plus cet état merveilleux où le maintenait la vertu mystérieuse de l'arbre de vie, qui l'aurait mis à l'abri des maladies comme des atteintes de la vieillesse: car bien qu'il fût encore animal et qu'il ne dût se transformer que plus tard, l'effet de l'arbre de vie représentait déjà l'effet tout spirituel de la sagesse qui fait participer les Anges à l'éternité en dehors de toute déchéance. Ainsi détérioré, leur corps contracta les principes de maladie et de mort qui sont propres également aux animaux, et comme eux il ressentit l'appétit des sexes destiné à combler les vides de la mort. Toutefois, la noblesse de l'âme raisonnable, éclatant jusque dans sa punition, la fit rougir du mouvement brutal qui se passait dans les membres; la honte naquit en elle, de la sensation étrange qu'elle n'avait point encore éprouvée, et surtout de l'idée que le péché était la cause de ce penchant grossier.
Ce fut l'exacte application de la parole du prophète: "Seigneur, vous avez dans votre volonté donné l'éclat à ma puissance; vous avez ensuite détourné votre face et j'ai été tout troublé (1)." Dans cette confusion ils eurent recours à des feuilles de figuier, se firent des ceintures, et, pour avoir renoncé à un état glorieux, cachèrent leur honteuse nudité. Ces feuilles n'avaient sans doute à leurs yeux aucun rapport avec les organes révoltés qu'il s'agissait de voiler; ils n'y eurent recours que sous l'impulsion secrète de la honte qui les troublait, afin de révéler ainsi à leur insu leur véritable châtiment.
1. Psaume XXIX, 8.
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CHAPITRE XXXIII. DE LA VOIX DE DIEU, QUAND IL SE PROMENAIT DANS LE JARDIN.
43. "Et ils entendirent la voix du Seigneur qui se promenait dans le jardin, sur le soir." C'était bien l'heure en effet où il convenait de les visiter, eux qui s'étaient éloignés de la lumière de la vérité. Il est possible que Dieu leur parlait auparavant en s'adressant à leur intelligence avec ou sans langage, comme il parle encore maintenant aux Anges, en éclairant leur esprit de sa lumière immuable et en leur faisant comprendre d'un seul coup même ce qui se développe dans la suite des temps. Dieu, dis-je, pouvait les entretenir de la même manière, sans toutefois leur communiquer la sagesse aussi pleinement qu'aux Anges.
Quelque distance qu'il mit entre eux et l'homme, selon la portée de son intelligence, il ne laissait pas de les visiter et de leur parler; et peut-être employait-il des moyens physiques, comme les images qui ravissent l'esprit en extase; des apparitions qui frappent les yeux ou les oreilles, comme celles où Dieu se montre sous le couvert d'un Ange ou fait retentir sa parole dans une nuée. Quant au son qu'ils entendirent, au moment où Dieu se promenait vers le soir, il fut formé par l'organe d'une créature: ce serait une erreur de croire que l'essence invisible et immense de la Trinité se soit montrée à eux d'une manière sensible, dans un certain lieu et à un certain moment.
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CHAPITRE XXXIII. DE LA VOIX DE DIEU, QUAND IL SE PROMENAIT DANS LE JARDIN.
44. "Et Adam et sa femme se cachèrent de la face du Seigneur au milieu des arbres du Paradis." Quand Dieu détourne sa face de l'âme et qu'elle se trouble, elle fait naturellement des actes qui tiennent de la folie, sous l'influence de la honte et de la peur: il ne faut donc pas s'étonner que, ressentant encore cette confusion, ils aient fait à leur insu des actes propres à instruire la postérité, qui devait un jour les apprendre dans un récit composé pour elle.
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CHAPITRE XXXIV. DE L'INTERROGATOIRE QUE DIEU FIT SUBIR À ADAM.
45. "Le Seigneur Dieu appela Adam et lui dit: Où es tu ?" Le reproche et non l'ignorance éclate dans cette question. Remarquons que le commandement ayant été fait à l'homme pour qu'il le transmît à la femme, c'est l'homme qui est interrogé le premier. Le commandement se communique du Seigneur à la femme par l'entremise de l'homme; le péché passe du diable à l'homme par l'intermédiaire de la femme. Tous ces faits sont pleins d'enseignements; ce ne sont pas les personnages qui nous les donnent, c'est la sagesse toute-puissante de Dieu qui les fait sortir de leurs actes. Mais nous n'avons point ici à découvrir le sens caché des évènements; bornons-nous à en montrer la vérité.
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CHAPITRE XXXIV DE L'INTERROGATOIRE QUE DIEU FIT SUBIR À ADAM.
46. "Adam répondit: J'ai entendu votre voix dans le Paradis, et j'ai eu peur, parce que j'étais nu et je me suis caché." Il est fort vraisemblable que Dieu se montrait habituellement à ces premiers humains sous le couvert d'une créature ayant la forme humaine et disposée à cette fin; et comme il tenait sans cesse leur esprit tourné vers les choses surnaturelles, il n'avait jamais permis qu'ils aperçussent leur nudité, avant l'instant où le péché leur fit sentir par une juste punition un mouvement honteux dans leurs membres. Ils éprouvèrent donc l'impression d'un homme en face d'un autre homme, et cette impression, châtiment de leur faute, les portait à essayer de se cacher devant celui à qui rien ne peut être caché, et de dérober leur corps à la vue de Celui qui lit dans les cœurs.
Mais faut-il s'étonner qu'ayant voulu dans leur orgueil devenir comme des dieux, ils se soient évanouis dans leurs propres pensées et aient vu leur cœur insensé se couvrir de ténèbres ? Dans leur prospérité ils se sont donné le nom de sages, et le Seigneur ayant détourné sa face, ils sont devenus des hommes stupides (1).Mais le sujet de leur honte, le motif qui leur avait fait prendre des ceintures, devint plus affreux encore, quand il fallut paraître en cet accoutrement devant Celui qui s'abaissait familièrement pour venir les visiter et empruntait pour ainsi dire les yeux d'une créature humaine. Et s'il leur apparaissait sous la même forme qu'il se montra à Abraham, au pied du chêne de Mambré (1), afin de leur parler comme un homme à un homme, ils durent après leur péché trouver un nouveau sujet de honte dans cette tendresse voisine de l'amitié qui, avant le péché, leur inspirait tant de confiance. Aussi n'osaient-ils plus montrer à ces yeux divins une nudité que leur propre vue était incapable de supporter.
1. Romains II, 21-22.
1. Genèse XVIII, 1.
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CHAPITRE XXXV. EXCUSES D'ADAM ET D’ÈVE.
47. Le Seigneur qui voulait interroger les coupables, comme l'exige la justice, et leur infliger un châtiment plus sévère que la honte qu'ils éprouvaient, dit à Adam: "Et comment sais-tu que tu étais nu, sinon pour avoir mangé du seul arbre dont je t'avais défendu de manger ?" Cette faute en effet, leur avait communiqué un principe de mort, selon l'arrêt du Seigneur, qui, accomplissant sa menace, leur avait fait sentir le trouble de la concupiscence au moment où leurs yeux s'ouvrirent, et la confusion qui en était la suite. "Et Adam dit: La femme que vous avez mise avec moi, m'a présenté de ce fruit et j'en ai mangé." Quel orgueil ! Dit-il: J'ai péché ? Non. Il éprouve la confusion dans toute sa laideur, il n'a pas assez d'humilité pour avouer sa faute.
Ces paroles nous ont été transmises, parce que ces demandes ont été faites en vue de nous être rapportées fidèlement et de nous servir de leçons, car si elles étaient fausses, elles ne pourraient être instructives: elles étaient donc destinées à nous montrer jusqu'où va l'orgueil chez l'homme qui, aujourd'hui encore, rend Dieu responsable de ses crimes en s'attribuant à lui-même toutes ses vertus. "La femme que vous avez mise avec moi," c'est à dire que vous m'avez donnée pour compagne, m'a présenté de ce fruit et j'en ai mangé; il semblerait à l'entendre, qu'elle lui avait été donnée pour lui désobéir et le rendre avec elle infidèle à Dieu.
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CHAPITRE XXXV. EXCUSES D'ADAM ET D’ÈVE.
48. "Et le Seigneur dit à la femme: Pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit: Le serpent m'a séduite et j'ai mangé du fruit." Ève non plus ne reconnaît pas sa faute et la rejette sur un autre: c'est le même orgueil dans les deux sexes. Voilà pourtant les ancêtres de celui qui, éprouvé par une foule de disgrâces, s'est écrié, sans imiter leur orgueil, et s'écriera jusqu'à la fin des siècles: "J'ai dit: Seigneur ayez pitié de moi; guérissez mon âme, car j'ai péché contre vous (1)." Qu'il eût mieux valu pour eux tenir ce langage ! Mais Dieu n'avait point encore brisé la tête des pécheurs (2). Il fallait attendre les afflictions, les horreurs de la mort, les angoisses des générations, la grâce qu'au moment opportun Dieu enverrait aux hommes, après leur avoir appris dans les souffrances à ne point présumer de leurs forces. "Le serpent m'a séduite." Fallait-il donc préférer au commandement de Dieu le conseil de qui que ce fût ?
1. Psaume XL, 5
2. Psaume CXXVIII, 4.
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CHAPITRE XXXVI. MALÉDICTION DU SERPENT.
49. "Et le Seigneur Dieu dit au serpent: Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tous les animaux et entre toutes les bêtes qui sont sur la terre. Tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras la poussière tous les jours de ta vie. Je mettrai de l'inimitié entre toi et la femme, entre sa postérité et la tienne. Elle t'épiera à la tête et tu chercheras à la mordre au talon." Cet arrêt doit être entendu au figuré; il a été prononcé, mais c'est là tout ce qu'oblige à croire la sincérité de l'historien et la vérité infaillible de son récit. Les mots: "Le Seigneur Dieu dit au serpent," appartiennent au narrateur, il faut les prendre à la lettre, en d'autres termes, l'arrêt a été prononcé réellement contre le serpent.
Quant aux paroles mêmes de Dieu, le lecteur a toute liberté d'examiner s'il faut les entendre à la lettre ou au figuré, d'après le principe que nous avons posé au début de ce livre (3). Ainsi donc le serpent n'a été soumis à aucun interrogatoire, c'est peut-être qu'il n'avait point agi librement d'après ses instincts; il n'avait été que l'instrument aveugle du démon qui était déjà destiné au feu éternel, à la suite du péché que lui avait fait commettre l'impiété et l'orgueil.
Mais tout ce qui s'adresse au serpent et par conséquent à celui qui s'en est fait un instrument, ne peut être pris qu'au figuré: c'est le portrait même du tentateur, tel qu'il devait se montrer un jour au genre humain, dont l'origine remonte du reste à l'époque même où cet arrêt fut prononcé contre le démon sous la figure du serpent. Quel sens faut-il attacher à ces paroles prophétiques ? c'est une question que j'ai tâché de résoudre dans les deux livres sur la Genèse, publiés contre les Manichéens, et si je trouve ailleurs occasion de l'approfondir, Dieu me prêtera son secours pour la développer encore; mais en ce moment je dois poursuivre mon plan sans m'en laisser distraire.
3. Ci-dessus, n. 2. voir:
https://messe.forumactif.org/t5078p180-de-la-genese-au-sens-litteral-extraits-par-saint-augustin#102265
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CHAPITRE XXXVII. DU CHÂTIMENT INFLIGÉ À LA FEMME.
50. "Puis il dit à la femme: Je multiplierai tes douleurs et tes gémissements: tu enfanteras dans la douleur; tu seras tournée vers ton mari et il dominera sur toi." Il était également plus aisé d'entendre au sens figuré et prophétique cet arrêt que Dieu prononce sur la femme. Mais observons que la femme n'avait point encore été mère, et que les douleurs de l'enfantement étaient attachées à ce corps où le péché avait introduit la mort, à ce corps, animal sans doute, mais destiné à ne jamais périr si l'homme n'avait péché, et à se transformer glorieusement après une vertueuse existence, comme je l'ai dit souvent; on peut donc entendre ce châtiment à la lettre.
Toutefois il reste encore à examiner comment on peut expliquer littéralement ces mots: "Tu seras tournée vers ton mari et il dominera sur toi." En effet, il est naturel de croire que la femme, même avant le péché, était faite pour être soumise à l'homme et pour rester tournée vers lui en vertu de sa subordination. Mais on peut fort bien admettre qu'il s'agit ici de cette sujétion qui tient à la condition plutôt qu'à l'attachement, de telle sorte que l'esclavage qui plus tard mit un homme au service d'un autre, serait un châtiment du péché. L'Apôtre dit sans doute: "Assujettissez-vous les uns aux autres par la charité (1);" mais il n'aurait jamais dit: "Dominez les uns sur les autres." Les époux peuvent donc s'assujettir l'un à l'autre par la charité; mais l'Apôtre ne permet pas à la femme de dominer (2). C'est un droit que l'arrêt du Seigneur a consacré pour l'homme; la femme a été condamnée par sa faute plutôt que par la nature à trouver dans son mari un maître: toutefois elle doit rester soumise, sous peine de se dégrader encore et d'augmenter sa faute.
1. Galates V, 43.
2. I Timothée II, 12.
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CHAPITRE XXXVIII. CHÂTIMENT INFLIGÉ À L'HOMME
DU NOM QU'IL DONNA À LA FEMME.
51. "Puis il dit à Adam: Puisque tu as obéi à la parole de ta femme et que tu as mangé de l'arbre auquel je t'avais défendu de toucher; la terre sera maudite à cause de toi; tu en mangeras dans la douleur tous les jours de ta vie. Elle te produira des épines et des chardons, et tu mangeras l'herbe des champs. Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre dont tu as été pris: car tu es poussière et tu retourneras en poussière."
Voilà bien les peines de l'homme ici-bas, qui l'ignore ? Elles n'auraient jamais existé, si nous jouissions encore de la félicité qui régnait dans l'Éden, on n'en saurait douter; dès lors n'hésitons pas à prendre ces expressions à la lettre. Toutefois elles renferment un sens prophétique qu'il faut garder comme un principe d'espérance, parce qu'il est le but où tendent les paroles du Seigneur.
D'ailleurs ce n'est pas en vain qu'Adam, guidé par une inspiration sublime, a donné à sa femme le nom de vie, en ajoutant "qu'elle serait la mère de tous les vivants." Car ces derniers mots ne sont point un récit, une assertion de l'historien: ce sont les paroles même dont l'homme s'est servi pour expliquer à quel titre il avait donné ce nom à son épouse.
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CHAPITRE XXXIX. DES ROBES DE PEAUX: CONDAMNATION DE L'ORGUEIL .
52. "Et le Seigneur Dieu fit à Adam et à sa femme des robes de peaux et les en revêtit." C'est là un fait réel, quoiqu'il soit en même temps allégorique; de même que les paroles précédentes, tout en cachant une prophétie, avaient été réellement prononcées.
Je l'ai dit, je ne me lasse pas de le redire: le devoir d'un historien consiste à raconter les faits, tels qu'ils ont eu lieu, à citer les paroles, telles qu'elles ont été prononcées. Si l'on examine à la fois dans un fait son authenticité et sa signification, on doit voir dans les paroles et les mots et leur sens. Qu'on entende à la lettre ou au figuré des paroles que le récit reproduit comme vraies, il n'importe c'est un fait et non une figure, qu'elles ont été prononcées.
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CHAPITRE XXXIX. DES ROBES DE PEAUX: CONDAMNATION DE L'ORGUEIL.
53. "Et Dieu dit: Voilà Adam devenu comme l'un de nous, sachant le bien et le mal." Dieu a prononcé ces paroles, quel que soit le moyen qu'il ait employé; dès lors il faut voir dans le pluriel une allusion à la Trinité, analogue à celle qu'on trouve dans ce passage: "Faisons l'homme (1)," ou dans cet autre: "Nous viendrons vers lui et nous habiterons en lui," comme le dit le Seigneur de lui-même et de son Père (2). Ainsi la promesse du serpent est retombée sur la tète de l'orgueilleux; voilà ou aboutissent ses aspirations . "Vous serez comme des dieux, disait le serpent. Voilà Adam devenu comme l'un de nous," répond Dieu.
Ces paroles divines sont moins une insulte, qu'un avertissement terrible destiné à réprimer l'orgueil de tous les hommes, dans l'intérêt desquels ce récit a été composé. Peut-on voir-en effet dans ces mots: "Le voilà devenu comme l'un de nous, sachant le bien et le mal," un autre but que celui d'inspirer une terreur salutaire, puisque, loin de devenir ce qu'il avait rêvé, Adam n'a pas même gardé sa grandeur originelle ?
1. Genèse I, 26.
2. Jean XIV, 23.
DE LA GENÈSE. COMMENTAIRES SUR L'ANCIEN TESTAMENT. Ouvrages tirés des Œuvres complètes de Saint Augustin, traduites pour la première
fois en français sous la direction de M. Raulx, Bar-Le-Duc, 1866, tome Quatrième p. 88-322. Cette traduction est l'œuvre de M. Citoleux.
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LIVRE XI.
CHUTE ET CHÂTIMENT D'ADAM.
DE LA GENÈSE AU SENS LITTÉRAL.
Par Saint Augustin.
CHAPITRE XL. ADAM ET ÈVE CHASSÉS DU PARADIS. — EXCOMMUNICATION.
54. "Et maintenant, dit Dieu, prenons garde qu'il n'étende la main, qu'il ne touche à l'arbre de vie, qu'il n'en mange et ne vive éternellement. Et Dieu le chassa de l'Éden pour qu'il allât travailler la terre dont il avait été tiré." Dans ce passage, on reproduit d'abord les paroles de Dieu; l'expulsion d'Adam en est la conséquence rigoureuse. Mort à la vie des anges qui aurait été sa récompense, s'il avait été fidèle au commandement de Dieu, que dis-je ? À la vie heureuse que lui assurait dans le paradis la vigueur de son organisation, il dut être séparé de l'arbre de vie, soit que cet objet visible lui aurait conservé, par une vertu invisible, son heureuse organisation, soit qu'il fût le signe visible de l'invisible sagesse. Il en fut séparé par le fait de sa condamnation à mort, ou même par une espèce d'excommunication, analogue à celle dont l'Église, le Paradis de la terre, frappe les coupables selon la règle de sa discipline et les sépare des sacrements visibles de l'autel.
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Par Saint Augustin.
CHAPITRE XL. ADAM ET ÈVE CHASSÉS DU PARADIS. — EXCOMMUNICATION.
55. "Et il chassa Adam: et il le plaça à l'opposé du jardin des délices." Cet évènement est réel, bien qu'il nous apprenne en même temps que le pécheur est à l'opposé de la vie spirituelle, dont le paradis était le symbole, et qu'il vit dans la misère. "Puis il plaça un Chérubin et un glaive flamboyant qui s'agitait, pour garder le chemin qui conduisait à l'arbre de vie." Que, les puissances célestes aient exécuté cet ordre dans le paradis terrestre et qu'une flamme vigilante ait été entretenue par le ministère des anges, on n'en saurait douter: le fait ne doit pas être contesté; mais il représente en même temps ce qui se passe dans le Paradis spirituel.
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CHAPITRE XLI. HYPOTHÈSES SUR LA NATURE DU PÉCHÉ D'ADAM.
56. Je n'ignore pas que, d'après certaines personnes, le premier couple humain n'a pas su contenir l'instinct qui le portait à connaître le bien et le mal, en d'autres termes, qu'il a voulu devancer le moment où il lui aurait été donné d'acquérir plus utilement cette idée, et que le tentateur a eu pour but de leur faire offenser Dieu en leur donnant cette science anticipée, afin qu'ils fussent condamnés à être dépossédés du trésor dont ils auraient pu jouir sans danger, s'ils avaient su ne s'en approcher qu'au moment fixé par Dieu. En prenant l'arbre de la science au sens figuré, au lieu d'y voir exclusivement un arbre réel avec ses fruits, on pourrait donner à cette hypothèse un tour conforme à la saine doctrine.
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CHAPITRE XLI. HYPOTHÈSES SUR LA NATURE DU PÉCHÉ D'ADAM.
57. D'autres ont cru que nos premiers parents s'étaient approprié le droit de mariage, sans attendre que leur union eût été permise par le Créateur: l'arbre de la science serait le symbole de cette union qui leur aurait été interdite jusqu'au moment favorable pour la consommer. Ainsi nous voilà réduits à croire qu'ils ont été créés à un âge qui précédait la pleine puberté ou que leur union ne fut pas légitime au premier moment qu'elle put s'accomplir, et que, ne pouvant être légitime, elle dut ne point s'accomplir: il aurait fallu attendre sans doute que le mariage se fit dans les formes avec la cérémonie des vœux, l'appareil du festin, le contrat. Tout cela est ridicule, et a en outre l'inconvénient d'être en désaccord avec les faits dont nous cherchons à établir et dont nous avons établi la valeur historique, selon les forces qu'il a plu Dieu de nous prêter.
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CHUTE ET CHÂTIMENT D'ADAM.
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CHAPITRE XLII. ADAM A-T-IL AJOUTÉ FOI AUX PAROLES DU SERPENT ?
DU MOTIF QUI L'A FAIT PÉCHER.
58. Une question plus importante est de savoir comment Adam, si son intelligence était déjà spirituelle, quoique le corps fût animal, a pu se laisser prendre aux paroles du serpent et croire que Dieu leur avait défendu de toucher à l'arbre de vie, parce qu'il savait que la connaissance du bien et du mal les rendrait semblables à lui; comme si c'eût été là l'unique avantage que Dieu eût envié à sa créature ? Il serait étrange qu'avec une intelligence ornée des dons de la spiritualité, l'homme eût été dupe d'une pareille illusion. N'est-ce point parce qu'il y résista qu'il fut harcelé par sa femme, laquelle était moins intelligente et vivait peut-être à cette époque de la vie des sens sans connaître celle de l'esprit ?
L'Apôtre en effet ne lui donne pas le privilège de ressembler directement à Dieu: "L'homme, dit-il, ne doit pas se couvrir la tête, étant l’image et la gloire du Seigneur; mais la femme est la gloire de l'homme (1)". Ce n'est pas que l'esprit de la femme ne puisse également réfléchir la même image, puisque le même Apôtre dit que sous le règne de la grâce "il n'y a plus ni hommes ni femmes (2);" il est plutôt probable que la femme n'avait point encore acquis les dons que vaut à l'esprit la connaissance de Dieu et qui lui auraient été peu à peu communiqués par son mari, chargé de l'instruire et de la gouverner.
L'Apôtre n'a pas dit en vain: "Adam a été créé le premier, Ève ensuite. De plus Adam n'a pas été séduit, mais c'est Ève qui ayant été séduite a été la cause de la prévarication du genre humain (3)": ajoutons, en rendant l'homme lui-même prévaricateur. Adam en effet a été prévaricateur, comme le dit encore l'Apôtre quand il parle "de la prévarication du premier Adam, type de l'Adam futur (4)." Mais il dit formellement qu'Adam n'a point été séduit. Remarquons en effet qu'en répondant à Dieu, il ne dit pas: la femme m'a séduit, mais bien: "la femme que vous avez mise avec moi m'a donné du fruit et j'en ai mangé." La femme dit au contraire expressément: "Le serpent m'a séduite."
1. I Corinthiens XI, 7.
2. Galates III, 27-28.
3. I Timothée II,13-14.
4. Romains V, 14.
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CHAPITRE XLII. ADAM A-T-IL AJOUTÉ FOI AUX PAROLES DU SERPENT ?
DU MOTIF QUI L'A FAIT PÉCHER.
59. Voyez Salomon: est-il possible qu'un roi de si haute sagesse ait cru que l'idolâtrie eût le moindre fondement ? Non, mais il ne peut résister à sa passion pour les femmes qui l'entraînaient à ce péché, et il fit le mal que lui reprochait sa conscience, pour ne pas déplaire aux yeux pleins d'un poison mortel, qui le transportaient d'un amour aveugle et insensé (1). Il en fut de même d'Adam: quand la femme eut mangé du fruit défendu et qu'elle lui en eut présenté, afin qu'ils en mangeassent ensemble, il ne voulut pas l'attrister, à la pensée sans doute qu'elle serait inconsolable, s'il lui retirait son affection, et qu'une rupture aussi cruelle la ferait mourir. Il ne céda pas à la concupiscence de la chair, puisqu'il n'avait point encore éprouvé les effets de la loi qui révolte la chair contre l'esprit; il céda à cette sympathie qui nous fait souvent offenser Dieu pour conserver un ami; et en cela il fut coupable, comme l'indique assez la juste exécution de l'arrêt divin.
1. III Rois, XI, 4.
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CHAPITRE XLII. ADAM A-T-IL AJOUTÉ FOI AUX PAROLES DU SERPENT ?
DU MOTIF QUI L'A FAIT PÉCHER.
60. Adam a donc été trompé, mais d'une manière bien différente: il est impossible, à mes yeux, qu'il soit tombé comme la femme, dans le piège que lui tendait le serpent. L'Apôtre voit une séduction, au sens rigoureux du mot, dans l'illusion qui fit prendre à la femme les mensonges du serpent pour des vérités; en d'autres termes, dans la faiblesse qu'elle eut de croire que Dieu leur avait défendu de toucher à l'arbre de la science, uniquement parce qu'il savait qu'en y touchant ils seraient semblables à des dieux, comme si le Créateur des hommes eût envié à l'homme le privilège de devenir son égal.
Que l'homme ait éprouvé un mouvement d'orgueil, qui ne put échapper au Dieu qui lit dans les cœurs, et qu'il ait, comme nous l'avons dit plus haut, cédé au désir de faire l'épreuve, en voyant que sa femme avait mangé du fruit défendu sans mourir, soit; mais je ne saurais croire qu'il ait pu s'imaginer, si son intelligence était vraiment spirituelle, que Dieu leur eût interdit l'arbre de la Science par un sentiment de jalousie. Pour terminer, ils ont été engagés au péché par des motifs capables d'agir sur eux, et le récit de leur faute a été fait pour être lu avec profit par tout le monde, encore que bien peu le comprennent comme il faudrait.
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LIVRE XII.
LE PARADIS ET LE TROISIÈME CIEL
DE LA GENÈSE AU SENS LITTÉRAL.
Par Saint Augustin.
CHAPITRE PREMIER. DU PASSAGE DE SAINT PAUL RELATIF AU PARADIS.
1. Dans le commentaire qui s'étend depuis les premiers mots de la Genèse jusqu'au moment où l'homme fut chassé du Paradis, j'ai traité en onze livres toutes les questions que j'ai pu, dans la mesure de mes forces; j'ai affirmé et soutenu les vérités incontestables, j'ai analysé et discuté les hypothèses: mon but a été moins d'imposer mon opinion sur les points obscurs que d'invoquer les lumières d'autrui dans mes doutes, et de prévenir toute assertion présomptueuse chez le lecteur, quand je n'ai pu donner à ma pensée un fondement solide.
Dégagé des préoccupations où me jetait l'interprétation littérale du texte sacré, ce douzième livre sera un traité plus libre et plus développé de la question qui a pour objet le Paradis: de la sorte je n'aurai pas l'air d'avoir évité le passage où l'Apôtre semble parler du Paradis sous le nom de troisième ciel, le voici: "Je connais un chrétien qui, il y a quatorze ans (était-ce dans son corps, ou hors de son corps, je le ne sais pas, Dieu le sait,) fut ravi jusqu'au troisième ciel. Je sais encore que ce même homme (était-ce dans son corps, ou hors de son corps, je ne le sais pas, Dieu le sait,) fut ravi jusque dans le Paradis, et y entendit des choses qu'il n'est pas donné à l'homme d'exprimer (1)."
1. II Corinthiens XII, 2;4.
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LE PARADIS ET LE TROISIÈME CIEL
DE LA GENÈSE AU SENS LITTÉRAL.
Par Saint Augustin.
CHAPITRE PREMIER. DU PASSAGE DE SAINT PAUL RELATIF AU PARADIS.
2. Il faut d'abord chercher ce que l'Apôtre entend par troisième ciel; puis, se demander s'il a confondu ce séjour avec le Paradis, ou s'il veut dire qu'il est passé du troisième ciel dans le Paradis, en quelque lien qu'il soit, de telle sorte que, loin de confondre le ciel avec le Paradis, il révèle qu'il a été ravi au troisième ciel et de là au Paradis. Or, ce dernier point me semble si obscur que, pour résoudre la question, il faudrait à mes yeux trouver dans d'autres passages de l'Ecriture, plutôt que dans les paroles de l'Apôtre, ou demander à une raison péremptoire la preuve décisive que le Paradis est ou n'est pas dans le troisième ciel car on ne découvre pas clairement si le troisième ciel est situé dans le monde physique, ou s'il doit être compris parmi les choses purement spirituelles.
On avancera peut-être qu'un homme ne pouvait être ravi avec son corps que dans une région matérielle, soit: mais comme l'Apôtre déclare qu'il ne sait pas s'il y fut ravi avec ou sans son corps, comment oser assurer ce que l'Apôtre ne sait pas lui-même, selon ses propres paroles ? Cependant, comme il est impossible que l'esprit sans le corps soit ravi dans une région matérielle, ou que le corps soit transporté dans un séjour spirituel, le doute même de l'Apôtre, sur un évènement qui lui est tout personnel, comme personne ne le conteste, force en quelque sorte à conclure qu'on ne saurait savoir nettement si ce séjour était matériel ou purement spirituel.
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LE PARADIS ET LE TROISIÈME CIEL
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CHAPITRE II. L'APÔTRE A PU IGNORER S'IL AVAIT VU
LE PARADIS INDÉPENDAMMENT DE SON CORPS.
3. En effet, lorsque l'image d'un corps nous apparaît soit en songe, soit en extase, on ne la distingue pas du corps lui-même: il faut pour cela revenir à soi-même et reconnaître qu'on s'est trouvé en présence d'images que l'esprit ne recevait pas par le canal des sens. Qui ne s'aperçoit à son réveil que les objets vus en songe étaient purement imaginaires, quoiqu'il fût impossible de distinguer pendant le sommeil entre l'apparition et la réalité ? Il m'est arrivé et, à ce titre, d'autres ont éprouvé ou éprouveront la même chose, que dans ces rêves j'avais conscience de rêver: tout endormi que j'étais, je voyais fort distinctement que les images qui d'ordinaire font illusion à notre esprit, étaient, non des réalités, mais des fantômes.
Voici mon erreur: je voulais persuader à l'ami dont les songes me reproduisaient le portrait exact, que nos perceptions n'avaient rien de vrai et n'étaient que des visions de songes; et pourtant il n'y avait aucune différence entre elles et l'image qu'elles m'offraient de sa personne. J'ajoutais que notre entretien même était une illusion et que juste en ce moment il croyait voir en songe une autre chose, sans savoir si je ne voyais pas ce que je voyais actuellement. Tout en m'efforçant de lui prouver que ce n'était pas lui, j'étais amené à reconnaître en quelque sorte que c'était lui, car je n'aurais pu avoir avec lui cette conversation, si j'avais eu pleine conscience qu'il n'était rien. Ainsi dans ce phénomène de l'âme éveillée malgré le sommeil, il fallait bien quelle fût guidée par les représentations des corps, comme si elle avait été en présence de réalités.
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CHAPITRE II. L'APÔTRE A PU IGNORER S'IL AVAIT VU
LE PARADIS INDÉPENDAMMENT DE SON CORPS.
4. Il m'a été donné d'entendre un homme de la campagne, à peine capable de s'exprimer, qui, dans une extase, avait le sentiment d'être éveillé et d'apercevoir un objet sans que ses yeux en fussent frappés. "Mon âme le voyait et non mes yeux," disait-il, autant que je puis me rappeler ses propres paroles. Il ne pouvait dire cependant si c'était un corps ou l'image d'un corps, cette distinction était trop subtile pour lui; mais sa foi était si naïve qu'en l'écoutant je croyais voir moi-même l'objet qu'il me racontait avoir vu.
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