ANARCHIE DANS L'ART.

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Message  Roger Boivin Dim 31 Oct 2010, 10:29 pm


( 2° élément, LA COMPOSITION - 10 lois essentielles - ) :

(suite)

La composition est soumise à des lois et à des règles ; les premières sont essentielles, les secondes superficielles. L'artiste de génie fera œuvre belle, même en violant les règles, mais jamais il ne transgressera les lois. Il faut, en effet, pour produire une grande œuvre d'art, obéir aux lois essentielles de la composition, qui sont au nombre de dix.

Si l'on veut faire une œuvre pittoresque, on se servira de masses et de lignes angulaires.

1. Celles-ci placées librement provoqueront en nous la gaieté.
2. Les lignes serpentines donnent une impression de grâce et éveillent en nous le charme.
3. Si l'on veut, au contraire, faire œuvre sublime et monumentale, on se servira de lignes pyramidales.

Une Descente de Croix de Rubens est, par exemple, une œuvre d'art sublime. Peut-on en dire autant du Christ portant sa croix, de Breughel ? Il y a absence de disposition pyramidale, et l'on se demande où est le Christ, où est la croix ?



ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Dyn00310

Rubens.


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Portem10

Breughel



4. La quatrième loi de la composition est l'unité du sujet,
5. la cinquième, la concentration des effets.

Dans toute œuvre d'art il doit y avoir un point central d'intérêt. Dans une statue où il n'y a qu'une seule figure, le point central est le visage ; dans un groupe de figures, il doit y en avoir une qui doit attirer davantage notre attention. Velasquez, dans sa Reddition de Bréda ou Tableau des lances, a fait une faute de composition ; l'œuvre hardie et originale est cependant moins réussie que celle de David, le Couronnement de Napoléon. David était de beaucoup inférieur à Velasquez, mais dans cette œuvre le grand empereur domine réellement la foule ; tout lui est subordonné dans le tableau.



ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Velasq10

Velasquez


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Lesacr10

David



6. La sixième loi est l'équilibre des masses ;
7. la septième est la clarté. C'est une loi qu'il ne convient jamais de transgresser, surtout lorsqu'on traite d'un sujet symbolique.
8. La huitième loi est la simplicité ; on doit retrancher tout ce qui n'est pas nécessaire. La Dernière Cène de Léonard de Vinci est la parfaite illustration de cette loi.



ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 La_rep10

Léonard de Vinci



9. Enfin, l'œuvre doit être proportionnée et
10. harmonieuse.

Les artistes des siècles passés connaissaient toutes ces lois qui n'avaient point besoin d'être codifiées à ces époques. Ils les appliquaient plus ou moins fidèlement, et c'est dans la mesure où ils les respectaient qu'ils étaient plus ou moins grands.

Les artistes modernes, eux, semblent les oublier, étant surtout intéressés à l'art décoratif ou vulgaire. Le grand art ne leur dit plus rien, ils se complaisent dans le tout petit.


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Message  Roger Boivin Dim 31 Oct 2010, 11:54 pm


( 3° élément, L'EXPRESSION, qui se divise en trois :  primaire ;  secondaire ;  tertiaire. ) :

Le troisième élément d'une œuvre d'art est l'expression. L'Art, nous l'avons dit, se divise en deux catégories distinctes : l'art décoratif et l'art expressif.

Le premier, s'adressant exclusivement aux sens, exprime la beauté sensible. C'est aussi le fait de l'art expressif, mais il exprime en plus des idées et des sentiments. C'est par cela d'ailleurs qu'il est plus grand que l'autre, qu'il a une importance, spirituelle ou morale, que l'autre n'a pas. La hiérarchie existe dans les choses comme dans les êtres. L'art expressif ou le grand art comporte un sujet qui offre une ou plusieurs figures. L'artiste complet, une fois son sujet choisi, exprime toujours trois choses : les actions et les émotions de chacun de ses personnages, dans leurs mouvements corporels comme dans leurs traits. Si l'on veut exprimer la fierté dans une statue, il est évident qu'il ne faudra pas y mettre le mépris puisque les deux sentiments sont totalement distincts. Et la fierté devra être seule exprimée, si le sujet l'exige. Cette forme d'expression des figures individuelles s'appelle l'expression primaire, que l'on recherche délibérément.

Le grand artiste exprimera dans l'ensemble de l’œuvre non seulement l'expression individuelle des visages, mais aussi la pensée que le tableau entier est censé d'exprimer. C'est ce qu'on appelle l'expression secondaire. La Paix de Puvis de Chavannes, au Musée d'Amiens, illustre parfaitement cette loi : l'idée de paix paraît non seulement sur les figures mais dans le tableau tout entier, et cela par la composition, le coloris, l'ombre et la lumière, par l'idéalisme de la forme et par le style.

Enfin, il y a une autre expression, que l'on nomme tertiaire. L'artiste sincère avec lui-même et qui ne veut point imiter quelque maître ou suivre rigoureusement le style et la manière de son époque, s'exprimera inconsciemment dans son œuvre par la transparence de son tempérament et des caractéristiques de son âme. S'il veut faire un usage plus grand de sa liberté, tout en respectant les limites permises, c'est-à-dire en tenant compte des éléments spirituels d'une œuvre d'art, il extériorisera davantage son tempérament en inventant une manière qui lui sera propre. Cette expression sera évidemment consciente.


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Message  Roger Boivin Lun 01 Nov 2010, 2:04 pm


Il est une loi générale qu'il ne faut point aussi méconnaître : l'artiste doit exprimer les caractéristiques essentielles d'un objet ou d'un sujet. Il est, par exemple, indifférent de peindre la soie de telle manière, ce qui importe c'est de faire sentir que la soie peinte est de la soie et non pas de la laine. Le même principe s'applique notamment aux figures historiques. Tout le monde admettra que la plus célèbre est celle de Jésus-Christ. Ernest Renan(1) dit que Jésus-Christ occupe, de l'aveu unanime, « le plus haut sommet de la grandeur humaine ». Si l'artiste veut exprimer la nature de cet homme unique il devra en faire un personnage divin. Il devrait toujours avoir le bon goût de puiser son inspiration dans le sentiment chrétien. Les représentations de Jésus ou du Christ sont innombrables. Le type physique est à peu près le même dans tous les cas. Les premiers artistes qui ont représenté cette figure historique, n'ayant point de portrait véritable du personnage, ont suivi la tradition. Ce sont les portraits byzantins du V° siècle que l'on trouve dans les mosaïques de Ravenne. Depuis, tous les artistes se sont guidés sur ces portraits pour représenter Jésus-Christ ; s'ils ne les avaient point eus, ils auraient été obligés de se faire une conception physique du personnage.



ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Christ30

Mosaïques de Ravenne ( détail )

Cela n'aurait pas été chose facile, car les Évangiles sont peu loquaces à ce sujet, se contentant de dire que « Jésus était le plus beau des enfants des hommes ». La seule description du Christ est celle de Lentulus, gouverneur de la Judée, ami de Ponce-Pilate. Dans une lettre adressée au Sénat Romain, publiée par Fabricius, il disait : « Jésus-Christ a un aspect majestueux et une figure rayonnante pleine de suavité ; tous ceux qui le voient sont pénétrés à la fois d'amour et de crainte. On dit que son visage rose, à la barbe divisée par le milieu, est d'une beauté incomparable et que personne ne peut le regarder féxément sans en être ébloui. Par ses traits, il ressemble à sa mère qui est la plus belle et la plus douce figure que l'on ait jamais vue dans ces contrées, etc.»(2).

Cette description n'est pas tout à fait conforme à celle de la tradition qui informa l'artiste byzantin que Jésus portait des cheveux mi-longs, séparés par le milieu ; qu'il avait le nez droit et légèrement aquilin, que ses yeux étaient plutôt grands et qu'il avait le teint brun. Ces caractéristiques sont visibles dans les mosaïques de Ravennes. Par contre, la nature divine du personnage est nulle dans ces représentations.

C'est ici que l'artiste doit puiser son inspiration, nous l'avons dit, dans le sentiment chrétien. Pendant de nombreux siècles, des artistes ont peint la figure du Christ-Jésus, mais aucun n'a réussi comme Léonard de Vinci à la peindre avec une si grande puissance d'expression. Son personnage est divin. C'est une étude de Léonard pour sa Cène.


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Atude_10

Léonard de Vinci - Etude pour la tête du Christ de la Cène ; Pinacothèque de Brera - Milan.
( Je n'ai trouvé que ce portrait là ! pas fameux ! ça ne doit pas être celui-ci certain ! il me fait penser plutôt à saint Jean. (roger))



Cinq grands artistes de la Renaissance ont représenté la Cène. Ce sont : Ghirlandajo, Raphaël, Léonard de Vinci, Del Sarto et le Tintoret. Le moment choisi par ces peintres est celui où le Maître vient de dire aux douze convives : « En vérité, je vous le dis, l'un de vous me trahira ». Ces paroles ont causé la crainte et l'effroi. Les trois premiers artistes n'ont pas compris le sujet : Ghirlandajo et Raphaël nous ont donné un repas pacifique sans aucune signification particulière ; le Tintoret a fait une Cène Turbulente au cours  de laquelle il ne se passe rien de dramatique. Del Sarto, en revanche, a su exprimer le tumulte que causèrent les paroles de Jésus, mais sa Cène est inférieure à celle de Léonard de Vinci parce qu'elle n'atteint pas à la même profondeur d'expression. De plus, elle est insuffisante. Tel est d,ailleurs le jugement de la postérité. Le Jésus de Del Sarto est faible ; celui de Léonard de Vinci est surhumain. Jésus dans la Cène de Del Sarto ne domine pas toutes la scène comme le requiert le sujet. Au surplus, le peintre n'a pas réussi à exprimer la consternation que causèrent les paroles du Maître, les figures des disciples révélèrent plutôt la perturbation intellectuelle. Dans la Cène de Léonard de Vinci c'est la fusion de tous les éléments en une œuvre d'art finie. Il n'y a rien à ajouter, rien à retrancher. Les esprits curieux pourront lire à ce sujet les descriptions de Goethe et d'Abel Fabre.


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Domeni10

Dominico Ghirladaio


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Raphaa10

Raphaël


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 La_rep11

Léonard de Vinci


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Del_sa10

Del Sarto


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Tintor10

Tintoret


Pourquoi Léonard de Vinci a-t-il mieux réussi que les quatre autres peintres sus-nommés à faire œuvre plus grande, plus belle ? Tout simplement parce qu'il a su donner au sujet une expression suffisante.



(1) - Catholique d'abord, il s'est détourné de sa vocation ecclésiastique ; il perdit la foi ; il est devenu un rationaliste.


(2) - LETTRE (complète) DE FABRICIUS PUBLIUS LENTULUS
Gouverneur de la Judée sous le règne de Tibère César au SÉNAT ROMAIN.

Publius Lentulus TIBÈRE EMPEREUR
- Salut -

Voici, Majesté, la réponse que tu désires.

Il est apparu un homme doux d'une puissance exceptionnelle, on l'appelle le grand prophète; ses disciples l'appellent FILS DE DIEU, son nom est JÉSUS-CHRIST. En vérité, César, on entend raconter chaque jour, des choses merveilleuses de ce Christ qui ressuscite les morts, guérit toute infirmité et tonne toute Jérusalem par sa doctrine extraordinaire. Il a un aspect majestueux et une figure rayonnante pleine de suavité ; de manière que tous ceux qui le voient sont pénétrés d'amour et de crainte la fois. On dit que son visage rose à la barbe divisée par le milieu est d'une beauté incomparable et que personne ne peut le regarder fixement sans en être ébloui.

Par ses traits, ses yeux bleus ciel, ses cheveux châtain clair, il ressemble sa mère qui est la plus belle et la plus douce des femmes que l'on ait jamais vue dans ces contrées. Son langage précis, net, grave, inattaquable est l'expression la plus pure de la vertu, d'une science qui surpasse de beaucoup celle des plus grands génies.

Dans ses reproches et dans ses réprimandes il est formidable; dans son enseignement et ses exhortations il est doux, aimable, attrayant, irrésistible. Il va nu-pieds et tête-nue; le voir de loin, on rit, mais en sa présence on tremble et l'on est déconcerté. On ne l'a jamais vu rire, mais on l'a vu pleurer. Tous ceux qui l'ont approché disent qu'ils en ont reçu santé et bienfaits; néanmoins je suis harcelé par des méchants qui disent qu'il nuit grandement à Ta Majesté , parce qu'il affirme publiquement que les rois et leurs sujets sont égaux devant DIEU. Commande-moi donc, Tu seras promptement obéi.

P.Lentulus.
Proconsul romain en Judée.


PUBLIUS LENTULUS
Gouverneur de la Judée sous le règne de Tibère César
au Sénat Romain


**


Pères Conscrits,

Il a paru de nos jours un homme d'une grande vertu, qui est encore au milieu de nous, et qu'on nomme Jésus-Christ. Les Gentils le regardent comme un véritable prophète; mais ses disciples l'appellent FILS DE DIEU. Il ressuscite les morts et guérit les malades. Il est d'une taille assez grande, bien fait, bien proportionné ; ses mains et ses bras sont d'une beauté remarquable, son air inspire le respect et fait éprouver un mélange d'amour et de crainte. Ses cheveux sont de la couleur d'une aveline très mure jusqu'aux oreilles, et de là, jusqu'à leur extrémité, ils sont plus brillants, et se répandent en boucles légères sur ses épaules : ils sont partagés sur le sommet de la tête ; la manière des Nazaréens. Son front est uni et pur. Aucune tache ni ride ne dépare son visage doucement coloré. Son nez et sa bouche sont formés avec une parfaite symétrie. Sa barbe est épaisse, de la couleur de ses cheveux, pas très longue, et elle se divise vers le milieu. Il a le regard bienveillant et noble. Ses yeux sont gris, brillants, vifs. Il censure avec majesté, exhorte avec douceur, parle avec retenue, modestie et sagesse. Jamais on ne l'a vu rire, mais souvent on l'a vu pleurer. C'est un homme qui, par sa rare bonté, surpasse les enfants des hommes.


source : www.livres-mystiques.com

http://www.serfes.org/spiritual/january2004.htm


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Message  Roger Boivin Mer 03 Nov 2010, 12:58 pm


Résumons en peu de mots ce que nous venons d'écrire touchant les trois éléments de l'expression, en parlant de l'individualisme.

Celui-ci est non seulement permis, il est même désirable. Il a toutefois des limites rationnelles que l'artiste ne doit pas dépasser. L'artiste ne devrait jamais se faire une fin de l'accent personnel. Que fait l'artiste ultra-moderne ? Il ne craint pas de choisir la laideur à la seule fin d'exprimer sa personnalité, sa manière. Véron qui, au début de son ESTHÉTIQUE, se fait le champion de l'individualisme, le condamne pourtant à la fin du volume en disant : « L'artiste qui est plus intéressé à extérioriser sa personnalité qu'à émouvoir le public devrait s'en tenir à l'art décoratif exclusivement où il pourra à son gré faire parade d'habileté, d'invention et de singularité. » Mais ce ne sera pas le grand art. Le sujet doit être respecté dans l'art expressif qui doit tendre à susciter l'émotion. L'artiste véritable ne cherche pas à plaire aux critiques et aux dilettantes ; il ne se fait pas non plus marchand de gloire, il ne cherche pas à s'attirer un groupe d'admirateurs et n'essaie point d'avoir l'appui de ses confrères. Il s'efforce plutôt de nous faire jouir du beau, de nous procurer la délectation de l'âme par des œuvres capables d'éveiller les plus grandes émotions. C'est par là qu'il méritera de la postérité. Sa personnalité s'irradiera de son œuvre comme le parfum de la rose.


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Message  Roger Boivin Mer 03 Nov 2010, 1:29 pm


( Petit schémas aide-mémoire  : Les 6 éléments de la Puissance d'Expression qui est la Mesure de l'Art :

 3 d'ordre spirituels : 1° - la Conception ; 2° - la Composition ;  3°- l'Expression.

3 d'ordre matériel :  4° - le Dessin ;  5° - le Couleur ;  6° - la Technique. )


( 4°  élément, LE DESSIN. ) :

Les trois et derniers éléments de la puissance d'expression sont le dessin, la couleur et la technique. Ils sont d'un ordre inférieur aux trois premiers puisqu'ils sont matériels. Ils ont toutefois leur importance dans la création d'une grande œuvre d'art. Ils donnent lieu à des discussions sans fin. Certains artistes modernes disent que le dessin est plus important que la couleur. D'autres affirment le contraire. Quelques-uns considèrent l'altération des formes essentielle.  Les autres s'en tiennent à l'interprétation. Enfin, plusieurs ne sont satisfaits que par l'imitation. Ces discussions ne sont pas sérieuses. L'artiste véritable ne s'attachera exclusivement à aucune de ces choses. Il est bien certain qu'on est incapable de représenter une chose sans en imiter plus ou moins la forme. Jusqu'à quel point l'artiste doit-il imiter ? C'est la tout le nœud de la question.

Pour analyser et commenter une fois de plus les chapitres de M. Ruckstull sur ces sujets, disons qu'il faut imiter suffisamment les objets pour qu'on puisse les reconnaître. L'homme simple sait par intuition si un objet familier ou le corps humain est proprement dessiné. Il ne sait pas si la forme dessinée est vulgaire. Il ne comprend plus rien  lorsque l'objet dessiné est méconnaissable. Au point de vue exécution, le dessin dans l'œuvre d'art est de première importance. La fonction de l'Art étant de provoquer l'émotion humaine, le dessin aura une importance moins grande que la conception, la composition et l'expression, parce que la supériorité d'une œuvre d'art dépend de l'élévation de la conception, de la beauté de la composition et de la profondeur de l'expression. Le dessin vient donc immédiatement après ces trois éléments d'ordre spirituel. Les maniaques de la couleur nient cependant son importance relative. Ingres avait bien raison de dire : « Le dessin c'est la probité de l'art », parce que sans dessin exact on ne peut en art représenter rien profondément, que ce soit le mouvement du corps, l'émotion sur le visage ou l'expression d'une main. Toute pensée peut être exprimée en blanc ou en noir avec un crayon. La couleur n'est pas absolument essentielle, elle n'ajoute qu'à la beauté. Il est donc enfantin de parler de la supériorité de la couleur sur le dessin.

Certains coloristes des siècles passés n'ont pas toujours été irréprochables dans leur dessin. La maîtrise absolue du dessin est chose rare et difficile. C'est pour cela que certains artistes, impatients de produire un effet  dans l'expression de l'idée, n'accordent qu'une importance superficielle au dessin pour ne s'attacher qu'à la couleur. Tous les hommes aiment le dessin très pur et exact. Cela tient à leur prédilection pour l'imitation et la précision. Le XVI° siècle fut le siècle des grands dessinateurs. En Italie, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël et ses disciples ; en Allemagne, Dürer, Holbein, portèrent l'art du dessin au plus haut degré de perfection, grâce à l'étude assidue et à l'imitation scrupuleuse de la nature.  On sait que Velasquez se passionna pour l'étude du réel. Et, à ce point de vue, il fut certainement le plus grand peintre de figures individuelles que le monde ait connu. Comment en arriva-t-il à ce résultat ? Par la couleur ? Non, mais par le dessin qu'il considérait de suprême importance, nous dit son biographe Beruette. L'exactitude du dessin est essentielle en art, qu'il soit décoratif ou expressif. C'est là notre conclusion. Il est vrai que le simple portrait demande une plus grande exactitude que l'œuvre qui nous représente l'homme en action.


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Message  Roger Boivin Mer 03 Nov 2010, 11:38 pm


( Petit schémas aide-mémoire : Les 6 éléments de la Puissance d'Expression qui est la Mesure de l'Art :

3 d'ordre spirituels : 1° - la Conception ; 2° - la Composition ; 3°- l'Expression.

3 d'ordre matériel : 4° - le Dessin ; 5° - le Couleur ; 6° - la Technique. )



( 5° élément, LA COULEUR. ) :

Des six éléments de la puissance d'expression, la couleur est le cinquième en importance. Comme le côté technique de la couleur en peinture n'intéresse pas particulièrement le public nous n,en parlerons qu'au point de vue esthétique. Il y a deux sortes de peintres : le peintre de portraits ou de tableaux, et le peintre de la couleur. Ce dernier proclame la suprématie de la couleur sur le dessin. Les deux éléments sont d'égale importance. Le peintre de la couleur fait de l'art pour l'art. L'un des zélés défenseurs de cette théorie , John-C. van Dyke, ne dit-il pas que la couleur suggère la lumière, l'ombre, la ligne, la perspective, l'individualité de l'artiste, ses sentiments, ses passions, son enthousiasme ? « En musique, dit-il, l'harmonie est ce qui importe d'avantage et en peinture la couleur-harmonie est aujourd'hui le plus haut sommet auquel le peintre puisse aspirer ». C'est absurde. Il est certain que la couleur suggère l'ombre, la lumière et la perspective. M. van Dycke n'avait pas besoin de nous le dire. Mais jamais elle ne suggérera la ligne. Celle-ci sera correcte en autant que l'on sait dessiner. Les problèmes de la couleur n'ont qu'un intérêt scientifique ou intellectuel, et l'on ne saurait être ému par eux. nous le répétons, une grande œuvre d'art ne vaut essentiellement que par le degré d'émotion qu'elle provoque. La couleur n'est donc qu'un élément secondaire dans la puissance d'expression.

- Il faut que la couleur soit appropriée au sujet traité. Certaines couleurs conviendront à la fresque et à la décoration murale et seraient mal venues dans le tableau de chevalet.

- Au surplus, la couleur doit mettre pleinement en lumière l'idée principale de l'œuvre. Pour représenter la Paix on ne choisie pas des couleurs sombres et le gris terne qu'employa avec avantage, par exemple, Turner dans sa Valley of Discord. C'est ce principe qu'appliqua Raphaël dans sa Vierge de Saint-Six où la couleur s'harmonise si bien au sujet.

- Dans le tableau de chevalet surtout il convient d'observer la correction des valeurs, c'est-à-dire d'employer la couleur propre à chaque objet. C'est le moyen de détacher les objets et de leur donner de l'atmosphère. Velasquez, peintre réaliste, sacrifia la beauté de la couleur à la correction des valeurs. Ses Filles d'honneur, au Musée Padro de Madrid, brillent surtout par ce côté. L'œuvre est hautement intellectuelle, mais elle n'émeut pas ; on admire, mais on n'aime pas. Les grands maîtres italiens n'ont jamais peint de cette manière, car ils recherchaient avant tout la beauté de la couleur, sans pour cela négliger la correction de la couleur, qu'ils considéraient comme élément secondaire. Velasquez s'en fit un but. Et c'est pourquoi on l'oublia pendant tout près de deux siècles. Il mourut en 1660 et ce n'est qu'en 1860 qu'on le remit en honneur. Ce fut l'œuvre des modernes qui voient en Velasquez un certain degré d'affinité. Le peintre espagnol faisait, lui aussi, des natures mortes. Il est indéniable que Valasquez épuisa merveilleusement toute la gamme des gris, mais cette couleur n'en demeure pas moins neutre, et elle n'émeut pas. Il faut, c'est entendu, observer suffisamment la correction de la couleur pour s'en tenir aux exigences du sujet. Mais tous les sujets ne requièrent la même somme d'atmosphère. La Mona Lisa de Léonard de Vinci, l'Assomption du Titien et la Descente de Croix de Rubens ont une atmosphère suffisante ; ces peintures sont de grandes œuvres d'art parce que l'artiste a su exprimer supérieurement une grande pensée.



ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Velazq12

Velasquez



ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Getfra10

Titien


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 La_des10

Rubens



- On ne doit pas négliger non plus la juxtaposition des couleurs. Elle est toutefois secondaire, car une peinture, pour être d'une beauté transcendante, n'a point besoin de la couleur somptueuse de Rubens dans sa Descente de Croix. La parfaite juxtaposition est plutôt rare. On ne connaît que trois maîtres qui aient excellé en cette matière : Velasquez, dans ses Filles d'honneur ; Holbein, dans son George Gisse ; et Albert Dürer, dans le portrait qu'il nous a laissé de lui-même.



ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Velasq11

Filles d'Honneur, Velasquez.


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Hansho10

George Gisse par Holdein


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Durer_10

Dürer, autoportrait sous les traits du Christ.


- La richesse et l'harmonie de la couleur ont aussi leur importance. Velasquez donna à son portrait d'Innocent X une richesse de couleur qui manque dans son Couronnement de la Vierge. La qualité de la couleur n'est donc pas tout. La fin de l'Art est encore une fois de nous émouvoir à divers degrés. Or, l'œuvre peut provoquer l'émotion indépendamment de la couleur. - Alors, dira-t-on, quelle est en peinture la fonction de la couleur ? - Tout simplement d'ajouter à la beauté de l'œuvre, d'accentuer sa puissance d'expression. C'est pour cela que l'élément couleur n'est pas à négliger. Il ne faut pas toutefois s'en faire une fin, mais un simple moyen. Ainsi l'ont compris tous les maîtres du passé, parce qu'ils avaient conscience d'obéir à une loi immuable, fondée d'ailleurs sur l'ordre et le bon sens. Les « modernes », évidemment, n'ont cure de l'ordre, aimant mieux suivre leur fantaisie, qui est le plus souvent de la licence. On ne voit pas très bien ces « modernes » lire et comprendre, par exemple, la Cité de Dieu de saint Augustin dans lequel le grand docteur de l'Église explique ce qu'est la fin et le moyen... Les « ultras », renversant l'échelle des valeurs, attribuent à la couleur une fonction qu'elle ne doit pas avoir. Il est évident qu'ils recherchent par-dessus tout la singularité de la couleur au lieu de sa beauté. Tout cela à la seule fin de manifester un individualisme outrancier, qui leur semble le seul gage de la notoriété. Ils se donnent la vertu d'avoir liquidé le « jus-Renaissance » et de perpétuer, par leur « audace nouveauté » (ce sont les mots qu'ils emploient) la tradition. Ils appellent cela faire de la couleur pure et construire un monde de l'essentiel. Ils veulent ainsi légitimer le désordre en se donnant une paternité dans les temps anciens. C'est un truc qui n'est pas particulier aux peintres(1).



ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Si-30010

Innocent X, Velasquez



ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 35686_10

Couronnemnt de la Vierge, Velasquez



(1) - j'ai subdivisé pour faciliter la lecture. roger.


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Message  Roger Boivin Jeu 04 Nov 2010, 8:10 pm


( 6° élément, LA TECHNIQUE. ) :


Enfin, le sixième et dernier élément de la puissance d'expression d'une œuvre d'art est la technique. Il s'agit du procédé d'exécution que tout artiste emploie. C'est pour le peintre le travail de pinceau et pour le sculpteur, le modelé. La technique par elle-même, d'essence matérielle, ne saurait émouvoir. La sensation agréable n'est pas la jouissance du beau. Les modernes, on l'a vu, confondent souvent les mots sensation et émotion. Ils attribuent à Picasso la vertu d'émouvoir. C'est le comble de la confusion. Picasso n'émeut pas au sens véritable du mot. (voir définition ici ). Mais cela nous éloigne de la technique. L'histoire nous enseigne que, avant 1850, l'artiste ne parlait de technique qu'au point de vue de sa perfection. Elle n'était pour lui qu'un moyen de donner plus d'expression à l'idée. L'artiste aurait cru déchoir, avant 1850, en recherchant une technique particulière et personnelle. Un groupe d'artistes atteints d'individualisme forma le parti moderne et créa l'impressionnisme au nom de la liberté en art. On déclarait peu après que l'individualité faisait seule l'art. Ce faux principe donna naissance à l'individualisme excessif.

Les peintres s'appliquèrent dès lors à inventer des moyens variés d'appliquer la peinture sur la surface. Les sculpteurs recherchèrent un nouveau modelé. Au début, ce groupe d'artistes était indifférent à l'expression de la pensée. Ils ne tardèrent pas à ridiculiser l'art expressif - l'art figuratif, comme ils disent. Puis l'on découvrit Velasquez, qui était presque oublié depuis deux siècles. On se mit à écrire que Velasquez était un manipulateur merveilleux de la couleur. On nota chez lui des façons si variées de peindre que l'on ne vit que ce côté-là de son talent, si bien que la technique devint dès lors pour ces artistes une véritable obsession. La technique cessa d'être un moyen pour devenir un but. On se méprenait évidemment sur l'oeuvre de Velasquez, car son biographe Beruette prouva que Velasquez avait été surtout un grand artiste par son art du dessin. Au surplus, Elie Faure a reconnu que le peintre espagnol se préoccupa beaucoup plus, à la fin de sa carrière, de l'expression de la nature que de la manière de l'exprimer.

La peinture n'est donc pas l'art. Peindre n'est rien autre chose que d'appliquer la peinture sur une surface quelconque. Le peintre, dans ce travail, peut montrer une plus ou moins grande habilité. S'il met tout son amour dans ce travail exclusif, il est simple ouvrier. L'artiste, lui, exprime la vie, avec la technique la plus parfaite qu'il peut employer. La vie : c'est-à-dire la vie réelle ou idéale. L'artiste qui veut, par exemple, peindre une orange doit en représenter le caractère vivant. Il importe peu qu'il se serve de la technique de Huysum, de Snyders ou de Blaise-Desgoffe, trois bon peintres qui ne se ressemblent nullement. Les trois techniques sont également efficaces. Pourquoi ? Parce que ces peintres ont employé une technique rationnelle et suffisamment individuelle cependant pour les différencier tous les trois. D'ailleurs, l'artiste n'a pas à rechercher particulièrement l'individualité, car, quoi qu'il fasse, il la manifestera à son insu, puisque la nature a pris soin de ne pas faire deux hommes semblables. Doit-on rester indifférent à la technique ? Bien au contraire. Il faut plutôt se poser la question : quelle technique employer ? Devra-t-on employer une technique modeste, expressive et impersonnelle ou une technique vulgaire, inexpressive et singulière ? Robert-Louis Stevenson, qui publia un livre sur Velasquez, conseille à l'artiste de développer sa technique puis de l'oublier. Les « modernes » n'ont retenu que la première partie du conseil. De deux tableaux de Velasquez, les Filles d'honneur et la Reddition de Bréda, ce dernier occupe la place d'honneur à la Galerie Velasquez au Musée Padro de Madrid, et il est cependant moins parfait au point de vue technique  que le premier. Le peintre Millet disait que la technique ne devrait jamais être considérée pour elle-même.


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ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Empty LA MESURE DE L'ART (fin).

Message  Roger Boivin Jeu 04 Nov 2010, 10:18 pm


( Conclusion de ce chapitre ) :

Comme conclusion de ce chapitre, nous répéterons qu'une grande œuvre d'art ne vaut qu'en autant qu'elle a une grande puissance d'expression, qui ne peut être atteinte, partiellement ou intégralement, que par les six éléments que nous avons analysés succinctement. Les artistes et les esthéticiens modernes simplifient autrement les choses. L'un d'eux n'a-t-il pas écrit que « tout objet d'art est fait de deux choses : une matière palpable et la sensibilité particulière de l'artiste d'autre part ». On conçoit qu'avec de telles données, l'artiste moderne puisse se permettre toutes les outrances. Et il n'y manque pas.


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Message  Roger Boivin Jeu 04 Nov 2010, 10:19 pm


L'ART MODERNE



L'Art remonte aux origines mêmes de la civilisation, pour ne pas dire aux origines mêmes de notre espèce. L'homme chercha d'abord à assurer sa subsistance, puis il pensa ensuite à s'exprimer. En effet, l'homme de l'époque quaternaire, dès qu'il eut des loisirs, traça sur les parois de ses cavernes la représentation de ses instruments de travail et il nous donna aussi ces merveilleuses gravures sur os ou sur schiste, qui représentent divers animaux, des rennes principalement, dans les attitudes les plus variées. D'étapes en étapes, l'homme arriva ainsi à la plus grande puissance d'expression. Et c'est en cela que la civilisation fit du progrès.

Civilisation ! Voilà un mot dont on fausse bien souvent le sens. C'est elle qui tend à éloigner l'homme de plus en plus de l'animalité et de la laideur pour le porter vers la beauté et la spiritualité, tout en contribuant à préserver et à perfectionner la race humaine. Guizot disait de la civilisation que c'était « une condition améliorée de l'homme, résultant de l'établissement d'un ordre social à la place de l'individualisme et du dérèglement de la vie sauvage et barbare ». Cette civilisation peut exister à des degrés divers ; elle est toujours susceptible de progrès continuel, mais lent comme toute évolution sociale. Et ce qui retarde le progrès, c'est précisément l'individualisme effréné, fruit du matérialisme le plus épais. Le matérialisme est la négation de toute beauté.

Or, c'est la beauté qui est la force créatrice de l'Art. Pour la créer il faut que l'âme sache s'élever au-dessus de l'animalité et de la laideur ; c'est d'ailleurs en cela qu'elle montre sa grandeur. Il y a quelque chose d'inerte dans les œuvres qui ne recèlent aucune pensée, de même qu'il y a le néant dans cette couleur, cette technique, cette virtuosité, qu'aucune substance intellectuelle ne soutient. Ce qui atteint l'âme tient le langage de la beauté, et celui-ci est empreint  de la fraîcheur des cimes et comme accordé au diapason de l'espace infini. C'est là qu'il faut chercher notre ravissement. L'Art sans humanité est une erreur. Tout le monde le reconnait. Gardons-nous de juger une œuvre d'art indépendamment des pensées profondes et des sentiments vécus qu'elle contient ; c'est par ces pensées et ces sentiments qu'elle est émouvante et qu'elle témoigne de la présence d'une âme remarquable.

Ce n'est pas être artiste véritable que de borner ses vues au seul domaine intellectuel. Celui qui en est là est un esprit matérialisé par les systèmes. C'est aussi s'éloigner de l'art véritable que de verser dans l'idéologie seule. Ces différents climats de l'esprit ne valent en autant qu'ils s'allient aux émanations de l'humain, mais des émanations ordonnées, car dans la nature humaine l'âme est plus noble que le corps. C'est d'ailleurs l'âme qui achemine l'être vers sa fin. La noblesse dans l'homme doit donc prendre le dessus sur l'animalité, les rêves insensés du subconscient ou de l'instinct. Le matérialisme se reflète aujourd'hui dans tous les arts, particulièrement en peinture. Le modernisme perverti trouva tout d'abord sa source dans les théories de Baudelaire et de Jean-Jacques Rousseau. Quatre artistes ont contribué à instaurer, sinon suggérer, l'individualisme outrancier en art. Ce furent : Rodin, Manet, Degas et Cézanne(1).



(1) - J'ai coupé le paragraphe en deux pour faciliter la lecture. roger.


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Message  Roger Boivin Ven 05 Nov 2010, 11:19 pm


Rodin, élevé au milieu des anarchistes du quartier Mouffetard de Paris, premier créateur d'œuvres systématiquement informes, fut certes le plus influent. Rodin était assurément un artiste très doué. Il a laissé des œuvres qui resteront. Mais il en est d'autres qu'on peut admettre difficilement parce qu'elles sont la négation de l'art véritable. Ah ! je sais, s'attaquer à Rodin pour les « modernes » c'est s'en prendre à un dieu. Qu'à cela ne tienne, l'individualisme outrancier est nettement condamnable d'où qu'il vienne. Rodin envoya au Salon de Paris en 1864 son Homme au nez cassé, qui fut rejeté avec raison. D'abord, côté technique, dit Ruckstull, c'était une imitation malhonnête de l'antique ; de plus, Rodin rejetait le principe qui guidait l'Art depuis des siècles : la beauté.


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Mix-1710

Homme au nez cassé



On admira le modelé dans cette œuvre. A ce point de vue-là sa tête de Puvis de Chavannes est un modèle idéal. Rodin en ce domaine pouvait avoir des égaux, mais il n'avait pas de supérieurs. Son modelé est tout en finesse. Est-ce là tout l'Art ? C'est une erreur de parler de beau modelé : on doit dire en parlant d'une statue qu'elle est belle et qu'elle est habilement modelée. On peut se demander pourquoi Rodin n'a point mis cette habilité technique au service de la beauté véritable. Jusqu'à quel point est-il permis à l'artiste de s'écarter de la nature  pour mutiler les formes déjà belles en elles-mêmes ? Question pertinente.

ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Img_2120

Buste de Puvis de Chavannes



Avant Rodin, tous les artistes se sont permis de modifier les formes. Lessing dans son Laocoon(1) nous dit que jamais on est allé plus loin qu'à une modeste accentuation. L'innovateur Michel-Ange resta toujours dans les limites permises. Le premier qui osa exagérer fut Bandinelli, rival de Michel-Ange, avec son Hercule et Cacus, et ce fut sa perte. Rodin fut le premier « moderne » à passer de l'accentuation à l'exagération pour arriver finalement à la déformation, même dans les monuments publics, tel son Bourgeois de Calais qui est tout, sauf un citoyen éminent de Calais. Le dévoilement du monument se fit dans le tumulte. l'œuvre au lieu d'unir le peuple le divisa. Est-ce là le rôle de l'Art ? Les pieds du Bourgeois de Calais sont déformés, la tête est celle d'un monstre. Que dire du Balzac du même sculpteur ! La tête est censée représenter la synthèse de toute l'œuvre du romancier. Ce que la nature n'a pas fait, Rodin était-il capable de le faire ? Il serait impertinent de le penser. La tête est mutilée affreusement. Des esthéticiens modernes nous disent qu'elle a du caractère.

ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 L_r5_c10   ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 45334210

LAOCOON, par Lessing.



ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Inoubl11   ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Bandin11

Hercule et Cacus (détails)



C'est là un principe faux érigé par Rodin qui en parle dans ses opinions recueillies par Paul Gsell. « En art, est beau uniquement ce qui a du caractère. C'est la vérité du dedans traduite par celle du dehors. Est laid, en art, ce qui n'a aucun caractère, ce qui est faux, artificiel, en un mot, tout ce qui ment, tout ce qui a peur de la vérité ». C'est cela qui faisait dire à Gauthier-Ferrières : « Tous les vrais artistes ont toujours trouvé magnifique cette Vieille Haulnière, « pauvre, sèche, maigre, menus », dans laquelle Rodin a rendu, aussi bien que François Villon, toute l'horreur tragique de la vieillesse chez une femme autrefois si belle ». Le laid reste laid, et la laideur en art est inadmissible, même si elle a du caractère. Les « ultras » aiment souvent citer cette œuvre pour étayer leurs théories erronées. La traduction, en peinture comme en sculpture, du caractère exact de chaque objet est excellent en soi, mais jamais on ne doit substituer la caractère à la beauté puisque celle-ci importe seule en art. Les vrais artistes n'ont jamais recherché ce réalisme plat, prosaïque, qui apparait nettement dans les œuvres de Manet, Degas, Rodin, etc.



ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Rondev10

Vieille Haulnière





(1) -  Manuel de Littérature, J. V. s.i.,1939, p.301 :

Plusieurs théories soutiennent que l'objet propre de la sculpture est la beauté corporelle, en tant que telle, ou, comme disent les matérialistes, « le bel animal humain ». de là, leur prédilection pour le nu. (Lessing, Laocoon.) C'est une grave erreur : « Le corps n'intéresse l'art qu'à titre de révélateur de l'âme. La peinture de l'homme physique vaut uniquement comme appoint à la manifestation de l'homme moral. » Voyez Longhaye, S. J., etc., pp 234 et suiv.


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Message  Roger Boivin Ven 05 Nov 2010, 11:28 pm


Les causes profondes du désordre actuel dans l'art sont les idées émises par Rodin. Ce dernier a vécu à un époque qu'il convient d'étudier d'un peu près. Il est avéré qu'en France particulièrement la politique influença quelque peu l'Art, durant les quatre-vingt dernières années. La révolution artistique coïncida avec la révolution politique. Puis, aucun peuple ne manifesta autant d'ardeur passionnée pour la nouveauté que le peuple français. Cela tient au tempérament et à l'économie. Le point de vue économique surtout joua vers le milieu du siècle dernier le rôle principal. Voyons comment.

A Londres, au Crystal Palace, en 1851, se tenait une exposition universelle de l'Art de l'Industrie. La France, représentée par ses meilleurs sujets, fit éclater sa supériorité dans « l'art appliqué à l'industrie », aussi bien que dans l'Art tout court.  Ce fut si évident que les autres nations d'Europe ne tardèrent pas à copier les méthodes françaises en organisant des écoles d'art industriel. Ces pays se disaient sans doute que le goût français, l'élément nouveauté ajouté à la beauté, donnaient à la France un prestige qui s'avérait l'un des facteurs principaux du succès du commerce français d'exportation. On se mit à imiter ces méthodes et même les modèles. Inévitablement, cela eut pour effet de porter les français à faire la part plus large à l'élément nouveauté, si bien qu'ils affichèrent sur leurs productions ces simples mots : « Nouveautés de paris ». Ainsi se développa une véritable faiblesse pour les nouveautés. Baudelaire, nous l'avons vu, y fut pour quelque chose. « Du nouveau », s'écria-t-il. Rendons-lui cependant cette justice qu'il n'a jamais cessé d'insister sur la beauté. Son seul tort fut de n'accorder aucune importance à la moralité dans l'Art. N'a-t-il pas dit : « Le génie excuse bien des choses ».

Quoiqu'il en soit, l'Europe fut prise, à partir de cette époque, par la manie de la nouveauté à tout prix. Il arriva ce qui devait arriver : il devint impossible de faire nouveau et beau à la fois. On devait, au risque de faire faillite, maintenir le prestige en apportant sans cesse plus d'originalité, fût-ce même au détriment de la beauté. L'originalité devint dès lors le premier souci  de l'artiste nouveau et de son thuriféraire, le critique vénal. Ces artistes devinrent assez nombreux pour former des cénacles et presque des chapelles. Ils affichaient tantôt des opinions ultra-réactionnaires, tantôt des gestes d'anarchistes. Ils étaient loin de garder le silence et de se montrer humbles. Les plus influents du groupe étaient Rodin, manet, Degas, Zola, Mirbeau, Monet, Pissaro, Legros, Whistler, etc.


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Message  Roger Boivin Sam 06 Nov 2010, 1:58 am


Ceux qu'on nommait alors les élégants menèrent aux environs de 1861 une campagne intensive pour recruter de nouveaux membres. Ils disaient : « Si vous voulez faire partie de notre groupe, il vous faut suivre la mode du jour ». Le porte-parole du groupe était Eugène Véron qui publia une ESTHÉTIQUE dont les conclusions sont fausses. « Les arts du dessin, dit-il en substance, imitent simplement les réalités visibles ou encore recherchent les combinaisons de lignes et de couleurs qui flattent l’œil. Tel est l'art décoratif, dont le but est la recherche du beau. Inclure tous les arts dans cette définition serait commettre une grave erreur. L'art vivant, qui est en somme l'art moderne, est fait plutôt de sympathie. Il dépeint les émotions, les sentiments aussi bien que les caractéristiques des choses. Il manifeste, sous une forme artistique, l'intérêt que l'homme porte à son semblable. Le beau devient alors secondaire. Car la fin de l'art est l'homme lui-même : il étudie ses sentiments, accidentels ou permanents, ses vertus et ses vices ».

C'était en quelque sorte un langage révolutionnaire, c'était la première fois qu'un esthéticien osait émettre pareilles théories, qu'auraient évidemment contestées tous les grands maîtres du passé. L'homme a toujours été l'objet de l'art, même à l'époque des premiers artistes égyptiens, soit 5,000 ans avant Jésus-Christ. Lessing, dans son Laocoon(1), nous parle de Pauson et Pyricus. Le premier est ce peintre grec du Ve siècle av, J-C. qui se complaisait dans la peinture de ce qu'il y avait de plus laid dans l'homme. Il a vécu dans la plus grande pauvreté. Pyricus n'avait guère plus de goût, mais il avait le métier d'un maître hollandais, si l'on peut dire. Sa prédilection pour la peinture des objets vulgaires lui a valu le surnom de « rhyparographe ». Cela revient à dire qu'il y a eu, à toutes les époques, des artistes licencieux. Ils étaient dédaignés ; aujourd'hui on feint de les honorer(2).




(1) - Les principes de critique littéraire et d’esthétique de Lessing sont exposés dans de nombreux ouvrages. Le plus célèbre est son Laokoon (Laocoon, 1766), qui a pour objet propre la détermination des limites respectives des arts plastiques et de la poésie. Dans cette suite de dissertations ingénieuses et savantes intéressant à la fois le critique, l’artiste et l’archéologue, Lessing enseigne que la première loi de l’art est la beauté et que le caractère particulier de la poésie est l’action. L’art qui s’adresse aux yeux ne doit traduire, de l’action développée par le poème, que les détails qui, offerts à la vue, ne détruisent pas la beauté. Témoin le précieux groupe de Laocoon découvert à Rome en 1506, qui est loin d'être une traduction fidèle de la magnifique scène décrite au deuxième livre de l'Énéide. Aucun exemple ne marque mieux les différences qu’entraîne, entre les règles de l’art plastique et de la poésie, la distinction de leurs conditions essentielles : « Le poète, selon Lessing, travaille pour l’imagination, et le sculpteur pour l’œil. Celui-ci ne peut imiter toute la réalité qu’en blessant les lois du beau ; il ne reproduit qu’une situation, qu’un instant, tandis que le poète développe l’action tout entière. » Le Laocoon a été traduit en français par Vanderbourg ( 1802). (  http://fr.wikipedia.org/wiki/Gotthold_Ephraim_Lessing  )  

( http://books.google.ca/books?pg=PA9&lpg=PA9&dq=pauson%20et%20pyricus%20dans%20laocoon%20de%20lessing&sig=Wll2wbPfjlBf7MYQ0uUz76YcIPA&ei=isniTMzJIYXGsAO3vclm&ct=result&id=Sn0NAAAAQAAJ&hl=fr&ots=UfRA65JsV3&output=text )


(2) - Si dans l'aujourd'hui des années quarante on feignait seulement de les honorer, dans l'aujourd'hui des années 2000 on les honore carrément. roger.
 


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Message  Roger Boivin Sam 06 Nov 2010, 12:21 pm


En 1863, les artistes nouveaux, indifférents à la beauté, se présentèrent au Salon de Paris. On refusa leurs toiles non pas parce que, comme on l'a faussement prétendu, on s'opposait à leur manière ( ici ) de peindre, mais uniquement parce qu'ils faisaient fi de la beauté. Ces artistes formèrent alors un bloc solide qui réclama la « liberté en art », qui n'était pourtant pas menacée. L'ordre et la liberté sont deux belles choses qu'on a toujours su concilier dans le passé, deux choses qui ont leurs périls cependant. Il y a un faux ordre, desséché, arbitraire (à preuve le formulaire davidien), comme il y a une fausse liberté qui est licence et anarchie. Dans la querelle des anciens et des modernes, l'ordre fut vainqueur, mais, - tant de grands noms et de grandes œuvres en témoignent, - ce n'était pas un ordre oppresseur des légitimes franchises de l'esprit. Les peintres licencieux de 1863 déclarèrent alors la guerre à l'Académie, avec la complicité d'une certaine presse. Tous les artistes n'appartenant pas au groupe nouveau étaient appelés par dérision les « académiques ».

C'était sous le règne de Napoléon III, usurpateur du pouvoir. Le pauvre souverain, pris dans des démêlés sans nombre, n'osa pas s'aliéner les artistes nouveaux. Il leur permit d'avoir un petit coin bien à eux à l'Académie, qu'on appela alors « Salon des Refusés »(1). Telle est l'origine de l'art moderne. Voyons un peu ce qui se passa par la suite.


(1) - http://www.encyclopedie.bseditions.fr/article.php?pArticleId=174&pChapitreId=34490&pSousChapitreId=34492&pArticleLib=Le+%AB%A0Salon+des+refus%E9s%A0%BB+%5BL%92art+en+France+entre+1850+et+1900-%3EPeinture%5D


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Message  Roger Boivin Sam 06 Nov 2010, 12:55 pm


Quatre années plus tard, les « Refusés » prendront le nom d'impressionnistes. Mais le mot ne fut prononcé toutefois qu'au Salon de 1867 où Monet présenta un coucher de soleil intitulé Impressions, qui fit scandale. les « Refusés » devinrent dès lors les Indépendants. Ils se donnèrent pour mission d'attaquer toute œuvre d'art qui ne s'inspirait pas des principes de leur groupe, fût-elle belle. Altérés de nouveautés, ils se souciaient bien peu de la beauté. Les peintres nouveaux n'eurent guère de succès au début. L'Académie dominait toujours, avec l'appui du Gouvernement. La guerre franco-prussienne survint. La France fut hélas battue. L'art moderne aussi bien que le radicalisme subirent une halte. L'Académie s'en trouva fortifiée par le fait même, ce qui lui permit de dominer encore pour une vingtaine d'années le mouvement artistique. Sa politique était toujours la même : s'en tenir à un conservatisme de bon aloi, tout en favorisant le progrès dans l'ordre . C'est d'ailleurs à cette époque que la France eut toute une floraison de grandes œuvres d'art. Aucun pays n'avait jamais autant produit en si peu de temps, exception faite peut-être de l'Italie de la fin du quinzième siècle. Cela prouve que « l'Académisme » de cette époque comme celui d'aujourd'hui, était une « porte ouverte » ( ici ) .


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Monet-12

Impression. Monet.


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Message  Roger Boivin Sam 06 Nov 2010, 2:40 pm


Mais la République française que les démocrates avaient rétablie en 1871 n'était pas très bien vue des Bonapartistes, qui commencèrent à la miner. Ils avaient l'appui de toutes les Académies de la France. Ils ne croyaient pas, en effet, qu'une république teintée de radicalisme pouvait, comme auparavant les pouvoirs autocratiques, protéger les arts efficacement. Aucune forme de gouvernement n'est condamnable en soi, ce qui est méprisable, ce sont les éléments radicaux qui les vicient.

Les éléments les plus influents de la République étaient au fait de la secrète hostilité de l'Académie, et c'est pourquoi leur sympathie allait aux artistes nouveaux qui réclamaient toujours la liberté en art, comme si elle était menacée ! La lutte entre l'Académie et les « modernes » était aussi vive que celle qui existait entre monarchistes et républicains. Les « Impressionnistes » tinrent en 1874 leur première exposition indépendante dans une salle privée. En 1877, Rodin envoya son Age d'airain au Salon. Ce fut un scandale. Le Jury accepta l'œuvre très réaliste, parce qu'elle n'était pas dénuée d'une certaine beauté. À vrai dire, Rodin ne s'humiliait dans cette œuvre que pour mieux conquérir, car toutes ses autres œuvres postérieures feront accroc à la beauté véritable. Le Jury, en acceptant l'Age d'airain, malgré son modelé révolutionnaire et son attention aux détails sans importance, prouva qu'il n'était pas opposé au progrès, aux nouvelles méthodes, pour peu que les artistes sachent respecter la beauté. L'un des membres du Jury fit une remarque insensée qui déclencha précisément le scandale. Il accusa Rodin d'avoir procédé à un moulage sur nature. À qui pouvait-on faire croire que c'était possible, sans entraîner la mort du modèle ? On peut mouler une partie du corps humain, mais jamais l'être tout entier. Cette accusation eut pour effet de faire la renommée de Rodin. Voici comment.

Il se saisit de ce prétexte pour partir en campagne contre l'Académie. Un événement politique imprévu devait le favoriser. On découvrit en effet le complot du Duc de Broglie et du Président MacMahon pour restaurer l'Empire. Le coup rata. On accusa alors les artistes de l'Académie de s'être montrés sympathiques au mouvement. Ils furent incapables de se disculper. Les politiciens radicaux jurèrent la mort de l'Académie. L'opinion publique n'était pas toutefois assez préparée, il fallait auparavant entreprendre une campagne énergique contre l'Académie. L'accusation portée contre Rodin fut le prétexte tout trouvé. Le sculpteur lésé demanda la formation d'un comité d'enquête, qui lui fut accordé, d'autant plus facilement que l'adjoint du Secrétaire d'État au ministère des Beaux-Arts, M. Turquet, était alors un politicien radical influent. Le Comité disculpa Rodin, mais les « modernes » feignirent de trouver que le rapport n'était pas assez explicite, et ils demandèrent une nouvelle enquête que présida cette fois le grand sculpteur Paul Dubois. Rodin fut de nouveau exonéré. Toutes ces manipulations n'avaient qu'un seul but : fabriquer une réputation à Rodin. D'ailleurs, un an plus tard, Whistler fera le même jeu en poursuivant Ruskin. Rodin devint, à partir de ce moment, le dieu des Radicaux, artistes et politiciens. Son influence se fait encore sentir aujourd'hui.

ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 11581010   ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 33568710

L'Âge d'airain (détail).  Rodin.


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Message  Roger Boivin Sam 06 Nov 2010, 4:05 pm


Rodin a émis des idées fausses qui sont encore la cause de bien des confusions. Sa négation de la beauté en art est devenue une tendance hélas trop généralisée. C'est encore lui qui disait : « La nature est toujours belle ». On ne voit pas alors l'utilité dans le dictionnaire du mot « laid ». Rodin a fait des choses indignes d'un artiste. Il tenait des expositions de ses dessins pornographiques, il faisait imprimer des cartes de ces horreurs qu'on vendait ensuite à la porte des boutiques les plus infectes. Il se trouvait des critiques pour louanger ce charlatanisme éhonté. M. Ruckstull, qui a très bien connu Rodin et qui mangeait à la même table au Café « Chez Binet », raconte des faits authentiques, non sur sa vie privée mais sur sa carrière d'artiste. On les trouvera dans ses ouvrages que j'ai largement commenté ( ici ).

Les artistes qui sont venus après Rodin sont tous solidaires les uns des autres par les idées. En 1921, R. Canudo donnait dans « La Revue de l'Époque » ses « Cent versets d'initiation au Lyrisme nouveau dans tous les arts. » C'est une sorte de codification de la sensibilité esthétique moderne. C'est édifiant. En voici quelques échantillons :

« Le lyrisme représente la réaction spontanée d'un être devant les paysages et les évènements (lesquels ne sont que brusques changements des choses, bref ou continus). Notre lyrisme s'est dégagé de la tyrannie d'un parti-pris - pensée ou sentiment - à développer comme un thème. Les pensées et les sentiments (ces derniers ne sont que pensées émues dans la chair) sont les réflexes de toute réaction, c'est-à-dire de toutes sensation. Sensation : portes et fenêtres ouvertes sur l'infini mouvant. N'importe quel moyen est digne d'un homme capable par sa représentation artistique, de transmettre l'émotion. J'entends : la réaction sensorielle que la vie a pu susciter en lui. L'œuvre d'art existe comme un paysage, riche de sensations pour celui qui s'y aventure. Pourquoi la limiter, en lui demandant de parler à l'esprit ou, comme disent les communs, au cœur ? Une seule loi, d'une superbe clarté, régit la matière même de ces expressions : c'est « l'incohérence » dans l'enchaînement des sons et des accords, des mots et des images, des strophes, des plans. Incohérence, naturellement, pour ceux dont l'ouïe et le regard ne sont pas encore familiers de ces modes, et en reçoivent un choc. On ne « chante » plus en musique ; on ne « raconte » plus en poésie ; on ne « représente » plus en plastique. Toute matière est acceptée, car elle a son droit héroïque à la vie. Tout est noble. Nous avons tout ennobli, ne voulant plus comme forme et normes exclusives à notre art, ce développement scolaire d'un thème, d'une thèse, d'une idée, d'un aspect, moules dans une, matière imposée. L'essor de l'âme artiste moderne nous a jetés pantelants, orgueilleusement inquiets, puissamment joyeux, rageusement rapides, sous les arcades du temple universel consacré à la déesse Sensation. L'antique hellénique déesse des îles et des presqu'îles : Forme, a disparu dans l'écume des mers qui la virent naître. Il est hors de doute que la complexité même de notre sensation artistique nous rapproche incroyablement par son intensité multiple de la grande simplicité de l'Art le plus primitif. Nous sommes forcés de renier à présent - par grand besoin et non par goût ni attitude - tout dogmatisme de métier, c'est-à-dire la reproduction servile des procédés expressifs, et cela afin de trouver nos moyens d'expression, de retrouver notre mâle primitivité. De là haine nécessaire vouée aux écoles greffées sur le passé. Et le mépris des « représentations d'art » jolies et ressemblantes, rétrécissement intolérable de l'art, amoindrissement à la tyrannique mesure de l'individu. L'artiste est dégagé de cette servilité. Il l'a été par la photographie et le cinéma, créés pour fixer ces aspects visibles des choses auxquels des milliers de générations, de nobles talents consacrèrent leur vie et leur génie ».

Et cela se continue ainsi. Ce sont ces théories qui ont donné naissance à toutes les écoles qui ont fleuri en si peu de temps. En moins de quatre-vingts ans, on est parti de l'impressionnisme pour arriver au surnaturalisme, qui est, selon l'explication qu'en donne Salvator Dali, « l'illustration du freudisme ». Dali est le portraitiste de la névrose, le peintre de la psychose, le peintre-pathologique. Quelques années auparavant, le cubisme imposa aux artistes et artisans ses lignes rigides, leur inculqua son mépris de l'harmonie souple. Et plus que jamais furent bafoués, rejetés les vieux maîtres du passé.


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ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Empty L'ART MODERNE (fin).

Message  Roger Boivin Sam 06 Nov 2010, 4:27 pm


Il y a pas très longtemps, arrivait sur nos rives un savant qui se mit en frais, dans ses heures de loisir, de nous initier à l'art nouveau en nous parlant des différentes écoles modernes de peinture. Il terminait sa causerie par cette étonnante conclusion : « En ce domaine de l'effort esthétique, comme en toute action humaine, le débat reste, au fond, entre ceux qui croient en Dieu, et l'adorent dans ses œuvres présumées, et ceux qui restent les disciples de Prométhée. Libre aux premiers d'aller docilement reproduire quelque jeu de la nature ; c'est pourtant devant les seconds que s'ouvre, illimitée, la voie d'avenir de la poétique et de la création humaines ». Et nos esthéticiens modernes, qui étaient présents, n'ont pas protesté.

Il faudrait tout un volume pour réfuter la somme incroyable de sophismes proférés par les artistes et esthéticiens modernes. Mais il faut conclure cette étude déjà trop longue. Disons-nous que le passé est bien fait pour nous persuader que la véritable originalité réside non dans les particularités d'une forme extérieure toujours périssable, mais dans le fond même de la pensée créatrice de beauté. Ce n'est pas aux siècles passés que le « dadaïsme » et tous les « ismes », négation de tout art, auraient trouvé des sympathisants. Comme l'écrivait récemment Clément Vautel : « Cela se passe au XX° siècle. L'école dada n'eut qu'une règle : ne rien chercher, ne se soumettre à aucune règle, s'abandonner à l'inconscient, à l'instinct. Telle devait être la fleur de notre civilisation ».


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Message  Roger Boivin Sam 06 Nov 2010, 4:35 pm


CONCLUSION


Nous traversons une époque de convulsion. Celle-ci s'observe dans toutes les formes de l'Art ; elle existe notamment à l'état aigu dans la peinture, dans la sculpture, dans la musique et jusque dans l'écriture où des gens suppriment majuscules, accents, virgules, points, à la manière de l'enfance. Les artistes « nouveaux » invoqueront le progrès.

Tout homme sensé répudie la routine, la stagnation et admet une évolution nécessaire. Mais le pire ennemi du progrès est l'anarchie, qui produit la laideur et la folie. L'anarchiste, sous prétexte de liberté affranchissante, se fait l'apologiste de la licence. La beauté seule est belle et la laideur ne peut être que laide. Aucun artiste moderne ne peut changer cette loi dont nous dépendons tous. Il faut être de son temps. Le XXe siècle est l'ère de la machine. Soit, mais n'oublions pas que la machine n'est qu'un instrument. La simple et pauvre bêche du Jardin Botanique est déjà une machine. Le miracle des fleurs, qu'elle contribue à produire, est à la pauvre et simple bêche ce que peut être à la fontaine lumineuse du Parc Lafontaine la dynamo ou la turbine. Écoutons Pascal parlant des médiocres. Il les qualifie de machines, c'est-à-dire d'engins essentiellement sans âme, aptes à produire le beau, le bien, le juste, aussi bêtement que le laid, le mauvais et l'injuste. Sans conducteur, la machine n'est rien. « C'est dans l'homme, comme le disait Maximilien Gauthier, que l'éveil d'un dieu demeure possible ».

Les arts doivent donc se développer  non pas dans l'anarchie mais selon une évolution lente et saine. Notre époque est celle du babélisme. Les artistes modernes prétendent faire un art avec tout ce que les vieux maîtres, durant des siècles, s'interdisaient. Aujourd'hui, les questions techniques prédominent dans l'esprit des artistes. Autrefois, on apprenait son métier, on le mettait au service de la beauté dans des œuvres qui font l'admiration du temps, puis on employait ses loisirs à expérimenter. Mais tous ces essais demeuraient cachés. Aujourd'hui, chacun veut conserver sa personnalité et s'imposer à la généralité ; chacun veut être un « as » ; autrefois, ni Michel-Ange, ni le Vinci, ni Raphaël, ni Bach, ni Mozart, ni Beethoven ne cherchaient à être des « as » ; ils cherchaient à créer de belles œuvres et rien de plus.

Nous vivons à une époque de déséquilibre. Paul Dukas disait un jour qu'il y a un manque d'appropriation des moyens - plus nombreux qu'autrefois - au but, et il ne parlait pas seulement de la musique. Il ajoutait : « Désireux de se faire connaître à tout prix et vite, les artistes ne savent plus que dire ni que faire ; l'étrange et l'absurde leur paraissent les meilleurs moyens d'attirer sur eux l'attention ». Mais Paul Dukas, comme Jacques Heugel, ne croit pas à la durée de ce désordre. Les artistes réclameront eux-mêmes le retour à la discipline. Il ne croit pas non plus à la mort du sentiment, qui reprendra un jour sa domination sur l'instinct.


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ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Empty CONCLUSION (fin).

Message  Roger Boivin Sam 06 Nov 2010, 7:33 pm


Nous avons rappelé, au cours de cette étude sommaire, les principes qui ont guidé les grands artistes du passé. Cela a pu sembler être puéril. Il était pourtant utile de reprendre toutes ces notions. On a oublié le Beau, qui est la loi suprême de l'Art. « L'artiste de notre époque, dit Gaborit, n'a pas au cœur des convictions assez sincères, il n'a pas une assez haute idée de sa mission, il ne tient pas son regard fixé sur un idéal assez élevé. Il faut que l'artiste se mettre au service de la vérité, qu'il cherche son idéal au-dessus des réalités grossières - et nous pourrions ajouter : des rêves insensés du subconscient, - qu'il s'efforce de nous exprimer la véritable beauté qui nous apparait sous différentes formes, mais dont les grandes lois ne varient pas : elles sont indépendantes des temps et des lieux. Les arts, en n'essayant jamais de nous montrer, comme beau, ce qui est en dehors du vrai et du bien, mais en faisant toujours briller en même temps à nos yeux ces trois rayons qui émanent d'un même foyer : le vrai, le bien et le beau, reconnaîtront leur divine origine. Ils produiront des œuvres dignes de captiver les âges les plus reculés, et, en nous procurant les plus grandes émotions, ils contribueront à régénérer la société ».



FIN



( Aux intéressés : Je vais tâcher de rajouter, aux endroits précis, hormis les quelques nus, l'illustration de chacune des œuvres citées au cours de ce livre ; travail qui prendra je ne sais pas combien de temps. roger. )


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ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Empty VIVE LE CHRIST-ROI !

Message  Roger Boivin Dim 07 Nov 2010, 12:27 am


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 Christ29


O Christ, nous vous proclamons le Prince des siècles, le Roi des nations, le seul maître des esprits et des cœurs!

Une foule criminelle crie: nous ne voulons pas que le Christ règne, nous, nous vous acclamons comme le Roi suprême de tous.

O Christ, Prince artisan de la Paix, soumettez-vous les esprits récalcitrants, et par votre amour, réunissez en un seul bercail ceux qui ont quitté la bonne voie.

Pour cela, vous pendez les bras ouverts sur la Croix sanglante, et vous présentez au regard votre cœur percé par la cruelle lance, et brûlant de flammes d'amour.

Pour cela vous êtes caché sur les autels sous les espèces du pain et du vin, faisant jaillir de votre sein transpercé le salut pour vos fils.

Puissent les chefs des nations vous honorer par un culte public; puissent les maîtres et les juges vous vénérer; puissent les lois et les arts être l'expression de votre Royauté.

Puissent les insignes de la royauté terrestre briller par le fait de vous être soumis et dédié; soumettez aussi à votre doux sceptre la patrie et les demeures des citoyens.

A vous soit gloire, ô jésus, qui gouvernez les règnes du monde, ainsi qu'au Père et à l'Esprit-Saint, dans les siècles éternels.

Ainsi soit-il.








« Jésus était le plus beau des enfants des hommes ».

La seule description du Christ est celle de Lentulus, gouverneur de la Judée, ami de Ponce-Pilate. Dans une lettre adressée au Sénat Romain, publiée par Fabricius, il disait :

« Jésus-Christ a un aspect majestueux et une figure rayonnante pleine de suavité ; tous ceux qui le voient sont pénétrés à la fois d'amour et de crainte. On dit que son visage rose, à la barbe divisée par le milieu, est d'une beauté incomparable et que personne ne peut le regarder féxément sans en être ébloui. Par ses traits, il ressemble à sa mère qui est la plus belle et la plus douce figure que l'on ait jamais vue dans ces contrées. Son langage précis, net, grave, inattaquable est l'expression la plus pure de la vertu, d'une science qui surpasse de beaucoup celle des plus grands génies.

Dans ses reproches et dans ses réprimandes il est formidable; dans son enseignement et ses exhortations il est doux, aimable, attrayant, irrésistible. Il va nu-pieds et tête-nue; le voir de loin, on rit, mais en sa présence on tremble et l'on est déconcerté. On ne l'a jamais vu rire, mais on l'a vu pleurer. Tous ceux qui l'ont approché disent qu'ils en ont reçu santé et bienfaits; néanmoins je suis harcelé par des méchants qui disent qu'il nuit grandement à Ta Majesté , parce qu'il affirme publiquement que les rois et leurs sujets sont égaux devant DIEU. Commande-moi donc, Tu seras promptement obéi.
»


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Message  Sandrine Dim 07 Nov 2010, 5:26 am

Merci Roger pour ce travail sur l'art. Très intéressant !

Très bonne idée pour le rajout des illustrations cheers
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Message  Roger Boivin Mar 16 Nov 2010, 2:46 pm

Sandrine a écrit:Merci Roger pour ce travail sur l'art. Très intéressant !

Très bonne idée pour le rajout des illustrations cheers

À part quelques ouvres que je n'ai pu retrouver, c'est fait.

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Message  Invité Mar 16 Nov 2010, 4:54 pm

Beau travail Roger Wink

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Message  ROBERT. Mar 16 Nov 2010, 5:31 pm

Sandrine a écrit:Merci Roger pour ce travail sur l'art. Très intéressant !

Très bonne idée pour le rajout des illustrations cheers

René a écrit:Beau travail Roger Wink

Ces belles appréciations de votre dossier, cher Roger, me rappellent

qu'il me faudra poursuivre la lecture déjà entreprise de ce dossier.. ANARCHIE DANS L'ART. - Page 3 531927 Very Happy

.
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Message  Roger Boivin Sam 03 Sep 2011, 11:57 pm


roger a écrit: ( Aux intéressés : Je vais tâcher de rajouter, aux endroits précis, hormis les quelques nus, l'illustration de chacune des œuvres citées au cours de ce livre ; travail qui prendra je ne sais pas combien de temps. roger. )
Pour la question de la représentation du nu en Art, voir cet excellent travail du Père Sertillanges, L'ART ET LA MORAL :

https://messe.forumactif.org/t3667p15-l-art-et-la-moral#72929


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