ANARCHIE DANS L'ART.

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Message  Roger Boivin Mer 20 Oct 2010, 1:05 pm

O

ANARCHIE DANS L'ART
Dominique Laberge
Édition Fernand Pilon
Montréal
1945.

OO

Notes biographiques

( Laberge, Dominique. Journaliste. Frère de Bernard R. Laberge, imprésario. Critique musical au journal La Patrie. Son essai, Anarchie dans l'art, a été une pièce importante des « partisans de l'ordre » lors du débat qui les opposait aux « ultra modernes » , dans le milieu des arts visuels au Québec, au cours de la décennie 1940. Il s'en prend à ceux qu'il appelle les « pères du modernisme » : Degas, Manet et Rodin. « Selon sa conception, l'art ne fait que refléter le désordre de son époque. Puisque le matérialisme et l'individualisme ont envahi son domaine, rendant possible l'anarchie régnante, il faudrait rétablir la mission civilisatrice de l'art en insistant sur une réforme spiritualiste » (DOLQ). Publication : Anarchie dans l'art, 1945. Source : Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome III, p. 45-46. )

O O O


ANARCHIE DANS L'ART




TABLE DES MATIÈRES :

Préface.

Avant-propos.

Qu'est-ce que l'Art ?

L'Art, expression de l'émotion.

Style et Manière.

La Mesure de l'Art.

L'Art Moderne.

Conclusion.



O O O O


PRÉFACE



À force d'entendre répéter qu'il faut du nouveau, qu'on doit suivre son siècle, que tout change et que tout est changé, beaucoup de bonnes gens ont perdu le sens de la vie.
Il y a plus de cent ans déjà, Ingres le remarquait avec cette raison qui est l'apanage des plus beaux génies : Est-ce que la nature change, est-ce que la lumière et l'air changent ? Est-ce que les passions du cœur humain ont changé depuis Homère ?

Hé non ! Mais l'argent a changé de mains, et les arts, qui en ont besoin pour vivre, ont changé de note. Pour plaire à ceux que leur ignorance condamnait à ne comprendre rien à rien, quelques artistes élèvent l'inintelligible à la hauteur d'un dogme. D'où résultent les outrances les plus risibles, accompagnées des éloges d'une critique qui puise dans son charabia pseudo-philosophique les éléments d'une appréciation que tous les snobs se font un devoir d'écouter sans y rien entendre.


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Message  Roger Boivin Mer 20 Oct 2010, 1:31 pm

Justement, vers 1935, dans son volume « La Politique et les Arts » ( Librairie académique Perrin ), M. Philippe Besnard compare ce déploiement verbal à un boniment de camelot pour vanter une marchandise dont la valeur est inexistante. Or, comme le disait un journaliste anonyme du « Journal de Genève », « les arts et les lettres, constituant la partie spirituelle d'une nation, ne peuvent être livrés à l'anarchie sans dommage pour la société, qui se trouvera entraînée à son tour dans un désordre dont les artistes seront les premiers à souffrir ».

Et le journaliste d'ajouter : « En effet, poussés par un très naturel désir de gagner leur vie, la plupart des artistes ne travaillent plus pour l'avenir, de crainte d'être en retard sur le lendemain. Le mauvais goût de l'existence des contemporains leur a appris à songer moins à la postérité qu'à la prospérité. Ils ont remplacé par un adroit savoir-faire la sincérité, la noblesse et l'amour qui sont les vrais éléments de l'immortalité. Au moins, direz-vous, ils réussissent dans ce monde et un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Eh bien ! non. Les malheureux ne tiennent plus rien du tout. Le futurisme, qui prétendait devancer la mode, est déjà passé de mode.

« Pourquoi ? Parce que le public ne se laisse pas tromper indéfiniment. Il se fatigue des artistes qui jouent du paradoxe pour susciter la polémique et se mettre en vedette. Il se lasse d'être mené comme un troupeau de moutons vers des terres arides qui ne lui offrent rien à se mettre sous la dent. Il se dit qu'après tout son plaisir doit bien compter pour quelque chose, puisqu'on lui demande son argent en retour. Et comme aucun plaisir ne lui est donné, il se refuse à payer.

« Un abîme sépare aujourd'hui l'art contemporain de l'homme de la rue. Ce dernier s'endort tous les soirs sur le livre qu'on lui a cité comme un chef-d'œuvre ; il entre dans un exposition de tableaux et se demande incontinent lequel des deux, de lui ou du peintre, est devenu fou ; au concert, il se boucherait les oreilles s'il le pouvait faire sans être remarqué. Alors, que voulez-vous ? Après une passagère humiliation, il prend son parti d'être un philistin, un nigaud, et s'en va dîner à la campagne, assuré du moins que l'art culinaire n'aura pas de secret pour son estomac. Là-dessus les artistes se plaignent qu'on ne les soutient pas. C'est vrai, mais à qui la faute ? Ce public si souvent traité de retardataire, il n'a que trop longtemps marché. »


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Message  Roger Boivin Mer 20 Oct 2010, 3:02 pm

Mais les artistes modernes et leurs coryphées s'acharnent toujours à prétendre qu'il faut comprendre l'art dans le mouvement de la vie, disant que « Notre maître le Passé » est une maxime d'historien, non de créateur. Ils accusent les partisans de l'ordre d'aimer les artistes, mais morts, d'apporter contre la peinture non figurative des raisons utilitaires, des raisons de moralistes, des raisons étrangères à l'art. C'est à voir. En peinture, par exemple, ils font, comme ils disent, de l'art vivant, trouvant inerte tout ce qui contrecarre leur vues.

Ils ont un mot suprême d'insulte pour qualifier les peintres orthodoxes en les accusant de faire de l'art académique et de la photographie. Dans l'art figuratif, l'épreuve suprême est de donner l'illusion de la vie réelle. Aucune photographie d'un tableau ne peut donner une idée exacte de cette vie qui anime l'œuvre d'art, non plus que son mystère.

L'appareil photographique, en effet, ne saurait reproduire la chair palpitante, même si c'est le sujet vivant qui est photographié. Voilà une preuve de l'hypocrisie des partisans de l'art abstrait, qui répudient en art toute imitation de la nature en disant que « l'appareil photographique peut faire mieux ». C'est un mensonge, et ils le savent. Je le répète après plusieurs autres, notamment le sculpteur américain, Ruckstull, dans son livre « Great Works of Art and What Makes Them Great » ( librairie Garden City Publishing Company, Inc., Garden City, New York ).


ANARCHIE DANS L'ART. 33-89010

http://books.google.ca/books?id=sSSPDNdL0u4C&pg=PA520&lpg=PA520&dq=Great+Works+of+Art+and+What+Makes+Them+Great+de+ruckstuhl&source=bl&ots=chU40G9k-P&sig=qLErHCbHblXxnDhckURShVjw05Q&hl=fr&sa=X&ei=IAvvUMOcFuSq0AGyxYCwDQ&ved=0CDUQ6AEwAQ#v=onepage&q=Great%20Works%20of%20Art%20and%20What%20Makes%20Them%20Great%20de%20ruckstuhl&f=false


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Message  Roger Boivin Jeu 21 Oct 2010, 1:07 am


La réaction contre le modernisme outrancier en art a fait naître des réformateurs, dont la plupart sont sincères. Mais, hélas ! plusieurs d'entre eux oublient cette maxime de Confucius : « Quand un homme sait qu'il doit s'occuper des causes avant de s'inquiéter des effets, il est alors bien près de posséder la vérité ». Le monde actuel de la politique nous donne l'exemple de l'anarchie la plus complète. Les peuples sont en guerre. On multiplie conférences et palabres pour discuter les effets de la politique et y trouver remèdes et palliatifs.

On veut instaurer un ordre nouveau, sans tenir compte malheureusement du droit et de la justice, seules bases de la paix sociale, sans faire disparaître les causes qui ont amené le bouleversement universel dont on se plaint. Rien d'étonnant alors de constater la permanence et la stabilité du chaos, la fixité durable de l'anarchie. Ruinées, rendues à bout de souffle, les nations feront, comme auparavant, la trêve pour reprendre à la prochaine occasion leurs combats sanglants. Il en est dans les arts comme en politique, pour réagir avec efficacité contre les erreurs du modernisme outrancier, il faut réaliser les maux en leurs causes profondes.

L'anarchie contemporaine en art est la conséquence logique des erreurs de ceux qu'on a appelés les Pères du modernisme, Degas, Manet et Rodin, sorte de trinité qui fut et restera la malédiction de l'art moderne. Dans leurs œuvres, on ne trouve rien qui élève l'âme, mais tout, au contraire, qui l'abaisse au niveau de la licence et de la vulgarité. Par la recherche de l'originalité à tout prix, par le souci de l'épate, de l'étrange et de l'anormal, les pères du modernisme ont fait en quelque sorte œuvre de révolutionnaires.  

Quoiqu'en disent les partisans de l'art abstrait, il n'est pas vrai que l'art se renouvelle dans l'anarchie, le progrès s'effectue par une saine évolution, lente comme toute évolution. On peut s'étonner dès lors qu'un grand réformateur de l'art religieux comme Henri Charlier ( 1 ) ait si peu à dire contre Rodin. Mais chez lui cela s'explique jusqu'à un certain point puisqu'il doit à Rodin son métier et l'élève a toujours de l'admiration pour son maître, une admiration qui va parfois jusqu'à l'aveuglement.

( 1 ) http://www.presencedescharlier.org/pages/biographie_hc_fpag.html

http://www.presencedescharlier.org/biographie/chronologie_henri_mai_08.pdf


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Message  Roger Boivin Jeu 21 Oct 2010, 1:33 am


Notre époque est bien étrange. Le matérialisme la caractérise, et l'art contemporain en est le reflet. La réforme partant doit être d'essence spiritualiste. Pour que l'art reprenne sa mission civilisatrice dans le monde, il devra s'inspirer d'un noble idéal et se mettre au service de Dieu, non pas en suivant nécessairement les sentiers battus, car, en vertu d'un principe jamais mis en doute, la liberté a toujours sa place dans l'Art. Mais la liberté n'est pas la licence. Cela, il ne faut jamais l'oublier. L'art impersonnel et la liberté ne sont pas incompatibles. Il faut réagir contre l'art contemporain dans tout ce qu'il a d'outrancier. Réaction, en somme, contre l'individualisme anarchique.

Les défenseurs de l'Art vivant ne manqueront pas de pousser les hauts cris et, peut-être de qualifier l'humble auteur de ces lignes de crétin, un substantif dont les gens dits raffinés abusent, en lui donnant d'ailleurs un sens qu'il n'a jamais eu. Les encyclopédies sont catégoriques sur ce point. Ce livre, évidemment, ne s'adresse pas à eux, qui n'ont cure de morale et de spiritualité. Il s'adresse encore moins à l'infime minorité d'incroyants
(ce livre a été publié en 1945. (roger)) qui font table rase de tous principes nobles et élevés. Il serait ridicule de prétendre qu'une minorité si petite ait pour mission de conseiller le monde. Puis, qu'elle en prenne son parti : le fait chrétien fut et restera le seul véritable progrès de l'humanité, car le Christ a dit : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. »

Que le lecteur ne cherche point dans cet ouvrage un livre fait avec art, où l'éclat du style ajoute à celui de l'idée qu'il exprime. C'est chose téméraire que de se présenter pour la première fois au public à la hâte et sans préparation, et de le traiter en quelque sorte comme un ami, à qui l'on confie ses pensées telles qu'elles vous sont venues, sans chercher à leur donner cette touche qui en achève l'expression, en la rendant plus parfaite. Et si, après l'avoir lu, vous le fermez en disant : « ce livre m'a fortifié dans mes convictions », j'aurai atteint mon but mieux que si vous aviez trouvé du talent dans la forme et de l'éclat dans le style.

Dominique LABERGE


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Message  Roger Boivin Jeu 21 Oct 2010, 12:48 pm

AVANT-PROPOS



Joseph de Maistre(1), dans ses Soirées de Saint-Pétersbourg, deuxième entretient, dit :
« Nous devons reconnaître que l'état de civilisation et de science, dans un certain sens, est l'état naturel et primitif de l'homme. Ainsi toutes les traditions orientales commence par un état de perfection et de lumières, je dis encore de lumières surnaturelles ; et la Grèce rendit hommage à cette vérité en plaçant son âge d'or à l'origine des choses. Système absurde que celui qui voudrait, pour ainsi dire, matérialiser l'origine de nos idées ; il n'en est pas, je crois, de plus avilissant et de plus funeste pour l'esprit humain. Par lui la raison a perdu ses ailes, et se traîne comme un reptile fangeux ; par lui fut tarie la source divine de la poésie et de l'éloquence ; par lui, toutes les sciences morales ont péries ».

Monsieur Jacques Heugel, directeur du journal hebdomadaire « Le Ménestrel » de Paris, commentant ces paroles de Monsieur de Maistre, écrivait il y a quelque douze ans :
« Dans cinquante ans, quelle figure les esprits attentifs trouveront-ils à cette première moitié du XX ième siècle ? Tout d'abord, ils auront du mal à en découvrir les traits ; ils ne verront qu'une masse confuse, rappelant certains tableaux de cubistes attardés. Ils n'auront quelque chance d'en fixer la forme que s'ils appliquent à cette figure les grands principes généraux qu'ils ne manqueront pas alors de connaître. La sensibilité : elle est émoussée ; pour l'éveiller, il est besoin de rudes excitants. L'intelligence : l'emploi de trop de microscopes l'a fatiguée ; elle n'est à l'aise que dans le tout petit. La volonté : elle est dispersée ; elle ne peut s'appliquer longtemps à la poursuite du même but.

« D'où vient ce désarroi ? De l'incertitude du moi, cocher qui a perdu sa route. La route, les dieux la lui avaient cependant bien indiquée. Mais il s'est cru si fort ! Il a oublié les dieux. Et maintenant il ne sait quel ordre donner aux trois pauvres chevaux qui tirent son char. Aussi s'en vont-ils à droite, à gauche, sous la paresse des rênes relâchées. Le moi s'inquiète. Il tourne dans un cercle fatal dont il connaît tous les détails. Il a perdu les mots qui des objets les plus coutumiers font jaillir l'éternelle vie.

« Du nouveau ! s'écrit-il en Beaudelaire, ce précurseur de l'homme actuel. Et il invente des machines qui remplacent sa volonté défaillante ; et il ranime sa sensibilité par la morsure des drogues. « Ah! dit-il, cette civilisation ! C'est d'elle qu'il faut s'évader. La science voit dans le singe mon ancêtre. Pour sortir du cercle des constructions intellectuelles, j'irai vers le sauvage, vers le primitif. Toutes mes religions, tous les dieux, sont sortis de ses grigris, de ses totems ; je trouverai chez lui l'arcane de la vie et de l'amour. Mais, dans cinquante ans, les esprits attentifs auront retourné la théorie, le fameux système des darwinistes. Et au fantôme évoqué de l'homme du XX ième siècle ils pourront dire :

« Pauvre frère ! tu ne savais pas que tes « primitifs », bien loin d'être tels, n'étaient que des dégénérés. que des décadents. Tu ne savais pas que leurs totems n'étaient que les ossements poussiéreux d'anciens symboles vivants, trésors des véritables primitifs, Humblement, nous avons demandé aux dieux de nous rapprendre la science. Nous savons maintenant que les hommes descendent, non des singes, dégénérés hybrides, mais des anges, de ceux que l'on nomma les Elohim(2).

« La terre primitive, nous ont déclaré les dieux, avant que les hommes se fussent écartés de nous, était certes un paradis. Dans sa chute l'homme a entraîné la nature entière. Les bêtes nuisibles, féroces, sont, au fond, des expressions de ses mauvaises convoitises, de ses cruautés destructices. De tant d'horreur il porte la responsabilité, responsabilité si écrasante que, pour le sauver, le Verbe central a dû descendre jusqu'à sa faiblesse. Et toi, homme du XX ième siècle, tu as pensé qu'en te rapprochant de l'anthropoïde, tu retrouverais la force primordiale ! Tu ne savais pas que la vie n'a point sa source dans le néant de la matière. »



La citation, très longue, décrit mieux que je ne saurais le faire moi-même l'homme du XX ième siècle, qui prend pour le génie sa réflexion dans l'étang des instincts.



(1) -  De Maistre (joseph). - Chambéry (1754-1821). - Écrivain de premier ordre, dont le génie s'est voué tout entier à la défense de la vérité catholique ; auteur des " Considérations sur la France ", du " Livre du Pape ", des " Soirées de Saint Petersbourg ", etc.

https://archive.org/stream/lessoiresdesai01maisuoft#page/98/mode/2up



(2) - Heugel plus loin dit « La Genèse affirme : Elohim a fait l'homme à son image. ».

Elohïm ou Eloïm. n.m.(mot hébreu). Un des noms de Dieu dans la Bible. En hébreu ce mot est pluriel, le pluriel d'Eloah (suivant qu'il est accompagné d'un verbe au singulier ou au pluriel, il désigne " Dieu " ou " les dieux "). (Dictionnaire encyclopédique).


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Message  Roger Boivin Jeu 21 Oct 2010, 1:18 pm


Et Jacques Heugel dans le même article d'ajouter :

« Balzac, dans Louis Lambert, divise l'humanité en trois grandes classes : Les Instinctifs, les Abstractifs, les Spécialistes. La grosse majorité des hommes, quel que soit leur rang social, sont des Instinctifs. (Car, tombé, par la révolte de son moi, jusqu'à la vie des brutes, l'homme doit, pas à pas, remonter jusqu'au niveau humain.) Les intellectuels forment le groupe des Abstractifs. Ceux-ci voient le monde sous un aspect géométrique mort.

« Le mental est le grand destructeur du réel », dit sagement un texte extrême-oriental. « De l'Abstraction, dit Balzac, naissent les lois, les arts, les intérêts, les idées sociales. Elle est la gloire et le fléau du monde : la gloire, elle a créé les sociétés ; le fléau, elle dispense l'homme d'entrer dans la Spécialité, qui est un des chemins de l'Infini. L'homme juge tout par ses abstractions, le bien, le mal, la vertu, le crime. » Les spécialistes, eux, sont très rares. « La Spécialité consiste à voir les choses du monde matériel aussi bien que celles du monde spiritueldivise l'humanité en trois grandes classes : Les Instinctifs, les Abstractifs, les Spécialistes. La grosse majorité des hommes, quel que soit leur rang social, sont des Instinctifs. (Car, tombé, par la révolte de son moi, jusqu'à la vie des brutes, l'homme doit, pas à pas, remonter jusqu'au niveau humain.) Les intellectuels forment le groupe des Abstractifs. Ceux-ci voient le monde sous un aspect géométrique mort.

« Le mental est le grand destructeur du réel », dit sagement un texte extrême-oriental. « De l'Abstraction, dit Balzac, naissent les lois, les arts, les intérêts, les idées sociales. Elle est la gloire et le fléau du monde : la gloire, elle a créé les sociétés ; le fléau, elle dispense l'homme d'entrer dans la Spécialité, qui est un des chemins de l'Infini. L'homme juge tout par ses abstractions, le bien, le mal, la vertu, le crime. » Les spécialistes, eux, sont très rares. « La Spécialité consiste à voir les choses du monde matériel aussi bien que celles du monde spirituel dans leur ramifications originelles et conséquentielles. Les plus beaux génies humains sont ceux qui sont partis des ténèbres de l'Abstraction pour arriver aux lumières de la Spécialité. (Spécialité. species, vue, spéculer, voir tout, et d'un seul coup...) ». « L'instinctif, ajoute-t-il, est au-dessus de la mesure ; l'Abstractif est au niveau ; le Spécialiste est au-dessus. »


Heugel renvoie le lecteur à Balzac, puis il ajoute :


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Message  Roger Boivin Jeu 21 Oct 2010, 2:15 pm


« Le passage d'un état à l'autre est naturellement difficile, délicat, dangereux. L'Instinct est animal ; l'Abstraction est humaine ; la Spécialité est angélique.
L'homme qui touche à l'Abstraction, mais reste dans l'Instinct devient primaire, un fléau. L'homme qui atteint à la Spécialité, s'il ne s'est tout d,abord parfaitement équilibré, retombe presque sûrement dans les abîmes de l'Instinct ; et c'est alors qu'il appelle génie le reflet déformé qu'il y emporte de la sphère supérieure. L'homme qui confond ainsi le génie et l'instinct et qui réclame pour le génie des mesures exceptionnelles, est pour la société un fléau plus funeste encore que le primaire.

« L'homme épris de classicisme ne peut guère s'égarer en deçà ou au delà de l'Abstractivité. Le romantique, en revanche, le lyrique, le mystique, cherche à s'en évader... et risque la culbute. Le lyrisme (écrit le même Jacques Heugel) est une arme à double tranchant... Il est le chant du moi, de ce terrible moi humain, tour à tour sublime et vil... Mais telle est sa puissance qu'il permet de sonder les profondeurs infernales et, si l'esprit reste fidèle ;à sa divine Béatrice, de remonter jusqu'à la Rose céleste.

« Il faut donc qu'un jour ou l'autre, l'homme devienne un romantique, un lyrique, un mystique, cherche à s'élever jusqu'à la sphère de la Spécialité, jusqu'à son génie. « Qui veut aller jusqu'à Dieu doit passer par l'épreuve de l'indépendance, au risque de la damnation. » Or, l'homme actuel, ultra-romantique qui s'ignore, est sur le point de retomber dans l'enfer de l'Instinct pour s'être laissé égarer par la théorie de l'évolutionnisme matérialiste dont le système du Dr Freud est une des conséquences. »
Le freudisme est cette théorie du subconscient par laquelle les partisans de l'art abstrait cherchent à réaliser, du moins en peinture, leurs rêves pathologiques, pour n'arriver qu'à de l'inintelligible.

L'anarchie, le désarroi, règne donc en maître aujourd'hui dans les arts. Platon et Aristote disaient que la Vérité, le Beau et le Bon étaient à la base de tous les arts. L'histoire se charge de nous l'enseigner d'Homère à Phidias et de Phidias jusqu'à nos jours, c'est-à-dire jusque vers l'année 1860 alors que commença l'art moderne.


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Message  Roger Boivin Ven 22 Oct 2010, 11:16 am


Quand on analyse l'évolution de l'Art au cours de ces siècles de production, c'est un ensemble merveilleux à contempler. Un regard sur l'ère actuelle nous place en face du chaos, de l'anarchie, et cela est plus troublant. Aujourd'hui, sous le signe des théories nouvelles, on glisse du normal à l'anormal, on se livre au culte du médiocre. L'artiste se fait une gloire d'abhorrer tout ce qui est noble et grand.

Et l'on appelle cela évoluer. On confond évidemment les mots évolution et révolution. L'évolution est lente et amène le progrès, la révolution sème l'anarchie. Si la liberté individuelle est indispensable au progrès, l'affranchissement complet comporte de grands inconvénients.

Depuis la naissance du genre humain, tous les progrès ont été accomplis sous le signe de l'excellence. Le culte du médiocre est toujours un retour insensé vers la sauvagerie. Dès le siècle de Périclès, l'humanité se dépouilla du primitif pour marcher vers la Vérité et la Perfection. Vouer un culte au médiocre n'est rien inventer, car Néron et ses coryphées avaient ce culte, et c'est cela qui a précipité la ruine de Rome. On constate le même fait en France au temps de la Régence. La recherche de la fin ultime fut et restera toujours l'occupation la plus sérieuse de l'esprit humain. De tout temps, les hommes se sont posé des questions comme celles-ci : « D'où venons-nous ? Où allons-nous ? Que pouvons-nous faire de plus noble ici-bas ? »

Il en est quelques-uns - une infime minorité, - qui nient toute action d'un Dieu créateur de toutes choses, d'une Providence qui règle tout ; ils ne voient après cette vie que le néant. Ils se divisent généralement en deux groupes : les matérialistes qui ont surtout le culte de l'instinct, et les « pseudo-spiritualistes », encore moins nombreux, qui, par un illogisme qui s'explique mal, reconnaissent la nécessité de rechercher le Vrai, le Bon et le Beau afin d'établir en quelque sorte sur la terre un Éden.

Qu'on le veuille ou non, on ne peut avoir de conceptions qu'appuyés sur des idées générales, et, les idées générales étant elles-mêmes des expressions de ce que ne saisit point l'intellect, il faut, qu'on le veuille ou non, s'appuyer sur l'inconnu. On n'échappe pas à ce qui englobe tout. Qui croit pouvoir se passer de l'inconnu construit dans le vide, et son œuvre ne dure point. C'est aussi l'opinion d'un écrivain comme Jacques Heugel, déjà cité et qui écrivait dans son journal ce qui suit :


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Message  Roger Boivin Ven 22 Oct 2010, 11:34 am


« Tel primaire prétend que l'art est en progrès. Cela, rigoureusement, ne signifie rien si l'on n'a pris soin tout d'abord de définir ces mots : art et progrès. Pourquoi l'art ? quelle est sa place dans la vie ? Voilà la première question. Quelle est la nature du progrès ? Voilà la seconde. Et l'une et l'autre sont reliées à cette immense question fondamentale : Qu'est-ce que l'homme ? Si l'on n'a point d'opinion sur ces problèmes, comment oser choisir entre, par exemple, ces deux visions : un coucher de soleil et un pare-brise.

« Le moi pensant doit parvenir à comprendre la création au centre de laquelle il vit. Il doit résoudre la triple énigme, c'est-à-dire par sa sensibilité, s'élever jusqu'à la perception de la Beauté, par son intelligence, s'élever jusqu'à la connaissance de la Vérité, par sa volonté, s'élever jusqu'à la réalisation du Bon ; car tel est le triple but proposé à sa triple activité. Dans la société humaine, ces trois efforts vers ces trois idéals se concrétisent en ce que nous avons coutume d'appeler l'Art, la Science et la Religion. Qu'est-ce en effet que l'Art, sinon la recherche du Beau, le désir de le réaliser ? La Science, sinon la recherche du Vrai, le besoin de le comprendre ? La Religion, sinon la recherche du Bien, la volonté de le réaliser ? »


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Message  Roger Boivin Ven 22 Oct 2010, 12:14 pm

Dans son « Art dualiste et mystique », Péladan présente ainsi sa théorie de la Beauté :

« Il n'y a pas d'autre beauté que Dieu. Dieu seul existe et toute parole qui ne l'exprime pas est un bruit ; et toute voix qui ne le cherche pas aboutit au néant. La seule fin de l'homme c'est la question de Dieu. Il faut le percevoir, le concevoir, l'entendre ou périr ignominieusement. Les trois grands noms divins sont : 1. - la Réalité, la Substance ou le Père ; 2. - la Beauté, la Vie ou le Fils ; 3. - la Vérité ou l'unification de la Réalité et de la Beauté, qui est le Saint-Esprit. Ces trois noms régissent trois voies mêmement aboutissantes. Question de Dieu : trois modes religieux. Entendez religion dans son sens de relier la créature au créateur. La Science ou la recherche de Dieu par la Réalité, l'Art ou la recherche de Dieu par la Beauté, la Théodicée ou la recherche de Dieu par la pensée. Qu'est-ce donc que la Beauté sinon la recherche de Dieu par la Vie et la Forme ? Quelle est l'essence de l'Art ? Et comment définir l'Art lui-même sinon ainsi : l'Art est l'ensemble des moyens réalisateurs de la Beauté. La Beauté est l'essence de toute expression par les formes. Les techniques ne sont que les modes aboutissants. Si la Beauté est le but, l'Art le moyen, quelle sera la règle sinon l'Idéal ? »

L'Art idéaliste est donc celui qui réunit dans une œuvre toutes les perfections que l'esprit peut concevoir sur un thème donné. On comprend déjà qu'il y a des thèmes trop bas que tout véritable artiste bannit automatiquement  de sa vie créatrice. Pascal ne s'est-il pas demandé un jour dans une de ses pensées lumineuses :

« Quelle vanité que la peinture qui veut nous forcer d'admirer la représentation des choses dont nous dédaignons la réalité ».
Wagner écrivait à son tour : « L'Art commence là même où finit la vie ».
Ces deux hommes se faisaient une conception très haute de l'Art.


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Message  Roger Boivin Ven 22 Oct 2010, 12:36 pm


Ainsi parle Péladan. Mais revenons à Heugel.

« Et le progrès, dit-il, existe-t-il ? Oui, si par progrès l'on entend le succès progressif de l'âme qui conquiert petit à petit son être total et réalise en lui, par la maîtrise des forces inférieures, l'idéal de beauté, de vérité et de bonté, c'est parfait. Si, au contraire, on a en vue le progrès des machines qui se font toujours plus rapides, toujours plus complexes, toujours plus tyranniques, progrès de tout ce qui n,est pas l'homme, illusion mortelle. Or, il semble bien que, si de tout temps, un grand nombre d'individus, obscurs ou célèbres, consciemment ou non, ont adopté cette conception du progrès, la foule, depuis au moins quatre-vingt ans (c'est-à-dire , depuis 1860), l'a complètement perdue et s'est enfermée de plus en plus dans  « l'illusion mortelle ». La foule, pas seulement, hélas ! la foule inculte, mais aussi la foule des intellectuels, dont quelques-uns font figure de sommets. Les traditions de tous les peuples sont d'accord pour affirmer que les ères de la civilisation, les âges de fer, de bronze et d'argent, ont été précédées d'une ère merveilleuse, l'âge d'or.  Aujourd'hui, en face de ce chœur imposant, une voix s'élève, qui veut être autoritaire, celle des savants darwinistes, qui remplacent l'âge d'or, où, selon Hésiode, les hommes « vivaient comme des dieux, doués d'un esprit tranquille », par l'âge du quadrumane. A l'orgueil de parvenue de cette science rétrograde, il faut préférer la simplicité des traditions antiques.


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Message  Roger Boivin Ven 22 Oct 2010, 1:22 pm

« Il fut donc un temps, ajoute Heugel, où l'homme, dont la forme était fille de la forme angélique, vivait dans la nature, mais un peu comme Dieu. Ses attitudes, ses gestes, sa voix étaient d'une majesté divine. L'égoïsme du désir ne l'avait pas encore souillé - ni torturé. Sa parole, alors, était créatrice, et, lorsqu'il avait, dans le silence de son âme, communié avec la Divinité, les paroles qui sortaient de sa bouche étaient des hymnes vivants et rayonnaient comme des anges. Pour exprimer la vie dont il débordait, qu'eût-il fait alors des machines ? Vous figurez-vous Adam dénombrant et nommant les choses et conversant avec Raphaël, vous le figurez-vous jouant du violon ou mettant en marche un phonographe, ou encore tournant le bouton de son appareil de radio ? Il n'avait même pas besoin de savoir écrire. Écrire quoi ? Conserver ses propres paroles ? Mais écrit-on les battement s de son cœur ? En communion avec le Verbe, certain de pouvoir, à tout moment, chanter un chant sans précédant, toujours original parce qu'issu de la source originelle, l'homme pouvait laisser ses paroles s,en retourner vers cette source. Alors, il ne pouvait rien perdre. « L'Art, la Science et la Religion, a dit Victor Hugo, étaient pour ainsi dire partie intégrante de son être. En cette époque paradisiaque, tout désir était un désir de beauté, toute vie était baignée de vérité, tout acte était un acte de bonté ».

Après cette citation de Victor Hugo, M. Heugel ajoute :

« Certains auteurs disent que l'écriture fut un des premiers signes de la déchéance humaine amenée par la faute originelle ; et, avec elle, les instruments de musique ; et puis toutes les machines qui, moins nobles, parurent plus tard. La pensée s'est matérialisée, s'est cristallisée. Avares, car devenus pauvres, les hommes se sont efforcés de fixer leurs trésors ; de là les symboles et les textes. Affaiblis, rongés par les maladies nées des monstrueux accouplements de leurs désirs, ils ont fait ce qu'ils ont pu pour remplacer leurs forces amoindries. Ils ont construit des outils, des armes, des machines. Mais plus ils en ont inventés, plus ils les ont perfectionnés, plus leur force réelle a décru. Quoi de plus lamentable que l'homme civilisé moderne ? Supprimez-lui ses machines, que serait-il ? Qu'est-il par lui-même ? Le moindre fauve en liberté a raison de lui, lorsqu'il est désarmé. Pourquoi un fils de la Nature respecterait-il ce roi déchu, « ce dieu tombé des cieux », cette caricature de Dieu, cet « intellectuel », qui n,est fort physiquement que le fusil ou le fouet à la main et qui a même ses dompteurs, ses désirs ? La bête ne s'incline que devant l'homme primitif, Adam, ou l'homme régénéré. Daniel (régénéré, devons-nous ajouter, par la suspension des lois de la nature, voulue par Dieu).


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Message  Roger Boivin Ven 22 Oct 2010, 2:15 pm


« La "progression", depuis une trentaine d'années, force l'allure et, depuis la première guerre mondiale, a quelque chose d'un cataclysme. La machine, décidément, triomphe, aux dépends de l'homme qui l'a engendrée. D'autre part, de même qu'il est des pseudo-penseurs qui rêvent de faire de tous les hommes de beaux zéros interchangeables dans les rouages de la société, de même il est des esthéticiens qui rêvent de "déshumaniser" les arts, avec, naturellement, la complicité des machines. Après cela, la stérilité étant devenue totale et complète, il n'y aura plus qu'à baisser le rideau, - un rideau de pluie du déluge ou le rideau de feu de la foudre, - sur la scène du monde, vide.

« Mais soyons sérieux ; il n'y a pas de quoi rire. Si l'on veut aujourd'hui "déshumaniser" les arts, c'est parce que, sous l'influence des théories matérialistes, on a cessé de considérer l'homme comme le milieu de l'univers, comme l'être dont le moi est en équilibre, - d'ailleurs instable, - entre toutes les puissances, célestes et infernales, de la vie. L'homme n'est plus qu'une forme assemblée par le hasard, - ce si commode démiurge des ignorants et des demi-savants, - une quelconque formule possible, sans lien avec les autres aspects de l'être ni avec l'Être. Mais l'erreur ayant toujours deux faces, - elle est excès ou défaut, de part et d'autre de la vérité une, l'intellectualisme matérialiste a donné naissance à un autre idéal, pendant du premier, celui qui veut réduire l'Art à l'homme purement terrestre. La Genèse affirme : "Elohim a fait l'homme à son image". Elohim, c'est la synthèse de toutes les puissances créatrices. L'homme les recèle donc en lui. Les planètes, le Soleil et Sirius et Arcturus, et toutes les étoiles, ne sont que des créations de Dieu, des reflets de sa beauté. Certes, on peut admirer la ligne d'un pare-brise, mais, dirait Platon, c'est admirer un objet d'un degré plus éloigné de la vérité qu'un coucher de soleil ; c'est pourquoi l'Art qui se fonde sur le machinisme aura moins d'avenir que ses servants ne le proclament ; c'est pourquoi enfin l'artiste véritable, qui cherche à réveiller la vie profonde dans la chambre intime de son cœur, n'aura point honte, sachant que la Divinité est la protectrice des arts, de descendre d'automobile pour aller contempler la lune et, dans le crépuscule du soir ou du matin, Vénus, l'éblouissante... »


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Message  Roger Boivin Ven 22 Oct 2010, 3:04 pm


Matérialistes et spiritualistes se partageant le monde prétendent servir l'Art. Les premiers ne lui assignent aucune moralité ; les seconds, au contraire, s'en font un idéal de noblesse. Malheureusement, le spiritualisme de ces derniers n'est point subordonné à l'acceptation du spiritualisme métaphysique ; il s'agit plutôt par extension d'un spiritualiste moral, doctrine qui accorde plus de prix à la vie de l'âme qu'à celle du corps.

Bref, les uns et les autres se font de l'Art une conception différente. Les matérialistes admettent le Beau concurremment avec le Laid, sous le prétexte fallacieux que la moralité n'a rien à voir à l'Art. N'est-ce pas l'abaisser et le profaner ? Si l'Art est l'expression du Beau, n'est-ce pas aussi le flétrir que de le détacher de Dieu ? Comme le vrai, comme le bien, le beau a son départ et son point d'appui en Dieu.(1)

L'Art doit procéder avec liberté mais il doit respecter les lois éternelles. Établir ainsi les principes sur lesquels doit s'appuyer l'Art, constater la grande loi du beau, présenter une histoire abrégée mais raisonnée de l'Art au cours des siècles passés, réfuter les sophismes du modernisme outrancier, telle est l'œuvre que nous voulons humblement entreprendre ici.



(1) - « ..le vrai et le bien doivent être nos objets préférés. Le beau vient en sous-ordre, à titre de moyen faisant mieux aimer le bien. Renverser ce rapport, c'est faire du plaisir une fin dernière. (Notions Essentielle de philosophie, p. 73.)


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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 1:35 am


QU'EST-CE QUE L'ART ?

L'Art ! Voilà un mot qu'on galvaude bien souvent. Qu'est-ce que l'Art ? La question ne trouve pas facilement sa réponse. L'Art est l'expression sensible du Beau. La définition est peut-être incomplète. En tout cas, elle répond bien au point de vue spiritualiste auquel nous nous plaçons et qui est le seul acceptable. Le croyant véritable n'y contredira point. Il n'est pas facile de définir le Beau, disait un jour le professeur Victor Charland. Est-ce, comme le voulait Socrate, l'alliance de ce qui est bon et juste, ou comme le pensait Platon, la manifestation du Bien et du Vrai ? Faut-il croire avec Aristote que le Beau est l'Ordre associé à la Grandeur ; ou avec saint Augustin, l'Unité dans la Simultanéité, l'Égalité et la Convenance des parties ; ou avec Dante, la mystérieuse Trinité du Beau, du Vrai et du Bon ; ou, enfin, avec saint Thomas, l'Union intime de la Variété, de l'Intégrité, de la Proportion, de l'Unité et de la Splendeur ? Le Beau est tout cela, et c'est pourquoi il est peut-être indéfinissable.

Et le même professeur distinguait trois sortes de beauté : le beau physique, le beau moral, le beau intellectuel. « Or, disait-il, placez l'âme en face de quelque chose où resplendisse ce caractère de la Beauté, elle subit à son égard diverses impressions. Elle la perçoit, elle s'en ressouvient, elle l'orne de ses propres conceptions, elle l'idéalise autant qu'elle peut, c'est-à-dire qu'elle la rapproche d'un type qu'elle entrevoit en dehors de la réalité. Et après que, par le sentiment, par le souvenir, par l'imagination, par le goût, elle s'en est pénétrée, elle éprouve le besoin de la reproduire, et alors cette image, cette idée, ce sentiment qu'elle a de la Beauté, jaillissent au dehors et s'expriment, ou dans la pierre et le marbre, ou sur la toile, ou dans la parole, ou encore dans les sons. L'œuvre produite est belle ou vulgaire : le tout dépend de la vigueur avec la quelle le génie a étreint cet idéal qui fuyait devant lui.


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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 2:10 am

« L'Art n'est pas le réalisme, la reproduction de la Beauté - il n'est point question de la Laideur - telle qu'elle se présente aux yeux du corps. C'est, si l'on peut se servir d'un terme aussi technique, l'actualisation extérieure de l'idéal combiné avec le réel ou plutôt servi par lui. Le sentiment de beauté que l'artiste retire des objets, il le féconde avec sa pensée ; il se crée à lui-même un type supérieur à la nature ; il contemple ce que contemplait "Raphaël", qui disait : « Comme je n'ai pas sous mes yeux de modèle qui me satisfasse, je me sers d'un certain idéal de beauté que je trouve en mon âme » ; ce que contemplait Michel-Ange, quand il écrivait à son tour : « Déployant ses ailes pour s'élever vers les cieux, d'où elle est descendue, l'âme ne s'arrête pas à la beauté qui séduit les yeux et qui est aussi fragile que trompeuse ; mais elle cherche, dans son vol sublime, à atteindre le principe du beau universel. »

« Les paroles de Raphaël et de Michel-Ange nous disent donc que cette beauté idéale, dont la Nature dans son plus grand éclat n'offre qu'une révélation imparfaite, elle est en Dieu, elle est Dieu même. Sans doute, chaque être possède un reflet de cette beauté, mais ce n'est qu'un reflet, et bien pâle encore, car chaque être est encore plus beau lorsqu'il laisse voir, comme à travers un voile symbolique, un rayon de la Toute Beauté, Dieu lui-même.

« Mais pour voir, pour saisir en quelque sorte ce beau idéal, il faut se dégager des sens et de la matière. Les ténèbres ne comprennent pas la lumière, et la chair n'entend pas l'esprit. L'esprit et la matière viennent d'en haut, et c'est pourquoi l'Art, qui vit de l'un et de l'autre, doit être spiritualiste. L'esprit de religion agrandit les aspirations, approfondit le regard du génie artistique. Retenons la parole de Bossuet : « De même qu'on voit un fleuve qui retient encore, coulant dans la plaine, cette force violente et impétueuse qu'il avait acquise aux montagnes, d'où il tire son origine, ainsi après son commerce avec la divinité, la pensée de l'homme, en se communiquant, conserve la vigueur et la beauté qu'elle apporte du ciel d'où elle descend »
.


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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 12:16 pm

« Avec sa foi, l'artiste doit faire entrer dans son œuvre l'Amour : car selon le mot d'un écrivain, " Art veut dire amour, et artiste, celui qui aime ". La création du monde n'a été, par exemple, que le fruit de l'amour divin ; c'est l'amour de Dieu qui s'est répandu hors de lui-même selon le penchant de sa divine bonté. L'artiste, lui, est créateur et pour lui aussi l'amour est un principe de force et de fécondité. S'il n'aime pas, il sera peut-être encore habile, il ne sera pas vraiment beau, il pourra peut-être avoir du génie, mais cette puissance du génie sans le ressort du cœur ne fera rien de ravissant (1). Car c'est l'amour qui ravit : Dieu fait sur l'œuvre de l'artiste ce que, par vertu de Dieu, il a fait au commencement dans les choses qu'il a créées : il y fait fleurir la beauté.

« Avec la foi et avec l'amour
(2), l'Art atteint sa fin. Car il a une fin, une fin suprême, qui est de raconter à sa manière la gloire de Dieu ; un fin plus rapprochée de lui, une fin sociale, qui est de perfectionner la vie humaine en la rapprochant de son idéal, d'élever les âmes en les attirant vers les hauteurs, d'imprimer à l'humanité une marche ascendante et progressive ; en un mot, de l'entraîner avec lui dans le sens de sa véritable destinée.

« Ceux qui se contentent de reproduire la beauté sensible qui les frappe, ou la nature telle qu'elle se rencontre, sans s'occuper de cette beauté idéale qui est la vie et le tourment des véritables artistes, ce sont de simples ouvriers. Ils ne connaissent point l'Art, ils ne savent qu'un métier.

« Malheureusement, l'Art oublie parfois sa mission divine - aujourd'hui plus qu'autrefois. Au lieu d'élever l'homme, il l'incline vers la terre, en s'inclinant lui-même devant la triple idole de pourpre, d'or et de chair. Et ceux à qui Dieu a donné de comprendre les mystères de l'Art, ceux dont la pensée vit dans l'atmosphère du Beau, tous ceux-là se doivent de contempler, d'aimer toute beauté dans la contemplation et dans l'amour de la souveraine Beauté ; et par la puissance de cette contemplation et de cet amour, ils pourront faire alors des miracles, ils rendront la vie à l'Art qui va mourir, ils créeront des œuvres que le monde - tout le monde - admirera et qui le feront monter par ses admirations jusqu'à l'amour de l'infinie Beauté. »




(1) -  Si le cœur de l'artiste est corrompu ou plus ou moins corrompu, alors telle sera son œuvre ; donc il a tout intérêt, comme tous et chacun d'ailleurs, à se purifier le cœur .. par la Pénitence d'abord. (roger).

S.S. Pie XII
: « Il n'est pas nécessaire que nous vous expliquions, à vous qui le sentez en vous-mêmes, souvent comme un noble tourment, un des caractères essentiels de l'art, consistant en une certaine affinité intrinsèque de l'art avec la religion, qui fait des artistes en quelque sorte les interprètes des perfections infinies de Dieu, et particulièrement de sa beauté et de son harmonie. La fonction de tout art est en effet de briser le cercle étroit et angoissant du fini dans lequel l'homme est enfermé, tant qu'il vit ici-bas, et d'ouvrir comme une fenêtre à son esprit aspirant à l'infini.

Il résulte de cela que tout effort, vain en réalité, visant à nier ou à supprimer tout rapport entre la religion et l'art, aboutirait à une diminution même de l'art, car n'importe quelle beauté artistique que l'on veuille saisir dans le monde, dans la nature, dans l'homme pour l'exprimer par des sons, par des couleurs, par un jeu de masses, ne peut se séparer de Dieu, du moment que tout ce qui existe est lié à Lui par des rapports essentiels. Comme dans la vie, il n'y a donc point dans l'art ( qu'il soit entendu comme expression du sujet ou comme interprétation de l'objet ) l'exclusivement "humain" , l'exclusivement "naturel" ou "immanent" . L'art s'élève à l'idéal et à la vérité artistique avec une probabilité d'heureux succès d'autant plus grande qu'il reflète avec une plus grande clarté l'infini, le divin. Aussi, plus l'artiste vit la religion et mieux est-il préparé à parler le langage de l'art, à entendre les harmonies, à en communiquer les frémissements. »


( Allocution de S.S. Pie XII aux artistes de la Quadriennale romaine, 8 avril 1952 : LA RELIGION ET L'ART. ) ( Les Enseignements pontificaux - La Liturgie - présentation et table par les Moines de Solesmes - Desclée & Cie - Éditeurs pontificaux - pages 430-31-32. )




(2) - L'Amour de Dieu, l'Amour divin. (roger).




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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 1:27 pm


Tel est l'Art et telle est sa mission. Mais quelques esthéticiens modernes, accusant les partisans de l'ordre de faire de " la fausse littérature d'art ", y vont eux-mêmes  de leur dissertation philosophique sur le Beau. Autrement dit, ils mettent en action ce qu'ils défendent aux autres de faire. Ils présentent une philosophie de leur esthétique nouvelle et voudraient nous convaincre que ce sont eux les véritables maîtres de la pensée, en nous entretenant de " la vie instinctive et intelligente de l'esprit ". Pas moins ! A les en croire, les grands métaphysiciens du passé ont fait erreur, et, après eux, tous ceux qui les ont suivis. Les notions déjà reconnues - et universelles - sont mises sur le compte de " l'orgueil métaphysique ". La question du beau est pourtant celle sur laquelle la philosophie s'est le moins égarée.

Aux siècles passés, les meilleurs esprits ont affirmé que l'Art était l'expression sensible de la Beauté. On a pu différer sur les détails, mais tous ont reconnu qu'il s'agissait de représenter, non point la Laideur, mais la Beauté. Il n'y a guère eu aussi de divergence sur le sens à donner au mot « Beauté ».

Les esthéticiens modernes cherchent à nous prouver qu'il fallait atteindre le XXe siècle pour posséder la véritable connaissance du Beau. Ils font fi du beau moral, qui ne serait, d'après eux, que  " la beauté de la morale " (sic), mais ils parlent du  " beau spécifique ", de  " la beauté dans sa substance ", de la  " beauté propre de l'œuvre d'art ". Théories absurdes - nous le prouverons - qui n'ont point de racines bien profondes. Que de chemin à parcourir avant d'arriver à chambarder, à obnubiler complètement - est-ce possible ? - les notions universelles du Beau, c'est-à-dire l'esthétique admise depuis toujours.


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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 1:55 pm


L'esthétique est à la fois la théorie du beau et la philosophie de l'Art. Il y a des éléments importants de vérité dans toutes les grandes théories émises sur le sujet ; leur plus grand tort est d'être incomplètes. Dans les « Mémorables » et dans le « Banquet » de Xénophon, Socrate esquisse une doctrine spirituelle et idéaliste de l'Art. Il dit que « l'âme est plus belle que le corps et que les dieux aiment les belles âmes. » Il enseignait au peintre Parrhasius que le but de son art est de représenter ce qu'il y a de plus aimable dans son modèle, c'est-à-dire le caractère de son âme ; et au statuaire Cliton, que la sculpture doit mettre la menace dans les yeux des combattants, la joie dans le regard des vainqueurs, en un mot, se servir des formes pour exprimer les actions et les états d'âme.

Platon reprend ces questions dans le Grand Hippias, dans le Phèdre, dans la République, etc. Il dit que « toute figure, toute mélodie, qui exprime les bonnes qualités de l'âme ou du corps, est belle : c'est tout le contraire, si elle exprime les mauvaises qualités. » Il fait sortir le beau du bien plutôt que du vrai : « considère l'idée du bien comme le principe de la science et de la vérité, et tu ne te tromperas pas si tu dis qu'elle en est distincte et qu'elle les surpasse en beauté... ». Aristote part moins du concept du beau que celui de l'Art ; il ébauche pourtant une théorie du beau dont les caractères essentiels sont, à ses yeux, la coordination, la symétrie et la précision ; il place l'essence de l'Art dans l'imitation de la nature ; mais par « nature » il entend l'essence interne, idéale, des choses naturelles. Dans sa Poétique, il s'est préoccupé de déterminer les règles à suivre pour la réalisation de l'œuvre d'art.


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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 2:23 pm


Les stoïciens identifient le bien et le beau. Plotin, tout comme Platon, fait sortir le beau du bien. A lui aussi on attribue cette parole : « le beau est la splendeur du vrai », mais personne n'a pu dire où elle se trouvait dans son œuvre. Si elle ne peut pas constituer une définition catégorique du beau, parce que insuffisante, elle n'est pas tout à fait fausse, car dans tout ce qui est beau, il y a du vrai. Mais si le vrai existe toujours dans le beau, la réciproque n'est pas exacte : le beau n'existe pas toujours dans le vrai, il n'existe pas dans la vérité abstraite, car le beau est quelque chose d'essentiellement concret. On ne peut jouir de la beauté que par les existences, et par le monde sensible, vu, soit en réalité, soit dans notre imagination. Nous reviendrons là-dessus.

Les philosophes d'Alexandrie fondent ensemble toutes ces idées, s'efforcent de les concilier et font du sentiment du beau un moyen de poursuivre l'union avec l'absolu. Les mêmes préoccupations morales et religieuses se rencontrent chez saint Augustin et chez les philosophes du moyen âge et de la Renaissance.

Le moyen âge n'a pas eu de plus noble représentant que saint Thomas d'Aquin, surnommé le Docteur angélique, le plus grand théologien de l'Église Catholique. Dans l'ordre naturel, il serait bien étonnant d'apprendre que des Catholiques lui fassent l'injure de le croire très mauvais philosophe. C'est un peu comme si les partisans d'un même parti politique répudiaient les théories et les doctrines qui ont donné naissance à ce parti, pour adopter celles d'un parti politique adverse.

Quoi qu'il en soit, la doctrine philosophique de saint Thomas mérite d'être étudiée à l'égal des autres doctrines. Saint Thomas commence par établir la définition nominale du beau : « Nous appelons beau, dit-il, ce dont la vue nous plaît ». Mais quelles qualités, quels caractères faut-il reconnaître à ces choses qui nous plaisent et que nous nommons belles ? Il répond aussitôt en donnant la définition réelle ou formelle du beau : « Il y a dans ces objets la proportion qu'ils doivent avoir ».


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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 3:27 pm


Pour saint Thomas la beauté réside d'abord dans les choses sensibles. La beauté sensible est la première qui s'offre à notre regard pour le réjouir. Cela ne veut point dire qu'il y a des beautés purement matérielles, c'est-à-dire qui ne s'adressent qu'aux sens ; on dit beauté sensible par opposition à la beauté morale. Le chanoine Gaborit (1), commentateur de la théorie du beau de saint Thomas, nous dit que pour atteindre la beauté spirituelle elle-même, ou encore la beauté morale, il faut que la beauté sensible lui prête pour ainsi dire sa forme ; sans cet emprunt, elle demeurerait absolument invisible pour nous. L'expérience nous l'apprend, et cette loi tient à notre constitution : nous sommes corps et âme.

Saint Thomas, en effet, dit que c'est « l'éclat et la proportion requise qui nous donnent la raison de la beauté. La beauté de Dieu nous apparaît dans l'ordre et l'harmonie qu'il a donnés aux choses créées ; et de même que le corps de l'homme est beau quand il a l'éclat de la proportion requise, de même la beauté morale nous apparaît dans les actes et la conduite de l'homme qui brille de l'éclat de la loi parce qu'ils sont d'accord avec elle ». Et pour le saint Docteur cette beauté sensible est extérieure : elle est un vêtement brillant, mais elle n'est qu'un vêtement, car au-dessous, il y a la substance, et dans cette substance, il y a la forme substantielle, qui nous donne la raison complète du beau.


(1) - Auteur de : LE BEAU DANS LA NATURE et LE BEAU DANS L'ART, 1803, en 2 tomes ; travail basé sur l'enseignement de saint Thomas d'Aquin.


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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 3:57 pm


Dans le langage ordinaire, dit Gaborit, la forme n'est autre chose que la figure de l'objet ; c'est ainsi que l'on dit : une forme ronde, cubique, etc. ; elle est saisie par les sens. Dans le langage philosophique de saint Thomas, le mot a une signification plus étendue : il exprime le principe qui, uni à la matière, fait que l'être est de telle espèce. La forme donne à l'être son utilité, son pouvoir d'agir. Les propriétés et les accidents d'un être sont toujours dans l'intention de la nature, en parfaite harmonie avec l'essence. Ce qui fait dire à saint Thomas que l'essence cause les accidents. Dans l'homme, c'est l'âme qui qui est la forme substantielle. Cette forme substantielle, on ne l'atteint pas directement, mais on la voit par le sensible qui la manifeste et l'exprime. Et précisément on jouit de la beauté dans la mesure où elle est exprimée.

C'est ainsi que saint Thomas dit que « la raison du beau en général consiste dans le resplendissement de la forme sur les parties bien proportionnées de l'objet, ou sur diverses forces ou sur diverses actions. »  Un peu plus loin il donne cette autre formule : « La beauté ne consiste pas dans les " éléments composants "  qui en sont comme les matériaux, mais elle consiste dans l'éclat de la forme qui en est l'élément constitutif. »  (Commentaire sur les noms divins de saint Denis). La proportion, pour nous faire jouir du beau, doit être telle que l'exige la forme substantielle ou l'essence intime des corps, elle doit être d'accord avec la loi qui règle les actes ou qui doit diriger les forces, elle est déterminée par la loi de chaque être, ou, en d'autres termes, elle doit être telle que l'exige la loi divine, car la dernière raison du beau, dit saint Thomas, a sa véritable source en Dieu.

Dans une question de sa Somme théologique, saint Thomas se demande quels sont les attributs qui conviennent à chacune des personnes divines, et il attribue la beauté au Fils. En cela Péladan, cité dans notre avant-propos, rejoint le saint Docteur. Le beau ne réside donc pas dans la vérité abstraite. « Le beau, dit saint Thomas ailleurs, est la splendeur de la forme, c'est l'éclat qui brille dans les essences réalisées ; il est formé des essences substantielles des existences. » (De pulchro et de bono).


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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 4:24 pm


Tous les philosophes, de l'Antiquité à la Renaissance inclusivement, ont donc considéré l'esthétique de haut. L'antiquité donna, nous venons de le voir, des aperçus splendides, mais elle n'essaya pas de définir la beauté. Les premiers philosophes ne firent pas une analyse bien profonde des éléments constitutifs de la beauté, ils ne la considérèrent que dans ses aspects extérieurs ; ils lui donnèrent pour caractère l'unité et la variété, la proportion et l'harmonie, mais il n'y a là que les éléments matériels, ses composants. En dernière analyse, ce qui produit la beauté, dit saint Thomas, et qui nous l'explique, c'est la vie.

Mais c'est Bacon et Kant qui ont donné un essor nouveau à l'esthétique proprement dite. On a dit souvent que l'Allemand Baumgarten (1735) avait été le fondateur de l'esthétique. Il fut le premier, en effet, qui entreprit de donner dans un corps complet de doctrines la notion du beau, et, comme il supposait qu'elle nous est donnée par la connaissance sensible, il l'a nommée esthétique, d'un mot grec qui veut dire sentir, percevoir par le moyen des sens.

D'autres après lui ont eu le tort de se servie de cette expression pour désigner d'une manière générale la notion du beau. En effet, nous n'avons pas seulement à le sentir, mais tout d'abord à le comprendre, et ensuite à le produire par les arts. Pour ce philosophe, l'existence de la beauté résulte de la perfection de la connaissance sensible. Or, cette perfection est produite, d'après l'auteur, par un triple accord : l'accord entre les pensées et les choses ; l'accord entre les pensées et les pensées ; l'accord entre les pensées et les choses extérieures. Évidemment, cette notion de la beauté est fausse. Si la beauté résultait de l'accord entre nos pensées et l'objet, elle existerait même quand nous avons l'idée exacte d'un objet laid. Or, la connaissance des objets ne peut en changer la nature, et leur valeur est indépendante de cette connaissance.

Roger Bacon, contemporain de saint Thomas, n'est pas étranger aux problèmes de son temps : problème de la forme et de la matière, de l'individuation(1), etc. ; il tend à les résoudre dans un sens nominaliste(2) et, pour ainsi dire, métaphysique. Moine orthodoxe et savant affranchi du joug d'Aristote, toute sa philosophie consiste à bien lire et à bien comprendre l'Écriture, révélation de Dieu, et la Nature, œuvre de Dieu, Avec Bacon, avons-nous dit, l'esthétique prend un essor nouveau. Le Sculpteur Ruckstull, esthéticien moderne, dit que l'anarchie dans le monde intellectuel commença à prendre fin, lorsque Bacon substitua le raisonnement inductif au procédé déductif. Il ajoute que Kant tua l'anarchie dans le monde moral par son impératif catégorique. L'opinion de Ruckstull et tous les philosophes sur lesquels il s'appuie feront l'objet d'un chapitre dans lequel entreront diverses autres définition  de l'Art.



(1) - Individuation : ce qui distingue un individu d'un autre.

(2) - Nominaliste, adjectif.  En rapport à Nominal. - Qui a rapport au nominalisme, n. m. , qui est un système de philosophie du Moyen Âge qui affirmait que les genres, espèces et autres entités ne sont pas des être réels, mais de simples noms ; Contraire : Réalisme.



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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 8:01 pm


Pour l'instant, revenons-en à la définition du début de ce chapitre : « L'Art est l'expression sensible du beau ». Farges et Barbedette donnent cette définition équivalente : « L'Art est une discipline qui dirige l'homme dans la confection des œuvres belles, c'est-à-dire l'expression du beau sous une forme sensible ». Il s'agit toujours du beau, et c'est pourquoi tous les arts que servent les artistes, peintres, sculpteurs, musiciens, etc., sont appelés les beaux-arts. S'il était permis de faire entrer la Laideur dans les arts, il faudrait dire : les beaux-laids-arts. On sait que les peintres modernes, du moins ceux qui sont affranchis de toutes règles, admettent la laideur. Il est bien évident que, dans ce cas, ils n'ont pas leur place dans les écoles de beaux-arts. Le mot « art » a deux sens bien distincts : un sens général et un sens strict. L'art dans le sens général du mot est l'ensemble des règles pratiques employées pour produire un effet, soit utile, soit agréable. C'est la définition de Gaborit.

Farges et Barbedette disent que l'art est l'ensemble des règles, qui dirigent l'homme dans la confection d'un ouvrage quelconque. Ainsi, il y a l'art de la chirurgie, de l'agriculture, tous les arts industriels, etc. Les arts que nous voulons étudier ont pour objet de représenter, d'exprimer la nature, l'homme et ses sentiments ; il ont pour but direct  de nous mettre le beau devant les yeux ou du moins devant le regard de notre âme et de nous en faire jouir. C'est le sens strict de l'Art.


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