DE LA GENÈSE AU SENS LITTÉRAL (EXTRAITS). Par Saint Augustin.
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LIVRE X.
L’ORIGINE DES ÂMES.
DE LA GENÈSE AU SENS LITTÉRAL.
Par Saint Augustin.
CHAPITRE XX. RÉPONSE QU'ON POURRAIT FAIRE DANS
L'HYPOTHÈSE DE LA TRANSMISSION DES ÂMES.
35. Les partisans de la propagation des âmes se montrent ici et prétendent que leur système est démontré, s'il est prouvé que Lévi, même avec son âme, était renfermé dans la personne d'Abraham, qui paya la dîme à Melchisédech pour son petit-fils, et qu'on puisse distinguer le Christ d'avec Lévi à propos de cette offrande: or, le Christ n'ayant point payé la dîme, tout en étant renfermé dans la personne d'Abraham selon la chair, il faut admettre que son âme n'y était pas comprise, et que celle de Lévi y était renfermée. Pour moi, cet argument me touche peu; je suis plus disposé à entendre les deux parties qu'à me prononcer pour l’une ou pour l'autre. Ce que je me suis proposé en citant ce passage, c'est de prouver que l'âme du Christ n'a point pris naissance par transmission. Parmi les adversaires de cette transmission quelques-uns répondront peut-être à cet argument et feront valoir un raisonnement qui n'est pas sans importance à mes yeux, le voici:
Bien qu'aucune âme ne soit renfermée dans les reins d'un père, Lévi fut toutefois selon la chair renfermé dans ceux d'Abraham en la personne duquel il paya la dîme; le Christ y fut également renfermé selon la chair tout en restant exempt de ce tribut. En effet Abraham contenait Lévi dans ses reins d'après le principe qui fait sortir un enfant du germe déposé par le père dans le sein maternel; mais comme la conception du Christ se fit en dehors de cette loi, son corps ne fut point renfermé; au même titre que Lévi dans la personne d'Abraham, encore que Marie en soit issue.
Par conséquent ni Lévi ni le Christ ne furent enfermés dans les reins d'Abraham sous le rapport de l'âme: ils ne le furent que sous le rapport de la chair, avec cette différence que Lévi dut sa naissance aux désirs de la chair, tandis que le Christ ne prit dans le sein de sa mère que la substance de son corps. La semence en effet se compose à la fois d'une substance corporelle et d'un principe invisible; elle s'est transmise ainsi d'Abraham ou plutôt d'Adam au corps de Marie, dont la conception et la naissance ont été soumises à cette loi. Quant au Christ, il a pris la substance visible de sa chair dans celle d'une vierge, mais le principe de sa conception, loin de dépendre d'un homme, a été tout surnaturel. Il a donc été renfermé dans les reins d'Abraham pour le corps qu'il a reçu de sa mère.
DE LA GENÈSE. COMMENTAIRES SUR L'ANCIEN TESTAMENT. Ouvrages tirés des Œuvres complètes de Saint Augustin, traduites pour la
première fois en français sous la direction de M. Raulx, Bar-Le-Duc, 1866, tome Quatrième p. 88-322. Cette traduction est l'œuvre de M. Citoleux.
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CHAPITRE XX. RÉPONSE QU'ON POURRAIT FAIRE DANS
L'HYPOTHÈSE DE LA TRANSMISSION DES ÂMES.
36. Ainsi Lévi a payé la dîme dans la personne d'Abraham, mais n'a été dans ses reins qu'au point de vue de la chair et au même titre qu'Abraham lui-même avait été renfermé dans ceux de son père: en effet il est né d'un père comme Abraham, en vertu de la loi qui soulève la chair contre l'esprit et de l'invisible concupiscence, qu'une légitime et chaste union ne laisse s'exercer que dans l'intérêt de la reproduction de l'espèce; mais le Christ n’a pu payer la dîme en la personne d'Abraham, puisque sa conception loin d'y avoir puisé la blessure en a tiré le remède. La dîme même étant une figure de ce remède divin, le malade, non le médecin, a dû payer le tribut dans la personne d'Abraham.
Car le corps d'Abraham, et même celui du premier homme formé de la terre, contenaient tout ensemble la plaie du péché et le remède pour la guérir; la plaie, c'est-à-dire cette loi qui soulève la chair contre la loi de l'esprit et qui va se communiquant d'homme à homme, comme si elle se gravait successivement; le remède, c'est-à-dire ce corps conçu et formé dans le sein d'une vierge sans concupiscence, par une pure incarnation, afin de pouvoir mourir malgré son innocence et de nous donner un gage sûr de la résurrection. L'âme du Christ n'est donc point née par transmission de la première âme coupable; c'est un point que doivent admettre ceux mêmes qui croient à la propagation des âmes. Car, d'après eux, cette propagation se produit par l'acte générateur du père: or la conception du Christ est en dehors de la génération ordinaire. D'ailleurs s'il avait été compris avec son âme dans la personne d'Abraham, il aurait payé lui-même la dîme, ce qui est contraire au témoignage de l'Ecriture, puisqu'elle établit sur ce principe même la prééminence du sacerdoce de Jésus-Christ sur le sacerdoce de Lévi.
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CHAPITRE XXI. IL SERAIT IMPOSSIBLE QUE LE CHRIST N'EUT PAS PAYÉ LA DÎME,
S'IL AVAIT ÉTÉ RENFERMÉ AVEC SON ÂME DANS LA PERSONNE D'ABRAHAM.
37. On va peut-être me dire: Si le Christ a pu être implicitement renfermé avec son corps dans la personne d'Abraham sans être soumis à la dîme, pourquoi n'aurait-il pu y être également avec son âme sans être condamné à ce tribut ? Je réponds: parce que, la substance de l'âme étant simple, il est impossible qu'elle s'accroisse comme font les corps; c'est un point que reconnaissent les auteurs mêmes qui considèrent l'âme comme corporelle, opinion à laquelle appartiennent la plupart de ceux qui croient que les âme sont produites de celles des parents. Or, dans la semence d'où naît le corps il peut y avoir un principe invisible, destiné à présider à son développement harmonieux, principe que l'intelligence et non les yeux, distingue de la matière visible et palpable. Le volume même du corps humain par sa disproportion avec le germe dont il vient fait assez voir qu'il est possible d'emprunter au corps des éléments qui contiennent la matière visible et non l'invisible principe de la reproduction, comme l'a fait le Christ, dont la chair s'est formée par un effet surnaturel, sans se propager aux dépens d'un père et d'une mère.
Mais qui oserait dire de l'âme qu'elle contient un germe composé à la fois d'une matière visible et d'un principe invisible ? Du reste à quoi bon se travailler pour formuler une vérité que la parole toute seule est incapable de démontrer, à moins qu'on ne s'adresse à un esprit vif qui devance la parole et qui n'attend pas tout de la clarté des mots ? Voici donc ma conclusion: Si l'âme du Christ s'est formée d'une autre âme, comme on l'a cru peut-être, quand nous ne parlions que de son corps, elle s'en est propagée sans contracter la souillure originelle; mais si elle n'a pu s'en propager sans contracter cette tache, c'est qu'elle n'en vient pas. Quant à la question de savoir si les autres âmes viennent des parents ou d'en haut, le démontre qui pourra. Je flotte d'une opinion à l'autre, sans pouvoir fixer ma pensée, ferme uniquement sur ce point que l'âme n'est ni un corps, ni une organisation ou, comme disent les Grecs l'harmonie de parties matérielles; voilà ce que tout le verbiage du monde ne fera jamais entrer dans mon esprit aidé de la grâce de Dieu.
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CHAPITRE XXII. D'UN PASSAGE DE SAINT JEAN:
PEUT-IL S'EXPLIQUER DANS LES DEUX HYPOTHÈSES ?
38. Il y a dans l'Ecriture un autre passage que nous ne devons pas oublier et sur lequel peuvent s'appuyer ceux qui prétendent que les âmes viennent d'en haut; le Seigneur a dit lui-même ? "Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'esprit est esprit (1)." Peut-on trouver un témoignage plus précis, dit-on, pour prouver que l'âme ne naît pas de la chair ? Qu'est-ce en effet que l'âme, sinon l'esprit de vie, créé et non créateur? A ce raisonnement les adversaires en opposent un autre. Eh! prétendons-nous autre chose, s'écrient-ils, nous qui disons que la chair vient de la chair, l'âme de l'âme ? L'homme en effet est composé d'un corps et d'une âme, et nous soutenons que le corps naît du corps par la génération, l'esprit de l'esprit par la concupiscence. Encore oublient-ils de nous dire que les paroles du Seigneur ont trait, non à la génération matérielle, mais à la régénération spirituelle.
1. Jean III, 6.
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CHAPITRE XXIII. QUELLE EST L'HYPOTHÈSE LA PLUS VRAISEMBLABLE ?
DE LA COUTUME OÙ EST L'ÉGLISE DE BAPTISER LES ENFANTS.
39. Après cette discussion, telle que nous l'ont permise et le temps et nos forces, je conclurais que les raisonnements et les témoignages de l'Ecriture ont une valeur égale ou presque égale dans les deux hypothèses, si la coutume où est l’Eglise de baptiser les petits enfants, ne me faisait pencher en faveur de l'opinion selon laquelle les âmes émanent de celles des parents; je ne vois aucune réponse à faire à cette opinion sur ce point; si Dieu m'envoie ensuite quelque lumière, s'il accorde même la grâce d'écrire aux docteurs qui se préoccupent de ces questions, je le verrai avec plaisir. Aujourd'hui toutefois je déclare que l'argument tiré du baptême des petits enfants est très sérieux, afin qu'on s'occupe de le réfuter, s'il est faux.
Car, ou nous devons abandonner cette question et croire qu'il suffit pour la foi de savoir le but où nous conduira une vie pieuse, sans connaître notre origine; ou l'âme intelligente est portée avec ardeur à sonder un problème qui la touche: alors, mettons de côté toute obstination dans le débat; faisons nos recherches avec conscience, demandons avec humilité, frappons avec persévérance. Si cette connaissance nous est utile, Celui qui sait mieux que nous ce qu’il nous faut nous l'accordera, lui qui donne ce qui leur est bon à ses enfants (1). Toutefois l'usage où l'Eglise, notre mère, est de baptiser les enfants, doit être pris en sérieuse considération: il ne faut ni le regarder comme inutile, ni croire qu'il n'est pas une tradition des Apôtres. Cet âge tendre offre un argument d'autant plus sérieux, que le premier il a eu le bonheur de verser son sang pour le Christ.
1. Matthieu VII, 11.
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CHAPITRE XXIV. CONSÉQUENCE QUE DOIVENT
ÉVITER LES PARTISANS DE LA PROPAGATION DES ÂMES.
40. J'avertis de tout mon pouvoir les partisans de la propagation des âmes et je les prie de bien s'examiner eux-mêmes, afin qu'ils se convainquent que leur âme n'est point un corps. Il n'est effectivement aucune substance qui, par une étude attentive, révèle mieux à l'esprit le Dieu souverain et immuable, que celle qu'il a faite à son image: d'autre part, on est bien près de croire que Dieu est un corps, on y arrive peut-être logiquement, lorsqu'on admet que l'âme est corporelle. Accoutumé à la vie et aux opérations des sens, on ne veut pas croire que l'âme soit d'une autre nature que le corps, dans la crainte qu'elle ne soit plus rien: à plus forte raison, plus on craint que Dieu n'existe pas, plus on craint de lui refuser un corps.
L'imagination entraîne ces sensualistes avec tant de force vers les représentations réelles ou chimériques que l'esprit se forme à propos des corps, que sans ces représentations ils redoutent de se perdre dans le vide; de là vient qu'ils se figurent nécessairement la justice et la sagesse sous des formes et des couleurs, car ils ne peuvent les concevoir d'une manière purement spirituelle; et pourtant, quand la sagesse et la justice excitent leur admiration ou leur inspirent quelques actes, ils ne disent point le coloris, les traits, la taille, les formes qui ont frappé leurs regards. C'est un sujet que nous avons déjà traité ailleurs et que nous traiterons encore, s'il plaît à Dieu. Ainsi donc, que l'on regarde comme une certitude l'hypothèse de la transmission des âmes ou qu'on reste dans le doute, on ne doit jamais aller jusqu'à croire ou dire que l'âme est matérielle, surtout pour éviter de se figurer Dieu comme un corps; puisque, malgré sa perfection, malgré le privilège de surpasser tous les êtres par son essence, il n'en serait pas moins un corps.
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CHUTE ET CHÂTIMENT D'ADAM.
DE LA GENÈSE AU SENS LITTÉRAL.
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CHAPITRE PREMIER. CITATION DU TEXTE; PRÉLIMINAIRES.
1."Adam et sa femme étaient nus tous deux et ils n'en avaient point de honte. Or le serpent était le plus rusé de tous les animaux qui sont sur la terre et que le Seigneur Dieu avait faits. Et il dit à la femme: Quoi ! Dieu vous aurait-il dit: Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? Et la femme répondit au serpent: Nous mangeons des fruits des arbres du jardin; mais quant au fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n'en mangerez point, et vous n'y toucherez pas, de peur que vous ne mouriez. Alors le serpent dit à la femme: Vous ne mourrez nullement. Mais Dieu sait qu'au jour où vous eu mangerez, vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des Dieux connaissant le bien et le mal. La femme donc voyant que le fruit de l'arbre était bon à manger, agréable à la vue et désirable pour donner de la science, prit du fruit, en mangea, en donna à son mari comme à elle, et ils en mandèrent. Et leurs yeux furent ouverts et ils reconnurent qu'ils était nus; et ayant cousu ensemble des feuilles de figuier, ils en firent des ceintures.
Et ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin vers le soir. Adam et Ève se cachèrent de devant la face du Seigneur Dieu, au milieu des arbres du Paradis. Et le Seigneur Dieu dit: Qui t'a montré que tu étais nu, sinon parce que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger ? Et Adam répondit: La femme que vous m'avez donnée pour compagne, m'a donné du fruit de l'arbre et j'en ai mangé. Et Dieu dit à la femme: Pourquoi as-tu fait cela ? Et la femme répondit: Le serpent m'a trompée et j'en ai mangé. Alors le Seigneur Dieu dit au serpent: Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tous les animaux et entre toutes les bêtes des champs; tu ramperas sur ton ventre et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. Et je mettrai de l'inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et la postérité de la femme: elle t'observera à la tête et toi tu l'observeras au talon. Puis il dit à la femme : Je multiplierai énormément tes douleurs et tes gémissements: tu enfanteras dans la peine, tu te tourneras vers ton mari et il te dominera. Puis il dit à Adam: Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l'arbre auquel seul je t'avais ordonné de ne pas toucher, la terre sera maudite dans ton travail: tu en mangeras tous les jours de ta vie avec tristesse. Elle te produira des épines et des chardons, et tu mangeras l'herbe des champs. Tu mangeras le pain à la sueur de ton visage, jusqu'à ce que tu retournes en la terre d'où tu as été pris; car tu es poudre et tu retourneras en poudre.
Et Adam appela sa femme la Vie, parce qu'elle a été la mère tous les vivants. Et le Seigneur Dieu fit à Adam et à sa femme des tuniques de peaux et les en revêtit. Et le Seigneur Dieu dit: Voici que l'homme est devenu comme l'un de nous, sachant le bien et le mal: or il faut prendre garde maintenant qu'il n'avance la main et ne prenne aussi de l'arbre de vie et qu'il n'en mange à toujours. Et le Seigneur Dieu le fit sortir du jardin d'Éden pour labourer la terre dont il avait été pris. Alors il chassa Adam et le plaça à l'opposé du jardin d'Éden: il plaça aussi des Chérubins avec un glaive de flamme qui se tournait ça et là, pour garder le chemin de l'arbre de vie (1)."
1. Genèse II, 25 — III, 24.
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CHUTE ET CHÂTIMENT D'ADAM.
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CHAPITRE PREMIER. CITATION DU TEXTE; PRÉLIMINAIRES.
2. Avant d'expliquer ce texte dans tous ses détails, je crois devoir rappeler, comme je l'ai déjà fait ici, que le but de cet ouvrage est de commenter littéralement les faits dont l'écrivain sacré nous donne le récit historique. Si les paroles de Dieu, ou celles des personnages qu'il a choisis pour remplir le rôle des prophètes, nous présentent quelquefois des expressions qui ne sauraient s'entendre à la lettre sans devenir absurdes, il faut y voir un sens figuré: il serait néanmoins impie de douter qu'elles aient été réellement prononcées; on ne doit pas attendre moins de la probité du narrateur, et des promesses de l'historien (1).
1. Ci-dessus, liv. VIII, ch. 1-7.
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CHAPITRE PREMIER. CITATION DU TEXTE; PRÉLIMINAIRES.
3. Ainsi "tous deux étaient nus." C'est un fait historique: le premier couple humain vivait absolument nu dans le paradis. Ils n'en rougissaient pas; eh ! quelle honte pouvaient-ils éprouver, quand ils n'avaient point encore senti dans leurs membres la loi qui soulève la chair contre la loi de l'esprit (2) ? C'est là le châtiment du péché, et ils n'en subirent les effets qu'après avoir été prévaricateurs, lorsque leur désobéissance eut enfreint le commandement, et que la justice eut puni leur crime. Auparavant ils étaient nus, et à l'abri de toute confusion; il ne se passait dans leur corps aucun mouvement qui exigeât les précautions de la pudeur: ils n'avaient rien à voiler, n'ayant rien à réprimer. Nous avons vu plus haut (3) comment ils auraient pu se créer une postérité; c’eût été d'une manière différente de celle qui fut la conséquence de leur faute, quand la vengeance divine se réalisa; par un juste effet de leur désobéissance, ils sentirent en effet avant de mourir, la mort se glisser dans leurs membres et y répandre le désordre et la révolte. Mais ils ignoraient cette lutte, au moment qu'ils étaient nus et ne rougissaient pas.
2. Romains VII, 23.
3. Ci-dessus, liv. IX, ch.3-11.
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CHAPITRE II. DE LA FINESSE DU SERPENT: D'OÙ VENAIT-ELLE ?
4. Or, "le serpent était le plus prudent," sans contredit "de tous les animaux qui étaient sur la terre et que le Seigneur Dieu avait faits." Le mot prudence, ou sagesse, selon la version latine de quelques manuscrits, s'emploie ici par extension: il ne saurait se prendre en propre et en bonne part, comme il arrive lorsqu'on l'applique à Dieu, aux anges, à l'âme raisonnable: autant vaudrait alors appeler sages les abeilles ou même les fourmis, dont les travaux offrent un semblant de sagesse. Toutefois, à considérer dans le serpent, non l'animal sans raison, mais l'esprit de Satan qui s'y était introduit, on pourra l’appeler le plus sage des animaux. Si bas en effet que soient tombés les anges rebelles, précipités des hauteurs célestes par leur orgueil, ils ne gardent pas moins par le privilège de la raison la supériorité sur tous les animaux. Qu'y aurait-il alors d'étonnant si le démon, en communiquant son inspiration au serpent et en l'animant de son génie, comme il fait aux devins qui lui sont consacrés, eût rendu cet animal le plus sage des êtres qui ont ici-bas la vie sans la raison ! Toutefois le mot sagesse ne peut s'appliquer à un méchant que par abus; c'est comme si l'on disait de l’homme bon qu'il est rusé. Or, dans notre langue, le mot sagesse renferme toujours un éloge, celui de ruse implique la perversité du cœur.
De là vient que dans plusieurs éditions latines, où l'on a consulté les convenances de la langue, on s'est attaché au sens plutôt qu'à l'expression, et on a mieux aimé appeler le serpent le plus rusé des animaux. Quant à la signification précise du mot hébreu, ceux qui connaissent parfaitement cette langue examineront s'il peut désigner rigoureusement et sans impropriété la sagesse dans le mal. L'Écriture nous offre ce sens dans une autre passage (1), et le Seigneur dit que les enfants du siècle sont plus sages que les enfants de lumière dans la conduite de leurs affaires, quoiqu'ils emploient la fraude et non la justice (2).
1. Jérémie IV, 22.
2. Luc, XVI, 8.
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CHAPITRE III. IL N'A ÉTÉ PERMIS AU DÉMON DE
TENTER L'HOMME QUE SOUS LA FIGURE DU SERPENT.
5. N'allons pas croire du reste que le démon ait fait choix du serpent pour tenter l'homme et l'engager au péché; sa volonté perverse et jalouse lui inspirait le désir de tromper, mais il ne put, exécuter ses desseins que par l'entremise de l'animal dont Dieu lui avait permis de prendre la figure. L'intention coupable dépend de la volonté chez les êtres; quant au pouvoir de la réaliser, il vient de Dieu, qui ne l'accorde que par un arrêt mystérieux de sa justice profonde, tout en restant lui-même inaccessible à l'iniquité (3).
3. Romains III, 5.
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CHAPITRE IV. POURQUOI DIEU A-T-IL PERMIS QUE L'HOMME FUT TENTÉ.
6. Si on me demande maintenant pourquoi Dieu a permis que l'homme fût tenté, quand il savait d'avance qu'il écouterait le tentateur, j'avoue que je suis incapable de pénétrer la profondeur de ce dessein: c'est trop au-dessus de mes forces: La découverte de cette cause mystérieuse est peut-être réservée à des esprits plus saints et plus puissants, encore qu'ils la devront à la grâce plutôt qu'à leurs mérites: il me semble toutefois, d'après les idées que Dieu m'accorde et qu'il me permet d'exposer, que l'homme n'aurait guère mérité d'éloges, s'il n'avait pu pratiquer le bien qu'à la condition de n'être jamais exhorté au mal; puisqu'il avait la puissance, et dès lors devait avoir la volonté de repousser ces conseils, avec l'aide de Celai qui résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (1). Pourquoi donc Dieu, tout en sachant que l'homme succomberait, n'aurait-il pas permis qu'il fût tenté, puisque la faute dépendrait de la volonté humaine, et que le châtiment infligé par la justice divine rétablirait l'ordre ? N'était-ce pas apprendre aux âmes orgueilleuses pour l'édification des saints futurs, que Dieu disposait équitablement de leurs volontés même coupables, tandis qu’elles faisaient un si mauvais usage des natures créées bonnes ?
1. Jacques IV, 6.
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CHAPITRE V. LA CHUTE DE L'HOMME VIENT DE L'ORGUEIL.
7. Le tentateur n'aurait pu réussir à triompher de l'homme, s'il ne s'était laissé auparavant emporter à un mouvement d'orgueil, lequel dut être réprimé afin de lui faire sentir par l'humiliation de sa faute combien il avait eu tort de présumer de lui-même. Car la Vérité même s'exprime ainsi. "Le cœur s'exalte avant la chute, il s'humilie avant la gloire (2)." On retrouve peut-être l'accent de ce pécheur dans ces paroles du Psalmiste: "Quand j'étais dans la prospérité, je disais: Je ne serai jamais ébranlé." Mais, après avoir éprouvé les funestes effets de l'orgueil, qui s'enivre de sa puissance, et ressenti les bienfaits de la protection divine, il s'écrie: "Seigneur, c'était par pure bonté que vous m'aviez affermi dans cet état florissant; vous avez caché votre face, et j'ai été tout éperdu (3)."
Mais quel que soit le personnage dont il est ici question, il n'en fallait pas moins donner une leçon à l'âme qui s'exalte et qui compte trop sur ses propres forces, et lui faire sentir, par les tristes suites du péché, tout le malheur qui attend la créature, quand elle se sépare du Créateur. On découvre mieux que Dieu est le souverain bien, en voyant que loin de lui il n'y a pas de bien: car ceux qui goûtent le poison mortel des voluptés, ne peuvent s'empêcher de craindre la rigueur du châtiment; quant à ceux qui, tout étourdis par l'orgueil, ne sentent plus combien leur désertion est funeste, ils sont plus malheureux encore que ceux qui ont conscience de leur état: repoussant le remède qui les guérirait de leurs erreurs, ils ne font plus que servir d'exemple aux autres pour leur en inspirer le dégoût. "Chacun est tenté, dit l'Apôtre Jacques, par l'attrait et les amorces de sa propre convoitise. Quand la concupiscence a conçu, elle enfante le péché, et le péché, étant consommé, engendre la mort (1)." Mais l'enflure de l'orgueil guérie, on renaît à la vie, quand, après l'épreuve, on retrouve, pour revenir à Dieu,
la volonté qui avait manqué avant l’épreuve pour lui rester fidèle.
2. Proverbes XVI, 18.
3. Psaume XXIX, 7-8.
1. Jacques I,14-15.
DE LA GENÈSE. COMMENTAIRES SUR L'ANCIEN TESTAMENT. Ouvrages tirés des Œuvres complètes de Saint Augustin, traduites pour la première fois en français sous la direction de M. Raulx, Bar-Le-Duc, 1866, tome Quatrième p. 88-322. Cette traduction est l'œuvre de M. Citoleux.
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CHAPITRE VI. POURQUOI DIEU A-T-IL PERMIS LA TENTATION ?
8. On s'étonne quelquefois que Dieu ait permis que le premier homme fût tenté: mais ne voit-on pas qu'aujourd'hui encore le genre humain est sans cesse en butte aux ruses du démon ? Pourquoi Dieu le permet-il ? N'est-ce pas pour mettre la vertu à l'épreuve ? N'est-ce pas un triomphe plus glorieux de résister à la tentation, que d'être soustrait à la possibilité même d'être tenté ? Ceux mêmes qui renoncent au Créateur pour courir sur les pas du tentateur, ne font que multiplier les tentations pour les âmes fidèles, en même temps qu'ils leur ôtent par leur exemple l'envie de fuir avec eux, et leur inspirent une crainte salutaire de l'orgueil. De là ce mot de l'Apôtre: "Regardant à toi-même, de peur que toi aussi tu ne sois tenté (2)."
Car l'humilité qui nous assujettit au Créateur, et qui nous empêche de présumer assez de nos forces pour croire que nous pouvons nous passer de son secours, nous est recommandée dans toute la suite de l'Ecriture avec une attention frappante. Puis donc que les âmes pieuses et justes se perfectionnent par l'exemple même de l'impiété et de l'injustice, on n'est plus en droit de dire que Dieu n'aurait pas dû créer les hommes dont il prévoyait l'existence criminelle. Pourquoi ne pas les créer, puisqu'ils doivent servir, comme Dieu l'a prévu, à éprouver, à tenir en éveil les cœurs droits, et qu'en outre ils doivent subir le châtiment que mérite leur mauvaise volonté ?
1. Jacques I,14-15.
2. Galates VI, 1.
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CHAPITRE VII. POURQUOI L'HOMME N'A-T-IL PAS
ÉTÉ CRÉÉ AVEC LA VOLONTÉ DE NE PÉCHER JAMAIS ?
9. Eh bien! ajoute-t-on, Dieu devait créer l'homme en lui donnant la volonté de ne jamais pécher. Soit, j'accorde qu'un être incapable de consentir au péché, est plus parfait; mais on doit m'accorder en même temps qu'on ne saurait appeler mauvais un être créé avec la faculté de ne jamais pécher, s'il le veut, ni trouver injuste, qu'il soit puni, puisqu'il a péché par choix et non par nécessité. Si donc la raison démontre clairement la supériorité d'un être qui n'éprouve que des désirs légitimes, elle prouve clairement aussi l'excellence relative d'un être qui a le pouvoir de dompter les désirs coupables, et d'être sensible à la joie qui accompagne, non-seulement les actes permis, mais encore la victoire sur une passion désordonnée.
De ces deux êtres, l'un est bon, l'autre est meilleur: pourquoi Dieu n'aurait-il créé que ce dernier, au lieu de les créer tous deux ? Ceux qui sont disposés à louer la première création, doivent trouver dans les deux un sujet de louanges encore plus riche. Les saints anges représentent la première, les hommes saints, la seconde: Quant à ceux qui ont choisi le parti de l'iniquité, et qui ont corrompu par une volonté coupable les avantages de leur nature, Dieu n'était point obligé à ne pas les créer, par cela seul qu'il prévoyait leur existence. Eux aussi ont leur rôle dans le monde et ils le remplissent dans l'intérêt des saints. Quant à Dieu, s'il peut se passer des vertus de l'homme juste, à plus forte raison n'a-t-il pas besoin des vices de l'homme corrompu.
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CHAPITRE VIII. POURQUOI DIEU A-T-IL CRÉÉ
LES MÉCHANTS TOUT EN PRÉVOYANT LEUR MALICE ?
10. Qui oserait dire de sang froid: Dieu aurait mieux fait de ne pas créer ceux à qui la malice d'autrui devait servir d'exemple salutaire, que de créer avec eux les misérables que leur iniquité devait conduire à la damnation; car il sait tout éternellement ? Ce raisonnement, en effet, revient à dire qu'il vaudrait mieux avoir refusé l'existence à celui qui, mettant à profit les défauts d'autrui, reçoit par la grâce divine la couronne immortelle, que de l'avoir donnée au méchant à qui ses fautes attirent un juste châtiment. Or, quand un raisonnement invincible prouve que deux biens ne sont point égaux entre eux, et que l'un est plus parfait que l'autre, les esprits peu philosophes veulent les identifier, sans s'apercevoir qu'ils en retranchent un; par conséquent, ils diminuent le nombre des biens, en confondant leurs variétés: l'importance exagérée qu'ils donnent à une espèce leur fait supprimer l'autre.
Qui pourrait s'empêcher d'éclater, s'ils en venaient à dire sérieusement: La vue est supérieure à l'ouïe: donc l'homme devrait avoir quatre yeux et point d'oreilles ? Eh bien ! étant établi qu'il existe une créature intelligente soumise à Dieu, sans avoir à craindre ni orgueil, ni châtiment, tandis que la créature humaine a besoin, pour apprécier les bienfaits de Dieu, "pour ne pas s'enfler d'orgueil et pour demeurer dans la crainte (1)," de voir le châtiment; est-il un homme sensé qui veuille confondre ces deux classes d'êtres, sans s'apercevoir immédiatement qu'il supprime la seconde pour ne conserver que la première ? Un tel raisonnement supposerait un défaut absolu de logique et de bon sens. Dès lors pourquoi Dieu n'aurait-il pas créé les hommes dont il prévoyait la malice "si, voulant montrer sa juste colère et faire éclater sa puissance, il a laissé subsister dans sa grande patience les vases de colère qui étaient préparés à la destruction, afin de montrer toutes les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu'il a préparés pour sa gloire (2)"? C'est à ce titre "que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur (3):" il reconnaît en effet que ce n'est pas de lui, mais du Seigneur, que dépendent à la fois et son être et son bonheur.
1. Romains XI, 20.
2. Romains IX, 22- 23.
3. II Corinthiens X, 17.
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CHAPITRE VIII. POURQUOI DIEU A-T-IL CRÉÉ
LES MÉCHANTS TOUT EN PRÉVOYANT LEUR MALICE ?
11. Il serait donc par trop étrange de dire: ceux à qui Dieu donne une preuve si éclatante de sa miséricorde, devraient ne pas exister, s'il était nécessaire que naquissent en même temps les victimes destinées à faire briller la justice de sa vengeance.
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CHAPITRE IX. RÉFUTATION DE LA MÊME OBJECTION.
A quel titre en effet ces deux classes d'hommes n'existeraient-elles pas, puisqu'elles font éclater la baillé et la justice de Dieu ?
12. Mais, les méchants seraient bons aussi, si Dieu le voulait.
— Ah ! le dessein de Dieu est bien plus sage ! Il a voulu que tous devinssent ce qu'ils voudraient; que les bons ne pussent rester sans récompense, ni les méchants jouir de l'impunité, et que le vice profitât ainsi à la vertu.
— Il prévoyait pourtant que leur volonté les porterait au mal.
— Sans aucun doute, et comme sa prescience est infaillible, c'est leur volonté, et non la sienne, qui est mauvaise.
— Pourquoi donc les a-t-il créés, tout en sachant d'avance leur malice ? Parce qu'il prévoyait tout ensemble et le mal qu'ils feraient et l'avantage que les justes en retireraient. Car, en les créant, il leur a laissé le pouvoir d'accomplir certains actes, et de comprendre qu'il fait servir au bien l'usage même coupable qu'ils font de leur liberté; car ils ne doivent qu'à eux-mêmes leur volonté perverse, ils doivent à Dieu la bonté de leur être et leur juste châtiment; ce sont eux qui se font leur place, et qui, du même coup, soutiennent les autres dans leurs épreuves en leur offrant un exemple redoutable.
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CHAPITRE X. DIEU POURRAIT TOURNER AU BIEN
LA VOLONTÉ DES MÉCHANTS; POURQUOI NE LE FAIT-IL ?
13. Mais Dieu pourrait, dit-on encore, tourner au bien leurs volontés méchantes, puisqu'il est tout-puissant.
— Oui, il le pourrait.
— Eh ! pourquoi ne le fait-il pas ?
— C'est qu'il ne l'a pas voulu
— Pourquoi ne l'a-t-il pas voulu ? C'est son secret. N'allons pas "viser à une sagesse au-dessus de nos forces (1)." Je crois avoir suffisamment démontré tout-à-l'heure que la créature raisonnable, lors même qu'elle trouve dans l'exemple du mal, un motif pour l'éviter, est une expression assez élevée du bien; or cette espèce de créature n'existerait pas, si Dieu tournait au bien toutes les volontés mauvaises et n'infligeait pas au péché le châtiment qu'il mérite: dès lors les êtres raisonnables se confondraient en une seule classe, la classe de ceux qui n'ont pas besoin de voir les fautes et le châtiment des méchants pour se perfectionner; en d'autres termes, on diminuerait le nombre des espèces bonnes en elles-mêmes sous prétexte de multiplier une espèce plus parfaite.
1. Romains XII, 3.
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CHAPITRE XI. LE CHÂTIMENT DES MÉCHANTS NE CONSTITUE POINT UNE
NÉCESSITÉ POUR DIEU: C'EST UN MOYEN POUR LUI D'OPÉRER LE SALUT DES BONS.
14. Alors, va-t-on ajouter, il y a dans les œuvres de Dieu une partie qui ne pourrait atteindre sa perfection sans le malheur de l'autre ? — Comment ! est-on devenu, grâce à je ne sais quelle manie de raisonner, assez sourd et assez aveugle pour ne plus sentir que la punition de quelques-uns sert à corriger le grand nombre ? Est-il un Juif, un païen, un hérétique qui ne fasse éclater cette vérité chaque jour, au sein de sa propre famille ? Mais dans l'ardeur de la discussion, on recherche la vérité, sans jeter les yeux sur les œuvres de la Providence qui frapperaient l'esprit, et y feraient pénétrer la loi selon laquelle le supplice des méchants, lorsqu'il ne les corrige pas, a du moins pour effet d'effrayer le reste, de sorte que la juste punition des uns contribue au salut des autres.
Dieu est-il donc l'auteur de la perversité ou des crimes de ceux qui, par leur juste punition, lui offrent un moyen de veiller sur les âmes à qui il réserve cette leçon ? Non assurément: tout en sachant d'avance qu'ils seraient mauvais par leurs vices personnels, il les a néanmoins créés, parce que, dans ses conseils, ils devaient être utiles aux hommes qui auraient besoin, pour avancer dans le bien, de l'exemple du mal. S'ils n'existaient pas, ils ne serviraient à rien: or, n'est-ce pas un grand bien que leur existence, puisqu'ils rendent tant de services à cette classe d'hommes, qu'on ne saurait chercher à supprimer, sans vouloir renoncer à en faire partie ?
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CHAPITRE XI. LE CHÂTIDIENT DES MÉCHANTS NE CONSTITUE POINT UNE
NÉCESSITÉ POUR DIEU: C'EST UN MOYEN POUR LUI D'OPÉRER LE SALUT DES BONS.
15. Les œuvres du Seigneur sont grandes: elles sont parfaites dans tous ses desseins (1). Il connait d'avance les gens de bien, il les crée; il connait d'avance les méchants, il les crée encore. Il se donne lui-même aux justes pour faire leur bonheur; en même temps il répand ses bienfaits avec abondance sur les méchants; il pardonne avec bonté, il punit avec justice; de même il pardonne avec justice et punit avec bonté.
Ni la vertu ni les vices d'un homme, quel qu'il soit, ne lui sont nécessaires: il n'est pas intéressé aux bonnes œuvres des justes, mais il veille sur eux en punissant les méchants. Pourquoi n'aurait-il pas permis que l'homme fût soumis à la tentation, puisqu'elle devait l'éprouver, lui montrer sa faiblesse et amener son châtiment ? La concupiscence qui l'avait enivré du sentiment de ses forces devait produire son fruit et le remplir de confusion; sa juste punition était destinée à faire craindre les funestes effets de la désobéissance et de l'orgueil à ses descendants, à qui le souvenir de cet évènement devait être transmis, d'après les conseils divins.
1. Psaume CX, 2.
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CHAPITRE XII. POURQUOI DIEU A-T-IL PERMIS
QUE LA TENTATION SE FIT PAR L'ORGANE DU SERPENT ?
16. On se demandera peut être pourquoi il a été permis au démon de tenter l'homme par l'entremise du serpent. Qu'il y ait là un symbole, l'Écriture ne le révèle-t-elle pas avec son autorité imposante, et avec toutes les preuves de la divinité de ses prophéties qui remplissent l'univers ? Je ne veux pas dire que le démon ait songé à nous offrir un symbole pour notre instruction; mais puisqu'il ne pouvait entreprendre de tenter l'homme qu'avec la permission de Dieu, pouvait-il employer un autre moyen que celui qui lui était permis ?
Par conséquent, quels que soient les enseignements que le serpent figure, il faut y voir un dessein de la Providence qui domine jusqu'à la passion que le démon a de nuire. Quant au pouvoir de faire le mal, il ne lui est accordé que pour briser et perdre les vases de colère, ou pour humilier et mettre à l'épreuve les vases de miséricorde. Nous savons déjà quelle est l'origine du serpent; la terre produisit, au commandement de Dieu, les animaux domestiques, les bêtes et les reptiles; or toute créature, ayant la vie sans la raison, a été subordonnée par une loi de l'ordre divin aux créatures intelligentes, que leur volonté soit bonne ou mauvaise (1). Pourquoi dès lors s'étonner que Dieu ait permis au démon d'agir par l'intermédiaire du serpent ? Le Christ lui-même n'a-t-il pas permis aux démons d'entrer dans le corps des pourceaux (2)?
1. Genèse I, 20-26.
2. Matthieu VIII, 32.
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CHAPITRE XIII. ERREUR DES MANICHÉENS SUR L'ORIGINE DU DÉMON.
17. Qu'est-ce que le démon ? C'est une question qu'on approfondit d'ordinaire, parce que certains hérétiques, ne pouvant s'expliquer sa volonté perverse, l'isolent des créations du Dieu suprême et véritable, pour le rattacher à un autre principe en opposition avec Dieu lui-même. Ils sont donc incapables de comprendre que tout être, en tant qu'être, est un bien, et par conséquent ne peut exister que par la puissance du vrai Dieu, source de tout bien; ils ne voient pas que la malice de la volonté est un mouvement désordonné qui lui fait préférer les biens secondaires au souverain bien, et qu'ainsi la créature intelligente, ayant pris plaisir à considérer ses forces dans leur degré éminent, s'est enflée d'orgueil et par là même a perdu le bonheur du paradis spirituel et a séché de dépit.
Cette condition n'exclut pas la bonté du principe qui la fait vivre et animer soit un corps aérien, comme l'esprit de Satan et des démons, soit un corps de boue, comme l'âme humaine, quelle que soit d'ailleurs sa malice et sa perversité. Ainsi, en refusant d'admettre qu'une créature de Dieu puisse pécher par sa volonté personnelle, ils en viennent à soutenir que l'essence même de Dieu se corrompt et se pervertit d'abord par une dégradation fatale, ensuite par une volonté livrée au mal sans retour. Mais nous avons réfuté ailleurs ce monstrueux système.
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CHAPITRE XIV. CAUSE DE LA CHUTE DES ANGES. DE L'ORGUEIL ET DE L'ENVIE.
18. Ici nous devons nous borner à interroger l'Écriture pour savoir ce qu'il faut penser du démon. Et d'abord, est-ce à l'origine même du monde qu'il se complut dans l'idée de sa force et se vit exclu de cette société et de cet amour, qui fait le bonheur des anges en possession de Dieu ? Ou bien a-t-il vécu quelque temps avec les bons anges, partageant leur sainteté et leur bonheur ?
On a prétendu que la cause de sa chute fut la jalousie que lui inspira la vue de l'homme créé à l'image de Dieu. Mais la jalousie est la suite et non le principe de l'orgueil; on ne devient pas orgueilleux par jalousie, on devient jaloux par orgueil; pour s'en convaincre, il suffit de voir que l'orgueil est l'amour de sa propre élévation, tandis que l'envie est la haine du bonheur d'autrui. Or, l'amour-propre porte envie à ses égaux, parce qu'ils lui sont égaux; à ses inférieurs, parce qu'il craint d'en être égalé; à ses supérieurs, parce qu'il n'est pas leur égal. L'orgueil enfante donc la jalousie au lieu d'en sortir.
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CHAPITRE XV. L'ORGUEIL ET L'AMOUR-PROPRE, PRINCIPE DE TOUS LES MAUX.
DEUX AMOURS. DEUX CITÉS. L'AUTEUR ANNONCE SON OUVRAGE SUR LA CITÉ DE DIEU.
19. L'Écriture donne avec raison l'orgueil pour le principe de tous les péchés: "Le commencement de tout péché, dit-elle, c'est l'orgueil (1)." On peut rapprocher sans inconvénient ce passage de celui-ci de l'Apôtre: "L'avarice est la racine de tous les maux (2)," en prenant l'avarice dans son acception générale, je veux dire comme le penchant à étendre ses aspirations au-delà de leurs bornes, par un désir secret de sa grandeur et par un certain amour pour son bien privé. Le mot privé est ici fort significatif, si l'on remonte à son étymologie latine: il indique évidemment que l'on perd plus qu'on n'acquiert: tout ce qui devient privé, décroît (privatio omnis minuit.) Ainsi, en voulant s'élever, l'orgueil retombe dans la détresse et la misère, parce qu'un fatal amour-propre l'isole de la société commune et le réduit à lui-même. L'avarice, qu'on appelle plus communément l'amour de l'argent, est une variété de l'orgueil. L'Apôtre, prenant l'espèce pour le genre, entendait le mot avarice dans toute sa portée, lorsqu'il disait "qu'elle est la racine de tous les maux."
C'est elle qui a fait tomber Satan, quoiqu'il ait aimé sa propre force et non l'argent. Par conséquent, l'amour-propre isole de la société sainte l'âme orgueilleuse; il la renferme dans le cercle de sa misère, malgré tout son désir de trouver dans l'iniquité une pâture à ses passions. De là vient que l'Apôtre après avoir dit ailleurs: "Il s'élèvera des hommes pleins d'amour-propre," ajoute: "et avides d'argent (3);" il descend de cette avarice générale dont l'orgueil est la racine, à cette avarice spéciale qui est un travers propre à l'humanité. En effet, les hommes n'aimeraient pas l'argent s'ils ne croyaient que leur grandeur est proportionnée à leurs richesses. C'est à cette maladie qu'est opposée la charité: "elle ne cherche point ses intérêts propres," en d'autres termes, elle ne s'enivre point de sa grandeur, et conséquemment "ne s'enfle point d'orgueil (4)."
1. Ecclésiastique. X, 15.
2. I Timothée VI. 10.
3. I Timothée III, 2.
4. I Corinthiens XIII, 6; 4.
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