L'INFAILLIBILITÉ

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Message  Monique Dim 30 Oct 2016, 7:39 am

CHAP. LXII.


ATTEINTE A LA HIÉRARCHIE, ATTEINTE A NOTRE CIVILISATION...



Par suite du divin phénomène de la Hiérarchie, de cette parfaite circulation de toute vie , de tout pouvoir qui vient de Dieu, le prêtre devient pour nous l'Église, c'est-à-dire Notre-Seigneur Jésus-Christ. La moindre interruption dans ce canal , surtout près de la source, affaiblirait le fait divin, en suspendrait la puissance. Si l'interruption est complète, il y a schisme comme en Russie ; si elle est partielle, il y a, comme autrefois, le joséphisme en Autriche et le gallicanisme en France. La compression de l'artère empêche le sang de circuler.

Il y a atteinte au phénomène de la Hiérarchie, si le prêtre est paralysé dans l'édification du fidèle, l'Évêque, dans l'éducation et l'ordination du prêtre, le Pape, dans le choix et l'institution canonique de l'évêque. Atteinte, si le prêtre perd de son pouvoir dans le gouvernement des âmes, l'Évêque, dans la doctrine et la discipline du prêtre, le Saint-Père, dans ses constantes relations avec ceux qu'il appelle ses Frères, ses Coopérateurs ! L'artère divine de la Hiérarchie peut être comprimée, ou par la résistance des hommes , ou par la législation des États : ce qu'on nomme en France gallicanisme. Il ne s'agit plus ici du gallicanisme qui, en théorie, croyait à une supériorité du concile sur le Pape, mais de celui qui, en pratique , veut une domination de l'État sur l'Église , gallicanisme que Bossuet, certes! prévoyait peu...

Nous héritons en ce moment de deux siècles de gallicanisme... Le peuple ne sait plus aujourd'hui ce que c'est que le Pape ! Celui que les souverains plaçaient au dernier rang, ne saurait tout à coup reparaître le Chef de la civilisation! Celui que l'on croyait un patriarche avec la Primauté d'honneur , primus inter pares ; qui nous semblait un étranger, un principe éloigné, et au delà des monts, ne saurait tout à coup paraître la pièce capitale de l'édifice européen (1) ! En apprenant ses maux, les peuples se sont-ils ébranlés? sont-ils venus, avec leurs Rois, lui offrir leur secours?.. Indifférence en haut se traduit , dans la foule , par un sentiment qu'on ne saurait nommer. De cette indifférence, vous savez maintenant où l'on peut arriver... (2)

Nous héritons en ce moment de deux siècles de gallicanisme. D'une part, on a diminué l'influence des évêques, de l'autre, habitué la France à croire l'édifice de la Foi achevé dans l'Évêque. On croit que le Corps de l'Église, l'ensemble de ses divins organes, se complète à l'Épiscopat. Le Saint-Père nous paraît comme un astre éloigné, dont l'influence n'est point directe; c'est un couronnement pour la beauté de l'édifice. On ne sent plus qu'il est la racine de l'arbre l qu'il est la tête dans ce corps, le principe vital dans cet en semble sacré d'organes qu'on appelle l'Épiscopat! Mais notre axe a fléchi dans toute l'étendue. Affaiblissement du principe du Pouvoir religieux , affaiblissement du principe du Pouvoir politique, affaiblissement du principe des droits qui sont indispensables à l'homme. C'est l'absence du contre-poids de l'Église qui a rendu les Rois despotes, qui les a rendus faibles... Les hommes ont écarté le bras de Jésus-Christ, et déjà les nations retombent.

Nous héritons de deux siècles de gallicanisme. Et nous ne parlons point uniquement de la situation où les hommes mettent en ce moment le Saint-Siège , mais de l'état de faiblesse , de corruption mentale où sont nos populations ; nous ne parlons point uniquement de la position où se trouve l'Autorité de l'Église, mais de l'état où nous voyons l'Autorité des Rois. Ils ont enseigné à l'Europe comment on désobéit. Dès ce moment la révolte et la division sont allées croissant chez les peuples : on le sent aujourd'hui I Le pouvoir de Dieu même attaqué , comment celui qui vient de Dieu restera-t-il debout? Il ne faut pas que l'AUTORITÉ CONSPIRE CONTRE ELLE-MÊME. Dans un ordre moral, dans une Civilisation comme la nôtre, le pouvoir politique, loin du Pouvoir spirituel, n'est plus qu'une illusion...

Que le gallicanisme fut antipolitique! Aujourd'hui, même impuissance à défendre l'autorité politique et l'Autorité religieuse. Le malheur est si grand, l'abîme si profond, que la Société n'attend de salut que d'une intervention de Dieu... Mais pourquoi avoir fait descendre le Pouvoir dans cette région inférieure où il devient étranger à la conscience, où il reste mort pour notre âme, où il se prive de l'appui du devoir ? Eh ! qu'est-ce qu'un arbre mort, sinon un tronc coupé au-dessus des racines ? Eh ! qu'est-ce que le Pouvoir politique aujourd'hui? Combien de temps subsistera-t-il de la sorte? Des étais, des appuis au dehors, ne rem placent point les racines qui poussaient dans la conscience! L'éloquence est dans ceux qui écoutent, l'Autorité, dans ceux qui obéissent... L'Église est frappée dans sa vie de relation, mais le Pouvoir, dans sa vie de nutrition même.

Que le gallicanisme, enfin, est antipatriotique ! Après la chute de nos Provinces, de nos cités, de nos corporations, de toute aristocratie, quel plus terrible cataclysme que celui du Clergé s'abîmant à son tour dans l'État! Quel coup plus fatal porté à toute aristocratie supérieure, à toute réaction dans l'avenir, à la vie même d'une nation ! Après en avoir détruit les forces agissantes, n'est-ce pas attaquer les forces radicales ? Constamment poursuivis par l'esprit de la domination romaine, dévorés de l'idée d'une unité factice et absolue, les légistes ont accompli leur œuvre, ils ont donné le jour à la Révolution, à la destruction des Provinces et des Ordres; ils ont démoli les coutumes, effacé partout la vie propre, détruit les libertés publiques, aboli toute autonomie, ramené parmi nous l'idéal de l'État antique (1). Tout s'abîme à la fois, et la nation et le principe d'Autorité, dans lequel vivaient tous nos droits ! Ce qui faisait la racine de l'Église, faisait la racine du Pouvoir, la raison de son droit, de notre obéissance, la raison de nos droits acquis. La Foi , la politique, le citoyen , sont à la fois frappés dans leur vie...

Chute de la Province, dès lors des droits publics ! chute des Aristocraties, dès lors de la propriété, de la famille , des éléments de la nation ! chute du Clergé comme corps, dès lors de toute aristocratie possible, vous voilà en face de la Démocratie, de toutes ses conséquences, sans remède, sans répit, sans recours... Que les événements dessillent les paupières; ils pourraient ne pas nous éclairer deux fois. Si les Anglais se trouvaient dans une situation analogue, et qu'ils vissent les faits comme à cette heure nous les voyons , que leur patriotisme saurait bien revenir au remède ! Ils embrasseraient le catholicisme plutôt que de périr. Chez nous, on voit encore de la piété ; mais une chose est plus rare que la piété, c'est le bon sens; et une chose plus rare que le bon sens, ce sont des idées politiques...

On dit l'enfer pavé de bonnes intentions : il sera pavé de prétextes. C'est le moule où la lâcheté vient couler ses mensonges. Le Pape rappelle les Princes à la justice ; il les rappelle aux mœurs, au devoir, à leur Foi. Les Princes supportaient, les uns loyalement, les autres avec quelque impatience, le regard vigilant du vicaire de Dieu, lorsque, pour les flatter (1), on vint leur faire entendre que les Papes voulaient disposer des couronnes, s'emparer des empires... Combien en ont-ils pris ? Mais, ainsi que le chiffre inscrit sur l'écorce, ce conte offert à la jeunesse a grandi avec nous. Et le peuple le croit, le peuple toujours mû par l'attrait ou par l'épouvantail d'un mot. France ! on ne méprise pas la haute philosophie quand on veut devenir la reine de la pensée , surtout quand on ne veut pas être la proie des événements... C'est avec ce mépris, qu'au sein d'une nation, on augmente la couche du vulgaire, qui, depuis la chute des principes, semble établi chez nous comme un règne de la nature. Tout se brise aujourd'hui sous ses couches épaisses ; il pèse de tous ses préjugés, il écrase comme la masse, que l'esprit ne peut agiter. . . Son unique frayeur est de rencontrer Dieu ! Oui, écartez les principes , en tout il a besoin de la médiocrité. De chaque idée, il ne lui faut qu'une partie, le reste pourrait heurter son éternelle foi en lui. Otez la vérité devers ses yeux; la lumière a toujours quelque chose qui blesse, elle agite le cœur, elle priverait de repos le vulgaire... Mais rien ne troublera sa paix ! Contre la tradition étincelante de l'Église, contre sa vieille Foi, contre ceux qui la gardent, il tient quelque chose de tout-puissant, un mot.

Ultra-montains ! Aussi, que d'esprit dans un mot ! La vérité doit-elle ainsi franchir les Monts, oublier la géographie, les races, les nationalités? Penser comme Noire-Seigneur , tenir de lui la morale , la Foi , c'est bon au delà des montagnes. Mettre la conscience à l'abri sur la terre ! établir en Europe un Empire du Droit, donner un sceptre à l'âme, vouloir qu'elle soit préservée, quelque part en ce monde, des attouchements de la force ! quoi ! un Trône à la liberté pure, à la Foi, à celui qui la garde, à celui qui garde l'homme, c'est bon au delà des montagnes ! Les Russes , effectivement, ne furent point ultramontains; et, par économie, la même main leur fait donner le knout et le pain de la vérité. Ah! le bon peuple que le vulgaire...

Après le mot égalitè, qui nous jette au règne animal, jamais semblable mot ne vint servir le despotisme. L'un le rend praticable , mais le vôtre le rend complet...

1. « Tout ce qui avilit, dans l'imagination de la multitude, l'Autorité du Saint-Siège par une apparence de faiblesse, dit Fénelon, mène insensiblement les peuples au schisme. C'est par là que les personnes zélées se découragent, que les partis croissent en témérité. » (Lettre de Fénelon au P. Daubenton , 12 avril 1714.) C'est par là que les peuples apprennent la désobéissance, et les rois, comment bientôt on cesse de leur obéir...
2. La France hérite de deux siècles de gallicanisme; la Russie, de sept, c'est-à-dire des fruits de son schisme ; et la race qui rompit même avec l'Évangile, sait la part que lui fait l'islamisme... Chacune , suivant la faute, met ses lèvres dans la coupe du despotisme. Celle qui fil un pas en dehors, a déjà le pied pris ; celle qui s'y mit à moitié, ne saurait plus rentrer ; celle qui s'y est mise en plein, baigne en plein dans les eaux de sa dissolution...

1. Combattant constamment la Coutume au nom d'une loi idéale, absolue, empruntée à la législation romaine, les légistes donnèrent le jour aux philosophes, qui nous firent connaître à leur tour l'homme idéal et absolu, l'homme de la nature, et couronnèrent le système. Développant, dans la pensée, la thèse que les légistes avaient si longtemps répandue dans les faits , les philosophes précipitèrent la Révolution.
1. Omnia serviliter pro dominatione. Dévouement toujours prêt, quand il est bien payé...



A suivre...CHAP. LXIII. INDÉPENDANCE TEMPORELLE DE l'ÉGLISE.
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Message  Monique Mar 01 Nov 2016, 10:01 am

CHAP. LXIII.


INDÉPENDANCE TEMPORELLE DE l'ÉGLISE.



Comme l'homme , l'Église est sur la terre. Comme l'homme , elle est composée d'une âme et d'un corps inséparablement unis par la vie. Et ce corps des apôtres a ses fonctions , ses relations , ses conditions extérieures d'existence. Enfin, quoique divinement fondée, l'Église est une société humaine, et les sociétés ont ici- bas une existence temporelle. De ce que l'homme n'est sur la terre que pour son âme , peut-on le priver de son corps? De ce que l'Église n'est sur la terre que pour son Pouvoir spirituel , peut-on la séparer d'un pouvoir temporel auquel se lie également son existence? Le spirituel , dans l'Église , peut-il réellement se détacher du temporel? Ce serait dire que, dans l'homme, l'âme ici-bas peut se passer du corps.

Le spirituel , dans l'Église , est ce qui se rapporte au salut des âmes. Ainsi , tout ce qui entrave le salut des âmes porte atteinte au spirituel , comme tout ce qui vient l'assurer en est un prolongement nécessaire. Dès lors ne voit-on pas que, sans sortir de l'ordre matériel , on peut paralyser l'Église, mettre obstacle à ses fonctions sublimes? Qu'on retire à ses ministres la liberté, le respect, ou même la protection qu'on leur doit, comment exerceront-ils les fonctions de l'Église? Toutes les fois qu'on est contrarié dans le salut des âmes , dit encore l'illustre évêque d'Arras, on est atteint dans le spirituel : or de telles entraves ne peuvent venir, le plus souvent, que de l'ordre temporel. Et peut-on soutenir que le Pouvoir spirituel n'est pas lui-même atteint, lors que son exercice est en question , exercice sans lequel ce Pouvoir est inutile? Si l'homme se disait tout entier dans son âme, que pourrait-il contre le meurtrier, qui n'en veut qu'à sa vie, contre le ravisseur, qui n'en veut qu'à ses biens?

D'autres ont dit : l'Église ne peut périr; ravissez-lui son Patrimoine, elle rentre dans les catacombes : qu'on ne s'inquiète point de l'Église, elle a les promesses divines! — On ne s'inquiète point de l'Église, mais du monde qu'elle est venue sauver... Ce n'est pas l'Église, mais le monde qui peut périr ! Et pour sauver le monde, ou le conduire à Dieu, il faut, par l'élévation de son Trône, que le monde la voie ! Des catacombes, l'Église possède deux cent mille âmes ; et du siège où Charlemagne l'a assise, elle en gouverne deux cents millions. C'est à quoi l'on ne réfléchit point...

Le Pouvoir spirituel sans le Pouvoir temporel devient une illusion. Qui nous délivrera des esprits sans expérience ? Le génie est rare chez les hommes ; plus rare encore est le bon sens, le sens réellement pratique. En dirigeant les hommes, la tradition leur rend un service dont leur orgueil se doute peu ! M. de la Mennais pensa que le Clergé vivrait sans traitement au sein de nos campagnes ; ses disciples et la Révolution, tous les esprits légers, déclarent après lui que l'Église peut vivre en mendiant sur la terre. Où est la liberté, la hardiesse , la grandeur de celui qui tend la main? Qui n'a observé la mortelle impuissance où la Révolution a jeté le Clergé, en le mettant dans la nécessité de percevoir une quête chez des paysans, d'en exiger un salaire, un casuel? Salarié par l'État, salarié par le fidèle, humilié devant tous deux ! La Révolution peut s'en flatter, elle l'a découronné ; elle l'a privé de sa dignité première , de sa plus haute, de sa plus délicate influence... Qui a vu cette situation, et pense la faire partager à l'Église elle-même? Mais ce n'est point assez: tous ces esprits demandent qu'elle s'efface entièrement de la terre, qu'elle se renferme dans une vie, dans un pouvoir uniquement spirituel. Quand Jésus a parlé d'une pierre, il a voulu un édifice, un sol pour le porter (1) ! Non, elle ne sera point la lampe solitaire que l'on peut mettre sous le boisseau. Comme le soleil , l'Église se lèvera chaque jour sur l'horizon du monde pour l'éclairer.

D'ailleurs , oublions-nous le divin phénomène de la Hiérarchie ? Par son évêque , le simple prêtre remonte au Pape, du Pape à Dieu. Et ce Pape, ce miracle que Dieu entretient ici-bas pour conserver la liberté humaine, est à la fois un Père, un Roi et le gardien de nos âmes. Comme Père, comme Roi, comme lieutenant de Jésus-Christ, il faut qu'il soit indépendant de la terre, qu'il ne relève que de Dieu, pour que nos âmes, libres, n'obéissent qu'à Dieu. Son inviolabilité fait notre grandeur, son indépendance est la nôtre.

Et par le fait de la Hiérarchie, ce prêtre qui , au sein des campagnes, est là comme l'Église, peut dire à son troupeau : Si vos âmes sont libres, vos consciences dans le vrai, c'est parce que je suis l'envoyé du Saint-Père, parce que je suis évidemment l'homme de Jésus-Christ. Otez le Pape, je deviens l'homme de l'État , je suis un gendarme auprès de vos âmes , l'espion délégué à vos consciences ! c'est de la terre qu'on vous demande l'obéissance : vos âmes ne sont plus libres, je ne relève plus de S. Pierre , de celui dont Dieu vous a répondu... Car voilà ce que fait l'Église! C'est le Pape, c'est cet être éloigné et pour vous invisible , qui fait que vous êtes libres à la face du Ciel comme à la face des hommes ; de même que c'est le Dieu trois fois Saint qui fait que vous existez pour être libres et méritants dans sa Gloire éternelle. La question du Pape, c'est la question de votre liberté, de votre dignité , de la noblesse de votre obéissance! Voilà pour l'individu.

L'homme d'État, à son tour, tiendra aux peuples le langage si simple et si vrai du Prince de Metternich : « Une portée d'esprit supérieure n'est point nécessaire pour comprendre que l'indépendance du Souverain-Pontife intéresse également tous les peuples, et reste un objet de première importance pour l'Europe. Il n'est pas besoin de fonder la nécessité de la liberté du Pontife sur des raisons spirituelles , que nos faibles politiques ne comprendraient pas ; il suffit de leur dire : Vous ne pouvez nier que l'Europe ne vive du Christianisme, que par conséquent le Chef de la religion Chrétienne ne soit un très-grand et très-puissant personnage. Il faut que ce grand personnage habite quelque part ; il faut qu'il soit chez lui ou chez quelqu'un. S'il habite chez quelqu'un, il est au pouvoir de quelqu'un. Or, moi qui ai des sujets catholiques , c'est-à-dire qui relèvent du Pape, comment, sans m'exposer aux plus grands inconvénients, pourrais-je tolérer que le Pape eût un maître? Par le Pape placé sous sa dépendance, ce quelqu'un-là serait maître chez moi, et, très-souvent, bien plus maître que moi. . Ce n'est pas comme catholique, mais comme ministre d'Autriche que je veux le Pape chez le Pape et non chez un autre... » C'est la leçon que le Prince de Metternich fit sentir par un exemple à Napoléon , qui pensait sérieusement à établir le Saint-Siège à Paris ! Napoléon eut l'art un jour de la redire en termes excellents, mais il n'eut pas celui d'en sentir toujours la portée...

Chef visible, Chef envoyé du Ciel, institué pour n'obéir qu'à Dieu, le Pape doit être indépendant et des Rois et des peuples. il faut qu'il soit Roi au milieu des Rois, qu'il possède son peuple au milieu des peuples, et que lui et son peuple restent sacrés chez les nations. Aussi la Providence, qui parle aux yeux par des symboles, en établit le Siège dans la ville du peuple-Roi . lmperium sine fine dedi. . . Oterez-vous sa demeure à celui qui a tout reçu de son Père (1) ? Oterez-vous le rang de nation à celle qui a reçu les nations en héritage (2) ? Priverez vous d'un Roi celle qui fut nommée la Reine des nations (3)? Ravirez-vous les biens de cette Épouse à qui Dieu a donné les Rois pour nourriciers et les peuples pour tributaires (4) ?

L'Église est la Société de nos âmes, l'Empire spirituel. Comment un pareil Empire subsisterait-il sur la terre sans y avoir son territoire , sans y posséder des frontières? Comment se pourrait-il que la Providence qui, pour établir l'indépendance de la famille humaine, institue ici-bas la propriété, n'eût pas songé au Patrimoine de S. Pierre, et n'eût pas assuré son domaine à la famille, à la race de Dieu? Ce Patrimoine , au reste, est nécessaire, non-seulement à l'indépendance, mais encore aux besoins , aux fonctions de Celui qui est à la fois un Père, un Roi, un Pontife souverain.

Il est Père , mais père des pasteurs vénérés de cette bergerie sacrée; père des brebis précieuses qu'ils ont ramenées dans son sein ; enfin, de toutes les créatures qui gémissent sur la terre... Comme père, il doit justifier de son titre , d'abord en entretenant cette famille d'apôtres toujours assemblée près de lui ^ ensuite en protégeant ses fils répandus sur le monde; enfin, en versant des aumônes sur les malheureux qui de tous les points du globe espèrent en cette universelle bienfaisance.

Il est Roi, mais Roi d'une société aussi vaste que la terre, Roi d'un empire dont les confins sont dans le Ciel, enfin premier ministre du Très-Haut, dispensateur des trésors mêmes de l'Infini. Dans cette grandeur surhumaine, il pourrait se passer, pour lui, des grandeurs de la terre , mais il ne saurait les voiler pour la créature mise ici-bas dans une enveloppe de chair. Entretenant le plus grand culte du monde, objet lui-même d'un culte, il doit attirer le respect et l'obéissance des hommes , faire éclater une sainte magnificence , soutenir à leurs yeux la gloire de ce Roi des rois dont il est la vivante image.

Il est Pontife , mais pontife désigné de Dieu même pour offrir les sacrifices que doit lui présenter la terre. Et, pour le monde entier, les Offrandes seront offertes par ses mains vénérables à la Majesté Souveraine (1) Sans doute, pour parler le langage vulgaire , une subvention à la charge des nations catholiques aurait pourvu à ces besoins augustes de Père, de Pontife et de Roi. Mais ici, il fût devenu le fonctionnaire salarié du monde ; ici, il n'eût plus été Père, il n'eût plus été Roi, il n'eût plus été homme (1)... Qui a prévu combien un expédient de ce genre eût blessé les consciences et abaissé la Chrétienté? En le créant Pontife, Dieu l'a fait libre, Dieu l'a fait Roi, il lui a donné, par un lambeau de cette terre, une Souveraineté temporelle.

Et d'ailleurs, l'élection de ce Pontife, souverain de nos âmes ; le choix de ses Cardinaux, princes et pairs de l'Église ; la nomination des Évêques , ses frères , ses coopérateurs ; la célébration des Conciles , qui les ramènent autour de lui; ses brefs, ses décisions apostoliques, ses rapports avec ces Évêques, qui portent la lumière aux nations, avec les Princes, qui règnent pour la leur maintenir, avec les peuples, avec les âmes, tous ces actes doivent rester indépendants... Et non- seulement rester indépendants, mais encore le paraître, pour n'être suspectés de personne , pour conserver force de loi sur les consciences, et pour que toutes se sentent libres et inviolables !

Pour Lui , pour le culte divin , pour l'exercice de la charité, pour la propagation de la Foi, pour l'entretien de ses conseils, de son corps diplomatique, de ses congrégations, de sa Cour, de ses tribunaux de Consultation sur les dogmes , sur la morale , la discipline, la liturgie, les consciences, et les écrits qui se publient; enfin, comme Prince des Évêques, comme Pasteur des âmes, conseiller des Rois, Roi lui-même, le Saint-Père, de même que tout souverain, tout État , toute famille , tout individu, doit posséder ses biens, ne relever que de son droit! Encore une fois, Dieu eût assuré l'indépendance à tout homme ici-bas en créant la Propriété, et il en eût privé Celui de qui procède l'indépendance de toutes les âmes , de tous les hommes ! Songeons que l'Église est divine , dès lors souverainement rationnelle...

Aussi , de toutes les souverainetés de la terre, celle du Vicaire de Dieu est-elle la plus ancienne , la plus légitime , la plus purement divine, j'allais dire la plus humaine, celle qui accomplit le plus parfaitement le but de toute propriété, de toute souveraineté sur la terre.

La plus ancienne ! Aussitôt que l'arbre sacré de l'Église est suffisamment arrosé par le sang des martyrs, Dieu pourvoit à son accroissement. Constantin transporte le siège de l'Empire à Byzance; l'Italie mal défendue contre les Barbares tourne ses regards vers le Chef de l'Église ; Cassiodore , préfet du Prétoire , écrit au Pape Jean II : « C'est vous qui êtes désormais le gardien de la société chrétienne. Sans doute vous êtes le « Pasteur spirituel du troupeau, mais vous ne pouvez « négliger ses besoins temporels , etc. » Et le chef de l'Église revêt le Pouvoir au même titre que les Rois de la terre. La plus légitime ! Quoi de plus légitime que ce fait immortel de l'histoire ? La plus purement divine ! Quoi de plus divin par l'origine et dans le but? D'une part , les circonstances par lesquelles Dieu transmet une royauté que les Empereurs, dont le siège était trop éloigné, ne conservaient que de nom ; d'autre part, les concessions de Pépin, de Charlemagne, de la pieuse Mathilde, sans parler des droits antérieurs , investirent le Saint-Père d'un Pouvoir temporel dont nous venons d'indiquer les ineffables raisons divines , les suprêmes raisons humaines (1). De toutes les souverainetés, celle-là est assurément la plus ancienne, la plus légitime, la plus purement divine, celle qui accomplit le plus profondément le but de tout droit ici-bas : l'inviolabilité de nos âmes !

Et si les hommes devenaient assez malheureux pour renverser une Souveraineté dont relève leur dignité, la noblesse de leur obéissance , ils consommeraient l'acte de folie le plus irrémédiable et le plus grand des sacrilèges... Ils attenteraient au Droit de Dieu, à celui des âmes, à l'honneur de la Création.

1. La question du pouvoir temporel est une question psychologiquement identique à celle du culte. Il faut un culte, parce que l'homme est composé d'une âme et d'un corps, qu'il faut parler aux sens pour réveiller son âme ; de même, un pouvoir uniquement spirituel serait au milieu de nous comme une âme privée d'organes. « L'homme n'est ni ange ni bête, dit Pascal, et qui fait l'ange fait la bête. » Et c'est le cas de ces esprits qui veulent borner l'Église à une vie spirituelle...

1. Omnia tibi dabo , Malachie, 7.
2. Dabo tibi gentes haereditatem tuam.
3. Domina gentium.
4. Isaïe, XLIX, et passim.

1. « La Papauté, s'écrie Mgr d'Orléans, serait salariée , comme le sont les curés! Le Pape sera le grand fonctionnaire européen du culte. auquel on pourra, à tel jour, en telle occurence, supprimer son trimestre?

1. L'usurpation, la violence et l'intrigue n'ont donc aucune part à l'établissement de cette Souveraineté temporelle , revêtue de cet auguste caractère de la durée que la Providence n'accorde qu'aux choses indispensables au monde. Elle possède à la fois la sainteté de l'origine et la sanction du temps, dernière attestation de Dieu.



A suivre...CHAP. LXIV. DU DROIT DE DIEU.



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Message  Monique Jeu 03 Nov 2016, 11:43 am

CHAP. LXIV.


DU DROIT DE DIEU.



Cette indépendance de l'Église, qui est celle des États, qui est celle de l'homme, celle de l'âme, celle du monde, repose sur le Pouvoir temporel de l'Église. Mais écoutons Notre-Seigneur.

« Que celui que l'on instruit dans la Foi , assiste en toute manière de ses biens celui qui l'instruit : ne vous y trompez pas, on ne se moque point de Dieu (1) ! » Puis il dit à ses Apôtres : « Allez ; et dans quelque ville ou maison que vous entriez, demeurez-y, mangeant et buvant de ce qu'ils ont : car l'ouvrier est digne de son salaire. Et si quelque ville ou quelque maison se ferme devant vous, secouez contre elle la poussière de vos pieds, tout en l'avertissant que le Royaume de Dieu s'approche. Je vous le dis, au jour du jugement, moins terrible sera la sentence de Sodome et de Gomorrhe que celle de cette ville-là (2) ». — Refuser l'assistance à l'un de ses Apôtres est un crime qui dépasse celui de Sodome , que sera-ce de laisser sans ressource l'Église entière. . . que sera-ce de lui ôter ses propres biens?

Les biens que possède l'Église ne sont pas seulement de droit divin, ils sont du droit de Dieu même, puisque c'est à Dieu que ces biens furent donnés, suivant les intentions expresses des donateurs, Princes, peuples, familles et particuliers.

Ce n'est point à des hommes, en effet, ni à une institution humaine , qu'ils entendirent faire un don , mais à Dieu : soit qu'ils aient eu l'intention de sauver leur âme par un acte de repentir, soit qu'ils aient désiré lui plaire par un acte direct d'amour. Et ces biens étant les biens de Dieu , la possession n'en est pas seulement de droit divin, mais du Droit de Dieu même, du Droit le plus élevé qu'il y ait au Ciel et sur la terre.

Le droit divin est un droit qui nous vient de Dieu ; un droit qu'il communique à l'homme pour que celui-ci ait une autorité réelle ici-bas, qu'il puisse arguer d'un droit inattaquable. Ainsi, l'autorité du père, que l'homme exerce sur ceux que Dieu lui donne pour enfants , l'autorité du Roi , que le monarque exerce sur ceux que Dieu lui donne pour sujets, et la propriété, qu'elle soit le fruit des facultés que l'homme tient de Dieu, ou qu'elle vienne de l'hérédité, dans laquelle il choisit les âmes qui arrivent en successive possession des biens, sont toutes trois de droit divin. Mais au-dessus du droit qui vient de Dieu , est le Droit de Dieu même, Droit qu'il conserve sur les biens comme sur les âmes, qui sont à lui, et, comme telles, inviolables. Ce droit qui garantit les âmes et les choses de Dieu est considéré comme si supérieur aux autres droits , que les langues , lui affectant une expression particulière, en qualifient la violation de sacrilège.

Le Droit qui protège les âmes et les choses de Dieu, ne procédant pas des conventions humaines, ne relève en aucune sorte des lois civiles. Ce Droit est antérieur et supérieur à ces lois ; bien loin d'en dériver, il en est la base, la raison d'être, et l'appui chez les hommes. Si le droit de Dieu n'était ainsi reconnu par toutes les consciences , quelle valeur auraient les droits qui se rapportent à l'homme ? Or, ce Droit ne provenant ni des hommes, ni de leurs lois , ne saurait être aboli ni par les hommes ni par leurs lois. Ce Droit reste absolu, indépendant des législations et des Pouvoirs de ce monde. Le crime de ceux qui se croiraient en droit de le suspendre, dépasserait le crime de celui qui attenterait aux droits les plus respectés, les plus incontestés sur la terre : sacré , il ne saurait sans sacrilège être violé (1).

Ces grands principes forment le sentiment et la doctrine des Conciles et des Pères. Que les biens offerts à l'Église appartiennent à Dieu , et soient au-dessus de tout droit, c'est là un fait si anciennement compris en ce sens (2), que Charlemagne, lui donateur, exige qu'il  soit entendu de la sorte dans ses Capitulaires (lib. V, c. 370) , où il dit : « Que ni lui , ni ses successeurs ne pourront ullo unquam tempore absque consensu et voluntate Episcoporuni res Ecclesiœ petere ; parce que : omnia qux offeruntur, procul dubio et consecrantur, et non solum sacrificio, sed quidquid ei à fidelibus offertur, DOMINO IPSO INDUBITANTER, et ad jus pertinet Sacerdotum. »

« Les plus anciennes monarchies , particulièrement celle de France, s'écriait Dumesnil devant la cour suprême, en 1563, ont toujours eu pour maxime , que les biens meubles et immeubles de l'Église sont réputés inviolables et hors de l'usage des hommes ». On ne saurait mieux caractériser le droit qui couvre les choses consacrées à Dieu. « Clotaire, dit Le Vayer, voulant s'approprier le droit de percevoir des rentes appartenant à l'Église , un saint Évêque lui dit : que s'il voulait s'emparer des biens de Dieu , Dieu à son tour lui ravirait sa couronne. »

En I646, le Clergé de France adressait ces paroles à la Reine régente , mère de Louis XIV : « Nous serions prévaricateurs de la cause de Dieu et de la dignité de notre caractère , si nous ne vous disions que l'Église n'est point tributaire ; que ses immunités , aussi antiques que le christianisme, ont traversé tous les siècles ; qu'elles sont confirmées au besoin par toutes les lois Canoniques, royales et impériales; que ceux qui les violent ont été frappés d'anathème par les Conciles ; et que c'est une impiété de ne point mettre les biens temporels de l'Église au rang des choses sacrées : que ces biens sont comme de l'essence de la Religion , puis qu'ils en soutiennent LE CULTE ET L'INDÉPENDANCE. »

« Nous enseignons hautement, dit à son tour Bossuet(Defens. decl. Cler. Galli., liv. I), que les biens , les droits et les gouvernements temporels acquis aux Pontifes romains sont, d'abord, quant à leur autorité, possédés à un titre aussi parfait qu'il puisse en exister parmi les hommes; qu'en outre, tous ces biens et ces droits, comme étant affectés à Dieu et à son Église, doivent être considérés comme saints et sacrés, et ne peuvent sans sacrilège être envahis , enlevés , ni appelés sous la domination séculière. »

Voilà pourquoi l'évêque illustre de Poitiers s'écriait naguère , en rappelant ce texte : « Ici Bossuet est l'écho de la tradition chrétienne aussi bien que du Clergé de France; il ne fait qu'appliquer les principes des Conciles œcuméniques et des constitutions apostoliques.  »  Ajoutons qu'il ne fait qu'appliquer les principes éternels du droit et de la raison.

« 0 toi qui semblés en ce moment stérile et délaissée,  s'écriait Isaïe , quelle sera ton admiration lorsque tes enfants , lorsque les peuples que tu ne connais pas, « viendront construire eux mêmes tes remparts, abattre  les cèdres des montagnes, arracher l'or, l'argent et l'airain de la terre pour l'ornement de tes murs? Leurs Princes se feront gloire de te servir, à cause du Seigneur ; tu suceras le lait des nations, et tu seras nourrie de la substance des rois. Ainsi l'ordonne le Dieu fort : tout royaume qui refusera d'obéir sentira le poids de sa vengeance! » Paroles inouïes, paroles solennelles , et dont les derniers termes menacent aussi de s'accomplir.

Si de tels biens sont menacés, c'est pour nous, Français, un devoir d'honneur et de reconnaissance de les défendre et de les maintenir. D'honneur! ce sont nos Rois, nos premiers Rois, qui les ont transmis à l'Église, ce sont des biens qui viennent en quelque sorte de la France... De reconnaissance ! cette France, si jalouse de sa gloire, n'a-t-elle pas été pendant quatorze siècles redevable de sa prospérité et de sa grandeur à l'Église? Civilisée par ses premiers Apôtres, défrichée par ses moines, administrée par ses Évêques, instruite par ses religieux , qui bâtirent les bourgs , les hameaux, les églises, fondèrent les écoles, les universités, les académies, érigèrent les hospices, créèrent les bibliothèques, lui conservèrent les lettres, les sciences et les arts, la France doit tout à ce Clergé sublime. Il fit son sol , éleva ses grands capitaines , forma le cœur de ses Princes comme celui de ses enfants, fournissant à ses Rois des conseillers et des ministres comme Grégoire de Tours, comme Suger, comme d'Amboise, comme Richelieu et Fleury. Suivez-les jusque dans nos malheureuses Assemblées, jusque sur l'échafaud, ces Évêques, ces prêtres , et dites s'il était possible de s'ensevelir avec plus de gloire sous les ruines de la Religion et de la patrie! France, France, ne laisse point à l'Église le temps de te dire : Est-ce parce que je t'ai engendrée ici-bas à la gloire, est-ce parce que je t'ai enfantée à la Vie immortelle, que tu demandes aujourd'hui ma mort ?

1. S. Matthieu, chap. X, v. 11 ; et S. Luc, chap. X, V. 7.
2. Si Dieu, sous les plus terribles menaces , ordonne aux nations de pourvoir aux besoins de l'Église, quel sera son langage aux nations qui lui ôtent ses biens ? Dieu ne dira-t-il pas : C'est mon Église, venue vers toi pour te sauver, que tu as privée de son pain et de sa dignité sur la terre ! C'est moi dont tu as renversé les desseins, moi que tu as privé d'une-part immense de ma gloire !

1. Excommunicamus et anathematizamus omnes illos , qui per se , seu alios, directe vel indirecte, sub quocumque titulo , vel colore , invadere, destruere, et detinere praesumpserint in totum, vel in partem, Almam Urbem et alias civitates, terras et loca, vel jura ad ipsam Ro- manam Ecclesiam pertinentia, dictaeque Romans Ecclesiae médiate vel immediate subjecta, etc., etc. Concil. Trident.. sess. XXII.

2. Que les biens offerts à l'Église soient offerts à Dieu et lui appartiennent, c'est ce que disent formellement : 1° les canons des Apôtres, c. 37 ; 2° le troisième concile de Carthage, c. 49 ; 3° le quatrième, tenu en 397 et 398 , c. 31 ; 4° le sixième concile romain sous le Pape S. Symmaque, en l'an 504 , sans parler d'une infinité de conciles plus modernes trop longs à citer ; c'est ce que déclarent les Pères, et particulièrement S. Grégoire de Nazianze (épit. 166, homil. S), S. Bazile (ReguL Brev. iuterog. 187), S. Jean Chrysostome (homil. 70) , S. Cyprien (Epist, 42), S. Maxime (Serm. de S. L.), lesquels déclarent que : « ravir ses biens à l'Église, c'est les ravir à Jésus-Christ , se rendre  coupable d'impiété , d'un sacrilège semblable à celui de Judas, et  tomber sous le coup des plus foudroyants anathèmes. »



A suivre...CHAP. LXV. RÉFLEXIONS RELATIVES A NOTRE TEMPS.
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Message  Monique Ven 04 Nov 2016, 7:46 am

CHAP. LXV.


RÉFLEXIONS RELATIVES A NOTRE TEMPS.



Viennent les considérations civiles et politiques ; la Civilisation aussi a ses conditions d'existence !

Il n'y a qu'un Droit. Le Pape en est la racine ; les autres droits n'en sont que les branches , car tout droit vient de Dieu. En vain l'homme voudrait soutenir le point sur lequel lui-même il s'appuie. Si le Droit de Dieu est détruit, quelle valeur aura celui qui se rapporte à l'homme ? L'expropriation du Saint-Père serait pour l'Europe, l'expropriation des couronnes, l'abolition de la propriété, l'extinction de tous droits.

Les hommes, créés libres, ne doivent obéir qu'à Dieu : il faut bien que le Pouvoir, de même que l'obéissance , nous arrive en définitive de lui ! L'homme ne peut reconnaître de souveraineté réelle , éternellement légitime, qu'en Celui de qui la vérité, la justice, la liberté et toute autorité découlent... Que deviendra sa conscience, que deviendront son droit, sa dignité , son honneur, si c'est le droit de l'homme qui prévaut sur le droit divin ? Serons-nous aveuglés au point d'abattre d'un seul coup la Civilisation moderne , de sortir du règne de l'Église pour rentrer dans celui de l'État, et de nous enfermer après dix-huit cents ans, dans ce champ de servitude et de misère qu'on appelle l'Antiquité (1) ? Est-ce la Royauté , ou l'Église qui nous donna la liberté?.. C'est à nous, c'est à tout ce qui repose sur le droit qu'il faut songer lorsqu'on veut renverser le droit sur lequel tous les droits reposent. En défendant son droit, le Pape défend aujourd'hui tous les nôtres.

Voilà les considérations morales ; venons aux considérations politiques. L'État qui repousse la suprématie de l'Église, attente à sa propre existence en ébranlant la suprématie définitive ; il enlève à ses propres lois l'appui décisif de la conscience. Ses efforts pour réduire le peuple à une soumission plus humaine ont pour effet d'anéantir la soumission. Tout principe supérieur d'obligation morale étant détruit , le pouvoir n'est plus que la force, et l'obéissance qu'un esclavage... Ici, comment décider aux yeux des consciences quand une loi est réellement juste ou injuste ? Qu'une loi rencontre des obstacles, qu'elle soulève des difficultés , il faudra recourir au bras terrible, et dès lors persécuteur, du Pouvoir. 0 imprudence ! l'État a refusé d'avoir une conscience saintement dirigée par l'Église qui aurait en même temps dirigé celle des sujets dans la même voie de justice ! le Prince a repoussé cette arme spirituelle qui traverse les âmes comme un doux rayon de lumière, et il faut qu'il impose par la violence sa volonté , qu'il s'ouvre avec l'épée le chemin de nos consciences ! Eh ! qu'est-ce donc que la Tyrannie ? Ne la trouvez-vous pas toujours persécutant d'une main l'Église , et de l'autre les peuples ?.. Les princes n'ont eu intérêt à se séparer du Saint-Siège que pour devenir souverains absolus (1) , que pour posséder corps et âmes leurs peuples et les gouverner sans contrôle. Mais ils les ont conduits par le chemin de la désobéissance à la révolution ; le contrôle qu'ils désiraient écarter du côté de Dieu, leur arrive du côté des hommes... Ils voulurent dérober les consciences à l'Église : ils se sont dérobé leurs couronnes.

Tant que les Princes ont obéi à l'Église, les peuples ont obéi aux Princes. Car c'est l'ordre établi de Dieu, l'ordre voulu pour l'affranchissement de nos âmes. Ici, plus d'interruption de Dieu à l'homme : la liberté est sans rupture. Comme l'Église ne saurait émettre une loi opposée à la loi divine, de même ici le Prince ne saurait promulguer de lois contraires à celle de l'Église. Et, comme l'Esprit divin conduit l'Église en une sainte conformité avec les lois éternelles, celles du Prince, plus exposées aux caprices de l'homme, se trouvent ramenées de la sorte dans la vraie direction : la liberté et la justice forment une seule ligne droite , de Dieu jusqu'au moindre sujet ; et l'homme accepte une loi qui règle sa volonté, mais ne l'enchaîne pas... Non! un Prince convaincu de la nécessité d'une religion pour affermir l'ordre et obtenir l'obéissance , ne saurait vouloir une loi divine obligeant les sujets et ne l'obligeant pas lui-même, une Église qui commande à ses peuples , et à laquelle il commande lui-même. Le stratagème ne peut durer longtemps...

Ce qu'on voit en Europe prouve trop clairement, de la part des souverains, le peu de science politique, et, de la part des hommes abîmés dans l'erreur, un immense besoin d'Autorité. Tout baisse, la Société s'en va... Les hommes périront par manque de génie. La Foi y suppléait ; mais voilà que , par manque de noblesse , les hommes abandonnent la Foi.

L'Europe doit au Pape la garantie des Trônes, parce que c'est au droit chrétien qu'elle doit l'obéissance sur laquelle ils reposent. Et elle doit au Pape la liberté des âmes, parce qu'elle doit au principe qui les rend responsables devant Dieu, leur inviolabilité devant les hommes. Avec le Pape , tout disparaît, le commandement comme l'obéissance , la conscience comme la liberté. Si l'Europe foule aux pieds le droit de l'Église, elle abdique son propre droit !! Qu'elle essaye de renverser le droit divin, elle sentira d'où lui venait l'obéissance, et si l'homme peut la fonder ! On voudrait une société que tout l'or de la terre et tous les efforts du despotisme ne sauraient soutenir... Oui, si l'Europe appelle sa fin, qu'elle retire la pierre sur laquelle son vieil édifice repose !

C'est parce qu'on a renversé le droit, et égaré les consciences, que les hommes ne veulent plus obéir... On ne fera rien pour l'Europe qu'on ne remonte à l'Autorité, rien pour l'Autorité qu'on ne remonte à Dieu.

Est-ce par enchantement que vivent pressées et en paix ces formidables masses que nous nommons les nations? Où est le droit des souverains à leur obéissance, où est le devoir des nations de la leur confier ?.. Au lieu de voir, dans la Société, ce qui en fait la merveille, et, dans l'homme, ce qui en fait la grandeur, nos politiques mesurent la solidité et la gloire des peuples au chemin qu'ils ont fait dans une liberté abstraite , dérisoire, dans une liberté prétendue politique qui leur a jusqu'ici ôté toutes leurs libertés publiques et toutes leurs libertés privées ! A leurs yeux, le grand but sur la terre est de rendre absolue une semblable liberté. Et d'abord, quelle confiance en l'homme ! quel oubli de la Chute ! quel terrible aveuglement ! En perdant la vérité, perd-on donc à ce point l'expérience ? Sous les Trônes, comme sous les Empires, se trouve la Théologie, se trouve la réalité, c'est-à-dire l'homme tel que nous l'a laissé la Chute. Le gouvernerez-vous sans le connaître et sans savoir son but sur la terre ? Cette terre n'est qu'un chemin ; un chemin pour cet être royal, cet être créé libre, à l'image de Dieu, prenant lui-même par la Grâce sa route vers l'Infini... En perdant de vue nos destinées, vous anéantirez une Civilisation qui n'est , pour l'âme humaine, qu'une préparation divine.

Ces questions intéressent trop sérieusement les États pour disparaître sous l'ignorance où nous plonge aujourd'hui l'erreur. Elles seront l'objet de la Conclusion de ce livre.

J'ajoute encore quelques paroles; je les emprunterai à la plus noble, à la plus grande voix de ce siècle. Après l'horrible tempête qui vient de tourmenter l'Église, s'écrie en concluant le comte de Maistre, que ses enfants lui donnent au moins le spectacle de la concorde ; qu'ils cessent de l'affliger par leurs discussions insensées. C'est à nous d'abord, heureux enfants de l'unité, qu'il appartient de professer hautement des principes dont l'expérience la plus terrible vient de nous faire sentir l'importance. Nous avons trop méconnu notre bonheur ; égarés par les doctrines dont l'Europe a retenti dans le siècle dernier ; égarés peut-être davantage par un esprit d'indépendance allumé dans le sein même de notre Église, nous avons presque brisé des liens dont nous ne pourrions, sans nous rendre absolument inexcusables, méconnaître aujourd'hui l'inestimable prix... Il est temps d'abjurer des systèmes si coupables, de revenir au Père commun, de nous jeter franchement dans ses bras, de faire tomber le mur d'airain que l'erreur, le préjugé et la malveillance avaient élevé entre nous et lui. Mais, dans ce moment solennel, TOUT ANNONCE QUE L'EUROPE TOUCHE A UNE RÉVOLUTION MÉMORABLE, dont celle que nous avons vue ne fut que l'indispensable préliminaire ; c'est aux protestants que doivent s'adresser avant tout nos paternelles remontrances, nos ferventes supplications. Qu'attendent-ils, et que cherchent-ils ? Ils ont parcouru le cercle entier de l'erreur ; la moitié de l'Europe se trouve enfin sans religion. L'ère des passions a passé ; nous pouvons nous parler sans nous haïr Que les Princes, surtout, s'aperçoivent que le pouvoir leur échappe; que la monarchie européenne n'a pu être constituée et ne peut être conservée que par la religion une ; que si cet allié leur manque, il faut qu'ils succombent. Tout ce qu'on a dit, pour effrayer les Puissances protestantes, sur l'influence d'un pouvoir étranger, est un épouvantail dressé dans le seizième siècle, et qui ne signifie plus rien dans le nôtre... Que les Anglais surtout réfléchissent profondément sur ce point ; car le grand mouvement doit partir de chez eux. S'ils ne se hâtent de saisir la palme immortelle qui leur est offerte, un autre peuple la leur ravira. Cependant tout semble démontrer que les Anglais (1) sont destinés à donner le branle au GRAND MOUVEMENT RELIGIEUX QUI SE PRÉPARE, et qui sera une époque sacrée dans les fastes du genre humain... Aidez-nous à faire disparaître la division. Pour rétablir une religion et une morale en Europe ; pour donner à la vérité les forces qu'exigent les conquêtes qu'elle médite ; surtout pour raffermir le trône des souverains et calmer doucement cette fermentation des esprits qui nous menace des plus grands malheurs, un préliminaire indispensable est d'effacer du dictionnaire européen ce mot fatal : PROTESTANTISME. Il est impossible que d'aussi importantes considérations ne se fassent pas jour dans les cabinets protestants, et n'y demeurent en réserve pour en descendre ensuite comme une eau bienfaisante qui arrosera la vallée. Ce grand changement doit commencer par les Princes...

Enfin, dans la fermentation générale, les Français, et parmi eux le Clergé en particulier, doivent s'examiner soigneusement ; et ils ne doivent pas laisser échapper cette grande occasion de s'employer en première ligne à la reconstruction du saint édifice. Ils ont sans doute de grands préjugés à vaincre ; mais ils ont aussi de grands moyens, et, ce qui est beaucoup, de puissants ennemis de moins. Les Parlements n'existent plus. L'esprit parlementaire ne peut plus agir que par des efforts individuels. On peut donc espérer que rien n'empêchera le sacerdoce de se rapprocher sincèrement du Saint-Siège , dont les circonstances l'avaient éloigné plus peut-être qu'il ne le croyait. L'expérience a dû convaincre les peuples séparés ; il ne leur manque plus rien pour reconnaître la vérité; mais nous sommes bien plus coupables qu'eux, nous qui, nés et élevés dans cette sainte unité, osons cependant l'attrister par des systèmes déplorables, vains enfants de l'orgueil, qui ne serait plus l'orgueil s'il savait obéir... ! Telles sont les conclusions de ce grand homme.

En perdant la foi religieuse, nous perdîmes la foi politique; elles ne sauraient l'une sans l'autre se rétablir. Il faut que l'arbre divin reparaisse jusqu'au faîte. L'obéissance ne peut descendre que de Dieu. Toute diminution du christianisme est une diminution de la Société et une diminution de l'homme ; toute attaque à l'autorité de l'Église, une attaque à l'autorité politique elle-même. L'homme ne saurait diviser sa pensée, ni se former deux consciences... C'est pourquoi, aux brûlantes supplications de celui qui fut aussi prophète dans sa Foi, je dois joindre d'autres paroles, également venues de haut : « Comme la destinée de l'Église est liée au grand mouvement qui se prépare, il est clair qu'en définitive, c'est à elle que restera la victoire : et comme la France, malgré ses longues erreurs, n'en est pas moins toujours la fille aînée de l'Église, il est à croire qu'elle sortira elle-même victorieuse de cette lutte. Tant de foi, tant de saintes œuvres qui se font chaque jour sur cette chère et noble terre, trouveront grâce devant Dieu. Puissent tous les hommes de foi, d'intelligence et de cœur, reconnaître enfin qu'il est impossible de séparer ce que Dieu a uni , et revenir aux principes qui seuls peuvent assurer le salut et la grandeur de notre bien-aimée patrie !

Comme le monde, l'hérésie passe ; attachons-nous à ce qui est immortel , à cette main que Dieu nous tend par l'Église Apostolique et Romaine.... J'avoue qu'a près ce qu'il m'a été donné de connaître de sa source, de sa nature et de ses résultats, je ne sais que m'écrier : Profonde, profonde métaphysique, et bon sens inouï! Je laisse à des bouches augustes (1) le soin d'en célébrer la sainteté; mon âme ne pourrait suffire à exprimer la tendresse et l'admiration que j'éprouve, ni la reconnaissance que ce monde lui doit.

1. Quels dangers dans l'orgueil ! Les hommes aujourd'hui se persuadent qu'ils garderont toujours ce qu'ils n'ont pu se donner pendant quatre mille ans...

1. Aussi, partout où s'établissait le protestantisme, le despotisme antique renaissait. Avant la Réformation, le despotisme n'existait pas en Europe. Et l'omnipotence de l'État date en France de 89.

1. Qui lira sans être ému d'admiration les Mandements de nos Évêques ? Quelle richesse, quelle étendue, quelle profondeur dans les questions ! Par la noblesse des choses, par l'élévation des pensées, ces pages rappellent, de nos jours, les Dialogues de Platon; et, parla sublimité du sujet, si nouveau pour la plupart des hommes, elles semblent y reproduire celles de la Cité de Dieu. Ces Mandements, particulièrement sur la Foi, la raison , la révélation, sur l'ordre surnaturel, le naturalisme, notre état social, tous nos besoins, enfin sur le Pouvoir temporel et les imprescriptibles droits du Saint-Siège, formeraient le livre le plus fort qu'ait produit notre époque , le plus réellement philosophique qui ait paru depuis Fénelon et Bossuet. Mais l'ignorance ôte aujourd'hui l'admiration à la plupart des hommes.



A suivre...CHAP. LXVI ET DERNIER. VOUS ÊTES LA LUMIÈRE DU MONDE !
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Message  Monique Sam 05 Nov 2016, 9:41 am

CHAP. LXVI.


VOUS ÊTES LA LUMIÈRE DU MONDE !



Après la première parole : Que la lumière soit ! les Cieux n'en connurent point qui fût plus magnifiquement accomplie que cette autre parole : Allez, enseignez les nations au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit! Et jamais Dieu, devant une de ses œuvres, ne dit avec plus de complaisance qu'elle était bien, que devant celle qui sortit du néant à ces mots : Allez, enseignez les nations au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit !

Les hommes pourront célébrer les biens que vous leur avez faits; mais c'est Dieu qui vous louera, ô saints Évêques, de ce qu'en paissant les agneaux, vous fûtes fidèles au Pasteur , accomplissant ce vœu suprême : « Il n'y aura qu'un troupeau et qu'un Pasteur ! » Au reste , comment vous loueraient les hommes quand on a entendu cette voix : Vous êtes la Lumière du monde?

Vous êtes la Lumière du monde: c'est la parole du Créateur. Lorsqu'il dit : Que la lumière soit ! il s'adresse à l'abîme ; c'est de son propre sein qu'il tire cette autre Lumière, à ces mots : Vous êtes la Lumière du monde. Le néant répondit à la première parole, le Ciel entendit la seconde. Vos cœurs s'approchèrent comme des flambeaux pour s'allumer, et Dieu leur dit : Vous êtes la Lumière du monde !

L'Église se réfléchira dans les Cieux , comme les cités du rivage se réfléchissent au sein des mers. Là tout re vêt sa beauté ; chaque vertu reprend sa couronne , l'amour, son immortalité. Venez , vous êtes l'orgueil du Très-Haut. Ces mots brilleront comme votre devise jusque dans sa splendeur, et vous les trouverez à leur source sacrée, aux lèvres du Sauveur : Vous êtes la Lumière du monde !

Le fleuve qui vient des Alpes, apporte la pensée des lieux charmants traversés par son onde , à ceux qui les ont visités. Ainsi, le torrent des Délices divines descend dans les âmes qui connurent toutes les Vérités de la Foi. Ainsi coulera-t-il dans les vôtres, qui en connurent et toutes les vérités et toutes les vertus. Car vous fûtes un baume au cœur de Jésus blessé d'amour ; car vous fûtes le sel de la terre, Vous qui avez été la Lumière du monde !

Le juste trouvera dans sa couronne les pleurs qui permettent à la vertu de Dieu de l'inonder de ses douceurs. Et ceux qui s'agenouillèrent au nom trois fois saint de Jésus, se relèveront dans la gloire . Mais, comme tout ce qui a aimé et souffert, ceux qui vécurent dans la pureté suivront partout l'Agneau , lorsqu'il dira d'un accent ineffable : Partout, ici, j'entends la voix de ceux qui ont été la Lumière et la beauté du monde !

Comme un air plus limpide conduit mieux l'œil vers les objets , ainsi le Ciel pénétrera dans les âmes plus pures. Ainsi vos âmes, qui s'embrasèrent des saints désirs dès qu'elles virent la Lumière , s'élèveront parmi les Anges. Et les divines Hiérarchies, ouvrant leurs Chœurs glorieux , s'écrieront : Ils étaient la Lumière du monde; ils ont enseigné les nations au nom du Père, du Fils , du Saint-Esprit ! Et leur voix , se mêlant à la voix des nations, se perdra dans le son éternel des Cieux, le Père , le Fils , le Saint-Esprit....

Après la première parole : Que la lumière soit! il n'en est point qui ait été plus glorieusement accomplie que cette autre parole : Allez, enseignez les nations au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit. Et jamais, devant une de ses œuvres , le Seigneur n'a dit avec plus de complaisance : qu'elle était bien, que devant celle qui sortit du néant à ces mots : Allez, enseignez les nations au nom du Père , du Fils , du Saint-Esprit !


FIN DE LA TROISIÈME PARTIE.


A suivre...C0NCLUSION.QUATRIÈME PARTIE. NÉCESSITÉ DE LA THÉOLOGIE, ou POLITIQUE RÉELLE.
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Message  Monique Dim 06 Nov 2016, 12:18 pm

CONCLUSION


QUATRIÈME PARTIE


NÉCESSITÉ DE LA THÉOLOGIE,
ou POLITIQUE RÉELLE.



I.


Base de la société moderne

La Société moderne repose sur la Théologie. Elle en a reçu son idée de Dieu, son idée du pouvoir, son idée moderne, de la justice, son idée du droit, son idée du bien et du mal, son idée du vrai, son idée de l'homme, de son origine, de son but, de la loi, de la liberté, de l'imputabilité, de l'inviolabilité humaine, de l'obéissance, de la vertu , et de la sainteté ; elle en a reçu ses mœurs , sa philosophie et ses lois. D'une pareille Société, retirez la Théologie, c'est comme si vous retiriez la vie ou l'affinité d'un corps , il retombe en dissolution. N'espérons pas vivre sur un miracle.

Déjà la Société est moralement dissoute; elle n'est retenue que par l'ordre politique , lequel dépend d'un événement. A la place de la loi de Dieu, librement acceptée par les âmes , partout la loi fortifiée , rétablissant entre les hommes, entre les classes, des rapports sociaux qui n'existent plus dans les cœurs. Le respect, cet amour de ce qui est plus grand , ne cimente plus la spirale merveilleuse de la hiérarchie. L'orgueil disjoint maintenant les pierres, que l'erreur avait ramollies. La force descend partout se mettre à la place de l'Autorité. Plus d'ordonnance, plus de croissance, tout reste bas; les peuples vont comme des troupeaux. Les armées qui maintiennent la paix intérieure sont trois fois plus considérables que celles qui défendaient autrefois les États; et les nations deviennent policées, de civilisées qu'elles étaient. Le jour approche où la Société elle-même ne fera plus ses frais. La banqueroute finale suivra la dissolution morale , et la barbarie sera là.

Si la force morale est méprisée des hommes, une autre force viendra la remplacer...

En repoussant l'Église , nous nous sommes ruinés. Ce qui ne se fera plus. par la vérité, se fera par l'argent; la conscience se verra remplacée par la loi : vous voulez le despotisme pour vos vieux jours. En perdant de vue le Ciel, l'âme a perdu ses droits, et rendu sa vie de plus en plus douloureuse sur la terre. Que ne puis-je ici pénétrer les cœurs comme la conviction a pénétré mon âme! que ne puis-je les ouvrir à la lumière et redire aux hommes si fiers de notre Société moderne , comme à ceux qui voudraient la sauver :
Une société est une UNITÉ SPIRITUELLE , un ordre , un monde dans les esprits. Voyez le mécanisme divin de la liberté de l'homme , de l'être que l'on forme ici-bas pour le Ciel : ses lois reposent sur ses mœurs, ses mœurs sur les consciences , les consciences sur les devoirs , et les devoirs sur l'Autorité spirituelle qui les éclaire et les prescrit. Notre civilisation roule sur l'Infaillibilité sans la voir (1). Otez l'Infaillibilité, et les devoirs, les consciences, les mœurs. les lois, les institutions disparaissent successivement (2). Otez l'Infaillibilité, les tyrans la remplaceront...

Répétons-le jusqu'à la fin à ceux qui désirent sauver la Civilisation moderne : tout pouvoir et toute obéissance viennent de Dieu. Vous sentez que l'homme est un esprit, et qu'il lui faut une logique.

Ne nous abusons pas plus longtemps sur une politique idéale, prise en dehors des faits. L'homme est là; s'il naissait réellement bon, l'ordre politique ne serait pas seulement inutile, il ne serait pas né. Mais voilà six mille ans que l'ordre politique combat sur cette terre pour y lier le mal, pour rendre la liberté au bien, pour imposer la justice à l'homme, qui ne la voudrait pas. La Chute continue tous les jours : dès qu'on ôte l'arrêt , tout glisse dans l'abyme. Les hommes abandonnés à eux-mêmes retombent vers l'état sauvage, vers l'état naturel de l'homme que la Chute a renversé de son état surnaturel. Car, fait en vue de l'état surnaturel, l'homme n'a point d'état de nature ici-bas!

La Société humaine telle que nous l'avons eue, est une merveille soutenue par Dieu, une merveille appuyée sur les deux forces d'en-Haut, la Grâce et l'Autorité. Que penser de ceux qui ébranlent à la fois les deux colonnes du temple ? Ne nous obstinons plus à méconnaître nos origines. Et prenons garde ! avec des saints et des Barbares on fonde une civilisation ; avec des saints et des populations qui se sont ruinées, et qui ont perdu la simplicité en même temps que la Foi , on ne produit que des martyrs au sein de la dispersion finale. Les races qui ont péché longtemps contre le Saint-Esprit, ne sont jamais remontées sur le trône de la civilisation.

Les nations ont été élevées par leurs religions comme les enfants par leurs mères. Elles ont été mises de bout par des lois qu'elles ne sauraient quitter. Si l'édifice penche, on ne peut que le ramener dans l'équilibre qu'il a perdu. Enfin les religions ne sont pas des abstractions privées , mais des lois générales manifestées dans les esprits. La fontaine sacrée où les âmes et les lois vont puiser la vie doit s'offrir à tous les regards. Sans l'Église , le Christianisme eût été l'idée la plus belle de la terre ; mais elle s'y fût elle-même effacée, comme s'effaçait tous les jours chez les Juifs l'idée de l'unité de Dieu. Si le Christianisme est la plus grande des merveilles, l'Église en est la plus précieuse, elle qui nous l'a conservé, et en a transmis la substance au corps entier. C'est ce Christianisme, divinement conservé dans l'urne sacrée de l'Église, que les peuples appellent le Catholicisme, du nom de la vérité qui est universelle, ou plus simplement encore, l'Église catholique. Elle est le centre, elle est la source; c'est d'elle que notre Civilisation reçoit la vitalité. Que serait-ce , ô philosophie ! si nous abordions la donnée d'une Création, pareillement inexplicable sans l'Église, sans l'établissement de la vérité au sein des êtres intelligents? Retrancher l'Église de la Création, c'est en retrancher l'homme... sa liberté, sa haute inviolabilité spirituelle. L'Église, c'est la vérité. Elle nous donne le mot de la création, le sens de l'homme ici-bas.

Non-seulement elle est l'âme de la Civilisation, par cette ordonnance morale dans laquelle elle établit elle-même les hommes et nous offre la Société intérieurement faite ; mais, politiquement, et à cette heure, elle est la vie des États, soit par la loi qu'elle met dans les âmes, soit par la direction qu'elle imprime aux esprits. Il faudra en convenir le jour où l'on réfléchira à l'instabilité où se trouve l'Europe. Il n'y a pas là d'abstraction, mais une simple déduction. L'homme n'agit que d'après sa pensée : il faut en chercher les sources et trouver ce qui les altère.

Allons donc au siège du mal, voyons de quelles vérités l'erreur est venue occuper la place. Le temps n'est plus où les lois n'étaient qu'une déduction ; où l'on faisait de la politique en appliquant les principes: il faut aujourd'hui les fonder. Il faut remonter dans l'ordre moral pour rétablir la politique, et dans la métaphysique pour rétablir l'ordre moral... Les croyances ne servent plus.

1. Hors de là, l'homme glisse insensiblement du schisme dans le despotisme, du despotisme dans la barbarie.

2. Si l'Église se retirait, ce n'est pas le Protestantisme qui maintiendrait le Christianisme. On ne saurait dire que la réciproque soit vraie : la chute du Protestantisme n'entraînerait point celle du Catholicisme.


A suivre... II. Erreur qui détruit cette base.
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Message  Monique Lun 07 Nov 2016, 9:47 am

POLITIQUE RÉELLE.



II.
Erreur qui détruit cette base.

II faut savoir ce qu'il y a dans l'homme pour savoir ce qu'il y a dans la Société ; il faut voir si les idées qu'il reçoit de son point de vue actuel, le maintiennent dans la Civilisation ou le conduisent en dehors. Le point de vue où se place l'esprit humain, nous fait ce que nous sommes.

Mais il ressort plus qu'on ne pense du point où s'arrête le cœur (1). Nos convictions naissent dans nos vertus ; aussi se forment-elles lentement, et par un emprunt invisible fait à notre croyance ; mais une fois établies, la puissance en est aussi irrésistible qu'inépuisable. Comment se fait-il alors que, dans son esprit, toute une doctrine se présente à la fois, que sa pensée lui arrive toute formée? l'homme ne le sait plus. Une époque est toujours toute prête. On ne repousse vulgairement la métaphysique que parce qu'on y obéit toujours. Aussi ne saurait-on comprendre la difficulté de modifier la moindre idée en nous. Les idées ne changent qu'en masse et par système, avec leur axe entier. Un homme n'en persuade jamais un autre , à moins qu'il n'offre à celui-ci une de ses propres conséquences , ou que déjà son point de vue n'ait changé. Les esprits ne sont pas libres de résister à leur logique.

On ne peut qu'en changer la direction par une lumière très-vive, capable d'entraîner le cœur. C'est pourquoi les hommes ont quelquefois besoin de grands événements.

C'est donc l'état de la raison qu'il faut visiter en nous; là se tiennent les sources d'un siècle. Là nos croyances préparent en secret nos mobiles et produisent conséquemment nos mœurs. En définitive , ce qui fait l'homme, c'est sa foi. L'ordre civil et politique, l'histoire ne le peut ignorer, découle de l'ordre moral , l'ordre moral de l'ordre spirituel ou des dogmes. Les axiomes unis aux dogmes donnent l'état de la raison : delà celui de la Société. N'appelez point cela de la spéculation , vous laisseriez échapper vos lois mêmes.

On doit examiner l'état bon ou mauvais de la raison si l'on veut découvrir celui de l'homme, et, toujours , quoi qu'il dise , revenir se placer vers Dieu , vers celui qui l'a fait , si on veut le comprendre. Nous ne saurions échapper au plan de la Création, oublier les lois divines , puisque ce sont ces lois qui nous conduisent. Toute la politique est là-Haut : seulement, on oublie d'y porter les yeux. Nous ne savons plus voir comment les causes premières entraînent les causes secondes, ni celles-ci l'ensemble des faits. Cependant, c'est une cause toute métaphysique, l'affaiblissement d'un axiome , un simple dérangement dans la pensée qui produit toute la Situation. . . Si nous ne comprenons pas cela, nous entrerons dans une impuissance absolue, nous tomberons écrasés sous les fails. L'époque est plus mal qu'il ne semble, c'est l'esprit qui est atteint.

Or, aujourd'hui, deux notions nous échappent de plus en plus, celle de la Création et celle de la Chute. La première disparaît de la raison , et la seconde de l'expérience même. En nous l'idée de cause s'affaiblit; nous oublions que l'Infini seul peut exister par lui-même, et que notre propre racine est constamment fixée dans l'Être. Nous n'avons pas assez présente cette notion, que la piété maintenait aussi vive en chacun de nous que dans l'esprit du plus grand métaphysicien. La Foi entretenait plus de métaphysique (1) que les efforts d'une raison que l'on détourne et qui se lasse. Nous ne sommes plus assez préoccupés de Dieu : bien que là soient toute raison et toute cause. D'ailleurs, c'est la raison qui s'affaiblit. Quoi! l'homme peut-il sentir une seule fois battre son cœur sans remercier au même instant l'Infini? D'ordinaire, les gens de bon sens doutent d'eux mêmes et croient en Dieu , ceux d'aujourd'hui ont des doutes sur Dieu et croient en eux : où l'on voit le chemin que le néant fait dans les cœurs !

L'orgueil, qui déjà affaiblit en nous l'idée de l'Être, le cache, et nous empêche de voir tout notre néant, dissipe également cette autre idée : que nous avons essuyé une Chute ; qu'affaissés dans le mal , nous mais aussi pour la réparation de notre être. Bien que le mal découle de toutes parts , qu'il nous consume , qu'il nous dévore, nous ne le voulons plus voir au fond de notre propre nature. Il vient du dehors, il le faut repousser par une autre méthode. Et nous ne le voulons plus voir en nous , afin de ne point contracter d'obligations intérieures, de n'avoir pas plus à nous soumettre à notre Réparateur qu'à notre Créateur. Toujours la même pensée. C'est là le fond métaphysique de nos âmes, et, qu'on le sache ou qu'on l'ignore, la source de notre situation politique. . . Perdant peu à peu la raison, par l'affaiblissement de l'idée de cause, qui en est la racine , et la pratique , par la négation d'un fait qui sert de base à l'expérience universelle , nous quittons les grandes directions , nous poussons de plus en plus les Sociétés modernes hors de la réalité.

Dès que le mal ne tient plus à l'homme , il doit céder à une autre méthode, la religion n'est plus le grand remède. Le mal n'est qu'un accident du dehors, le résultat d'une fausse organisation sociale : c'est sur la Société, non sur l'homme, que pèse la responsabilité du mal. Il faut l'empêcher de naître en enlevant de la Société la pauvreté, la misère, les douleurs qui l'ont produit ; enfin prendre l'œuvre par le pied, en restituant à l'homme les droits inhérents à sa nature immaculée. Tout, effectivement, doit changer, quand les effets sont pris pour cause! Ainsi l'orgueil, dans lequel nous oublions que pas une seconde ne s'ajoute à notre être qu'elle ne vienne de Dieu, nous conduit à penser qu'un système de réparation est encore bien moins nécessaire à cet être pour lui rendre ce que le mal lui a ôté; et par cette brèche tout le Christianisme s'échappe de notre esprit... Le principe d'Autorité, qui ne peut évidemment s'y maintenir qu'en raison du besoin que nous avons de nous rattacher à Dieu et de nous garantir de l'homme, s'enfuit par la même voie.

On ne sent plus assez l'immensité de Dieu et le peu que nous sommes ; cela suffit pour renverser l'axe de notre esprit et fausser tous les grands problèmes. La dépendance où nous restons du Créateur est, en définitive, la source de l'Autorité, si ce que nous devons craindre des hommes en est le motif ostensible. Il les faut gouverner, et non-seulement pour les retenir dans le bien, mais d'abord pour ôter de devant eux les obstacles que leur opposerait le mal.

Hors de l'Église, je défie de trouver un principe d'Autorité, une base suffisante pour gouverner. Les hommes veulent y voir. Si l'on consent au despotisme, tout est dit (1). Mais hors de l'Église vous ne pourrez plus gouverner. L'homme est moralement libre, il est l'enfant responsable de Dieu. Les hommes réunis ne pourraient donner une loi à l'un d'entre eux, toucher au droit de cette créature qui puise son inviolabilité dans sa responsabilité devant Dieu.

Hors du Saint-Père, où nous voyons justement le canal de l'Autorité remonter jusqu'à Dieu, et de la doctrine de l'Église, où nous savons que les Puissances sont ordonnées de Dieu, on ne maintiendra plus de gouvernement chez les peuples, chez ceux du moins qui ont possédé le Christianisme jusqu'à ce jour. Toutes nos lois d'équilibre, toutes nos constitutions ne sont que du papier. Avec les notions de liberté morale, recueillies dans des dogmes que la démocratie leur a fait rejeter comme une écorce dont on a pris le fruit, ces peuples vous répéteront en termes si clairs que les hommes sont égaux, tous inviolables, que la Révolution sera là avant vous, toujours debout, toujours prête, et plus légitime à leurs yeux que la Société !

On le voit maintenant, la Révolution s'est accrue dans le monde en raison de la décroissance en nos âmes de la pensée de Dieu. En Politique, dans les sciences et dans la vie, on n'a pas la pensée de Dieu suffisamment présente; on ne sent pas à chaque instant que tout absolument vient de lui. L'idée de cause se perd, et la raison s'en va parce que la Foi se retire. Qu'est-ce que l'esprit de l'homme détaché de l'idée de cause ? une feuille tombée de sa branche et chassée par le vent. C'est à l'énergie de l'idée de cause que se mesure la force et l'étendue de notre intelligence. Or cette idée s'entretient dans notre âme par la présence de la pensée de Dieu. On peut se livrer à d'immenses labeurs, entasser les observations, sans faire un pas vers la lumière. Les faits s'amassent sur les faits comme les pierres dans la carrière, la science ne s'élève pas. Mais au sein de la Société, où il s'agit de tout tenir debout ensemble, la perte de l'idée de cause amène un cataclysme affreux. Détaché du principe divin, l'ordre moral s'écroule, et l'ordre politique n'offre plus qu'une ruine. Les sciences ont achevé d'entraîner une raison déjà chancelante ; la Théologie seule pourrait la rlever. Que la Théologie paraisse, et verse sa lumière sur toute l'étendue de notre enseignement ! L'histoire, la morale, la politique, l'économique, les sciences physiques elles-mêmes , ne sauraient entrer dans le monde sans allumer là leur flambeau. Les États songeront qu'il y va de leur existence.

1. Le cœur a le pouvoir d'emporter tout notre esprit où il le veut , selon les mouvements de sou amour : ce qui rend l'homme responsable de ses pensées.

1. L'homme n'ayant pas assez de portée philosophique pour préférer tout de suite le Ciel à la terre , ce qui serait de stricte logique , la piété vient quelquefois demander au cœur ce que ne saurait donner la pensée. La philosophie, irritée, s'en aperçoit , et se hâte d'appeler mysticisme ce qui s'élève à Dieu par une autre voie que la sienne. « Pour arriver à Dieu , dit-elle , il n'y a qu'une voie , la raison ; le « reste est du mysticisme. » Pour arriver à Dieu , il y a toutes les voies qu'il a tracées , celles de la grâce et celles de l'amour , celles de la volonté et de l'obéissance. Les peuples n'emploient pas la philosophie.

1. Le despotisme, qui substitue la volonté humaine à la volonté de Dieu, est nécessairement en raison inverse de la présence de Dieu sur la terre. Le despotisme existe quand le Souverain, par exemple, se substitue à la justice. Mais comme les volontés doivent être dans la justice, elles restent toutes libres, quelque énergique que se montre la volonté du Souverain pour faire exécuter la justice.


A suivre... III. Comment l'erreur s'érige en doctrine.
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Message  Monique Mar 08 Nov 2016, 9:26 am

POLITIQUE RÉELLE.



III.
Comment l'erreur s'érige en doctrine.

Le Christianisme avait fait croître simultanément l'arbre de la liberté et celui de de l'autorité ; il avait élevé la nature humaine en même temps que son tuteur et son support. C'était un portique appuyé sur deux colonnes précieuses ; retirer l'une, enlever l'autre, c'est le faire écrouler. Et, comme on n'a point à redouter que l'homme se brise lui-même et veuille étouffer son moi, dans ce merveilleux édifice, la colonne de l'Autorité sembla toujours du plus grand prix et la plus importante à maintenir sur sa base. Dieu disait : C'est moi qui fais les Rois ; il voulait qu'ils fussent sacrés par ses pontifies, promus par sa grâce, enfin héréditaires, pour que les hommes sentissent que ces Rois étaient à mesure formés et donnés de sa main. Chaque jour, leurs prières les lui demandaient justes et sages.

Ceux qui heurtent cet admirable plan par leurs théories insensées, par leur fabuleuse histoire ; qui, oubliant le mal que recèle notre âme, estiment le déploiement de la pure volonté humaine comme un bien supérieur à celui de l'Autorité ; qui bornent aujourd'hui leur mission à obtenir des libertés politiques destructives des droits publics et privés des peuples, en sont en ce moment les plus terribles ennemis. Ils coupent le seul fil qui retienne encore la Civilisation au bord du gouffre où ils l'ont amenée. C'est d'en-Haut , c'est par l'Autorité divine que tout arrive à notre faible humanité. Si la foule possédait si bien la sagesse, qu'on en pût tirer les lois et les gouvernements ; si elle était naturellement éclairée, naturellement ordonnée, il n'eût pas été question de gouvernement en ce monde. Viendrait-on faire ce qui est fait, gouverner ce dont on tire l'essence du gouvernement? Il faut comprendre ce que l'on dit...

Quand les systèmes verront-ils ces cercles vicieux ? Doctrine nouvelle multiplie les docteurs (tout un nouveau cercle d'idées, toute une révolution doit sortir du point de vue qui exclut le mal originel.) Pour eux, l'homme a grandi ; il est tout élevé, il faut ôter main tenant les étais. Sans doute, ajoutent-ils, il s'est formé à l'abri de l'Autorité, comme la chrysalide à l'abri de son enveloppe. Aujourd'hui le papillon rejette les téguments ; ses progrès dans la liberté politique sont exactement ceux qui se sont opérés dans son essence (1). L'homme est parti, et les pouvoirs restent debout ! Mais ils seraient bientôt un obstacle au développement de cette progressive nature, à l'entière évolution sociale. Les renverser d'un coup est la folie de la Révolution, qui ne voit qu'un côté du problème ; les maintenir en entier est la sottise du vieux Régime, qui ne voit rien. Oter deux pierres à l'édifice, en fixer une prêle à tomber ; maintenir tout à la fois un pouvoir et une négation du pouvoir, c'est-à-dire un pouvoir mixte ; un gouverne ment qu'on attaque en restant dans l'ordre et qui de même se défend, c'est-à-dire un gouvernement parlementaire, telle est la véritable politique. Le grand art est de placer le sabot à la roue du progrès. Gloire aux gouvernements quand la chaîne résiste ; mais gloire aux peuples qui s'avancent dans la liberté politique et y arrivent sans verser. — 0 le grand, le bel art de professer l'illusion !

A ce mot de progrès, si attrayant pour de nobles âmes , vinrent quelques chrétiens surpris de l'oubli du passé dans un fait si considérable. Ils pensèrent y remédier, remplacer le rationalisme par un néochristianisme. Aussitôt la voix des docteurs reprit avec un accent plus doux : L'homme se perfectionne, par le christianisme sans doute, mais il se perfectionne. Si le Christ l'a racheté , s'il le répare sans cesse par les mains de l'Église, la statue renversée dans Eden doit être relevée au milieu des Sociétés modernes. Et tout le dit. La terre refleurit sous notre culture, la ronce a laissé passer la machine, et l'antique malédiction semble fuir devant les pas de l'industrie. Devant nos Codes améliorés, la ronce tombe aussi de nos cœurs, et le mal, de notre volonté si fâcheusement inclinée. Que les gouvernements ont fait de mal à l'âme si noble de l'homme ! Cependant l'ordre politique, qui n'était que le garde-fou, se retire à mesure que l'homme s'avance. La loi s'abolit par la grâce. Nos progrès mêmes sont le degré d'élévation que le Christianisme atteint dans nos cœurs. Que les peuples restés dans le sensualisme gardent encore un système d'autorité qui les met intérieurement à l'abri de leur propre barbarie. Chez nous, en présence de la loi de justice et d'amour, la force doit s'éloigner, l'Autorité se renfermer dans son temple. Elle règne, mais ne gouverne pas! Dans ce jour attendu, où les hommes se reconnaîtront pour frères, où le paradis perdu sera pour jamais reconquis, la vieille société disparaîtra pour faire place à la Société véritable, à cette phalange glorieuse de la Communion des saints. La Royauté, l'Église elle-même....

Mais passons quelque chose aux caprices que M. de Chateaubriand (1) caressait sur ses vieux jours. Cependant, je redoute moins ceux qui déclarent franchement que la Société n'a d'autre forme légitime que l'Anarchie, et que l'homme doit y être dans une égalité, dans une liberté d'autant plus parfaites qu'il y vient recevoir son apothéose. Au fond de leur logique, nous voyons tout entière et toute horrible, l'idée dont vous n'osez déposer au seuil qu'un germe enveloppé l Si ce n'était le blasphème dont on est navré pour celui qui, dévoilant jusqu'au fond nos pensées, a su du moins conclure, on préférerait la voix qui crie: « Le pain dont l'humanité  s'est nourrie depuis six mille ans, est un poison ; l'air qu'elle a respiré, la chaleur qui l'a réchauffée, les  idées qui l'ont éclairée sont des poisons ! Dieu, ce Dieu sur lequel vous vous appuyez depuis soixante siècles pour fermer l'homme dans la servitude et la a douleur, c'est le mal ! La justice, cette justice avec laquelle vous partagez inégalement les honneurs, les produits de l'industrie et de la terre, c'est là l'iniquité !  Et votre Société, affichant Dieu, proclamant la justice, avouant la propriété, c'est l'abomination ! Elle pousse l'imbécillité jusqu'à favoriser l'échelle des  mérites entre les hommes, jusqu'à consolider une  hiérarchie impie, alors que son triomphe serait de présenter des hommes partout égaux, et sa gloire d'être une Anarchie ! (1) » Oui, nous devons moins redouter celui qui oppose audacieusement ce qu'il nomme La justice de l'humanité à La justice de l'Église : ses paroles n'auront pas le pouvoir de maintenir pendant dix-sept ans, sur la France, un règne habilement hostile à l'Église ; elles ne gardent point au bord de la coupe, le miel que les vôtres portent aux lèvres des hommes qu'on pourra toujours enivrer. Je les redoute moins, parce que l'honnêteté reconnaîtra l'erreur en la trouvant dans les bras du crime ; parce que la foule jugera, aux traces laissées par le feu, jusqu'où l'aberration est montée ; je les redoute moins, le canon des peuples civilisés peut faire justice de ceux qu'elles armeraient du poignard ; je les redoute moins, Dieu tiendra l'homme dans le bon sens, tant qu'il voudra conserver le monde...

Ce qui effraye, c'est l'erreur sous les habits de la science et prenant tous les accents de la raison ; c'est la vérité unie, par un triste mélange, à toutes les erreurs ; c'est l'orgueil des docteurs frappant d'ivresse les hommes les plus habiles et faisant, hélas ! parmi nous, chanceler les plus grands !

1. C'est vrai sans doute en un sens. Mais ces progrès imprimés par le Christianisme aux aristocraties et aux institutions , ne s'étendent jamais suffisamment à la foule , qui , dans ses mœurs, se traite elle-même d'une manière barbare dès qu'elle peut échapper à des lois, par malheur toujours au-dessus d'elle.

1. M. de Chateaubriand, énumérant ce qu'a perdu le siècle lorsque les RR. PP. Déplace et Druilhet lui furent préférés dans l'éducation du duc de Bordeaux... ajoute, pour stupéfier ses admirateurs : « Si Henri V eût recouvré sa couronne, je lui aurais conseillé de ne la porter que pour la déposer au temps venu. J'eusse voulu voir disparaître les Capets d'une façon digne de leur grandeur. Quel beau, quel illustre jour que celui où, après avoir relevé la religion, perfectionné la Constitution , élargi les droits des citoyens , rompu les derniers liens de la presse, émancipé les communes, balancé équitablement le salaire arec le travail, raffermi la propriété en contenant « les abus, assuré par des frontières reculées (etc., etc.), quel beau « jour que celui où , ces choses accomplies , mon élève eût dit à la Nation solennellement convoquée : « Français ! votre éducation est finie avec la mienne. Mon premier aïeul, Robert-le-Fort, mourut pour vous, et mon père a demandé grâce pour l'homme qui lui arracha la vie. Mes ancêtres ont élevé et formé la France à travers la barbarie : maintenant les progrès de la civilisation ne permettent plus que vous ayez un tuteur, JE DESCENDS DU TRÔNE  : je confirme les bienfaits de mes pères, en  vous déliant de vos serments envers la Monarchie. » Dites si jamais temple assez magnifique aurait pu être élevé à sa mémoire? » etc.
— Qui se lasserait d'admirer les voies de la Providence !...

1. J'ai connu des hommes disant très-sérieusement que , sans les lois, la Société irait beaucoup mieux, et qui comptaient sur 1848 pour nous délivrer du fatras des législations...



A suivre... IV. Le fait contredit cette erreur.
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Message  Monique Mer 09 Nov 2016, 8:48 am

POLITIQUE RÉELLE.



IV.
Le fait contredit cette erreur.

Si l'Église répare sans cesse l'homme, c'est que sans cesse il a besoin d'être réparé... Les générations marchent, mais l'homme reparaît toujours. Dieu lui pardonne le mal : il ne l'en a pas affranchi, ni , conséquemment , des lois qui lui en épargnent les suites.

Si Jésus-Christ en a pris sur lui le côté qui donnait la mort, il a laissé celui qui sert d'argument au mérite, d'exercice à la vertu de cet être qui demeure le fils de ses œuvres. Les générations repartent du même point ; elles se communiquent leurs sciences, leurs procédés; elles n'en ont pas pour se communiquer la vertu; l'homme conserve le même mérite à l'atteindre. La Société, comme la famille, se transmet ses biens et ses lois, mais il lui reste à s'élever. Pourquoi confondre le perfectionnement des choses avec celui de l'âme , perpétuellement suspendue entre le bien et le mal? Les crimes sont toujours là , l'État ne peut changer les codes, ni retirer ses lois. La Chute continue (1), puisque Dieu continue de nous relever ; les fautes se renouvellent, puisqu'il ne cesse de pardonner ; les maux ne sont point sortis de notre âme, puisqu'il nous laisse une Église qui ne doit pas périr : la Chute dure encore, puisque le mal est sur la terre !

L'âme, il est vrai, peut rentrer à sa place, le chemin lui est rouvert; mais elle est à la même distance de Dieu. Sa position n'a donc pas changé sur la terre. L'homme y reste incapable de s'élever naturellement à la justice et à la vérité perdues. De là l'Autorité pour lui assurer la première, et l'Église pour lui assurer la seconde : l'Église, surnaturellement ; l'Autorité, artificiellement. Le genre humain est relevé de la Chute, mais il est sous la loi et dans les sentiers de la Chute , puisqu'il y trouve les bons et les méchants. L'Église, pas plus que l'Autorité, ne saurait quitter cette terre devant la thèse du progrès. La Civilisation y est encore, en définitive, une association des bons, travaillant par les lois, par l'instruction, par les exemples, par la justice, par la police, par tous les moyens, à y maintenir les autres.

Avez-vous changé les rapports de Dieu et de l'homme ? Eh bien ! vous ne sauriez changer ceux qui fixent la Société.

Et c'est parce que l'ordre politique est le garde-fou de la Société, qu'il faut se garder d'y toucher. Et c'est parce que nos progrès sont le degré d'élévation du Christianisme dans nos cœurs, qu'il faut garantir les cœurs qui le possèdent de ceux qui l'ont rejeté ; puis, au moyen de l'Autorité, établir ces derniers dans ce bien relatif de l'ordre qui fournit la première discipline à leur âme, la met de plein-pied avec le bien, et lui permet d'arriver aux vertus positives. C'est, enfin, parce que ces progrès viennent du Christianisme, qu'il faut laisser toute son énergie à l'Église, pour qu'elle continue de les répandre en nous.

Une méprise inouïe frappe la pensée actuelle d'impuissance en philosophie aussi bien qu'en politique. On raisonne constamment sans savoir si on le fait dans l'ordre amené par la Chute, ou dans l'ordre premier , dans l'ordre où la création fût restée sans la Chute. Et cependant, s'il y a une Chute, c'est le premier des faits historiques, le fait d'où les autres dépendent, le fait que l'homme d'État , que le Législateur , doit étudier avant tout...

De là, d'une part, les empiriques, et de l'autre les rêveurs : les uns partant de ce qui est, les autres de ce qui devrait être, mais sans savoir pourquoi. Les théoriciens peuvent courir dans un idéal entièrement tracé, sans que les empiriques apportent des raisons suffisantes à les retenir; et les empiriques, rentrer d'autant plus vite au fond de l'expérience, qu'ils ont entrevu les dangers.

1. Non dans son essence, mais dans ses effets.


A suivre... V. L'état de nature.
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Message  Monique Jeu 10 Nov 2016, 8:43 am

POLITIQUE RÉELLE.



V.
L'état de nature

Ici la routine et l'imagination se partagent les têtes; comment persuader à l'idéal de consulter l'expérience, ou à l'expérience de ne point perdre de vue l'idéal ? Pour peu que les peuples souffrent, ou que l'orgueil soit réveillé, quelques hommes, comme le firent les légistes, et plus tard Voltaire, Montesquieu et Rousseau, pourront toujours les bercer de l'espoir de revenir à un état meilleur, à l'état de Nature, à cet idéal d'autant plus aisé à saisir qu'il se rattache au sentiment d'une perfection que Dieu a nécessairement mise en ses œuvres.

Ôtez les hommes d'un rare bon sens, tous les cœurs bons ou exaltés partageront les beaux désirs, et nous voilà la proie des empiriques ou des rêveurs. Raisonner dans l'ordre amené par la Chute, ou dans l'ordre qui eût précédé la Chute : certes, les deux points de vue sont assez dissemblables ! eh bien, personne n'y fait attention. Chacun prend l'un ou l'autre de ces chemins, sans le savoir, et y marche obstinément jusqu'à la fin. Aussi la pensée, de nos jours, n'a-t-elle pu avancer d'un pas. Ceux qui s'égarent les yeux fixés sur l'idéal, ne savent à quoi cela peut tenir.

Entre ceux qui partent d'une sorte d'immaculée conception de l'homme, c'est-à-dire d'un pur naturalisme, et ceux qui s'enferment dans l'empirisme sans comprendre la légitimité du passé, il n'y a pas place à la philosophie, il n'y en a pas conséquemment à la Politique.

Aussi, depuis longtemps, on n'en fait plus. On court au plus pressé; on cherche à se garantir des chocs, plutôt qu'à suivre une route. Car, on n'entre pas plus dans la politique en réduisant les difficultés du moment, que dans les hautes mathématiques en arpentant un champ (1). Peut-on se servir de la loi de Dieu sans la connaître ? et, sans la consulter, en faire une application si difficile? Où conduire l'humanité, si l'on n'apprend du Créateur où elle va? Tout marche ici-bas à la réalisation des desseins éternels.

En fait , plus un peuple se rattache d'abord aux lois de l'humanité, plus il saisit ensuite dans l'humanité la loi qui la rattache à Dieu, plus sa marche est certaine et sa politique profonde. Les véritables hommes d'État suivirent cette ligne ; et l'histoire proclame les peuples qui y sont entrés. Celui qui ne voit pas les vraies causes, ne saurait espérer de pénétrer dans les effets. Connaître les hommes, n'est pas une mince science; mais, ce n'est là qu'un point, si l'on ne peut les juger à la lumière de leur Loi. Peu sert à l'homme d'État de saisir le but et l'avenir, s'il n'aperçoit les difficultés du présent ; mais peu lui sert de les connaître, s'il ne sait où se porter pour les résoudre. On ne pénétrera dans la politique que par les chemins de la Théologie.

Il n'est point aisé de saisir des sottises en nombres, il vaut mieux aller à la source pour en couper le cours. Sur ces questions, il faut atteindre l'erreur jusque dans la raison, ou plutôt jusque dans la l'illusion qui l'engendre.

D'ailleurs il faut voir d'un peu haut pour bien voir. Souriez donc : pendant que vous tenez le terrain des faits, je vais, comme un enfant, dans l'invisible région en surprendre les causes.

1. Politique et fatalisme sont deux mots qui s'excluent ; bien que de nos jours on procède, par le fatalisme, à l'étude de l'histoire et de la politique... Invoquer la fatalité, en présence des événements , c'est avouer, ce semble, qu'on n'y comprend plus rien.


A suivre... VI. Il n'y a pas d'état de Nature.
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Message  Monique Ven 11 Nov 2016, 6:14 am

POLITIQUE RÉELLE.



VI.
Il n'y a pas d'état de Nature

Pour un être surnaturel, il ne peut y avoir un état de Nature ici-bas. A le chercher, Rousseau a perdu son génie , et la Révolution , malgré le sang qu'elle a versé pour se faire un passage , a succombé sous ses propres horreurs. Énumérant nos maux , Rousseau voulut donc revenir à l'état de Nature (1) ; et de là, toutes les illusions que nous fit partager son éloquence. Il crut que l'on retrouverait la perfection de l'homme en supprimant les lois, les religions , l'éducation qu'on lui avait jusqu'alors appliquée : chose facile, si elle eût été vraie. Suivant lui, il fallait écarter tout ce que nous tenions de la civilisation, pour retrouver l'homme de la nature. L'homme est né libre, et partout il est dans les fers... Il est bon, et la Société le déprave... L'homme qui pense est un animal dépravé... (Il parlait des pensées que le matérialisme commençait à répandre.) Certainement, l'homme devait avoir été créé bon; le point de vue était tout simple. Et quant à l'homme, il comprit vite qu'il devait être parfait! que tout le mal venait d'ailleurs...

Et puis, dans cette alternative , comment préférer la Société à la nature ? la Société que nous avions faite, qui est pleine de nous , à la nature , qui est pleine de Dieu? Partout l'homme vit dans le mal, et Dieu ne peut l'y avoir mis! Ici les évidences se multiplient; et pouvaient-elles ne pas envelopper, comme d'un filet, les esprits qui sortaient des enceintes de la Théologie pour admirer si follement l'antiquité? Le clergé seul échappa à tant d'évidence; bien que, en littérature, en poésie, même en philosophie, des intelligences de toutes sortes aient été prises au piège. Constamment rencontrer le mal , l'ignorance, la concupiscence , la misère, la mort! évidemment , nous étions sortis des voies de la nature.

Dieu ne pouvait avoir créé ces choses et s'écrier : Qu'elles étaient bien ! Que dire à des pensées si justes? Pour comble, en ce moment l'Antiquité venait d'apparaître si belle , et le Christianisme si laid , au jugement de Boileau ! Assurément le genre humain s'écartait de jour en jour de sa voie.

L'idée ne vint pas que notre liberté avait pu se jeter elle-même hors de la perfection ; ni que le fait avait eu lieu dès l'origine, puisque le fleuve entier des volontés roule le mal !

1. Hors de l'enseignement théologique , il avait toute raison ; la perfection est quelque part.


A suivre...VII. La Révolution sort de l'idée d'un état de Nature.
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Message  Monique Sam 12 Nov 2016, 9:43 am

POLITIQUE RÉELLE.



VII.
La Révolution sort de l'idée d'un état de Nature.

II fallut donc étudier la Nature, et juger à ce point de vue, connu de la pensée seule, une Société dont pas un iota ne devait subsister, puisqu'elle n'avait point été formée sur ce principe de l'état de Nature, de l'état qui n'existe pas. Il fallut donc tout renverser, car tout apparut faux, illégitime. Au point de vue divin, les hommes obtiennent des mérites, et de là, ils s'échelonnent. Au point de vue de la Nature, les hommes, comme les bêtes, sont tous égaux, et de là on les comprime. Les lois, ici, ne sauraient provenir que d'une convention nationale. Toute autre source est tyrannique.

On eut la Convention nationale; et la Révolution, rétablissant l'égalité, vint combler les désirs des légistes et des rhéteurs, au nom répété de Rousseau, qui présentait l'idée nouvelle avec tant d'éloquence, et de Voltaire, qui, à travers des écrits universellement goûtés, noyait le passé dans l'outrage (1). Les novateurs étaient pressés ; il était temps de retrouver la Nature ! Il fallut écarter les hommes aussi bien que les lois. Le sang coula : la foule y avait mis la main ! mais comment déblayer?. Or l'état de Nature n'existant point, on trouva, quoi ? l'état sauvage : exactement comme les peuples tombés de la civilisation... On avait vu des Sauvages, on aurait pu s'édifier. Mais, aux mains d'une époque, la logique est si forte , qu'on aima mieux croire à des idées qu'à ses yeux.

Cependant la lassitude des bourreaux apporta quelque trêve. Des victoires éblouissantes, puis des revers, captivèrent un instant notre attention. Mais les loisirs reparaissant avec la paix, notre pensée se remit à suivre la donnée de l'homme-né bon, toujours indiquée par Rousseau et maintenue par les légistes. Les économistes, à leur tour, nous apprirent d'où nous venaient l'injustice, la misère , enfin la mort ! ils publièrent les moyens sûrs de rétablir partout et l'abondance et le bonheur , si positivement promis par la Nature. Pour une fin si désirable , il suffisait de rompre tous nos droits, de mettre les biens en commun et d'appeler des machines à les produire...

Ce Fourier, qui charme encore tant d'heureux esprits, fut le disciple des légistes et le nourrisson de Rousseau, comme Jean-Jacques fut celui de la Renaissance (1). De l'égalité devant la loi politique, de Montesquieu et de Rousseau, Fourier arrive très-sensément à l'égalité devant la loi économique : pendant qu'on marchait, en Allemagne, de l'idée de notre indépendance de l'Infini à l'idée de nous le subordonner lui-même (2)... Partager le pain, c'était rendre la vie à la question. Inutile d'avertir comment, prises au point de vue païen, mais écloses de 1820 à 1848, les idées économiques offertes par la Révolution, — et enseignant à l'homme que le travail est une misère dont on le délivrera, l'épargne, un ridicule, la consommation, le but et dès lors le remède, — préparent une catastrophe analogue aux catastrophes politiques. Ajoutons, pour finir, que ceux qui, depuis quarante ans, demandent compte aux gouvernements de toutes nos imperfections et de tous nos maux, comme M. Fourier, sont au service de la vieille pensée qu'a recueillie le philosophe de Genève.

En logique, les gouvernements ne peuvent subsister une heure devant un pareil point de vue ; et, en fait, ils n'ont cessé de rencontrer chez les peuples l'Opposition toujours debout, et des révolutions périodiques. On ne saurait subsister quand on a tort. Les gens sensés sont peu nombreux pour arrêter un courant de ce genre. Qu'on a donc travaillé, fait d'essais, et souffert qu'on a exposé d'âmes et couru de périls pour une seule erreur, pour une erreur théologique ! Rousseau y laissa son génie ; et notre siècle peut dire s'il y perdit son temps et sa valeur jusqu'à ce jour. Toutes nos thèses politiques et économiques ne s'en iront qu'avec la thèse de Rousseau , et celle-ci ne tombera que devant l'idée de la Théologie, l'idée de l'expérience : le mal !

Tant que ces points de vue subsisteront, les États ne pourront compter sur l'existence. La foule croit sérieusement que ses intérêts sont là. On ne saurait tenir contre les prétendus intérêts de tous , le bon sens le déclare. C'est donc toujours sur la pensée d'où naquit la Révolution, que roule la question politique.

1. « La Convention décrète que les honneurs du Panthéon seront rendus aux libérateurs de la pensée. » La translation des restes de Voltaire eut lieu le 11 juillet 1791. La Révolution reconnaît Rousseau pour son père, et lui décerne les mêmes honneurs. « A peine sortis des forêts, nos pères n'avaient que le bon sens de la nature, et les philosophes nous apprirent les premiers le chemin du bonheur et de la liberté, etc. (Disc, de Baudin). — Quel bonheur? et quelle liberté?

1. Filiation reconnue : « Nous sommes philosophes et révolutionnaires, s'écrie le Journal des Débats ; mais nous sommes les fils de la Renaissance et de la Philosophie avant d'être fils de la Révolution. » Avril 1852.

2. « Dieu n'est que l'Être en croissance ; il lui faut l'homme pour se développer , pour prendre conscience de lui-même , tandis que l'homme n'a pas besoin de Dieu. » Hégel , Feuerbach , Stirner, etc.


A suivre... VIII. Le Panthéisme, métaphysique de la Révolution.
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Message  Monique Dim 13 Nov 2016, 10:54 am

POLITIQUE RÉELLE.



VIII.
Le Panthéisme, métaphysique de la Révolution.

Le compte en est facile. D'abord, ne voyant plus le mal comme inhérent a notre âme ; puis, croyant que l'homme existe un peu par lui-même, du moins quant à son intelligence et à sa volonté, on oublie sa dépendance de l'Infini, on en fait, qu'on le proclame ou qu'on le nie , une sorte de Dieu au sein des choses, Dieu fort à plaindre d'être soumis à tant d'abjections ici-bas. Dès lors la Création n'est plus exempte de reproches, ni plus juste envers lui que la civilisation. Tel est le sentiment qui domine les cœurs, celui que les littérateurs, faisant suite aux historiens, aux politiques et aux économistes, envoient à tous leurs échos; car la littérature est toujours fille soumise de la philosophie, quand il en existe une, ou des sens, quand ils ont étouffé la philosophie.

Depuis trente ans, cette triste expression de la Société met ses joies à exalter la nature de l'homme, à nous montrer la Création fort au-dessous de ce grand cœur, à en plaindre le sort dans d'inépuisables romans. Tous ses héros, grands par le génie et par le caractère, d'une nature supérieure, à la façon des dieux, veulent tous, pour le prouver, briser nos lois, depuis celles de la pensée jusqu'à celles du mariage, puis s'échapper de cette détestable vie par la porte de la débauche ou celle du suicide... Taisez-vous! cette littérature, sous des formes maladives, ne fait que rendre à la foule l'idée qui fait le fond de votre thèse philosophique, historique et politique. Entre vous, la différence est dans les mots : vos livres, depuis soixante ans, soulèvent chez l'homme le même orgueil, les mêmes passions.

D'abord vous demandez tous la même chose. N'est-on pas toujours sûr, philosophes, politiques et littérateurs, de vous voir soulevés , premièrement , contre tout ce qui s'oppose à votre thèse de l'Égalité ; et secondement, contre tout ce qui favorise la Foi ?. Eh ! que dit cette Foi? Que nous dépendons totalement de Dieu. Et votre Égalité? Qu'on ne doit rien avoir au-dessus de soi. Aveu complet., que pouvez-vous répondre ? Ce siècle vous contient tous dans sa pensée, non sur le même point, mais sur la même ligne : il ne faut que la suivre. Depuis la thèse qui proclame les droits innés de l'homme, en histoire, en politique et en économie, partout où l'on veut se passer de Dieu , jusques aux héros incompris, jusqu'au travail attrayant , à la mer de Fourier prête à tourner en limonade, je ne sens pas de différence (1). C'est toujours la nature courbée devant le moi, et non celle que le mal souleva contre lui. En nous est l'essence des choses ; loin de dépendre, et de bénir Celui dont il dépend, l'homme n'a ici-bas que des droits à faire connaître, et puis quelques appétits... Que les savants et les littérateurs doivent mépriser la métaphysique, qui les fait tous ainsi obéir à la fois !

Vérifiez vos points de contact : faut-il qu'on vous aide à les reconnaître? La Société, c'est l'homme dont on n'a pas compris les droits ! la Religion, une heureuse imposture, à laquelle il faut bien renoncer! l'histoire , un long passé dans l'erreur! l'économique, l'homme sacrifié dans sa chair ! Mais la philosophie, c'est l'homme dont on a retrouvé la nature ; l'homme avec un droit à lui, une pensée à lui, une substance à lui, et ne relevant que de lui. Sur ces trois points, il peut pourvoir à tout ; l'Infini n'y est que pour bien peu, si tant est qu'il y soit pour quelque chose encore... — Ah ! pourquoi l'Autorité met-elle tous ses soins à contenir l'homme, si, d'autre part, tous les livres en France conspirent à l'égarer? Espérez-vous que les Sociétés pourront tenir longtemps contre l'ensemble des consciences abusées, contre les foules exaltées qu'elles renferment dans leur sein? Mal sans bornes, auquel le bras ne pourra rien, si l'Autorité politique ne laisse redescendre la vérité chez les hommes par toutes les voies de l'enseignement , si l'Autorité ne les ramène à l'éternelle expérience, à la Théologie (1).

L'homme d'État sourit de me voir aller si haut ; et moi, de le voir marcher si bas, si loin des causes qui emportent un monde qui lui échappe entièrement. Tout ce qui s'agite en dehors du problème fixé par la Foi est nul : voyez-le bien. De près ou de loin, affirmation ou négation , tout se rattache à la Foi , tout se décide par elle : PARCE QU'ELLE EST LA PLUS GRANDE CONCEPTION EXPLICATIVE DE CE MONDE... Et, aujourd'hui, les politiques et les légistes ne la dédaignent avec une affectation si marquée , que parce qu'ils le sentent trop bien et qu'ils font les derniers efforts pour s'en débarrasser. Mais, sans entrer dans la Théologie, avant de mettre le pied dans l'expérience, entr'ouvrons la porte de la philosophie. Que se fait-il, que se dit-il maintenant au fond de notre âme ? Voyons jusqu'à quel point, en ce moment, elle est à même de se conduire et de diriger la pensée et la Société à la fois.

1. Les premiers ne sortent pas de l'officine où l'opium est préparé pour des gens au-dessus de la foule. Et les seconds, sachant les goûts de celle-ci, lui montrent des objets qui parlent à son appétit.

1. Pendant que vous dites l'homme fait ici-bas pour le repos et les jouissances, la Théologie le déclare fait pour le travail et pour la pénitence. Pendant que vous le proclamez indépendant, et que vous faites de ce point une application à la fois métaphysique et politique, les catholiques déclarent que tout pouvoir vient de Dieu , doit être dès lors exercé conformément à sa Loi, et non conformément à celle de l'homme. Ceux-ci voient le plus saint des devoirs dans l'obéissance , et ceux-là, dans l'insurrection...
Voilà bien une différence en morale et en politique.



A suivre... IX. Faiblesse actuelle de la pensée.
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Message  Monique Lun 14 Nov 2016, 9:33 am

POLITIQUE RÉELLE.



IX.
Faiblesse actuelle de la pensée.

Quelles inconséquences jusque dans notre propre Faiblesse manière de sentir ! Il y a un être près de moi qui me donne  à toutes les secondes ce qu'il y a de plus précieux, l'existence; ce qu'il y a de plus inouï pour moi qui viens du néant, la pensée ; tout ce qu'il y a de divin, la volonté, l'amour ; cet être n'est rien moins que l'Être divin lui-même , et cependant il n'est pas sans cesse appelé dans mon sein par la reconnaissance et par le besoin de mon cœur ! Notre pensée devrait être telle que l'amour de Dieu fût comme une nécessité de notre existence... Après m'avoir donné la vie, il me tend le pain qui doit conserver les jours qui me sont donnés pour déployer ma volonté, puis deux choses plus précieuses encore que tout ce qui n'est pas éternel, notre liberté et la Grâce, pour fonder en cette volonté un mérite de nature infinie , et cependant je ne sais ni m'attacher à cet Être inouï de bonté, ni m'y soumettre, ni traiter avec lui autrement qu'à ma guise et comme si je pouvais m'en passer (1) ! Non, je ne songe point que, si je suis incapable de l'existence, je le suis plus encore de l'Infini !

Car, si je pouvais m'élever vers  l'Infini, j'aurais moi-même quelque chose de l'Infini. Et ne réfléchissant pas que si j'avais l'Infini en quelque manière, je l'aurais en toute manière et serais moi-même Infini , je ne sais plus me rendre à l'évidente nécessité pour moi d'un Secours infini , aveuglé , ébloui que je suis par ce que je possède de l'existence. Ce qu'il y a d'être en moi me dérobe totalement l'être. .. oui, je suis si petit et si vain ! Perdant toute notion première , ne songeant plus à la nécessité de Celui qui obtient pour moi ce Secours infini, que nulle créature ne saurait mériter d'elle-même, puisqu'elle ne saurait, d'elle-même, rien posséder de l'Infini ; ne songeant plus à ce médiateur par lequel mon néant est appelé à ce qui est éternel, comment m'inquiéterais-je alors de ce qui se passe entre lui et moi? comment me demanderais-je si mon âme a su conserver ce Secours, ou s'il a fallu le lui rendre? Le Christianisme, en un mot, cette métaphysique de toute métaphysique ici-bas, où se tiendra-t-il dans ma pensée?

Dès lors, perdant le point de vue divin, ne sachant ni moi-même , ni mon but , comment retrouverai-je le moyen, la loi, ma destination, ma morale, ma politique? Dans l'Absolu, ma substance me semble indépendante, là je ne suis point lié ; ici bas, d'où serais-je lié à des devoirs, à une obligation? Je suis : voilà l'évidence! J'apparais dans l'être ; en moi se trouve conséquemment une perfection considérable. Et ma conclusion a une tout autre force, une tout autre portée que celle de Descartes. Pourquoi ce : donc je suis ? Qui me dit que je ne suis pas? Je suis, au contraire; c'est mon point de départ : donnez les conséquences. Je suis parfait , puisque je suis... Car, s'il m'avait manqué une des conditions de l'existence, je n'y serais point arrivé ; j'appartiendrais encore au néant. Je ne suis ni roi, ni homme ; être, je suis ! et entre comme je le dois dans le domaine de l'existence. Tout ce qui revient à l'être, assurément je le tiens de cette nature même de laquelle je tiens mon être...

Ainsi, l'orgueil aveugle l'homme jusque sur les conceptions indispensables au maintien de la raison humaine. Celui qui , dans l'ordre de son existence , ne se sent point dépendre, peut-il, dans l'ordre politique, dépendre d'autre chose que de son plein vouloir ? Voilà cependant les idées qui planent sur l'Europe , et pénètrent aussi irrésistiblement dans les esprits que la chaleur pénètre dans les corps. Qu'une pareille métaphysique doit donner du pied avec mépris à notre échafaudage européen ! Combien les radicaux de la pensée doivent nous trouver misérables! Heureusement, les faits sont ici-bas la pierre de touche des lois de l'Infini, et, sur ces faits, vont se briser ceux qui s'élèvent dans les illusions de l'orgueil.

Chose merveilleuse, le genre humain, par la voie de ses traditions , me tient le même langage que les faits. Il me raconte la faiblesse et l'inexpérience de mon être à porter le don sacré de l'existence et les dons tout divins que Dieu y avait attachés. La pratique elle-même m'en avertit ! J'ouvre les yeux , je vois le mal au sein de l'homme, je le vois répandu sur toute la terre.

Combien il faut que la Théologie soit dans le vrai , dans le réel , que toutes les sciences et toutes les idées venant d'un point de vue formé par l'exclusion du sien , se trouvent dans la plus notoire , la plus impraticable erreur ! Et vous devez maintenant le sentir ; blâmer m'est odieux, mais puis-je m'empêcher de le dire ? Vos systèmes panthéistes , socialistes , rationalistes , parlementaristes , suivant l'intensité de l'erreur , tous absolument tombent devant ce fait, le Mal... Le Mal, qu'il faut nous expliquer; ce n'est pas tout, le Mal dont il faut nous garantir! Et, pour vous , deux choses en même temps qu'il vous faut effacer du monde, toute la Théologie et toute la Politique, en un mot, le Passé !

1. Parce que je subsiste depuis quarante années , et que le monde subsiste depuis six mille, sans qu'il y ait eu l'interruption d'un instant. Faut-il croire que tout cela ait subsisté, un instant, sans l'éternelle Bonté? M'en ferai-je une arme contre elle?


A suivre... X. L'existence du mal dissipe les théories.
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Message  Monique Mar 15 Nov 2016, 11:49 am

POLITIQUE RÉELLE.



X.
L'existence du mal dissipe les théories.

Vous pensiez que Dieu avait apporté sur la terre la plus puissante des doctrines, et la plus élevée, sans laisser un témoin dans les faits! Reprenez tous vos discours sur l'omnipotence absolue de la liberté; faites vos théories sur les lois de pondération politique; précipitez-vous dans les causes secondes et obstruez les passages par une intarissable érudition; allez en haut, allez en bas, je vous arrête avec un mot: le Mal! Est-il, oui et non? Eh bien! levez-vous et expliquez-le moi! (Surtout sans insulter un des grands de Dieu, la liberté humaine, en disant que ce mal en est l'inévitable fruit.) Oui, dites en quoi il consiste, indiquez-en la source, l'étendue: il faut bien guérir l'homme, et d'abord, le garantir Après , vous nous direz si ce qu'a fait sur ce point le Passé, vous semble méprisable, et si vous-mêmes, dans votre sagesse et dans vos lois, vous lui êtes si supérieurs? Le Mal, voilà bien la question: il faut la discuter ou s'y rendre. Je signale le point qui fait pâlir à la fois vos doctrines: et tout y est mis en échec.

Car, et la question s'adresse à tous: pourquoi pensez-vous qu'on puisse restreindre l'autorité des Rois, donner aux peuples une liberté illimitée, leur offrir celle des cultes, répandre sans discernement la science et la littérature, rompre les douanes, associer tous les hommes, leur faire voter leurs lois, et mettre leurs personnes et leurs biens en commun? pourquoi pensez-vous qu'ils soient désormais en état de se passer de la Foi, du Culte, de la pénitence, de tous les sacrements, y compris celui du mariage; que la raison leur suffise, et que le Christianisme, au reste, n'en ait que pour quatre-vingts ans dans le ventre? pourquoi, au nom de la philosophie, les investissez-vous pleinement de la liberté de conscience, de la liberté de penser, d'écrire, de parler, de tout faire (1), sinon parce que vous avez confiance absolue en la nature de l'homme? sinon parce vous perdez de vue ce mal originel , qui le suivra jusqu'à la dernière génération? Vos doctrines, enfin, sur la liberté illimitée de l'industrie, sur le luxe, le crédit, le libre-échange, les progrès indéfinis, les nationalités à faire, etc.., le bagage en un mot des idées de l'époque se lie à ce point.

Votre psychologie, au reste, justifie tout. Elle aurait enfanté l'erreur si elle n'avait pas existé.

Vous-mêmes , examinez. Déclarer la raison impersonnelle, c'est-à-dire divine, c'est la déclarer infaillible ; et déclarer notre liberté pleine , c'est-à-dire intacte, c'est la déclarer dans le bien. Raison infaillible et volonté droite , voilà au fond ce que dit la psychologie, ou la psychologie ne dit rien. Pourquoi l'expérience vient-elle la démentir ; vient-elle nous montrer l'homme en proie au mal et plongé dans l'erreur? Par la pensée, je le trouve parfait, et par l'observation , je le trouve coupable ! la différence est trop frappante. Voilà qui devait surprendre , qui devait empêcher de transporter dans la pratique l'homme de la théorie. Si la raison est impersonnelle , elle est infaillible, et ici je ne le nie pas. Mais je demande si l'homme a conservé cette raison, et s'il lui obéit? Je demande si une science de fantaisie peut servir d'argument à la morale , de base à la Politique? Quelque intéressante qu'elle soit en effet , la psychologie est une étude bien légère et bien vacillante à côté de la Théologie , pour en prendre le rôle et en avoir les applications. Pascal , qui en vit aussitôt le fond dans les limites de la raison et les faiblesses de notre volonté, la quitta, comme Bossuet du reste, pour revenir à la Théologie. Maine de Biran , notre plus grand esprit psychologique avec M. Cousin, fit de même. Le génie tend à la pratique.

Quoi ! le mal est une conséquence inévitable de cette liberté que nous tenons de Dieu, même le mal qui détruit notre liberté? Comment font donc les Auges? On confond notre libre arbitre affaibli, c'est-à-dire la liberté atteinte et la liberté pure. Oui , de la liberté pouvait naître du mal (1), mais c'est le bien surtout qui devait en sortir.

Je pousserai la thèse au bout; sans la Chute, sans le mal originel , vos systèmes sont complétement vrais . Mais aussi , dans la Chute , ils restent complétement faux, et frappés de cette futilité étrange et fatale qui présage la fin de la pensée sur plusieurs points , et peut- être celle des temps. Il faut y réfléchir! Bien qu'obscur en ce siècle , si je proclamais vos doctrines , je ne voudrais pas laisser derrière moi un fait comme celui qui vient d'être énoncé. Hégel, non plus que vous, n'a point parlé du mal. L'aurait-on oublié? Quelle philosophie ! Voudrait-on le nier? Nier n'est pas répondre.

Il faut que, depuis leur ontologie jusqu'à leur dernière application économique, les systèmes nous expliquent le mal. Qu'elle nous l'explique, surtout, cette philosophie qui se pose dans la sagesse ! On ne saurait être abusé plus longtemps par des feintes. Convenez-en, les idées qui servent de point de départ secret à votre pensée, servent aux autres de maximes ostensibles. Vous ne le voulez pas, mais toutes les conséquences et leur point de départ sont là. En haut, en bas, partout vous êtes liés. Vous n'aimez point vos disciples ; dans vos fiertés vous leur tournez le dos, mais vos idées s'embrassent... Ne croyez pas qu'un jour on fasse une exception pour vous, dans les jugements à porter sur ce siècle annulé jusqu'ici par l'erreur. Vous l'avez dit assez : Tout siècle est un.

Le malheur est que vous ne tiriez point les conséquences ; elles vous montreraient vos principes ! Mais déjà votre pensée succombe sous les coups de l'expérience. Pas une tentative, une révolution, un mouvement désiré de vous qui ne vous ait fait sa blessure. Le Mal, une seule idée que lance la pratique, vous tue philosophiquement et politiquement. Et vous ne pouvez la mépriser, bien qu'elle vienne de la Théologie!.. Ne criez pas au mysticisme. Ne dites pas que l'idée du mal est trop loin pour atteindre la Politique, ou niez l'ordre moral et toute son économie. Niez que les mœurs décident des lois, et les croyances, des idées et des mœurs; niez le cercle entier de la pensée et de la liberté humaine! Si vous criez au mysticisme, vous avouez que vous vous jugez dans l'erreur (1) .

Toul à l'heure, quand pour éclairer le fait politique, nous remontions dans l'âme, dans la Théologie, je l'a voue, c'était le prendre d'un peu haut. Et cependant! sans partir du principe, comment pénétrer dans les conséquences?

1. Impius cum in profundum.... contemnit! On peut dire aujourd'hui:  il crie au mysticisme ! L'un prétend la chose mystique, et l'autre, renouvelée du moyen âge. La Révolution qui nous dévore , le socialisme qui nous atteint, arrivent-ils du moyen âge ?

1. Ou croit indiquer à peu près le programme et les vœux réunis , mais logiques entre eux, du libéralisme, du rationalisme et du socialisme.

1. Car c'est l'intensité du mal qui embarrasse : l'enfant de cette liberté ne devait pas dévorer sa mère! Le rationalisme, seule école qui ait conservé la thèse de la liberté , abandonnée par les autres, pourra balbutier que le mal est dans la trame du monde, qu'il est un appel à l'activité, un exercice, une épreuve de la volonté. Mais le Créateur ne ménagea pas à la volonté un exercice pour l'étouffer, une épreuve pour qu'elle y meure. L'épreuve dans certaines limites, oui ; mais par delà sa mesure ? Entrer dans le mal et y périr, est-ce un succès, est-ce un chemin pour notre liberté? Le scandaleux, le parricide, l'adultère, le mal irréparable, apportent-ils au bien un tribut qui lui soit nécessaire? Confondrait- on avec le mal moral, la peine physique ou morale , suffisante au déploiement du caractère ? Et les peuples barbares plus nombreux que les peuples civilisés? Et les méchants instincts plus forts dans nos cœurs que les bons ? Et tous les codes de la terre armés, formés contre le mal?.. Avouons qu'il en existe un peu trop! Et ne confondons point le mal, qui vient de l'homme et le déborde, avec l'obstacle, qui vient de la nature. Ne confondons pas la plus belle des notions , celle de la liberté , pouvoir de faire le bien quand on pourrait faire le mal , avec la joie universelle qu'éprouve l'homme à faire le mal quand il pourrait faire le bien. N'essayons pas non plus de fuir sur les rives de l'ontologie pour déclarer que le mal, en fin de compte, n'est qu'une privation du bien, un non-être, quel que chose de peu d'importance : car nous sentons assez que le non-être , étant néant pour l'homme , ne le rendrait point coupable. Faire le mal, au reste, c'est retourner dans ce néant par la haine de l'être.
Vous eûtes en psychologie des analyses si parfaites, que vous ne sauriez confondre le mal avec une volonté en état de l'éviter et de le vaincre. Qui sut découvrir un fétu dans notre âme, y saura voir la poutre logée en travers. Le mal moral, ou qui détruit la volonté, voilà le fait : on ne vous parle pas d'autre chose.


A suivre... XI. La Politique est née du mal.
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Message  Monique Mer 16 Nov 2016, 11:37 am

POLITIQUE RÉELLE.



XI.
La Politique est née du mal.

Voici le fait : il y eut une Chute, il y a le mal, il est au sein de l'homme, il faut le préserver des suites, et lui rendre le bien ainsi que la vérité perdue. Il faut, à l'aide du secours divin, que l'homme remonte à l'état de justice et d'innocence, où il avait été placé, enfin à l'état de vertu et de charité, qu'il aurait dû primitivement atteindre. C'est là tout ce qui se passe sur la terre. Saisir l'idée du mal, c'est saisir la vraie clef, c'est toucher le grand point : et l'on ne peut sortir de ce point sans tomber dans l'abîme.

(En métaphysique, remplaçons l'idée de l'Infini par l'idée du Développement, comme les Allemands l'ont osé faire; en politique, l'idée d'une Autorité venue de Dieu, par l'idée du progrès continu, comme on l'a fait chez nous, et nous passons, au premier cas, hors de la raison, au second cas, hors de l'expérience ! Mais déjà nous sommes si avant sur ces voies que nous ne distinguons plus notre point de départ; nous ne voyons plus les vérités que nous fuyons. Remontez à la source de votre érudition, de vos doctrines en histoire, en économique, en politique humanitaire, vous trouverez ceci : d'abord la négation du mal inhérent à l'homme , comme effet d'une chute , ensuite l'affirmation de son indépendance absolue. Le niez-vous? Déclarez alors que vous n'excluez point le mal originel, aussitôt je me tais, vous-mêmes vous tirerez les conséquences. Vous ne le ferez pas. Vous n'avez point le droit dès lors de condamner les tentatives métaphysiques de l'Allemagne pour donner à l'homme au sein de l'Être, pas plus que les tentatives du socialisme en France pour lui donner au sein des faits, une position analogue à celle que la Révolution croit lui avoir assurée, en l'arrachant au point de vue de l'Église. Un peu de fierté, et déclarez que l'homme dépend de Dieu pour la conservation, la réparation et la perfection de son être, ou avouez les conclusions du livre De la Justice dans l'Humanité! Il n'y a pas d'autre issue, il faut être ou catholique ou socialiste, croire que l'homme dépend de Dieu, ou croire qu'il en est indépendant , sous peine de ne présenter qu'un lambeau, de n'avoir qu'un fragment de logique. Reprenez vos systèmes, et quels qu'ils soient, ils ne font que résoudre directement ou indirectement cette question, qu'ils ne peuvent écarter, et dont ils ne peuvent sortir : L'HOMME SE DÉVELOPPE DE LUI-MÊME, ET SANS AVOIR SUBI DE CHUTE. Votre science est toute là: et vous l'avez dans le creux de la main. Or, comme l'homme ne se développe pas de lui-même, ce que nous démontre la Grâce (1) et QU'IL A SUBI UNE CHUTE, ce que nous apprend le plus ancien livre du monde, l'erreur que vous accumulez vous paraît-elle maintenant suffisante?.. Enchantés des merveilles qu'en politique, elle présentait à vos désirs, vous courûtes saisir, par une Révolution facile, les uns les profits du Pouvoir, les autres ceux de la popularité. La France en 1830 semblait entraînée sur vos pas. Mais les désirs des masses, soulevées pour vous exhausser, ne furent point rassasiés en même temps que les vôtres. Et dix-huit ans plus tard, le jour où la foule, montrant plus de logique que ses maîtres, réclama la totalité des droits innés de l'homme, de l'homme non déchu, qu'avez-vous dit? Il a fallu se taire ; il a fallu attendre qu'un fait en dehors de toutes vos prévisions, de toutes vos idées, vînt vous rendre à la vie, à vos biens, et par la voie que vous aviez le plus méprisée ! Vous avez tout ébranlé; mais vous n'avez pas ébranlé le point sur lequel roule le monde, sur lequel toute pratique est assise, qui embrasse , qui explique tout chez les hommes, depuis les châtiments jusqu'à la charité. Le Mal, enfin, qu'on oubliait, s'est trouvé là. Et c'est la pierre contre laquelle tout système ira se briser...)

Je reprends !

Il y eut une Chute , il y a le mal , il est dans l'homme, il l'éloigne du bien et de la vérité pure : il y eut un Rédempteur, il y a l'Église, elle rend à l'homme la vérité et la Vie , pendant qu'il est abrité, dans la justice et dans la paix, par une autorité également venue de Dieu. C'est par groupe que ces vérités se recueillent. Combien c'est simple et beau, que le plus simple enfant et les plus beaux génies saisissent cette logique! si beau, si simple, que tout ce qui marche atteint d'erreur, ou pris d'envie, se hâte de la fuir...

Mais voici votre point retrouvé (car le vrai même nous trompe dès que nous l'abordons par l'orgueil) : l'ordre politique n'eût pas existé sans la Chute ; sur la terre, les hommes se fussent entendus et unis pour le bien, comme les anges dans le Ciel. Le garde-fou eût été inutile, au moins dans sa partie répressive ; et, sans doute, les pasteurs des peuples en eussent aussi guidé les âmes. Cette vérité, qui se perd dans le sentiment que nous avons de l'idéal, et que Rousseau prit pour celui d'un état de perfection auquel la Société s'était substituée, vous fit conclure à une diminution graduelle de l'Autorité correspondant au développement continu de l'homme, comme elle fit soutenir à vos disciples, déjà plus loin du bon sens, l'abolition de cette Autorité même, la suppression des codes, la communauté angélique des biens, l'absence totale de gouvernement, en un mot l'Anarchie. A mesure en effet que la loi morale s'étend sur les consciences, l'Autorité restreint son action sur nous.

Mais le fait n'a point lieu par la loi d'un progrès continu, semblable à celle qui conduit la nature dans l'échelle de la série animale (1). Il n'est pas un résultat inévitable du temps ; l'homme est le fruit de ses œuvres. L'histoire, au reste , le déclare. L'Église seule amène ce progrès, parce que seule elle tient de la vérité le sceptre des consciences , aussi bien que le pouvoir d'administrer aux âmes les secours de l'Infini. C'est le contraire de la proposition de Rousseau qu'il faut prendre : l'homme naît méchant, et la Société le répare. Ou plutôt, il naît dans le mal, la Société le recueille, et c'est l'Église qui le répare. Voilà la doctrine, et voilà le fait. Il faut avouer une fois, il faut proclamer enfin la position, le rôle véritable des Sociétés humaines ! Et si la Politique veut être une science, qu'elle sache son origine ; qu'elle connaisse son principe et comprenne sa légitimité !

1. Philosophiquement, l'absence du développement spontané en l'homme est un fait historique dont l'évidence contrastant avec les vertus élevées du chrétien, révèle le fait caché de la Grâce.

1. Si le progrès était réellement la loi de notre histoire, où serait la liberté, où serait le mérite ? Ce n'est pas l'idée du progrès, mais l'idée de la décadence qui est universelle dans l'antiquité, remarque si judicieusement M. Coquille. Il n'y est question que de l'âge d'or ; on y rappelle constamment les anciens, on ne cite que les vertus des ancêtres.



A suivre... XII. La Loi politique.
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Message  Monique Sam 19 Nov 2016, 11:29 am

POLITIQUE RÉELLE.



XII.
La Loi politique.

Qu'est donc la Loi politique? D'un bout à l'autre le bien armé, le droit que l'on rétablit, la morale fortifiée, la Société garantie à l'homme malgré le mal, malgré l'égoïsme, malgré ses vices, hélas ! et la méchanceté de son cœur. (1) La Société n'est rien de moins. Elle est mère et non fille de l'homme. Jamais elle ne fut faite pour obéir à ses caprices, céder à son orgueil ou descendre dans ses passions. Le bien armé! la Politique, hélas! introduit parmi nous la force, parce que la liberté y introduit le mal. Ou plutôt, le mal exige l'emploi de la force, et de là l'ordre politique.

Le bien armé ! c'est là notre humiliation. Et cependant, quelque libre que devienne notre âme, quelque noble qu'en soit la nature, ne faisons point mépris de la force : nous lui devons la Société. Chez les êtres libres, la force introduit l'ordre, elle fait rentrer la justice et la paix, afin qu'il y ait des êtres libres! Ils ne le sont point partout où elle ne les a pas recueillis et placés au sein de la justice et de la paix. Il faut bien que la force protège le droit ; qu'elle protège la justice, la vérité, l'innocence, tout ce qu'il y a de pur, de sacré sur la terre. Vous-mêmes, qui voudriez qu'elle en fût bannie, vous n'existeriez point sans la force. Elle est réellement une force morale , celle qui oblige les hommes à devenir des êtres moraux ; celle qui rend leurs consciences libres, leurs volontés et leurs actes libres, dans le bien, dans le vrai, dans tout
ce qui se rapporte au développement de leur noble nature; elle est réellement une force morale, celle qui ôte l'obstacle devant la conscience et rend à l'homme la liberté ! (1). Certes ! la force n'a pas la vertu de changer les cœurs, mais elle a celle de les soustraire à la discorde ; aussi ne doit-elle plus intervenir chez ceux que la vertu rend libres. Mais la perte des idées chrétiennes nous dérobe les choses les plus simples ; ou la force, chez nous, vient dépasser le but, ou nous désirons la bannir.

Le bien armé ! là est notre humiliation ; là est aussi tout l'ordre politique, le rempart de l'Ordre moral. Toutefois, le bien armé n'est pas le bien; et le soutien de l'ordre moral n'en est pas plus le souverain que le gendarme n'est le maître de celui qu'il délivra des assassins. Soyons humiliés si la justice prend un glaive pour pénétrer parmi les hommes, humiliés de rencontrer la force au milieu des êtres moraux : fait inouï, fait odieux s'il n'était justifié par ce fait malheureux que l'on nomme le mal ; cependant , félicitons-nous si cette force reste au pouvoir de la justice, si l'arme détestée ne passe pas des mains du droit dans celles de la tyran nie, destructrice des droits ; si la force, en un mot, est la force du droit et non le droit de la force...

Car la force n'est point le droit. Ici, nous voulions uniquement remarquer cette incomparable misère, que notre droit ne puisse régner sans la force. Le droit certes! est le but; mais n'ayons pas l'illusion de croire qu'il doive s'affranchir du moyen et puisse un jour se passer de la force. Les vœux, les rêves et les révolutions ne la détruiront pas; la vertu seule, en multi pliant la justice et la paix, a le pouvoir de restreindre l'office des gouvernements et le triste emploi de la force. Mettons aujourd'hui notre espoir à ce qu'elle soit avec et non contre le droit. Voilà pourquoi l'instrument redoutable ne doit être que dans les mains de celui qui est légitime, c'est-à-dire, conforme à la loi, à Dieu qui nous le donne pour qu'il soit selon lui, et pour que ni le Roi ni le peuple ne puisse confondre la force avec le droit.

La force politique établit donc au sein de la justice, des hommes qui d'eux-mêmes ne l'accompliraient pas ; pendant ce temps, la Société se forme parmi eux. Ici le méchant ne pourra s'emparer de la femme de son prochain, ni de son champ, ni de son bœuf, qu'il désire... L'homme de bien partout circule , dans cette voie merveilleuse, où le méchant se voit cloué à tous les pas par les précautions de la force... Cette force si souvent maudite , arrête l'anthropophagie, suspend le meurtre et l'infanticide, met un frein aux plus cruelles injustices, calme insensiblement les haines , rend libres les consciences, les volontés, la vérité, le bien et l'innocence ; prépare la place au droit, au mérite, à la vertu, à la bonté, puis à la charité, à laquelle les hommes peuvent dès-lors paisiblement obéir ; cette force en un mot leur assure tous les biens de la terre lorsque Dieu l'a placée entre les mains d'un Roi, « Donne-leur un Roi, dit le prophète, afin qu'ils sachent qu'ils sont des hommes. » Car son Autorité n'est que le droit qui prend force ; ou, si l'on veut, qui prend la force pour qu'elle soit, non du côté du mal, mais du côté du bien. Et la force déposée dans les mains du Droit s'appelle l'Autorité. Voilà pour quoi l'Autorité est souveraine : le Ciel veut qu'elle soit au-dessus de tout homme, alors qu'elle lui rend un service au-dessus de tout.

Quelle est cette parole que j'entendis en mon enfance : les Rois s'en vont! et qu'un chansonnier redisait aux foules dans son refrain: Faites l'aumône au dernier de nos Rois ? S'il existe une aumône, c'est celle de la justice, celle de la sûreté et de la paix, faite par la main des Rois à cette humanité que, hors de la Grâce ou de l'Autorité, vous voyez depuis six mille ans alors les peuples les suivent (1)...

1. Dans sa 4e Conférence, à Notre-Dame, en 1859, le T. R. P. Félix lit, à l'auteur de cette Politique, l'honneur d'en citer ce passage en Chaire. — Voir L'Univers ers du 9 avril 1859. — (Note des Éditeurs.)

1. Parmi des êtres libres, pourquoi est-ce la force qui a la Souveraineté? Voilà qui devait vous surprendre! Vos théories ne donnent aucun fait...

1. J'ai toujours en tête un professeur qui voulait m'enseigner l'histoire. « Jusqu'ici, me dit-il à sa première leçon , on n'a fait que l'histoire des rois : il faut faire celle des peuples. « J'attendais tous les jours cette histoire; je devais croire que les peuples avaient fait quel que chose d'eux-mêmes et sans les Rois !



A suivre... XIII. Dieu confie la Politique aux Rois.
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Message  Monique Dim 20 Nov 2016, 11:24 am

POLITIQUE RÉELLE.



XIII.
Dieu confie la Politique aux Rois.

L'ordre politique ne dérive donc point de l'ordre primitif de la Création, mais des impérieuses nécessités de notre nature déchue. Il n'y a d'absolu au fond du pouvoir qu'il exerce que sa nécessité pour nous, et l'obligation où il est de conserver l'autorité suffisante à ses nobles fins. Mais d'une semblable situation va naître cette multitude de droits et de faits légitimes, bien qu'inexplicables aux yeux de la philosophie pure, de la théorie puérile qui sert de principe à la Révolution.

Le pouvoir des Rois est issu de la Chute; l'Écriture les nomme, dans sa précision magnifique, les ministres de Dieu POUR LE BIEN. Les races qui ont maintenu le ministère de ce bien ont été, avant toutes, aimées et protégées de Dieu; il les a portées dans ses bras par dessus les périls et les siècles. Sondant les cœurs et les reins , il leur verse avec abondance les trésors de la vie et de l'intelligence ; et le temps nous fait compter les anneaux d'une légitimité ainsi fondée au Ciel et consacrée par Dieu. Lorsque le comte de Maistre releva cette expression de l'Écriture : C'est moi qui fais les Rois, il ne manqua pas d'ajouter : « Ceci n'est point une métaphore, mais une loi du monde politique. Dieu fait les Rois, au pied de la lettre. Il prépare les races royales; il les mûrit au milieu d'un nuage qui cache leur origine. Elles paraissent ainsi couronnées de gloire et d'honneur. »

Si nous avions vu les nations d'abord exister par elles-mêmes , ensuite prendre des Princes par une sorte de luxe, et comme les villes se choisissent un maire, nous croirions à la réalité du point de vue offert par le siècle dernier. Mais l'histoire nous montre au con traire des Familles princières formant la clef de voûte et même quelquefois le germe des nations; puis ces nations se déployant corrélativement à ces Familles centrales , toujours en proportion de leur grandeur, de leur génie, de leur sentiment de la justice et des destinées définitives de l'homme. La Russie , par exemple , ne vint sur la scène du monde qu'avec les Romanow.

Certainement, entre ces Familles principales et leurs peuples, il a dû s'établir des échanges de diverses natures; ceux-ci présentaient leurs coutumes, leurs droits acquis, celles-là inspiraient leurs sentiments à la noblesse, d'où ils se versaient dans le cœur de ces peuples, car Dieu sut tout proportionner. Néanmoins, on a dû remarquer qu'en fait de hautes qualités morales , politiques et religieuses, les peuples reçurent infiniment plus de ces grandes Familles, que celles-ci n'acceptèrent d'eux : à tel point qu'on voit encore chez ces Familles , quelle qu'en soit la situation aujourd'hui , des vertus et des aspirations qui sont loin d'être absorbées par leurs peuples. Dans les derniers temps , les filles de nos Rois étaient des Saintes , et leurs petits-fils des héros.

Quand celui qui sonde les cœurs et les reins choisit une Famille parmi toutes les autres, son choix est réel et divin. Celle-ci le prouve bientôt (quoique la liberté lui reste pour recueillir ou dissiper ses dons) en fournissant plus de législateurs , de guerriers et de saints , que les familles les plus nobles, bien qu'en ce point celles-ci l'emportent déjà sur les autres dans une proportion prodigieuse (1). Elle le prouve en fournissant au sein des prospérités continuelles une carrière qui dépasse également celle des familles chez lesquelles la frugalité et la paix réunissent les conditions de la longévité. Elles subsistent depuis huit siècles, ces puissantes Familles de Bourbon et de Hapsbourg; depuis huit siècles, elles demeurent plongées dans ce bain dissolvant des prospérités, qui a ramolli tant de cœurs et tari tant de sang, pour montrer ce que sont les cœurs et les reins chez les hommes à qui Dieu a voulu confier les nations ! Comme l'exprime un grand écrivain , les arguments ne feraient pas défaut pour démontrer que la royauté élective doit mettre à la tête des nations les hommes les meilleurs; que, de la sorte, n'abandonnant rien au hasard, celles-ci marcheraient dans l'ère des prospérités : et cependant l'expérience est accablante.

Les hommes ne restent surpris de ce fait que parce qu'ils ne jettent pas les yeux assez haut ; dans l'hérédité, Dieu lui-même se charge de nous donner le souverain. . . Ne croyons pas que les apparences nous trompent beaucoup plus en politique que sur tout autre point. Certainement les hommes superficiels ne cesseront de dire : « La monarchie héréditaire est une chose absurde, l'élection est évidemment supérieure ; le talent de gouverner ne se transmet point comme un champ ; le système qui doit toujours porter le plus digne au Trône l'emporte raisonnablement sur celui qui peut y placer un Néron. Qu'est-ce que le mérite a de commun avec la naissance ! Dès lors comment asseoir une nation sur l'hérédité , ainsi que l'a voulu l'histoire? » — Ce qu'elle a voulu est bien simple : par l'élection, ce sont les hommes qui choisissent; et par l'hérédité, C'EST DIEU QU'ON A CHARGÉ DU CHOIX.

Ce fait coupe court à l'erreur de ceux qui croient la Théocratie seule légitime en ce monde , parce que le Pape seul y étant infaillible, les hommes, pour obéir à des lois légitimes, devraient évidemment les tenir de celui qui par lui-même est conforme à la loi. Mais ils oublient que l'Infaillibilité du Saint-Père dans la discipline et la Foi, ne se rapporte qu'au Gouvernement de l'Église. Enfin, ils aperçoivent là, et sans trop s'écarter du noble instinct qui les dirige, que, à côté du fait de l'Infaillibilité, se place un autre fait divin, comme le veut leur âme élevée; le fait désigné, dans la langue chrétienne, sous le nom de Puissance de seconde Majesté, fait réservé dans la distinction aussi soigneusement établie, au reste, par le Sauveur (1) que par l'histoire. L'ordre temporel ne fut pas déshérité plus que l'autre : l'homme entre bien dans tous les deux...

Les hommes, étant libres, ne peuvent légitimement obéir qu'à Dieu ; il faut dès lors que le Pouvoir qui leur commande possède un Droit divin. La Providence veut sa part dans les choses humaines , elle veut former les Rois justes et sages, les donner aux peuples qui les ont mérités. Et l'histoire s'unit à la thèse première de la Théologie pour rejeter le point de vue mis en avant par le siècle dernier, dans son ignorance des origines, dans son ignorance de la destinée sublime de l'homme.

I. Voir , sous ce point de vue , le Bréviaire romain , qui renferme du reste les noms des saints canonisés les plus connus...

1. Jésus-Christ ne voulut point fonder une Théocratie, puisqu'il n'a pas imposé de code politique !



A suivre... XIV. La position réelle de l'ordre politique.
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Message  Monique Lun 21 Nov 2016, 10:40 am

POLITIQUE RÉELLE.



XIV.
La position réelle de l'ordre politique.

Revenons à la pensée fondamentale. L'ordre politique ne dérive point de l'ordre primitif; il n'y a d'absolu dans le pouvoir qu'il exerce que sa nécessité pour nous ; et si les hommes voulaient rentrer suffisamment dans la justice, on verrait l'ordre politique se retirer dans une même proportion. Aussi bien, est-ce la marche de l'histoire. Sur toute la terre, le pouvoir des gouvernements est en raison inverse de celui de la vertu... Telle est la conclusion pratique, infiniment précieuse, infiniment morale et pleine de consolations , qui résulte d'abord du fait que nous venons de rétablir.

De cette position de la Société humaine , découle en suite, comme nous le disions tout à l'heure, la légitimité de cette série de situations qui semblent fausses , de faits sociaux qui paraissent injustes et ne cessent de réveiller l'étonnement des philosophes de second ordre ou l'éloquence des faibles penseurs. Hors du point de vue de la Chute , comment expliquer en effet la Pénalité , nécessitée par l'homme qui reste dans le mal? puis l'Inégalité, fruit des divers degrés par où les âmes remontent dans le bien? puis la Propriété, conservation du capital non consommé, refusé à la jouissance? puis toutes les Aristocraties, zones suivant lesquelles une population s'élève successivement dans les voies de l'épargne, de la justice, de l'honneur, de la charité et de la Sainteté? enfin l'Autorité, qui protège les phases de cette végétation d'un peuple et de ses droits acquis , au sein d'une même unité nationale? Oui, comment cette inégalité radicale serait-elle l'équité ? et comment serait-elle aussi ancienne que le monde? Comment, hors de la Chute , s'expliqueraient de tels faits , et comment se trouveraient-ils les colonnes mêmes de la Société?... On le voit, les faits qui produisent l'étonnement des esprits venus de l'idéal , c'est-à-dire du droit pur, tel qu'il eût été sans la Chute, ne trouvent leur explication et n'offrent celle de l'histoire, que dans le point de vue sur lequel nous avons désiré attirer enfin l'attention.

La Société humaine, telle que nous l'avons, est issue de la Chute. De là son éternelle imperfection; de là celle de nos libertés, de nos droits, de nos lois et de l'Autorité elle-même !

L'ordre politique, encore une fois , ne tire point son origine de l'ordre absolu , de l'ordre primitif et parfait, mais du besoin où sont les hommes , par le fait de la Chute , de recevoir la justice et la paix , qu'ils n'apportent plus avec eux. Les Rois nous rendent la justice, suivant l'expression, volontaire ou involontaire , de nos langues. — La Politique n'a-t-elle jamais abusé de ce rôle ? — Souvent elle en abusa chez les peuples modernes, bien plus souvent, si vous le voulez, chez les autres ; mais quelque soit le nombre de ces abus , elle en empêcha, chez tous, un nombre incommensurablement plus grand. Sans le Pouvoir, l'abus lui-même eût disparu au milieu de l'abus , comme la goutte d'eau en tombant dans la mer, et l'homme n'eût pas existé. Il faut songer, d'ailleurs , qu'une pareille chute de notre liberté morale n'a pu s'accomplir sans entamer le système de notre liberté civile, ni sans laisser de funestes traces sur celui de notre liberté politique. Un être renversé de l'état surnaturel de justice et d'innocence, doit s'attendre à des inconvénients. Il ne saurait croire qu'il peut tout retrouver dans un ordre qui , déjà , l'empêche de rouler jusqu'au fond de cet état de nature , où la loi des brutes , où la loi du plus fort s'emparerait de lui (1).

Exiger aujourd'hui une perfection qui ne se retrouve que dans la pensée , c'est ne plus se souvenir de l'homme. Le monde est ancien; eh bien! qu'a-t-il su faire à tout cela? Contentons-nous loyalement du possible ; puisons nos jugements dans notre conscience. Quand on échappe successivement à la mort, à l'état sauvage, à la barbarie , à l'esclavage, à l'ignorance, au despotisme, et que, toujours, dans l'état d'égoïsme où nous sommes , on trouve la Civilisation , le bon sens peut en bénir Dieu ! Mais nous ne le remercions ni de notre être, ni de la Grâce : comment le remercierions-nous de la Société?

Entrons une fois dans ces vérités, et nous verrons sous un autre jour les Sociétés humaines, les pouvoirs qui les soutiennent et l'ineffable mission de l'Église ; nous prendrons une idée tout autre des difficultés qu'ils rencontrent, de l'éminence du but atteint, du service incomparable qu'ils nous rendent, et, peut-être, ainsi que l'ont fait de plus grands , viendrons-nous baiser la main sacrée que notre orgueil et nos efforts secrets tendaient à écarter. Voilà les données véritables , l'horizon dans lequel doit entrer l'esprit , s'il veut observer les choses réelles. On a tenté de la politique expérimentale (1), de la politique rationnelle (2), voilà de la Politique réelle (3).

Mais nous ne sommes pas tout-à-fait en haut... Nous avons touché à la Chute, au premier des faits historiques, à celui d'où les autres dérivent; arrivons jusqu'à l'Être, où se trouve la raison première des faits, en histoire comme en politique. L'homme est la clef de la politique, et l'Être, la clef de l'homme. La question du moins sera vidée philosophiquement.

1. « Tout ce que vous nous avez fait, Seigneur, vous l'avez fait très-justement, car nous avons péché contre vous ; mais traitez-nous selon la grandeur de votre miséricorde. » — Introït du IXe dim. après la Pentecôte.

1. Tirée des lois de l'animal...
2. Tirée des Droits de l'homme...
3. Toute, comme on le voit, dans les faits
.


A suivre... XV. Ontologie de la politique.
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Message  Monique Mar 22 Nov 2016, 10:24 am

POLITIQUE RÉELLE.



XV.
Ontologie de la politique.

Connaissons l'homme et son histoire; pour cela remontons vers Dieu.

L'homme est le fils de l'Être, l'homme est créé pour l'Infini , il ne peut point ne pas sentir s'agiter en son sein l'esprit de l'Infini, l'homme tend à la vie absolue. L'Orgueil est ce mouvement intempestif à l'asséité, ce mouvement pris en sens inverse de notre existence toute subordonnée, toute conditionnelle ; c'est un retour vers le néant. Il est vrai, l'Infini seul devait posséder l'être : et le Moi, cette ineffable tentative de la bonté de Dieu, va passer par les inconvénients du fini , traverser les difficultés de l'être, la formation de la personne, la sanctification qui l'approche de Dieu , entrer enfin dans l'épreuve de la séparation momentanée de l'être et de la félicité. Car la Félicité est le mode éternel de l'Être, comme l'Infini, dont elle est le fruit éternel....

Que l'homme donc ait ressenti le mouvement de l'être à la vie absolue (1), on le conçoit : mais qu'il n'en ait pas ressenti l'absurdité hors de Dieu , l'ingratitude seule l'explique. L'orgueil et l'amour opèrent tous deux le mouvement, mais par tendances opposées, l'un dans le moi , et l'autre en Dieu ; celui-ci par la loi même de l'Infini, qui est de se donner; l'autre par la propension du moi, qui voudrait même absorber l'Infini. Au lieu de suivre le mouvement divin, le moi retourne en lui- même. L'orgueil est la faiblesse et la chute. Hélas ! l'erreur du moi, est de n'être pas l'Infini., et son crime, de lui refuser sa reconnaissance....

L'être, en lui, l'éblouit et l'abuse; ingrat, il écoute l'aveugle instinct de la substance ; il prétend se suffire, il tend à se séparer de sa source, il veut ne rien devoir et devenir indépendant. Rompant avec Dieu, qui lui demande de conserver l'humilité , de tenir ouvert ce canal du consentement par lequel il reçoit avec mérite l'existence , il brise sa racine dans l'être, rend divinement impossibles sa croissance et sa perfection. L'humilité est la plus grande preuve de sens que puisse donner l'être créé, ce que nous nommerions sa plus haute métaphysique. Le vice de notre être est de s'exalter dans sa force, au lieu de courir vers ses limites et de voir sa faiblesse infinie. L'orgueil est notre débilité, et l'humilité notre force....

L'égoïsme est assurément ce qu'il y a de plus naturel, mais de plus honteux pour le moi. Il ne veut, il ne voit que son être; il s'enfonce , il s'écrase en lui-même, il emploie son effort à repousser le mouvement d'Amour qui le soulève vers l'existence éternelle : il ne donne que des signes de néant. Il est créé, mais il en reste là ; il se ferme sur lui et se laisse attirer par l'abîme. Il se ressent des ténèbres d'où il vient, et non de la lumière où il entre : il refuse de connaître et d'aimer. Son être ne lui sert point à concevoir l'Être, à voir la merveille qu'il a reçue, à laquelle il assiste ; « Non serviam! »

Il parle comme le néant : Je ne connaîtrai point et je n'aimerai point! L'Orgueil est la différence entre notre petitesse et Dieu (1)....

Aimer est un commencement de Dieu, c'est entrer dans l'acte même de l'Infini... L'homme voulut donc posséder l'Infini sans l'atteindre, sans l'obtenir; son cœur se refuse à aimer, il désire violer la Divinité, être lui-même. comme la Trinité:  Tel fut le crime commis en toute connaissance par Adam, le crime dans lequel s'est arrêtée l'essence humaine en son épreuve, où elle s'arrête encore tous les jours; le crime qui se répète, complet, en chacun de ses fils, comme l'objet dans les fragments de la glace brisée. L'homme en est là, c'est la portée du moi, du fini dans lequel l'a fermé son orgueil. Nous n'avons plus l'élan ; il faut un secours nouveau de l'Infini pour en atteindre la rive. Au lieu de se donner, comme l'Infini, notre moi aussi désire être le centre et tout ravir; il le veut, il s'obstine , il s'exalte, il entre dans une fureur qui parmi nous ne s'arrête qu'au crime. Un amour qui rebrousse, qui revient sur lui même, précipite le moi, en accroît le néant, l'Orgueil enfin, tel est l'homme : et tel le montre l'expérience universelle....

On parle des abîmes du cœur : eh bien! le fond est là. L'orgueil, — masqué par l'éducation, retenu par l'honneur, contenu par les lois, et combattu par le libre arbitre animé de la Grâce, — voila l'homme!... Ses vœux, ses désirs, ses passions, ses penchants, sa haine, ses fureurs, ses vengeances, les difficultés inouïes que son éducation rencontre , que la Société vient neutraliser ou vaincre, ne sont que les soupirs et les éclats de cet antique et toujours jeune Orgueil. Le travail, la peine , la douleur , ce monde , enfin , en est le traitement (1). L'amour-propre, l'égoïsme et l'envie en sont les démembrements, ou plutôt les degrés divers; et l'étendue de cet orgueil en l'homme établit sa distance de Dieu. L'homme voudrait absorber tout ce qui l'environne, ses semblables, la Société entière, comme Adam voulut absorber l'Infini. Voilà ce qu'aucune utopie ne saurait empêcher.

C'est tout à fait ici la dernière racine ; mais c'est celle qu'il faut tenir! En morale ou en politique, ne pesons plus l'homme sans l'orgueil. La raison en est bonne, puisqu'il faudrait lui ôter l'être pour lui ôter l'orgueil ! Comprenons que, pour l'étouffer, il faudrait étouffer son cœur; que la Grâce peut seule, par une action renouvelée, substituer en lui le pur mouvement de l'Infini, la justice et l'amour , à ce mouvement de retour sur soi, signe de sa débilité, de sa méchanceté. Un seul être ici-bas triomphe de l'orgueil, et c'est le saint. Sans la Grâce, dès lors, qui neutralise le mouvement aveugle de la nature et la ramène à Dieu, et sans l'Autorité, qui force l'homme à l'enfermer comme il peut dans le moi, l'orgueil détruirait le monde (1). Tel est l'indubitable fait sur lequel il faut se baser, le fait d'où part la Politique universelle. Jamais on ne pourra suspendre en l'homme le mouvement de l'être à la vie absolue; jamais, par des systèmes, des rêves politiques, on ne le pourra transformer en justice, en amour pur.

Et c'est là, si l'on veut en croire les faits , la Foi, l'ontologie la plus profonde , qu'il faut étudier notre situation. Le reste est phénoménique et transitoire.

Et quoique puisé haut , l'enseignement en est plus pratique et plus lumineux, que les plus riches thèses humanitaires, les politiques et les histoires étudiées. On ne se défera point de l'orgueil, ni, conséquemment, du Pouvoir. Reconnaissons notre nature. Philosophes, ne prenons pas pour de la grandeur les instincts grossiers de notre être; ne nous laissons plus aveugler par l'orgueil de la vie. L'homme se peut tromper d'une manière terrible. Ah ! qu'il serait à plaindre si rien n'était venu l'avertir; si, comme le navire que pousse un vent de côte , il avançait dans l'Océan de sa sottise sans le savoir ! Pour nous , placés au centre éblouissant de la Foi, recevant tout d'une main comme celle de l'Église, restons du moins hommes d'esprit l Comprenons que le mouvement qui se fit sentir la première fois dans notre être s'y fait sentir aujourd'hui ; que l'homme veut partout la domination, qu'il voudrait dérober ce que possède la Société , comme il voulut , au premier jour,  dérober Dieu ; que, dans cette voie, il n'est pas de système absurde qui ne lui semble éclatant de lumière ; qu'à l'instant où les barrières se briseraient, il se précipiterait sur les biens qu'il ne produisit point, mais pour lesquels il se reconnaîtrait des droits imprescriptibles ! qu'en un mot le Pouvoir, devant lui, est comme l'ange au glaive de feu placé aux portes du paradis terrestre... Plus de politique hors de l'homme : soyons théologiens, si nous désirons le conduire.

1. L'Infini a cette vie par lui-même , par l'amour , qui le rend un et fait de tout son Être comme un don infini... Le fini la reçoit, puis qu'il est le fini. Car l'Infini est par lui-même, et le fini non par lui-même : méprise éternelle de l'orgueil !

1. C'est dans l'amour que l'homme est plus petit que Dieu... Cette histoire de l'homme s'accomplit tous les jours dans le sein de l'âme rebelle. Celui qui agit par philosophie , par protestantisme , par les égoïsmes divers , accomplit exactement le même fait dans le cercle étroit de son cœur.

1. Ceux qui promettent le bonheur aux peuples par des voies politiques, partagent la naïveté de ceux qui veulent les dispenser du travail et de la douleur, institués après la Chute pour relever notre volonté expirante, tout en lui apportant ses freins. Les choses les plus admirablement appropriées à l'homme pour l'élever, la Foi, l'Autorité, le Travail et la Pénitence , tous ses leviers devaient disparaître à la fois!...

1. Et sans la vérité , l'orgueil usurperait tous les noms, même celui de la vertu, comme chez les Anciens et les faux philosophes, où il en était le mobile.



A suivre... XVI. Comment la Politique peut aboutir au despotisme.
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Message  Monique Mer 23 Nov 2016, 9:27 am

POLITIQUE RÉELLE.



XVI.
Comment la Politique peut aboutir au despotisme.

Dès lors, si l'action du Pouvoir politique peut naturellement s'affaiblir, c'est lorsque notre orgueil s'affaiblit par les effets du Christianisme. Mais si l'action politique peut être atténuée partout où les hommes obéissent et font d'eux-mêmes le bien, elle doit être multipliée partout où ils veulent le mal. Le fait est clair. Que le nombre de ceux que ne règle point la loi morale aille croissant , et l'Autorité s'élève à toute sa puissance. C'est ce que les hommes appellent le despotisme, bien qu'il ne soit jamais permis. Comme le despotisme est une substitution de la volonté à la loi, il serait d'autant plus urgent alors de l'écarter et d'appliquer exclusivement cette loi, que les hommes veulent s'en éloigner. Le souverain doit être d'autant moins despote qu'il devient plus nécessaire de mettre en œuvre toute l'Autorité , qui est la justice armée , le bien fortifié et rétabli.

Au contraire, que les gens de bien se multiplient, qu'ils obtiennent parmi nous plus d'empire ; que les aristocraties s'étendent, que la justice et la paix descendent plus avant dans les masses, et l'Autorité peut détendre les rênes. Lorsqu'elle est dans la nécessité de s'immiscer partout, il faut s'attendre à sentir de plus près le poids de sa vigilance et de son attention. Ceci est l'évidence; quand le nombre de ceux qui d'eux-mêmes concourent à la Société diminue, quand les aristocraties morales et politiques s'en vont, il faut que le Pouvoir se rapproche, se multiplie en raison de l'absence de l'unité et des mœurs. Mal qu'on ne réprime pas aisément, car c'est l'arbre qui se couronne. La centralisation n'est point un fait à notre honneur; elle se substitue à ce qu'on a perdu. Elle nous fait vivement craindre qu'il n'y ait plus parmi nous que les aristocraties morales ; et que ces aristocraties, hélas! sans corps et sans lien, n'agissent sur les peuples que d'une manière individuelle, dès-lors, que toute action sociale ne vienne du Pouvoir. Les vices et les folies du siècle dernier, entretenus par les entêtements du nôtre, nous mènent à grands pas vers cette situation extrême, si exposée au despotisme.

Craignez que la liberté n'aille en diminuant parmi nous , et l'administration en augmentant; que toute notre liberté ne soit peu à peu changée en ce socialisme déguisé. Au lieu de marquer de plus en plus son empreinte dans sa famille, dans son champ, dans sa cité, dans sa province, l'homme se perd dans un droit vague et impersonnel , comme la goutte d'eau dans la mer. Fatale illusion, et que personne ne songe à dissiper, sous prétexte d'investir l'homme de droits politiques immenses, mais qui ne lui servent à rien, on lui ravit ses droits publics, on lui ravit ses droits privés! Sa liberté disparaît hélas ! à mesure que l'orgueil rentre en lui, y paralyse ses développements intérieurs et le ramène dans les conditions de cette civilisation antique, qui déjà tend en Europe à étouffer la Civilisation moderne. Pour conjurer ce malheur, il faudrait que la Révolution fût tout-à-coup paralysée par un événement immense, suivi d'un retour vers la Foi...

Or l'administration absolue, comme dans les provinces conquises, devient la forme des États. Tel est l'expédient du despotisme, lequel naît à mesure de la Révolution, comme la Révolution naît à mesure de notre orgueil. Car l'orgueil envahit à ce point les âmes qu'il semble presser le monde vers sa fin. Quand l'homme aura échangé toutes ses libertés personnelles, qui développaient son âme, contre ces libertés vides et éloignées, qui développent son orgueil, la Civilisation aura perdu effectivement toute utilité pour lui. Les institutions parlementaires ont accéléré ce résultat , les États ressaisissant d'un côté la puissance qu'on leur ôtait de l'autre. Malheur à nous quand la bureaucratie achèvera d'envahir les nations, quand on enfermera l'autonomie entière, dans le moule trompeur des Constitutions par écrit! Vous qui abandonnez la Foi pour croître dans l'orgueil, vous attirez le despotisme sur votre tête, sur celle de vos fils. Quand la bureaucratie remplace toute aristocratie, il n'y a plus de libertés pratiques; plus rien ne croît; il reste encore une population, il n'existe plus de nation.

Il faut une Aristocratie : et il lui faut un Corps, parce qu'il lui faut un lien, parce qu'il lui faut une action sociale en même temps qu'une action morale. En détruisant les Aristocraties d'un peuple, on en détruit les traditions, les mœurs, les fonctions propres, les droits acquis, la vie locale, et dès lors il faut recourir à l'artifice d'une Constitution. Mais que constituer alors qu'on veut tout renverser? Et que constituer, sinon les idées mêmes qui ont produit la déconstitution? Indépendamment de la nécessité d'une Aristocratie pour maintenir partout les droits pratiques, les fonctions propres, la vie locale au sein d'un peuple, le Pouvoir lui-même veut entendre la voix de la tradition et des grands intérêts ; le Pouvoir lui-même veut sentir son précieux contre-poids. La balance entre l'état des mœurs et celui de l'Autorité, cet équilibre entre nos consciences et le Pouvoir ne peut d'avance se régler par des lois. Qui peut dire par anticipation les besoins du Pouvoir, ou l'étendue qu'une amélioration des mœurs doit ouvrir à nos droits privés? On ne saurait, par des à priori, trancher des questions si graves. Aussi bien ces Constitutions ont passé comme autant de rêves.

Les lois civiles, nécessairement variables, ne sont pas la loi morale, nécessairement immuable, bien qu'elles doivent en procéder dans la mesure de nos progrès, dans la mesure de nos mœurs. Et l'État est précisément là pour élever ces lois suivant cette mesure. Les codes, jalons échelonnés sur notre route, tout en visant à un bien supérieur, doivent sous peine d'échouer n'exiger chaque fois qu'un degré d'avancement moral. Dans une Société bien conduite, les lois bonnes aujourd'hui, sont insuffisantes demain : le seul point indispensable est un bon Souverain pour les faire, et une Aristocratie pour empêcher le mauvais Souverain de les enfreindre , ou la révolution de les anéantir. Enfin partout les meilleurs sont groupés pour servir et de guide et de frein ; c'est alors que les meilleures lois, qui, dans les autres hypothèses, demeurent inutiles, éclosent et se succèdent aisément. Après tout, les nations sont faites avec des hommes, non avec du papier. Ce sont des hommes qui vivent dans leur sein, et non ces abstractions formulées des partis, que, depuis soixante et onze ans, on nomme des Constitutions.

Ces Constitutions ont été les constructions des partis; celles surtout qui ont eu constamment en vue de mettre nos mœurs d'accord avec nos erreurs, et ces erreurs avec les difficultés que leur opposent les faits. Nos Constitutions sont le fruit de nos révolutions; on ne veut tant constituer que parce qu'on sent tout remuer. Ce ne sont pas les factions qu'il faut constituer, mais les éléments des nations ; ces éléments sont la famille, la propriété, la cité, les provinces, leurs corporations , leurs Aristocraties, l'hérédité enfin, qui vient pour perpétuer ces faits, et la Foi, pour leur donner la vie : tout ce qu'on a cherché malheureusement à détruire. Sieyès avec son génie construisit un peuple idéal, détruisit la nation réelle ! C'est à lui qu'on aurait pu dire : Mais qu'avez-vous constitué? Rien. Que fallait-il constituer? Tout : puisqu'on venait de tout détruire...

En renversant les droits pratiques et les faits nationaux, ces lois artificielles ont conduit les peuples abusés jusqu'au bord de l'abîme, où les précipitait le premier mouvement. Quand il ne reste que du papier, une révolution a bientôt enlevé toutes traces. Lorsqu'il faut renverser la nation même toute constituée, ses ordres, ses municipalités, ses provinces, ses mœurs, ses droits publics et privés, l'opération se fait moins vite, elle ne revient pas tous les quinze ans.

Les mœurs et les coutumes conservées chez les hommes, et la justice chez les Princes, voilà la vraie constitution. Les hommes d'État ne cherchent pas des formes nouvelles ou étrangères aux nations ; celles qu'elles ont sont les leurs, et, dès lors, celles qui leur conviennent. Les peuples ne reçoivent pas ainsi de constitution, ils en ont une naturelle ; il faut toujours y revenir ! Nous avons demandé tant de Constitutions parce que nous pensions avoir changé les choses, bâti tant de systèmes parce qu'on s'était bâti un autre homme ! Enfin, ce ne sont pas ces Constitutions à priori qui protègent les libertés locales et défendent les droits, mais les classes indépendantes et constituées, les véritables Aristocraties. Ce sont les Aristocraties qui les firent naître, ce sont les Aristocraties qui les conserveront. Elles seules ont préservé les peuples du despotisme.


A suivre... XVII. Qu'est-ce que les Aristocraties.
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Message  Monique Jeu 24 Nov 2016, 6:50 am

POLITIQUE RÉELLE.



XVII.

Qu'est-ce que les Aristocraties.

Parler des Aristocraties, c'est offrir un breuvage amer à notre soif d'égalité, à notre faim d'indépendance. Des Aristocraties, nous n'en voudrions pas! Nous ne voudrions pas qu'il y eût des hommes qui enseignassent quand il y en a tant qui ignorent ; qui répandissent la richesse et la paix, la justice et la Société, quand le grand nombre s'affaisse dans la barbarie, dans toutes les misères. Qui défendra le bien, le fera voir dans les exemples, le fixera par des institutions, et formera sur tous les points le capital dont vit la foule ; qui l'administrera elle-même, lui donnera des lois, l'élèvera à la vertu, à la grandeur, à ces délicatesses d'âme, d'honneur et d'esprit que le peuple, appliqué au pain de chaque jour, ne peut cultiver le premier de lui-même ? Non-seulement nous redoutons toute Aristocratie, mais nous considérons le fait comme injurieux à la nature de l'homme, à sa grandeur et au bon sens (1) !

Cependant, si les hommes naissent tous dans le mal, et si, de ce point de départ, la vérité et la Société les conduisent peu à peu vers le bien, tous n'y arrivent pas à la fois, et le fait le démontre. Il en est qui l'atteignent avant les autres. Ceux qui sont les premiers, ne doivent-ils pas aider ceux qui les suivent, et surtout les servir dans les choses élevées ? « Que les premiers « parmi vous..., etc. » Les premiers qui profitent dans leur corps et dans leur âme des bénéfices de la Rédemption, de la Civilisation, tendent la main et font la route à ceux qui viennent après eux. Ce progrès que vous vouliez appliquer comme un règlement à tous les hommes, ne se déclare, hélas ! que sur un petit nombre à la fois : parles traditions, l'éducation, les habitudes contractées, par mille peines, par les délicatesses infinies de l'honneur, il s'établit et se conserve dans des familles qui se trouvent alors les meilleures, APISTOI. Faut-il les en blâmer? Faut-il à chaque génération les remettre au point de départ ? Alors, plus rien de grand, plus rien de fait parmi les peuples.

Quand une race a vu sa tige s'élever de terre, croître et s'épanouir au sein de la vertu, pourquoi la briser si vite et la rendre à l'obscurité (1) ? La Société aussi doit recueillir son capital précieux. Ce capital est l'Aristocratie. La Civilisation ne peut recommencer tous les jours. Elle repose sur la rente, à plus forte raison, sur l'aristocratie acquise. Par leur noblesse, leur vertu, leur grandeur, leur bienfaisance, leur sainteté, il y a des familles dans lesquelles la Civilisation est toute faite. Au milieu du champ social, la noblesse est une gerbe debout qui continue de produire et de donner son grain, et le clergé, sa racine, est source de la sève. Pourquoi ce qui est fait devrait-il se défaire? Pourquoi, sur cette plante libre et merveilleuse de l'homme, ne restera-t-il rien, ni dans le sang ni dans l'âme, de la nature reconquise? Cependant, si nous naissons avec l'hérédité du mal, il faut que nous naissions avec l'hérédité du bien... Voyez comme, à chaque pas, vous rompiez un fil en logique pour courir après votre orgueil! Ici encore, l'homme doit mériter, et non ravir par des révolutions qui ne ramènent plus bas la société qu'en la démolissant. Qui empêche de s'élever? la hiérarchie n'est qu'une échelle. Prélevons d'abord sur nos sens pour établir un capital, que le travail prépare; puis employons ce capital au service de la vertu, de la justice, de la pensée, de l'honneur, de l'État, et nous serons les hommes de la nation, les gentilshommes. Les chemins sont ouverts. Le Pouvoir politique ôte-t-il à quelqu'un la liberté de bien faire ?

1. L'Aristocratie, chez un peuple, se compose d'abord de tous les honnêtes gens, et de tous ceux qui créent un capital véritable. Il y a de l'aristocratie au beau milieu du peuple, et du peuple jusque dans les classes élevées. Jouer , dévorer son or et son temps , déraisonner et ne rien faire, c'est imiter l'ouvrier qui se mange et se dirige sur l'hôpital.
Un fait qui brille dans toute l'Antiquité, et qui reparaît avec plus d'éclat que jamais chez les peuples modernes, est il, à première vue, d'une telle sottise?

1. On ne peut la remettre à semer le grain ! La Civilisation ne vit pas seulement de pain, mais de toutes bonnes pensées cultivées par l'esprit. Et malheureusement, les muscles s'affaiblissent quand les centres et l'énergie supérieure absorbent le développement. Les familles distinguées et les organisations scientifiques hors de leur place, succomberaient presque toujours. Les bois, la pierre s'emploient au temple, et l'or et l'argent sur l'autel...



A suivre... XVIII. Dès lors, qu'est-ce que le peuple?
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Message  Monique Ven 25 Nov 2016, 3:33 pm

POLITIQUE RÉELLE.



XVIII.

Dès lors, qu'est-ce que le peuple?

Des lors qu'est-ce que le peuple ? Un fruit des Aristocraties. Elles sont toujours trois : celle qui nous donne la Foi, celle qui nous donne le gouvernement, enfin celle qui nous donne l'exemple et le capital (1). Il en résulte aussi qu'en étouffant les Aristocraties, on suspend leur effet, et le peuple, sans qu'on y songe, retombe peu à peu dans la barbarie. « Les classes éclairées, dit M. Thiers, ne sont pas la nation tout entière, mais leurs penchants bons ou mauvais sont bientôt ceux de la nation entière : elles font le peuple par la contagion de leurs idées et de leurs sentiments. » Que serait l'Angleterre sans l'Aristocratie? Que deviennent les mœurs et les goûts des Français depuis qu'ils ont perdu la leur? Le peuple, en Angleterre, admire l'Aristocratie qui lui a donné le commerce du monde, et lui-même travaille, par des efforts que la vertu peut seule multiplier, à en réparer incessamment les rangs. Les masses ne sont point initiatrices. Les masses ne peuvent que recevoir le mouvement; dès qu'elles ne sont ni enseignées, ni protégées, ni dirigées, elles se retournent contre elles-mêmes et se détruisent. Les masses ! nous voilà, c'est nous-mêmes, accablés par notre nature, traînant la chaîne du premier péché ; c'est ce que n'a pas encore relevé le mérite , c'est le poids brut du genre humain. La chute pèse toujours sur nous. Ce n'est point d'un seul coup que l'homme se relève, ni qu'il peut se réhabiliter. Par la grâce qui leur est envoyée, sans doute en vue de leurs semblables, un certain nombre d'âmes parviennent à soulever les chaînes qui compriment la liberté morale de la race d'Adam. Mais partout où l'Autorité se retire, partout où s'éteint l'Aristocratie, le peuple s'affaisse et disparaît. Où sont les foules qui se pressaient dans Rome ? où est le peuple de Venise ? Car le peuple, puisque tel est le nom que vos idées mêmes lui laissent, est une création de la Foi et de la justice, appuyées sur l'Autorité; il est celui que l'on éclaire, que l'on sustente, que l'on établit dans la loi, à qui l'on donne la Société ; le peuple est le produit de la Civilisation (1).

Et lui-même, il sent si bien qu'il est un fait inaccompli, un perpétuel commencement, qu'il n'a qu'une pensée, qu'une envie, c'est de quitter ses propres rangs. Dès qu'un homme s'est fait un capital ou un nom, il ne veut plus être du peuple. Comme aussi, dès que le bourgeois ou le gentilhomme a dissipé corps, âme et biens, il disparaît dans le peuple. Les faits politiques proviennent de la nature des choses , qui provient elle-même de notre propre fait, de l'état où la Chute nous laisse. La hiérarchie n'est pas une échelle arbitraire. C'est le fait, et non un système, qui place toute bourgeoisie au-dessus de la foule. — La Foi n'agirait-elle point sur le peuple s'il n'y avait pas de bourgeoisie? — D'abord, aussitôt que la Foi agit sur le peuple, elle en fait naître une bourgeoisie, elle en fait sortir les meilleurs, en le pénétrant des deux vertus chrétiennes , le travail et la modération dans les jouissances, d'où sortie capital., d'où sort la bourgeoisie. Puis, clés que la Foi agit sur cette bourgeoisie, c'est en lui inspirant la grandeur, la charité, l'esprit de la plus haute aristocratie (1). La puissance de la Foi, appliquée à un peuple, en tire ses Aristocraties. Elles sont la gloire de la nation qui les voit croître, comme les moissons et les forêts, du sol qui leur donne le jour. Les hommes sont personnellement libres ; ce qui est fixe, ou absolu, c'est l'échelle que les individus, suivant leur mérite et leur aptitude, montent ou descendent tour à tour.

Qu'est-ce que le bourgeois ? Un homme du peuple qui a économisé. Et le gentilhomme ? Un bourgeois qui s'est illustré. Et l'homme du peuple ? Celui qui, s'il le veut, dépassant encore ces degrés, peut toujours devenir un saint; car la Grâce prévient tous les hommes; elle ne fait point acception de classes qui ne sont après tout que le fait. Au reste, entendez votre propre langue, vos discours ont roulé sur ces mots : Classe. inférieure, classe moyenne, classe élevée; c'est bien pour nommer des réalités ! — Depuis notre Révolution, le peuple a reconquis sa place. — Laquelle? le genre humain en aurait-il changé (1)? La vertu, la justice sont toujours aussi rares; les mains débiles, dans la foule, ont toujours même peine à recueillir le capital. Enfin, c'est par pure exception que le peuple garde la vérité, ou qu'il la choisit de lui-même. Il fera bien peu pour la Foi. Dans la cité providentielle, dans Jérusalem elle-même, le peuple fut idolâtre sous les Chananéens, fidèle sous les Hébreux, chrétien sous les Apôtres, musulman sous les Sarrasins. Le peuple relève en tout de ceux qui le gouvernent : anglican sous le parlement d'Angleterre, grec, luthérien, calviniste, suivant ses Rois. C'est le marbre de Paros, attendant que la main de l'artiste en fasse une borne ou un Dieu...

Dès lors comment considérer le peuple? — Il ne peut y avoir deux manières : comme les membres que Jésus-Christ s'est appropriés dans ses souffrances , qu'il a recommandés aux siens de servir, à ses Apôtres d'enseigner , aux Rois de gouverner dans la justice et la paix ! c'est le troupeau qu'il a confié à l'Église, lui enseignant à le chérir de cet amour de préférence qu'une mère a pour le plus jeune et pour le plus faible de ses fils. Car là se trouvent ceux que le Sauveur a sacrés du nom de faibles et de simples , de pauvres et de petits en ce monde , afin qu'ils y soient protégés dans les besoins du corps et de l'esprit; ceux qui peut-être reçurent moins de lumières et à qui il sera moins demandé ; ceux qui se présentent après les autres aux portes de la Civilisation, afin qu'elle les reçoive et les y édifie dans le vrai, dans le bien, non dans l'orgueil : puisque le fruit d'Adam est encore , en leur sein , la cause de cette infériorité relative. Car, pas plus que le Roi dans l'administration de la justice, l'Église ne connaît ces démarcations ; ses bras s'ouvrent à tous ses enfants, tous viennent indistinctement s'asseoir au foyer et à la table de leur Mère... Le plus faible, le plus petit, le plus à plaindre, à protéger, à secourir par la vertu, les lois et les institutions , voilà celui que vous faisiez souverain ! celui dont le triomphe devait rendre bientôt l'Église et les Rois inutiles! celui de qui allaient découler le droit, la justice, la vérité, le progrès, tous les biens (1)... Hélas ! le peuple n'a que son sang. Reste fidèle au Dieu qui t'a donné le sien, sang de l'homme, sang racheté, sang ennobli, toujours prêt à couler dans les veines du soldat ou du prêtre , à te répandre en larges couches de vertus, à t'élever par les degrés de la justice, de l'honneur, du dévouement et de la sainteté, de gloire en gloire, selon que la Vérité et la Vie ont jeté leur ferment divin dans ta coupe écumante !

Le grand principe est rétabli ; bientôt, le serrant de plus près, nous en verrons sortir tout un ruisseau de conséquences. Plusieurs déroulent leur pensée comme une chaîne, et ils font bien. Moins savante, la mienne se développe comme une plante ; elle a sa racine et sa tige, qui s'ouvre à chaque instant pour laisser passer ses rameaux.

1. Car on voit rentrer dans le peuple tous ceux qui le consument.

1. « Qu'est-ce que le Tiers-État ? dit Sieyès. — Rieu. — Que doit-il être? — Tout ». Que le fils de Rousseau le dise, comment le tiers peut-il être le tout?

1. La Foi n'agirait-elle pas aussi bien sur le peuple sans Aristocratie ? Mais l'Aristocratie se compose des âmes qui les premières sortirent du peuple en voyant la lumière. Comme la lumière pure, la vérité ne se voit pas toujours; et d'ailleurs les exemples donnés par le clergé ne remplacent pas ceux qui viennent des hommes riches, admirés, et dans nos conditions de vie. C'est un fait social de première importance. Si, à la voix du Clergé, ne se constitue aussitôt une Aristocratie chrétienne et dès-lors un État, l'œuvre du Clergé reste inachevée, comme autrefois aux Indes et en Chine; bien que dans cette formation des Aristocraties un élément païen reste toujours mêlé à l'élément chrétien.

1. La chair, plus forte que la volonté, empêche encore les trois quarts de la foule de mettre un second sou sur le premier; et le moi, plus fort que l'amour, empêche encore les volontés déjà plus libres de s'élever au dévouement...

1. Ceux qui tiennent au peuple ce langage, et brillent devant lui leur encens, sont des esprits déclassés que veut réprimer la fortune, des lâches toujours à ses pieds, ou prêts à baiser ceux des tyrans.



A suivre... XIX. Les peuples chrétiens développent leurs libertés.
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Message  Monique Sam 26 Nov 2016, 9:19 am

POLITIQUE RÉELLE.



XIX.
Les peuples chrétiens développent leurs libertés.

En rétablissant la liberté morale, en formant des hommes qui d'eux-mêmes obéissent au bien, en produisant cette quantité et cette diversité d'aristocratie que jamais les peuples n'ont pu atteindre hors de son sein, l'Église seule permet aux pouvoirs politiques de se relâcher de leur autorité, et aux peuples de croître dans leurs libertés légitimes. Mais le fait, on le sent, ne saurait avoir lieu que chez les nations chrétiennes ; toutes les autres, enfermées dans le despotisme, ne croissent plus. Il faut aussi se rappeler que vérité et liberté illimitée font parmi nous le trajet du pot de verre et du pot de fer. Chez l'homme, il est des points qu'on doit mettre à l'abri, comme le fait la nature pour l'organe précieux du cerveau. La presse, par exemple, ne saurait librement attaquer les sources de la vie. Ce qui doit être illimité, sans condition, au-dessus de tout, c'est la vérité, qui est le droit de l'âme.

Peut-on livrer au premier venu la faculté d'introduire ses erreurs dans les âmes , ou de leur souffler l'ardente haleine du mal ? Les aristocraties, quand l'heure est belle, réclament de ces libertés-là sans regarder ce qu'on en fait au-dessous d'elles. Une même chose peut-elle être bonne pour tous ? Par exemple, il est louable de prêter, prêterons-nous à tout le monde? Donnerez-vous à nos littérateurs, à tant d'esprits formés par le hasard, à ces victimes de l'opinion, des préjugés et des mots, la même liberté qu'à l'Église ? Il n'est besoin que d'y réfléchir. Les classes élevées veulent souvent une arme qui deviendrait terrible entre les mains des classes inférieures ou des méchants. Qu'en conclure? Qu'il faut, ou maintenir dans la Société une liberté moyenne, mesurée à celle qui convient à ces derniers, ou en établir deux degrés : l'un réservé à ceux qui offrent les garanties, et l'autre à ceux qui peuvent abuser. Enfin, chez des peuples sérieux, peut-on traiter de la Politique sans être docteur dans les sciences qu'elle suppose, et sans fournir des garanties considérables d'attachement à l'État ? Chez nous, la Politique est la proie des écoliers délivrés du collège, l'affaire des littérateurs. . . O France ! ô esprits que la presse conduit !

Comme l'esprit gouverne dans l'homme, il doit gouverner dans la Société. Et ces désirs d'une liberté absolue de la presse partent d'un sentiment obscur du rôle merveilleux de l'Église. Un immortel instinct redit aux peuples modernes : L'homme ne peut obéir qu'à Dieu, c'est l'ordre moral qui nous gouverne ! La question de la liberté de la presse, loin d'avoir été épuisée, en est encore au début. Cette liberté se rattache à la grande question de notre liberté même, dont il faut cependant avoir une idée, à cette heure où les hommes font tout pour la perdre, et rassemblent les matériaux d'un despotisme immense.


A suivre... XX. La liberté humaine.
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Message  Monique Lun 28 Nov 2016, 11:30 am

POLITIQUE RÉELLE.



XX.
La liberté humaine.

La liberté humaine, qu'on définit fort mal et qu'on rend ainsi cause d'incalculables maux, est la faculté humaine. de faire le bien alors qu'on a la possibilité de faire le mal. C'est l'ineffable pouvoir d'agir par soi-même, d'être cause , et dès lors, responsable. L'homme est cause, la liberté c'est l'homme même. Mais, de ce que l'homme pourra choisir le mal , il ne s'ensuit aucunement qu'il ait le droit de le faire ; que ce soit là, comme on le fait entendre, une dépendance de sa liberté souveraine (1).

Voici le fait. Dieu impose sa loi à la nature, et il la propose à l'homme. La liberté est donc, au fond, le pouvoir qu'a l'homme d'accomplir lui-même sa loi (1) : pouvoir sublime qui le met au-dessus de la création entière (les anges exceptés), le rend semblable à Dieu. L'homme, effectivement, a été fait à cette image, afin qu'il puisse un jour lui ressembler : Estote perfecti sicut Pater! Il faut y prendre garde, le pouvoir d'accomplir soi-même la loi, n'est point le droit de la violer, parce que sous le pouvoir d'accomplir se rencontre celui de ne pas accomplir : interprétation qui serait digne du néant, d'où nous sommes , et non de l'être que Dieu veut en faire sortir !

Et d'ailleurs, croyons-nous que ce soit là un complément, un attribut de notre liberté?. C'en est, tout au contraire, la faiblesse et l'absence. Dieu, qui est libre, fait-il le mal? La sainte Vierge, née sans péché, les anges et les saints dans le Ciel, font-ils le mal parce qu'ils conservent la liberté? Le mal en est exactement l'imperfection momentanée, la débilité ou l'enfance : l'aigle n'a pas encore quitté terre. La perfection de la liberté, pouvoir d'accomplir la loi, est dans la permanence de l'accomplissement de la Loi. Sur cette terre, l'homme n'est qu'un enfant; il en demande et la surveillance et les soins... Dieu remet la liberté à l'homme pour le conduire à la divine Gloire, pour lui faire obtenir un mérite éternel. Par cette communication de l'essence absolue, l'homme est cause, l'homme mérite, il se crée un titre réel aux yeux de l'Infini ! Qui peut se glorifier de rejeter la loi éternelle de l'Être? Et qui croit faire acte d'indépendance en refusant la loi qui l'ennoblit pour se donner à celle qui l'asservit, le fait descendre au-dessous de lui-même, le repousse vers le néant?

Ceci modifie étrangement une thèse dont notre époque, privée de métaphysique, n'a vu que le côté vulgaire. La liberté donnée à l'homme pour l'élever au Ciel, est un pouvoir dont on ne peut se jouer sur la terre ; un pouvoir sacré qu'on ne saurait tourner en dérision en l'appelant illimité, qu'on ne saurait immoler en le laissant écraser de son poids la foule des volontés débiles ou déjà en proie aux passions.

Et d'abord, Dieu n'a pas remis à l'homme une liberté illimitée, dont l'usage anéantirait précisément sa liberté. Il a eu soin, au contraire, de placer partout devant elle un arrêt pour la retenir sur l'abîme : dans notre corps, c'est la douleur ; dans notre âme, le remords ; dans la Société, la loi et la nécessité. Il a tout disposé pour que l'homme fût ramené dans son libre arbitre au moment où l'abus l'en ferait sortir. Ensuite, une liberté illimitée, en l'homme, prouverait qu'il est parfait; s'il l'était, il ne recevrait pas ici-bas la grâce avec la liberté afin de le devenir. Loin de naître parfait, il est réservé à cette gloire immense de n'être rien pour pouvoir tout par la divine Grâce. Enfin, ce serait le prendre pour bon et comme exempt des suites de la Chute, alors qu'il n'est sur la terre que pour rétablir sa nature et l'accomplir. De cette idée , on s'empressait également de déduire la thèse d'une société parfaite , exempte de gouvernement, lorsqu'elle n'est au contraire qu'un vaste système d'éducation. Au reste, on sait les inepties que les vains esprits ont entassées sur un fait dont ils ont ignoré le sens.

1. Nos savants, quand ils ne la nient pas, définissent la liberté : le pouvoir de faire le bien et le mal. Dites au moins, de choisir entre le bien et le mal! Aussi les révolutionnaires les ont-ils pris au mot; ils déclarent la liberté absolue, n'ayant d'autre loi qu'elle-même. De là ils tiennent au même rang celle du bien et celle du mal, pour que la pente naturelle choisisse la dernière. C'est ainsi qu'on arrive à ne plus voir la dignité de la vertu, à mépriser les bons, et, peu à peu, à les vouer à cette haine qui , dans les triomphes de cette liberté , dresse les échafauds! « On coupe les têtes sans scrupule, dit un écrivain religieux, parce qu'on les coupe par principe. »

1. De là, résulte sa grandeur; sa dignité vient de ce qu'il l'accomplit...



A suivre... XXI. Usage de la liberté.
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