L'Abjuration du Cimetière SAINT - OUEN (complet)
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Re: L'Abjuration du Cimetière SAINT - OUEN (complet)
L'ABJURATION
DE
JEANNE D'ARC
Chapitre V
DE LA CEDULE AUTHENTIQUE ET DE SA TENEUR.
(suite)
IV.
Esprit de la cédule authentique.
De là cette conséquence d'une importance extrême en ce qui concerne la partie perdue de la cédule d'abjuration, et par suite la cédule intégrale.
C'est que, si nous sommes obligés de nous résigner à l'ignorer, nous savons parfaitement à quoi nous en tenir sur le sens général de cette partie et sur sa portée morale. En cette partie, et conséquemment en toute la cédule, il n'y avait rien, absolument rien, qui pût charger la conscience de Jeanne et qui fût de nature à ternir sa mémoire.
Une fois de plus, mentita est iniquitas sibi. Les juges de l'héroïque jeune fille ont estimé souverainement habile de ne lui faire présenter qu'un formulaire d'abjuration captieux en un point, obscur en un autre, anodin et insignifiant dans l'ensemble, assurés qu'ils étaient d'y substituer un formulaire ouvertement accusateur. La fausseté du formulaire accusateur a été rendue manifeste, et il est tout aussi manifestement établi que la cédule prononcée et signée par Jeanne, mise en pleine lumière, ne contenait encore une fois rien qui, examiné de près, pût se retourner contre elle et fût de nature à ternir sa mémoire.
S'il en était autrement, on ne concevrait pas pourquoi P. Cauchon, au risque d'être convaincu de faux, aurait inséré dans le texte officiel du Procès le long formulaire que tout historien lui reproche. Il eût été bien plus naturel, bien plus logique et nullement périlleux, d'y insérer simplement le texte de la cédule que Jeanne avait prononcée à Saint-Ouen, puisque ce texte fournissait aux juges un moyen également sûr, également infaillible d'en arriver à leurs fins.
A suivre : CHAPITRE VI. L'ABJURATION DE LA PUCELLE D'APRES J QUICHERAT.
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Louis- Admin
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Re: L'Abjuration du Cimetière SAINT - OUEN (complet)
L'ABJURATION
DE
JEANNE D'ARC
Chapitre VI
L'ABJURATION DE LA PUCELLE D'APRES J QUICHERAT.
Jusqu'à présent, nous ne sommes guère sorti du domaine des textes et nous n'avons pas cherché ailleurs que dans leur contenu et dans les conséquences immédiates qui logiquement en découlent, la preuve des thèses que nous estimons en parfait accord avec la vérité historique. Avant d'aller plus loin, il importe d'envisager bien en face les thèses contraires et de demander au personnage qui s'en est constitué le défenseur sur quelles bases il les élève et de quelles preuves il les fortifie. Ce personnage n'est pas un adversaire à dédaigner : c'est Jules Quicherat, l'éditeur des deux Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d'Arc.I.
Ce qu'a été, d'après J. Quicherat, l'abjuration de la Pucelle.
En ses Aperçus nouveaux sur l'histoire de la Pucelle 1, J. Quicherat consacre cinq pages à l'examen de l'abjuration de Saint-Ouen. Cinq pages, de vingt-six lignes chacune, ce n'est pas trop pour une question de cette complexité et de cette importance.
Néanmoins, en ces cinq pages, le critique français fait de terrible besogne : elles lui suffisent pour exécuter la Pucelle, et pour justifier P. Cauchon.
D'après Quicherat, le long formulaire inséré au Procès ne serait pas un faux ; par conséquent :
Jeanne se serait reconnue coupable des crimes qu'il énonce ;
Elle aurait, entre autres choses, été schismatique et elle aurait erré de plusieurs manières en la foi ;
Elle se serait livrée à des pratiques démoniaques ;
Elle aurait renié véritablement ses apparitions et révélations;
Elle aurait pris l'engagement de ne plus les soutenir;
Le tout sous la foi du serment.
Mais Jeanne ayant violé son serment, peu après l'abjuration, en reprenant l'habit d'homme et en se remettant à soutenir la vérité de ses apparitions et révélations, elle devenait, par cela même, coupable de parjure;
Par cela même aussi, le cas du relaps éclatait indéniable;
Et P. Cauchon, en livrant Jeanne au bûcher, n'a rempli que son devoir.
Nous voilà donc, de par l'explication du paléographe français, en présence de deux portraits historiques déconcertants :
Jeanne d'Arc, pauvre fille, rêveuse, versatile, ambitieuse à sa manière, s'attribuant une mission imaginaire de libératrice, inventant ses apparitions, feignant ses révélations, les soutenant opiniâtrement d'abord, puis les reniant sans vergogne et s'inquiétant peu, soit en sa rétractation, soit après, de devenir coupable de parjure;
Pierre Cauchon, légiste austère, sacrifiant au Droit toutes autres considérations, ambitieux néanmoins et violent, formaliste irréprochable autant qu'habile, consciencieux jusqu'au scrupule, jusqu'à condamner au supplice du feu et à faire brûler vive, quoique le Droit l'autorisât à ne livrer aux flammes que son cadavre, une fille mineure, pauvre paysanne abandonnée; Pierre Cauchon, en définitive, l'idéal du magistrat intègre, du prélat incorruptible, du juge honnête homme!
Nous ne disons pas que J. Quicherat ait crayonné lui-même ces deux esquisses et qu'il ait apposé sa signature au bas; mais c'est bien lui qui, dans ses Aperçus nouveaux, en a fourni les traits. Pour se représenter de cette sorte les physionomies de P. Cauchon et de sa victime, il faut qu'il ait rencontré sur son chemin des faits bien singuliers et qu'il ait obéi à de bien puissantes raisons. Essayons de nous rendre compte de ces raisons et de ces faits, et recherchons si les uns et les autres s'appuient sur des textes aussi nombreux, aussi peu contestables, aussi nets que les textes qui ont servi de fondement et d'appui à notre démonstration.
Avant d'entrer en matière, qu'on nous permette une simple remarque. S'il y a eu un historien de la Pucelle familiarisé avec les sources de son histoire, et les possédant à fond, c'est bien J. Quicherat. L'on doit donc s'attendre à ne trouver, dans un livre qui porte son nom, aucune erreur de textes de quelque conséquence, puisque c'est lui qui le premier a fait connaître ces textes au grand public, et qu'il ne les a édités qu'après les avoir tournés en tous sens, examinés et vérifiés de mille manières. Or, son chapitre sur l'abjuration de Jeanne, quoique très court, présente des erreurs assez nombreuses pour ces quatre ou cinq pages, et, vu l'importance du sujet, assez graves : on le verra tout à l'heure.
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1.Op cit. pp 133-138 In-8°, Paris, 1850.
A suivre : II. De l'authenticité du formulaire inséré au Procès. J. Quicherat en produit-il quelque preuve ?
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Chapitre VI
L'ABJURATION DE LA PUCELLE D'APRES J QUICHERAT.
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II.
De l'authenticité du formulaire inséré au Procès.
J. Quicherat en produit-il quelque preuve ?
Le point de départ de J. Quicherat, en ses réflexions sur l'abjuration de la Pucelle, c'est l'authenticité du formulaire inséré au Procès. Ce formulaire, à son avis, est bien celui que Jeanne a prononcé et signé. Il ne conçoit pas qu'elle puisse en avoir prononcé un autre. Il n'admet pas davantage que P. Cauchon ait songé un instant à substituer au formulaire authentique un formulaire différent. L'Évêque de Beauvais était incapable d'une pareille « supercherie 1 ». Ce terme est du goût de notre auteur : il en a usé d'autres fois en ses Aperçus. Il l'emploie présentement pour désigner ce que, dans la langue des honnêtes gens, on appelle couramment un « faux ».
Des affirmations aussi catégoriques, pour être prises au sérieux, même sous la plume de critiques renommés, auraient besoin d'être appuyées sur de bonnes et solides preuves. Ces preuves, nous les demanderons en vain à J. Quicherat : il n'en produit d'aucune sorte; il affirme, et c'est tout. Dans l'espèce, qu'on nous permette d'en faire l'observation, sa parole ne suffit pas; elle ne suffit pas plus que n'a suffi la parole de P. Cauchon lui-même.
Dans la discussion ouverte plus haut sur ce sujet, nous ne nous sommes pas borné à opposer une parole à une autre parole, une simple affirmation à l'affirmation contraire. Nous avons présenté, à l'appui de notre thèse, des preuves en règle. Nous avons soutenu, entre autres choses, qu'aucune règle de critique historique n'autorise à conclure, sans raisons exceptionnelles, qu'un document de six à huit lignes doit être jugé le même et, en réalité est le même qu'un document de cinquante à soixante. Tant qu'on n'aura pas produit ces raisons exceptionnelles, — et l'auteur des Aperçus nouveaux ne l'a pas fait, — notre thèse subsiste, et nos conclusions sur l'existence d'un faux, dont la responsabilité incombe à l'Évêque de Beauvais, gardent toute leur valeur.
Si l'on, nous opposait les explications données par J. Quicherat pour montrer comment les deux cédules dont parlent les témoins des deux Procès, la courte et la longue, ont pu être identiques et revenir au même, nous répondrons que des explications concernant un fait douteux n'établissent pas la réalité de ce fait. L'identité des deux cédules est un fait douteux, leur existence et leur distinction seules sont certaines. Qu'on prouve d'abord le fait de l'identité, et, quand on l'aura prouvé, on expliquera comment il a pu se produire. Nos pères en critique historique disaient dans un latin un peu barbare : « Prius est esse quam esse tale. » Nos pères avaient raison, et C'est le cas de s'en souvenir.
Le défenseur de l'Évêque de Beauvais s'attache à montrer comment les deux cédules d'abjuration ont pu être identiques; mais il ne prouve pas qu'elles aient dû l'être, ni qu'elles l'aient été réellement. Mais alors à quoi se réduit le plaidoyer qui a pour but de mettre en poudre l'accusation lancée contre les juges de Rouen? Faute de témoignages décisifs à faire valoir, de bonnes raisons à invoquer, ce plaidoyer se réduit à deux hypothèses pures et à une affirmation catégorique, lesquelles affirmation et hypothèses sont démenties par la réalité des faits.
Voici les deux hypothèses :
1° Il pourrait bien se faire, dit J. Quicherat, que les deux cédules n'aient été que « deux copies différentes, l'une courte, l'autre longue, de la formule » officielle de l'abjuration. (Op. cit., pp. 136, 137.)
2° S'il y a eu deux copies différentes de ladite formule d'abjuration, l'une courte, l'autre longue, il est probable que la copie courte. « destinée à être prononcée, contenait seulement les termes de la rétractation ». (Ibid., p. 136.)
Voici l'affirmation catégorique :
« La rétractation proprement dite se réduit, dans le formulaire inséré au Procès, à un petit nombre d'articles qui pouvaient tenir en cinq ou six lignes. » (Ibid.)
Or, affirmation et hypothèses sont également démenties par les faits. Car c'est un fait incontestable que « la rétractation proprement dite, dans le formulaire inséré au Procès, ne se réduit pas à un petit nombre d'articles pouvant tenir en cinq ou six lignes » ; elle se réduit à un nombre d'articles qui exige vingt-cinq lignes.
Ce fait établi, les deux hypothèses s'effondrent et deviennent inadmissibles : la copie courte ne pouvait contenir vingt-cinq lignes, puisqu'elle n'en avait que six, huit au plus, et « de grosse écriture » ; on a dû, par conséquent, renoncer à faire exécuter deux copies du même formulaire et se résigner à deux formulaires différents.
Donnons la preuve palpable de cette affirmation que « la rétractation proprement dite, dans le formulaire officiel, ne se réduit pas à cinq ou six lignes, mais bien à vingt-cinq »….
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1 Aperçus nouveaux , p 135
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II.
De l'authenticité du formulaire inséré au Procès.
J. Quicherat en produit-il quelque preuve ?
Donnons la preuve palpable de cette affirmation que « la rétractation proprement dite, dans le formulaire officiel, ne se réduit pas à cinq ou six lignes, mais bien à vingt-cinq ».
Le formulaire intégral compte quarante-cinq lignes de petits caractères. Détachons de ces quarante-cinq lignes la rétractation proprement dite; nous avons le texte suivant :
« Je, Jehanne, confesse que j'ay très griefment péchié, en faignant mençongeusement avoir eu révélacions et apparicions de par Dieu, par les anges et saincte Katherine et saincte Marguerite;
« En séduisant les autres, en créant folement et légièrement;
« En faisant supersticieuses divinations;
« En blasphémant Dieu, ses sains et ses sainctes;
« En trespassant la loy divine, la saincte Écriture, les droits canons;
« En portant habit dissolu, difforme et déshonneste contre la décence de nature, et cheveux rougnez en ront en guise d'homme, contre toute honnesteté du sexe de femme ;
« En portant aussi armeures par grant présumpcion;
« En désirant crueusement effusion de sang humain;
« En disant que toutes ces choses j'ay fait par le commandement de Dieu, des angels et des sainctes dessus dictes, et que en ces choses j'ay bien fait et n'ay point mespris;
« En méprisant Dieu et ses sacrements;
« En faisant sédicions et idolâtrant, par aourer, mauvais, esprits, et. en invoquant iceulx;
« Confesse aussi que j'ay esté scismatique, et par plusieurs manières ay erré en la foi.
« Lesquels crimes et erreurs, de bon cuer et sans fiction, abjure, de tout y renonce et m'en dépars.
« Et sur toutes ces choses devant dictes, me soumets à la correction, disposition, amendement et totale détermination de notre mère saincte Église et de vostre bonne justice :
« Aussi je jure et promets que jamais ne retourneray aux erreurs devant diz.
« Et cecy, je diz, afferme et juré par Dieu le tout Puissant, et par ces sains Évangiles. »
Ainsi signée : « JEHANNE + »
Ce texte de la rétractation proprement dite remplit…
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II.
De l'authenticité du formulaire inséré au Procès.
J. Quicherat en produit-il quelque preuve ?
Ce texte de la rétractation proprement dite remplit, dans le Procès de J. Quicherat, vingt et une lignes de menus caractères, qui en représentent vingt-cinq de caractères moyens, et trente de « grosse écriture ». Faire tenir vingt, vingt-cinq, trente lignes en cinq ou six n'est pas chose facile. L'auteur des Aperçus nouveaux s'abuse donc grandement lui-même et commet une erreur inconcevable lorsqu'il affirme que ladite rétractation, dégagée des considérants qui l'accompagnent, se réduit à un texte de cinq ou six lignes. Il n'avait qu'à prendre la peine de relire cette page du Procès pour avoir la preuve palpable de son erreur.
N'eussions-nous aucun autre argument à faire valoir, nous pourrions conclure, avec une logique inattaquable, que les deux cédules ne pouvaient être, quant à la rétractation proprement dite, deux copies identiques du même formulaire. Mais, outre cet argument, des preuves positives établissent que les deux cédules différaient entre elles par la substance même des choses qui y étaient énoncées.
Ces preuves, nous les avons déjà présentées dans le chapitre qui précède celui-ci : qu'on veuille bien les y relire. Nous nous bornerons à rappeler la déclaration écrasante du prêtre et appariteur Jean Massieu :
« Ce dont je suis absolument sûr, déposait-il, c'est que la cédule prononcée par Jeanne n'était pas du tout celle qui figure au Procès, car la cédule insérée au Procès est différente de celle que je lus à Jeanne et qu'elle signa. — Scit firmiter (testis) quod schedula (sex linearum) non erat illa de qua in processu fit mentio; quia aliam ab illa quæ est inserta in processu legit ipse loquens et signavit ipsa Johanna. » (Procès, t. III, p. 156.)
Nous avons eu déjà plusieurs fois l'occasion de signaler le rôle exceptionnel rempli dans la scène de l'abjuration de la Pucelle par ce digne prêtre. Lui qui avait eu entre les mains la fameuse cédule, qui l'avait lue à l'accusée, pouvait nous dire, avec l'autorité requise, si le contenu en était identique substantiellement au contenu du formulaire inséré au Procès, ou totalement différent. Il déclare avec une certitude absolue, « scit firmiter », sous la foi du serment, que les deux cédules différaient totalement. C'est un témoignage dont critiques et historiens n'amoindriront jamais la valeur décisive.
La démonstration de la fausseté du texte d'abjuration inséré au Procès officiel par ordre de l'Évêque de Beauvais, démonstration exposée en notre quatrième chapitre, demeure donc tout entière.
A suivre : III. Réfutation de l'auteur des APERÇUS NOUVEAUX.
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Chapitre VI
L'ABJURATION DE LA PUCELLE D'APRES J QUICHERAT.
(suite)
III.
Réfutation de l'auteur des APERÇUS NOUVEAUX.
Nous ne nous attarderons pas à réfuter, entre autres assertions étranges de J. Quicherat, celle dans laquelle il dit que « Cauchon ne se serait point hasardé à une fabrication, ni même à une substitution de pièces » telles que le formulaire officiel de l'abjuration. On a vu plus haut que le Prélat n'en était pas à son premier essai; il est surprenant que l'Éditeur des deux Procès ait oublié les nombreuses dépositions des Enquêtes de Rouen, qui chargent si lourdement la mémoire de l'Évêque en ce point, lui à qui le public est redevable de les connaître.
Nous n'insisterons pas non plus outre mesure sur les erreurs de fait que nous relevons en ces cinq pages des Aperçus nouveaux. N'ont-elles pas de quoi étonner, quand elles sont dues à l'Éditeur même des textes qui en ont été l'occasion? Qui mieux que lui devait les connaître et ne pas s'y méprendre?
A la page 134 de l'ouvrage cité, on lit que sur l'estrade où était Jeanne se trouvaient les greffiers de « la cause ». En fait de greffiers, il n'y avait sur l'estrade de la Pucelle que Guillaume Manchon et Guillaume Colles : le troisième, Nicolas Taquel, — c'est lui-même qui nous l'apprend, — n'avait pu y trouver place. (Procès, t. III, p. 197.)
A la même page, on lit encore que Laurent Calot ne peut avoir fait signer à Jeanne la cédule qu'il tira de sa manche, car, au lieu d'être sur l'estrade de l'accusée, il « faisait tumulte dans la foule avec les Anglais ».
J. Quicherat invoque à l'appui de son dire la déposition du témoin Jean Marcel. (Procès, t. III, p. 90.) Or, dans la déposition de Marcel, à la page indiquée — nous l'avons déjà fait observer — on ne lit rien de semblable. Il y est question des reproches que Calot adressait à l'Évêque de Beauvais; mais l'alibi essentiel constituant la preuve à laquelle s'attache J. Quicherat n'est nullement mentionné, et il n'y est pas dit encore une fois que Calot « faisait tumulte dans la foule avec les Anglais ».
L'auteur des Aperçus nouveaux a pris une lueur de son imagination pour une réalité.
C'est toujours à l'imagination que le même écrivain emprunte les preuves qui établissent à ses yeux le fait de la révocation par la Pucelle de ses apparitions et révélations. « La preuve existe, dit-il, que Jeanne fut instruite, sur la place Saint-Ouen, des points capitaux que contient la pièce (le formulaire) du Procès. Dans l'interrogatoire qui précéda son supplice, les juges lui rappelèrent tous ces points, celui notamment qui concernait la fausseté de ses révélations. » (Aperçus..., p. 135.)
Jeanne aurait donc été instruite, avant son abjuration, « des points capitaux » sur lesquels porte le formulaire du Procès, et il existe une pièce qui le prouve.
Illusion, erreur que tout cela, sommes-nous obligé de dire : Jeanne n'a été instruite de rien avant son abjuration; au contraire, les juges et Guillaume Erard veillèrent à ce qu'elle demeurât dans une ignorance complète de ce qu'on allait lui demander, dans l'ignorance même de ce que c'était que l'abjuration. C'est un point trop important pour n'en dire que quelques mots ; il sera traité dans le chapitre qui suit, avec les preuves et les développements nécessaires; pour ne pas nous répéter, nous y renvoyons le lecteur.
J. Quicherat dit que la pièce existe, qui établit ce qu'il avance. Cette pièce, où est-elle? Nous l'avons cherchée dans tout le Procès, nous n'avons pu la découvrir. Si cette pièce existe, pourquoi l'auteur des Aperçus nouveaux ne l'indique-t-il pas, et pourquoi ne la cite-t-il pas? Jusqu'à preuve du contraire, nous disons, nous, que ladite pièce n'a jamais existé que dans son imagination.
On peut produire des textes d'une authenticité parfaite se rapportant à la question présente; mais ces textes, que nous mettrons sous les yeux du lecteur dans le chapitre suivant, prouvent tout le contraire de ce qu'affirme J. Quicherat, c'est-à-dire que les juges se sont arrangés de manière à ce que la Pucelle ne sût rien du formulaire de l'abjuration et n'en comprît pas davantage.
Et, en nous exprimant de la sorte, nous ne perdons pas de vue que…
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Chapitre VI
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III.
Réfutation de l'auteur des APERÇUS NOUVEAUX.
Et, en nous exprimant de la sorte, nous ne perdons pas de vue que, d'après notre auteur, « dans l'interrogatoire qui précéda le supplice de Jeanne, ses juges lui rappelèrent tous ces points, celui notamment qui concernait la fausseté de ses apparitions ».
Les points capitaux de l'abjuration sont au nombre de dix-huit; il est aisé de s'en rendre compte, car nous les avons énumérés tout à l'heure. Ouvrons le Procès, à l'article du dernier interrogatoire, et cherchons-y la preuve de ce fait, que les juges de la Pucelle lui rappelèrent tous ces points , ainsi que le prétend formellement J. Quicherat... Nous y constaterons qu'ils ne lui en rappelèrent aucun. (Procès, t. I, pp. 454-458.) — N'oublions pas que la chose à démontrer est celle-ci : que Jeanne fut instruite, sur la place Saint-Ouen, des points capitaux contenus dans le formulaire du Procès. — Eh bien, pas l'ombre d'une allusion à ces prétendus éclaircissements ne figure dans ledit interrogatoire.
Comme nous ne tenons pas à être cru sur parole, voici la série complète des questions posées par les juges :
Pourquoi l'accusée avait-elle pris l'habit de femme?
N'avait-elle pas juré de ne pas reprendre l'habit d'homme ?
Pour quelle cause l'avait-elle repris?
N'avait-elle pas fait porter en particulier son abjuration sur la promesse de ne plus reprendre l'habit d'homme?
Depuis jeudi avait-elle entendu les Voix des saintes Catherine et Marguerite ?
Que lui ont-elles dit?
Croit-elle que ses Voix soient sainte Catherine et sainte Marguerite ?
Qu'elle dise la vérité sur la couronne dont il a été parlé.
N'avait-elle pas dit, en son abjuration, qu'elle s'était vantée mensongèrement que ses Voix étaient saintes Catherine et Marguerite?
En ces neuf questions, les juges parlent-ils une seule fois d'éclaircissements qui auraient été donnés à l'accusée, avant l'abjuration, sur les dix-huit points capitaux du formulaire, même sur douze, sur cinq; même sur un seul ?...
Evidemment non.
Y est-il au moins fait allusion?
Pas davantage.
De quoi donc se préoccupait l'Évêque de Beauvais en cet interrogatoire?
D'une seule chose : de constater pour son compte et de faire constater aux huit assesseurs qui l'avaient accompagné le prétendu relaps de la Pucelle. Ce relaps, nous l'avons déjà dit, portait sur deux faits : la reprise de l'habit d'homme par la condamnée et l'affirmation expresse de ses révélations.
De là, dans ledit interrogatoire, les huit questions posées à Jeanne par l'Évêque-juge, quatre concernant la reprise de l'habit d'homme et quatre concernant l'affirmation expresse de ses révélations. Quant à mentionner un seul des éclaircissements qui lui auraient été donnés, avant l'abjuration, sur l'un des dix-huit points du formulaire, P. Cauchon a totalement oublié de le faire : en tout cas, le procès-verbal officiel n'en dit absolument rien.
Sur le point spécial que J. Quicherat appelle « la fausseté des apparitions de Jeanne »…
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III.
Réfutation de l'auteur des APERÇUS NOUVEAUX.
Sur le point spécial que J. Quicherat appelle « la fausseté des apparitions de Jeanne », on ne remarque, dans ledit interrogatoire, aucune allusion à des éclaircissements antérieurs, mais seulement deux passages, l'un qui ressemble fort à une interpolation, l'autre légèrement amplifié.
1° « On avait rapporté aux juges que la condamnée adhérait de nouveau aux illusions de ses prétendues révélations auxquelles elle avait renoncé auparavant :
— Ab aliquibus nos, judices, audieramus quod illusionibus suarum revelationum prœtensarum, quibus antea renuntiaverat, adhuc inhærebat. » (Procès, t. I, p. 456.)
Rien, dans ce passage, qui ait trait aux fameux éclaircissements de la place Saint-Ouen.
Mais ce même passage ne se lit pas dans la minute française. Thomas de Courcelles l'a donc ajouté au texte primitif, quand il traduisit le Procès du français en latin, et il n'a pas reculé devant une interpolation.
2° « Et quant à ce qui luy fut dit que en l'eschafault elle avait dit, que mensongèrement elle s'estait vantée que c'estaient sainctes Katherine ou Marguerite : respond qu'elle ne l'entendait point ainsi faire ou dire. » (Ibid., pp. 457, 458, minute française.)
Rien encore, en ce second passage, qui se rapporte aux éclaircissements en question.
Il va sans dire que Jeanne nia formellement avoir jamais révoqué ses révélations et apparitions. — Dixit quod ipsa non dixit vel intellexit quod revocaret suas apparitiones.
« Ce qui était contenu dans la cédule d'abjuration, elle ne le comprenait pas. — Dixit quod illud, quod continebatur in schedula abjurationis, ipsa non intelligebat »
« Elle dit encore qu'elle dit en l'eure (c'est à savoir au moment de l'abjuration) qu'elle n'entendait révoquer quoi que ce fut, si ce n'était pourvu que cela plût à Dieu. — Item dixit quod ipsa non intendebat aliquid revocare, nisi proviso quod placeret Deo 1. » (Ibid., p. 458.)
Mais si, dans l'interrogatoire auquel renvoie J. Quicherat, en quelque sens qu'on le retourne, on ne trouve pas un seul mot se rapportant aux éclaircissements qui, d'après son affirmation catégorique, auraient été donnés à la Pucelle sur la place Saint-Ouen, avant l'abjuration, que devra-t-on penser d'une si profonde aberration, et comment expliquer ce langage?
D'une seule manière honorable : en le mettant sur le compte d'une imagination trop vive.
Quant à nous, l'examen de l'opinion de J. Quicherat sur l'abjuration de la Pucelle ne fait que fortifier notre conviction touchant la vérité de ces deux points :
1° Jeanne n'a jamais révoqué ses apparitions et révélations ;
2° Le formulaire qu'on lit au Procès est un formulaire « faux, subreptice », inséré dans le texte officiel pour un but inavouable.
« Fausse, subreptice », c'est en ces termes que les juges de la réhabilitation qualifient l'abjuration considérée en elle-même. « Attenta, circa dicti processus materiam, quadam abjuratione praetensa, falsa, subdola... » (Procès, t. III, p. 360.) Comme ils usent de ces expressions, non à propos de la procédure suivie par les juges de Rouen, mais à propos du corps, des pièces, de la matière du Procès, — « attenta, circa dicti processus materiam..., » — c'est bien le formulaire même que les délégués du Saint-Siège désignent, et c'est le faux de l'Evêque de Beauvais qu'ils dénoncent et flétrissent dans leur jugement.
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1. Mais amplification, sinon interpolation, de la minute française que Courcelles a traduite ainsi (nous soulignons les mots ajoutés au texte français) « Tunc fuit ei dictum quod ipsa dixerat in scafaldo seu ambone, coram nobis judicibus, et aliis, et coram populo, quando fecit ab jurationem, quod mendose ipsa se jactaverat quod ilæ voces erant sanctas Katharina et Margareta Respondit quod ipsa non intelligebat sic facere vel dicere » (Loc. cit.)
1 Nous devrions appeler ici l'attention du lecteur sur un « faux par suppression » dans le texte latin du Procès, dont la minute française fournit la preuve. Mais ce passage est d'une telle importance, que nous y reviendrons dans le cours de la discussion, le « faux » est aussi trop grave pour ne pas devenir le sujet d'une des Notes que nous avons renvoyées à la fin de cette Etude.
A suivre : CHAPITRE VII. LES JUGES DE LA PUCELLE ET L' ABJURATION.
DROIT NATUREL ET DROIT CANONIQUE.
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Re: L'Abjuration du Cimetière SAINT - OUEN (complet)
L'ABJURATION
DE
JEANNE D'ARC
Chapitre VII
LES JUGES DE LA PUCELLE ET L ABJURATION.
DROIT NATUREL ET DROIT CANONIQUE.
L'Église, que le tribunal de Rouen se targuait de représenter dans le Procès de la Pucelle, n'abandonne pas les accusés en matière de foi à l'arbitraire des juges. S'il investit ceux-ci d'une autorité redoutable, il leur impose aussi des obligations graves. Il leur trace une marche de laquelle il leur est défendu de s'écarter; il leur impose des règles imprescriptibles, sans l'observation desquelles leurs sentences sont de nul effet ; il entend que, ayant à faire acte de justice, ils ne fassent pas acte d'iniquité, et que, en paraissant poursuivre le châtiment des coupables, ils ne frappent pas des innocents.
Une abjuration exigée et obtenue en violation des règles canoniques devient nulle soit en elle-même, soit dans ses conséquences; et si, pour être déclarée telle devant les hommes, il est besoin parfois d'un arrêt du pouvoir judiciaire, avant d'être juridiquement annulée, d'ordinaire dès le principe elle l'est pleinement devant Dieu.
Une chose à noter, c'est que, dans la plupart des règles qu'il prescrit, le Droit canonique se rencontre avec le Droit naturel. Ainsi les conditions exigées par le Droit canonique relativement à la connaissance et à la liberté avec lesquelles l'abjuration doit se faire, sont les mêmes que celles qui découlent du Droit naturel. Si ces conditions font défaut, l'abjuration devient nulle et de par le Droit naturel et de par le Droit positif. Et si c'est la volonté perverse des juges ou leur négligence coupable qui fait que ces conditions ne sont pas remplies, sur les juges pèsera la plus lourde des responsabilités.
Dans ce chapitre, nous avons deux questions à examiner : une question de principe et une question de fait.
La question de principe est celle-ci :
Quelles sont les règles prescrites aux juges en cause de foi, soit par le Droit canonique, soit par le Droit naturel, pour une abjuration véritable?
Et voici la question de fait :
Les juges de la Pucelle ont-ils observé fidèlement ces règles, dans l'abjuration de Saint-Ouen, ou les ont-ils ouvertement violées?
A suivre : I. Des règles prescrites pour une abjuration en cause de foi par le Droit canonique et par le Droit naturel.
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Chapitre VII
LES JUGES DE LA PUCELLE ET L ABJURATION.
DROIT NATUREL ET DROIT CANONIQUE.
(suite)
I.
Des règles prescrites pour une abjuration en cause de foi
par le Droit canonique et par le Droit naturel.
Nous nous occuperons successivement des règles d'ordre positif prescrites par le Droit canonique en toute abjuration judiciaire, et des règles d'ordre moral prescrites tout ensemble et par le Droit canonique et par le Droit naturel.
1° Des règles positives prescrites par le Droit canonique.
On a pu voir, à la fin du chapitre premier de la présente Dissertation, ce qu'il faut entendre par abjuration canonique en cause de foi. C'est, avons-nous dit, une rétractation extérieure, parfois publique et solennelle, en présence des juges ou de leurs délégués, d'erreurs contraires à la foi ou à l'unité catholique, apostasie, schisme, hérésie; rétractation suivie de l'engagement de persévérer dans la foi, sous peine d'encourir les peines de Droit : le tout sous la foi du serment.
L'abjuration peut être exigée non seulement des hérétiques formels, mais encore des suspects en fait d'hérésie, que la suspicion soit violenta, vehemens, communis ou simplement levis.
Dans les procès en cause de foi, c'est aux juges, remarque le Directorium Inquisitorum (p. 492, C). qu'il appartient de décider, cum consilio peritorum in jure, s'il y a lieu d'imposer à l'accusé l'obligation d'abjurer. Cette obligation est formelle s'il s'agit d'un hérétique reconnu ou d'un accusé suspect de vehementi, et, dans ce cas, il convient que l'abjuration se fasse publiquement.
L'abjuration décidée, les juges doivent faire « annoncer au peuple, quelques jours auparavant, — per aliquot dies ante, — dans toutes les églises de la cité, que tel jour, à telle heure, à tel endroit, il y aura sermon de circonstance suivie d'une abjuration publique. » (Director. Inquisit., pp. 492, 493.)
Au jour marqué, après le sermon, le juge lui-même signifiera à l'accusé que, vu les motifs établissant qu'il a erré ou qu'il est suspect de vehementi en matière de foi, il le somme de lire la formule d'abjuration qu'on va lui présenter. « Alors, on placera devant l'accusé le livre des Évangiles sur lequel il étendra les mains; s'il sait lire couramment, on lui remettra l'abjuration écrite et il la lira devant tout le peuple. S'il ne sait pas lire couramment, un des clercs présents la lira, membre de phrase par membre de phrase, et l'abjurant redira en langue vulgaire ces membres de phrase l'un après l'autre jusques à la fin. » (Directorium.... p. 493, C.)
Dans le texte de l'abjuration, l'on aura soin d'énoncer les articles de foi catholique au sujet desquels l'accusé a été reconnu coupable ou véhémentement suspect 1. (Ibid)
Enfin, « un des notaires du tribunal rédigera le procès-verbal de l'abjuration, et mentionnera de quelle manière elle a été faite, afin que l'on sache bien que, si l'abjurant tombe de nouveau dans ses erreurs, il subira la peine réservée aux relaps.
« Le procès-verbal rédigé, le juge prononcera la sentence 2. »
___________________________________________________
Voici les passages du Directorium que l'on vient de rappeler :
« Si determinatum est per consilium quod delatus debeat publice abjurare, per aliquot dies ante, ex parte Episcopi per omnes ecclesias illius civitatis in qua fienda est abjuratio, populo publice indicatur quod tali die, in tali ecclesia (vel loco) de fide sermo fiet generalis.
« Advemente autem die ad abjurationem faciendam, Inquisitor sermonem faciet, quo facto, dicetur (delato) per Inquisitorem: Ecce, oportet quod tu purges te et abjures hæresim supradictam
« Et tunc ponetur coram abjurando liber Evangeliorum, et ipse ponet manus super illum, et si scit legere competenter, tradetur sibi abjuratio in scriptis, et leget coram omni populo » (Op et loc supra cit.,C. D. Romæ, 1587)
2 « Sit cautus notarius, quod ponat in actis quomodo talis abjuratio facta est per talem, ut si relabatur, sciatur qualiter puniretur pœna relapsis debita » (Ibid, E )
A suivre : 2° Règles d'ordre moral prescrites par le Droit canonique et le Droit naturel tout ensemble, pour une abjuration en cause de foi.
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Chapitre VII
LES JUGES DE LA PUCELLE ET L ABJURATION.
DROIT NATUREL ET DROIT CANONIQUE.
(suite)
I.
Des règles prescrites pour une abjuration en cause de foi
par le Droit canonique et par le Droit naturel.
2° Règles d'ordre moral prescrites par le Droit canonique et le Droit naturel tout ensemble, pour une abjuration en cause de foi.
Ces règles peuvent se ramener à deux : l'une obligeant les juges à faire comprendre à l'accusé ce qu'est l'abjuration que l'on exige de lui ; l'autre les obligeant à n'exercer sur lui aucune pression et à respecter absolument sa liberté.
En premier lieu, tout juge ecclésiastique en cause de foi doit vouloir que l'abjurant sache ce qu'il fait en prononçant et en signant l'abjuration que le tribunal lui demande, et, s'il y a lieu, il doit lui fournir les moyens qui le mettront à même de le savoir.
Le principe de cette obligation, au point de vue du Droit canonique, comme au point de vue du Droit naturel, se trouve dans la nature et les conditions essentielles de l'acte même d'abjuration qui doit être un acte humain, accompli en pleine connaissance de cause, avec pleine spontanéité et pleine liberté. — « Ut hæreticus legitimam abjurationem faciat, dit Ferraris, requiritur ut sponte id faciat. » (Prompta Biblioth. canon., t.I, p. 20, in-8°, Romæ, 1784.) Mais comment un pareil acte pourrait-il sponte fieri, si l'abjurant ne comprenait pas ce que c'est que l'abjuration et l'étendue des engagements qu'il y prend?
L'obligation du juge est donc stricte. Il doit vouloir que l'accusé, lorsqu'il fera son abjuration, soit en état de comprendre ce qu'il fait. La dignité de la justice et l'honneur de la sainte Église, que le juge représente, l'exigent.
En ce qui regarde l'Évêque de Beauvais, non seulement les fonctions de juge, et de juge ecclésiastique, qu'il remplissait, mais encore son caractère de prêtre et d'Évêque, sa conscience d'honnête homme l'obligeaient de la façon la plus stricte à vouloir que la Pucelle comprît ce qui devait se passer au cimetière Saint-Ouen, et à lui en fournir largement le moyen.
Au surplus, les mesures que le Droit inquisitorial marquait aux juges, et que nous rappelions tout à l'heure, par exemple la publicité de l'abjuration, l'annonce qui devait en être faite quelques jours à l'avance aux fidèles, l'appareil solennel et religieux dont on entourait l'abjuration même, toutes ces choses présupposent le droit absolu de l'accusé à comprendre l'acte humain qu'on exige de lui, et le devoir non moins absolu des juges de prendre les moyens indispensables pour lui donner satisfaction.
De là, pour les juges en cause de foi, une deuxième obligation tout aussi sacrée, tout aussi rigoureuse : l'obligation de ne jamais mettre en jeu, à l'égard de l'accusé, les causes que théologiens et moralistes signalent comme attentatoires à la liberté et à la moralité des actes humains, et comme capables de vicier les contrats les plus solennels, soit en matière religieuse, soit en matière civile. Parmi ces causes se présentent au premier rang l'ignorance, le dol, la violence.
De par le Droit inquisitorial, les aveux arrachés par la torture ne devenaient valables qu'après avoir été renouvelés et ratifiés hors de la torture, l'un des jours suivants en présence du tribunal. (NIC EYMERIC, Direct. Inquisit., pp. 486-488.)
En vertu du principe sur lequel est fondée cette règle, une abjuration arrachée par erreur, fraude, dol, violence, doit être réputée nulle et non avenue, l'abjurant n'ayant pas cette pleine possession de soi, cette conscience, cette liberté dont le Droit canonique et le Droit naturel s'accordent à faire une condition essentielle de toute abjuration en cause de foi.
De la question du principe, passons maintenant à la question de fait.
A suivre : II. Les juges de la Pucelle se sont-ils conformés, dans l'abjuration de Saint-Ouen, aux règles susdites ?
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LES JUGES DE LA PUCELLE ET L ABJURATION.
DROIT NATUREL ET DROIT CANONIQUE.
(suite)
II.
Les juges de la Pucelle se sont-ils conformés,
dans l'abjuration de Saint-Ouen, aux règles susdites ?
A cette question, les faits n'apportent qu'une réponse négative. En l'abjuration de Saint-Ouen, les règles positives prescrites par le Droit canonique, aussi bien que les règles d'ordre moral prescrites par le Droit canonique et le Droit naturel, ont été, ou bien inobservées, ou bien violées ouvertement.
D'après les règles canoniques d'ordre positif, il eût fallu que le cas de l'abjuration de Jeanne fût examiné et décidé à l'avance, cum consilio peritorum injure, dans une séance particulière. L'Évêque de Beauvais l'a-t-il fait? Ce qui est certain c'est que les procès-verbaux officiels n'en disent absolument rien; et comme il ne s'écoula aucun intervalle entre la conclusion de la cause et le prêche de Saint-Ouen, il est non moins certain que si P. Cauchon s'entretint de ce sujet avec les Docteurs de Paris, ses confidents intimes, il ne le fit qu'à titre privé et jamais en séance officielle.
Il eût fallu, de plus, que l'abjuration fut annoncée aux fidèles quelques jours à l'avance. Or, elle fut un coup de surprise, et pour la Pucelle, nous le verrons tout à l'heure, et pour les habitants de Rouen, et même pour la grande majorité des assesseurs qui, le jour même du « preschement », ne s'attendaient qu'au prononcé de la sentence.
Il eût encore fallu que le juge lui-même sommât publiquement, en présence du tribunal et des spectateurs, l'accusée d'abjurer. Pour l'abjuration de la Pucelle, ce n'est pas l'Évêque de Beauvais ou l'Inquisiteur Jean Lemaître qui la requièrent, mais le prédicateur, personnage sans qualité pour une pareille sommation. Erard, au lieu de faire entendre à l'accusée une sommation publique, formelle, use de subterfuges, de détours, de propos indignes d'un homme de son caractère.
Il eût fallu que l'accusée abjurât, sous la foi du serment, les mains sur les saints Évangiles. Or, si les assistants cherchèrent sur l'estrade le livre des Évangiles, ils l'y cherchèrent en vain. Jeanne n'eut à prêter et ne prêta de serment d'aucune sorte: on ne lui en demanda point.
On lit, il est vrai, à la fin du formulaire que produit le texte officiel : « Et cecy, je dis, affirme et jure par Dieu, le Tout-Puissant, et par ces saints Évangiles. » C'est une affirmation non moins fausse que la pièce où elle est rapportée.
Dans le dernier interrogatoire de la Pucelle, P. Cauchon…
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Chapitre VII
LES JUGES DE LA PUCELLE ET L ABJURATION.
DROIT NATUREL ET DROIT CANONIQUE.
(suite)
II.
Les juges de la Pucelle se sont-ils conformés,
dans l'abjuration de Saint-Ouen, aux règles susdites ?
Dans le dernier interrogatoire de la Pucelle, P. Cauchon, lui reprochant d'avoir repris l'habit d'homme, ajoutait qu'elle avait non seulement promis, mais encore « juré », de ne plus le reprendre. « Jeanne répondit que jamais elle n'avait eu conscience d'avoir fait le serment de ne pas reprendre l'habit d'homme. — Tunc fuit sibi dictum quod promiserat et juraverat non recipere habitum virilem. Ipsa vero respondit quod nunquam intellexit quod fecerit juramentum de non recipiendo ipsum habitum virilem. » (Procès, t. I, p. 455.)
Si la Pucelle s'exprime de la sorte, c'est qu'elle est sûre de ce qu'elle affirme. L'Évêque de Beauvais l'était moins en disant le contraire. Et c'est à l'accusée, non au juge, que les témoins de la réhabilitation ont donné raison; car, pas plus dans leurs dépositions que dans le procès-verbal officiel du 24 mai, il n'est dit que Jeanne ait été mise, à Saint-Ouen, en demeure de jurer ou ait juré quoi que ce soit.
Enfin, il eût fallu que, séance tenante, un des notaires rédigeât le procès-verbal de l'abjuration, exposât de quelle manière elle s'était faite, en rappelât les termes et joignît au procès-verbal la cédule authentique. Les juges se gardèrent bien d'observer cette règle du Droit : c'eût été le renversement complet de leurs desseins. Les notaires parurent sur l'échafaud de l'abjurante ; mais ils reçurent l'ordre de ne pas instrumenter et aucun procès-verbal en forme de l'abjuration de Saint-Ouen ne figure dans l'instrument officiel du Procès.
Il n'est donc pas contestable que les juges de Jeanne ne se sont guère préoccupés de l'observation des règles positives prescrites par le Droit canonique dans les abjurations en cause de foi. Ils ne se sont pas préoccupés davantage de l'observation des règles d'ordre moral prescrites et par le Droit canonique et par le Droit naturel ; ils les ont même transgressées ouvertement.
Nous ne reviendrons pas sur les violences, les menaces, les promesses mensongères, la fraude, le dol qu'ils ont mis en œuvre pour arracher à leur victime l'acte qu'ils désiraient. On n'a qu'à relire ce qui en a été raconté dans le chapitre de la scène historique de l'abjuration, pour se convaincre que cet acte a été l'effet de la pression, de la séduction, de la coaction : Eam aliqua abjurare fecerunt, ab aliquibus inducta, seducta et coacta (Procès, t. Il, p. 204); et l'on en tirera aisément cette conséquence que, en accusant les juges de la Pucelle d'avoir violé les règles les plus respectables, l'on formule une accusation qui n'est que trop justifiée. Il vaudra mieux insister sur le cas spécial de l'ignorance dans laquelle ces mêmes juges s'efforcèrent d'enfermer l'accusée.
Ayant établi que leur premier devoir, de par tout Droit naturel, humain et divin, était de renseigner Jeanne sur la nature de l'abjuration, si elle l'ignorait, et de bien lui expliquer la formule qu'ils devaient lui proposer, si cette formule avait besoin d'explication, nous allons montrer :
1° Que la jeune Lorraine ignorait ce que signifie le mot abjuration, et qu'on ne le lui expliqua point;
2° Que la formule d'abjuration qu'on lui fit signer était à double entente, et que les juges ne lui firent pas savoir quel sens ils y attachaient.
A suivre : III.
Les juges de la Pucelle lui firent-ils comprendre ce qu'ils la contraignirent à faire au cimetière Saint-Ouen ?
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Chapitre VII
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DROIT NATUREL ET DROIT CANONIQUE.
(suite)
III.
Les juges de la Pucelle lui firent-ils comprendre
ce qu'ils la contraignirent à faire au cimetière Saint-Ouen ?
Cela revient à rechercher : 1° Si Jeanne comprit bien le mot « abjuration », dont Erard s'était servi; —2° Si elle comprit le texte de la cédule présenté par ledit Erard à sa signature.1° Jeanne comprit-elle le mot « abjuration » ?Non, Jeanne ne le comprit pas. On s'était bien gardé de le prononcer devant elle, avant la scène de Saint-Ouen. Avec son esprit vif, elle eût demandé des explications qu'on ne voulait pas lui donner. Jamais, dans le cours du Procès ordinaire, l'Évêque de Beauvais n'avait parlé d'abjuration et n'y avait fait la plus légère allusion.
Maître Beaupère, qu'il envoya auprès de la Pucelle le matin même du 24, aurait dû la prévenir, conformément au Droit, de ce que la journée lui réservait. Il s'en garde bien. Il se sert vis-à-vis d'elle de formules vagues, imprécises. Rappelons le langage qu'il lui tint :
« Au-devant qu'elle fût menée à Saint-Ouen pour y estre preschée, au matin, celui qui parle entra seul en la prison de la dicte Jehanne, par congié, et advertit icelle qu'elle serait tantôt menée à l'échaffaud pour y estre preschée, en lui disant que, si elle estait bonne chrestienne, elle dirait audit eschaffaud que tous ses faits et dits elle mettait en l'ordonnance de notre mère saincte Église, et en espécial des juges ecclésiastiques. La-quelle respondit que ainsi ferait-elle. » (Procès, t II, pp. 20, 21.)
Comment la prisonnière, naturellement ignorante du Droit canonique, aurait-elle discerné qu'on venait lui annoncer qu'on la mettrait en demeure d'abjurer? Elle ne vit autre chose dans les paroles du Docteur que le conseil de se soumettre sans réserve à la sainte Église.
Nicolas Loiseleur, en pressant l'accusée, au moment du prêche, de faire ce qu'on allait lui demander et de reprendre l'habit de femme, ne lui dit pas davantage que ce qu'on allait lui demander, c'était d'abjurer.
C'est par Guillaume Erard, le fougueux prédicateur de Saint-Ouen, que la Pucelle entendit prononcer pour la première fois le mot « abjuration ».
— Mais je ne sais pas ce que c'est, répond la jeune fille.
— Peu importe, réplique Erard; tu vas abjurer ou tu seras brûlée aujourd'hui même. (Procès, t. II. p. 17.)
Les règles canoniques se présentant à sa pensée, Erard paraît les vouloir observer. Il dit à Massieu « qu'il conseillât l'accusée sur cela ». Massieu explique alors à Jeanne, non ce que c'est que d'abjurer, mais qu'elle s'expose à être « arse (brûlée), si elle allait à l'encontre des articles » de la cédule qu'Erard venait de lui lire. (Ibid) Erard, mécontent, défend à Massieu de lui parler davantage. — Prohibuit Erard dicta loquenti ne amplius cum dicta Johanna loqueretur. (Procès, t. II, p. 331.)
Peut-on dire, après cela, que l'Évêque de Beauvais ait voulu sérieusement que Jeanne comprît même le mot « abjurer » et qu'il lui en ait procuré le moyen?
A suivre : 2° La Pucelle comprit-elle la formule qui lui fut lue et qu'elle signa?
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Chapitre VII
LES JUGES DE LA PUCELLE ET L ABJURATION.
DROIT NATUREL ET DROIT CANONIQUE.
(suite)
III.
Les juges de la Pucelle lui firent-ils comprendre
ce qu'ils la contraignirent à faire au cimetière Saint-Ouen ?
2° La Pucelle comprit-elle la formule qui lui fut lue et qu'elle signa?
Posons nettement la question.
Nous ne recherchons pas si la Pucelle comprît ce qui se passa à l'abjuration, les promesses qui lui furent faites, les menaces qu'on lui fit entendre; mais si elle comprit le formulaire de l'abjuration dans son sens dernier, ou seulement en partie, ou pas du tout.
Les témoins s'accordent à déposer qu'elle ne comprit pas le formulaire et qu'aucune explication ne lui en fut donnée.
« Jeanne, dit Guillaume Colles, l'un des trois notaires officiels, ne comprenait rien à la cédule, et elle ne lui fut pas exposée. — Ipsa Johanna nullo modo intelligebat, nec (schedula) fuit sibi exposita. » (Procès, t. III, p. 164.)
G. Manchon dit également que, à part l'article des habits d'homme, et probablement aussi ceux du port des armes et des cheveux ras, la Pucelle disait n'avoir compris. — De aliis quæ dicebantur per ea abjurata, dicebat nihil de contentis in eadem abjuratione intellexisse. (Procès, t. III, p. 149.)
Nous venons de voir maître Erard défendre à J. Massieu d'adresser la parole à l'accusée. Mais déjà le digne prêtre s'était aperçu — il nous l'apprend en sa déposition — « que la Pucelle ne comprenait pas la cédule, pas plus que le danger qui la menaçait. — Bene videbat loquens quod ipsa Johanna non intelligebat dictam schedulam, nec periculum quod sibi imminebat. » (Procès, t. III, p. 157.)
Entendons Jeanne elle-même.
Dans le dernier interrogatoire qu'on lui fit subir, « elle dit n'avoir pas compris ce qui était contenu dans la cédule de l'abjuration. — Item, dtxit quod illud quod continebatur in schedula abjurationis, ipsa non intelligebat. » (Procès, t. I, p. 458.)
Il n'y a rien d'étonnant à cela. Dans le tumulte qui se produit, en face du bourreau et du bûcher, invectivée d'un côté par Erard, tirée d'un autre par J. Massieu, préoccupée par P. Cauchon qui poursuit la lecture de la sentence, par les Anglais qui crient, par le bourreau qui approche sa charrette, par l'image terrifiante du bûcher, comment la jeune fille aurait-elle compris l'embrouillée formule ?
Mais, enfin, qu'est-ce que Jeanne n'a pas compris et pourquoi n'a-t-elle pas compris? La déposition de J. Massieu jette un jour sur cette question.
« Je voyais bien, dit-il, que Jeanne ne comprenait ni la cédule, ni le péril où elle se mettait. — Bene videbat loquens quod ipsa Johanna non intelligehat dictam schedulam, nec periculum quod sibi imminebat. » (Procès, t. III, p. 157.)
Quel était donc le péril caché en la cédule? En quoi consistait-il ?
Le voici : la cédule, nous l'avons déjà dit, était inoffensive en ce qui concernait le port des armes, la coupe des cheveux et même le port de l'habit d'homme, mais elle contenait un acte de soumission au jugement de l'Église.
Entendue en son sens naturel, obvie, cette déclaration de soumission n'avait rien qui poussât à l'abîme…
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III.
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ce qu'ils la contraignirent à faire au cimetière Saint-Ouen ?
2° La Pucelle comprit-elle la formule qui lui fut lue et qu'elle signa? (suite)
Entendue en son sens naturel, obvie, cette déclaration de soumission n'avait rien qui poussât à l'abîme, de même qu'elle n'avait rien qui répugnât à la conscience. Mais, entendue dans le sens qu'y attachait Cauchon, combien périlleuse était-elle ! L'Église, d'après P. Cauchon, c'était lui et ses clercs. Donc, si Jeanne se soumettait à l'Église ainsi entendue, elle acceptait implicitement la manière de voir de P. Cauchon quant à la nature de sa mission; elle devenait une sorcière, une hérétique, une abuseresse du peuple. Elle l'acceptait et le signait, non expressément, mais implicitement. Voilà ce que la Pucelle ne comprenait pas tout d'abord, voilà le péril où elle allait se jeter sans le voir.
Ce péril, elle ne l'entrevit, et encore obscurément, que lorsque Massieu lui eut recommandé de « se rapporter de son abjuration avant tout à l'Eglise universelle ». (Procès, t. II, p. 17.) De là sa soumission « au jugement de l'Eglise », dans les termes que rappelait le chanoine Dudésert.
Ce même péril, elle ne paraît l'avoir vu nettement que dans la séance où Cauchon, tirant à sa manière les conclusions de la cédule, lui dit qu'elle avait confessé « s'être vantée mensongèrement d'avoir été visitée par saintes Catherine et Marguerite. A quoi elle répondit qu'elle n'entendait point ainsi faire ou dire. — Tunc et fuit dictum quod ipsa dixerat, quando fecit abjurationein, quod mendose ipsa se jactaverat, quod illæ voces erant sanctæ Katharina et Margareta. — Respondit quod ipsa non intelligebat sic facere vel dicere. » (Procès, t. I, pp. 457, 458.)
De même, en réponse sans doute à une autre conclusion de même genre tirée par l'Évêque de sa soumission à l'Eglise, Jeanne dit qu'elle n'avait point dit ou entendu révoquer ses apparitions. (Procès, t. I, p. 458.)
De ces textes et de leur discussion, il résulte donc que, par le fait de ses juges, Jeanne n'a pu comprendre ni le mot « abjurer », ni la portée que les juges donnaient, très peu loyalement à coup sûr, à la formule d'abjuration. Mais alors que devient la validité canonique de l'abjuration de la Pucelle, et comment en droit et en équité, opposer à sa mémoire la scène du cimetière Saint-Ouen?
A suivre : IV. Confirmation des conclusions précédentes.
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Re: L'Abjuration du Cimetière SAINT - OUEN (complet)
L'ABJURATION
DE
JEANNE D'ARC
Chapitre VII
LES JUGES DE LA PUCELLE ET L ABJURATION.
DROIT NATUREL ET DROIT CANONIQUE.
(suite)
IV.
Confirmation des conclusions précédentes.
Le compte rendu de la délibération que les assesseurs de P. Cauchon tinrent la veille du supplice de la Pucelle apporte aux deux conséquences que nous venons de tirer une confirmation à laquelle on ne s'attendrait pas.
En ce compte rendu, auquel nous avons emprunté la preuve complémentaire de la fausseté du formulaire inséré au Procès, se rencontrent trois choses importantes :
1° La requête de l'abbé de Fécamp stipulée dans le procès-verbal de ladite délibération, à l'effet d'obtenir que lecture fût donnée de nouveau à la Pucelle du prétendu formulaire de son abjuration, et que les termes lui en fussent expliqués;
2° L'adoption, par la quasi unanimité des maîtres et docteurs qui opinèrent après l'abbé de Fécamp, de cette même proposition, laquelle paraissait fort transformer leur vote, d'absolu en conditionnel.
3° Le refus de l'Évêque de Beauvais de déférer à cette requête.
Comment expliquer chez l'abbé de Fécamp la pensée de présenter cette requête, et chez les trente neuf assesseurs la résolution d'y souscrire?
Une seule chose nous l'explique : c'est qu'il s'était élevé dans l'esprit de ces maîtres et Docteurs un doute inquiétant sur l'intelligence que la Pucelle avait eue de la cédule d'abjuration.
En cette même séance, P. Cauchon avait fait lire deux pièces importantes : d'abord, le prétendu formulaire de l'abjuration; puis, le procès-verbal des réponses de Jeanne au dernier interrogatoire qu'on lui avait fait subir. Entre autres réponses figure dans ce procès-verbal celle-ci : que la Pucelle n'avait pas compris l'abjuration qu'elle avait signée. (Procès, t. I, p. 458.)
Une pareille réponse ne pouvait passer inaperçue dans une assemblée de maîtres et Docteurs.
Ils ne se dissimulaient pas que, si la Pucelle avait dit vrai, l'abjuration n'ayant plus de validité canonique, le cas du relaps s'évanouissait, le procès de rechute qui venait de s'ouvrir n'avait plus de raison d'être, et toute délibération à ce sujet devenait radicalement nulle. Pour dégager sa responsabilité, l'abbé de Fécamp présenta la requête susdite, et trente-neuf assesseurs sur quarante n'hésitèrent pas à y souscrire.
Par prudence et pour ne pas soulever un débat qui eût pu prendre une tournure inquiétante, les affidés de P. Cauchon, les Loiseleur, les Erard, parurent abonder dans le sens de l'abbé de Fécamp et ils s'associèrent ouvertement à sa requête. Ils savaient, à la vérité, en quelle considération elle serait prise. L'Évêque de Beauvais laissa dire et ne fut que plus pressé d'en finir. Comme le Droit n'obligeait pas les juges à tenir compte des desiderata de leurs assesseurs, P. Cauchon demeura sourd à la requête des quarante Docteurs qu'il avait convoqués et, le lendemain même, sans faire relire à la Pucelle sa prétendue abjuration, — il savait bien pourquoi, — il la condamna à la mort du bûcher.
Dans un des chapitres précédents, nous avons fait observer que, en refusant de tenir compte de la requête de ses assesseurs, et en se gardant bien de faire donner lecture à Jeanne du formulaire de l'abjuration, l'Évêque-juge confirmait l'accusation de faux portée contre lui à propos de ce formulaire. Ce même refus, dans le cas présent, montre que le Prélat voyait clair dans la pensée des quarante maîtres et Docteurs, et qu'il ne tenait aucunement à dissiper le doute qu'ils avaient pu concevoir sur la validité canonique de l'abjuration de la Pucelle.
A suivre : V. Conséquences des faits exposés.
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L'ABJURATION
DE
JEANNE D'ARC
Chapitre VII
LES JUGES DE LA PUCELLE ET L ABJURATION.
DROIT NATUREL ET DROIT CANONIQUE.
(suite)
V.
Conséquences des faits exposés.
Des prescriptions juridiques en matière d'abjuration et des faits que nous venons d'exposer, tirons deux conséquences :
1° L'abjuration telle que la Pucelle l'a prononcée et signée, et telle que ses juges l'ont amenée à la faire, n'est pas une abjuration canonique en cause de foi ; elle n'est même pas une abjuration religieuse dans le sens général du mot.
Une abjuration canonique en cause de foi est la révocation, imposée par les juges à l'accusé, des erreurs en la foi ou d'imprudences en la même matière, dont il se reconnaît coupable, avec énumération spécifiée de ces erreurs ou imprudences, avec serment sur les saints Évangiles et l'engagement de n'y plus revenir, sous les peines de Droit, en particulier sous peine de subir le châtiment des relaps.
Jeanne, n'étant jamais tombée dans l'hérésie et n'ayant jamais donné lieu d'être rangée parmi les suspects en cette matière, même de levi, n'avait pas à se confesser coupable d'erreurs ou d'imprudences en matière de foi, ni, par suite, à révoquer ces imprudences ou ces erreurs; et, d'ailleurs, dans les termes où elle était conçue, la cédule qu'Erard lui fit prononcer et signer ne contenait rien de tel.
De plus, on ne requit d'elle aucun serment, et elle n'en prononça aucun.
Assurément, ce résultat ne répondait pas au dessein des juges : ils comptaient bien, quelque tournure que prissent les faits, les présenter à leur façon. Et pourtant, s'il en a été autrement, ils ne doivent s'en prendre qu'à eux-mêmes. En s'affranchissant de l'observation des règles de l'Église, en violant sans scrupule les prescriptions les plus sacrées du Droit canonique et du Droit naturel, ils s'imaginaient supprimer les obstacles qui s'opposaient à l'accomplissement de leurs desseins; c'est le contraire qui est survenu. Le voile épais derrière lequel ils comptaient abriter leurs machinations s'est déchiré d'un bout à l'autre, et s'ils ont gardé leur réputation de gens extrêmement habiles, ils ont acquis et mérité celle de juges iniques.
2° Quand bien même la Pucelle eût fait matériellement une abjuration canonique en cause de foi…
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L'ABJURATION
DE
JEANNE D'ARC
Chapitre VI I
LES JUGES DE LA PUCELLE ET L ABJURATION.
DROIT NATUREL ET DROIT CANONIQUE.
(suite)
V.
Conséquences des faits exposés.
2° Quand bien même la Pucelle eût fait matériellement une abjuration canonique en cause de foi, les conditions dans lesquelles elle a été amenée à la faire constituent une violation trop formelle de la justice et du Droit pour que, formellement, ladite abjuration ne fût pas nulle ou sujette à annulation. Ainsi en ont jugé les délégués du Saint-Siège en leur sentence de réhabilitation. Rappelons-en les termes : nous en saisirons mieux à présent la sagesse et les motifs.
« Attendu... une certaine abjuration prétendue, — Attenta... quadam abjuratione prætensa, — fausse et subreptice, — falsa, subdola, — extorquée par la violence et par la terreur, en présence du bourreau, et sous la menace des flammes du bûcher, sans que ladite défunte l'ait aucunement prévue et comprise — ac per vim et metum, præsentiam tortoris et comminatam ignis cremationem extorta, et per dictam defunctam minime prævisa et intellecta; — Nous déclarons ladite abjuration nulle, sans force, et, autant que besoin est, nous la cassons, irritons, annulons et dépouillons de toute valeur. » (Procès, t. III, pp. 360, 361.)
Pouvait-on qualifier plus sévèrement la conduite des juges de la Pucelle en l'abjuration de Saint-Ouen, et l'absence de scrupules avec laquelle ils ont foulé aux pieds les prescriptions du Droit naturel et du Droit canonique?
CHAPITRE VIII - L'ABUJRATION DE LA PUCELLE AU POINT DE VUE THEOLOGIQUE ET A CELUI DE L'HONNEUR.
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Chapitre VIII
L'ABUJRATION DE LA PUCELLE AU POINT DE
VUE THEOLOGIQUE ET A CELUI DE L'HONNEUR.
Les pages qui précèdent viennent de nous renseigner sur la responsabilité encourue par les juges de la Pucelle en l'abjuration de Saint-Ouen C'est chose prouvée qu'ils ont méconnu les droits les plus sacrés de leur victime, et violé sans pudeur les prescriptions les plus formelles des lois divines et humaines. Maintenant c'est la responsabilité personnelle de Jeanne en cette même abjuration qu'il nous reste à déterminer. Considérée comme acte judiciaire provoqué par des juges en cause de foi, l'abjuration de Saint-Ouen est nulle devant l'Église, en elle-même et dans ses conséquences, c'est bien entendu. Mais considérée comme acte personnel de l'accusée, nous devons rechercher si cet acte constitue ou s'il implique une ou plusieurs fautes théologiques appréciables, qui rendent Jeanne coupable au tribunal de Dieu ou de l'Église, s'il constitue ou s'il implique une ou plusieurs choses contraires aux lois de l'honneur
Empressons-nous de reconnaître qu'il y a lieu de ne concevoir aucune crainte à ce sujet. Impossible de relever dans l'abjuration de Saint-Ouen, telle que les faits la présentent, aucun acte, aucun propos, aucune circonstance de nature à charger la conscience de l'héroïne, pas plus devant les hommes que devant Dieu.
Au contraire, jamais Jeanne ne s'est montrée plus admirable de patriotisme, de force morale et de foi.I.
Peut-on relever, dans l'abjuration de la Pucelle, quelque faute
théologique contre les commandements de Dieu et de l'Eglise,
ou quelque transgression des lois de l'honneur?
Impossible, disons-nous en premier lieu, de relever dans le drame de Saint-Ouen aucune parole, aucune action de la Pucelle qui charge sa conscience et qui constitue une faute théologique certaine, grave ou légère, contre les commandements de Dieu ou contre ceux de l'Église. Impossible pareillement de prouver qu'elle ait un instant oublié, encore moins violé en quelque point les lois de la délicatesse et de l'honneur. Aux moralistes et théologiens qui s'estimeraient en mesure de battre en brèche ces deux propositions incomberait la nécessité de spécifier les commandements transgressés, les règlements chevaleresques violés, et de déterminer, avec preuve documentaire à l'appui, à quel moment et par quel dit ou fait la jeune Lorraine se serait rendue coupable de cet oubli et aurait commis cette transgression.
Se rejetterait-on sur la cédule d'abjuration qu'elle a signée?...
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Chapitre VIII
L'ABUJRATION DE LA PUCELLE AU POINT DE
VUE THEOLOGIQUE ET A CELUI DE L'HONNEUR.
(suite)
I.
Peut-on relever, dans l'abjuration de la Pucelle, quelque faute
théologique contre les commandements de Dieu et de l'Eglise,
ou quelque transgression des lois de l'honneur?
Se rejetterait-on sur la cédule d'abjuration qu'elle a signée? Mais, en cette cédule, il n'était fait mention d'aucune erreur ni d'aucun péché contre la foi, nous l'avons démontré, ni d'aucune révocation impliquant un sacrilège ou un mensonge, ni d'aucun engagement dont la violation dût entraîner un parjure.
Les juges eux-mêmes n'avaient-ils pas eu la précaution de ne présenter à la Pucelle qu'une cédule des plus brèves et des plus anodines? N'avaient-ils pas supprimé l'appareil et la solennité de l'abjuration, et jusqu'à la prestation du serment? Où donc, dans une démarche réduite à cette simple expression, moralistes et théologiens trouveraient-ils la matière d'une faute théologique appréciable ou d'un oubli quelconque des lois de la délicatesse et de l'honneur?
Peut-être songera-t-on à chercher la matière d'une faute ou d'un oubli de ce genre dans la frayeur de la mort qui s'est trahie plusieurs fois chez la Pucelle pendant le drame de Saint-Ouen. On s'estimera d'autant plus autorisé à le faire que les Saintes, protectrices de la jeune fille, lui auraient, prétendent ses adversaires, adressé de graves reproches.
C'est vrai, Jeanne, à Saint-Ouen, a eu peur de la mort, on s'en est aperçu autour d'elle, et elle l'a elle-même franchement avoué.
Le prêtre Jean Massieu nous dit l'avoir entendue s'écrier, sous les menaces de maître Erard « Plutôt signer que d'être brûlée ! » (Procès, t III, p 157)
Le notaire-greffier Guillaume Colles dépose que l'accusée refusa longtemps de signer la cédule d'abjuration, mais que, « sur les instances pressantes qui lui furent faites, cédant à la frayeur, elle s'y détermina — Tandem compulsa, præ timore signavit. » (Procès, t III, p 164 )
Guillaume Manchon, le principal des notaires du Procès, dit « qu'elle abjura par peur du feu, voyant le bourreau tout prêt avec sa charrette ». (Ibid., p 149 )
Enfin Jeanne elle-même, quatre jours après l'abjuration, disait à ses juges que « tout ce qu'elle avait fait, le jeudi précédent, elle l'avait fait par peur du feu. — Totum hoc quod fecit, ipsa fecit prse timore ignis. » (Procès, t.I, pp. 457, 458.)
Il faut donc en convenir : à Saint-Ouen, Jeanne s'est abandonnée à la frayeur de la mort; elle a éprouvé un vif et profond regret de la vie. Faut-il la condamner pour cela? faut-il au moins la blâmer?
Voici notre réponse. Depuis quand la peur de la mort et l'amour de la vie seraient-ils des crimes? depuis quand ces sentiments seraient-ils par eux-mêmes défendus? Ne sont-ils pas une manifestation spontanée de l'instinct de conservation déposé par le Créateur au fond de toute créature humaine? Que de traits rapportés par l'histoire, qui signalent la persistance de ces sentiments chez les caractères les mieux trempés, et l'empire qu'ils exercent sur des hommes d'un courage au-dessus de tout soupçon ! Il n'est donc pas surprenant que ces mêmes sentiments apparaissent chez une jeune fille de dix-neuf ans à qui la mort se montre tout à coup sous la forme la plus horrible.
Mais alors comment expliquer les reproches que saintes Catherine et Marguerite adressent à la Pucelle, au sujet de l'abjuration et de la frayeur qui paraît en avoir été le motif déterminant?
Ces reproches s'expliquent très aisément et de la manière la plus naturelle. Pour en bien juger, citons-les textuellement et rappelons comment Jeanne nous les a fait connaître.
A suivre : II Des reproches adresses a la Pucelle par saintes Catherine et Marguerite.
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Chapitre VIII
L'ABUJRATION DE LA PUCELLE AU POINT DE
VUE THEOLOGIQUE ET A CELUI DE L'HONNEUR.
(suite)
II.
Des reproches adresses a la Pucelle par saintes Catherine et Marguerite.
C'est dans le dernier interrogatoire du Procès que la jeune Lorraine fit part de ces reproches a ses juges Ceux-ci ne manquèrent pas de les mentionner au procès-verbal.
Jeanne leur disait donc naïvement que « Dieu lui avait mande, par saintes Catherine et Marguerite, la grande pitié de la grande trahison qu'elle avait consentie en faisant l'abjuration et la révocation pour sauver sa vie; et elle s'était condamnée pour sauver sa vie — Deus mandavit sibi per sanctas Katharinam et Margaretam magnam pietatem illius grandis proditionis in quam ipsa Johanna consenserat faciendo abjurationem et revocationem pro salvando vitam suam, et quod ipsa se damnaverunt pro salvando vitam suam. » (Procès, t I, p 456)
« Item, dit que ses Voix lui ont dit qu'elle avait fait grande mauvaiseté, en confessant qu'elle n'avait pas bien fait ce qu'elle avait fait — Item, dixit quod voces suæ dixerunt sibi quod ipsa fecerat magnam injuriam, confitendo se non bene fecisse illud quod fecerat. » (Ibid., p 457)
Avant de rechercher et de montrer quel est le sujet de cette grande pitié, de cette grande trahison, de cette grande mauvaiseté dont parlent les saintes, rappelons qu'il n'est pas question ici d'une héroïne ordinaire, d'une héroïne selon le monde, mais d'une héroïne selon l'Evangile et selon Dieu. Ces héroïnes-là s'appellent des Saintes. Or, Dieu exige de ses Saintes plus que le monde n'exige de ses héroïnes. C'est pourquoi un sentiment de frayeur, une attache à la vie que les hommes jugeront irrépréhensibles, même lorsqu'ils dépassent certaines limites, peuvent paraître répréhensibles et constituer une imperfection blâmable aux yeux de Dieu.
Cette observation faite, demandons-nous deux choses :
Pourquoi cette grande pitié, cette grande trahison, cette grande mauvaiseté dont parlent les saintes, et cette condamnation que s'est attirée la Pucelle? quel en est l'objet?
Pourquoi les Saintes se sont-elles servi d'expressions aussi fortes, aussi énergiques?
1° L'objet de cette grande pitié, de cette grande trahison, le principe de cette condamnation reprochées à la Pucelle, c'est l'acte auquel elle s'est résolue pour sauver sa vie, c'est-à-dire l'abjuration; la grande mauvaiseté, qui lui est reprochée également, provient de ce qu'elle a dit « n'avoir pas bien fait ce qu'elle a fait ».
Mais l'abjuration telle que la jeune fille l'a prononcée et signée « pour sauver sa vie », dans les circonstances que l'on sait, serait-elle donc un acte mauvais, en opposition formelle avec les commandements de Dieu? Nous avons montré surabondamment que non. Vouloir sauver sa vie par un moyen où il n'y a rien de mal, c'est le droit de tout être raisonnable.
Les choses que Jeanne a faites et qu'elle dit n'avoir pas bien faites, quelles sont-elles? D'après les textes…
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(suite)
II.
Des reproches adresses a la Pucelle par saintes Catherine et Marguerite. (suite)
Les choses que Jeanne a faites et qu'elle dit n'avoir pas bien faites, quelles sont-elles? D'après les textes, ce sont 1° le port des armes ; 2° le port des habits d'homme; 3° le port des cheveux courts. Mais en elles-mêmes, ces choses n'étaient pas plus mauvaises que la signature du formulaire de l'abjuration ne l'était.
Il ne resterait donc, pour expliquer ces grands mots de trahison, de pitié, de mauvaiseté, que cette peur du feu à laquelle Jeanne a un instant cédé, ce désir trop peu chrétien de sauver sa vie, cette horreur de la mort dont elle n'a pu se défendre, à la vue du bourreau, et à la pensée du bûcher Mais ces trois choses, l'attache à la vie, la crainte de la mort, l'effroi qu'inspire le supplice du feu, seraient-elles condamnables et faudrait-il y voir de véritables crimes? Assurément non Mais si elles ne sont pas des crimes, elles peuvent être des imperfections, et c'est là ce qui nous donne la raison des reproches des Saintes à la vierge Lorraine et des expressions qu'elles emploient.
2° Car ces expressions, si fortes qu'elles paraissent, il faut se garder de les prendre au pied de la lettre, le sens, qui en est toujours relatif, doit en être déterminé par les actes auxquels ces expressions s'appliquent Or, nous avons vu ce qu'il faut penser de ces actes, ils n'ont qu'une malice relative, en tant qu'ils constituent des imperfections Il ne peut donc être question que d'une mauvaiseté relative, d'une trahison de même ordre, relative elle aussi. Lorsque François d'Assise se disait le plus grand des pécheurs, cela n'empêchait pas qu'il ne fût un grand saint et qu'il n'y eût de bien pires scélérats. De même, ce que saintes Catherine et Marguerite reprochent ici à la future martyre, ce n'est pas d'avoir commis une offense de Dieu, mais de s'être oubliée en cette attache trop grande à la vie, en cette peur immodérée du supplice, en cette horreur peu chrétienne de la mort, et de s'y être oubliée jusqu'à l'imperfection. Cela n'allait pas à sa haute nature soutenue par la grâce; cela ne convenait pas à la créature privilégiée que saint Michel avait saluée du nom de Fille de Dieu. Et c'est pour lui donner une juste idée de cette imperfection et pour lui en inspirer un regret sincère, que les Saintes emploient ces expressions, qui tout d'abord surprennent, de mauvaiseté et de trahison.
En ceci, Dieu ne traite pas la vierge de Domremy autrement qu'il ne traite ses Saints…
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II.
Des reproches adresses à la Pucelle par saintes Catherine et Marguerite. (suite)
En ceci, Dieu ne traite pas la vierge de Domremy autrement qu'il ne traite ses Saints. Il en use à leur égard de deux manières. D'une part, il tient extrêmement à ce qu'ils évitent, non seulement les fautes mortelles et vénielles, mais encore les imperfections et les résistances à sa grâce. Du moment qu'il les introduit dans la voie de la sainteté, il prend à cœur leurs manquements les plus légers. Ainsi voit-on les grands artistes, quand ils ont la bonne fortune de compter dans leur atelier un élève de génie, le gourmander pour de simples négligences.
D'autre part, l'humilité étant le fondement nécessaire de la sainteté, Dieu n'entend pas que ses élus s'exposent à se priver de cette pierre angulaire. Ils pourraient être tentés de s'attribuer à eux seuls le mérite de leurs grandes vertus. Pour les mettre à même de ne pas succomber à cette tentation, le Seigneur leur envoie, par tel chemin qui lui plaît, l'affirmation, la preuve de leur misère. En ces moments, les ténèbres s'étendent sur leur intelligence, la faiblesse gagne leur volonté; une sorte de paralysie morale les envahit, et soudain ils ont comme la sensation du fond de leur néant C'est alors que la nature aux abois succombe sous une pression tant soit peu violente. Alors ils sentent le peu qu'ils sont, qu'ils valent; ils le sentent et ils le reconnaissent. Alors ils suivent leur modèle divin, l'Homme-Dieu qui tira de ses entrailles le cri de suprême angoisse qu'on serait tenté de prendre pour un cri de désespoir « Deus, Deus meus, ut quid derelequisti me ! — Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ! »
Il faut que tout Saint, à un moment voulu de Dieu, arrive à ce fond extrême d'humiliation. Jeanne ne pouvait échapper à cette loi. Ses Voix furent l'instrument providentiel par lequel elle la subit.
Si on lui gardait encore rigueur de la frayeur de la mort qui l'envahit, de la terreur qui la saisit à la vue du bourreau, qu'on veuille bien se souvenir de Jésus au Jardin des Olives. Jeanne a peur de la mort L'Homme-Dieu en a eu peur, lui aussi, ce sentiment déborde de la prière « Mon Père, si c'est possible, que ce calice passe loin de moi ! »
Horrible apparaissait à cette jeune fille de dix-neuf ans la mort dans les flammes dévorantes du bûcher. Non moins horrible apparaissait à Jésus la mort par le supplice de la croix.
Le Sauveur termine sa prière par ces mots « Cependant, mon Père, que votre volonté se fasse, non la mienne ! « Jeanne eut aussi son « Non mea voluntas, sed tua fiat ». Devant les reproches affectueux de ses Saintes, elle courbe la tête et entrevoit leur dessein. Elle comprend qu'elle a trop redouté la mort, qu'elle a été trop attachée à la vie Elle comprend que si ses protectrices célestes le lui reprochent, c'est moins pour la blâmer que pour la prévenir désormais contre toute défaillance. Elle comprend enfin qu'il y a dans leurs paroles une leçon d'humilité que Dieu, qui tire le bien du mal, la perfection de l'imperfection, ménage dans son amour aux âmes prédestinées. La jeune vierge, la future martyre, confuse d'avoir cédé à des sentiments par trop naturels, en éprouve au fond du cœur un profond regret. Elle montrera la sincérité de ce regret lorsque le calice du sacrifice suprême lui sera présenté. Jeanne le saisira d'une main ferme et elle le boira jusqu'à la lie.
A suivre : CHAPITRE IX
L'ABJURATION DE LA PUCELLE AU POINT DE VUE MORAL.
PATRIOTISME ET SAINTETE.
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Chapitre IX
L'ABJURATION DE LA PUCELLE AU POINT DE VUE MORAL.
PATRIOTISME ET SAINTETE.
La sainteté, selon l'Évangile, ne consiste pas seulement à éviter le mal, elle inspire aux âmes qui en sont éprises un ardent amour du bien sous toutes ses formes, et, lorsque l'occasion s'en présente, le courage, l'énergie de le pratiquer Cet amour ardent du bien, qui se résume en l'amour de Dieu et de sa volonté, l'énergie, le courage de le pratiquer, nous les retrouvons chez la sainte qu'a été Jeanne d'Arc, jusqu'en ce drame lugubre de Saint-Ouen Jamais, en aucune autre circonstance de sa vie, la jeune vierge ne s'est montrée plus admirable de patriotisme, de prudence, de force morale et de foi Mais, pour en juger sainement, il est indispensable de rappeler en quel cadre éclatent ces hautes vertus, et sur quel fond noir de tableau elles se détachent, resplendissant d'une lumière qui n'a rien de terrestre.
A suivre : I. Guet apens judiciaire.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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