Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
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Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
C'est un livre de l'Abbé J. Calvet, sur les 8 tableaux, dans l'église Notre-Dame de Besançon,
représentant "Le Cortège de la Vierge" du peintre Joseph Aubert (1849-1924).
Dans le livre même, les images ne sont pas en couleur, mais grâce à ce site dont je mets le lien ici,
https://memoirevive.besancon.fr/search/results?target=controlledAccessAuthor&keyword=Joseph%20AUBERT%20%281849-1924%29 ,
je pourrai tout en transcrivant le texte, les placer en couleur. En voici le lieu :
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
NIHIL OBSTAT
Die 9a Maii 1921.
J. LABOURT,
Censor delegatus.
IMPRIMATUR
Parisiis, die 16a Maii 1921.
H. ODELIN,
V. G.
ACHEVÉ D'IMPRIMER
LE 22 JUIN 1921
sous la direction de P. LETHIELLEUX, éditeur,
par les soins de
P. LE RAT, héliograveur,
également chargé de l'impression en taille-douce,
La Typographie FIRMIN-DIDOT.
Copyright by LETHIELLEUX
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Les ayants droit et l'éditeur réservent tous droits de reproduction du texte et des gravures.
Cet ouvrage a été déposé conformément aux lois, en Juin 1921.
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Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
TABLE DES MATIÈRES
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INTRODUCTION
Regina Patriarcharum
- Adam et Eve.
- Abel, Mathuslem, Énoch, Noé.
- Sara, Isaac, Abraham, Melchisédech.
- Jacob, Rachel, Joseph, Juda.
Regina Prophetarum
- Moïse.
- Déborah, Marie, La Fille de Jephte.
- David et Abigail.
- Élie, Nathan, Samuel, Élisée.
- Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Daniel.
Regina Aspostolorum
- St Pierre, StJean.
- St André, St Jacques, St Paul.
- St Lazare, St Ferréol, St Ferjeux.
- St Hilaire, St Martial, St Pothin.
- St Denys, St Maximin, St Trophime, St Saturnin.
Regina Virginum
- Ste Blandine, Ste Cécile, Ste Agnès, Ste Catherine d'Alexandrie.
- Ste Ursule, Ste Geneviève.
- Ste Scholastique, Ste Odile, Ste Claire, Ste Colette.
- Ste Jeanne d'Arc, la Bse Imelde Lambertini, Ste Germaine.
- Ste Thérèse, Ste Marguerite-Marie, Ste Rose de Lima.
Regina Confessorum
- St Charles Borromée, St Ignace, St Louis.
- St François, St Dominique.
- St Bernard, St Bruno, St Colomban.
- St Claude, St Jérôme, St Benoît.
- St Ambroise, St Grégoire, St Jean Chrysostome, St Martin.
Regina Martyrum
- St laurent, St Étienne.
- St Clément, St Irénée.
- Ste Félicité et ses enfants.
- St Agapit, St Tarsicius, Ste Barbe, Ste Lucie.
- St Sébastien, St Maurice, St Georges.
- St Pierre de Vérone, St Jean Népomucène.
Refugium Peccatorum
- St Simon Crespinien, St Sigismond.
- Ste Marguerite de Cortone, Ste Thaïs, Ste Marie l'Égyptienne.
- Ste Monique et St Augustin.
- Ste Madeleine, Ste Marthe.
- La Samaritaine, Le Bon Larron.
Consolatrix Afflictorum
- St Pierre Claver, St Vincent de Paul.
- St Jérôme Émilien, St camille de Lellis.
- St Félix de Valois, St Jean de Matha.
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Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
PRÉFACE
____Depuis trop longtemps, nous avons été condamnés à vivre d'un régime de divorce et de séparation universelle : séparation factice des classes, séparation de la femme et de la mère, séparation de la science et de la foi, séparation de la raison et de la piété, séparation de l'art et de la morale. Quoi, enfin ? Osons aller jusqu'au bout : séparation de la vie et de la mort, la seconde cessant, pour un trop grand nombre d'entre nous, d'être la transformation sans doute, mais la suite logique de la première. Il suffirait d'ouvrir le beau volume que nous présentons au public pour y apercevoir tout de suite une énergique résistance à l'une de ces manies séparatistes ; car la science historique, la dévotion, la liturgie, la littérature et enfin l'art y concourent en une émouvante harmonie.
L'unité de l'art et de la foi n'avait guère été réalisée que dans le style français de nos cathédrales : pierre taillée préparant la sculpture, ordonnance des proportions, splendeur des vitraux, rythme de la musique ; l'architecture maîtresse y ramenait tout à l'unité. Tout y était symbole ; mais tout y valait aussi par soi-même.
Aux yeux des croyants et de celui qui sait tout remettre à son rang, la matière a pu être élevée à une dignité lui permettant de réclamer des droits, ce qui veut dire sa place dans l'alliance des arts. Dans cette alliance des arts, la peinture proprement dite parut longtemps oubliée : son éducation fut plus longue à faire. Il lui manquait cette gamme presque indéfinie de couleurs qui se prêtent à tant d'actions complémentaires les unes des autres et à une si grande variété dans les nuances de l'expression. Au fur et à mesure que les moyens techniques s'offraient aux imaginations chercheuses, il devenait possible de réveiller les sympathies confuses et de rendre visibles les intentions cachées. Le symbole n'était pas seulement affirmé ou supposé ; il était senti. "Je veux des images que j'aie plaisir à regarder", disait sainte Thérèse : si familier qu'il fût, le mot contenait, il contient encore, tout un programme.
Mais le plaisir réservé à une âme comblée des dons de la nature et de la grâce ne pouvait être ni celui d'un enfant, ni celui d'une ignorante, encore moins celui d'une imagination ou trop grossière ou trop légère. Il doit donc y avoir un art religieux, et l'union de ces deux mots invite à réfléchir sur ce que chacun des deux réclame de son associé.
Oui, il faut que l'art religieux soit un art ; ce qui veut dire qu'il ne doit dédaigner aucune ressource naturelle, qu'il doit même en inventer, mais qu'il doit les distribuer toutes en un ensemble ordonné, comme tout est ordonné dans les moindres parties de la création. Des lignes dessinant les attitudes et les gestes, des couleurs nuancées qui illuminent le fond des âmes en les amenant à la surface, il n'est rien qui ne mérite une recherche pénétrante des accords à réaliser ; or ils ne peuvent être réalisés que s'ils sont naturels, et que si on les a replacés dans une harmonie persuasive.
Maintenant, pour que l'art religieux soit religieux, il ne faut pas seulement qu'il indique, il faut qu'il serve l'unité du sentiment dominateur dont il doit être pénétré, dont on veut se pénétrer soi-même quand on se sert des yeux, du cœur et de l'intelligence en présence du divin. Dans le passage d'un symbolisme élémentaire à un art consommé, les étapes ont été nombreuses, les déviations aussi. Les primitifs se sont élevés au-dessus du premier avec une bonne volonté touchante, mais sans pouvoir atteindre aux sommets du second. Encouragés par cette familiarité dans la piété qui caractérise la race italienne, les grands artistes de la Renaissance ont un peu trop oublié dans les séductions de leur art, ce que leur demandait la pensée du surnaturel.
S'inspirer à la fois des uns et des autres est un noble sentiment et une noble ambition, c'est celle de Joseph Aubert. Il ne se mêle pas de corriger les traditions, ni d'en créer d'artificielles, ni de substituer à la réalité les scrupules enfantins d'une dévotion puérile. Il ne s'obstine pas dans l'éternel reproduction d'un saint Joseph qui n'aurait été prétendant à la main de Marie que déjà vieux et chauve. Il ne place pas côte à côte en une même église un saint Louis et une Jeanne d'Arc avec des yeux profondément baissés, alors qu'un roi soldat et une vierge guerrière doivent regarder bien en face l'ennemi, l'injustice, le devoir et la vérité.
La vérité, c'est bien ici le lieu de le rappeler, c'est ce que toutes les professions, tous les âges, toutes les races, tous les modes d'existence, toutes les vertus, les plus favorisées et les plus tentées, les plus vite acquises et les plus payées de repentir douloureux, tout, en un mot, est admis à continuer la mission réparatrice de la Sainte Vierge, comme à achever, selon le mot de saint Paul, ce qui manquait à la Passion du Christ. Eh bien, ne serait-il pas étrange que toutes ces physionomies fussent dépouillées de ce qui doit manifester à l'envie la richesse, la variété, l'universalité des vocations saintes et le libre concours de chacune d'elles ? Des patriarches de l'Ancien Testament à la jeune carmélite de nos jours, tous ceux qui vont figurer dans le Cortège de la Vierge, tous ceux qui l'auront ou annoncée, ou honorée, ou humblement imitée, témoigneront de ce que le Dispensateur de tout bien peut verser de grâces en toutes les générations, entre toutes les races qui les reçoivent et y correspondent selon ce que les ont faites les contingences du temps et de l'espace. Faire revivre en chacune de ces natures son caractère original, les dégager de ce que les hasards inférieurs de la vie ont pu leur faire subir d'altérations banales, n'est-ce pas rendre au Créateur ce qui convient à l'exécution du plan divin ? Si le sacrifice a été sollicité par l'appel d'un devoir supérieur, il n'en aura que plus de prix.
A la reconstitution historique des physionomies et des caractères qui avaient reçu de Dieu leur droit à l'existence, à la vie, à la liberté, M. Joseph Aubert a heureusement travaillé. Grâce à ses voyages en Orient, l'artiste nous fait faire un pas du côté de cette réalité retrouvée ; il a étudié sur place le pays de nos traditions bibliques et chrétiennes, réservé, semble-t-il, sous tant de rapports, à une sorte d'immobilité.
Ceux mêmes qui, sans avoir visité les lieux saints, se sont contentés de voir les types arabes de notre Afrique du Nord, ont pu rapprocher de plus d'un des tableaux de M. Aubert ces visions rapides d'une gravité rêveuse semblant encore toute prête pour l'adoration et la prière ; mais comme il s'est approprié ces types séculaires, notre artiste a su, non moins justement, nous retracer de ces physionomies modernes assez vivantes pour qu'on soit tenté de dire qu'on les a vues et qu'on les connaît. Pour nous aider à bien comprendre chacune d'elles, M. Calvet accompagne chaque tableau d'une explication historique et liturgique pleine d'autorité ; ainsi, ceux qui suivront cette évolution majestueusement attachante des serviteurs de Marie, sentiront se réaliser en eux ce que Bossuet appelait si bien "l'unité naturelle" de la foi, de l'admiration, et de la piété.Henry Joly, de l'Institut.___________
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
INTRODUCTION
______Je me propose de présenter au public les peintures murales de Joseph Aubert qui décorent l'église Notre-Dame de Besançon. L'objet de ce travail est humble et simple ; il serait de mauvais goût d'y glisser une dissertation sur l'esthétique. Cependant pour disposer le lecteur à goûter un art dont la probité est la qualité fondamentale, il ne sera pas inutile de protester contre des bizarreries laides que la mode a consacrées, que le "snobisme" a imposées, qui faussent le sens esthétique et, à la longue, nous rendraient inaptes à jouir des belles choses. Cette protestation n'est pas sans danger : la critique d'art est un enclos réservé à des initiés qui parlent une langue spéciale et ne louent que les œuvres inaccessibles au profane ; quiconque pénètre dans le sanctuaire sans l'autorisation des princes et prétend juger avec goût et aimer d'un cœur naïf tout ce qu'il trouve beau, risque d'être accablé par le mépris. Je vais au-devant du mépris avec sérénité. Au reste, l'arme s'émousse et nous ne sommes peut-être pas très loin de la renaissance du sens commun ; on a vu des révolutions plus brusques et plus profondes.
Il y a des vérités solides que la mode peut offusquer un moment, mais qui ne seront pas vaincues définitivement, parce qu'elles expriment le fond même de la nature humaine. L'artiste est un homme qui exprime ses pensées, ses émotions et ses rêves avec des mots, des lignes, des couleurs ou des sons. S'il n'a rien à dire, pourquoi prendrait-il la plume ou le pinceau ? il ne peut que copier ou sortir du réel, c'est-à-dire tomber dans le conventionnel ou dans l'absurde qui ne sont pas de l'art. Ayant quelque chose à dire, il choisit, pour le dire, un sujet aux limites arrêtées, parce que notre œil ne peut voir la réalité que par fragments ; de ce sujet, il étudie tous les détails par l'observation scrupuleuse de la nature, sachant bien que tout ce qui est hors de la vérité est aussi par le fait même hors de la beauté. Enfin, il compose, il met à leur place les éléments divers de son œuvre, il les subordonne les uns aux autres et tous à l'idée centrale qui en est l'âme. Telle est dans ses grandes lignes la doctrine des classiques, poètes, musiciens ou peintres ; et assurément on peut la contester ou la nier, comme on peut déclarer demain que les boiteux et les borgnes sont normaux et qu'il est suranné de marcher avec deux jambes égales et de regarder avec deux yeux, mais l'absurdité, même triomphante, ne supprime pas la vérité qui reste vraie et qui finit, tôt ou tard, par se venger.
Cette sagesse est aujourd'hui méprisée ; on la flétrit des noms de "littérature" et d' "académisme" ; on lui en veut d'être ancienne, toujours la même ; et comme elle est immuable, on la juge conventionnelle et figée. On l'a remplacée par la fantaisie. Il ne serait pas déplacé de se réjouir de ce changement, s'il avait eu pour résultat de nous révéler des aspects inconnus du réel, et notamment ce qu'il y a d'imprécis et de fuyant dans la vie qui passe. Parfois il est arrivé à des artistes de génie de fixer ainsi l'insaisissable et l'instable, ou du moins de le suggérer par des touches rapides. Mais le plus souvent la fantaisie a été le refuge commode des médiocres : la négligence est à la portée de tous les talents et, si la nonchalance est un artifice, il est facile d'en pénétrer le secret ; il suffit pour y parvenir de s'abandonner à la paresse ; rien ne ressemble à la naïveté de l'enfant comme l'ignorance de l'adulte ; une fois posé en principe que l’œuvre achevée est ridicule, rien de plus aisé que de multiplier les ébauches aux traits hésitants. Il y a eu pire. Des artistes qui auraient eu du talent, pour courir au succès par les voies rapides, ont copié cet art incomplet ; ils sont tombés dans un autre académisme qui est l'horreur de l'idée, du sujet, de la composition, de l'exactitude, de la clarté ; on a qualifié chefs-d’œuvre des tableaux que l'on pouvait retourner sens dessus dessous ; et ce barbouillage était voulu, bien mieux, imité : la folie est devenue un poncif.
L'art religieux a subi le contre-coup de ces révolutions. Longtemps il fut déshonoré par la fadeur bête, par la laideur. Les protestations véhémentes d'écrivains qui n'étaient pas tous des hommes de goût et qui traitaient des choses religieuses avec une morgue fort déplaisante, développèrent chez les catholiques et nommément chez les ecclésiastiques un état d'esprit singulier, où entraient un sentiment de honte pour l'ignorance passée et un très vif désir de devancer la mode, afin de prouver aux mondains que le goût religieux est averti, voire même, audacieux. On brûla les étapes et on passa des "bondieuseries de la rue Saint-Sulpice" au modernisme artistique le plus outrancier. Incapables de créer un art religieux vraiment moderne, nous avons cherché des modèles dans un passé lointain et nous avons découvert les primitifs.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Ces artistes nous émeuvent par la fraîcheur d'un sentiment religieux qui a gardé sa naïveté et qui ne la gardera pas longtemps : les peintres de la Renaissance sont pénétrés de paganisme et pour atteindre plus sûrement le succès ils ne dédaignent pas de flatter les sens. Il est donc juste de s'attacher aux primitifs et d'essayer de leur prendre - si ces choses étaient imitables - l'immatérialité de leurs anges, la piété de leurs saints, le sourire surnaturel de leurs Madones. L'engouement pour les primitifs est devenu une mode distinguée et comme le privilège d'une catégorie de connaisseurs ; puis, ainsi qu'il arrive toujours, le snobisme aidant, il s'est avili ; il est aujourd'hui à la portée des ignorants et des médiocres. Ce ne serait qu'un ridicule de plus, si de cette mode n'était pas né une école de peinture religieuse qui a choisi les primitifs pour maîtres et les a imités en tout avec un talent qui aurait pu prétendre plus haut. On oublie trop que le primitif est un incomplet : il est beau par l'idée, par l'inspiration qu'il porte en lui, par les tentatives répétées et maladroites où il s,applique pour exprimer totalement son rêve. Mais ces maladresses touchantes qui nous émeuvent restent des maladresses ; l'art a progressé rapidement, la technique s'est modifiée, et s'est enrichie. Quand la perfection du métier a été atteinte, les âmes n'ont plus été au niveau de l'art : l'idée s'était alourdie, l'inspiration s'est dissipée ; mais cet art n'en restait pas moins supérieur par ses moyens d'expression à celui des primitifs. Vouloir faire aujourd'hui, après tous les progrès de la technique, et dans notre civilisation raffinée, vouloir faire du primitif d'imitation, c'est commettre un vrai contresens, c'est vouloir balbutier quand on peut parler. Le balbutiement est exquis, mais chez les enfants ; les adultes qui en ont essayé, dans la poésie, dans la musique ou dans la peinture, ont soulevé l'étonnement et le rire ; ceux qui avaient du talent n'ont pas persévéré.
Un peintre de métier qui copie les primitifs doit s'efforcer d'oublier son métier, éviter de finir, affecter la négligence. Or, cette affectation du " lâché " est particulièrement insupportable dans l'art religieux. Nous avons cette idée préconçue que l'artiste chrétien est d'abord un homme consciencieux, qui fait du bon travail, qui rend cet hommage à la vérité de la chercher par tous les moyens, et qui met au service de la beauté spirituelle le maximum de science technique qu'il a pu acquérir. S'il n'est pas un "bon ouvrier", il n'est pas digne de toucher au surnaturel. Assurément ces connaissances et ces habilités d'atelier ne suffisent pas ; l'art est une création ; et c'est l'intensité de la vie intérieure de l'artiste, c'est la vigueur de son imagination, c'est la chaleur de son âme qui donneront à son œuvre, parfaite d'exécution, la vie qui tient à je ne sais quoi, mais qui ne saurait se passer de cette perfection technique.
Et il n'est pas indifférent que l'artiste connaisse par expérience les émotions qu'il veut exprimer, et pour faire de la peinture chrétienne qu'il soit chrétien. S'il est un bon ouvrier, s'il a le feu sacré, et si en regardant son œuvre nous sentons qu'il croit tout ce que son pinceau raconte, il sera bien près d'avoir réalisé l'idéal de l'artiste religieux.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
L’œuvre picturale de Joseph Aubert est considérable et, à part quelques portraits et quelques tableaux d'histoire, elle est presque exclusivement religieuse. On y relève certains caractères communs qui frappent tout d'abord. Joseph Aubert est un passionné d'exactitude ; il cherche le document vrai et il l'étudie, dans le détail, avec la patience d'un savant. Il a fait trois fois le voyage d'Orient pour retrouver la lumière, les lignes et les visages des scènes bibliques. Cependant il ne faudrait pas voir en lui un historien ; il reste peintre avant tout. Une fois pénétré de la vérité qu'il a minutieusement cherchée, il se préoccupe de poser un ensemble qui réjouisse le regard et il se soumet aux conditions ornementales du peintre décorateur. Il lui arrive d'oublier les minuties de l'histoire qu'il connaît, les curiosités archaïques qu'il a étudiées, pour s'attacher seulement à l'harmonie des groupements, à la beauté du mouvement, à l'expression des visages qui semblent sortir d'un lointain passé et devenir brusquement contemporains. C'est l'art de la composition ; et il n'y en a point que ce peintre attentif ait plus étudié, pénétré plus à fond et pratiqué avec plus de persévérance.
La peinture religieuse de Joseph Aubert a aussi ce caractère qu'elle est vraiment religieuse. A Notre-Dame des Champs, à Paris, à Notre-Dame de Besançon, dans les nombreuses églises de Franche-Comté où ses tableaux sont répandus, ses personnages peuvent se mêler à la liturgie sans y faire disparate, et la prière des fidèles s'alimente à les contempler. Par leur pureté, par leur sérénité, ils sont établis déjà dans le monde surnaturel où ils nous appellent ; et leur grâce apaisante fait oublier un instant l'agitation et les troubles de la vie. On sent que l'artiste les a peints avec conviction et a fait revivre en eux les rêves de sa vie intérieure. Quand on se mêle de peinture chrétienne, il n'est pas indifférent d'être chrétien.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
L'église de Notre-dame de Besançon, que Joseph Aubert a décorée, est un des plus anciens édifices religieux de Franche-Comté. Bâtie au VIIe siècle, elle fut d'abord dédiée à saint Marcellin ; détruite par les Sarrasins, elle fut rééditée, mais sous la forme de chapelle, au XIe siècle, et fit partie de l'abbaye bénédictine de Saint-Vincent. Jusqu'à la Révolution, l'église paroissiale de Saint-Marcellin fut desservie par un religieux de l'abbaye de Saint-Vincent ; d'abord modeste et pauvre, elle connut après la conquête française la prospérité et l'éclat, en même temps que des confréries établies par les religieux y donnaient l'exemple des vertus chrétiennes. Après le Concordat, en 1807, une nouvelle paroisse fut érigée qui comprenait l'ancienne paroisse Saint-Marcellin et des débris de communautés voisines ; elle prit le nom de Notre-Dame ; elle eut pour église paroissiale l'ancienne chapelle des Bénédictins qui fut restaurée. Les curés qui se sont succédé à Notre-Dame au cours du XIXe siècle ont eu à cœur d'embellir leur église.
" L'église Notre-Dame, qui date du XIe siècle est, en somme, un édifice lourd, dont la voûte est soutenue par des pilastres disgracieux. Ses basses nefs sont séparées de la nef principale par des piliers ronds dont les chapiteaux romans accusent l'architecture du XIe siècle. Les basses de ces colonnes sont aujourd'hui enterrées dans le sol1. " M. Maire, nommé curé de Notre-Dame en 1855, entreprit une restauration d'ensemble de son église. " Au fond de l'hémicycle du chœur, sur les plans de M. A. Ducat, M. Maire a fait pratiquer une chapelle absidiale qui offre, dès l'entrée de l'église, une gracieuse perspective. On aperçoit, au centre de cet édicule, une belle statue de la Vierge en marbre blanc... La lumière, tamisée par les fenêtres de la coupole, tombe sur la statue et répand une douce lumière dans cette chapelle. La voûte du chœur, décorée avec profusion, est ornée de peintures représentant divers symboles religieux. Le chœur est éclairé de quatre riches verrières qui adoucissent la lumière tout en la laissant suffisamment pénétrer dans l'enceinte1. "
C'est le successeur de M. maire, M. Jeannin, qui eut l'idée de confier à Joseph Aubert la décoration de la nef principale. Ce travail commencé en 1892 n'a été terminé qu'en 1910 ; on peut dire qu'avec les fresques de Notre-Dame des Champs à Paris il représente le grand effort de la vie artistique de Joseph Aubert ; et les connaisseurs y voient son chef-d’œuvre.
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1. Chronique de la paroisse de Notre-Dame de Besançon, par M. le Chanoine Suchet. Besançon, 1899.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Pour composer sa décoration, Joseph Aubert s'est inspiré des lignes générales de l'édifice et la pensée de M. Maire qui, en établissant dans l'abside la statue de la Vierge en pleine lumière, avait voulu faire converger vers Notre-Dame tous les regards et tous les sentiments. Au-dessus des fidèles qui prient Marie, des deux côtés de la nef, Joseph Aubert a dressé les patriarches, les prophètes, les saints et les saintes, qui regardent tous la Vierge de marbre blanc et marchent vers elle avec allégresse. C'est le Cortège de la Vierge.
Hippolyte Flandrin, en traitant un sujet analogue, à Saint-Vincent de Paul1, avait fondé une tradition qui semblait devoir s'imposer comme une règle : les personnages se détachent sur un fond d'or ; ils ont une pose hiératique et uniforme ; leur mouvement est commandé par la liturgie dont ils font partie ; ils s'étudient à ne vivre que pour la pensée surnaturelle que symbolise la cérémonie dont ils sont les acteurs ; ce sont des morts glorieux entrevus par l'artiste dans l'au-delà et comme dépouillés de leur humanité. Cette vision paradisiaque a une grandeur émouvante.
Joseph Aubert a suivi pour partie la tradition de Flandrin : ses personnages sont peints sur un fond d'or et ils ont l'auréole ; ce sont des bienheureux déjà détachés de la terre. mais à l'uniformité et à la raideur hiératique, Joseph Aubert a préféré la variété et le mouvement. Les morts qu'il évoque il les ramène à la vie ; il les conçoit et il les interprète comme des vivants ; il cherche à accentuer leur caractère individuel et il ne craint pas de donner à leurs traits une expression moderne. Ils accomplissent leur pèlerinage terrestre et c'est au cours de ce voyage, qui ressemble au voyage de chacun de nous, qu'ils marchent vers Marie en fixant sur son image un regard plein d'amour. Les fidèles qui prient dans l'église ne les aperçoivent pas au ciel dans une gloire, mais à mi-côte, entre le ciel et la terre, entraînant à les suivre quiconque les regarde.
Pour dresser ce cortège et en organiser les groupes, Joseph Aubert s'est inspiré des Litanies de la sainte Vierge qui évoquent l'idée d'un cortège triomphal : Regina Patriarcharum, Regina Prophetarum, Regina Apostolorum, Regina Virginum, Regina Confessorum, Regina Martyrum... Le peintre a groupé des deux côtés de la nef les patriarches, les prophètes, les apôtres, les vierges, les confesseurs et les martyrs. Puis renonçant à ce plan, - certains critiques le lui ont reproché, - il a essayé d'interpréter les deux invocations Refugium peccatorum et Auxilium christianorum, en représentant d'un côté les grands pénitents qui se tournent vers Marie, de l'autre les fondateurs des grandes œuvres de miséricorde qui demandent à Marie une inspiration.
Cet ensemble est vraiment imposant. Quand on entre dans l'église Notre-Dame vers le milieu de l'après-midi, à l'heure où le soleil déjà incliné éclaire à plein les vitraux, on éprouve d'abord comme un éblouissement. Les peintures murales et les vitraux forment à l'église comme une double ceinture de lumière et les tons des tableaux sont aussi chauds que ceux des verrières. Quand on s'est habitué à l'éclat des ors sous le soleil coloré par le bleu et le rouge des vitraux, on est saisi et entraîné par le mouvement des personnages qui se hâtent vers le sanctuaire. Enfin, peu à peu, en les regardant, on est pénétré par un grand sentiment de paix chrétienne, tellement est intense la sérénité joyeuse de leurs visages. Et avant qu'il ait songé à étudier les détails de cette composition harmonieuse et à les admirer, le chrétien est comme contraint à se mettre à l'unisson et à prier la Vierge toute blanche qui brille dans l'abside. Salve, Regina, - c'est le premier commentaire qu'impose l’œuvre de Joseph Aubert.
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1. (Note de Roger) : L'église Saint-Vincent de Paul : https://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Paris/Paris-Saint-Vincent-de-Paul.htm________
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Le premier panneau, à gauche de la nef, du côté de l’Évangile, à l'entrée du sanctuaire, commente l'invocation Regina Patriarcharum. Depuis Adam jusqu'à Jacob et Juda, les patriarches se dressent, sortant des ténèbres du temps, ils sont tels sur la toile que dans notre imagination où le récit biblique a fixé leur image. Personnages de légende qui vivaient jusqu'à neuf siècles, premiers fils de l'homme qui avait été créé pour ne pas mourir, ils sont mystérieux et vagues ; personnages historiques, de chair et de sang, ils sont accompagnés pour toujours de quelque détail réalistes qui les individualise, Abel de ses agneaux, Noé de sa colombe, Abraham de son fils Isaac, Joseph de ses gerbes, Juda de son sceptre. D'un trait sûr, l'artiste a fait revivre ce double caractère, remplissant ainsi entièrement notre attente. L'évocation est saisissante : les patriarches dont la Genèse a raconté l'extraordinaire destinée défile devant nous.
Ils apparaissent sur deux lignes lumineuses. En haut Adam, Mathusalem, Énoch, Noé, Sara, Abraham, Melchisédech, Jacob, Joseph, Juda, ceux qui dominent ; plus bas, Ève humiliée, Abel et Isaac qui sont des enfants, Rachel qui s'incline pour faire boire ses troupeaux. Cette disposition originale brise la monotonie d'un défilé hiératique et donne à l'ensemble de la composition un mouvement souple comme la vie elle-même.
Même variété dans les visages : la vieillesse abattue qui n'a plus d'âge à côté de la tendre et divine enfance, Mathusalem et Abel, Abraham et Isaac, Melchisédech et Rachel. Ce contraste, très étudié, donne à la vieillesse un caractère plus définitif et à l'enfance une fraîcheur plus fleurie. On a remarqué avec juste raison que Joseph Aubert excelle à représenter la vie qui commence et la vie qui s'achève, les deux extrêmes où l'espérance met toute sa poésie, l'espérance de vivre chez ceux qui ignorent la vie, l'espérance de mourir chez ceux qui la connaissent trop.
Le caractère commun de tous ces patriarches, c'est l'attente pensive. Ils ont entendu la promesse faite par le Tout-Puissant à la mère des vivants : une seconde Ève doit venir qui brisera la tête du serpent leur ennemi, celui qui a flétri l'innocence de l'Éden, détruit la jeunesse du monde et semé l'existence d'une amertume que rien ne peut guérir. Ils attendent la victorieuse qui vengera l'homme déchu. Quoiqu'ils aient vu plusieurs siècles, leur espérance n'est point lassée et ils regardent déjà comme si elle apparaissait à leurs yeux la Vierge qui doit venir. Praestolantur Patriarchae.
A mesure que nous allons d'Adam à Juda on dirait que la confiance dans l'attente de Marie développe plus de clarté. Adam accablé de confusion a eu de la peine à entendre la divine promesse ; Ève l'a mieux comprise. Noé a été favorisé par Dieu, choisi pour perpétuer la race et il a été appelé à l'honneur de conclure un pacte avec le Tout-Puissant. Avec Abraham la réconciliation de l'humanité avec Dieu s'affirme et la promesse se précise ; Melchisédech offre déjà un sacrifice qui annonce celui du Messie. Jacob a déjà dans ses yeux d'enfant la lumière qui éclaire l'avenir et lui fera entrevoir et annoncer celui qui doit venir. Juda, par la volonté de Jacob, interprète de la volonté de Dieu, conserve ce sceptre qui ne doit pas sortir de sa race jusqu'à ce que le Roi attendu, le fils de la Vierge, soit arrivé pour régner.
Ainsi l'espérance, de plus en plus lumineuse, baigne le visage des patriarches et leurs yeux contemplent celle que les générations attendent et qui viendra, nouvelle Ève, pour être la seconde mère des vivants.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
" Et la femme vit que le fruit était bon à manger, agréable aux yeux, délectable d'aspect ; elle en prit un, le mangea et le donna à son époux qui en mangea aussi. Et leurs yeux s'ouvrirent ; ils virent qu'ils étaient nus et réunirent des feuilles de figuier pour s'en faire des ceintures. Et ayant entendu la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le paradis au grand air du soir, Adam et sa femme se cachèrent, loin de la face du Seigneur, au milieu du bois du Paradis. " Genèse III, 6-8.
C'est dans cette attitude, à l'instant qui suit la chute, que le peintre a représenté Adam et Ève, au pied de l'arbre où ils viennent d'avoir par leur faute la révélation de leur honte. Ils sont jeunes tous deux, ou plutôt, exempt jusqu'alors de la flétrissure du temps qui les atteindra bientôt, ils sont encore sans âge. Ils sont beaux tous deux de cette beauté souveraine que Dieu avait infusée dans le premier couple humain en le créant à son image. La déchéance ne se marque pas en eux encore - combien est juste cette vue de l'artiste ! Elle n'est apparente pour nous que par le sentiment qu'ils en ont et qui les déchire.
Mais ce sentiment est profondément poignant. Adam, une créature prodigieuse de sens et de vérité, comprend que tout est perdu. Il n'attend plus rien ; il se résigne douloureusement à l'inévitable. Non content de fermer les yeux qui n'auront plus à regarder de spectacle joyeux, il les couvre encore de sa main crispée afin de s'isoler entièrement de cette lumière qu'il vient de conquérir et qui lui est odieuse. La tête s'incline écrasée par le désespoir et le buste esquisse déjà le geste qui sera désormais celui de l'humanité, le geste de la servitude. Cependant toute énergie n'est pas brisée dans cet homme superbe : il se tient fermement debout, il marche avec vigueur, les muscles saillants, prête au travail. Au lieu de récriminer contre sa femme ou de la repousser, il l'enveloppe d'un bras affectueux et protecteur et il semble l'entraîner, elle qui s'attarde à se lamenter, vers cette destinée nouvelle, où la douleur empoisonnera les jours, mais où le travail sera peut-être un réconfort. Il s'abandonne à son malheur définitif et il s'avance pour lutter contre lui. Il regrette ce qu'il fut et il sait qu'il a tout perdu ; mais il se souvient de ce qu'il était, et roi détrôné, il garde une dignité souveraine.
Ève est beaucoup moins maîtresse d'elle-même. Sur le chemin qu'il faut prendre en s'éloignant pour toujours du bonheur, elle s'est laissée aller, un genou en terre, pour implorer un pardon qu'elle sait pourtant impossible. Appuyée à Adam qu'elle a entraîné, une main sur son sein comme pour contenir son cœur qui bat trop fort, la tête et les yeux couverts de ses cheveux épars, le regard levé vers le ciel, elle ressemble à la statue du désespoir. Désespoir un peu théâtral qui ne lui enlève rien de sa grâce, de cette beauté éclatante qu'Adam salua avec émotion quand Dieu lui donna une compagne. L'artiste a évité les gestes excessifs, les contorsions de la douleur, le pli d'une bouche qui s'ouvre pour se plaindre, les larmes ; toutes ces choses auraient dérangé l'harmonie d'une beauté qui est hors du temps. D'ailleurs sur Ève déjà descend l'apaisement de la promesse. Elle n'a pas bien compris parce qu'elle est troublée ; mais elle a entendu la parole divine : un jour viendra où renaissant sous une autre forme, elle brisera la tête du serpent infernal ; et elle supplie le Dieu qui la punit de hâter le jour de la rédemption ; et elle contemple déjà cette autre image d'elle-même, la seconde Ève, la mère de l'Emmanuel.
Joseph Aubert a représenté Adam et Ève déjà baigné dans la lumière de la rédemption qui les préserve du désespoir total ; c'est une idée d'artiste et de chrétien.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
" Abel offrit des premiers-nés de son troupeau. . . et le Seigneur considéra Abel et ses présents. " Genèse IV, 4.
Ce petit berger qui offre un agneau a la grâce et la naïveté de l'enfance. Ses cheveux noirs font un diadème à son visage éclatant ; ses yeux d'une limpidité de source regardent et donnent. Il s'avance sans hâte mais avec joie. L'agneau qu'il porte dans es bras n'est pas un bibelot ; c'est un agneau réel qui devient un fardeau pour le petit enfant. Ce berger candide qui donne à Dieu un agneau est attendrissant ; on dirait aussi que le peintre a voulu mettre dans sa physionomie comme un nuage de tristesse, la mélancolie de l'être qui doit mourir trop tôt et qui est guetté par le crime.
Mathusalem qui accompagne cette jeunesse en fleur est la vieillesse sans âge. Nous sommes ici en présence d'une remarquable composition ; Mathusalem est représenté hors du temps, hors de la vie. En lui les traits humains sont comme effacés : il n'a plus de nuque, sa tête est un vague prolongement de son corps ; ses yeux depuis longtemps sont fermés à la lumière ; sa barbe qui traîne presque jusqu'à terre semble entraîner sa tête qui s'incline ; les formes de son corps se perdent dans un ample manteau qui est comme le drap de sa sépulture ; ses membres se tassent et semble rentrer les uns dans les autres. Comme le moine de la légende qui continuait à vivre d'une vie inconsciente, on sent que Mathusalem se transforme et devient une ombre. C'est bien ainsi que nous le voyons ; de lui nous ne savons rien sinon qu'il vécut plus de neuf cents ans ; il est la vieillesse et c'est la vieillesse que nous avons devant les yeux.
Énoch, fils de Jared et père de Mathusalem, a conservé la verdeur de l'âge mûr ; dans ses yeux brille une flamme éternelle, car il n'est pas mort, mais quand il eut passé sur la terre trois cents soixante-cinq ans, marchant en présence de Dieu, il arriva que Dieu l'enleva du milieu des hommes. Sur sa physionomie aux traits contractés on peut lire l'étonnement et la stupeur de ceux qui, vivants, de leurs yeux de chair, ont été appelés à contempler les mystères de l'au-delà.
Noé, les yeux mi-clos, la bouche entr'ouverte, incline sa large tête chauve, et médite. Le bras replié, il a posé sa main ouverte sur sa hanche, dans une attitude abandonnée, et peut-être inconsciente au cours de sa longue rêverie. C'est que celui-là a été le témoin du plus grand drame cosmique des époques primitives ; il a vu l'univers vivant détruit par les eaux. Et dans ce drame il a été acteur : Dieu lui a confié la mission de garder dans une arche flottante toute la vie qui devait survivre. La responsabilité effrayante a creusé ses yeux et ridé son visage. Il a gardé le dépôt confié, et quand la terre a été délivrée du déluge, il a rendu à la Providence la vie qui a repeuplé l'univers. Il se souvient de ces grandes choses. Au-dessus de lui, tenant dans son bec un rameau d'olivier aux feuilles verdoyantes, la colombe voltige et met sur sa tête un rayon de grâce et d'espérance.
Ces trois visages de patriarches sont traités avec un soin minutieux et nettement individualisés ; ils frappent l'attention, la retiennent et se fixent dans le souvenir. Et ce qui contribue à faire saillir par contraste la vigueur des traits, c'est l'ampleur des draperies vagues qui absorbent les corps et les prolongent en fantômes.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Voici le groupe émouvant, Sara, Abraham, Isaac : Sara et Abraham, les vieillards qui regardaient l'avenir avec tristesse parce qu'ils n'espéraient plus de postérité, Isaac l'enfant miraculeux que Dieu leur a donné dans un âge avancé et qui continuera leur race. On connaît le récit biblique : Jéhovah, à plusieurs reprises, a fait savoir à Abraham qu'il réservait la fortune et la gloire à ses descendants ; et Abraham, adorant la volonté de Dieu est resté perplexe et même un peu sceptique : il est vieux et sa femme Sara est d'un âge avancé. Et voilà que dans la vallée de Membré le Seigneur lui apparut comme il se reposait à la porte de sa tente vers le milieu du jour. Il leva les yeux et il vit trois hommes debout devant lui. Aussitôt il courut à eux, se prosterna, et les invita à se reposer à l'ombre de ses arbres, à boire son eau fraîche et à manger son pain. Les étrangers acceptèrent et quand ils eurent mangé, ils dirent : Où est Sara ton épouse ? Il répondit : Elle est là dans la tente. Ils ajoutèrent : Je reviendrai bientôt et, quand je reviendrai, Sara aura mis au monde un fils. Sara entendit ces paroles et se mit à rire de l'autre côté de la porte de la tente ; car ils étaient vieux tous deux et très avancés en âge. Le Seigneur dit à Abraham : Pourquoi Sara a-t-elle ri et a-t-elle pensé que dans la vieillesse elle ne peut pas mettre au monde un fils ? Est-ce qu'il y a quelque chose de difficile pour le Seigneur ? Oui, je l'affirme, je reviendrai et Sara aura un fils. Sara eut peur et de l'intérieur de la tente elle dit : je n'ai pas ri. Mais le Seigneur reprit : Certainement, tu as ri. Et la parole du Seigneur s'accomplit : Sara dans sa vieillesse mit au monde un fils et Abraham appela ce fils Isaac.
L'artiste a donné à Sara un visage pur où l'âge n'a pas marqué son empreinte : elle est comme hors du temps. La main sur le cœur, avançant la tête comme pour mieux voir un mystère fuyant, elle porte dans ses yeux grand ouverts l'étonnement et une reconnaissance éperdue. Elle avait ri de la parole du Seigneur qui lui semblait une raillerie ; et la parole du Seigneur s'est accomplie : elle sera la mère d'une nombreuse postérité et aucune femme n'aura le droit de la mépriser. Abraham est plus ému à la fois et plus méditatif : sa tête s'incline, ses yeux se ferment à moitié et il considère non pas seulement son propre bonheur et sa propre gloire mais encore les desseins de Dieu sur sa race qui doit être aussi nombreuse que les étoiles du Ciel et les grains de sable de la mer et apporter au monde une nouvelle naissance. Pendant que sa pensée suit ainsi avec ferveur la pensée de Dieu, ses mains tremblantes, dans un geste adorable de vieux père, s'attachent à l'enfant de la promesse. Sa main gauche le prend comme pour le présenter à Jéhovah qui le lui demande peut-être en sacrifice ; de sa main droite aux jointures nues, à la peau parcheminée, il caresse doucement cette tête fragile qui porte tant d'espérance. L'enfant est un petit enfant, frêle, qui s'abandonne à la tendresse, étonné et ravi de vivre.
Melchisédech est inséparable d'Abraham. La Bible nous le présente comme un être mystérieux, à la fois roi de Salem et prêtre du Seigneur. C'est lui qui va au-devant d'Abraham quand il revient victorieux de Chodorlahomor, qui salue le vainqueur de paroles de bénédiction et offre le pain et le vin du sacrifice, figurant ainsi déjà le sacrifice de la Loi Nouvelle. Melchisédech est ici représenté dans sa fonction de prêtre : il est coiffé de la tiare ; il porte sous l'éphod sacré, l'ample manteau terminé par les clochettes rituelles ; il joint les mains et prie avec ferveur : Benedictus Abram Deo excelso qui creavit caelum et terram.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Jacob dut fuir la colère d'Ésaü et, fort de la bénédiction de son père Isaac, il quitta la terre de Chanaan et s'en alla vers l'Orient pour retrouver son oncle Laban. Et il vit dans la campagne un puits et près de ce puits trois troupeaux de brebis couchées ; de ce puits on donnait à boire aux troupeaux, puis on en refermait l'orifice avec une grande pierre. Jacob conversait avec les pasteurs lorsque Rachel arriva avec les brebis de son père, car elle gardait les troupeaux. Lorsque Jacob la vit et qu'il sut qu'elle était sa cousine qui conduisait les troupeaux de son oncle Laban, il enleva la pierre qui fermait l'ouverture du puits. Et après avoir fait boire le troupeau de Rachel il la baisa, et il lui dit avec des larmes qu'il était le neveu de son père et le fils de Rébecca. Lorsque Jacob fut resté un mois chez Laban, son oncle lui dit : Tu ne dois pas me servir pour rien, fixe-moi ton salaire. Laban avait deux filles Lia et Rachel ; Lia, l'aînée, avait les yeux chassieux et Rachel, la cadette, avait un beau visage et une allure gracieuse. Jacob qui l'aimait dit à Laban : Je vous servirai sept ans pour avoir votre cadette, Rachel.
Jacob qui nous est présenté ici est un frais adolescent sorti à peine de l'enfance. Il marchait vers son but quand il aperçut Rachel ; il s'est arrêté surpris, la main nue appuyée sur son bâton, l'autre esquissant un geste d'étonnement. Il tourne vers la jeune fille sa tête gracieuse et dans ses yeux apparaît déjà la tendresse qui le fera servie sept ans pour Rachel. Frêle, menue, encore enfant, très moderne d'attitude, de coiffure et de costume, Rachel s'incline sur son urne pendant que ses brebis boivent à l'eau courante. Mais, curieuse, et déjà frappée de la beauté du jeune étranger, elle relève la tête pour le bien voir et pour lui répondre. L'ensemble du tableau est d'une poésie pleine de fraîcheur ; on a l'impression d'une scène grecque autant que d'une scène biblique, tant les corps sont jolis et les attitudes élégantes ; mais l'artiste a voulu plutôt figurer une scène qui est de tous les pays et de tous les temps et la fixer dans la beauté.
Rachel et Jacob sont de l'humanité familière et tendre ; Joseph et Juda nous ramènent dans la pure tradition biblique et dans les symboles messianiques. Joseph, le tendre fils de Rachel, porte la gerbe qu'il portait dans ce songe dont le récit excita la haine de ses frères. On connaît le récit de la Genèse : Joseph avait seize ans et, enfant au milieu de ses frères, il gardait les troupeaux. Son père aimait Joseph plus que ses autres fils parce qu'il l'avait engendré dans sa vieillesse ; et il lui fit une tunique de plusieurs couleurs. Ses frères, jaloux, le détestaient. Et il arriva que Joseph leur racontant un songe excita dans leur cœur une haine nouvelle. Il leur dit : Écoutez le songe que j'ai eu. Je rêvais que nous attachions les gerbes dans les champs, que ma gerbes se dressait et se tenait debout, tandis que les vôtres venaient l'entourer et l'adorer. Ce songe annonçait la grandeur future de Joseph ; mais, cette grandeur, il devait l'acheter par la souffrance et par le crime de ses frères : ici, on voit dans son regard la tristesse de l'homme qui a trouvé au foyer de la famille la haine et la trahison.
Juda porte le sceptre avec la noblesse d'un roi et il semble lire dans l'avenir la splendeur messianique de sa race. Jacob, sur son lit de mort, lui a dit avec solennité : Juda, tes frères te loueront et les fils de ton père t'adoreront et ta main se posera redoutable sur la tête de tes ennemis. Le sceptre ne sortira pas de Juda jusqu'à ce que vienne celui qui doit être envoyé et qui est l'attente des nations. Juda obtient ainsi la domination en Israël jusqu'au jour où le Messie sortant de sa race prendra le sceptre et sera le seul roi. Ébloui de sa grandeur future, Juda regarde l'avenir et il entrevoit peut-être la clarté de celle qui sera la mère du sauveur. Ce regard prophétique de Juda clôt ainsi dignement ce défilé des patriarches qui s'était ouvert sur la confusion d'Adam fermant les yeux devant son crime.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Le premier panneau à droite de la nef représente les prophètes et par le choix des personnages et par leur distribution il déconcerte un peu tout d'abord. Aucun des "petits prophètes" ne figure dans le défilé ; nous n'y trouvons que quatre "grands prophètes" ; on leur a joint des prophètes dont nous connaissons la vie, mais dont nous ne possédons aucun écrit. Élie, Élisée, Samuel, Nathan : leur personnalité si accusée s'imposait ici ; Moïse et David s'imposaient également. Mais pourquoi la fille de Jephté se trouve-t-elle à côté de Déborah et de Marie dans le groupe des prophétesses ? Nous ne voyons pas dans la Bible que la fille de Jephté ait jamais prophétisé. Il en est de même d'Abigaïl, la femme de David, qui n'a jamais eu le don de prophétie. Pourquoi Samuel qui a précédé David historiquement ne vient-il qu'après lui ? Joseph Aubert ne s'est pas arrêté à ces difficultés : il a obéi beaucoup plus à une conception ornementale qu'à une conception historique ; il a placé en avant et tout seul, Moïse, comme il convenait ; à la force et à la majesté il a fait succéder la grâce des prophétesses Déborah et Marie et il a complété leur groupe avec la fille de Jephté. De même, à côté de David, le roi puissant et solennel, il a mis la douceur timide d'Abigaïl. Étudié à ce point de vue de la décoration et de l'effet pictural, le groupe des prophètes est un des plus heureux.
D'une manière plus générale, il a aussi une valeur historique. Peu importe les détails ; peu importe même, pourrait-on dire, la réalité ; mais, tous ceux qui ont lu la Bible ont gardé dans leur imagination une vision des prophètes qui est en quelque sorte l'histoire vivante ; et c'est à cette histoire vivante que Joseph Aubert a voulu se conformer. Il a bien vu ce qu'étaient les prophètes, non pas des devins qui savent et annoncent l'avenir, mais des sages suscités par Dieu pour être auprès de son peuple les interprètes de sa pensée ; ils étaient de grands patriotes, qui avaient pour mission de conserver la nationalité juive, sans cesse menacée par les infiltrations étrangères et la pureté de la religion juive qui risquait de s'adultérer par le mélange des cultes païens ; par-dessus tout, ils étaient les gardiens de la tradition messianique, chargés de conserver l'esprit d'attente et de foi, en révélant peu à peu, chaque jour un peu plus clairement, le Rédempteur promis à Israël. En somme, les prophètes sont les grands hommes d’Israël, les hommes représentatifs de la nationalité juive et de l'âme juive. Nous les voyons pleins de grandeur et de majesté.
C'est ce caractère que l'artiste a parfaitement saisi et qu'il a rendu sensible ; de Moïse à Daniel, il se dégage de cet ensemble une impression unique, qui est une impression de grandeur ; ici se trouve concentrée l'âme juive qui fut sublimée par un contact permanent avec Jéhovah et ici se trouve les inspirés qui maintinrent la pérennité de ce contact.
Il n'y a rien de factice à représenter les prophètes en marche vers Marie et le regard fixé sur elle. Dans leurs prophéties ils la voient et ils l'annoncent. D'abord d'une manière vague, puis à mesure que les temps s'accomplissent, avec une clarté plus pleine, les prophètes racontent d'avance la naissance et la vie du Messie ; et ils ne séparent pas Jésus de sa mère. Isaïe, le plus grand d'entre eux, arrive à dire avec une netteté qui ne reste plus rien à attendre : Ecce virgo concipiet et pariet filium et vocabitur nomen ejus Emmanuel. Ce mystère proclamé par Isaïe éclaire de sa lumière tout le groupe des prophètes : ils regardent l'étoile qui doit sortir de Jacob et conduire les rois et les Pasteurs vers l'humble demeure où la Vierge a mis au monde l'Emmanuel. Les patriarches attendent ; plus heureux, contemporains de l'avenir par le don prophétique, ils voient.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Moïse marche seul, nettement détaché du groupe des prophètes.
L'Illustre législateur qui a véritablement fondé la nationalité juive et la civilisation humaine est une de ces personnalité de premier plan que les poètes, les sculpteurs et les peintres se sont efforcés maintes fois de faire revivre. On connaît le Moïse de Michel-Ange, saisissant de force redoutable, et si grand et si beau, qu'il suffit à décourager les artistes. Alfred De Vigny, apportant dans la Bible un romantisme factice, a vu dans Moïse le prophète désenchanté qui sait trop pour pouvoir être heureux et qui souffre de l'isolement à quoi le condamne son génie :
Je vivrai donc toujours puissant et solitaire ?
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre.
Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ?
Mon doigt du peuple errant a guidé les passages,
J'ai fait pleuvoir le feu sur la tête des rois,
L'avenir à genoux adorera mes lois...
Et cependant, Seigneur, je ne suis pas heureux ;
Vous m'avez fait vieillir puissant et solitaire,
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre.
Essayant après tant d'autres d'évoquer cette grande figure, Joseph Aubert a su rester original. Il a représenté Moïse au moment où, descendant du Sinaï, il apporte à son peuple les tables de la loi que Jéhovah lui-même vient de dresser. Et sans doute il apparaît comme un chef puissant qui a l'habitude de commander : il est solidement campé ; son corps massif est drapé avec ampleur par un grand manteau qui traîne et prolonge sa personnalité ; sa large tête paraît reposer directement sur son corps, tant le cou disparaît et se fond dans les épaules. Il lève vers le peuple d'un geste péremptoire les tables de la loi : on sent que cet homme veut être obéi et que ses ordres ne sont pas contestés.
Mais ce caractère de vigueur que nous sommes habitué à trouver chez tous les Moïse n'est peut-être pas ici le caractère dominant. Moïse revient du Sinaï : il est entré dans la nuée au milieu des éclairs et des tonnerres, et ce Dieu dont il avait eu une première et incomplète révélation dans le buisson ardent, il l'a vu face à face ; seul de tous les mortels, vivant il a vu Dieu de ses yeux de chair. Bien mieux, Dieu lui a parlé, lui a révélé son nom que la foule ignore, Adonaï, et il a daigné l'instruire en détail de toutes les lois qu'il doit imposer au peuple dont il est le chef. Sortant de ce contact avec Dieu, Moïse reste pensif ; ses yeux accoutumés à regarder en haut ne daignent pas s'abaisser vers la terre. Et deux cornes lumineuses sortent de son front : et ignorabat quod cornuta esset facies sua ex consortio sermonis Dei. Michel-Ange a pris à la lettre le texte sacré et il a donné de vraies cornes à Moïse : on reste quelque peu stupéfait devant une audace où on n'ose pas voir un manque de goût parce qu'on a pris l'habitude de ne pas discuter les fantaisies des maîtres. Plus près de la vérité, Aubert suppose que ces cornes sont comme des jaillissements de lumière. Un jour viendra peut-être où des peintres, des sculpteurs, moins esclaves de la tradition, interprétant avec plus d'exactitude le texte sacré, représenteront la tête de Moïse dans un halo lumineux ; c'est ainsi que les juifs durent le voir, quand il descendit du Sinaï, transfiguré par son colloque avec Dieu et portant encore sur son front des lueurs célestes. Il est le prototype des prophètes, au sens vrai du mot, c'est-à-dire des hommes de Dieu, des élus à qui Dieu fait entendre sa voix, en qui il met sa pensée pour qu'ils la révèlent à la foule ignorante.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Le livre des Juges nous raconte l'histoire de Déborah la prophétesse, femme de Lapidoth, qui avait la charge de juge dans Israël. Elle siégeait sous un palmier qui portait son nom, entre Rama et Bethel sur les monts d'Ephraïm, et tous ceux qui avaient à réclamer justice venaient la trouver. Le peintre l'a représentée au pied du palmier d'Ephraïm et il a donné à son visage cette gravité impénétrable qui convient aux juges : elle ferme les yeux pour mieux entendre les plaintes des malheureux. Il lui a mis la lance à la main ; car le texte sacré nous raconte ses exploits guerriers. Mue par l'esprit de Dieu, elle fit appeler un jour Barac et lui ordonna d'aller combattre Sirara. Barac refusa d'obéir si Déborah ne venait pas combattre avec lui. Déborah prit donc la lance et alla combattre avec Barac. Et lorsque Sirara fut tombé sous les coups de Jahel, une autre femme, Déborah entonna le cantique triomphal que Jéhovah lui inspirait : " Lève-toi, Déborah, lève-toi, lève-toi et chante le cantique. Les rois sont venus et ont combattu mais ils n'ont emporté aucune proie. Le ciel combattait contre eux : les étoiles rangées en ordre ont combattu contre Sirara. Le torrent de Cison a emporté leurs cadavres, le torrent de Cadumin et le torrent de Cison. Puissent périr ainsi tous tes ennemis, Seigneur ; quant à ceux qui l,aiment, de même que brille le soleil à son lever, puissent-ils briller ainsi. " Déborah a donc la sagesse d'un juge, l'intelligence pratique d'un politique, le courage d'un guerrier, et quand Dieu l'inspire elle chante les victoires d’Israël.
Marie n'est qu'une inspirée qui chante ce que l'Esprit lui dicte. Aubert l'a représentée les yeux au ciel, le visage tout illuminé de poésie, laissant courir ses doigts sur une harpe qui est bien hébraïque. Autant Déborah est réservée et énigmatique, autant Marie est exaltée et "en dehors". C'est bien ainsi que l'Exode nous peint la sœur d'Aaron. Après le passage de la mer Rouge, elle prit la harpe dans sa main ; et toutes les femmes sortirent à sa suite avec des instruments de musique ; et la première elle chantait : " Célébrons le Seigneur ; il a fait éclater sa gloire, il a précipité dans les flots chevaux et cavaliers. " Marie n'était pas exempte d'orgueil ni même de quelque fatuité : fière de ses succès, elle en vint à se comparer à Moïse et à dire : Pourquoi serait-il écouté plus que nous ? Nous aussi nous avons l'esprit de Dieu. Pour cette parole inconsidérée, elle fut frappée de la lèpre ; et seule la prière de Moïse put lui rendre la santé. Marie comprit ainsi que personne ne peut se comparer à Moïse, à celui qui a vu Dieu face à face.
La fille de Jephté est assise par terre et on voit ses pieds nus. Sur ses genoux, dans ses mains, elle tient des lis. Elle lève vers le ciel un beau visage mélancolique. On dirait un personnage d'Ossian, un "sujet" romantique plutôt qu'une prophétesse juive. Il est vrai que le texte biblique qui raconte sa vie a quelque chose de mystérieux et, à la lettre, de romantique. Jephté a fait un vœu et il a promis à Dieu que, s'il lui livrait les enfants d'Ammon, il lui offrirait en holocauste la première personne qui sortirait de sa maison à son retour. Et comme Jephté revenait à Maphta, voilà que sa fille unique vint au-devant de lui en chantant et en s'accompagnant de la harpe. Jephté déchira ses vêtements et se lamenta. Mais sa fille lui dit : Accomplissez votre vœu. Je vous demande seulement de me donner deux mois pour parcourir les montagnes et pour pleurer ma virginité. Et son père accomplit son vœu. Et cette coutume s'établit que tous les ans les filles d’Israël se réunissent en Galaad et pendant quatre jours pleurent la fille de Jephté.
Des lis sur ses genoux, les yeux au ciel, la fille de Jephté pleure sa virginité.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Le centre de ce panneau est occupé par le groupe de David et d'Abigaïl, en qui la majesté et la grâce se rencontrent et qui attirent à eux tous les regards.
David est représenté ici dans la pleine force de l'âge. Ce n'est pas le jeune homme exubérant qui s'imposait à l'attention par les coups de témérité ; ce n'est pas le roi enivré de sa royauté et qui s'abandonne à ses passions. David, tel que nous le voyons ici, a été mûri par la vie, par les passions, par les fautes et par le repentir ; son visage émacié, à l'ossature saillante, porte la trace de toutes ces choses. Ses yeux, profondément enfoncés dans l'orbite, ont un regard qui vient de loin et qui va loin vers les hauteurs. La couronne qu'il porte n'est pas une couronne de joie ; c'est le signe d'une dignité qui est un poids et recèle des amertumes ; ses pointes recourbées font penser par avance à une autre couronne, la couronne d'épine que portera un jour le roi qui sortira de sa race. Sa main droite tient avec fermeté un sceptre étincelant ; sa main gauche garde et presse sur son cœur un livre qui est évidemment le livres des Psaumes, ces poèmes merveilleux où à travers les sanglots d'une âme qui s'écoule dans la pénitence, le roi prophète a jeté les éclairs qui illuminent l'avenir, découvrent le Messie, et font entrevoir dans mélange d'ombre et de lumière les perspectives de la douloureuse Passion. Je dirai de ce David ce que j'ai dit d'Adam : c'est une admirable création, un personnage synthétique où viennent se fondre dans l'unité les traits multiples et contradictoires que l'histoire fournissait ; il remplit entièrement l'idée que nous nous faisons de David.
Sa femme Abigaël, par sa beauté éclatante et par sa dignité modeste est un vrai type de reine. Elle incline sa tête chargé du diadème, elle baisse les yeux et joint les mains, prenant ainsi auprès du grand roi l'attitude d'effacement qui était la sienne. Mais la noblesse de sa physionomie impose le respect. Elle richement parée : un grand anneau passé à son oreille porte des pièces d'or ; à son cou, un collier de perles ; sa robe toute blanche, serrée à la taille par une large ceinture, est lamée d'or ; un grand manteau de cour couvre ses épaules et traîne et se prolonge. On dirait que David la présente à son peuple en un jour de grand apparat.
Je ne ferai pas à Joseph Aubert le reproche d'avoir idéalisé Abigaïl ; il en avait le droit et le texte sacré permet à l'imagination de doter Abigaïl de toutes les grâces et de toutes les vertus. Cependant elle nous apparaît, dans le récit biblique, surtout comme une femme de tête. Il y avait sur les pentes du Carmel un homme fort riche appelé Nabal ; il était dur et méchant ; et sa femme Abigaïl avait beaucoup de sens et de beauté. David, qui était dans le désert, apprenant que Nabal tondait ses brebis et était par conséquent dans un jour de prospérité et de joie, députa vers lui des hommes pour solliciter des vivres. Nabal les renvoya durement, les mains vides. David irrité arma quatre cents hommes et se mit en route pour aller piller les possessions de Nabal. Abigaïl apprit ce qui se passait ; elle rassembla deux cents pains, deux outres de vin, cinq moutons cuits et d'autres présents qu'elle plaça sur des ânes, et sans avertir son mari, elle alla trouver David. Quand elle l'aperçut elle se prosterna, l'adora, et lui adressa un discours qui est un chef-d’œuvre d'adresse caressante et d'éloquence ferme et digne (I Reg. XXV, 25-31). David se laissa désarmer et accepta les présents. Abigaïl raconta à Nabal ce qu'elle avait fait ; et, à ce récit, le cœur de Nabal s'arrêta et devint comme une pierre. Il mourut. Aussitôt David demanda pour épouse Abigaïl qui répondit : Voici votre servante qui lavera les pieds des serviteurs de mon maître. Et, en toute hâte, elle se leva, monta sur son âne, et accompagnée de cinq jeunes filles, ses suivantes, elle alla trouver David qui l'épousa.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Il est dit au quatrième livre des Rois que l'impie Ochozias, étant tombé malade, envoya des messagers consulter Beelzébuth. En route ils rencontrèrent Élie qui leur annonça que leur maître allait mourir. Ils retournèrent donc. Ochozias leur demanda : Quel était l'aspect, quel était le visage de cet homme que vous avez rencontré ? Ils lui dirent : C'est un homme velu qui porte sur les reins une peau de bête. Et le roi dit : C'est Élie le Thesbite. Aubert n'a pas voulu se conformer à ce signalement et il a enveloppé Élie d'un ample manteau qui ne laisse voir de lui qu'un peu de son front volontaire, ses yeux baissés et sa bouche énigmatique que cache en partie sa main. Il a voulu reproduire peut-être un geste habituel d'Élie : Quod cum audisset operuit vultum suum pallio, " Ayant entendu ces mots, il se couvrit la tête de son manteau. " En tout cas, dans ce visage sombre qu'on aperçoit à peine, l'artiste nous donne le sentiment d'une puissance mystérieuse qui résista en face à Achad et à Jézabel, s'imposa à Ochozias, puis disparut sans mourir, esprit de Dieu revenant à Dieu sans passer par la corruption du tombeau.
Nathan, lui aussi, ferme les yeux ; on aperçoit son profil austère et dur et sa bouche qui vient de proférer des paroles d'amertume. Coiffé de son lourd turban, rigide et froid, il ressemble à une apparition. C'est la loi que rien ne fléchit et qui vient de dresser devant David coupable d'avoir fait périr Urie pour prendre Bethsabée. L'apparition dit : Un homme riche avait des brebis et des bœufs en grand nombre. Un homme pauvre n'avait rien qu'une brebis toute petite, qu'il avait achetée et élevée, et qui avait grandi au milieu de ses enfants, mangeant son pain, buvant à sa coupe, dormant sur son sein ; elle était comme sa fille. Un étranger vint voir le riche ; pour épargner son troupeau, il s'empara par la force de la brebis du pauvre, la tua et la servit à son hôte. David s'indigna : Celui qui a fait cela est un enfant de la mort. Et l'apparition reprit : Tu es ille vir, " C'est toi qui es cet homme ". Et David compris la leçon. Ce même Nathan, dont la sagesse avait paru propre à former des rois, reçut Salomon des mains de David ; il devint son précepteur. Puis il lui prépara l'accès au trône ; au milieu des hésitations politiques, il sut l'imposer ; et ministre de Dieu, il l'oignit lui-même et le marqua du caractère sacré.
Samuel, je l'ai dit, n'est pas à sa place puisqu'il précéda David en Israël et par conséquent Nathan et Élie. L'artiste lui a donné de l'ampleur, de la majesté et un grand air de bonté. Il est vêtu d'un grand manteau brun ; il tient à la main la couronne d’Israël aux trois pointes recourbées, symbole de la dignité souveraine de juge dont il fut revêtu. Il regarde attentivement un objet lointain qu'il ne voit pas et il semble écouter. Il écoute probablement Dieu qui l'appela trois fois, dans son enfance : Ecce ego quia vocasti me ; loquere, Domine, quia audit servus tuus. Plus tard Samuel devint puissant en Israël ; il en imposait à la foule ; c'est lui qui désignait les chefs et qui créa les rois. Ici Samuel est jeune et il ne règne que par la bonté.
Élisée ne devrait pas être séparé d'Élie dont il fut le disciple obéissant. Élie étant parti trouva Élisée fils de Saphat qui labourait tout seul avec ses bœufs. Élie vint à lui et jeta son manteau sur ses épaules. Élisée quitta les bœufs, courut après Élie et lui dit : Je vous en prie, permettez-moi d'embrasser mon père et ma mère et je vous suivrai. Il a ici cette attitude de simplicité abandonnée, il fut la chose d'Élie ; et quand Élie fut enlevé au Ciel, il hérita de son manteau et de son esprit prophétique. Et il était très bon.
Ces quatre prophètes - groupe d'une manière un peu factice et traités avec quelque fantaisie - constituent un ensemble pittoresque très étudié ; leurs coiffures sont toutes différentes et toutes les quatre bien juives ; cette diversité produit un effet curieux que l'artiste n'a pas dédaigné.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Voici le groupe des quatre grands prophètes. En tête, Isaïe. Il est le premier par l'étendue de ses prophéties et l'ampleur de son rôle. Placé à peu près à égale distance de Moïse et de Jésus, il continue l’œuvre du grand législateur et il prépare la venue du Messie. Vivant à une époque troublée, au moment où les Juifs risquaient d'être écrasés entre l'Égypte et l'Assyrie qui se disputaient l'empire du monde, il arrive à conserver chez son peuple le sentiment national et le patriotisme victorieux. En même temps, il voit clairement l'avenir et il le décrit avec des traits si précis que saint Jérôme déclare qu'il faut l'appeler évangéliste plutôt que prophète. Son style a un éclat incomparable : les images grandioses et saisissantes s'y succèdent avec une abondance qui éblouit. C'est le grand Israélite, le grand voyant et le grand poète. Joseph Aubert a mis à profit ces données de l'histoire pour dresser un Isaïe très caractérisé. De sas main droite il tient le livre ouvert sur ses genoux : tous les traits de son visage sont tendus, toute son attention est concentrée sur les paroles de la prophétie qu'il lit et qu'il enseigne ; sa main gauche se dresse, deux doigts levés, et dessine un geste autoritaire pour corroborer l'enseignement.
Jérémie avait une âme tendre. Inspiré par Dieu, il vit d'avance et annonça les malheurs de sa patrie ; mais les Juifs, qui le redoutaient, ne le croyaient point et il souffrait de leur indifférence. Quand Nabuchodonosor eut pris et détruit Jérusalem et amena Israël en captivité, il resta sur les ruines fumantes de sa patrie et il écrivit les Lamentations où il épanche la tristesse de son cœur brisé. C'est dans cette attitude que Joseph Aubert le représente : accablé par les malheurs de son pays, lassé de tout " même de l'espérance ", il s'est assis sur un fût de colonne brisée ; une main s'abandonne sur ses genoux, l'autre soutient son front pensif. Il se nourrit de l'amertume de ses souvenirs, de la douleur présente et de la douleur de demain qu'il connaît aussi, ; desolatione desolata est anima mea.
Ézéchiel était un homme droit que le mal indignait et qui avait pour traduire ses colères une imagination créatrice de symboles effrayants et une langue aux arêtes vigoureuses. Il fut amené en captivité à Babylone avec ses compatriotes ; il ne connut la destruction de Jérusalem que par des récits fragmentaires qui excitèrent les tempêtes de son âme. En même temps il s'appliquait à consoler ses compatriotes et il leur annonçait au nom de Dieu qu’Israël verrait la fin de ses maux et retrouverait son unité et sa prospérité. La plupart des visions dont Dieu le favorisa, même celles qui annonçaient un bel avenir, ont quelque chose de démesuré et d'effrayant. Le peintre l'a représenté ici debout regardant avec des yeux effarés les spectacles d'horreur que Dieu lui présente et contenant de ses mains pressées les battements de son cœur et l'indignation qui le soulève. Il a bien saisi le trait essentiel de son caractère.
Daniel était un juste qui craignait le Seigneur ; il avait de plus un esprit avisé, pénétrant et souple qui lui faisait découvrir les secrets des âmes et les moyens de plaire. Amené captif à Babylone il gagna la confiance de Nabuchodonosor en expliquant ses songes. Puis après la conquête de Babylone par les Mèdes et les Perses, il devint ministre de Darius et il conserva sa situation de favori sous Cyrus. Et à la cours, en pleine fortune, il restait juste et pieux. Aussi il eut beaucoup d'ennemis qui cherchèrent à le perdre et le firent jeter deux fois dans la fosse aux lions. Mais Dieu qui l'avait choisi pour prophète était avec lui. Aubert l'a représenté dans la fosse, le torse nu, les mains jointes, les yeux levés vers le Ciel. Il prie avec une telle intensité qu'il ne voit pas le lion qui devait le dévorer et qui s'est couché à ses pieds.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Le second panneau du côté de l'Évangile représente les Apôtres. Le choix des quinze personnages qui devaient le composer était difficile, tant les Apôtres ont été nombreux qui ont porté à travers le monde la bonne nouvelle. Aubert s'est d'abord arrêté aux grands chefs qui concentrent en eux l'esprit apostolique : Pierre, Jean, Jacques, André et Paul. Puis, par une pensée très heureuse, il a réuni sur sa toile les apôtres les plus célèbres de la Gaule : Lazare, Martial, Denis, Saturnin, Pothin, Trophime, et les apôtres particuliers de la Franche-Comté : Ferréol, Ferjeux, Hilaire et Maximin. Nous avons ainsi un ensemble qui S'harmonise à ravir avec une église franc-comtoise.
Dans la composition de ce panneau, Joseph Aubert a fait preuve d'une indépendance qui ressemble parfois à de l'audace : Saint Jean et Saint Paul étonnent tout d'abord quand on les regarde après avoir lu les Actes ; quant à Lazare de Marseille, le représenter sous les traits d'un mort qui ressuscite et soulève son suaire pour sortir du tombeau, c'était une fantaisie qui devait tenter un artiste, mais qui ne souffrait pas de médiocrité dans l'exécution. Il est évident que le souci de l'effet décoratif a guidé le pinceau du peintre ; et l'esprit n'a pas le loisir d'être choqué parce que l’œil est satisfait.
Ce qui contribue encore plus à donner du plaisir aux yeux, c'est la variété des attitudes et des physionomies. Peintre tant de personnages, dont beaucoup ne sont pour nous que des noms, dont les visages s'estompent dans l'obscurité de l'histoire primitive, était une entreprise difficile ; on risquait de tomber dans la monotonie ; or, même quand la tradition d'hiératisme l'impose, la monotonie fatigue et ennuie. Il faut admirer la richesse de conception de Joseph Aubert qui versifie, comme en se jouant, le type humain et ne se répète jamais. Tel apôtre est représenté dans son extrême vieillesse, tel autre dans la maturité de l'âge, tel autre dans la jeunesse adolescente : l'un médite ou prie, un autre bénit, un autre commande. Cette variété de formes et d'expressions, qui est un des grands mérite des peintures murales de Notre-Dame de Besançon, est ici particulièrement évidente et fait de ce panneau un des plus curieux à étudier, peut-être le plus vivants de tous.
Il y a dans les yeux de tous les apôtres - et c'est ce qui met dans cette variété une unité, l'unité de sentiment - une confiance entière et sereine. Ils vont à la conquête du monde et, forts des promesses divines qu'ils ont entendues et qu'ils ont vues confirmées par des miracles, ils savent qu'ils seront vainqueurs. Par eux se fondra le royaume de Dieu. Aucune fièvre, aucune inquiétude ne les travaillent ; ils ont tout prévu, la douleur, la mort même ; c'est la mort qu'ils cherchent pour aller retrouver le Maître qui les envoie. Je ne connais pas de peintre qui ait mieux saisi et mieux rendu que celui-ci le caractère divin et miraculeux de la diffusion de l'Évangile ; il n'y a qu'à regarder de tels apôtres pour sentir passer le miracle.
Il est naturel de diriger vers Marie le défilé des Apôtres. Les Actes nous disent qu'au lendemain de l'Ascension, les onze rentrèrent à Jérusalem ; et comme s'ils n'avaient tous qu'une âme, ils persévéraient unis dans la prière, avec Marie mère de Jésus. Marie était au milieu d'eux, investie d'une présidence d'honneur, lorsque le Saint-Esprit descendit sur eux en langues de flamme. Quand ils se dispersèrent, son regard attendri accompagna leur départ puisqu'ils allaient accomplir l’œuvre voulue par son divin Fils. Et ce qui achève de donner à leurs yeux cette confiance sereine dont j'ai parlée, c'est peut-être qu'ils la voient encore lumineuse et maternelle.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Saint Pierre marche en tête des Apôtres, isolé dans sa dignité ; il ouvre le Testament Nouveau comme Moïse ouvrait l'Ancien ; il est le dispensateur de l'Évangile comme Moïse était le dispensateur de la Loi. Par cet artifice de composition, le peintre a rendu sensible aux regards la primauté de Pierre : il porte la clef parce que à lui seul a été donnée la clef du royaume des cieux. Il porte le livre parce que à lui seul a été confiée la garde de la doctrine ; d'autres prêchent, mais il est juge de leur parole et il reprend souverainement l'enseignement de tous, même celui de Paul. Il a mission de gouverner et d'enseigner et ainsi il ne se trompe pas quand il gouverne et quand il enseigne : il a la clef qui ouvre le royaume, il a le livre qui contient la vérité. Dans cet apôtre qui s'avance seul avec de tels insignes nous voyons déjà se dessiner le Pape, le chef de l'Église universelle.
La physionomie de Pierre est une des plus intéressantes qui soient. C'est un homme du peuple comme il apparaît dans les traits qui sont communs et dans la barbe qui est négligée ; mais ce visage populaire, par toutes ses rides, marque la finesse du bon sens. Paul, c'est l'intelligence hardie, rompue à la spéculation, qui aborde tous les problèmes et fonde la théologie ; Jean, c'est l'âme ardente qui va par l'amour jusqu'au secret même du mystère divin, qui entraîne les cœurs dans cette voie de la tendresse enthousiaste, et fonde la mystique. Nécessaires à la vie de l'Église, la théologie spéculative et la mystique ne sont pas sans dangers, et les erreurs de l'esprit et les erreurs du cœur risquent de compromettre parfois la pureté de la doctrine. C'est le bon sens de Pierre qui apporte toujours dans ces choses le juste tempérament et rétablit l'équilibre quand il était près de se rompre. Cette honnête figure de simple, cette physionomie de bon sens populaire, ces yeux fins d'homme pratique qui ne se laissent pas éblouir, voilà qui inspire une large confiance.
Ce visage presque ascétique a été macéré par la douleur. Pierre a souffert de l'expérience de sa faiblesse et de la honte de ses fautes. Dans sa jeunesse il sentait sa droiture et sa force, et il parlait trop vite, d'une manière inconsidérée. Il est tombé très bas puisqu'il a renié trois fois, à l'heure du danger, le Maître qu'il avait voulu défendre avec l'épée et qu'il avait juré de ne pas abandonner, fût-il seul. Il a connu même une honte plus vile ; il a eu peur des railleries d'une femme, et c'est devant le sourire d'une servante qu'il a appel son divin Maître, un malfaiteur. Pour tous ces crimes que Jésus lui a pardonnés d'un regard, Pierre a pleuré ; les larmes ont creusé sur ses joues des sillons amers. Et après avoir pleuré il a compris. Il sait maintenant la faiblesse humaine et il peut devenir la pierre angulaire de l'Église, puisqu'il fut pécheur et qu'il a profité de ses péchés pour se faire plus homme et meilleur. Son expérience de la déchéance est devenue bonté. Et c'est bien la bonté en définitive qui rayonne de toute sa personne.
Sachant qu'il n'est rien de lui-même, il lève les yeux vers Celui d'où toute force lui vient et il marche prêt à tout, pour l'amour du Maître, pour l'amour des hommes. Il est profondément émouvant pour tout ce qu'il porte en lui de vérité divine et humaine.
Saint Jean étonne d'abord. Nous avons pris l'habitude de le voir sous les traits d'un vieillard qui n'a plus d'âge, - la tradition populaire disait qu'il ne devait pas mourir avant le second avènement de Jésus, - ou bien sous la forme d'un adolescent aux longs cheveux blonds qui s'incline sur la poitrine de Jésus. Or le Saint Jean d'Aubert n'est ni un vieillard ni un adolescent ; c'est un mûr aux cheveux noirs, à la physionomie grave et méditative. Au fait, pourquoi pas ? Il y a eu un saint Jean qui a eu quarante ans ; le peintre a le droit de le représenter à cette minute de sa vie. Suivant la tradition iconographique, il tient une coupe sur laquelle apparaît un serpent. Cet attribut que tous les peintres lui ont donné paraît se rapporter à une légende dont il existe plusieurs versions ; la plus accréditée est la suivante : pour prouver la vérité de sa doctrine, il fut mis au défi de boire du poison ; on apporta une coupe empoisonnée ; deux esclaves y goûtèrent et tombèrent foudroyés ; saint Jean fit sur la coupe un signe de la croix qui en neutralisa la malignité et il but sans éprouver le moindre malaise.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Saint André et saint Jacques sont caractérisés l'un par la croix, l'autre par le bâton : ainsi ils sont restés dans l'imagination des peuples ; André c'est l'apôtre qui est mort du supplice de la croix et Jacques est le pèlerin qui a parcouru le monde méditerranéen jusqu'en Espagne, répandant partout la parole de Dieu. Joseph Aubert s'est étudié à faire passer l'âme des deux apôtres dans leur physionomie. La tradition nous dit que saint André avait affection à la croix et qu'il fut heureux de mourir crucifié pour imiter de plus près le Maître divin. Le peintre l'a représenté embrassant étroitement une croix immense qui semble devoir l'écraser : sa physionomie calme et pure respire une joie pieuse ; il appuie sa tête avec un abandon touchant sur le bois qui boira son sang. Il ne se résigne pas au supplice : il le désire, il l'appelle. Jacques était un ardent et un enthousiaste, un fils du tonnerre. On le voit ici partant d'un pas ferme pour accomplir sa mission à travers le monde, usque ad ultimum tertrae. Il serre avec une vigueur passionnée un fort bâton de pèlerin ; son visage respire à la fois l'emportement et la ténacité ; il regarde fixement devant lui avec des yeux obstinés. Cet apôtre qui part, c'est l'homme qui se s'arrêtera pas, qui ne s'arrêtera que pour mourir. C'est ainsi que l'artiste excelle à saisir, dans des personnages dont nous savons peu de particularités, le caractère dominant et à le faire revivre sur la toile.
Le Saint Paul de Joseph Aubert étonne encore plus que son saint Jean, car ici l'histoire apporte des précisions : Paul de Tarse était petit et contrefait ; il se présentait comme un ouvrier vivant du travail de ses mains. Mais la force de son esprit et l'éloquence de sa parole étaient telles que cet homme disgracié de la nature parla un jour devant les sages d'Athènes et se fit écouter ; il se fit écouter des proconsuls et des rois et il conquis des foules. Aussi, à distance, nous n'arrivons pas à nous représenter saint Paul comme un "avorton" ; nous l'imaginons volontiers grand, bien fait, un geste dominateur, un regard de feu. C'est un peu ainsi que Lesueur l'a représenté dans le fameux tableau de Saint Paul à Éphèse : ( https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Eustache_Le_Sueur_-_The_Preaching_of_St_Paul_at_Ephesus_-_WGA12613.jpg ). C'est ainsi que Bossuet l'a dressé, dominateur. Entre deux réalités, une certaine historiquement, l'autre romanesque mais consacrée dans l'imagination des foules, Aubert a choisi la seconde ; ainsi procédaient les écrivains classiques quand ils devaient traiter des sujets historiques. Il nous offre un Saint Paul magnifique de prestance dans son grand manteau. Sur de larges épaules, un cou bien dégagé, une tête intelligente, un front plissé par la réflexion, une bouche qui va rendre des oracles. Sa main droite, avec aisance et fermeté, s'appuie sur une épée, sur le "glaive de la parole", qu'il maniait avec dextérité et sans ménagement pour la faiblesse humaine. C'est un vrai conquérant ; c'est l'homme de son œuvre. Si réellement il était autre, la foule aime mieux croire que l'histoire s'est trompée et que l'art a raison.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
La "légende" des saints raconte que Lazare se fiant à un esquif sans mât, sans voiles et sans gouvernail, arriva, poussé par la providence, au port de Marseille, y fonda une église et devint le premier évêque de la contrée. Le récit hagiographique fournissait au peintre des détails pittoresques qu'il a négligé de parti pris. Il n'a voulu voir dans Lazare que l'homme qui mourut et que Jésus, après l'avoir pleuré, appela d'une voix forte et fit sortir vivant du tombeau, quatre jours après sa mort. Il a peint Lazare au moment où il ressuscite. C'est encore un cadavre et c'est déjà de nouveau un vivant. Dans le sarcophage de pierre, le corps nu a été enveloppé du suaire blanc aux plis lourds. En entendant la voix tout-puissante qui commande même à la mort, Lazare s'est dressé à moitié sur son séant. Son bras droit sort du cercueil, sa main décharnée s'appuie sur le sol pour soulever le corps alourdi qui a perdu dans la rigidité de la mort l'habitude du mouvement. Déjà sa jambe droite fait effort pour rentrer dans la vie et montre ses muscles tendus. Sa main gauche soulève le voile qui couvrait la t^te et son visage apparaît. Dans cette physionomie exténuée et pâle où la barbe met une grande tache noire, les yeux revivent ; ils brillent d'une terreur et d'une stupeur merveilleuses. Habitué déjà aux ténèbres du tombeau, Lazare s'effare de revoir la lumière des vivants ; habitué à la paix de la mort, il a peut-être horreur de revenir à l'agitation de la vie. Ou, peut-être, cette frayeur qui se lit dans ses yeux y est-elle restée depuis le premier contact avec le mystère de l'au-delà : Lazare a vu et il est l'homme qui revient après avoir vu.
Saint Ferréol et saint Ferjeux évangélisèrent la Franche-Comté à la fin du IIe siècle. Ils venaient d'Asie Mineure et appartenaient à une famille aristocratique. Ils firent leurs études à Athènes et y formèrent leurs nobles âmes au culte du beau. Ils passèrent en Gaule et saint Irénée les jugea dignes d'aller prêcher la bonne nouvelle. Ferréol était prêtre, peut-être évêque et Ferjeux était diacre. Ils arrivèrent à Besançon à la fin du règne de Marc-Aurèle ; à leur arrivée les oracles païens furent frappés de mutisme et les dieux se troublèrent. Ferréol et Ferjeux racontent la doctrine de vie qu'ils avaient apprise d'Irénée, qui la tenait de Polycarpe, qui la tenait de Jean, qui la tenait de Jésus. Des disciples se groupent autour d'eux et se réunissent près de Besançon dans une grotte qui est leur première église. Vingt années se passent ; ils ont fait peu d'adeptes, mais ils ont gagné la femme du gouverneur romain, Claudius, et à leur voix des jeunes filles ont quitté le monde pour faire le vœu de chasteté. Arrive Cornélius envoyé de l'empereur et Claudius lui signale les apôtres et dénonce leurs entreprises. Cornélius ordonne de leur infliger des tortures atroces pour les terrifier et les faire apostasier. Claudius promet, menace, frappe ; Ferréol et Ferjeux restent impassibles. A toutes les questions du gouverneur ils répondent avec une simplicité obstinée : Je suis chrétien. On leur arrache la langue et cependant ils ne cessent pas de parler et d'annoncer le royaume de Dieu. On leur plante des clous dans la tête en forme de couronne : ils sourient et ils prient. On leur tranche la tête et une odeur délicieuse se répand et monte vers le Ciel. Ils reposent au Paradis comme deux oliviers chargés de fruits dans le jardin des délices. La Franche-Comté les aime et les honore. Ils sont les protecteurs de la cité bisontine et le peuple pieux croit que, dans les heures graves, ils apparaissent la nuit au-dessus de la ville portant deux flambeau éclatants, pour manifester qu'ils sont présents et qu'ils veillent.
Joseph Aubert en a fait deux êtres de simplicité, de piété et de suave héroïsme. Ferréol regarde nettement devant lui et tend sa main pleine de clous, les clous de sa passion. Ferjeux joint les mains, prie et attend la mort qui lui donnera sa couronne.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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Re: Le Cortège de la Vierge - Joseph Aubert - Par J. Calvet - 1921.
Saint Martial porte la mitre et il s'appuie sur une croix stationnale ; ce sont les signes de sa dignité éminente d'envoyé du siège apostolique et d'évêque des Gaules. Il considère avec un regard d'ardent amour la croix qui est son partage, sa force et le fond de sa prédication. Il est en marche, et les yeux fixés sur son Maître il ne s'arrêtera pas. La tradition veut qu'il ait été disciple de saint Pierre et qu'il soit venu de Palestine avec lui jusqu'à Antioche et jusqu'à Rome. Après deux ans de séjour dans la ville, Martial fut envoyé par Pierre dans les Gaules et il arriva jusqu'au cœur même de la contrée qu'il voulait conquérir, à Limoges, Sa prédication s'accompagnait de tant de prodiges, qu'Étienne gouverneur de la province et sa femme Valérie se convertir. Il en profita pour renverser les idoles, dresser partout cette croix rédemptrice qui est son bâton pastoral, et apporter dans les mœurs la retenue chrétienne. Infatigable apôtre du Christ, il ne se conta point de parcourir le Limousin, mais il poussa jusqu'à Bourges, jusqu'à Cahors, jusqu'à Bordeaux, jusqu'à Toulouse, et partout sur son passage il gagnait les peuples à l'Évangile. Il y avait à Limoges comme à Athènes un autel voué au Dieu inconnu, qui semblait attendre la prédication de Martial ; il le consacra au vrai Dieu, et à saint Étienne premier martyr du vrai Dieu. Enfin, quand il eut achevé sa tâche, plein de jours et plein de mérites, il s'endormit dans la paix du Seigneur.
Saint Pothin a aussi la mitre et déjà le bâton pastoral, marques de sa dignité d'évêque de Lyon. Lui aussi vint évangéliser la Gaule un peu plus tard et pas d'autres routes. Il avait été formé à Smyrne dans cette école d'apôtres que Polycarpe, disciple de Jean, avait fondée et dirigeait. Lorsque Pothin et Irénée eurent appris de leur maître les vertus apostoliques, ils partirent pour la Gaule. Ce voyage était tout naturel. Les voies commerciales qu'ils suivaient aboutissaient à Marseille, cité orientale, qui déjà avait été évangélisée par Lazare et par Trophime, disciple des apôtres. De Marseille on remontait le Rhône et Pothin et Irénée arrivèrent jusqu'à Lyon. Pothin qui était le plus âgé des deux fut d'abord évêque et le parfum de ses vertus se répandait dans les âmes et les gagnait à Jésus-Christ. Il vieillit. Il avait quatre-vingt-dix ans, et il jouissait du fruit de son labeur, regrettant de n'avoir pas assez souffert pour son Dieu, quand la persécution éclata à Lyon. Il subit le martyre avec joie. Le peintre l'a représenté vieillard accablé par l'âge, dont la tête " au poids des ans s'incline " et dont les yeux se ferment de lassitude. Mais il a appris que les chrétiens sont conviés à la souffrance et il se hâte ; sa démarche chancelante s'appuie sur le bâton pastoral et sa main gauche tremble, écartant les obstacles de la route qui conduit au supplice.
saint Hilaire, le premier des trois personnages du groupe, n'est pas l'illustre Hilaire de Poitiers ; c'est un autre apôtre de la Franche-Comté, Hilaire, évêque de Besançon. Il se présente, face au spectateur, la mitre en tête, les yeux clos pour une grave méditation, le visage travaillé par l'ascétisme et par les soucis d'un gouvernement ecclésiastique qui se compliquait avec le temps. C'était un patricien romain, de haute naissance, qui se glorifiait de l'estime affectueuse d'Hélène, mère de Constantin. Le pape Sylvestre Ier l'avait remarqué parmi ses diacres ; et, après l'édit de Milan (313) qui donnait la liberté à l'Église, lorsque Besançon demanda un évêque pieux et courageux, il le consacra et l'envoya. Il édifia Besançon par sa vertu, Hélène vint le voir et émue de constater qu'il n'avait qu'une humble église, elle l'encouragea à bâtir une cathédrale. L'évêque jeta les fondements de l'église Saint-Jean et, par les soins d'Hélène, il reçut de Rome des subsides en argent et des reliques insignes comme la dalmatique de saint Étienne. Le pallium dont il est ici revêtu lui fut conféré comme un privilège de choix par Macaire, patriarche de Jérusalem. Quand il mourut, en 330, une nouvelle distribution des diocèses l'avait fait métropolitain d'une province ecclésiastique avec quatre suffragants.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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