Le Martyre de la Vendée.
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Re: Le Martyre de la Vendée.
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L'HOSTIE MIRACULEUSE DE SAINT-PAUL-MONT-PENIT
Le 15 septembre 1792, le curé de Saint-Paul-Mont-Penit, Monsieur Ambroise Rivereau, était forcé, comme tant d'autres, d'abandonner sa paroisse et de prendre le chemin de l'exil.
Et pourtant, il ne voulait pas laisser son troupeau sans pasteur.
Une tradition locale, fidèlement conservée, nous dit qu'avant son départ, inspiré par un zèle qu'on serait tenté de taxer d'imprudence, il conçut la pensée de donner pour gardien aux brebis qu'il abandonnait, Jésus-Christ lui-même, toujours présent dans le tabernacle de l'église de Saint-Paul.
Après avoir célébré une dernière fois le saint sacrifice de la messe et consommé les saintes espèces contenues dans le ciboire, il laisse à dessein (1), dans le tabernacle, une hostie consacrée, qu'il enveloppe avec soin dans un corporal ; puis, il referme à clef la porte sur le divin prisonnier, éteint la lampe du sanctuaire et part pour l'exil, laissant son église et sa paroisse à la garde du Dieu de l'hostie.
Il avait mis dans la confidence de son pieux secret quelques saintes personnes de Saint-Paul, en leur confiant sans doute la clef du tabernacle. Ces geôlières privilégiées de Jésus-Christ caché dans son sacrement n'abandonnèrent pas l'adorable captif. Elles lui firent avec prudence de nombreuses et ferventes visites.
Mais un jour Saint-Paul, tout abrité qu'il était dans les profondeurs des bois, est envahi par les bandes impies, que la persécution lançait en tous sens sur les populations chrétiennes de la Vendée. Les profanateurs de nos temples viennent occuper militairement ce bourg solitaire, et pendant huit jours, ils font de l'église une caserne, et sans doute une écurie, comme ils faisaient partout ailleurs.
Les confidentes du pasteur exilé, comme Marie-Madeleine autour du Saint-Sépulcre, ne cessaient de rôder, à la dérobée, autour de l'église et de l'hôte divin, qui l'habitait toujours. Jésus-Christ restait là, jour et nuit, en présence des envahisseurs. Mais il voulut y rester, non pas seulement sous l'humilité de sa vie cachée, mais aussi dans sa puissance, comme le fort armé dont nous parle l'Évangile, et qui se charge de garder lui-même-sa demeure.
C'est en effet la croyance traditionnelle et constante des habitants de Saint-Paul que Jésus-Christ, présent dans l'eucharistie, a préservé leur église des flammes incendiaires, qui ont ravagé celles des paroisses voisines.
Les Vandales révolutionnaires n'essayèrent même pas d'y mettre le feu.
Cependant, leur seule présence dans le lieu saint, qu'ils faisaient retentir de leurs blasphèmes, était une profanation qui soulevait la colère de cette religieuse population de Saint-Paul-Mont-Penit. Par l'initiative et sous la direction du vaillant capitaine de la paroisse, Tallonneau, les paysans de l'endroit s'organisent, prennent les armes et se soulèvent en masse. Tout à coup, ils viennent cerner l'église et sommer les Bleus de se rendre.
Ceux-ci, honteux de se voir ainsi traqués, sont résolus à se défendre, et veulent tenter une sortie. Ils se précipitent jusqu'au devant de la porte de l'église où les assiégeants les attendent, et se battent avec tout le courage du désespoir.
Mais les Vendéens, électrisés par l'ardeur de leur foi et de leur sainte indignation, font tête à cet assaut, et massacrent sans pitié les ennemis de leur Dieu, de leurs prêtres et de leur culte. Près de 300 cadavres de ces profanateurs restent sur le terrain, et rougissent de leur sang les marches de l'église.
Quant à l'hostie du tabernacle, elle resta cachée dans son humble demeure pendant toute la période révolutionnaire, c'est-à-dire pendant près de 10 ans. Lorsque l'heure de la délivrance sonna pour la Vendée, le curé nouvellement nommé de Palluau, Monsieur Lansier, célébrant la messe dans l’église de Saint-Paul, trouva l'hostie à la même place où Monsieur Rivereau l'avait déposée, et dans un état de conservation parfaite. Elle était aussi fraîche et aussi blanche que le jour où elle avait été consacrée.
Le vénérable doyen la retire du corporal, l'élève entre ses doigts et la montre à tout le peuple, qui la contemple et qui l'adore, avec le saisissement qu'on éprouve à la vue d'un grand miracle.
L'hostie miraculeuse de Saint-Paul-Mont-Penit n'est-elle pas comme un symbole du culte catholique, proscrit, caché, mais toujours vivant pendant la Terreur, en attendant le jour glorieux où il sortira de ses catacombes, pour jouir, en pleine lumière, de la liberté conquise par tant de luttes et achetée par le sang de tant de martyrs?
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(1) C'est à dessein que M. Rivereau laissait cette hostie consacrée, et non par inadvertance, comme le dit l'abbé Aillery dans ses Chroniques.
A suivre : CHAPITRE XIII. LE CHÂTIMENT DES BOURREAUX.
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Louis- Admin
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Re: Le Martyre de la Vendée.
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LA LOI DU TALION DANS L'HISTOIRE
Dieu permet qu'il y ait des bourreaux, parce qu'il veut avoir des martyrs.
Mais en laissant un libre cours à la cruauté des persécuteurs, il reste souverainement juste. Et ce n'est pas seulement pour la vie future qu'il réserve les rigueurs de sa justice ; dès la vie présente, il a des vengeances formidables contre les oppresseurs.
Quand on suit d'un œil attentif la marche du gouvernement providentiel à travers les âges, on reconnaît que la loi du talion est une des grandes lois de l'histoire.
Pour montrer au peuple, par d'éclatants et prodigieux exemples (1) que rien n'est abandonné au hasard, le Maître suprême des événements et des hommes exerce presque toujours ici-bas, contre les grands criminels, des châtiments terribles, qui sont comme le signe de la divine justice, imprimé sur le front de Caïn.
Aussi, lorsque après trois siècles de supplices, le catholicisme sortit de cette buée de sang, où l'avait plongé la tyrannie des Césars, Lactance pouvait composer un livre vengeur, avec l'histoire de ces châtiments et de ces coups de foudre, qui avaient frappé tous les persécuteurs de l'Église : De mortibus persecutorum.
Ce livre peut s'écrire et se continuer dans tous les temps, depuis le meurtre d'Abel jusqu'à celui des sept frères Machabées ; depuis le supplice de saint Etienne jusqu'à celui d'André Brumauld de Beauregard.
Après avoir raconté le Martyre de la Vendée, nous aurions toute une longue et lugubre histoire à faire, pour raconter les prodigieux châtiments de ses bourreaux.
Les traditions locales sont comme autant de voix qui s'élèvent de tous les points de la Vendée, pour redire aux générations présentes comment tous les profanateurs des temples, tous les abatteurs de croix, tous les mutilateurs des saintes images, tous les égorgeurs et les buveurs de sang, ont été foudroyés, les uns après les autres, par ce tonnerre intelligent et implacable de la justice de Dieu.
Nous allons donner ici comme un abrégé de tous ces récits populaires, dans les deux traits qui vont suivre :
LE PROFANATEUR DE LA STATUE DE SAINT GEORGES.
LE MAUVAIS RICHE DE LOROUX ET LA FILLE DE LA PUNITION.
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(1) Lactance, De mortibus persecut. Edit. Migne. T. II, p. 191.
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Louis- Admin
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Re: Le Martyre de la Vendée.
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LE PROFANATEUR DE LA STATUE DE SAINT GEORGES.
LE MAUVAIS RICHE DE LOROUX ET LA FILLE DE LA PUNITION.
I. — Le profanateur de la statue de saint Georges.
C'était vers le milieu du mois de mars 1796, après les derniers combats de Charette en Bas-Poitou, au moment où les patrouilles républicaines poursuivaient à outrance, de retraite en retraite, le noble général vendéen.
Les Bleus venaient de recevoir l'avis que le fugitif se cachait, avec une poignée de soldats fidèles, au milieu d'un bois, près de la mer, dans les ruines de l'abbaye de Saint-Cyr-en-Retz, entre Bourgneuf et Machecoul.
Les restes de cette vieille abbaye bénédictine, maintenant ensevelis sous l'inextricable réseau d'une végétation sauvage, sont environnés d'un profond respect, mêlé d'une religieuse terreur.
Le voyageur attardé ne passe jamais devant ce portail de l'antique chapelle sans éprouver un frisson d'épouvante.
Quand Charette se mit à la tête de l'insurrection dans le marais occidental, tous les paysans de la contrée prirent les armes.
Quelques moines de l'abbaye suivirent l'armée catholique. Il ne resta plus au couvent qu'un petit nombre de religieux, des vieillards, vivant comme ils pouvaient des fruits du jardin et surtout d'aumônes.
Un jour, en 1793, l'abbaye fut surprise par les colonnes républicaines : les moines furent massacrés ou mis en fuite, et les bâtiments livrés aux flammes.
L'église seule resta debout à travers les décombres, élevant vers le ciel sa flèche surmontée de la croix, comme un symbole d'immortalité, sur ce théâtre de ruines et de mort.
Les bois sombres qui entouraient ce sanctuaire abandonné, le silence qui régnait nuit et jour sous ces voûtes, les traces partout visibles d'une dévastation sacrilège, imprimaient à cet édifice je ne sais quel caractère à la fois mystérieux et menaçant.
Les verrières des grandes baies ogivales avaient été crevées ; les portes brisées jonchaient le sol de leurs débris ; le porche noir et toujours béant offrait l'aspect d'un antre formidable, dont personne n'osait sonder la ténébreuse profondeur.
A l'intérieur, la profanation était encore plus frappante. Les tableaux et les ornements avaient disparu ; les autels étaient dépouillés. Il ne restait dans le chœur que les boiseries poudreuses des stalles, et debout, au-dessus du maître-autel, une grande statue de saint Georges, dominant les deux longues files de sièges silencieux.
Cette statue, haute de six pieds, massive et grossièrement taillée dans la pierre, semblait écraser de son poids le large autel qui lui servait de piédestal. Elle représentait un vieux guerrier, armé de toutes pièces, la tète nue, avec une longue barbe qui descendait sur la poitrine.
Une vieille tradition voulait qu'un trésor, fût caché sous les pieds du saint ; mais jamais personne, dans le pays, n'aurait eu l'audace de vérifier le fait.
Deux ans après le pillage de l'abbaye de Saint-Cyr…
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Louis- Admin
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Re: Le Martyre de la Vendée.
.I. — Le profanateur de la statue de saint Georges.(suite)
Deux ans après le pillage de l'abbaye de Saint-Cyr, quand Charette reprit les armes en 1795, les environs du monastère furent encore le théâtre de nouveaux combats. Mais trahi et abandonné par ses troupes, le chef vendéen, sans renoncer à la lutte, dut chercher son salut dans la fuite. Les généraux républicains le traquaient de place en place, et des détachements lancés à sa poursuite pénétraient dans les coins les plus secrets du pays.
Sur des renseignements prétendus certains, une compagnie de l'ancienne Légion nantaise, sortant de Machecoul, fut mis en marche sur Saint-Cyr.
Au début de la Révolution, cette légion s'était formée de tous les fils de famille de la ville de Nantes. Mais depuis trois ans, les cadres s'étaient à peu près renouvelés. Il ne restait de l'ancienne formation qu'un petit nombre de soldats et les officiers. On avait enrégimenté dans ce corps d'élite le rebut des compagnies marseillaises, que Santerre avait traînées à sa suite sur les champs de bataille de la Vendée.
La compagnie qu'on dirigeait sur l'abbaye était commandée par deux officiers, que nous devons présenter à nos lecteurs : le capitaine Gobert et le lieutenant Geoffroy. L'un et l'autre appartenaient à d'excellentes familles bourgeoises de Nantes. Dans le fond, ils étaient tous deux des modérés, et n'avaient point contre les Vendéens cette fureur jacobine, qui ne reculait devant aucune atrocité. Ils essayaient cependant de se montrer d'ardents patriotes, et de masquer leur tiédeur, qui eût passé pour un crime. Ils s'étaient mêlés, dès les premiers jours du mouvement révolutionnaire, à cette bourgeoisie stupide, qui étalait de si larges cocardes et poussait de si niaises acclamations dans tous les banquets patriotiques; qui dans les massacres de la Terreur croyait pouvoir adoucir le tigre après qu'il avait flairé le sang, et qui enfin, après avoir été dupe, finit par être victime.
Le capitaine Gobert, s'étant aperçu plus d'une fois que le bruit du tambour donnait l'éveil aux paysans, avait commandé de marcher en silence, en approchant du vieux monastère.
Au reste, les paysans qu'on surprenait en route, fatigués de cette guerre interminable, fournissaient assez volontiers les renseignements qu'on leur demandait. C'est ainsi qu'on apprit la situation précise de l'abbaye, la tradition du trésor caché sous les pieds de saint Georges, et la religieuse frayeur qui planait sur l'antique église abandonnée.
Le capitaine fut un peu séduit par ces récits superstitieux, qui tentaient son courage d'esprit fort. Quand aux soldats, ils étaient surtout alléchés par cette légende dorée du trésor enfoui sous le socle de la statue.
A force de menaces, un paysan guida la troupe jusqu'à la lisière du bois, et s'enfuit, après avoir montré de loin la pointe de la flèche qui perçait à travers les arbres.
Il était 4 heures de l'après-midi. On s'avança sans bruit, homme par homme, et l'on gagna le mur ruiné de l'enclos, qu'on suivit tout du long.
Gobert et son lieutenant ne virent point sans émotion l'imposant aspect du sanctuaire délaissé dans ce lieu désert, au milieu du silence morne des grands bois qui en formaient la ceinture.
Le premier fit arrêter le gros de la compagnie derrière le petit mur, sans poser les armes, et, prenant avec lui une escouade, il marcha vers l'église, postant de distance en distance des sentinelles, avec ordre de faire feu et de se replier à la moindre alarme.
On s'arrêta sur le seuil du portail, pour jeter un coup d'œil dans l'intérieur de l'édifice; puis, le capitaine et quelques-uns de ses hommes s'aventurèrent, avec précaution, à pas de loup, l'œil au guet, fouillant tous les recoins, tâtant de la crosse de leur fusil le sol et la maçonnerie. Ils ne virent ni une porte, ni une trappe, ni le moindre indice de gens cachés.
Les stalles massives du chœur, soulevées l'une après l'autre, retombaient avec un fracas qui se prolongeait longtemps sous les voûtes. On fît ensuite, et sans plus de succès, le tour de l'église en dehors.
Le capitaine releva les factionnaires et revint à sa compagnie, en disant : « Nous avons tout fouillé; il n'y a rien.»
Comme ses hommes étaient fatigués et qu'ils avaient des vivres, il résolut de les faire camper là jusqu'au lendemain. On forma les faisceaux, et les groupes par escouade s'empressèrent de mijoter leur popote.
C'est pour les troupiers en campagne un délicieux moment que cette heure de la soupe, dans le crépuscule de la nuit tombante, à l'hôtel improvisé de la Belle étoile. Groupés autour de la marmite, comme autour d'un foyer de famille, ils aiment, dans leurs joyeux propos, à se donner l'agréable illusion de ces soirées de village, où il se contait tant d'histoires désopilantes ou terribles.
— Le capitaine Gobert ne mange pas ! dit le tambour...
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Louis- Admin
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Re: Le Martyre de la Vendée.
.I. — Le profanateur de la statue de saint Georges.(suite)
— Le capitaine Gobert ne mange pas ! dit le tambour.
— Non, il est occupé, répond d'un air narquois, le chef de gamelle; pas vrai, Marseillais?
Ce Marseillais, j'aurai tout à l'heure à vous le portraire; car c'est le principal et triste héros de notre histoire.
— Non, fait le Marseillais au tambour, Gobert ne mange pas, il rumine; mais sois tranquille, je suis au courant, et je tiens à l'œil ce suspect. S'il se passe de ration pour le quart d'heure, il a trouvé de quoi faire longtemps bouillir sa marmite.
— Ah ! dit un autre, il aurait donc raflé la tirelire en question ?
— Quand nous exterminions les Brigands de la Vendée, reprend le Marseillais, c'était le beau temps de la République une et indivisible. Il y avait des villageois accapareurs du bien public, des bourgeois et autres conspirateurs, qui cachaient leur magot. On mettait souvent la main dessus, et c'était la récompense des soldats de la nation, gradés ou non gradés, indistinctement.
Mais aujourd'hui, Gobert le modéré trouve bon de ressusciter tous les abus de la tyrannie. Ce qu'il trouve bon à prendre, il le trouve bon à garder. Les autres soufflent sur leurs pouces.
— Tu as fait la guerre de Vendée? dit un des soldats.
— Si je l'ai faite, et si j'en ai fouillé des coffres-forts aristocratiques ! Aujourd'hui, mes petits marmitons, je devrais être à vivre de mes rentes patriotiquement, si j'avais eu de la conduite. Tu vois ma blague à tabac ; c'était plein. Bah! qu'est-ce que je dis? mon sac, ma giberne, mes tiges de bottes, tout était plein, quoi !
— Oui, plein de six liards ! réplique le tambour.
— Des six liards ! Tape-à-l'œil ; de vrais louis, s'il vous plaît, avec le portrait du tyran peint à l'œuf.
Toi, tu n'es qu'un mouton ; tu n'entends rien à l'art militaire.
Le plus beau, c'est quand nous avons formé les colonnes infernales, sous les ordres du citoyen général Turreau. Tonnerre ! c'était là des coups de chien ! On entrait dans les châteaux à volonté et militairement; on passait au fil de l'épée des comtesses, des marquises, ci-devant béguines, des enfants. On brûlait tout ; c'était la consigne, surtout celle du citoyen général Grignon, un chaud sans-culotte celui-là, et qui ne s'endormait pas! On faisait rafle de tout ce qui était à la convenance du soldat, et on rinçait toutes les cachettes. C'était la loi, la liberté à l'ordre du jour; personne n'avait rien à dire. Puis, histoire d'illumination patriotique, on brûlait la boutique, les maisons, les moissons, les bestiaux ; c'était la consigne !
— C'est drôle, dit le caporal, avec une certaine timidité, je n'aurais pas pu, comme cela, de but en blanc, m'acharner sur des enfants.
— Aussi, répond le Marseillais, qu'est-ce que tu es, toi, fripe d'aristocrate !
Moi, j'avais travaillé dans les Suisses, à la satisfaction des vrais patriotes, et dans les prisons des Carmes, les 2 et 3 septembre. Il m'en est passé par les mains ma bonne part de ces aristos! Je n'avais pour tout instrument qu'un merlin ; mais je savais m'en servir; la massue du peuple, quoi !
Les soldats laissèrent échapper un mouvement d'horreur pour le Marseillais !
Ce Marseillais, nous avons promis d'en donner la portraiture ; mais ce portrait, ne vient-il point de le donner lui-même dans ses horribles propos de bivouac? Tout au moins, nous a-t-il laissé voir la physionomie de son âme. Esquissons, en quelques traits, le physique du personnage.
Il était bâti en bœuf, d'une stature colossale, avec une tête énorme qui s'enfonçait dans des épaules robustes et rondes. Il avait la face couverte d'une sorte de lèpre, et comme sillonnée en tous sens par cette flétrissure mystérieuse, que le crime imprime toujours sur le visage des monstres. Sa bouche, habituellement contractée autour d'une pipe infecte, se déployait parfois dans un large rictus, qui courait d'un bout à l'autre de ce sinistre visage, percé de deux petits yeux louches, toujours clignotants. Son regard n'annonçait même pas l'énergie d'un franc scélérat, niais plutôt la férocité bestiale d'un fauve.
Le jacobin nourrissait une sombre rancune contre le capitaine Gobert, qui ne l'avait reçu qu'à contre cœur dans sa compagnie, et il l'accusait hautement de modérantisme.
Quant à ses égaux, il les dominait par son effronterie, par la force de ses muscles, et par ce pathos révolutionnaire, que lui avaient enseigné les clubs et les harangueurs de carrefours. Il était le politique de la compagnie, et on l'appelait le beau parleur.
Revenons, pour quelques minutes, au cercle dont nous suivions tout à l'heure la conversation …
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Louis- Admin
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Date d'inscription : 26/01/2009
Re: Le Martyre de la Vendée.
.I. — Le profanateur de la statue de saint Georges.(suite)
Revenons, pour quelques minutes, au cercle dont nous suivions tout à l'heure la conversation, et dans lequel notre Marseillais tenait le dé, sans conteste.
Il venait d'insinuer que le capitaine avait mis la main sur ce trésor légendaire, que gardait, dans l'église déserte, la grande statue de saint Georges.
— Eh bien ! non, dit un grenadier, qui avait voulu se rendre compte de la chose, non : voilà là-bas Gravelot, qui revient d'avec eux, et qui affirme qu'ils n'ont rien trouvé dans l'église.
— Allons donc ! reprit brutalement le Marseillais : nous sommes donc venus pour des mirabelles, pas vrai? pourquoi donc les paysans nous ont-ils dit qu'il y avait un trésor, dans le temple de la superstition?
— Puisque je te dis qu'on ne trouve rien ; vas-y voir.
— C'est bon, dit le septembriseur; j'irai ; je demanderai la permission d'insinuer une grenade dans cette statue, qui n'est qu'une lanterne magique à reliques; et nous verrons bien ce qu'elle a dans l'estomac !
— Toi ! tu feras cela dans cette église? dit un petit soldat breton, tout ému.
— Mais apprends donc, marmiton d'eau bénite, répliqua le Marseillais, apprends que j'y suis déjà venu en 93, dans ta sacristie que voilà; et c'est moi qui ai décroché tous les insignes de la superstition, avec la 2e du 1er bataillon marseillais. C'est-il vrai que je me bats l'œil de ta chapelle, et de tous les saints qu'il y a là-dedans !
— Tu te vantes, Marseillais, dit le capitaine Gobert, qui avait à peu près suivi l'entretien, tout en fumant sa pipe à quelques pas de là, et qui se rapprocha tout à coup de l'escouade ; oui, tu te vantes, tu n'oserais pas braver à ce point toutes les superstitions qui semblent habiter encore ce temple dévasté.
— Vous avez raison, capitaine, dit le lieutenant Geoffroy, qui suivait son chef : c'est quelque chose de formidable qu'une église, dans l'ombre de la nuit, surtout une église profanée.
— En sorte, lieutenant, reprit le capitaine, que vous n'iriez pas non plus, comme don Juan, narguer cette longue figure blanche qu'on aperçoit là-bas ?
— Non, certes !
— Ni moi non plus ; ni bien d'autres, qui se vantent d'être des esprits forts.
Le Marseillais, accroupi près de là, et accoudé sur son sac, écoutait cet entretien avec une visible impatience. Sa lèvre grimaçait, en tourmentant le tuyau de sa pipe, avec une expression de brutalité dédaigneuse, et sa hideuse physionomie avait pris je ne sais quel air infernal, qui respirait le blasphème.
Quand le lieutenant eût fini de parler, le Marseillais ôta d'une main la pipe de sa bouche, et prenant la parole avec cette familiarité insolente que les bandes populaires avaient portée dans les camps :
— Citoyen capitaine, dit-il, vous croyez que je me vante ? C'est une injure que je ne mérite pas. Oui, ajoutait-il, d'un ton de bravade, je serais flatté, moi, de montrer ici à ce tas de merluches comment se conduit un vrai soldat patriote, dans la boutique des superstitions. Il y a là-bas, dans sa niche, un ancien qui a fait tirer son portrait en pierre de taille, crainte de s'enrhumer; c'est un suspect, qui a servi les tyrans. Depuis que je suis ici, les mains me démangent de lui chatouiller la plante des pieds. D'autant plus, citoyen capitaine, que le bonhomme de pierre se chauffe les pieds, dit-on, sur une tirelire, comme un accapareur qu'il est de la nourriture du peuple.
Donc, avec votre permission, capitaine, je lui poserai un pétard, en guise d'emplâtre, sur ses durillons ; et vous lui verrez faire la cabriole, patriotiquement, en partant du pied gauche.
Ces paroles firent sensation parmi les militaires.
Oh ! Marseillais, dit le petit Breton, tu ne feras pas çà !
— Quoi ! beugla le jacobin furieux, en se redressant, qui m'empêchera donc de le faire, du moment que le citoyen capitaine y prête son libre arbitre ? C'est donc que tu me défies, toi, petit soldat de papier ?
— Oui, reprit le Breton piqué, je te défie.
— Capitaine, vous permettez, pas vrai ?
— Ça te regarde, mon garçon, dit le capitaine, qui se savait suspecté d'avoir pris le trésor ; ça te regarde ; je ne m'y oppose pas.
— Ça y est, s'écria le forcené patriote : sergent, tu vas me délivrer un projectile, bon pour la démolition d'un aristocrate en peinture.
Il se leva…
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Louis- Admin
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Re: Le Martyre de la Vendée.
.I. — Le profanateur de la statue de saint Georges.(suite)
Il se leva.
Dès que l'attentat fut ainsi résolu, une certaine stupeur saisit toute la compagnie. On fit silence.
Le sergent fouilla dans les bagages, et remit au Marseillais une grenade, sorte de petite bombe explosive, dont on se servait dans cette horrible guerre pour dévaster les habitations.
— Bon, s'écria cet homme, en lâchant d'entretenir à froid son imbécile audace ; à moi, les vrais jacobins ; qui m'aime me suive.
Il n'eut pas un mot de réponse, et ce silence glacial de la troupe le refroidit un peu lui-même.
Cependant, il s'avança vers le portail de l'église. Les soldats le suivirent de loin, avec un sentiment de religieuse terreur. Le capitaine et le lieutenant s'avancèrent, à pas lents, derrière leurs hommes.
Arrivé devant le porche ténébreux, le Marseillais se retourna :
— Êtes-vous là tous, trembleurs stupides? leur cria-t-il. Toi, sergent, prête-moi ton briquet, pour allumer ma mèche là-bas, dans le fond de la bicoque.
Comme il mettait le pied sur le seuil du temple, un oiseau de nuit, effarouché, s'envola d'un creux des sculptures du portail, en poussant un long cri funèbre.
— Marseillais, n'entre pas, cria le Breton, d'une voix troublée.
— Pleure pas, ma petite nitouche, répondit le profanateur ; je te rapporterai du pain bénit.
Et il s'enfonça résolument dans les ténèbres. Bientôt, on le perdit de vue. Cependant, en plongeant les regards dans les profondeurs de l'église, on pouvait distinguer quelques clartés tremblantes. Un rayon de lune, glissant à travers la grande fenêtre du chœur, tombait en plein sur la statue de saint Georges, qui se détachait ainsi, toute blanche, au milieu des ténèbres, et paraissait comme éclairée d'une lumière miraculeuse. Mais c'était la nuit noire dans toute la longueur de la nef.
Le Marseillais lui-même fut obligé de ralentir sa marche. On entendait le fer de ses talons retentir lourdement sur les dalles sépulcrales, et le bruit de ses pas cadencés éveillait des échos sinistres, qui roulaient sous les voûtes. Il semblait qu'une voix formidable sortait de toutes les pierres pour crier vengeance contre l'audacieux profanateur.
Le Marseillais, pour la première fois peut-être, parut éprouver un remords. Quand il approcha du chœur, on le vit s'arrêter un instant ; il semblait hésiter. Mais comment reculer maintenant, après s'être si bruyamment engagé dans l'attentat qu'il méditait? Il franchit lentement, l'un après l'autre, les degrés de marbre du sanctuaire. On le vit s'arrêter au pied de l'autel, alors en partie éclairé par les rayons qui tombaient sur la statue. On vit poindre une étincelle. Soudain éclate une immense gerbe de feu, et une explosion se fait entendre : c'était comme un coup de tonnerre, dans le fond de l'édifice sacré. Le sanctuaire parut tout en flammes, et dans ces clartés terribles, on aperçoit la grande et lourde statue chanceler sur sa base, et avec un fracas qui fait trembler tout l'édifice, elle tombe ; elle tombe sur l'impie qui vient de la renverser.
Le tout se produisit avec la promptitude d'un éclair.
Et dans ces bruits sinistres, on entendit comme un ricanement affreux qui semblait sortir de l'enfer.
La plupart des soldats avaient pris la fuite. Le sergent et quelques officiers entrèrent, et se heurtant à quelques fragments de la statue, ils n'osèrent aller plus loin ; ils sortirent glacés d'épouvante.
Le lendemain, officiers et soldats voulurent se rendre un compte exact des effets de l'explosion.
Ils trouvèrent le Marseillais écrasé tout du long par la masse de granit qui lui était tombée sur le corps, pied contre pied, poitrine contre poitrine : la cervelle avait jailli hors du crâne, et le hideux visage du misérable était rejeté en arrière, sur le pavé, comme pour fuir la rencontre de son redoutable vainqueur.
Aucun homme de la compagnie ne voulut accepter de donner la sépulture au profanateur; son cadavre demeura gisant sur les dalles de l'église.
Dès le matin, le capitaine décampait avec ses hommes, et tous quittaient Saint-Cyr avec la conviction profonde qu'il y a dans le Ciel un Dieu vengeur, et qu'on ne brave jamais impunément sa justice et sa sainteté (1).
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(1) V. OURLINO, 1843, p. 279. L'auteur, dans ses Contes du Bocage, paraît avoir ajouté quelques détails légendaires au fond très historique de son récit.
A suivre : II. — Le mauvais riche de Loroux et la fille de la punition.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
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Re: Le Martyre de la Vendée.
.II. — Le mauvais riche de Loroux et la fille de la punition.
Quelques années après la Révolution française vivait à Loroux, dans la Vendée angevine, un homme étrange, que les habitants se montraient du doigt comme une des curiosités du pays.
Curiosité terrible ! car on fuyait à son aspect, comme devant un fantôme infernal.
Cet homme était né pauvre ; et voici qu'au sortir de la Terreur, qui avait anéanti de si nobles et si puissantes fortunes, lui, grâce à ses vols patriotiques, était devenu le plus opulent propriétaire de la contrée.
Il avait un logis splendide ; il avait de grands troupeaux et des domestiques nombreux. Il possédait tous les biens qu'on peut envier en ce monde, tous... excepté le bonheur sous son toit et la paix dans son âme.
C'était le mauvais riche de Loroux.
Une lourde malédiction pesait sur lui et sur sa famille.
Jamais les mendiants ne s'arrêtaient à sa porte ; et les voyageurs hâtaient leur course, quand ils passaient devant sa demeure.
Le jour, on n'entendait chez lui que des blasphèmes ; la nuit, des cris effrayants.
Quel était ce mauvais riche? Le vicomte Walsh va nous répondre, dans un récit saisissant, qui est devenu populaire en Vendée.
« En passant au village de Bois-Guillé, dans la commune de Loroux, nous dit-il, je me rappelai que la tradition peuplait de sorciers cette contrée sauvage.
« La nuit avait tout à fait remplacé le jour. La lune, qui s'élevait à l'horizon, dissipait à peine les ombres. À sa lueur incertaine, je cheminais seul. Tout ce que j'avais vu et entendu de triste revenait dans ma mémoire et pesait sur mon âme. J'étais arrivé à une lande. Incertain de mon chemin, j'hésitais.
« Tout à coup, une voix grêle et perçante retentit au milieu du silence. Elle chantait un refrain de la Révolution. Etonné, j'écoute et je distingue ces affreuses paroles :Du sang ! du sang ! il faut du sang
Pour régénérer la République !
« Saisi d'horreur, j'écoutais encore. La voix cessa. Alors un rayon de la lune perçant la déchirure d'un nuage, je vis non loin de moi une femme, assise sur les ruines d'un calvaire, où la croix n'avait point été redressée. J'approchai : la femme ne se leva point; elle resta immobile, les yeux fixes; ses lèvres proféraient des sons confus. Subitement, elle fit entendre une plainte, un gémissement, un cri impossible à redire : c'était comme le dernier cri d'un mourant.
« Je frissonnais et je frisonne encore, en cherchant à vous peindre ce que j'ai entendu. Jamais accents si plaintifs et si lugubres n'avaient frappé mon oreille. Je crus que j'avais effrayé la malheureuse que je voyais devant moi, et je lui dis : « Je viens vous demander le chemin ; n'ayez pas peur. »
— Peur ! répéta-t-elle ; Oh ! je n'ai jamais peur, moi ! C'est moi qui fais peur aux autres…
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Re: Le Martyre de la Vendée.
.II. — Le mauvais riche de Loroux et la fille de la punition.(suite)
— Peur ! répéta-t-elle ; Oh ! je n'ai jamais peur, moi ! C'est moi qui fais peur aux autres. Quand les petits enfants m'aperçoivent dans les champs, ils se mettent à s'enfuir et à crier : Voilà la Fille de la punition ! Aussi, je ne sors que la nuit; je viens m'asseoir ici, et pour me distraire, je chante. »
« Et avec un éclat de voix, que les échos redirent au loin, elle répéta :Du sang ! du sang ! il faut du sang !
« Un cri semblable à celui que j'avais entendu, et qui m'avait fait frémir, s'échappa de sa poitrine et interrompit l'horrible refrain.
« Alors, je pus contempler l'être que j'avais devant les yeux. Son corps était athlétique. Une tête énorme pesait sur ses épaules ; un large chapeau de paille, rejeté en arrière, n'était retenu que par un ruban rouge, traçant autour de son cou comme une raie de sang, et laissant voir des cheveux raides, qui tombaient en désordre. Ses bras, à moitié nus, étaient maigres, et ses mains, d'une grandeur démesurée. Tout ce que la laideur a de hideux, tout ce que l'imbécillité a de triste, se trouvait sur son visage ; sa vue inspirait plus d'épouvante que de pitié.
« En me voyant la regarder, elle ne semblait point embarrassée de mes regards; les siens restaient toujours fixes. Une de ses mains tenait un couteau. Je vis du sang sur son vêtement gris. A ses pieds, un agneau saignait encore. Elle me le montra et me dit :
— « Mon père m'a ordonné de le tuer ; c'est moi qui les tue, quand il nous en faut. C'est mon plaisir lorsque j'enfonce mon couteau dans le cou d'un petit agneau. J'appelle sa mère; elle vient pleurer auprès de moi, et moi, ça me fait rire. »
« Et proférant ces mots, elle riait d'un rire satanique.
« Je remarquai, dispersés sur l'herbe, les restes moussus de la croix ; la figure d'un Christ, grossièrement sculptée, s'y trouvait encore. Cette malheureuse folle posait indifféremment ses pieds sur l'image sacrée. Cela ajouta à mon horreur.
« Tout à coup, celle qui s'appelait la Fille de la punition se leva, jeta encore son cri épouvantable et s'éloigna, chargée de son agneau sanglant. Bientôt, j'entendis d'autres voix se mêler à la sienne ; des jurements, des blasphèmes vinrent jusqu'à moi. »
« Je me dis : C'est sans doute la famille du mauvais riche de Loroux ; je suis près de cette maison maudite, où le pauvre ne s'arrête jamais. La folle que je viens de voir est peut-être la fille de la maison.
« La lune, dégagée de nuages, s'élevait dans le ciel, et me montrait le chemin que je devais suivre. Je me hâtai de le prendre, et déjà, à travers les peupliers de la colline, j'apercevais une lumière : c'était celle du salon où j'étais attendu. J'arrivai bientôt. On me reprocha de revenir si tard. Pour m'excuser, je redis tout ce que j'avais vu et entendu; l'effrayante vision du calvaire en ruines.
— Quoi ! me dit un de ces vieux soldats qui ont toujours suivi les armées vendéennes, vous avez vu ce monstre !
— Oui, répondis-je, et je frissonne encore en pensant à son horrible aspect. Quelle est cette femme? Elle m'a dit que dans le pays on l'appelait la Fille de la punition.
— Et en effet, répliqua le Vendéen, c'est ainsi qu'on la nomme.
Elle est la terreur de la contrée. Plusieurs fois je l'ai trouvée, quand j'étais attardé dans les chemins, et comme à vous, son souvenir me fait mal. J'ai appris qui elle était.
— Ah ! racontez-nous son histoire, fut un cri général.
On se rapprocha de la table ; les femmes abandonnèrent leur ouvrage ; le plus grand silence régna dans le petit salon, et le Vendéen nous dit ce que je vais vous répéter mot pour mot.
« Une famille de patauds habite dans ces contrées. Je me garderai bien de vous dire si c'est à dix ou à deux lieues…
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Re: Le Martyre de la Vendée.
.II. — Le mauvais riche de Loroux et la fille de la punition.(suite)
« Une famille de patauds habite dans ces contrées. Je me garderai bien de vous dire si c'est à dix ou à deux lieues. Il faut montrer au doigt l'homme de bien, pour qu'on l'imite ; mais il ne faut pas désigner le méchant, de peur d'éveiller la vengeance. Laissons Dieu et la justice se charger du soin de découvrir et de punir. A nous n'appartient que la haine du crime.
« Cette famille était composée du mari, de la femme et d'un fils. Ils ne s'étaient pas crus en sûreté dans la nouvelle habitation qu'ils venaient d'acquérir. Le voisinage de nos soldats les inquiétait, et ils étaient allés augmenter, à Nantes, le nombre des familles réfugiées.
« De temps en temps, la femme quittait la ville et venait en secret visiter son nouveau domaine. Dans ses excursions, elle épiait les royalistes qui se trouvaient éloignés de l'armée. Avec une cruelle adresse, elle savait découvrir les infortunés qui se cachaient, et elle se hâtait de les dénoncer au comité du Salut Public. On dit que, plus d'une fois, elle-même contribua activement à arrêter des femmes vendéennes.
« Quand elle était à Nantes, son grand plaisir, son plaisir de chaque jour était d'aller passer ses matinées en face de la guillotine dressée près du Bouffay. Dès le commencement du jour, elle envoyait garder sa place pour de l'argent, et ne quittait le lieu des exécutions que lorsque la lassitude du bourreau laissait en repos l'instrument fatal.
« Cette femme (je rougis de lui donner ce nom), continua de repaître sa cruauté de ces sanglants spectacles. Les bourreaux lui laissèrent peu de jours sans plaisir ; et à toutes les exécutions, elle ne manqua pas de venir, avec son ouvrage, à sa place accoutumée.
« Elle trouvait un grand attrait dans les apprêts du supplice.
« Elle aimait à insulter aux victimes jusque sur l'échafaud.
« Mais ce qui la faisait hurler d'une infernale joie, c'était le dernier cri que poussaient les suppliciés. Dans cet instant, elle se levait; ses yeux brillaient comme les yeux du tigre qui va boire du sang; elle trépignait de délire et criait : Mort ! mort aux aristocrates !
« Dieu a été juste envers elle. Un enfant lui est né ; c'est la Fille de la punition ; c'est le monstre que vous avez vu. Cette fille est hideuse comme l'âme de sa mère, horrible comme le souvenir du crime. Idiote dès son enfance, elle n'a rien pu apprendre ; elle ne sait que le cri des mourants, et un effroyable tic le lui fait répéter à chaque instant du jour.
« Quand ses parents veulent oublier le passé, quand ils rassemblent des gens de leur espèce et qu'ils cherchent à s'étourdir, la Fille de la punition est là, comme un remords incarné, et le cri sinistre vient retentir et arrêter la joie qu'ils voudraient avoir. A table, le jour, la nuit, ils sont condamnés à l'entendre. C'est en vain que pour lui faire étouffer ce cri, ils la frappent et la maltraitent. Pour éviter leurs coups, elle n'ose fuir au dehors ; elle sait la peur qu'elle inspire. Alors, elle passe les journées blottie dans quelque coin obscur, et ce n'est qu'à la nuit qu'elle sort de l'enclos de la maison maudite (1).
Les deux exemples qu'on vient de lire suffiront à nous exprimer la morale de tout un vaste ensemble de récits, non moins terribles et populaires en Vendée, sur les châtiments providentiels des bourreaux et des profanateurs.
La grande leçon qui s'en dégage est celle que le poète romain entendait retentir au fond du Tartare antique, et qui est le cri de la conscience humaine :
Il y a une justice éternelle et inexorable, qui poursuit et qui atteint toujours les contempteurs des lois divines, et qui frappe le bourreau à côté de sa victime :
Discite justitiam moniti, et non temnere Divos.
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(1) Lettres vendéennes pp. 345, 354.
A suivre : Épilogue.
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Re: Le Martyre de la Vendée.
.ÉPILOGUEMementote operum patrum
Souvenez-vous de vos pères,
de leurs souffrances et de leurs combats.
MACHA. I. c. II. 51.
L'histoire a désormais rendu pleine justice aux souffrances et aux combats de la Vendée, en la couronnant du triple diadème de la vaillance, de la gloire et de la sainteté : corona aurea super caput ejus, expressa signo sanctitatis, gloria honoris, et opus fortitudinis (1).
Mais cet honneur, décerné par l'histoire à la Vendée militaire, comme à la Vendée martyrisée par la Révolution, est-ce bien assez pour immortaliser ces grands souvenirs dans la mémoire du peuple vendéen ?
Ce n'est pas dans les livres, c'est dans les monuments, c'est sur la pierre, sur le marbre et sur le bronze que le peuple regarde le passé.
Pourquoi la Vendée de 1793 n'aurait-elle pas son monument ou sa chapelle, qui serait la chapelle de ses soldats et de ses martyrs, de tous ceux qui ont versé leur sang pour défendre ou pour affirmer sa foi catholique?
C'est la sainte et patriotique pensée qui réunissait un jour plus de 15.000 Vendéens sur le point culminant du Bocage, la montagne des Alouettes, dans une circonstance solennelle, que nous voulons rappeler ici, comme une sorte d'épilogue de notre trilogie : La Vendée avant 1793 ; La Vendée militaire, et le Martyre de la Vendée pendant la Révolution.
La montagne des Alouettes, qui s'élève près du bourg des Herbiers, est une des curiosités pittoresques du département. Son sommet est à 238 mètres d'altitude au-dessus du niveau de la mer. Elle fait partie de cette longue chaîne granitique de collines courant du sud-est au nord-ouest, entre le haut Plateau central et le Bas-Poitou.
On en fait l'ascension par une pente assez douce. La route contourne lentement les flancs de la montagne, et permet au piéton de jouir, sans trop de fatigue, des perspectives merveilleuses que sa marche ascendante varie à chaque pas, et déroule successivement devant ses yeux.
Arrivé sur la cime, le spectateur a devant lui, à tous les points de l'horizon où son regard se dirige, le plus splendide et le plus saisissant des panoramas.
Par un beau jour de printemps ou d'été, il voit, au premier plan, la gracieuse petite ville des Herbiers, qui lui semble enchâssée dans une corbeille de fleurs et de feuillages.
Plus loin la vue, en plongeant vers le nord-ouest et le couchant, embrasse d'un coup d'œil toute l'étendue du Bocage, qui se déploie comme une immense mosaïque de verdure, émaillée des nuances les plus riches et les plus variées.
Si l'œil de l'observateur est aidé d'un bon télescope, il voit fuir les limites de l'horizon dans des lointains sans bornes.
Il découvre les tours massives de Saint-Pierre de Nantes, la flèche élégante de la cathédrale de Luçon, le château de Pierre-Levée, avec la ceinture bleue de l'Océan, les grandes forêts de la Gâtine et de l'Anjou, et dans ce cercle grandiose s'encadre toute cette province historique, peuplée des plus illustres souvenirs, et qui s'appelle la Vendée militaire.
Le 18 septembre 1823, une fête d'une incomparable magnificence réunissait…
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(1) Office d’un martyr.
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Re: Le Martyre de la Vendée.
.ÉPILOGUE(suite)
Le 18 septembre 1823, une fête d'une incomparable magnificence réunissait, sur cette montagnette, une grande foule, qui en couronnait les flancs et le sommet. Sur cette multitude de têtes humaines flottaient des milliers d’étendards.
Et du milieu de ce grand peuple, animé par une seule pensée, et transporté par un même sentiment, s'élevait un concert d'acclamations joyeuses, expression puissante de l'enthousiasme qui faisait battre tous les cœurs.
On peut dire que toute la Vendée catholique et guerrière était là, debout, dans la personne de ses anciens chefs et des vétérans, très nombreux encore, de la Grande Guerre. On comptait là 15.000 paysans soldats.
Plusieurs d'entre eux portaient les mêmes armes rustiques dont ils avaient fait un si redoutable usage, sur les champs de bataille de 1793 : les fourches, les pieux et les mauvais fusils de chasse, qui avaient épouvanté les armées révolutionnaires, et soulevé l'admiration de l'Europe.
Quel était donc l'objet de cette imposante manifestation?
Quel était le motif d'une fête qui, après un quart de siècle, semblait réunir de nouveau sous les armes les vieilles troupes de Charette, de Lescure, de Henri de la Rochejacquelein et de Cathelineau, comme si de nouveaux tocsins avaient retenti tout à coup dans tous les clochers du Bocage ?
Le motif et l'objet de la fête étaient en parfaite harmonie avec la grandeur de la manifestation, comme avec la beauté pittoresque de la montagne qui en était le théâtre.
Il s agissait de bâtir une chapelle monumentale à la mémoire des soldats et des martyrs vendéens ; et on voulait l'ériger sur ce haut plateau granitique, point central du vaste champ de combat et de l'immense arène où la Vendée avait tant lutté, où elle a tant souffert pour la plus sacrée et la plus grande des causes, la liberté de sa foi.
Une des plus touchantes victimes de la Révolution, une princesse dont le nom rappelait tous les malheurs et toutes les vertus, la duchesse d'Angoulême, avait conçu le projet de ce monument. Elle venait elle-même en désigner la place, et la Vendée était là, pour s'associer à sa noble et généreuse pensée.
La fille du roi martyr voulait voir, dans la glorification de la Vendée chrétienne et martyre de sa foi, le gage d un avenir toujours digne d'un si glorieux passé.
La chapelle fut construite en partie dans des proportions assez modestes, mais avec un vrai caractère de beauté architecturale, qui la rendait digne de sa destination.
La première pierre avait été posée par Monseigneur Soyer, le 18 septembre 1825.
Les travaux furent arrêtés par la Révolution de 1830 et n’ont pas été repris.
Depuis lors, le siècle a marché vite dans des chemins nouveaux ; il s'est épris d'idées nouvelles, et n'éprouve plus les enthousiasmes qu'inspiraient les idées d'autrefois.
Autour du monument dressé à la mémoire de nos Machabées, l'oubli s'est fait, comme autour de leurs tombes, et l'ingrate indifférence des fils insoucieux de l'héroïsme de leurs pères délaisse la glorieuse chapelle dans son désert.
En face de ces ruines, qui sont comme un reproche jeté contre l'honneur de la Vendée, combien ceux qui ont le culte du passé aimeraient à reprendre la religieuse et patriotique pensée de 1823 !
Ils voudraient espérer qu'un jour, de tous les points du Marais de la Plaine et du Bocage, on verra les sentiers se remplir de files innombrables de pèlerins, cheminant, sous leurs bannières déployées, vers la montagne des Alouettes.
On les verra monter vers cette chapelle.
Ce sera la Chapelle de nos Martyrs canonisés, renouvelée et embellie par nos artistes vendéens, se dressant comme un rond-point radieux au centre des vieux champs de batailles de la Vendée, et comme une sorte d'apothéose de l'héroïsme et de la foi.
Ce sera la Vendée catholique, reprenant l'antique devise, devise toujours jeune, toujours opportune et toujours féconde :En avant, pour Dieu et pour la patrie !
A suivre : Pièces justificatives.
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Re: Le Martyre de la Vendée.
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