Les Martyrs de Gorcum

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Message  Monique Mer 17 Juil 2024, 8:39 am

Près de l'endroit où l'on venait de débarquer, une potence se trouvait dressée en permanence. Les confesseurs doivent processionnellement en faire le tour. En avant, marche le jeune Frère Henri, à qui l'on a mis en mains une bannière d'église. Les confesseurs suivent, liés deux à deux. Les soldats et la populace font un immense cercle autour d'eux. De tous côtés partent à leur adresse des railleries amères et de gros éclats de rire. On leur montre la potence : « Voilà votre autel, leur crie-t-on, exercez-y maintenant votre idolâtrie. » Quand ils en ont fait le tour deux ou trois fois, on les oblige a recommencer, mais en marchant à reculons. Puis ils reçoivent l'ordre de s'agenouiller tout autour et de chanter le Salve Regina, et d'autres cantiques a la sainte Vierge. Pendant ce temps le bourreau en titre fait l'affairé autour de la potence ; il va et vient, applique son échelle, déroule ses cordes, comme si l'exécution allait avoir lieu à l'instant. Ce n'était que simulation, ou plutôt cruauté raffinée. Souvent un fauve se repait de la frayeur et de l'angoisse de sa victime, avant de lui donner le coup de grâce.

Tout ceci se passe près de l'endroit ou ils ont débarqué. Sur un signe du comte, on leur fait prendre maintenant le chemin de la ville. Le bourreau ouvre la marche de la procession et porte lui-même la bannière. Aux portes de la ville il la rend à Frère Henri. Les deux autres Frères laïques, Pierre d'Assche et Corneille de Wyk-by-Duurstede, sont ses acolytes et portent en guise de chandeliers, des lampes de hallebarde surmontées d'un bouquet d'herbes sauvages. On leur commande à tous de chanter le Te Deum, Et l'hymne de l'action de grâces domine les cris de mort et les basses injures : « Soyez loué, Seigneur, par le chœur des martyrs. Montrez- vous secourable à vos serviteurs que vous avez rachetés au prix de votre sang précieux. Vainqueur de la mort, vous avez ouvert à vos fils le royaume des cieux. » Ces strophes et quelques autres ont une onction toute divine sur les lèvres de ces hommes qu'on conduit à la mort. Ils chantent de tout cœur; mais quand la fatigue reprend le dessus — ils sont toujours à jeun et brisés de lassitude — et que les voix baissent ou se taisent, des soldats qui galopent le long des rangs, les frappent sans pitié. Le comte de la Marck lui-même les pourchasse devant lui comme un vil troupeau. Il frappe tantôt l'un, tantôt l'autre, du bâton qu'il tient à la main. Le cou et les épaules nus des martyrs sont bientôt tout gonflés et couverts de sang.

La populace de Brielle, comme bien l'on pense, ne laisse pas perdre l'exemple de ses maîtres. Ivre de haine et d'impiété, elle aussi s'acharne sur les victimes, les outrageant et les maltraitant à son aise, leur jetant des injures et n'ayant égard ni à la vieillesse de plusieurs martyrs, ni au pitoyable état où ils se trouvent tous. Ecœuré, le Père Jérôme, l'ancien pèlerin de Terre-Sainte, ne peut s'empêcher de dire : «J'ai vécu chez les Turcs et chez les Maures; jamais je n'ai rien vu de pareil ». La plainte n'est pas exagérée, car selon la remarque de l'historien, dans tout le trajet du port à la grand'place de la ville, aucun martyr ne goûta la consolation de rencontrer un visage compatissant ou d'entendre le moindre mot de pitié. Partout dans cette foule compacte qui faisait la haie sur leur passage, des âmes dures, indifférentes ou lâches. Les femmes semblaient encore plus cruelles que les hommes. « Pendez-les, criaient-elles ; a la potence, ces papistes, ces faiseurs de Dieu ! » Un grand nombre trempaient leur balai dans un seau d'eau et, parodiant le chant de l'Église : Asperges me, Domine, elles aspergeaient les martyrs à leur passage.



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Message  Monique Jeu 18 Juil 2024, 9:57 am

La longue rue bordée de maisons qui maintenant encore est la principale artère de Brielle, conduit au centre de la ville, la place du Marché. Là, devant l'hôtel de ville et au milieu de la place se dressait la vraie potence qui avait été l'instrument du supplice de la plupart des prêtres massacrés depuis l'arrivée des Gueux. Quand la procession y est arrivée, les scènes du débarquement se renouvellent. Nos confesseurs sont contraints de faire et de refaire le tour de la potence au chant des Litanies des Saints. Puis, à nouveau, ils doivent s'agenouiller autour de l'instrument du supplice, et chanter une antienne à là sainte Vierge. Ici se place un incident touchant. 

Quand les martyrs eurent achevé le chant de l'antienne, ils se turent tous à la fois. Le peuple réclama l'Oremus. Les confesseurs hésitaient, personne d'eux, selon la remarque de l'historien, ne se jugeant digne de faire cet acte de présidence au milieu de ses frères. Tout à coup, douce et ferme à la fois, une voix de vieillard se fit entendre. Avec un remarquable à-propos, elle substituait à la prière habituelle, l'oraison : Interveniat de la fête de Notre-Dame-des-Douleurs. « Seigneur Jésus-Christ, chantait la voix, que la Bienheureuse Vierge Marie, vôtre Mère, dont la très, sainte âme fut percée d'un glaive de douleur au moment de votre passion, daigne bien intercéder pour nous, maintenant et à l'heure de notre mort. Vous qui vivez et régnez dans les siècles des siècles. » C'était le bon, le saint vieillard Godefroid van Duynen qui chantait ainsi. Obéissait-il, sans s'en douter, à une inspiration divine? Ou bien, malgré son infirmité d'esprit, donnait-il ici une nouvelle preuve de cette lucidité extraordinaire qui, au témoignage de Léonard Vechel, le caractérisait depuis le commencement de la captivité ? Dieu le sait. Toujours est-il que pas un cri n'était venu l'interrompre. On eût dit qu'un charme surnaturel domptait subitement les haines de cette populace. A cette prière magnifique qui respirait résignation et confiance, les confesseurs purent répondre avec foi et courage : Amen, Qu'il en soit ainsi, ô mon Dieu !

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Message  Monique Lun 22 Juil 2024, 10:26 am


CHAPITRE VIII


DE NOUVEAUX FRÈRES D'ARMES

***


Le charme ne dura pas longtemps. Le sabbat infernal reprit, et longtemps encore les martyrs restèrent exposés aux opprobres d'une vile soldatesque et d'une population égarée. Enfin sur l'ordre de la Marck, ils furent conduits à la prison.

La prison de Brielle, située tout près de cette place où venaient de se dérouler les scènes sauvages que nous avons racontées, comprenait trois cachots superposés. On jeta les confesseurs dans celui d'en bas, véritable cloaque qui recevait les eaux et les ordures des étages supérieurs et où régnait une obscurité si profonde qu'on ne pouvait s'y reconnaître qu'au son de la voix. Près de la porte, grâce à une légère inégalité du sol, il y avait un endroit moins boueux et plus solide. Les confesseurs s'y entassèrent tant bien que mal. A leur arrivée deux autres prêtres se trouvaient déjà dans ce cachot. C'étaient les curés de Heinenoord et de Maasdam, deux localités que nos martyrs avaient laissées sur leur gauche après leur départ de Dordrecht. On a peu de détails sur leur vie antérieure.

Le curé de Heinenoord, André Woulers, était un de ces pauvres prêtres qu'on voit parfois négliger leur troupeau et affliger l'Église par leur vie peu exemplaire. André Bonders 1 le curé de Maasdam, était peu intelligent, mais il passait pour être un bon prêtre. Dans le sort qui leur était réservé, Dieu allait une fois de plus dérouter les calculs des prévisions humaines. Le juste trop confiant en lui-même trébuchera sur le chemin, et le pécheur repentant fera oublier les scandales de sa vie par la générosité de sa mort.

Dans cette même matinée du lundi, 7 juillet, les portes de la prison s'ouvrirent encore une fois devant deux nouvelles victimes, le curé et le vicaire de Monster. Cette petite paroisse, située sur le littoral de la mer du Nord, un peu au-dessus de Brielle, se glorifie d'avoir été la paroisse-mère de la Haye qui n'en fut séparé qu'en 1276. C'est vers le même temps que les fils de saint Norbert prirent charge d'âme à Monster 2. En 1572 la paroisse était desservie par deux religieux Norbertins ou Prémontrés. Le vicaire Jacques Lacops était, comme André Wouters, une conquête de la miséricorde de Dieu. Né en 1538, à Audenarde, en Belgique, entré jeune encore dans l'ordre de Saint Norbert, il avait fait sa profession dans la célèbre abbaye de Middelbourg où l'avait précédé un de ses frères appelé Adrien. Ses aptitudes, sa vivacité d'esprit, les charmes de son extérieur lui valurent auprès de ses confrères des sympathies dont les témoignages ne furent peut-être pas toujours régis par une charité prudente. Le jeune étudiant, choyé, caressé de trop de monde, ne sut éviter l'écueil qui attend bien souvent un mérite trop conscient de lui-même. A ses qualités réelles vinrent s'ajouter un secret orgueil, un vague désir de liberté et d'indépendance et le cortège des illusions qui s'emparent d'ordinaire d'une âme jeune et généreuse, mais trop confiante en ses propres forces. Peu à peu l'on vit décliner le petit Frère Jacques , c'était le nom d'affection que lui donnaient les cœurs tendres de la maison 1. D'abord on l'entendit parler avec quelque irrévérence des traditions, puis des dogmes de l'Église. « Étourderie de jeune homme » croyaient ses protecteurs. Mais la plaisanterie devenait de jour en jour plus méchante ; les religieux plus clairvoyants crurent découvrir bientôt dans leur jeune confrère les signes les moins équivoques d'une incroyance décidée et d'une impiété précoce. Tous les voiles tombèrent le 22 août 1566. En ce jour néfaste où la magnifique église abbatiale de Middelbourg fut envahie, souillée et saccagée par les iconoclastes, les religieux eurent la suprême douleur de voir leur charmant petit Frère Jacques renier publiquement son habit, sa profession et sa foi, en compagnie de Nicolas Janssen et d'Antoine Willemsen, deux autres de ses confrères. Il ne s'en tint pas là. Il se fit pasteur protestant et il eut le courage d'écrire un pamphlet infâme contre le culte des saints. Parodiant le beau livre de la Légende dorée, il lui donna pour titre : Defloratio Legendae aureae. Dieu permit que l'opuscule ne fut pas publié.


1. Et non Banders, comme écrivent certains historiens. Nous nous rangeons à l'orthographe adoptée par le savant Père Allard, Studien, 1871, p. 31.
2. Bijdragen voor de geschiedenis van het bisdom Haarlem. D. I, 71, seq , D. 11, 419.
1. Jacobellus, dit Estius : ou bien Jaakje ou Kôbeke dans, de vieilles éditions hollandaises.


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Message  Monique Mar 23 Juil 2024, 9:15 am


Ce fut là une première manifestation de la miséricorde divine. Jacques Lacops était bien coupable, mais il n'était pas taré. Dans cette âme ardente et généreuse le remords faisait son œuvre de réparation et la voix de la conscience ne parlait pas en vain. Quelques mois à peine après son apostasie, le fils prodigue brûlait de ses propres mains son indigne pamphlet et frappait à la porte de l'abbaye ; il demandait pardon à Dieu et une salutaire pénitence à ses frères assemblés dans la salle du chapitre. On l'accueillit avec bonté. Toutefois pour des raisons de convenance bien compréhensibles ce ne fut pas à Middelbourg, mais à l'abbaye de Mariënwaard1 entre Zalt-Bommel et Kuilenburg qu'il fut admis de nouveau dans cette famille religieuse de Saint Norbert qu'il avait contristée et scandalisée. Il y vécut cinq années dans la pénitence et employa son talent à réfuter les hérétiques. On présume que c'est en 1671 qu'il fut envoyé à la paroisse de Monster qu'administrait comme curé son propre frère Adrien Lacops. Celui-ci avait avec lui son vieux père. Le vieillard tout comme le curé de Monster avait beaucoup souffert de l'apostasie du jeune religieux. Grande aussi avait été leur joie à la nouvelle de sa conversion et de sa pénitence. Qu'on juge de leur bonheur en le voyant arrivera Monster pour commencer sous l'œil paternel et sous la conduite du frère aîné, une vie de zèle et de dévouement. Mais c'est par le sacrifice que Dieu allait purifier tout a fait cette âme.

Quelques mois à peine après son arrivée à Monster, Adrien mourait. C'était dans le premier trimestre de l'année 1572. Jacques soutenu par l'expérience de son père, administra seul la paroisse jusqu'à l'arrivée du nouveau curé que venaient de nommer les supérieurs de Middelbourg. Il portait comme son prédécesseur le nom d'Adrien et il était né en 1532 à Hilvarenbeek dans le diocèse actuel de Boisle-Duc. Religieux modèle dans l'ordre de Saint Norbert, il avait fait constamment l'édification de l'abbaye de Middelbourg où s'était passée la plus grande partie de sa vie religieuse, et où, en témoin tour à tour attristé et heureux, il avait assisté à l'apostasie et au retour de celui dont il devenait le curé. En se rendant a son poste, il faillit périr dans une tempête qui l'assaillit sur la mer du Nord. Mais il arriva sain et sauf et fut accueilli avec bonheur par Jacques Lacops et son vieux père. Il les garda tous les deux au presbytère ; et il eut pour eux tant d'égards, que le vieillard remarqua aussi peu que possible la disparition de son fils ainé.

Le nouveau curé commençait à connaître sa paroisse quand, dans la nuit du dimanche au lundi, 6 au 7 juillet, une bande de Gueux se présenta à Monster. N'étant pas sûrs des habitants, ils n'auraient peut-être pas osé attaquer le presbytère. Mais un homme de la localité, Jean Vrouwelingh — l'histoire nous a conservé le nom du misérable — offrit ses services qui furent acceptés avec empressement. En pleine nuit, il va prévenir le curé qu'un malade attend son ministère. Le saint prêtre n'écoute que son devoir de pasteur, mais à peine a-t-il ouvert la porte que les Gueux, postés en embuscade, se saisissent de lui. Ils fouillent le presbytère et s'emparent aussi de Jacques Lacops et de son vieux père. Ils les entraînent tous les trois vers la mer. Au petit village de Terheide qui formait avec Monster une seule paroisse et qui n'en est distant que de dix à quinze minutes, ils rencontrent quelques pécheurs de l'endroit. Ils leur proposent de leur rendre les prêtres, moyennant le prix d'un tonneau de bière. Les pêcheurs de Terheide eurent le cœur trop dur pour s'imposer ce léger sacrifice. L'argent — une somme assez modique — ne fut pas versé, et la bande des Gueux continua son chemin. Jean Vrouwelingh accompagna les prisonniers jusqu'à la mer, les accablant de ses sarcasmes, et quand la barque qui les emmenait s'éloignait lentement, les victimes entendaient encore la voix du misérable criant du rivage : « Bon courage, Monsieur le Curé ; avant qu'il soit huit heures du soir vous vous balancerez dans les airs. »


1. Adrien, le plus jeune frère d'Estius, était religieux à l'abbaye de Mariénwaard, et devint, plus tard, prieur de l'abbaye St-Michel d'Anvers.



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Message  Monique Mer 24 Juil 2024, 8:48 am

CHAPITRE IX


LES DERNIERS COMBATS

***



A trois heures de l'après-midi de ce lundi 7 juillet les prisonniers toujours à jeun furent tirés de leur prison et conduits à l'Hôtel de Ville 1. Ils y subirent en présence du comte de la Marck un interrogatoire qui roula presque exclusivement sur leur foi religieuse. Les confesseurs ne se démentirent pas dans cette nouvelle épreuve, la première de ce genre. Les uns, comme Léonard Vechel, mirent un admirable entrain à confesser leur foi, et à supporter les injures et les coups par lesquels l'assistance répondit, séance tenante, à leurs nobles paroles. D'autres se retranchèrent dans une noble et prudente simplicité. Tel le Frère coadjuteur Corneille de Wyk-by-Duurstede : à toutes les questions qui lui furent posées, il se contenta de répondre qu'il croyait ce que croyait son supérieur. Réponse peu comprise de certains protestants et traitée par eux de stupide. En réalité elle est marquée au coin de la plus grande sagesse. Un frère lai sait lui aussi ce qu'il croit ; mais il est des circonstances où il peut laisser à autrui le soin d'exposer sa foi et de la défendre contre les ennemis retors et perfides.

Trois prisonniers seulement parurent hésitants. Ce furent le chanoine Pontus de Huyter, le curé de Maasdam, André Bonders, et Henri, le jeune novice franciscain. Dans l'espoir, hélas! trop fondé, d'une défaillance plus complète, on les sépara de leurs frères et on leur donna un logement plus confortable. Les autres prisonniers furent reconduits à la prison. Grâce aux démarches qu'avaient faites quelques personnes charitables, ils échangèrent pourtant le cloaque immonde contre une pièce d'un étage supérieur. Et pour la première fois depuis leur arrivée à Brielle on leur donna a manger : on leur apporta du pain et un seau d'eau. Puis dans le reste de la soirée et dans la nuit, le silence se fit autour d'eux : un peu de calme précéda le grand jour qui allait être le dernier de leur vie.

Au dehors, amis et ennemis des martyrs travaillaient ferme, ceux-là à les sauver, ceux-ci à hâter leur fin. On remarquait parmi les premiers Paul Buys, pensionnaire d'État de Hollande, homme influent et neveu de Théodore van der Eem; les deux frères de Nicolas Pieck et quelques bons catholiques de Gorcum. Mais d'autres parmi leurs concitoyens — Estius dit qu'il les connaît parfaitement, mais qu'il ne les nomme pas par charité chrétienne — étaient accourus eux aussi pour assouvir à Brielle la haine qu'ils n'avaient pu satisfaire à Gorcum. Ce double courant de sentiments opposés se faisait jour jusque dans l'entourage immédiat du comte. Si quelques-uns des lieutenants de la Marck se montraient, comme leur maître, inaccessibles à toute idée d'accommodement, d'autres employaient volontiers leurs bons offices pour la libération des prisonniers. De ce nombre était Blois de Treslong, Briellois de naissance. C'est probablement grâce à son appui que les deux frères Pieck réussirent enfin au delà de leurs espérances. A force de sollicitations et de promesses, ils obtinrent la liberté de leur frère sans qu'il eût à renier sa foi. Ils se précipitent à la prison pour lui annoncer la nouvelle et pour l'emmener à l'instant. Ils n'avaient oublié qu'une chose : c'est qu'il est pour un prêtre et pour un religieux des liens plus forts que ceux de l'amitié et de la famille. Le supérieur refusa tout net d'abandonner les siens. Il était le chef de sa famille religieuse ; certains incidents de la captivité lui avaient montré combien tel et tel de ses fils en saint François pourraient avoir besoin d'être soutenus dans les luttes à venir. Ce n'était pas le moment d'exposer au long ces raisons ; il se contenta de répéter dans la prison de Brielle ce qu'il avait dit dans celle de Gorcum : il n'accepterait la liberté qu'à la condition de la partager avec ses religieux ; jamais, au grand jamais, il n'abandonnerait le moindre d'entre eux.


1. Aujourd'hui il reste peu de chose du vieil édifice d'autrefois. Il a été restauré en 1793. Le frontispice porte la devise latine de Brielle : Libertatis primïtiœ Les prémices de la liberté. C'est une allusion au premier fait d'armes qui fit entrevoir au parti de Guillaume d'Orange l'espoir de l'indépendance de la patrie.



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Message  Monique Sam 27 Juil 2024, 11:03 am


Ses frères furent déçus: mais ils ne perdirent pas courage. Avec une ténacité qui distingue la race, ils se remettent à l'œuvre et essayent d'autres expédients. Le problème qui se pose devant eux est difficile à résoudre. Connaissant leur frère, ils savent qu'il tiendra parole ; jamais il ne se laissera délivrer tout seul. De la Marck de son côté ne consentira jamais à mettre en liberté toutes ses victimes. Que faire ? Toute tentative pour concilier ces alternatives eût paru impossible ; les frères Pieck, eux, entrevoient la possibilité du succès. Il s'agit d'obtenir un deuxième interrogatoire. On ne fera comparaître que les plus distingués d'entre les prisonniers. Si l'on a gain de cause avec ceux-là, on aura gagné par le l'ait même tous les autres. D'autre part, puisque l'apostasie leur inspire tant d'horreur, on se contentera de leur faire renier l'obéissance au Souverain Pontife. Une abjuration réduite à ce minimum semblait possible, peut-être même facile. L'expédient plaira sûrement au comte pour qui le Pape est l'Antéchrist en personne.

Cette nouvelle combinaison était indigne des frères d'un martyr, mais elle était habile. Ils s'en aperçurent encore mieux quand ils s'ouvrirent au comte de la Marck. Malgré sa cruauté, le chef des Gueux obéissait, lui aussi, aux mobiles qui inspirent les fanatiques de sa trempe. A ces maudits prêtres et moines il réservait le sort qu'il avait déjà infligé à tant d'autres de leurs pareils. Mais plus encore que dans la mort de ses victimes, sa haine de sectaire trouverait son assouvissement dans leur apostasie et dans leur honte. Sans doute devant l'attitude qu'avaient gardée les Gorcomiens au milieu des opprobres de leur arrivée à Brielle et devant la fermeté de leurs réponses lors du premier interrogatoire, il craignait que ces prisonniers ne fussent pas de ceux dont on peut faire des apostats. Qui sait pourtant? Le succès partiel qu'on avait eu la veille avec un curé et un chanoine permettait d'espérer une victoire plus complète. Il y avait une chance de succès. Le comte se rendit donc aux instances des frères Pieck, et accepta leur combinaison. Donnant suite à l'idée qu'on lui avait suggérée, il fit un choix parmi les prisonniers. Le curé Léonard Vechel, le supérieur Nicolas Pieck et son vicaire Jérôme de Weert, un autre franciscain Godefroid de Melveren, connu pour sa science, enfin les deux Prémontrés de Monster, Adrien de Hilvarenbeek et Jacques Lacops furent seuls convoqués à l'Hôtel de Ville. Dans cette séance on usa de tout l'appareil des formes légales. Le comte de la Marck présidait en personne. Il était assisté de ses principaux lieutenants, d'un greffier chargé d'écrire tout ce qui se dirait et de Jean Duvenvordt, questeur de la ville, celui-là même qui connaissait assez bien le Père Jean d'Oosterwyk. Dans la pensée du comte ces précautions avaient leur utilité. En cas d'insuccès de la tentative, elles donneraient à la réunion le caractère au moins apparent d'un tribunal légitimement constitué.

La même habileté n'avait pas inspiré le choix des deux ministres calvinistes chargés de l'interrogatoire. L'un était André Cornelissen, le curé apostat de Brielle, dont la science théologique semble n'avoir pas été plus profonde que n'avait été digne sa conduite dans l'épreuve. L'autre, appelé Corneille, était un ancien batelier de Gorcum, sectaire violent, homme rude et grossier, grand buveur et grand parleur. Totalement dépourvu de science, il avait ébloui les Gueux par sa haine contre l'Eglise et par ses diatribes incessantes contre le Papisme et contre les moines. La vue d'un prêtre ou d'un religieux le mettait hors de lui-même : et ce puritanisme, joint au flux intarissable de sa parole, lui avait tenu lieu de toute autre aptitude pour l'office de ministre.   
                                                                             

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Message  Monique Mer 31 Juil 2024, 6:36 am

Fidèle à la consigne reçue, André Cornelissen cherche à s'insinuer et à obtenir, des prisonniers qu'ils déclarent ne plus obéir au Souverain Pontife, Les confesseurs s'y refusent. Devant leur fermeté et les bonnes raisons par lesquelles ils justifient leur refus, l'apostat en est vite réduit à faire valoir les motifs qui, sans qu'il le dise, ont opéré sa propre conversion au calvinisme. A l'entendre, leur obstination les perd ; ils courent a une mort certaine et imminente. André leur offre sa protection; c'est au nom de leurs plus chers intérêts qu'il les engage à renoncer à l'obéissance du Pape. En quelques paroles nobles et prononcées avec force, Nicolas Pieck répond au nom des autres confesseurs. Non, l'amour de cette pauvre vie ne les rendra pas traîtres à leur Dieu et à son représentant sur la terre. Tout homme doit mourir tôt ou tard. Quelle joie de donner spontanément celte pauvre vie pour conserver leur foi et de sceller de leur sang le plus humble de ses articles. Ainsi parlait le saint religieux. Il s'était souvenu de saint François, son père, exhortant ses enfants jusque sur son lit de mort à garder toujours avec la pauvreté et la patience, une inviolable fidélité à la sainte Église de Rome.

Quand Nicolas a fini, le curé Léonard se lève. Sa parole est moins ardente que celle du Gardien; mais sous son apparente bonhomie, il tend un piège à son contradicteur. Faisant appel au principe du libre examen, si cher à tout protestant, il s'étonne que l'on cherche à leur faire abandonner une religion qu'ils croient la seule véritable. Qu'on leur dise au moins en quoi le catholicisme n'est plus la religion de Jésus-Christ. Si on le leur montre, leur parti est pris, ils se rangeront de tout cœur du côté de la Réforme. Mais, de grâce, qu'on laisse l'amour de la vérité et non l'amour de cette misérable vie opérer une conversion que l'assistance semble désirer.

Sous son apparente modération, le curé de Gorcum avait parlé en polémiste consommé. Aussi sa proposition plait à tout le monde sauf aux deux ministres calvinistes. Il est facile de développer avec chaleur les raisons qui portent un homme à se soustraire, fût-ce au prix d'une lâcheté, à la perte de ses biens et de sa vie. Mais montrer la fausseté de la foi séculaire, justifier devant des hommes instruits les positions théologiques des novateurs, c'était là une tâche qui jeta nos deux pasteurs dans l'épouvante.


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Message  Monique Ven 02 Aoû 2024, 2:50 pm

Toutefois le sort en était jeté ; Impossible de s'y dérober, grâce à l'habile manœuvre du curé de Gorkum. L'interrogatoire de tout à l'heure allait devenir une conférence contradictoire où Léonard Vechel et Nicolas Pieck auraient à répondre à André Comelissen et à Corneille, l'ancien batelier. On apporta des Bibles et la discussion s'ouvrit. En adversaire poli, Léonard invita les ministres à parler les premiers. André déclara qu'il allait lui exposer la vraie parole de Dieu que les doctrines et les interprétations du Papisme n'avaient fait qu'altérer. Léonard, toujours avec bonhomie, lui demanda où se trouve la pure parole de Dieu. Et comme André lui répondit : « dans les saintes Ecritures » , le curé de Gorcum le pria avec un air détaché de dire à l'assistance de qui nous tenons les Écritures. André se trouvait de suite au pied du mur. Il connaissait la parole de saint Augustin : « Je ne croirais pas à l'Evangile, si l'autorité de l'Église ne me disait d'y croire1. » Mais la répéter ici, c'était prononcer sa condamnation. Aussi, il hésitait et se taisait. Léonard et Nicolas Pieck attendaient. Toute l'assistance était visiblement gênée jusqu'à ce qu'enfin le questeur Jean Duvenvordt dit : 

« Eh bien, maître André, ne savez-vous pas de qui vous tenez le pur Évangile que vous prêchez? » Interpellé dans son propre camp, l'apostat perd le calme sous lequel il a essayé de cacher son embarras. Il réplique avec vivacité : « Ne voyez-vous pas que ces séducteurs veulent nous faire avouer que nous tenons les saintes Écritures du Pape ». Et par les tirades habituelles contre l'Antéchrist, l'idole de Sodome et de Babylone, notre raisonneur trouva une diversion. A part Duvenvordt qui était modéré et qui voyait clair, — c'est lui-même qui raconta toute la scène avec ses détails a un catholique de Brielle dont Estius les apprit à son tour, — tous les autres assistants joignirent leurs imprécations à celles des deux ministres et coupèrent court à une discussion qui venait de tourner si mal pour eux.

Les autres prisonniers confessèrent leur foi avec la même générosité. Il ne se produisit pas la moindre défaillance. Bien au contraire, certains incidents montrèrent à toute l'assistance à quels hommes décidés on avait affaire. C'est ainsi que le Père Jérôme de Weert, reconnu par un individu qu'il avait fait expulser de Bergen-op-Zoom quand il était Gardien du couvent de cette ville, et interpellé par lui sur son identité, n'hésita pas un instant à en convenir, méprisant le danger auquel l'exposait la vengeance de cet homme.

Les deux Prémontrés eurent surtout à s'expliquer sur l'Eucharistie. Jacques Lacops se montra admirable de courage et de doctrine. Le comte de la Marck ne le quittait pas un instant des yeux. Lui, le tyran inhumain se sentait touché à la vue du jeune religieux dont la beauté et la pureté de langage semblaient le remuer jusqu'au plus intime de son être. Il alla jusqu'à la flatterie et aux caresses pour le faire apostasier. C'était peine perdue. Le religieux aimait son Dieu et sa foi; il avait eu le malheur de servir le monde et de goûter du protestantisme ; son choix était irrévocablement arrêté à jamais.


1. Ego vero Evangelio non crederem, nisi me catholicœ Ecclesiœ comnioveret auctoritas. Contra ep, Manich, chap. V, Pat. Lat. M., 42, 176.


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Message  Monique Lun 05 Aoû 2024, 1:57 pm

Quelqu'un qui triomphait, lui aussi, à sa manière, était Corneille, le second ministre calviniste. Pendant que son collègue André raisonnait et que le comte ainsi que ses assesseurs prodiguaient tour à tour flatteries et menaces, l'ancien batelier, improvisé théologien, n'avait cessé de répéter à ses voisins et parfois tout haut : « Qu'avons-nous besoin de beaux discours ! Pendez-les ; vous ne gagnerez rien avec ces gens-là ! A la potence, ces papistes ! » — On dirait un écho des cris qui retentirent autrefois dans un autre prétoire : Qu'avons-nous besoin de témoins ? Crucifiez-le ! Crucifiez-le !

Les juges s'étaient promis une victoire ; leurs calculs étaient déjoués. Quelques-uns surent cacher leur dépit ; mais les autres, le comte de la Marck surtout, ne gardèrent plus de mesure dans la manifestation de leur colère. Ils joignirent leurs imprécations à celles du batelier. Les confesseurs furent expulsés de la salle et reconduits en prison.

Des incidents comme celui-ci montrent avec évidence le vrai motif de la mort de nos confesseurs. Ce ne sont pas des traîtres qu'on châtie, ni des affidés d'un parti abhorré qu'on va exécuter. Ce sont des martyrs: ils souffrent et meurent en haine de la foi, de cette foi dont ils n'auraient eu à renier qu'un point pour avoir la vie sauve.

Dès ce moment, l'issue fatale de cette affaire ne faisait plus de doute pour personne. Seuls les frères de Nicolas Pieck avaient peine à se rendre à l'évidence. Ils avaient assisté à la séance que leurs démarches avaient provoquée. Une fois de plus, le résultat avait trompé leur attente. Mais si la foi ardente du martyr ne trouvait dans leurs âmes que de faibles échos, sa persévérante énergie semblait être un bien de famille. A l'affection sincère qu'ils portent à leur frère vient se joindre le désir d'écarter à tout prix la honte que le supplice si ignominieux de la pendaison devait — pensaient-ils faire rejaillir sur toute la famille. Malgré leur nouvel échec, ils s'enhardissent à aller de nouveau trouver le comte de la Marck. Ils font si bien qu'ils lui persuadent que leur frère sera moins irréductible dans une réunion intime; et ils obtiennent l'autorisation de l'emmener pour quelques heures dans la maison du chef de la police. On ne peut s'imaginer ce qu'une tendresse véritable mais égarée sut mettre en œuvre pour faire fléchir dans le sens de leurs désirs la douce fermeté du religieux. Puisqu'il ne voulait pas abandonner ses confrères, ne pouvait-il pas les sauver tous avec lui en renonçant à l'obédience du Pape? Et que parlait-on d'apostasie puisqu'il n'y avait à abjurer aucun article de la foi. 

Le Pape, après tout, n'était pas Dieu, mais un simple mortel. Caresses, supplications, voire même raisonnements de théologiens plus ou moins habiles, tout fut tour à tour essayé, laissé, et repris à nouveau. Nicolas Pieck, bien que peiné de la foi chancelante de ses frères, admirait en secret jusqu'où pouvait aller une tendresse mal éclairée. Ne sachant plus qu'inventer, les deux frères vont chercher des Bibles hollandaises pour y puiser de nouveaux arguments. Voyant que devant la foi nette et inébranlable du religieux leurs citations n'ont pas plus d'effet que leurs prières et leurs instances, ils abandonnent pour le moment toute discussion. Avec une stratégie, digne d'une meilleure cause, ils vont essayer d'émousser dans un sentiment de bien-être cette intransigeance apparente qui n'était en réalité qu'une fidélité inviolable à la foi. Ils font servir un bon souper. Le martyr y prend part. Exténué par la faim et par le nouvel assaut qu'il vient de subir, il veut aussi témoigner à ses frères toute la condescendance qui est compatible avec son devoir. Il fait honneur au repas et son visage ne trahit plus de tristesse. Un bon catholique de Gorcum, qui fut le témoin de toute la scène et de qui Estius tient tous ces détails, ne pouvait assez admirer la possession de soi-même, la sérénité d'âme, et même la gaité, l'enjouement d'un homme qui savait sa mort prochaine. Mais quand, à la fin du repas, ses frères revinrent à la charge, ils le trouvèrent plus inébranlable que jamais. Ils le supplièrent de dissimuler au moins pour quelques jours ses vrais sentiments. Le martyr ne voulut point y consentir. Alors ils changèrent de ton ; ils se plaignirent amèrement de sa dureté, du déshonneur qu'il allait jeter sur sa famille. Puis, froissés et dépités, ils se retirèrent et le laissèrent seul.

De tous les combats que le saint religieux avait soutenus depuis quinze jours, il venait de gagner le plus pénible et le plus méritoire. Il avait triomphé avec simplicité, avec héroïsme. Et quand , une demi-heure plus tard, les sicaires du comte de la Marck vinrent le reprendre pour le faire marcher avec ses compagnons au lieu de l'exécution, ils le trouvèrent tranquillement étendu sur un banc et dormant en paix du sommeil des justes.




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Message  Monique Mar 06 Aoû 2024, 8:52 am

CHAPITRE X


TOUT EST CONSOMMÉ


***



On se rappelle que la municipalité de Gorcum, voulant couper court aux atermoiements de Marin Brant, s'était adressée directement à Guillaume d'Orange pour obtenir l'exécution loyale des clauses de la capitulation du château et la mise en liberté des prisonniers. La réponse du Prince renouvelait des ordres formels déjà donnés précédemment. Les gouverneurs des villes conquises et des places fortes ne devaient molester personne. Ils ne devaient pas inquiéter les prêtres ni les religieux, mais les laisser vivre en paix, comme tous les autres citoyens, sous la sauvegarde de la foi publique. Malheureusement, bien que Guillaume eût répondu sur-le-champ, sa lettre n'arriva à Gorcum que le lundi 7 juillet. Nous savons pour quel motif et dans quelles circonstances Jean d'Omal et Marin Brant avaient fait partir leurs victimes deux jours auparavant, dans la nuit du samedi au dimanche. Il fallait donc porter d'urgence à Brielle les ordres de Guillaume d'Orange, si l'on voulait prévenir la pire des catastrophes. Un jurisconsulte catholique, qui avait pris l'affaire à cœur, se chargea de la commission. 

Dans la crainte d'arriver trop tard, il partit le mardi de grand matin et arriva à Brielle au moment où prenait fin la conférence contradictoire que nous avons racontée. Sous le coup de l'irritation profonde que venait de leur causer la sainte intransigeance de leurs victimes, de la Marck et ses assesseurs étaient dans l'intention d'en finir au plus tôt. Et l'on eût dit qu'à Dieu lui-même il tardait de couronner ses martyrs. Car il permit que la démarche suprême qui allait être tentée pour les sauver ne fit que hâter pour eux le moment du sacrifice et de la victoire. L'envoyé de Gorcum, uniquement préoccupé de s'acquitter au plus tôt de sa mission et ne se doutant pas du fâcheux contretemps qui coïncidait avec son arrivée à Brielle, se fit présenter immédiatement au comte. Celui-ci commença par lui demander son passeport.

 Marin Brant, qui l'avait délivré et signé, y prenait le titre de seigneur. Ce détail froissa le comte et ses lieutenants, qui étaient pour la plupart des nobles. Ils relevèrent avec quelque amertume la prétention et l'arrogance de ce parvenu qui, malgré les quelques succès dont avait été couronnée son audace, ne restait à leurs yeux qu'un ancien terrassier de quelque port de la Zélande. Cet incident, survenu dès le début de l'audience, ne disposa guère des esprits déjà courroucés à accueillir favorablement le négociateur. Celui-ci, gardant tout son calme, présenta ensuite une supplique par laquelle la municipalité et le peuple de Gorcum demandaient la délivrance de leurs concitoyens et surtout du curé Léonard. S'il en était besoin, la sœur de Léonard Vechel offrait jusqu'à dix mille écus d'or pour sauver son frère. Il remit ensuite une copie de la lettre du Prince d'Orange, dont Brant avait gardé l'original; et il insista avec force sur ce fait que dans la capitulation de la citadelle le vainqueur avait, sous la foi du serment, garanti la vie sauve à tous ceux qui s'étaient réfugiés au château, aux ecclésiastiques et aux religieux aussi bien qu'aux laïques.


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Message  Monique Mer 07 Aoû 2024, 9:23 am

La cause était d'une netteté évidente. Personne ne s'étonna que l'avocat mît à la plaider une éloquence simple et bien sentie. Mais malgré la prudence de son langage, qu'il modérait à dessein devant de tels juges, ceux-ci continuaient à se montrer froids et impassibles. La justice de la cause et les ordres du Prince d'Orange dérangeaient visiblement le plan qu'ils avaient conçu et excitaient leurs passions sanguinaires. Bientôt de la Marck ne put plus se contenir. Dans un langage désordonné où perçaient sa haine et son orgueil blessé, il répondit que depuis longtemps déjà il avait juré de venger la mort des comtes d'Egmont et de Hornes par la mort de tous les sacrificateurs et moines qui lui seraient amenés. Il n'avait, au reste, d'ordre à recevoir de personne, pas même du Prince d'Orange. Mieux que personne il avait servi la république naissante; c'est à lui qu'elle devait sa première conquête durable. Quant aux engagements .pris par son lieutenant h la capitulation du château de Gorcum, il n'en souffla mot.

Pour tous ceux qui connaissaient le chef des Gueux il devenait clair que la vie de ses prisonniers ne tenait plus qu'à un fil. Si l'arrêt décisif ne tomba pas encore de ses lèvres en ce moment, ils le durent sans doute à un de ses lieutenants. Alors que tous les autres gardaient un silence coupable et que Brederode attisait même la colère du chef, Blois de Treslong sut le ramener à un peu de modération. Il y eut à nouveau un léger calme; et c'est à ce moment que les frères de Nicolas Pieck purent obtenir la réunion privée que nous avons racontée.

Pendant qu'elle se tenait chez le chef de la police et que les autres prisonniers, grâce à une attention des frères Pieck, avaient eux aussi un petit extraordinaire à leur repas du soir, le comte, attablé avec ses lieutenants, se livrait à son intempérance habituelle. A un moment, il reprend la lettre du Prince d'Orange, et tout en la relisant, il remarque que Brant ne lui a envoyé qu'une copie de la pièce. Ce détail, qui lui avait échappé jusque-là, le jette dans une telle fureur que ses commensaux eux-mêmes pâlissent d'effroi.

« Comment, s'écrie-t-il, ce va-nu-pieds ose se prendre au sérieux. Il a gardé l'original et ne m'envoie qu'une copie ! Et que me veulent-ils avec leur Prince d'Orange? Ne serait-ce pas à moi à lui donner des ordres, à moi qui ai remis à flot ses affaires? Je vais lui montrer que je suis le maître! 

Sur cette parole, le forcené mande le préfet de la police, et lui donne l'ordre de pendre de suite les prêtres et les moines de la prison. II prend à part son fidèle Jean d'Omal, et il le charge de veiller en personne à la prompte exécution de ses ordres et de ne laisser échapper aucun prisonnier, quelque rançon qu'on voulut offrir pour sa délivrance.




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Message  Monique Jeu 08 Aoû 2024, 9:52 am

C'est ainsi, dit Estius, qu'à onze heures de la nuit, à une heure où la sentence la mieux motivée eut été légalement nulle , un homme ivre et crapuleux, mis hors de lui par la cruauté et par un excès d'orgueil blessé, prononça l'arrêt de mort contre des justes dont l'unique crime était d'être des religieux et des prêtres de Dieu. » Tel Hérode, sous le coup d'une autre passion, prononça lui aussi à table le mot qui fit tomber la tête de saint Jean-Baptiste. Mais à l'encontre d'Hérode, de la Marck n'eut pas le moindre sentiment de pitié pour ses victimes.

Ses agents se mettent en mesure d'exécuter les ordres reçus. Une sorte d'instinct semble guider leur haine; sauf le curé Bonders et le chanoine Pontus aucune victime ne bénéficiera d'un oubli. Nicolas dormait sur son banc à la maison du chef de police ; on va l'arracher à son sommeil. On va chercher aussi le jeune frère Henri. Ils sont ramenés tous les deux auprès des autres prisonniers, qui sont maintenant au nombre de vingt et un. On les attache deux à deux par le bras. Et il est a peu près une heure après minuit, quand, entourés de soldats et suivis de curieux qu'avait attirés le bruit des préparatifs, nos martyrs sont conduits hors de la ville. Tout en marchant, le frère Henri se confesse à Antoine de Weerl, et à son exemple les autres martyrs, malgré les coups et les insultes qu'on leur prodigue, se confessent les uns aux autres. Le sacrement de Pénitence effacera une dernière fois les moindres défaillances que la faiblesse humaine a pu leur arracher dans les assauts qu'ils ont eu a soutenir.

On est sorti par la porte de la ville. Et après quelques hésitations, on se dirige vers les ruines du beau monastère Sainte-Elisabeth de Ten Rugge, que les Gueux ont pillé et livré aux flammes au lendemain de leur entrée à Brielle. L'unique bâtiment resté debout est une grange à tourbe, ayant à l'intérieur deux poutres, l'une assez longue, l'autre très courte. Les Gueux s'arrêtent devant la grange; on y sera à l'étroit, car les victimes sont nombreuses: néanmoins la place parait suffisante. Les prisonniers se recueillent. Un lieu sanctifié pendant un siècle et demi par les prières des chanoines réguliers de Saint-Augustin, c'était un calvaire tel que des martyrs devaient l'aimer. Mais l'un d'eux surtout dut éprouver des émotions qu'on ne saurait décrire ; Jean d'Oosterwyk venait mourir en martyr au lieu même qui avait été le berceau de sa vie religieuse et où il avait vécu jusqu'à son départ pour Gorcum.


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Message  Monique Ven 09 Aoû 2024, 11:21 am

Les Gueux arrêtent les derniers préparatifs du supplice. On saisit les confesseurs et, nouvelle ignominie bien gratuite, mais aussi nouvelle ressemblance avec le Sauveur mourant nu sur la croix, on les dépouille presque complètement de leurs vêtements. Et aussitôt l'exécution commence.

Nicolas Pîeck est désigné pour être pendu le premier. Par une faveur d'autant plus appréciée qu'elle constitue une exception, on lui permet d'embrasser tous ses confrères. A chacun d'eux il dit un de ces mots qui donnent force et courage. Ce mot venait bien à propos, car bien que décidés à mourir, quelques-uns des confesseurs tremblaient; l'angoisse était dans les âmes; les martyrs commençaient la dernière montée du Calvaire par le jardin de Gethsémani. Le saint supérieur leur parle du ciel où ils vont se réunir, de la couronne que tient prête le Maître qu'ils ont servi. Il la voit déjà déposée sur leurs têtes; que personne ne perde la sienne. Sur la route il n'y a plus qu'un passage difficile à franchir ; il va passer le premier ; que tous aient courage et constance. En parlant ainsi il donne l'exemple; il monte avec assurance les degrés de l'échelle. Il passe sa tète dans le nœud de la corde que le bourreau lui présente; puis celui-ci le pousse dans le vide. Le Père continue à fixer ses frères et à les exhorter : bientôt sa voix devient moins nette, mais il ne cesse de parler que lorsque le nœud, en se resserrant davantage sous le poids du corps, ne laisse plus passer que des sons inarticulés.

Quand cette grande voix se fut tue, certains personnages louches, ayant à leur tête l'un des ministres calvinistes, crurent le moment propice pour livrer un dernier assaut à la fidélité des plus jeunes d'entre les confesseurs. Mais ils trouvèrent à qui parler dans la personne de Léonard Vechel, de Nicolas Janssen, du Père Jérôme le vicaire et du Père Nicaise de Heeze. Ce dernier surtout, le vieillard aux longues prières et au recueillement imperturbable, excella par la manière vraiment prudente dont il sut défendre la foi et la constance de ceux de ses compagnons que leur inexpérience et la crainte instinctive de la mort exposaient davantage. Aux raisonnements du ministre, il conseillait de n'opposer que le silence. Quand les sollicitations devenaient plus urgentes et plus perfides, quand toute Tattaque se ramassait dans la promesse de la liberté immédiate pour ceux qui voudraient renoncer au Pape de Rome, Nicaise répondait a leur place : « Non, jamais, au grand jamais ils ne le feront. Avec nous ils veulent vivre et mourir. » Tactique vraiment habile qui mérite d'être retenue pour les persécutions sanglantes encore à venir. II ne manquera jamais à L'Eglise de Dieu des prêtres et des laïques que leur science et leur fermeté mettront a même de rendre compte de leur foi. Mais la plupart de ceux qui auront encore à souffrir pour elle agiront avec humilité et avec une souveraine sagesse en se confinant, devant le supplice-, dans une affirmation simple et noble de leur foi, et dans un humble recours à la grâce par la prière. L'ennemi est si rusé, et l'homme, fût-il même sur le chemin du martyre, est si faible et si changeant! De cette vérité, vieille comme le monde, on allait, hélas 1 dans cette grange avoir une nouvelle preuve. Jusqu'ici la petite phalange était restée intacte. L'un ou l'autre des soldats qui la composaient avait pu laisser échapper un acte de faiblesse, et quelques-uns mais restaient une horreur peut-être exagérée de la mort. Mais si tous n'avaient pas au même degré la froide énergie d'un Léonard Vechel, l'ardeur généreuse de Nicolas Pieck ou de Nicolas Janssen, la sérénité d'un Willeliald, d'un Nicaise, d'un Godefrold van Duynen, tous avaient subi les privations des prisons, les opprobres de la rue sans qu'un seul eût fait défection. 

La douleur que cause aux prêtres de Notre-Seigneur Jésus-Christ l'apostasie de quelqu'un des leurs était la suprême épreuve dont, avant de consommer leur martyre, ils durent goûter l'amertume. Le premier qui la leur causa fut le pauvre frère Henri. Il était de ceux qui, dès le début de la captivité, avaient été obsédés par la crainte des supplices et de la mort. Le peu de générosité qu'il avait montré dans le premier interrogatoire et dont les bourreaux l'avaient récompensé en l'isolant de ses frères, il venait de s'en confesser au Père Antoine sur la route du lieu de l'exécution. Mais quand il se vit dans cette grange, au-dessous de ces poutres où les corps à moitié nus et contractés des martyrs commençaient à s'aligner et à décrire dans l'espace leurs lugubres oscillations, le jeune homme — il avait dix-huit ans — sentit une horreur indicible de la mort envahir tout son être. Les bourreaux aussi bien que ses confrères s'en aperçurent et pendant que ceux-ci lui criaient : Courage et confiance, le ministre ne négligeait rien pour le faire tomber. On lui demande son âge. Il répond qu'il a seize ans, voulant par ce mensonge apitoyer les bourreaux sur son sort. 



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Message  Monique Sam 10 Aoû 2024, 12:39 pm

A peine a-t-il commis cet acte de faiblesse qu'il succombe aux instances du ministre et accepte la liberté en échange de sa foi. Aussitôt on le délie ; on le fait sortir de la grange ; mais de l'endroit où il se tient il peut encore observer les événements.

Le coup fut terrible pour les autres martyrs. Si près de la couronne et la fouler aux pieds, alors que rage de l'adolescent en eût mieux fait ressortir l'éclat ! A ce sentiment de commisération pour leur jeune frère s'en joignit un autre d'indignation contre le ministre calviniste qui avait provoqué la chute. Chez le Père Jérôme il se manifesta d'une manière un peu brutale. A défaut du supérieur déjà suspendu à la poutre, c'était à lui qu'incombait la responsabilité de ses frères. Au moment même où se produisit la chute de Henri, le Père vicaire gravissait les degrés de l'échelle. Sans égard au moment critique où il se trouve lui-même et visiblement dominé par la douleur, il prend Dieu et les saints à témoin de la violence que l'on vient de faire à un pauvre enfant sans expérience et sans défense. A ce moment, le ministre lui adresse la parole et lui dit de ne point invoquer les saints mais de se recommander à Dieu. En voyant devant lui l'assassin de l'âme de son frère, le Père Jérôme ne sait pas se contenir : « La mort ne me fait pas peur, répond-il, mais je suis navré de l'abus que vous faites de la faiblesse de notre novice. Arrière, misérable, arrière, suppôt de Satan! » Ces paroles sont accompagnées d'un violent coup de pied, que du haut de l'échelle il lance au séducteur. Le coup porte si bien que le ministre tombe à la renverse et roule par terre.

Certes, ce ne fut pas là un geste de martyr; mais ceux-là seraient mal venus à s'en scandaliser qui trouvent si facilement des excuses à d'autres excès. Aux yeux du chrétien le fait de pervertir une âme est un acte plus coupable que celui qui entraine la perte de la vie ou de l'honneur. Quand un époux, un père se trouve à l'improviste en face du malheureux qui apporta dans sa famille le déshonneur ou la honte, il arrive parfois que son ressentiment atteint des proportions bien autrement regrettables. L'emportement du Père Jérôme n'est pas à approuver, mais la justice et l'équité nous obligent de le comprendre et de l'excuser. Lui-même répara sa faute, si faute consciente il y avait eu, en souffrant avec une patience héroïque le surcroit de cruauté que les bourreaux apportèrent à son supplice. Car on devine l'explosion de rage que provoqua chez les Gueux l'acte spontané du Père vicaire. Ils se jetèrent sur lui comme des fauves; et ce n'est qu'après l'avoir lardé de coups au visage, à la poitrine et presque dans tous ses membres, qu'ils le poussèrent dans le vide. Jusqu'au dernier moment il ne cessa de prier et d'exhorter ses frères.


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Message  Monique Mar 13 Aoû 2024, 9:36 am

Quelques instants plus tard le Père Guillaume reniait lui aussi sa foi. Cette seconde apostasie, bien plus triste que la première parce qu’elle fut irréparable, contrista les martyrs mais ne les étonna pas. Nous savons déjà que celui qui s’en rendait coupable n’était rien moins qu’un religieux modèle.

A Gorcum, il s’était enfui du couvent, et il n’est pas probable qu’une conversion sincère l’y avait ramené. Prisonnier avec ses confrères, il avait partagé  nous savons avec quelle tiédeur, leurs privations et leurs souffrances. Comme à Jacques Lacops de Monster et à André Wouters de Heinenoord, Dieu lui offrait dans le martyre le moyen de réparer avec éclat ses anciennes défaillances. Mais il avait une âme trop basse pour saisir avec générosité cette occasion que la Providence lui réservait. Sur le point d’accomplir l’acte solennel qui eût à jamais effacé les fautes de son passé, il renonça misérablement à la foi sans réussir — nous le verrons bientôt — à conserver longtemps la vie. Tel le rameau longtemps desséché se détache enfin de l’arbre et est emporté au bûcher.

Pendant ce temps, l’exécution des autres confesseurs de la foi suivait son cours et révélait avec la ferme volonté, commune à tous, la trempe d’âme particulière à chacun. Le Père Godefroid de Melveren répétait sans cesse : o Seigneur, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font.  Deux des plus jeunes martyrs supplièrent les bourreaux de couper leurs liens et de les laisser fuir, mais sans vouloir consentir à la condition préalable de L’apostasie. Nicolas Janssen et le Père Nicaise de Heeze apportèrent à leur sacrifice plus de spontanéité et d’héroïsme.



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Message  Monique Mer 14 Aoû 2024, 2:10 pm

Quant au saint curé Léonard Vechel, il montra à sa dernière heure celte grandeur d'âme et cette admirable possession de lui-même qui l'avaient toujours caractérisé. Sur le point de monter à l'échelle, il déclara qu'il acceptait très volontiers une mort qu'il avait appelée de tous ses vœux. Mais il éprouvait une grande douleur à laisser après lui une mère tendrement aimée, qui était gravement malade, et qui, malgré sa robuste foi, recevrait le coup de la mort quand elle apprendrait celle de son fils. Ces paroles évoquèrent avec tant de vivacité la chère image de celle dont il venait de parler que son pied semblait hésiter à gravir les marches de l'échelle. Ce ne fut l'affaire que d'un instant, car, à ce moment, quelqu'un l'interpellait comme en riant :

« Eh bien, maître Léonard, que ne sommes-nous plus pressés à nous rendre au festin qui nous est préparé. Vive Dieu! aujourd'hui même, avec le Seigneur et avec l'Agneau nous ferons fête là-haut dans les cieux. » Qui parlait ainsi? Qui donnait comme un renouveau de ferveur au saint curé de Gorcum? C'était le pauvre d'esprit, Godefroid van Duynen. Au milieu de ses compagnons, dont plusieurs portaient sur la figure l'horreur que leur inspirait la mort, son visage à lui n'avait cessé de porter l'expression du bonheur et d'une sainte joie. Les Gueux l'avaient réservé pour la fin. Et minant que son tour était venu, il s'élançait sur l'échelle plutôt qu'il n'y montait. Le touchant spectacle de ce vieillard débonnaire émut une deuxième fois les bourreaux eux-mêmes. « Non, se disent-ils les uns aux autres, ne pendons pas cet homme; c'est un innocent; qu'il s'en aille. » Mais une deuxième fois Dieu permit qu'il ne fût pas frustré de sa couronne. Point ne fut besoin, comme à Gorcum, qu'un scélérat, plus dur que les Gueux eux-mêmes, vînt la déposer sur sa tête. Le saint vieillard avait entendu la parole de clémence prononcée par ses bourreaux. « Non, non, répondit-il aussitôt, en continuant à gravir l'échelle, pas de miséricorde, hâtez- vous de me joindre a mes frères. » II fut obéi. Quand la corde étreignit son cou, il disait : « Je vois les cieux ouverts. » Et un peu plus tard on l'entendit murmurer : « Si j'ai manqué à quelqu'un, je vous prie, pour l'amour de Dieu, de me le pardonner. »

Mille fois on a trouvé ravissant le spectacle que donnèrent des adolescents, comme Tarcisius, de jeunes vierges, comme Agnès et Lucie, en mourant à la fleur de l'âge, victimes d'une inviolable fidélité à leur Dieu. On nous permettra pourtant de croire que les cheveux blancs d'un Polycarpe, d'un Willehald, d'un Godefroid van Duynen, donnent au sacrifice de la vie fait par ces glorieux vieillards — gloriosi senes comme les appelle un de nos livres liturgiques — un sens encore plus élevé, une beauté encore plus idéale.



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Message  Monique Sam 17 Aoû 2024, 12:13 pm

Les soldats à qui s'adressait la demande le pardon de Godefroid van Duynen étaient-ils capables d'en saisir la sublime beauté ou même la signification ? Nous ne le croyons pas ; car quelques-uns virent l'expression tardive d'un regret de la vie dans cette parole qu'inspirait au doux vieillard sa grande humilité et l'inépuisable bonté de son âme. Ils étaient du reste tout entiers à leur métier de bourreaux. Quinze des martyrs pendaient maintenant pêle-mêle à la grande poutre ; c'étaient les trois prêtres séculiers Léonard Vechel, Nicolas Janssen et André Wouters, curé de Heinenoord ; les Franciscains Jérôme et Antoine de Weert, Willehald du Danemark, Théodore van der Eem, Nicaise de Heeze, Godefroid de Melveren, Antoine de Hoornaar, François van Rooy et Pierre de Assche ; le Dominicain Jean de Cologne, curé de Hoornaar, le chanoine régulier de Saint-Augustin, Jean d'Oosterwyk, et le Prémontré Adrien de Hilvarenbeek, curé de Monster. A la petite poutre il n'y en avait que trois, les deux Franciscains Nicolas Pieck, Corneille de Wyk-by-Duurstede et le prêtre séculier Godefroid van Duynen, le simple d'esprit. Enfin au haut de l'échelle on avait attaché la corde qui étreignait le cou du Prémontré Jacques Lacops. Les bourreaux avaient toujours escompté l'apostasie du beau jeune homme et ils avaient retardé son supplice jusque vers la fin ; mais les tentateurs en furent pour leurs frais de ruse satanique. L'enfant prodigue de Middelbourg, le pénitent de Mariënwaard et de Monster mourait en martyr.

La triste besogne durait depuis deux heures, mais elle était faite vaille que vaille par des hommes ivres. Il en résulta pour la plupart des martyrs un surcroît de tortures. Celui-ci avait la corde au menton; chez un autre elle avait glissé jusque dans la bouche ; d'autres enfin l'avaient bien au cou, mais elle était insuffisamment serrée. Quand les soldats revinrent le matin, cinq ou six heures après le drame delà nuit, le père Niçoise respirait encore. Les victimes avaient payé un tribut, considérable chez quelques-uns, à l'horreur instinctive de la mort. Et voilà qu'ils durent en savourer les angoisses pendant des heures entières. A ses témoins. de tous les siècles Dieu voulait donner une nouvelle preuve de l'énergie et de la fermeté de l'homme, quand il sait appuyer sur le secours d'en haut sa faiblesse native et son inconstance naturelle.

C'est ainsi que moururent à Brielle en Hollande, dans la matinée du mercredi 9 juillet 1572, les dix-neuf confesseurs de la foi qui portent dans l'histoire le nom de « Martyrs de Gorcum », bien que trois d'entre eux ne fussent pas de cette ville. Leur nombre, la variété de leur condition, la bassesse des outrages dont ils furent accablés, la cruauté qui marqua leur long supplice, enfin le motif éminemment religieux de leur douloureux martyre, mettent celui-ci parmi les plus glorieux qu'ait eu a enregistrer l'histoire des temps modernes. Ce que vengeait dans la mort de ces prêtres un parti violent, victorieux depuis peu de temps, ce n'était pas leur attachement au roi d'Espagne. Il y avait dans les villes conquises des centaines de sujets restés ouvertement fidèles au pouvoir légitime. Ce n'était pas non plus la part qu'ils avaient prise à la défense du château. Car, sans parler de la justice de leur cause et des nombreuses autres victimes exécutées à Brielle seul par le comte de la Marck, les deux Prémontrés de Monster et les curés de Hoomaar et de Heinenoord n'avaient pas eu la moindre part aux incidents qui marquèrent la reddition de Gorcum et de sa citadelle.




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Message  Monique Dim 18 Aoû 2024, 6:31 am

Avant tout et par-dessus tout, les Gueux calvinistes haïssaient dans ces prêtres et ces religieux leur qualité de ministres d'une religion qui avait le Pape comme chef et l'Eucharistie comme un de ses dogmes principaux. De tous les prêtres qui tombèrent entre les mains de la Marck ou de ses lieutenants, quelques-uns seulement échappèrent, et par miracle, à l'arrêt inexorable dont il les avait frappés. Après la reddition de la citadelle, et au mépris de la foi jurée, les prêtres et les religieux sont retenus captifs et envoyés à Brielle. 

Les avanies qu'on leur prodigue sont partout marquées au coin de l'impiété et du blasphème. Les injures les plus ordinaires sont : papistes, sacrificateurs, diseurs de messe, mangeurs de Dieu. Rien n'est négligé pour les amener à l'apostasie. Qu'on se rappelle les deux interrogatoires à Brielle, les avances intéressées que leur fait le curé apostat de la ville, et les instances personnelles de la Marck auprès du jeune Jacques Lacops. Ici même, dans cette grange où s'est consommé leur sacrifice, chaque confesseur a vu paraître devant lui le pasteur calviniste; il a offert à chacun d'eux la vie en échange de sa foi catholique et romaine. Un mot, et c'est la liberté. Ce mot, quelques malheureux l'ont prononcé, et malgré la sévérité des ordres du comte, ils ont été délivrés à l'instant. Oui, c'est bien le prêtre, le religieux, le fils soumis du Pape, le ministre de l'Eucharistie qu'on a poursuivi dans leur personne. La postérité en a une dernière preuve dans la fureur avec laquelle les bourreaux s'acharnent sur les cadavres de leurs victimes. Seule une haine sectaire peut expliquer de pareilles bassesses.

La triste besogne achevée, Jean d'Omal et sa bande étaient allés se reposer des fatigues d'une nuit commencée dans l'ivresse et achevée dans le sang. Il est probable qu'une surveillance sévère avait été organisée autour de la grange pour en tenir éloignés les quelques hommes de cœur qui auraient pu songer à rendre les derniers devoirs aux suppliciés, peut-être même à en sauver quelques-uns. De grand matin, le peuple commença à affluer au lieu de l'exécution. Le défilé continua toute la matinée. Les gardiens de la porte, en hommes pratiques, se mirent à exploiter cette curiosité malsaine. A leur avis, le spectacle sanglant qu'on allait contempler dans la grange du monastère en ruines valait bien quelque rétribution. Désormais on ne passa plus sans donner une petite pièce de monnaie. Nous voudrions pouvoir dire à l'honneur des Briellois que le nombre des victimes et la barbarie avec laquelle on les avait tuées touchèrent leurs cœurs. Hélas! il n'en fut rien; l'histoire nous laisse supposer, dans la foule des curieux qui visita la grange, les mêmes attitudes que le jour où les prisonniers firent leur entrée dans la ville. Si quelques-uns eurent un sentiment de pitié à l'égard des martyrs, et de dégoût à l'endroit de leurs bourreaux, il n'y en eut pas un seul qui osât le manifester. La haine du prêtre était si fortement ancrée dans les cœurs que les enfants eux-mêmes vinrent se moquer de ces vilains papistes, de ces pendus qui, disaient-ils,  jouaient là-haut à la balançoire.



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Message  Monique Lun 19 Aoû 2024, 9:05 am


Vers les dix heures, les Gueux revinrent après avoir bien dormi. Aux vils propos de la foule, aux rires des enfants ils ajoutèrent un spectacle qui restera l'éternelle honte de ceux qui se le permirent. Ils s'acharnèrent sur les corps nus des victimes, ils les tailladèrent de leurs sabres. Il fallait à l'un le nez ou la langue d'un prêtre, à un second la main ou l'oreille d'un moine. A d'autres il fallait autre chose ; et chacun réclamait sa part à cet ignoble partage. Ils eurent le courage de fixer ces membres sanglants qui à sa lance, qui à sa ceinture ou à son chapeau ; et c'est ainsi qu'ils parcoururent la ville, arrêtant les passants et leur mettant sous les yeux leurs tristes trophées. Le lecteur nous pardonnera de ne point reproduire les propos grossiers, les plaisanteries grivoises qui accompagnèrent cette scène de cannibales. 

Le corps obèse du Père Jérôme de Weert fut traité avec une barbarie particulièrement révoltante. On connaît le procédé qu'emploient dans les Pays-Bas les bouchers pour vider les porcs quand il les ont tués. Ils leur ouvrent le corps, le fendant par devant de haut en bas. Faisant ensuite jouer le dos comme charnière, ils l'étendent violemment sur une petite échelle à laquelle ils attachent l'animal. Ils dressent ensuite l'échelle contre un mur pour égoutter plus facilement le sang. Voilà l'ignoble traitement dont fut honoré le cadavre du digne prêtre qu'avait été le Père vicaire du couvent de Gorcum. Mais chose plus abominable encore et comme on en trouve rarement de semblables dans les passions des martyrs d'autrefois. Ils avaient amené avec eux le Frère Henri. Pour s'assurer de la sincérité de son apostasie, ils lui mettent en mains un fusil et lui commandent de le décharger sur le corps inanimé de son supérieur. Cet ordre révoltant eût dû ouvrir les yeux au jeune homme, et provoquer chez lui un haut le cœur, gage du remords et du pardon. Mais le moment de la grâce n'avait pas encore sonné. Sous les étreintes de la peur, le pauvre égaré commit l'infamie qu'on lui demandait.

Enfin les Gueux s'en allèrent. Le silence se fit autour de la grange. Dans l'après-midi, un catholique de Gorcum, celui-là peut-être qui avait cherché, mais en vain, à les sauver avec la lettre du Prince d'Orange, s'adressa aux autorités. Il demandait qu'on lui permît au moins d'enterrer les cadavres. Ce n'est qu'à grand'peine et à prix d'argent qu'il en obtint la permission. Encore ne voulut-on pas lui permettre de s'en charger lui-même. Ce soin fut confié aux Gueux. On devine la façon sommaire dont ils procédèrent. Ils attendirent qu'il fit nuit. Sous la grande poutre ils creusèrent une grande fosse et sous la petite une petite fosse. Puis de leurs sabres ils coupèrent les cordes. De chaque poutre les corps tombèrent pêle-mêle dans la fosse. On les couvrit de terre.

Tout était consommé.





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Message  Monique Mar 20 Aoû 2024, 12:50 pm

CHAPITRE XI


A CHACUN SELON SES ŒUVRES

****


C'est dans cette grande et au-dessous de ces poutres que restèrent ensevelis les corps des martyrs. Les catholiques ne perdirent pas de vue des frères qui leur avaient fait tant d'honneur. Mais, jalouse et haineuse, l'hérésie veillait autour de leur tombeau. A aucun prix elle n'en céderait la propriété aux catholiques; elle leur en refusa même obstinément l'accès. Autrefois l'opprobre et la mort, désormais le silence et l'oubli; tel semblait être le mot d'ordre du parti.

Mais Dieu allait déranger ce programme, et en attendant il laissait libre cours à sa justice et à sa miséricorde.

On se rappelle qu'au moment où les confesseurs de la foi furent conduits au supplice, le curé de Mansdam, Adrien Bonders, et le chanoine Pontus de Huyter ne furent pas dérangés dans le logis plus confortable que leur avait valu une lâche complaisance. Mais les Gueux ne durent se fier qu'à demi à leur conversion au calvinisme. Le mercredi 16 juillet, exactement huit jours après la mort glorieuse de leurs compagnons, ils furent cherchés par Jean d'Omal et conduits eux aussi dans la propriété de Ten Rugge pour y être pendus. Adrien Bonders, la figure contractée par la peur, demande grâce; et comme on ne lui répond pas, il crie a tue-tête qu'il renonce à sa foi, à son sacerdoce, à tout ce qu'on voudra. C'est peine perdue. La corde qui l'étreint est jetée par-dessus la brandie du premier arbre venu, et le malheureux expire sans qu'on ait jamais su si la mort le surprit dans un dernier blasphème ou dans un mouvement suprême de repentir.

C'était maintenant le tour de Pontus de Huyter. Mais, le croirait-on, notre cauteleux chanoine réussit à se tirer du mauvais pas et à calmer Jean d'Omal lui-même. Il devint le secrétaire de l'apostat. Il est vrai qu'à son service il gagna plus d'injures et même de coups que de faveurs, mais il parvint à s'échapper. Une fois en sûreté, il comprit ce que sa conduite avait eu de lâche ; il se réconcilia avec l'Église et reprit ses travaux d'histoire et de littérature. Jusqu'à sa mort, qui arriva en 1602 à Saint-Trond, il vécut, sinon dans une ferveur qui semble n'avoir jamais été dans sa nature, du moins dans les sentiments d'une humilité sincère dont témoigne le récit qu'il nous a laissé des souffrances de ses compagnons. Elle allait — dit la vieille chronique — jusqu'à lui faire refuser dans la conversation le nom de Monsieur. « Non, non, disait-il avec simplicité, ne m'appelez plus ainsi, car je n'ai pas persévéré dans la société des martyrs. »



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Message  Monique Mer 21 Aoû 2024, 9:35 am

Les deux religieux qui avaient apostasié dans la grange, en présence de leurs confrères expirants eurent, eux aussi, un sort bien différent. Le Père Guillaume avait pris du service chez les Gueux et — comme il arrive souvent à ceux qui tombent de plus haut — il surpassait ses nouveaux compagnons en cruauté et en débauche. C'est là que l'attendait le châtiment divin. Traître à ses vœux, à son sacerdoce, à son Dieu, il essaya aussi de trahir le comte de la Marck, son nouveau maître. Mal lui en prit. Accusé de vol et de tentative d'empoisonnement, il fut arrêté, convaincu, condamné et, séance tenante, exécuté. Trois mois à peine s'étaient écoulés depuis le jour où il avait laissé passer, sans en profiter l'occasion unique de racheter par une mort glorieuse les longues infidélités de sa vie de religieux relâché.

Le jeune Frère Henri, coiffé d'un bonnet, armé d'un fusil, avait été incorporé lui aussi parmi les Gueux. Et nous avons raconté comment le malheureux avait du décharger son arme sur le corps inanimé de son supérieur. Mais Dieu, qui abandonne parfois à sa justice le sort d'une âme basse et vile comme semble avoir été celle de Guillaume, pardonne avec une inépuisable bonté les fautes qui procèdent de la faiblesse. C'est la mort dans l'âme que Henri avait apostasié et qu'il avait commis l'infame que les bourreaux lui commandaient. Dans les rangs des Gueux et bientôt au service d'un particulier, il éprouva, durant plusieurs semaines,, angoisse sur angoisse, avanie sur avanie. Mais il parvint, lui aussi, a s'échapper; il arriva jusqu'à Bois-le-Duc où il fut accueilli, pardonné, réconcilié avec l'Église. Il fit pénitence jusqu'à la mort qui, contrairement à l'affirmation de beaucoup d'historiens, ne vint le prendre que dans une extrême vieillesse. C'est par lui, témoin oculaire jusqu'à la fin, ainsi que par Pontus de Huyter, que la postérité a connu la plupart des détails que nous avons pu donner sur les derniers combats et sur la mort des confesseurs de la foi.

Pendant ce temps, la justice de Dieu atteignait les uns après les autres les grands coupables du drame du 8 au 9 juillet. Une fois de plus on voyait retomber sur les persécuteurs le sang des victimes immolées.



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Message  Monique Jeu 22 Aoû 2024, 1:41 pm

Jean Vrouwelingh, le misérable qui avait livré les deux Prémontrés de Monster et les avait suivis de ses sarcasmes jusqu'à la mer, mourut, dit-on, de la rage. Jean d'Omal, l'apostat de Liège, le sanguinaire satellite du comte de la Marck, fut arrêté pour l'excès de ses cruautés, quelques mois après le crime de Brielle. Et bien qu'il essayât de rejeter sur son maître la responsabilité de ses infamies, il n'échappa point au supplice.

Le comte de la Marck lui-même tomba en disgrâce. Dans ce même mois de juillet, après les martyrs de Gorcum il avait mis à mort avec des raffinements inouïs de cruauté le vénérable Musius recteur du monastère de Sainte-Agathe à Delft. Ce vieillard de soixante-neuf ans, universellement estimé dans les Pays-Bas, était personnellement connu et aimé du Prince d'Orange. Sa mort fit la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Le Prince eut, comme toutes les honnêtes gens, un haut le cœur; il renia un lieutenant qui le déshonorait plus encore par sa cruauté que par son insolence. Il lui ôta son commandement et le donna à Blois de Treslong. De la Marck fut décrété d'emprisonnement; il fut tour a tour arrêté, relâché, et saisi de nouveau. On lui demandait compte d'innombrables actes de cruauté et notamment du crime commis le 9 juillet dans la grange de Brielle. Il est vrai que dans le réquisitoire officiel Jean d'Omal était seul nommé. Mais c'était là un de ces bons procédés de pure forme dont on use parfois envers les criminels de haute volée. Le comte était nettement visé dans la personne de son farouche lieutenant. Il le comprit. Dans sa Réponse  et dans son Apologie1 il chercha à se disculper. A l'entendre, sa conduite méritait plutôt des éloges que du blâme. Ceux qu'il avait châtiés avaient opposé de la résistance à ses hommes lors de la prise de Gorcum. Le lecteur se rappelle le caractère de cette résistance, à laquelle plusieurs des martyrs n'avaient pas eu la moindre part. Si la justice avait suivi son cours, continuait de la Marck, c'est que les prisonniers a avaient persisté dans leur fausse religion papiste.

Que ce fut là à ses yeux leur grand crime, nous le savions déjà. Toutefois cet aveu explicite du tyran qui envoya nos confesseurs au supplice est pour nous d'un prix inestimable. En ces quelques mots le persécuteur livrait le fond de son âme. Il donnait le vrai motif de la mort de ses victimes, celui qui à nos yeux en fait des martyrs.


1. Missive van het Hoff(van Holland) aen den graeff van der Mark nopende Jan du Maele - - Antwoort van den graeff van der Mark, Register van Missieven s' Hofs van Holland, 15 juin 1573-14 juin 1583, fol. 3 seq.

2. Ellle se trouve en entier dans l'ouvrage que nous citerons de BoR (cf. Bibliographie) I, fol. 3II, p. 425, seq.




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Message  Monique Ven 23 Aoû 2024, 10:46 am

De la Marck convenait du reste « que les choses auraient pu se passer avec un peu plus de mesure ». Mais il eut beau plaider les circonstances atténuantes. Il ne parvint pas à donner le change sur les turpitudes que la conscience publique indignée lui reprochait. On dut malgré tout le ménager. Il se retira d'abord à Liège, au pays de ses pères, puis à Aix-la-Chapelle, simulant ici et la une conversion qui ne trompa personne. Fut-il lui aussi mordu par un chien enragé, comme plusieurs historiens le rapportent ? Le fait ne nous semble pas suffisamment prouvé. Nous savons seulement avec certitude qu'il mourut vers 1578, honni de tout le monde1. De nos jours encore son nom ne provoque que du dégoût. De la Marck, dit un de nos historiens protestants*, n'avait d'autre religion que sa haine du papisme.... Chez lui ce n'était ni fanatisme ni fausse conception du devoir. La cruauté tout court, le plaisir dans le mal, tel fut le mobile de ses actions, et la seule chose qu'il mérite de tout Néerlandais est un mépris sans partage. »

Ce mépris s'attache également au nom de Marin Brant. Après la prise de Gorcum, il fut pendant quelque temps sur le pinacle. Il reçut même un commandement supérieur avec le titre d'amiral. C'est à ce poste d'honneur qu'il essuie, le 18 mai 1573 une déroute complète sur le lac de Harlem, où les Espagnols lui prennent vingt-deux de ses vaisseaux. Cette humiliation n'est que le premier acte du châtiment. Deux ans plus tard, le 28 juin 1575, cet homme sans honneur trahit le Prince d'Orange et sa patrie. En compagnie de Swartekens ou Noirot de Gorcum dont on se rappelle la dureté envers nos martyrs, il passe à l'ennemi, et il finit sa vie dans la honte. L'histoire a ratifié le jugement d'Estius ; le nom de Marin Brant porte dans nos Annales la flétrissure indélébile du traître et du parjure.

Un châtiment pèse encore de nos jours sur les villes dont les habitants se montrèrent durs pour nos martyrs. Au point de vue de la vieille foi catholique, Dordrecht et Brielle sont, tout comme Gorcum, des endroits désolés. Il en est de même de Terheide. Quand après avoir quitté la Haye et laissé au loin, sur la gauche, le village de Ryswyck où se conclut le célèbre traité de 1697, on s'enfonce vers le Westland (pays de l'Ouest) , on arrive bientôt à Monsler. Uq prêtre catholiqae, disposant d'une petite église bien tenue, veille là sur un noyau de bons catholiques. Mais la grande et vieille église restaurée appartient aux protestants, qui forment la majorité de la population. Le ministre a sa demeure au centre de la grande propriété où s'élevait en 1572 le presbytère d'Adrien de Hilvarenbeek et de Jacques Lacops. De la grande église — sa tour, comme celle de Brielle, servait autrefois de phare — on est en (Quinze minutes à Terheide et à la mer. Le spectacle est grandiose. Dans le lointain on distingue à sa droite la plage de Scheveningue et à sa gauche, non loin de Brielle et de l'embouchure de la Meuse, Hoek van Holland, le lieu d'embarquement pour l'Angleterre. Tout droit devant soi s'étend le champ de bataille où, dans un combat acharné contre les Anglais commandés par Georges Monck, la flotte hollandaise perdit son grand amiral, le Briellois Martin Tromp, Sa mort eût été pour la patrie un désastre irréparable, si le héros ne lui avait laissé en Michel de Ruyter un disciple dont la gloire allait égaler, dépasser même celle du maître1. Mais quand du théâtre de cette bataille glorieuse et funeste tout h la fois» les regards se reportent vers le continent, on reste rêveur et triste. La terre qu'on foule fut témoin â une grande iniquité.

C'est ici que dans la nuit du 6 au 7 juillet 1572 furent embarquées de force et conduites là-bas dans la direction de Hoek van Holland et de Brielle les trois victimes surprises par trahison dans le presbytère de Monster. On sent le cœur se serrer, quand on rapproché de ce pénible souvenir le spectacle d*une mer qui est plus menaçante ici que nulle part ailleurs sur nos côtes. Plus d'une fois déjà elle a emporté un morceau du littoral, et Ton craint qu'un jour ou l'autre elle ne parvienne à engloutir ce village de Terheide qui refusa, devant un léger sacrifice, de sauver la vie à ses pasteurs.


1. Ce mépris se fait jour dans cette épitaphe flamande composée dans le goût du temps :

Hier leydt begrayen, Wilm van der Marcken Leefde als een Hondt, stierf als een varcken.

Ci-gît Guillaume de la Marck :

Il vécut comme un chien et mourut comme un pourceau,
2. Robert Fruin's Verspreide Geschriften. La Haye, 1900, D. II, p. 321.

I. A la bataille navale de Terheide (10 août 1653) combattaient, sous les ordres de Tromp, les commandants de Ruyter, Jean Evertsen, Jean Floriszoon, le Briellois Witte Corneliszoon de With, tous de grands noms dans lhistoire de notre marine. La flotte anglaise avait cent vingt vaisseaux, et la flotte hollandaise en comptait cent cinq. L'issue de cette bataille mémorable, où deux puissances rivales se disputaient l'empire de la mer, fut indécise Tromp avait cinquante-six ans quand il mourut. Ses dernières paroles furent : « J'ai fini. Tenez-vous bien. Ayez pitié, mon Dieu, de moi et de ces braves gens. » Il était adore des marins qui ne lui donnaient d'autre nom que celui de « grand'père » bestevaer, selon le vieux mot hollandais.




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Message  Monique Sam 24 Aoû 2024, 10:04 am

Cependant les corps des martyrs restaient ensevelis sans gloire. On se racontait leur vie et leur mort, on rassemblait les documents pour l'histoire, on eût voulu posséder leurs restes précieux. Mais l'hérésie veillait toujours. En 1615, quarante-trois ans après le martyre, l'armistice conclu entre le roi d'Espagne et les Provinces-Unies apporta un moment de calme. Les catholiques en profitèrent pour faire une première fouille, suivie bientôt de deux autres. Chaque fois, il est vrai, il fallut opérer pendant la nuit. Mais Dieu permit qu'on ne travaillât pas en vain. Le précieux trésor fut déterré, et comme les provinces du Nord restaient exposées aux pires éventualités, on jugea plus prudent d'envoyer les reliques dans le territoire plus sûr de la Belgique. L'archevêque de Malines, Mathias Hove, après avoir reconnu leur authenticité — l'acte est du 22 juin 1616 — organisa une fête solennelle en l'honneur de leur translation de l'église Sainte-Gudule de Bruxelles au couvent des Frères Mineurs de la même ville. La fête, à laquelle assistèrent le nonce du Pape et les archiducs Albert et Isabelle, eut lieu le 18 juin 1618.

Ce jour-là fut le premier de la glorification de nos martyrs. Dès l'année suivante on introduisit la cause de leur béatification. Parmi les nombreux témoins qui furent entendus il s'en trouvait qui avaient assisté au dernier sermon de Léonard Vechel, au jour de la Visitation de la Sainte Vierge. D'autres s'étaient confessés à lui, à son collègue Nicolas Janssen et aux Pères du couvent des Franciscains. Mais bientôt de nouvelles difficultés surgirent. Après avoir examiné les pièces du dossier, la Congrégation des Rites n'osa rendre une réponse décisive. Avait-on dans les origines omis quelqu'une des précautions dont l'Église aime à s'entourer, quand elle est invitée à se prononcer sur la sainteté de ses enfants ? La chose est possible. Elle paraît même probable, quand on se rappelle la triste condition des temps et des lieux. Par surcroît de malheur, l'état de persécution dans lequel continuait à demeurer le pays et l'intolérance des protestants ne permettaient pas pour le moment de réunir un complément d'informations que réclamait la prudente réserve de Rome. Ce n'est que soixante-quatre ans plus tard et plus de cent-trois ans après leur martyre que les dix-neuf confesseurs de la foi furent mis par le pape Clément X au nombre des Bienheureux (14 novembre 1675).

L'acte du Souverain Pontife eut une immense répercussion dans la patrie des confesseurs, dans leurs diocèses et leurs familles religieuses. Dans les Pays-Bas du sud, et surtout a l'Université de Louvain qui voyait mettre sur les autels quatre de ses anciens élèves, on put donner libre cours à l'enthousiasme. Il n'en fut pas de même dans les provinces du Nord. Les catholiques durent concentrer dans leurs cœurs et manifester dans l'intimité de leurs réunions les sentiments de joie et de bonheur dont débordait leur âme. Car pour eux les mauvais jours duraient encore, malgré la prospérité de la jeune république et la gloire dont elle continuait à se couvrir. Depuis que le traité de Westphalie (1648) avait consacré son indépendance, la Hollande, quoique aux prises avec des divisions intestines, avait pris parmi les États de l'Europe un rang que ne lui assuraient ni le chiffre de sa population ni l'exiguïté de son territoire. Ses navigateurs, Schouten, Heemskerk, Tasman, découvraient de nouvelles terres. Elle établissait partout ses florissants comptoirs et créait son grand empire colonial. Son armée, avec les inévitables vicissitudes de la fortune, tenait tête tantôt à l'Espagne, tantôt au Saint-Empire, tantôt à la France de Louis XIV. Sa marine, sous les ordres de Martin Tromp et de Michel de Ruyter, humiliait l'Angleterre de Cromwell. Pendant ce temps les Oldenbarneveldt, les Grotius, les Jean et Corneille de Witt, les Heinsius se faisaient un nom de grands hommes d'État, et les Huyghens, les Boerhave, les Rembrandt, les Vondel donnaient a leur patrie une gloire encore plus enviable que celle de ses capitaines et de ses marins.



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Message  Monique Dim 25 Aoû 2024, 9:12 am

Les catholiques, malgré les souffrances endurées, étaient fiers de la grandeur de la patrie1; mais celle-ci persistait à leur endroit dans des sentiments de marâtre. Au régime par trop violent inauguré par les Gueux avait succédé celui de la persécution calculée, organisée. Tous les biens d'Église étaient confisqués; les catholiques étaient dépouillés de leurs droits politiques et exclus de toute fonction publique. L'enseignement public à tous ses degrés leur était interdit. L'exercice du culte en public leur était sévèrement défendu. Tout au plus tolérât-on plus tard des réunions privées qui se tenaient en ville dans des greniers ou des magasins, a la campagne dans les remises et les granges des fermes.

Si du moins on avait mis un peu de libéralisme à interpréter ces lois! Mais non, elles étaient appliquées partout avec une sévérité mesquine et tracassière. C'est ainsi que les magasins où se tenaient leurs réunions ne devaient pas avoir de vitrage, el leurs toits n'être ni en tuiles ni en ardoise. Que les catholiques, comme à Oud-Heusden où ils étaient en majorité, se permissent de vénérer quelques reliques de nos martyrs conservées dans la chapelle du châtelain. L'on entendait les protestants crier à l'audace exorbitante des papistes », les dénoncer aux États de la Province, et ceux-ci prendre la chose au tragique, casser les fonctionnaires catholiques de l'endroit et les remplacer par des protestants absolument sûrs.

Voilà sous quel régime durent vivre et se maintenir fermes et fidèles les catholiques des provinces du Nord. Ce n'est qu'après l'invasion des armées de la Révolution et plus tard sous le gouvernement de Louis-Napoléon que la tyrannie sectaire dut adoucir ses exigences. Une fois le mouvement imprimé, la liberté religieuse fit son œuvre. Beaucoup d'églises furent rendues aux catholiques. Ils en restaurèrent et en construisirent un plus grand nombre encore. Le 7 mars 1853, Pie IX créait une nouvelle province ecclésiastique, comprenant l'archidiocèse d'Utrecht et les évêchés suffragants de Harlem, Bois-le-Duc, Bréda et Ruremonde. Ce jour-là, la mission de Hollande » prenait fin et laissait la place libre à la juridiction épiscopale ordinaire.

Tout comme en Angleterre, l'acte de Pie IX rendant sa hiérarchie catholique à un pays qui avait tant souffert n'alla pas sans provoquer chez les calvinistes une terrible explosion du fanatisme d'autrefois. Le ministère Thorbecke, qui avec beaucoup d'équité avait rendu possible cette résurrection et qui l'avait même favorisée» fut renversé. Mais les catholiques gardèrent leur sang- froid, et le souverain, Guillaume III, son esprit de justice. Les passions sectaires d'antan furent vite honteuses d'elles-mêmes, et, grâce à quelques concessions mutuelles, le calme se rétablit, présageant l'ère de liberté et de prospérité qui depuis lors fut assuré à l'Église et à la Nation.


1. Ils tinrent toujours à honneur d'être de bons patriotes. On le doit même par certains détails qui révèlent un état d'esprit habituel. C'est ainsi que lors des réjouissances qui eurent lieu en 1793 à l'occasion de la naissance du Prince héréditaire de la maison d'Orange, on lisait au programme des fêles de la petite ville, entièrement catholique, de Venlo, une messe pontificale suivie du chant du Te Deum et du « Wilhelmus van Nassouwe », le chant patriotique consacré au Père de la patrie.



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