Le P. Isaac Jogues, premier Apôtre des Iroquois.

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Message  Louis Mer 14 Mai 2014, 10:20 am

De son côté, le P. Jogues, tout entier à son ministère apostolique, s’occupait du salut des âmes, et il fît faire une courte prière à ceux qui se préparaient à soutenir l’attaque et qui combattirent vaillamment. Son pilote, Bernard Atieronhontk, le préoccupa tout d’abord. C’était le seul de son canot qui n’eût pas reçu le baptême, quoiqu’il fût déjà depuis quelque temps au rang des catéchumènes. Il avait lui-même sollicité cette grâce avant de s’exposer aux hasards du combat, et il la reçut avec joie et recueillement, au milieu des coups de fusils et des cris de guerre qui retentissaient autour de lui. Ce fut la dernière action du père en liberté, et Dieu la bénit; car, après s’être échappé des mains des Iroquois, Bernard resta toujours un fidèle chrétien. Il racontait avec attendrissement la charité héroïque du bon missionnaire dans ce moment critique :

« Je remercie Dieu, disait-il, d’être entré par une telle voie dans son Église, et je n'oublierai jamais ce beau jour. Le dévouement de mon père suffit pour confirmer ma foi. Qui refuserait encore de croire? Il faut que ces hommes qui viennent nous instruire soient bien certains des vérités qu’ils nous enseignent, et que Dieu soit la seule récompense à laquelle ils aspirent, puisque Ondesonk (1) s’oubliait lui-même au moment du plus grand danger pour ne songer qu’à moi. Il cherchait à me baptiser plutôt qu’à se sauver; il m’aimait plus que lui-même; il ne redoutait pas pour lui la mort d’ici-bas; mais il craignait pour moi la mort éternelle. »

Cependant une douzaine de Hurons s’étaient groupés pour tenir ferme et continuer la lutte. Ils résistaient vaillamment, lorsqu’ils virent quarante Iroquois, cachés de l’autre côté du fleuve, venir au secours des premiers. La partie devenait trop inégale; ils lâchèrent pied avec précipitation et sans ordre, abandonnant derrière eux quelques-uns des leurs qui combattaient encore avec acharnement.

A la tête de ceux-ci était René Goupil, ce jeune homme d’une intrépidité si admirable, mais d’une vertu plus grande encore. Il se trouva bientôt presque seul en présence de tous les ennemis. Enveloppé avec les quelques Hurons restés à ses côtés, il fut fait prisonnier avec eux.

Le P. Jogues avait gagné le rivage, et, caché derrière les halliers et les roseaux, à une petite distance du lieu du combat, il en suivait toutes les alternatives, attendant avec résignation le dénoûment.

Dans la recherche des fuyards, les Iroquois passèrent plusieurs fois très-près de lui sans l'apercevoir.

En restant dans cette retraite il eût évité la captivité ; mais écoutons-le exprimer ce qu’éprouva son cœur lorsqu’il vit la défaite complète des Hurons et la prise des dernier guerriers : …

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(1) Nom huron du P. Jogues.

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Message  Louis Jeu 15 Mai 2014, 11:46 am

En restant dans cette retraite il eût évité la captivité ; mais écoutons-le exprimer ce qu’éprouva son cœur lorsqu’il vit la défaite complète des Hurons et la prise des derniers guerriers :

« La pensée de m’échapper ne put jamais entrer dans mon esprit ; d’ailleurs j’étais nu-pieds (1). Comment fuir? Pouvais-je bien abandonner ce bon Français, les autres Hurons captifs, et ceux qui allaient bientôt le devenir, dont plusieurs n’étaient pas encore baptisés ?... »

Il n'hésita pas, et regardant comme providentielle cette occasion de se dévouer pour le service de Dieu et le salut des pauvres Hurons captifs, il se décida à braver tous les bûchers des Iroquois plutôt que d’exposer ses néophytes aux feux de l’enfer. C’était le bon Pasteur qui consentait à mourir pour ses brebis.

Il se lève donc et appelle un des sauvages préposés à la garde des prisonniers : « Apprends, s’écrie-t-il, que je suis un de leurs compagnons de voyage, il est juste que je le sois de leur captivité; tu peux te saisir de moi, c'est de bon cœur que je demande à être associé à leur sort. »

L'Iroquois, craignant une embûche, n’osait pas approcher. Il ne pouvait pas croire à un dévouement aussi généreux et à un pareil témoignage de tendresse; mais rassuré par les gestes de l’homme de Dieu et par son isolement, il se décida à avancer. « Il me saisit par le bras, dit le P. Jogues, me mit au  nombre de ceux que le monde nomme malheureux. J’embrassai tendrement le jeune René en lui disant : 0 mon frère, les desseins de Dieu sur nous sont mystérieux, mais il est le maître. Il a fait ce qu'il a jugé le meilleur; il a accompli sa volonté; que son, nom soit béni à jamais! (Domimis est... quod bonum est in oculissuis hoc fecit (1). Sicut ipsi placuit ita factum est...sit nomen ejus benedictum in sæcula (2). »

Ce jeune homme se jette aussitôt à ses pieds, se confesse et offre à Dieu son sacrifice….

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(1) Les sauvages exigeaient qu'on entrât nu-pieds dans les canots afin de n’y introduire ni terre ni sable. — (1)   Le texte porte : quod bonum est in oculis suis faciat. (I, Reg. VIII, 18). — (2)  Job. I, 21.

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Message  Louis Ven 16 Mai 2014, 2:00 pm

Ce jeune homme se jette aussitôt à ses pieds, se confesse et offre à Dieu son sacrifice. Profitant d’un reste de liberté, le missionnaire achève de disposer les catéchumènes et leur donne le baptême. Cette occupation et l'administration des autres sacrements ne cessaient pas ; car à chaque instant on amenait des fuyards. Quelle consolation pour ces infortunés de retrouver leur Père au milieu d'eux ! la captivité, les tourments et la mort semblaient n’avoir plus rien d’effrayant.

La perte de ce convoi, qui portait de quoi pourvoir aux besoins de la mission huronne pour une année entière, était irréparable. Les missionnaires se voyaient ainsi dénués des choses les plus indispensables pour les premières nécessités de la vie. « Mais Dieu nous console, écrivait dans cette circonstance un de ces ouvriers apostoliques, par l’avancement du spirituel, qui est le seul attrait qui nous amène ici. La foi fait un progrès notable parmi nos Hurons.

« Si cette flotte des chrétiens hurons et des cathécumènes fût arrivée saine et sauve, comme nous l’attendions, la conversion du pays semblait presque infaillible. Ce sont des secrets que nous ne verrons que dans l’éternité. Croiriez-vous bien cependant que nous n’avons jamais pris plus de courage, tant pour le spirituel que pour le temporel, que depuis la prise du P. Jogues et de nos Hurons? Je vois de plus grandes dispositions que jamais à la conversion totale de ces peuples, »


A suivre : chapitre VI.

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Message  Louis Sam 17 Mai 2014, 11:56 am

CHAPITRE VI

Souffrances et résignation du missionnaire. — Supplice de trois
Hurons. — Mort courageuse  et chrétienne.

Le capitaine Eustache, après avoir combattu le dernier, se fraya un passage au milieu des ennemis et s’enfonça dans l’épaisseur du bois. Mais voyant que le missionnaire ne le suivait pas, il se reprocha sa fuite et ne put se résoudre à s’en séparer pour toujours. Se rappelant sa promesse de ne l’abandonner jamais, il préféra se livrer à ses bourreaux plutôt que de la violer. Il revint donc pour le chercher, mais il ne le trouva qu’en partageant ses fers. Il imitait, sans le savoir, le noble dévouement de son guide et de son modèle. « 0 mon Père, s'écria-t-il en se jetant dans ses bras, je t’avais juré que je vivrais et mourrais près de toi, nous voilà encore ensemble ! » Le missionnaire le serra sur son cœur et le couvrit de ses larmes.

« Je ne sais, écrit le P. Jogues, ce que je répondis à ces touchantes paroles, tant j’étais ému et tant mon âme était abattue par la douleur. »

L’un des Français, Guillaume Couture, avait aussi vaillamment soutenu le premier choc des Iroquois. Mais, entraîné par les Hurons qui l’entouraient, il chercha avec eux un refuge dans la forêt voisine. Jeune et agile, il se vit bientôt hors de la portée des balles et en lieu de sûreté. Là son cœur fut déchiré par le remords. Il ne se pardonnait pas d’avoir fui loin de son père chéri, et de le laisser exposé à la rage des sauvages. Il s’arrête, incertain s’il reviendra sur ses pas ou s’il continuera à s’éloigner. La générosité l’emporte, et il se décide à voler au secours de ses frères ou à partager leur sort. Au moment où il se retourne, il se trouve en face de cinq Iroquois. L’un d’eux le met en joue; mais l’amorce seule prend feu. Guillaume tire à son tour, et étend son adversaire roide mort. C’était un capitaine. Les quatre autres se jettent sur lui avec une fureur de démons, le dépouillent de ses vêtements, le frappent de leurs bâtons, lui arrachent les ongles, écrasent avec leurs dents les extrémités de ses doigts, et transpercent avec une épée la main qui a porté le coup fatal. Ce courageux jeune homme souffrit tout avec une patience admirable. Il supporta même avec joie sa dernière blessure en souvenir des plaies de son Sauveur, ainsi qu’il l’avoua depuis au P. Jogues.

« Plût à Dieu, s’écrie ici le P. Jogues, qu’il se fût échappé et qu’il ne fût pas venu augmenter le nombre des infortunés ! Dans ces circonstances, ce n’est plus une consolation de voir des compagnons partager ses douleurs, surtout lorsqu’on les aime comme soi-même. Mais tels sont les hommes qui, bien que séculiers et sans motif d’intérêt terrestre, se dévouent au service de Dieu et de la Compagnie de Jésus dans la mission huronne. »

Cependant les Iroquois garrottent leur prisonnier…

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Message  Louis Dim 18 Mai 2014, 12:39 pm

Cependant les Iroquois garrottent leur prisonnier, et fiers d’avoir entre leurs mains un Français, ils le réunissent aux autres captifs.

« Aussitôt que je l’aperçus, dit le P. Jogues, lié et dépouillé de tout vêtement, je ne pus me retenir, et laissant là mes gardiens, je traversai la troupe des ennemis qui le conduisaient. Je me jetai à son cou en lui disant : Ah ! courage, mon cher Guillaume ; courage, mon cher frère ! C'est maintenant que je vous chéris plus que jamais, puisque la divine bonté vous fait la faveur de souffrir pour son saint nom. Que ce commencement de peines et de douleurs n’ébranle pas votre constance. Les tourments seront grands, mais ils finiront bientôt, et la gloire qui les suivra ne finira jamais. »

A ces paroles entrecoupées de sanglots, Couture répondit : « Ne craignez pas, mon Père, la bonté de Dieu me fait trop de grâces. Je ne les mérite pas et je mérite encore moins la constance que je sens dans mon intérieur. J’espère que celui qui me la donne la continuera. » (Mss. du P. Buteux.)

Les sauvages témoins de ces transports de charité furent stupéfaits, et ils se sentirent au premier moment touchés de compassion; mais, ne pouvant croire à des sentiments si étrangers aux leurs, ils se figurèrent que le missionnaire félicitait ce jeune homme d’avoir donné la mort à un de leurs chefs. Ils se jettent donc aussi sur l’homme de Dieu, le dépouillent de ses vêtements, à l’exception de sa chemise, et déchargent sur tout son corps une grêle de coups de poing, de bâton et de massue. Le P. Jogues tombe à terre à demi mort. Il reprenait haleine lorsque deux jeunes Iroquois, qui ne s’étaient pas trouvé là pour frapper avec les autres, s’approchent de lui, comme deux bêtes fauves, arrachent ses ongles avec leurs dents et mâchent l’extrémité des deux index, jusqu’à ce qu’ils en eussent tiré les os.

Le bon René Goupil fut traité avec la même cruauté. Les sauvages se vengeaient sur les Français du traité de paix repoussé l’année précédente; mais ces actes de férocité n’étaient que le prélude de ceux qui allaient suivre.

Lorsque tous les coureurs qui avaient poursuivi les fuyards furent réunis, la bande entière se hâta de traverser le fleuve avec les prisonniers jusqu’à l’entrée de la rivière des Iroquois (1). Là ils étaient plus en sûreté, et ils s’arrêtèrent pour partager le butin. Il était assez considérable. Outre ce que chaque Français apportait pour lui-même, il y avait vingt paquets remplis d’objets d’église, de vêtements, de livres et autres choses pour les missionnaires. Ce trésor si précieux pour la mission n'était pas d’une grande utilité pour des sauvages; mais ces objets avaient pour eux l’attrait piquant de la nouveauté, et ils étaient fiers de les avoir enlevés à des Français. En s’appropriant ces richesses, ils ne cessaient de pousser des cris de joie, et toute leur attention était concentrée sur leur trésor. Ce partage fut un moment de trêve pour les prisonniers, et le Père Jogues en profita pour les consoler, les fortifier et leur prodiguer les secours de la religion; ils restaient vingt-trois.

Avant de s’éloigner de ce rivage, les Iroquois, selon leur coutume, gravèrent sur les arbres l’histoire de cet événement important. À l’aide d’un genre de lignes grossières et hiéroglyphiques, ils faisaient connaître leur victoire, le nombre et la qualité de leurs captifs. Il était facile de distinguer le P. Jogues parmi les autres. Les chrétiens qui découvrirent peu après ce triste monument voulurent en perpétuer et en sanctifier le souvenir. Ils élevèrent une croix en ce lieu. Il était juste que le signe de la rédemption marquât aussi la route de ces héros de la foi.

Après avoir distribué leur butin, les Iroquois se préparaient à entrer dans leurs canots avec leurs prisonniers pour gagner leur pays.

Au moment de l'embarquement...

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(1) Aujourd'hui rivière de Richelieu, rivière de Sorel ou rivière de Chambly. Elle sort du lac Champlain et se jette dans le Saint-Laurent.

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Message  Louis Lun 19 Mai 2014, 11:25 am

Au moment de l'embarquement, Ondouterraon, vieillard de quatre-vingts ans que le missionnaire venait de baptiser, leur dit : « A mon âge on ne va  pas visiter des pays étrangers, et on ne s’habitue pas à une existence nouvelle. Si vous voulez me faire périr, pourquoi ne me donnez-vous pas ici la mort? » Il ne l’attendit pas longtemps, et un coup de casse-tête l’assomma au même instant.

Les Iroquois se mirent enfin en route, et après avoir remonté la rivière qui porte leur nom, ils entrèrent dans le lac Champlain (1), qu’il fallait parcourir dans toute sa longueur. Ce voyage fut pour les prisonniers une occasion de nouvelles tortures.

Ils passaient souvent des jours entiers sans nourriture, et les nuits sans sommeil. La faim la chaleur, les plaies purulentes rongées déjà par les vers et laissées à découvert, les cruelles piqûres d’une nuée de maringouins, rendaient leur position horrible. Quelquefois liés au fond des canots ou attachés à des piquets, ils ne pouvaient prendre un instant de repos, leurs farouches geôliers, les jeunes gens surtout, se glissaient souvent près d’eux et s’amusaient à irriter et à envenimer les plaies des doigts ou des parties les plus sensibles du corps, en y enfonçant leurs ongles longs et aigus, ou en les piquant avec des alênes. Ils se plaisaient surtout à tourmenter l’homme de Dieu et à lui arracher la barbe et les cheveux. À ses souffrances si cruelles s’ajoutaient dans son cœur des douleurs peut-être plus poignantes.

« Mon cœur souffrait bien plus encore, écrit le P. Jogues, quand je contemplais cette troupe de chrétiens parmi lesquels je voyais cinq anciens néophytes et les principaux soutiens de l'Église naissante des Hurons. Une ou deux fois, je l’avouerai avec simplicité, je ne pus retenir mes larmes. J’étais affligé de leur sort et de celui de mes compagnons, et l’avenir me remplissait d’inquiétude. Je voyais en effet les Iroquois mettre une barrière au progrès de la foi chez un grand nombre d’autres peuples, à moins d’une intervention toute spéciale de la divine Providence. »

L’unique consolation du P. Jogues, au milieu de tant d’afflictions était de voir les heureuses dispositions de ses compagnons et de pouvoir les soutenir par ses charitables conseils : ils en avaient besoin, car ils n’étaient qu’au début de leurs épreuves.

Le huitième jour du voyage, ils rencontrèrent deux  Iroquois avant-coureurs, qui leur annoncèrent qu’à une journée de là étaient campés, dans une île, deux cents Iroquois en marche pour la guerre. Nos voyageurs hâtèrent le pas pour les rejoindre, et les captifs purent dès lors prévoir qu’ils allaient subir de nouveaux tourments. C’est en effet un préjugé chez les sauvages qu’il faut préluder à la guerre par la cruauté, et que le mauvais traitement fait aux prisonniers est la mesure du succès. Les faits vont tristement confirmer toute la puissance de cette idée fanatique.

A la vue du convoi des prisonniers…


______________________________________________________

(1) Ce lac doit son nom à l’illustre Champlain, qui en fit la découverte en 1609 et défît les Iroquois sur ses rives. Certains sauvages rappelaient Patawabouque, c’est-à-dire alternation d’eau et de terre, par allusion au grand nombre d'îles ou de pointes qui s’y trouvent; d’autres Canadieri-guarunte, c’est-à-dire les lèvres ou la porte du pays. En effet, c’est le chemin qui conduit du bassin où coule l’Hudson à celui qu’arrose le Saint-Laurent. Il a porté aussi plus tard le nom de lac Corlar, en mémoire du Gouverneur de la petite ville de Corlar, aujourd’hui Schenectady.

En 1665, ce Gouverneur, dont le vrai nom est Arendt-Van-Curler, avait sauvé une troupe de guerriers canadiens de la fureur des Iroquois qui voulaient les massacrer. Il périt dans les eaux de ce lac en venant visiter le Gouverneur français. Le lac Champlain a plus de cent kilomètres de longueur, de Saint Jean à Witehall. Sa largeur varie de un à treize kilomètres. Les événements de la guerre franco-anglaise, avant la conquête du Canada, et ceux de la guerre anglo-américaine ont rendu célèbres plusieurs points de ses rivages.

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Message  Louis Mar 20 Mai 2014, 2:33 pm

A la vue du convoi des prisonniers, les sauvages poussent des cris de joie et commencent par remercier le soleil, qu'ils regardent comme le dieu de la guerre, d’avoir fait tomber leurs ennemis entre les mains de leurs compatriotes, et, en signe d’allégresse, ils font une décharge générale de leurs arquebuses. Un théâtre fut promptement dressé sur un coteau voisin, et chacun coupa dans le bois, selon sa fantaisie, des bâtons ou des épines pour les recevoir dignement.

Avant de débarquer et de s’avancer entre la double haie formée par les bourreaux depuis le rivage jusqu’au théâtre, les victimes furent dépouillées de leurs vêtements.

Le missionnaire fut débarqué le dernier, pour que sa marche plus lente et son isolement permissent de le frapper plus à loisir.

Laissons le P. Jogues nous raconter lui-même cette horrible scène : « Ils nous accablèrent de tant de coups que je tombai à terre sous leur nombre et leur cruauté, au milieu du chemin pierreux qui conduisait à la colline. Je crus que j’allais mourir dans cet affreux traitement. Aussi, soit par faiblesse, soit par lâcheté, je ne me relevai pas.

« Dieu seul, pour l’amour et la gloire de qui il est doux et honorable de souffrir ainsi, sait pendant combien de temps et avec quelle barbarie ils me frappèrent.

« Une cruelle compassion les fit s’arrêter, afin de pouvoir m’amener vivant dans leur pays. Ils me portèrent sur le théâtre, à moitié mort et tout ensanglanté. Quand ils me virent reprendre un peu mes sens, ils me firent descendre pour m’accabler d’injures, d’invectives, et d’une grêle de coups sur la tête, sur le dos et sur tout le corps.

« Je ne finirais pas si je voulais raconter tout ce que nous eûmes à souffrir, nous autres Français. Ils me brûlèrent un doigt et en broyèrent un autre avec les dents. Ceux qui l’avaient déjà été furent tordus avec violence, de telle sorte qu’après leur guérison, ils sont restés horriblement difformes. Le sort de mes compagnons ne fut pas meilleur.

« Dieu nous fit bien voir qu’il prenait soin de nous et qu’il voulait non nous décourager, mais nous éprouver. En effet, un de ces sauvages insatiable de sang et de cruauté vint à moi, qui me tenais à peine sur mes jambes, et me saisissant le nez d’une main, il se prépara à le couper avec un grand couteau qu’il avait dans l’autre. Que faire? Persuadé que j’allais être bientôt brûlé à petit feu, j’attends le coup immobile, me contentant de pousser intérieurement un cri vers le ciel; mais une force secrète l’arrête et lui fait lâcher prise. « Environ un quart d’heure après, il revient encore à moi, comme s’il avait rougi de sa faiblesse et de sa lâcheté, et se met en devoir d’exécuter son dessein. Il se sent de nouveau repoussé par une force invisible, et se retire. S'il eût passé outre, j’aurais été mis à mort immédiatement. Les sauvages ne laissent pas longtemps la vie à ceux qui sont ainsi défigurés. (Mss. 1652.)

En racontant au P. Buteux cet épisode de son supplice, l’homme de Dieu…


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Message  Louis Mer 21 Mai 2014, 11:26 am

En racontant au P. Buteux cet épisode de son supplice, l’homme de Dieu ajouta que loin de s’étonner du projet de ce barbare, il lui parut comme l’instrument de la justice et de la miséricorde divine, et qu’il dit à Dieu du fond de son cœur : « Seigneur, prenez non-seulement le nez, mais la tête. »

Le plus maltraité parmi les Hurons fut le brave et fervent Eustache. Ses bourreaux lui coupèrent les deux pouces, et par la plaie de la main gauche ils enfoncèrent jusqu’au coude un bâton très-aigu. Il souffrit ce traitement en vrai héros chrétien; mais le P. Jogues, qui avait été comme insensible à ses propres douleurs, ne put retenir ses larmes à la vue des douleurs de son enfant.

Le fier néophyte s’en aperçut, et s’adressant à ses ennemis : « Ne croyez pas, leur dit-il, que ces pleurs viennent de faiblesse, non. Ce n’est pas le manque de courage qui les fait couler, c’est son amour et son affection pour moi. Dans ses propres douleurs, vous ne l’avez pas vu pleurer. »

« Il est vrai, repartit le missionnaire attendri, que tes souffrances me sont plus sensibles que les miennes; et malgré mes blessures, mon corps est moins affligé que mon cœur. Courage, mon pauvre frère, n’oublie pas qu’il y a une autre vie ; Dieu qui voit tout, nous récompensera un jour de ce que nous aurons enduré pour lui. — Je m’en souviens très-bien, répondit Eustache, et je tiendrai ferme jusqu’à la mort. » Et le disciple, digne du maître, fut un prodige de patience, de résignation et de constance.

Les sauvages ne passèrent qu’une nuit dans cette île. Ils reprenaient leur route le lendemain matin, les uns vers le Saint-Laurent, les autres vers les cantons iroquois. Ceux-ci rencontrèrent encore d’autres guerriers en marche contre les Français, et les infortunés prisonniers avaient toujours à payer le tribut du sang aux nouveaux venus.

Le convoi lugubre et sanglant continua sa route sur le lac jusqu’à la pointe de Ticondéroga, aujourd’hui Carillon (1), où les sauvages ne manquaient jamais de faire une station.

Ici les sauvages mettent pied à terre pour ramasser quelques pierres à fusil très-nombreuses sur le rivage, et satisfaire à une de leurs pratiques superstitieuses, qui consistait à jeter dans le lac quelques morceaux de tabac. Ils étaient en effet dans la persuasion qu'à cette pointe habitait sous l'eau une nation d'hommes invisibles, qui préparaient ces pierres et les plaçaient là pour les voyageurs, à condition qu’on leur donnerait du tabac. Si l’offrande était mesquine, ils se fâchaient, soulevaient les flots et causaient des naufrages. Ce malheur arrivait assez souvent en ce lieu quand les vents étaient violents, et c’est là sans doute l’origine de cette fabuleuse croyance qui rappelle les traditions de l’antiquité païenne.

Le P. Jogues ne pouvait que gémir pour une aussi aveugle crédulité…

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(1) Une glorieuse victoire de Montcalm a rendu ce nom célèbre.


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Message  Louis Jeu 22 Mai 2014, 11:36 am

Le P. Jogues ne pouvait que gémir pour une aussi aveugle crédulité. Il ne savait pas assez la langue de ces peuples pour pouvoir les désabuser; mais il fit des vœux pour que la lumière de la foi vînt dissiper d’aussi épaisses ténèbres.

Nos Iroquois atteignirent en un jour la pointe sud du lac George; c’était le 10 août. Il restait quatre jours de marche par terre pour arriver au premier village iroquois. Une chaleur excessive et le triste état des prisonniers leur rendirent ce trajet très-pénible. On leur fît porter une grande partie des bagages. Sans souci de sa faiblesse et de sa fatigue, le gardien du P. Jogues mit une partie de son fardeau sur ses épaules meurtries et sanglantes.

« Cependant, ajoute le P. Jogues avec un admirable sentiment de charité et d’humilité, je fus un peu ménagé, soit à cause de ma faiblesse, soit à cause du peu de cas que j’en paraissais faire (tant j’avais d’orgueil jusque dans la captivité et en présence de la mort!). »

Ce qui augmentait la fatigue de cette marche, c’était la privation complète de nourriture, toutes les provisions étant épuisées. Les voyageurs étaient réduits à quelques fruits sauvages cueillis dans les bois.

Le second jour, les prisonniers espérèrent enfin recevoir quelque soulagement. Ils virent allumer les feux dans le lieu où l’on cabanait, et préparer les chaudières. Ils crurent qu’un chasseur avait rapporté du gibier et qu’on allait le faire cuire. Vaine attente! Pour tromper leur faim, les sauvages se contentaient d’avaler copieusement de l’eau tiède. Il fallut encore se coucher sans souper, et partir le lendemain à jeun.

La faim faisait doubler le pas aux sauvages, mais les Français, épuisés par leurs douleurs, ralentissaient le pas malgré eux. A l’entrée de la nuit, étant en arrière seul avec René Goupil, à une assez grande distance, le P. Jogues lui conseilla de se cacher dans les bois et de se soustraire à ses bourreaux. « Et vous, mon père, que ferez-vous? dit le pieux jeune homme. — Pour moi, lui répondit le missionnaire, je ne le puis, je souffrirai tout plutôt que d’abandonner, à l’approche de la mort, ceux que je puis au moins consoler et nourrir du sang de mon Sauveur par les sacrements de l’Église. — Laissez-moi donc alors mourir avec vous, mon père! repartit le pieux René, car je ne puis non plus me séparer de vous. »

Un jeune sauvage les voyant avancer si lentement, vint à eux, et leur reprochant leur lenteur, leur ordonna d’ôter leurs culottes sous le prétexte qu’elles gênaient leur marche. Il fallut continuer le voyage en chemise, avec un mauvais caleçon.

Le convoi arriva bientôt à une petite rivière nommée Oiogue, c’est-à-dire belle rivière, qu’il fallait traverser. Les eaux n’étaient pas très-rapides, mais elles étaient assez profondes. Les sauvages s’y jetèrent à l’envi. Ils forcèrent aussi le P. Jogues à y entrer, sans s’informer s’il pouvait la passer seul. Heureusement il savait nager, sans cela il aurait infailliblement péri (1).

Avant de suivre le P. Jogues chez les Agniers…

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(1) Mss. du P. Buteux.

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Message  Louis Ven 23 Mai 2014, 1:03 pm

Avant de suivre le P. Jogues chez les Agniers, que les Hollandais appelaient Maquois et les Anglais Mohawks , il est bon de connaître leur position géographique et leurs villages. Ce canton était le premier des cantons iroquois à l’est. Au nord il touchait à la colonie française, et au sud à celle des Hollandais.

Leurs villages occupaient la rive droite de la rivière des Mohawks. Trois d’entre eux sont connus, mais il est fait quelquefois mention d’un quatrième dont la position est difficile à déterminer. L’altération et le changement de leurs noms jettent souvent de la confusion dans l’histoire.

Le premier de ces villages à l’est était à quarante ou quarante-huit kilomètres de Renselaerswich (auj. Albany). Il se nommait Ossérion, Ossernenon ou Oneougiouré et enfin la Sainte-Trinité, toujours d’après le P. Jogues. Il deviendra plus tard Cahniaga, Gandawague, Caagnawaga, ou même Anié, et enfin Saint-Pierre en 1674. — Il avait deux enceintes de palissades et comptait environ vingt-quatre grandes cabanes, ce qui suppose environ six cents habitants.

Le second village, à quatre ou huit kilomètres plus haut, était Andagaron ou Gandagaro.

Le troisième et le plus grand, seize kilomètres plus haut, était Tionnontoguen ou Tionnontego. Il devint plus tard Sainte-Marie.

Enfin, après treize jours (1) de marche, la veille de l’Assomption de la très-sainte Vierge, à trois heures après midi, nos voyageurs arrivaient sur les bords de la seconde rivière, à un kilomètre du premier village, nommé Ossernenon.

Le signal d’usage, donné de loin avec les grandes conques marines percées à leur extrémité, avait été compris, et toute la population s'était portée sur la rive pour recevoir les prisonniers. Tous, hommes, femmes, jeunes gens, enfants, étaient armés de bâtons ou de baguettes de fer qui servaient aux arquebuses. « J’avais toujours pensé, dit le missionnaire, que le jour de cette grande joie du ciel serait pour nous un jour de douleurs, et j’en remerciais mon Sauveur Jésus, car les joies du ciel ne s’achètent que par la participation à ses souffrances. »

En effet les prisonniers furent accueillis par une grêle de coups, et comme une tête chauve est un objet odieux pour ces barbares, celle du P. Jogues lui attira une part plus abondante de cruautés. Ses chairs furent tailladées ou déchiquetées jusqu’aux os avec les ongles. En les apercevant, un Huron, ancien captif qui avait reçu la liberté, leur cria : « Français, vous êtes perdus; il n’y a pas d’espérance pour vous. Disposez-vous à la mort, les bûchers sont prêts, vous serez brûlés. » C’était par un sentiment bien naturel de compassion pour ses compatriotes et ses anciens alliés, qu’il les prévenait ainsi du sort qui les attendait.

Quelques Iroquois semblèrent même s’apitoyer sur leur sort…

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(1) Le P. Bressani dans son texte italien, et le P. Alegambe ( Mortes illustres , p. 622.) mettent dix-huit jours . Le P. Charlevoix dit quatre semaines ; mais le contexte du récit du P. Jogues suffit pour relever cette erreur, qui ne se trouve d’ailleurs ni dans la Relation 1646-47, ni dans le précieux manuscrit de 1652.

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Message  Louis Sam 24 Mai 2014, 11:23 am

Quelques Iroquois semblèrent même s’apitoyer sur leur sort, en les voyant tout couverts de sang. Tout dur qu’il était, le sauvage maître du Père s’approcha de lui et lui dit, en essuyant le sang de son visage : « Mon frère, dans quel triste état tu es ! » Cette compassion feinte ou réelle fut un soulagement pour le captif, qui la reçut comme un bienfait du ciel.

Cependant, après avoir traversé la rivière et avant de gravir la colline sur laquelle le village était élevé, les sauvages s’arrêtèrent un moment pour remercier le soleil de leur heureux voyage et de leur riche proie. Puis ils organisèrent cette marche à la fois lugubre et triomphale.

En tête des prisonniers marchait Couture, comme le plus criminel, pour avoir tué un chef de distinction. Après lui venaient les Hurons, à égale distance les uns des autres, et au milieu d’eux était Goupil. Le père Jogues marchait le dernier.

Des Iroquois s’étaient répandus dans les rangs pour ralentir le pas des prisonniers et donner aux bourreaux, qui formaient la haie, tout le loisir de frapper à leur aise.

Un des capitaines harangua alors la jeunesse et l’exhorta à bien saluer les captifs ; c’était une des expressions ironiquement cruelles en usage pour le barbare accueil des prisonniers.

« À la vue de ces appareils qui rappelaient la Passion, nous dit le P. Jogues, nous nous souvînmes de ce passage de saint Augustin : Celui qui fuit les rangs de ceux qui souffrent ne mérite pas de compter au nombre des enfants, qui eximit se à numero flagellalorum eximit se à numero filiorum. Nous nous offrîmes donc d’un grand cœur à la bonté paternelle de Dieu, comme des victimes immolées a son bon plaisir et à sa colère amoureuse pour le salut de ces peuples. »

Au signal donné, la colonne s’ébranle dans ce chemin étroit du Paradis, comme l'appelle le saint missionnaire. En même temps tous les bras se lèvent et s’agitent, et une grêle de coups tombe sur les victimes. Le P. Jogues croit voir son Sauveur dans le supplice de la flagellation, et il se disait en empruntant les paroles de David : « Les pécheurs ont frappé longtemps et cruellement sur mes épaules comme le forgeron sur le fer. » (Ps. cxxviii, 3.)

Le bon René, horriblement défiguré, brisé et noyé dans son sang, tomba épuisé. Dans sa figure il ne lui restait de blanc que les yeux. Il n’eut pas la force de monter sur l’échafaud, il fallut l’y porter. « Dans cet état, ajoute le P. Jogues, il était d’autant plus beau à nos yeux qu’il ressemblait à celui de qui il est écrit : Putavimus eum quasi leprosum, percussum à Deo; non est ei spccies neque decor (Nous l’avons regardé comme un lépreux frappé de Dieu en qui il n’y a plus ni beauté, ni éclat). (Is. LIII, 4.)

Le P. Jogues eut encore quelque chose de plus à souffrir. Une boule de fer d’un kilogramme, attachée au bout d’une corde, fut lancée avec force et l’atteignit au milieu des reins. Il fut renversé sur le coup comme mort; mais, reprenant bientôt haleine, et recueillant toutes ses forces, il se releva courageusement et gagna l’échafaud.

Lorsque les prisonniers furent tous arrivés…


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Message  Louis Dim 25 Mai 2014, 12:06 pm

Lorsque les prisonniers furent tous arrivés sur ce théâtre d’horreur qui devait être pour eux un théâtre de gloire, ils eurent un moment de répit; mais il ne fut pas long, et un capitaine éleva encore la voix pour inviter la jeunesse à caresser les Français. « Ce sont des traîtres, poursuivit-il, ils ont manqué à leurs promesses ; ils ont tué les Iroquois. »

Alors monte sur le théâtre un homme armé d’un long bâton, et il en décharge avec sang-froid trois grands coups sur le dos des Français, et voyant que le missionnaire avait encore deux ongles entiers, il les lui arrache avec les dents. Puis les sauvages, s’armant de leurs couteaux, s’élancent pour couper les doigts des captifs ou leur enlever des lambeaux de chair; et comme leur cruauté se mesure sur l’importance de la victime, ils traitèrent le missionnaire en capitaine, en le maltraitant plus que les autres. Le respect dont il était entouré par ses compagnons lui valait cet honneur.

Peu après un vieillard, célèbre magicien du pays et ennemi acharné des Français, monta sur le théâtre, suivi d’une femme algonquine chrétienne nommée Jeanne, captive depuis peu de mois, et lui ordonna de couper le pouce gauche du P. Jogues. « Car c’est lui que je hais le plus», ajouta-t-il. Trois fois la pauvre femme recula d’horreur ; enfin, menacée de perdre la vie, elle obéit. D’une main tremblante et le cœur serré, elle détacha ou plutôt scia à sa racine le pouce désigné, et le jeta à terre. L’homme de Dieu ne poussa pas un soupir. « Je ramassai ce membre coupé, dit-il, et je vous le présentai, ô Dieu vivant et véritable, en mémoire des sacrifices que depuis sept ans j’avais offerts sur l’autel de votre Église, et comme une expiation du manquement d’amour et de respect que j'avais eu en touchant votre saint corps. » Mais Couture l’ayant aperçu s’empressa de l’avertir que, si les Iroquois le voyaient, ils étaient capables de le forcer à manger son pouce tout sanglant; il se hâta de le jeter loin de lui.

« Je bénis le Seigneur, ajoute ici le P. Jogues, de ce qu’il a bien voulu me laisser le pouce droit, afin que par cette lettre je puisse prier mes RR. PP. et mes FF. d’offrir pour nous leurs saints sacrifices, leurs prières, leurs bonnes œuvres et leurs oraisons dans la sainte Église de Dieu, à laquelle nous sommes devenus chers par deux titres nouveaux, puisqu’elle prie souvent pour les affligés et les captifs. »

René Goupil subit le même supplice….



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Message  Louis Lun 26 Mai 2014, 11:45 am

René Goupil subit le même supplice. Avec une écaille d’huître on lui coupa le pouce droit à la première phalange, et pendant cette cruelle opération, on ne l’entendit que répéter à haute voix les noms sacrés de Jésus, de Marie et de Joseph.

De ces plaies le sang coulait comme de deux fontaines, et la mort aurait suivi bientôt. Mais un sauvage s’en aperçut, et, soit par pitié, soit plutôt désir de prolonger le spectacle avec la vie des victimes, il monta sur l’échafaud, étancha les blessures, et, déchirant un morceau de la chemise du missionnaire, enveloppa son pouce et celui de René. Ce simple appareil suffit, et Dieu permit qu’il suppléât au meilleur pansement. Pendant que le Père recevait ces soins, une femme vint lui enlever les souliers et les mauvais bas qu’on lui avait laissés jusque-là.

Le soir venu, on fit descendre les prisonniers et on les conduisit dans une cabane pour passer la nuit. De leur côté, les sauvages se retirèrent pour prendre un peu de repos, après avoir donné à leurs victimes quelques épis de blé d’Inde rôtis et un peu d’eau blanchie avec de la farine. C’était peu de chose après un si long jeûne et un pareil épuisement de forces, mais c’était assez pour leur prolonger la vie, et assurer par conséquent à leurs bourreaux le cruel plaisir de pouvoir recommencer le supplice.

Loin d’être un moment de repos pour les captifs, la nuit fut l’occasion de nouvelles tortures. Ils la passèrent étendus à terre, et liés par les mains et les pieds à quatre pieux plantés en terre. Dans cette posture ils ne pouvaient se donner aucun mouvement, et cependant ils se virent bientôt assaillis par de nombreux insectes et par la vermine que la malpropreté des sauvages attire et entretient dans leurs cases.

Un tourment plus douloureux encore fut…

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Message  Louis Mar 27 Mai 2014, 11:51 am

Un tourment plus douloureux encore fut celui que leur firent subir alors les petits enfants sauvages. On les laissait s’approcher des prisonniers et faire avec eux comme leur apprentissage de cruauté. Ils ne s’en acquittaient malheureusement que trop bien. Ils s’amusaient à enfoncer des poinçons dans les chairs molles, à raviver les plaies pour faire couler le sang, ou bien ils mettaient sur le corps des captifs des charbons ardents et des cendres brûlantes, et prenaient un cruel plaisir à voir les efforts impuissants de leurs victimes pour s’en débarrasser.

Fiers de leur victoire, les vainqueurs mirent leur orgueil à montrer leurs trophées dans les autres villages agniers.

Ils conduisirent d’abord leurs prisonniers dans le village voisin nommé Andagaron, à sept à huit kilomètres de distance. Dans le chemin, l’homme de Dieu eut à subir une nouvelle humiliation. Voici comme il la raconte : « Mon gardien craignant sans doute de ne pas pouvoir se saisir plus tard de ma chemise, me l’enleva. Il me laissait partir dans cet état de nudité, n’ayant plus sur moi qu’un vieux et mauvais caleçon. Quand je me vis dans cet état, je n’eus pas peur de lui dire : Pourquoi donc, mon frère, me dépouilles-tu ainsi, toi qui possèdes déjà tout mon bagage ?

« Le barbare eut pitié de moi, et me donna une grosse toile qui servait à envelopper mes paquets. J’en avais assez pour me couvrir les épaules et une partie du dos, mais mes plaies déjà ulcérées ne me permirent pas de supporter ce rude et grossier tissu. Le soleil était si ardent que pendant la route ma peau fut brûlée comme dans un four, et celle du cou et des bras tomba bientôt toute desséchée. »

La réception des prisonniers dans ce village ressembla à celle qu’ils avaient déjà eue, et quoique selon l'usage ils ne passent pas plus de deux fois par la bastonnade, non-seulement elle ne leur fut pas épargnée, mais on y ajouta un raffinement de cruauté. Comme la foule était moins nombreuse, les bourreaux pouvaient mieux ajuster leurs coups. Ils s’appliquaient surtout à frapper sur le devant des jambes, et ils les couvrirent de meurtrissures en causant de cuisantes douleurs.

Les prisonniers restèrent deux nuits et deux jours dans ce village, le jour sur le théâtre, en butte à tous les genres d’insultes, d’injures et de mauvais traitements, et la nuit dans une cabane, à la merci des enfants.

Écoutons le P. Jogues nous raconter…

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Message  Louis Mer 28 Mai 2014, 11:09 am

Écoutons le P. Jogues nous raconter, avec une aimable candeur, les sentiments qui occupèrent alors son âme, et qui nous le peignent si bien dans son rôle d’apôtre et de martyr :

« Mon âme se trouva alors dans les plus grandes angoisses. Je voyais nos ennemis monter sur le théâtre, couper les doigts de mes compagnons, serrer leurs poignets avec des cordes, mais avec tant de violence qu’ils tombaient en défaillance. Je ressentais les maux de tous, et j’étais aussi affligé que pouvait l’être un père très-tendre, témoin des douleurs de ses  propres enfants. A l'exception de quelques anciens chrétiens, je les avais engendrés tous à Jésus-Christ par le baptême.

« Malgré mes douleurs, le Seigneur me donnait assez de force pour consoler les Français et les Hurons, qui souffraient avec moi. Dans la route comme sur le théâtre, je les exhortais tantôt en particulier, tantôt en commun, à souffrir avec résignation et confiance ces supplices, dont ils seraient un jour abondamment récompensés (1), et à ne pas oublier qu'il faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le royaume des cieux (2). Je leur disais que pour eux le temps prédit par la Seigneur était arrivé : Vous serez affligés et vous pleurerez; le monde au contraire se réjouira. Mais votre tristesse se changera en joie (3). J'ajoutais encore : La femme en travail souffre parce que l'heure est venue; mais quand elle est délivrée, la joie d'avoir un enfant lui fait oublier toutes ses douleurs (4). Ainsi croyez fermement qu’après ces quelques jours de souffrances, vous goûterez une joie éternelle.

« Assurément c'était pour moi un grand et juste sujet de consolations de les voir si bien préparés, surtout les vieux chrétiens, Joseph, Eustache et les deux autres (5). Théodore s'était échappé le jour où nous arrivâmes au premier village; mais comme une balle lui avait brisé l'épaule dans le combat, il mourut en cherchant à atteindre la colonie française. »

Les prisonniers furent conduits ensuite à Tionnontoguen, troisième village agnier, à seize kilomètres environ d'Andagaron. On leur fit le même accueil que dans les autres villages, mais avec un peu moins de cruauté.

En montant sur le théâtre où on devait les donner en spectacle, le P. Jogues fit une rencontre bien sensible pour son cœur. Il y trouva quatre nouveaux prisonniers hurons déjà préparés pour le supplice.

Ces malheureux étaient destinés à la mort, mais…


_______________________________________________

(1) Hebr. x, 35. — (2) Act. xiv, 21. — (3) Joan. xvi, 20. — (4)  Joan. xvi, 21. — (5)   Joseph Taondechoren., Eustache Ahasistari , Charles Tsondatsaa et Etienne Totiri.


Dernière édition par Louis le Jeu 25 Mai 2017, 1:35 pm, édité 1 fois (Raison : Mettre les liens dans la note 5.)

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Message  Louis Jeu 29 Mai 2014, 12:54 pm

Ces malheureux étaient destinés à la mort, mais ils étaient païens. Le serviteur de Dieu fut touché de leur état, et voulut au moins essayer de soulager leurs âmes. Il s’approcha d’eux, et n’eut pas de peine à gagner leur cœur par l’intérêt qu’il prit à leur sort. Ils le voyaient oublier ses propres souffrances pour s’occuper des leurs. Sur le seuil de leur éternité, ils ne refusèrent pas d’entendre parler d’espérance.

Quand le missionnaire les vit disposés à entendre la bonne parole, il se hâta de les instruire des principales vérités de la foi, et il put presque aussitôt donner le baptême à deux d'entre eux avec quelques gouttes d’eau, restées à la suite de la pluie sur les feuilles des épis de blé d’Inde qu’on leur avait servis pour nourriture.

Les deux autres, condamnés à périr dans le quatrième village, furent régénérés dans les eaux sacrées en traversant un ruisseau qui y conduisait.

Ces consolations de la foi que Dieu donnait au cœur d'apôtre de son serviteur, soutenaient son courage. Il allait en avoir besoin sur ce nouveau théâtre de douleur. La température avait changé, et à des pluies abondantes avait succédé un air froid et vif qui fit beaucoup souffrir les prisonniers dans l’état de nudité où ils étaient. Les plaies devenaient bien plus sensibles.

Le bon Guillaume Couture n'avait encore perdu aucun de ses doigts. Un sauvage se chargea de réparer cet oubli; avec un morceau de coquillage en guise de couteau, il lui scia la moitié de l'index droit, et comme il ne pouvait pas couper le nerf trop dur et trop glissant, il le lui arracha en tirant avec une telle violence que le bras enfla prodigieusement jusqu'au coude.

Le supplice de la nuit, confié à la jeunesse, fut un des plus cruels. « Nos bourreaux, ajoute le P. Jogues avec humilité, nous ordonnèrent, d'abord de chanter, comme c’est l’usage des prisonniers. Nous nous mîmes à chanter les cantiques du Seigneur sur une terre étrangère (1). Pouvions-nous chanter autre chose? Au chant succéda le supplice... Avec des cordes faites d’écorces d’arbre, ils me suspendirent par les bras à deux poteaux dressés au milieu de la cabane. Je m’attendais à être brûlé; car c’est la posture qu’ils donnent ordinairement à leurs victimes.

« Pour me convaincre que si j’avais pu souffrir…

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(1) Ps. cxxxvi  1.

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Message  Louis Ven 30 Mai 2014, 11:00 am

« Pour me convaincre que si j’avais pu souffrir jusque-là avec un peu de courage et de patience, je le devais non à ma propre vertu, mais à celui qui donne la force aux âmes faibles (1), le Seigneur m’abandonna pour ainsi dire à moi-même dans ce nouveau tourment. Je poussai des gémissements (car je me glorifierai volontiers dans mes infirmités, afin que la vertu de Jésus-Christ habite en moi) (2), et l’excès de mes douleurs me fit conjurer mes bourreaux de relâcher un peu mes liens.

« Mais Dieu permettait avec raison que plus mes instances étaient vives, plus ils s’efforçassent de les resserrer. Après un quart d’heure de souffrance, ils coupèrent mes liens ; sans cela je serais mort. Je vous remercie, ô mon Seigneur Jésus, de ce que vous avez bien voulu m’apprendre par cette petite épreuve combien vous avez dû souffrir sur la croix, lorsque votre très-saint corps était suspendu non par des cordes, mais par des clous enfoncés cruellement dans vos pieds et dans vos mains. »

Le P. Jogues dut le soulagement qu’il venait de recevoir à un sauvage étranger, témoin par hasard de cette cruelle scène. Celui-ci se sentit touché de compassion à la vue de tant de souffrances, et sans rien dire il s’approche de la victime et coupe ses liens. Personne n’osa s’y opposer. Cet acte courageux de charité ne resta pas sans récompense, comme nous le verrons. Dieu, qui bénit le plus léger service rendu au plus petit des siens, ne laissera pas dans l’oubli ce que l’on fait pour ses plus fidèles serviteurs et surtout pour ses apôtres.

Après deux jours passés dans ce village, les prisonniers furent ramenés à Andagaron, où l’on devait enfin prononcer sur leur sort. Ils étaient ainsi, depuis sept jours (1), traînés de village en village et de théâtre en théâtre. Ils apprirent ici qu’ils allaient périr ce jour là-même par le feu.

« Quoique cette mort eût quelque chose d’horrible, ajoute ici le P. Jogues, la pensée de la volonté de Dieu et l’espérance d’une vie meilleure et exempte de péché, en adoucissaient les rigueurs. Je parlai donc pour la dernière fois à mes compagnons français et hurons, et je les exhortai à persévérer jusqu’à la fin, en se rappelant au milieu des douleurs de l'âme et du corps, celui qui a été  en butte à une si grande contradiction de la part des pécheurs armés contre lui, afin qu'ils ne perdent pas courage et qu'ils ne se laissent pas aller à l'abattement (2). Demain nous serons réunis dans le sein de Dieu pour régner éternellement. »

Le P. Jogues fortifiait ainsi les prisonniers par sa parole, mais aussi…

_______________________________________________________________

(1) Is. XL, 29. — (2) II Cor., XII, 9. — (1) Ce chiffre est donné par le P. Jogues lui-même. Charlevoix s’est mépris en lui substituant sept semaines ( Hist. de la Nouv.-France , I, p. 238). — (2)  Hébr. XII, 3.

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Message  Louis Sam 31 Mai 2014, 12:39 pm

Le P. Jogues fortifiait ainsi les prisonniers par sa parole, mais aussi par la grâce des sacrements. Il les avait habitués à recevoir souvent l’absolution, et à nourrir fréquemment leurs âmes par de pieuses aspirations vers le ciel.

Dans la crainte de se voir séparés les uns des autres, il était convenu avec eux d'un signe conventionnel pour exprimer le désir de l’absolution. Ils devaient mettre la main sur la poitrine et lever les yeux vers le ciel.

Cependant les anciens du village étaient inquiets à cause de la résolution prise par les guerriers. Ils exigèrent qu’on ne précipitât rien, au moins par rapport aux Français, dans l’espérance que cette réserve rendrait les soldats de la colonie moins ardents à poursuivre les guerriers iroquois.

La première sentence finit par être révoquée, du moins en partie. Trois Hurons seulement furent condamnés à perdre la vie, Eustache à Tionnontogen, Paul à Ossernénon, et Etienne, dont nous ne connaissons pas le nom sauvage, à Andagaron, où ils étaient alors.

Eustache fut admirable de résignation et de courage. On appliqua le feu à presque toutes les parties de son corps, et on lui coupa la gorge avec un couteau. Ici le P. Jogues ajoute avec un souvenir classique qui rappelle le professeur d’humanités :

« Tandis que les sauvages condamnés à mourir, se livrent ordinairement aux plus violents transports de fureur contre leurs bourreaux, et crient jusqu’au dernier soupir : Exoriare aliquis nostris ex ossibus utor (Que de mes cendres il renaissse un vengeur,) (Ené. iv, 625), Eustache, au contraire, animé de l'esprit du christianisme, conjura les Hurons témoins de sa mort de n’être pas arrêtés par cette considération pour traiter de la paix avec les Agniers ses persécuteurs et ses meurtriers. C’était mourir en pardonnant. »

Avec lui périt son neveu, admirable jeune homme qui, après son baptême, répétait sans cesse : « Je serai heureux au ciel. » Il avait promis à son oncle en partant qu’il ne l’abandonnerait jamais, même dans les plus grands dangers. Il ne pouvait pas être plus fidèle à sa parole (1).

Paul Ononchoraton périt d’un coup de hache, mais après avoir passé par le supplice du feu sans avoir donné un signe de faiblesse. Ce jeune homme, âgé seulement de vingt-cinq ans, fut admirable par sa constance et son énergie. Les pensées de la foi et de l’espérance chrétienne soutenaient seules son courage et lui faisaient mépriser la mort.

Les Iroquois recherchaient de préférence pour leurs victimes les caractères de cette trempe. Ce n’était pas seulement pour épuiser ainsi peu à peu les forces de leurs ennemis, mais aussi pour piquer l’émulation de la jeunesse et lui montrer comment doit mourir un guerrier.

Le bon néophyte Paul…

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(1) Relation 1644.

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Message  Louis Dim 01 Juin 2014, 12:10 pm

Le bon néophyte Paul avait donné au P. Jogues, pendant son supplice, un touchant témoignage d’affection et d’héroïque dévouement, que le serviteur de Dieu à consigné en ces termes dans sa relation : « Quand les Iroquois s’approchaient de moi pour m’arracher les ongles ou me faire endurer quelque autre supplice, Paul s’offrait à eux et les conjurait de m’épargner et d’exercer plutôt sur lui leurs cruautés. Que Dieu le récompense au centuple et avec usure pour cette admirable charité qui le portait à offrir sa vie pour ses amis (1) et pour ceux qui l'avaient engendré dans la captivité (2). »

La mort du troisième prisonnier fut aussi sainte et aussi courageuse que celle de ses frères. Mais plus heureux qu’eux il eut l’avantage d’avoir près de lui jusqu’à la fin le P. Jogues, qui lui suggérait les pensées de la foi et ravivait son courage.

Tels étaient ces hommes transformés par la religion. Ils venaient à peine de se dépouiller de leurs mœurs grossières, de leurs préjugés idolâtriques, et de naître à la foi, que déjà ils étaient capables d’en devenir les héros. Ce beau triomphe auquel il avait prit une part si active fut pour le P. Jogues une occasion de rendre de vives actions de grâces à Dieu. Pour lui, privé de la grâce du martyre objet de tous ses vœux, il se vit réduit à un cruel esclavage dont il était impossible de prévoir le terme. Mais cette nouvelle condition va faire briller avec un bien vif éclat la vertu du serviteur de Dieu.

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(1)  Joan. xv, 13. —  (2)  Philém. 10.


A suivre Chapitre VII.

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Message  Louis Lun 02 Juin 2014, 11:58 am

CHAPITRE VII

Esclavage du P. Jogues. — Intervention des Hollandais. — Nouveaux dangers. — Meurtre de René Goupil. — Songes consolants.

 Le soir du grand conseil où fut décidé le sort des prisonniers, les Iroquois conduisirent Guillaume Couture, qui avait conservé assez de vigueur pour marcher, jusqu’à Tionnontogen, le bourg le plus éloigné.

Lorsque ces peuples laissent la vie à un prisonnier, ils le donnent à une famille dont un membre a péri à la guerre, afin qu’il tienne sa place, et il est entièrement à la disposition du chef, qui a sur lui droit de vie et de mort. Aucun autre n’oserait le frapper dans l'enceinte du village.

Le P. Jogues et René Goupil, qui paraissaient beaucoup plus faibles, restèrent dans le premier village, où demeuraient ceux qui les avaient pris. Ils allaient mener la vie d’esclave.

Après une abstinence si longue, après des veilles si pénibles et si multipliées, après tant de coups et de blessures, et surtout après tant de peines intérieures si poignantes, les deux pauvres mutilés ressentirent à loisir leurs douleurs et tombèrent dans un état d’épuisement complet. Ils pouvaient à peine se tenir debout et se traîner péniblement. Leurs mains n’étant qu’une plaie, ils ne pouvaient s’en servir, et il fallait les nourrir comme des enfants. Pour se refaire ils n’eurent qu’un peu de farine de maïs, et parfois un peu de citrouille à demi cuite ; pour lit une écorce, pour couverture une mauvaise peau de cerf puante de graisse et remplie de toute sorte de vermine. Leurs blessures restées sans pansement et à l’air étaient irritées par les piqûres des insectes, qui les dévoraient jour et nuit, et dont ils ne pouvaient se défendre. La patience fut leur médecin, et quelques femmes, qui les prirent en pitié, leur donnèrent des soins. Elles les pansèrent à leur manière, et en lavant souvent leurs plaies à l’eau fraîche, elles arrêtèrent et calmèrent l’inflammation. Cependant plus affaibli que le Père, et souffrant de violentes douleurs de tête, par suite des coups qu’il avait reçus, René dépérissait à vue d’œil. Les sauvages s’en aperçurent ; ils donnèrent alors à leurs captifs une nourriture un peu plus substantielle, c’était simplement du poisson et de la viande desséchés et réduits en poudre, qu’ils mêlaient à la bouillie. Ce petit soulagement les rendit à la santé.

Les capitaines et les anciens…  


Dernière édition par Louis le Mar 03 Juin 2014, 1:47 pm, édité 1 fois (Raison : orthographe)

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Message  Louis Mar 03 Juin 2014, 11:35 am

Les capitaines et les anciens s’occupaient de leur sort. Les uns ouvrirent l'avis de les renvoyer à Trois Rivières pour arrêter une guerre dont les désastres éclaircissaient chaque jour les rangs de leurs guerriers. Ce projet fut sur le point d'être exécuté, et déjà ceux qui devaient les conduire étaient désignés.

A la même époque, les Hollandais de Renselaerswich, qui n’étaient qu'à quarante kilomètres environ de ce village, ayant appris la captivité de plusieurs Français, voulurent intervenir, et ils sollicitèrent leur délivrance. La veille de la Nativité de la sainte Vierge, le 7 septembre, le capitaine du fort, Arendt-van-Curler, l’interprète Jean Labatie et Jacob Jansen d'Amsterdam, allèrent en ambassade au village d'Andagaron, et entrèrent en négociation; ils firent des offres importantes et la promesse plus séduisante d'une somme de deux cents piastres : tout fut inutile. Les Iroquois ne voulant ni mécontenter des voisins et des alliés, ni avoir l'air de céder à leurs instances, feignirent de n'avoir pas bien compris leur discours, et ne parlèrent que d'un échange de prisonniers qui allait être consommé sous peu de jours avec les Français.

C'était leur intention, sans doute, mais un événement imprévu y mit obstacle et ralluma toute la haine et la fureur des Iroquois contre les Français. Le parti exalté l’avait emporté dans un dernier conseil, et, à l’issue de cette assemblée tumultueuse, c’en était fait des captifs si on les eût rencontrés. La Providence avait permis qu'ils fussent alors à se promener dans la campagne, en s’entretenant des choses de Dieu. On les chercha vainement et, le premier accès de fureur passé, les esprits se calmèrent; le danger était éloigné encore une fois.

Le changement survenu dans les dispositions des Iroquois avait eu pour cause la nouvelle de l’échec que venait de subir une bande de leurs guerriers. C’étaient précisément ceux que les prisonniers avaient rencontrés sur le lac Champlain, et qui les avaient salués d’une manière si cruelle. Poursuivant leur route, ils s’étaient avancés jusqu’au fort Richelieu, que les Français étaient alors à bâtir sur le rivage, à l’embouchure de la rivière des Iroquois.

Ces sauvages avaient cru le moment favorable pour renverser cette barrière. Leur nombre, qui montait à trois cents guerriers (1), leur inspirait une pleine confiance. Ils s’attendaient à écraser cette poignée de soldats et à profiter de cette surprise pour culbuter les travaux commencés.

Il y avait sept jours seulement que le premier coup de hache avait été frappé dans cette forêt vierge, et déjà la palissade de l’enceinte était dressée et pouvait servir d’abri aux travailleurs. La religion était venue en même temps bénir le sol, et le missionnaire qui suivait l’expédition, y avait célébré la messe le 20 août, fête de saint Bernard.

Cachés d’abord dans le voisinage, les Iroquois…

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(1) Charlevoix dit sept cents, mais la Relation (année 1641-42) ne parle que de trois cents hommes. Les deux cents guerriers que le P. Jogues avait trouvés en chemin avaient reçu du renfort.

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Message  Louis Mer 04 Juin 2014, 11:18 am

Cachés d’abord dans le voisinage, les Iroquois se divisèrent en trois bandes, et à un signal donné ils sortirent du bois en poussant leur cri de guerre et en se précipitant sur les travailleurs.

Ce jour-là, heureusement, M. de Montmagny était venu avec trois barques armées pour surveiller et diriger les travaux. Du haut de son brigantin, ayant aperçu les barbares et deviné leur plan, il se jette aussitôt dans un canot et arrive au fort avant l’ennemi. En un instant la petite garnison est sous les armes, et, sous la conduite du commandant Durocher, elle accourt à la palissade et prend son poste de défense. L’action s’engage immédiatement sur différents points (1).

Un capitaine iroquois se distinguait au milieu de ses guerriers par sa haute taille, la variété de couleurs qui couvrait sa figure, et la peau de cerf teinte en rouge qui lui servait de casque. Il se battait avec acharnement à la tête de sa troupe, et son exemple électrisait ses compagnons. Tout à coup il est atteint par une balle qui le renverse sans vie. Presque en même temps deux autres sauvages sont frappés à mort et un bon nombre blessés. C’en était assez pour démonter les assaillants. Quelques-uns reculent et entraînent bientôt leurs compagnons. Ils fuient tous précipitamment et dans Je plus grand désordre. Audacieux pour un coup de main, les sauvages sont faciles à déconcerter, et leur énergie s’évanouit bientôt devant une vive résistance. Les Français eurent aussi quelques pertes à déplorer. Un caporal nommé Deslauriers fut tué, et le sieur Martial, secrétaire du gouverneur, qui voulut aussi payer de sa personne, fut blessé.

Après cet échec, les sauvages rentrèrent dans leurs foyers, humiliés et la rage dans le cœur. En apprenant que les prisonniers français sont encore vivants, ils veulent à tout prix venger dans leur sang l’affront qu’ils ont subi, et se dédommager ainsi par cette victoire facile. La divine Providence déjoua, comme nous avons vu, ces projets criminels.

Le P. Jogues et son compagnon rentrèrent alors dans la condition ordinaire des captifs, situation critique où leur vie ne tenait toujours qu’à un fil. Sous le moindre prétexte, le premier venu pouvait leur donner la mort, pourvu que ce ne fût pas dans l’enceinte du village. C’est ce qui arriva quelque temps après pour le bon René Goupil.

Au milieu même de sa captivité, ce pieux jeune homme aurait voulu voir Dieu glorifié par tous ceux qui l’entouraient. Ne pouvant s’adresser à ses maîtres dont il ignorait la langue et dont il savait bien que ses leçons exciteraient la fureur, il s’approchait des petits enfants et leur apprenait à faire le signe de la croix.

Un vieillard, qui épiait ses démarches…

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(1) Il faut réduire à sa juste valeur la force armée de la colonie. Elle était bien peu de chose, quinze soldats formaient alors la garnison de Québec, et coûtaient au trésor 12,180 livres. Trois-Rivières en avait soixante-dix, et Montréal autant. Un arrêt du Conseil d’État du 5 mars 1648 porte qu’on enverra trente hommes et un capitaine chez les Hurons. C’étaient en tout cent cinq soldats pour tout le Canada ! (Mss. Bibl. du Louvre).

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Message  Louis Jeu 05 Juin 2014, 11:44 am

Un vieillard, qui épiait ses démarches, l’aperçut traçant ce signe sur le front de son petit-fils, âgé de trois ou quatre ans, et prenant même la main de l'enfant pour lui apprendre à le former lui-même. Cette vue réveilla en lui toute sa haine et ses idées superstitieuses. Il appelle un de ses neveux et lui dit : « Va ! tue ce chien de Français. Les Hollandais nous ont appris que ces signes qu’il a faits sur mon petit-fils ne valent rien. Je crains qu’il ne lui en arrive quelque malheur. »

Cette commission barbare n’était malheureusement que trop en harmonie avec les sentiments et les dispositions de ce jeune homme ne respirait que vengeance, surtout depuis qu’il avait appris qu’un de ses parents avait été tué à l’attaque du fort Richelieu.

Il s’agissait pour lui de trouver la victime à l’écart et hors du village. L'occasion ne tarda pas à se présenter.

Plein de sinistres pressentiments, le P. Jogues s’efforçait d’entretenir dans son disciple, ainsi qu’en lui-même, des dispositions de résignation à la volonté de Dieu, pour être toujours prêt au sacrifice. Quand ils n’étaient pas en prières, c’était là le sujet ordinaire de leurs conversations.

Un soir que le missionnaire et son disciple se promenaient dans un bois près du village, ils virent venir à eux le neveu du vieillard avec un autre jeune homme. Ceux-ci leur intimèrent de rentrer de suite dans leur cabane. « J’eus quelque pressentiment, raconte le P. Jogues, de ce qui devait arriver, et je dis à Goupil : Mon cher frère, recommandons-nous à Notre-Seigneur et à notre bonne Mère la très-sainte Vierge. Ces gens-là ont quelque mauvais dessein, à ce que je crois. » — « Nous nous étions offerts à Notre-Seigneur peu auparavant avec beaucoup d'affection, le suppliant de recevoir nos vies et notre sang, et de les unir à sa vie et à son sang pour le salut de ces pauvres peuples ! » (Mss. du P. Jogues.)

Les deux prisonniers prennent aussitôt la direction du village, en récitant pieusement leur chapelet. Ils avaient déjà récité quatre dizaines quand, arrivés près de la porte, et toujours suivis par les deux Iroquois, un de ceux-ci tirant une hache qu’il tenait cachée sous son vêtement, en déchargea un coup violent sur la tête du pauvre René. Il tomba demi-mort la face contre terre, en prononçant le très-saint nom de Jésus. « Heureusement, ajoute le P. Jogues, nous nous étions souvent donné l’avis de sanctifier à notre mort notre dernière parole, en prononçant ce nom très-saint afin de gagner les indulgences. »

En voyant tomber son compagnon, le P. Jogues se retourne, et apercevant la hache sanglante entre les mains du meurtrier, il se jette à genoux, ôte son bonnet, et attend le même sort en offrant à Dieu son sacrifice. Mais le sauvage lui dit qu’il n'avait rien à craindre. Il ne pouvait rien lui faire, parte qu’il appartenait à une autre famille.

Trompé dans son attente…


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Message  Louis Ven 06 Juin 2014, 12:49 pm


Trompé dans son attente, malgré ses désirs, le P. Jogues se relève, et n’écoutant que sa douleur et sa tendresse, il se jette « sur son cher René », ainsi qu'il l’appelle, lui donne une dernière absolution comme il faisait tous les deux jours, l'inonde de ses larmes et le presse contre son cœur. Il perdait en lui son fils spirituel, son frère, le compagnon de ses travaux et de ses souffrances, l'unique consolation de sa captivité. Il ne voyait plus autour de lui qu'un affreux isolement.

« Ce fut le 29 septembre 1642, dit le P. Jogues, que cet ange en innocence et ce martyr de Jésus-Christ fut immolé à l'âge de trente-cinq ans, à, celui qui avait donné sa vie pour le racheter. Il avait consacré son âme et son cœur à Dieu, sa main et son existence au service des pauvres sauvages. »

Les deux meurtriers arrachèrent le missionnaire de dessus le corps de leur victime, qu’ils frappèrent de deux coups de hache dans la crainte qu’elle ne respirât encore.Le P. Jogues fut renvoyé à la famille à qui il appartenait. Le reste du jour et le lendemain il ne voulut pas sortir, s'attendant sans cesse à un sort semblable à celui de René. Il savait en effet que cette famille avait aussi perdu un des siens à la guerre.

Loin de le maltraiter, son maître lui donna même un témoignage d'intérêt. Il l'examina à son retour, pour s’assurer si les traces de sang qu'il portait n'indiquaient pas quelques blessures.  Il lui mit même la main sur le cœur pour voir quelle impression il éprouvait. Sentant qu’il était calme et ne battait pas plus vite qu’à l’ordinaire : « Ne sors plus de la bourgade, lui dit-il, sans être accompagné de l’un d’entre nous. Il y a de jeunes étourdis qui ont formé le projet de t’assommer. Prends donc garde. »

Ce ne fut pas le seul avertissement que reçut le serviteur de Dieu du danger qu’il courait. Quelques-uns le lui disaient ouvertement. Un sauvage vint même lui demander les souliers qu’il avait, en ajoutant que bientôt il n’en aurait plus besoin. Le Père le comprit, et lui donna sa chaussure en souriant.

Cependant le surlendemain du meurtre de Goupil, le P. Jogues ne put résister au désir de savoir ce qu’était devenu son cadavre, afin de pouvoir lui donner une sépulture convenable. Il partit donc pour le chercher au péril même de sa vie. Car on voyait rôder un peu partout des jeunes gens armés, qui semblaient machiner quelques mauvais desseins.

Un vieillard chez qui le missionnaire avait demeuré le rencontra à la sortie du village, et connaissant son projet, il voulut le dissuader: « Où vas-tu? Tu n’as pas d’esprit; on te cherche pour t’ôter la vie, et tu cours après un corps mort déjà à moitié pourri. Ne vois-tu pas ces jeunes gens là-bas, qui t’attendent pour te tuer ? »

Ce danger ne l’arrêta pas : « Je ne craignais rien, ajoute ici le serviteur de Dieu; car la vie avec de telles angoisses était un vrai tourment, et au contraire la mort, dans un pareil acte de charité, était un véritable gain (Phil. I, 21). »

Il continua donc sa route, mais le vieillard…

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Message  Louis Sam 07 Juin 2014, 11:44 am

Il continua donc sa route, mais le vieillard avertit un bon Algonquin qui était incorporé à la nation iroquoise, de suivre le missionnaire et de le protéger. Ils firent donc ensemble les recherches et finirent par trouver le cadavre. Après le meurtre il avait été abandonné aux enfants, qui l'avaient dépouillé et traîné la corde au cou dans le torrent qui coule au pied du village. Les chiens lui avaient déjà déchiré les côtés. Le triste état de ce corps arracha des larmes au P. Jogues et réveilla de douloureuses pensées. II se contenta pour le moment de le placer dans un endroit profond du torrent, et de le cacher sous des pierres, pour le soustraire à l'avidité des animaux et pour le retenir aussi contre le courant. Il voulait revenir le lendemain avec une bêche, et l'enterrer en secret.

A son retour à la cabane, le P. Jogues rencontre deux jeunes gens qui le pressèrent de les accompagner à un village voisin. Il était facile de pénétrer leur sinistre projet : « Je ne m’appartiens pas, répondit humblement le saint homme. Demandez à mon maître, et, s’il y consent, je suis prêt à vous suivre. » Cet esprit d’obéissance le sauva, car son maître refusa obstinément de le laisser partir.

Le P. Jogues voulait retourner le lendemain pour rendre les derniers devoirs aux restes de René ; mais pour le soustraire aux projets perfides de quelques hommes méchants, ses maîtres l’envoyèrent d’un autre côté travailler à leur champ. Cependant le jour suivant il put aller de bon matin à la recherche de son précieux dépôt. Écoutons-le raconter cet acte de piété fraternelle où se révèle toute la sensibilité de sa belle âme :

« J'allai à l’endroit où j'avais placé ce corps. Je gravis la colline au pied de laquelle coule le torrent; j'en descends. Je parcours la forêt qui est de l’autre côté, mes recherches sont inutiles. Malgré la hauteur des eaux, qui m’arrivaient jusqu'à la ceinture, parce qu’il avait plu toute la nuit, et malgré le froid (nous étions au 1er octobre), je sondai avec mon bâton et avec mes pieds pour m’assurer si le courant ne l’avait pas entraîné plus loin. Je demandai à tous les sauvages que je voyais s’ils savaient ce qu'il était devenu ; mais comme ils sont très-menteurs et qu’ils répondent toujours dans le sens affirmatif, sans égard pour la vérité, ils me dirent que les eaux l’avaient charrié dans la rivière voisine; ce qui était faux. Que de soupirs je poussai alors! combien je versai de larmes qui se mêlaient aux eaux du torrent pendant que je vous adressais, ô mon Dieu, le chant des psaumes en usage dans la sainte Église pour l’office des morts ! »

Cette sollicitude était inutile. Deux jeunes gens avaient vu le P. Jogues cacher le cadavre de René. Ils étaient allés en secret l’enlever et le porter dans un bois voisin.

« Après la fonte des neiges, dit le P. Jogues…

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