Sainte Paule de Rome, veuve.
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LETTRE LXXXVI.Pages 421-423.À LA VIERGE EUSTOCHIUM,Épitaphe de Paula, sa mère.SUITE
Du reste, elle a fourni sa carrière, elle a conservé la foi, et maintenant elle jouit de la couronne de justice 1 , et suit l'Agneau partout où il va 2. Elle se rassasie, parce qu'elle a eu faim, puis elle chante avec joie : Tout ce que nous avons entendu dire de la cité du Dieu des vertus, de la cité de notre Dieu, nous le voyons maintenant 3. Oh ! heureux changement, elle pleura afin de rire toujours. Elle dédaigna les citernes entrouvertes, et c'était pour trouver la fontaine du Seigneur.
Elle se vêtit d'un cilice, afin de porter aujourd'hui des vêtements blancs et de dire : Vous avez déchiré mon sac, et vous m'avez couverte de joie 4.
Elle mangeait la cendre comme du pain, et mêlait ses larmes à son breuvage 5, en disant : Mes pleurs m'ont servi de pain le jour et la nuit 6; et désormais elle se nourrira éternellement du pain des anges, puis elle chantera : Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux 7. Puis encore : J'ai proféré de saintes paroles, de l'abondance de mon cœur; c'est au Roi éternel que je consacre mes ouvrages 8.
Elle a vu s'accomplir en elle ce que dit Isaïe, ou plutôt ce que dit le Seigneur, par la bouche de ce prophète : Voilà que mes serviteurs mangeront, mais vous souffrirez la faim. Voilà que mes serviteurs boiront, mais vous aurez soif. Voilà que mes serviteurs se réjouiront, mais vous serez confondus. Voilà que mes serviteurs tressailliront d'allégresse, mais vous jetterez des cris dans l'amertume de votre cœur, et vous hurlerez dans l'excès des maux qui accableront votre esprit 9.
J'ai dit que Paula eut toujours soin de fuir les citernes entrouvertes, et qu'elle chercha la fontaine du Seigneur, afin de pouvoir chanter avec joie: De même que le cerf soupire après les eaux des fontaines, ainsi mon âme soupire après vous, ô Seigneur. Quand est-ce que j'irai vers vous, et que j'apparaîtrai devant la face de Dieu 1 ?
Je montrerai donc, en peu de mots, tout le soin que Paula mit à éviter les citernes bourbeuses des hérétiques, qu'elle regardait comme des païens. Un d'entre eux, homme rusé et artificieux…
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(1) II. Tim. IV. 7. — (2) Apoc. XIV. 4. — (3) Ps. XLVII. 9. — (4) Ibid. XXIX. 12. — (5) Ibid. CI. 10. — (6) Ibid. XLI. 4. — (7) Ibid. XXXIII. 9. — ( 8 ) Ibid. XLIV. 2. — (9) Is. LXV. 13. 14. — (1) Ps. XLI. 2.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
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Re: Sainte Paule de Rome, veuve.
LETTRE LXXXVI.Pages 423-425.À LA VIERGE EUSTOCHIUM,Épitaphe de Paula, sa mère.SUITE
Un d'entre eux, homme rusé et artificieux, et qui se piquait de science et d'érudition, lui proposa, à mon insu, quelques questions. Il lui disait:« Quel crime a commis un enfant pour être possédé du démon? À quel âge ressusciterons-nous? Si c'est a l'âge même où nous mourrons, il sera donc besoin de nourrices, après la résurrection. Si c'est à un autre âge, ce sera donc non point une résurrection de morts, maïs une transformation de personnes en d'autres. Y aura-t-il, ou n y aura-t-il pas diversité de sexe ? S'il y a diversité, il y aura donc alors des noces, il y aura usage de mariage, procréation d'enfants. S'il n'y a pas diversité, ce ne seront donc point les mêmes corps qui ressusciteront, car notre habitation terrestre abat l'esprit sous la multiplicité des soins qui le partagent 2, au lieu que les corps ressuscités seront légers et spirituels, selon ce que dit l'Apôtre : On sème un corps animal, et ce sera un corps spirituel qui ressuscitera. 3 »
De tout ce raisonnement, il prétendait conclure que les âmes descendent dans les corps en punition de certains vices et des péchés qu'elles commirent autrefois, et que, suivant la diversité et la qualité de leurs péchés, elles sont envoyées ici-bas, à telle ou telle condition, comme d'être unies à des corps d'une heureuse santé, et de naître de parents nobles et riches; ou bien d'entrer en des corps mal sains, de venir dans la maison de parents pauvres, et, pour expier leurs anciennes iniquités, de se voir enfermées dans ces corps et dans ce bas monde, ainsi que dans une prison.
Paula ayant entendu ces propos, et me les ayant rapportés, me fit connaître le personnage, et alors je fus obligé de m'opposer à cette dangereuse vipère, aux fureurs meurtrières de cette bête, qui était du nombre de celles dont le prophète dit : Ne livrez point aux bêtes les âmes de ceux qui confessent votre nom; et encore : Réprimez, Seigneur, ces bêtes qui font tant de mal avec leurs calami 1, qui n'écrivent que des iniquités, qui débitent le mensonge contre le Seigneur, et qui élèvent leurs bouches contre le Très-Haut 2.
J'allai donc trouver cet homme, et, soutenu par les prières de celle qu'il voulait tromper…
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(2) Sap. IX. 15. — (3) I. Cor. XV. 44. — (1) Ps. LXXIII. 19. — (2) Ibid. LXXVII. 31.
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LETTRE LXXXVI.Pages 425-429.À LA VIERGE EUSTOCHIUM,Épitaphe de Paula, sa mère.SUITE
J'allai donc trouver cet homme, et, soutenu par les prières de celle qu'il voulait tromper, je l'arrêtai par une petite question. Je lui demandai s'il croyait la résurrection des morts, ou s'il ne la croyait pas. — Il me répondit qu'il la croyait.
« — Ressusciteront-ils avec les mêmes corps , ajoutai-je , ou avec d'autres corps ? »
— « Avec les mêmes, répliqua-t-il. »
— « Sera-ce, lui demandai-je, sera-ce dans le même sexe, ou dans un autre? »
Comme il se taisait à cette question, et qu'il tournait la tête de côté et d'autre, ainsi qu'une couleuvre, afin d'éviter le coup :
« Puisque vous vous taisez, lui dis-je, moi, je répondrai pour vous et je tirerai les conséquences. Si la femme ne ressuscite point avec le corps d'une femme, ni l'homme avec le corps d'un homme, il n'y aura point de résurrection des morts, car chaque sexe est composé de parties, et ces parties sont tout le corps. Que s'il n'y a ni sexe, ni parties, où sera la résurrection des corps, puisqu'ils ne peuvent subsister sans leur sexe propre , sans leurs parties respectives ? Mais s'il n'y a point de résurrection des corps, il n'y aura point non plus de résurrection des morts.
» Quant à ce que vous objectez, concernant les noces, — que, si l'on ressuscite avec les mêmes membres, il s'ensuit qu'il y aura des mariages,— le Christ détruit cette objection lorsqu'il, dit : Vous vous trompez, ne comprenant ni les Écritures ni la puissance de Dieu; car, après la résurrection des morts, les hommes n'auront point de femmes, les femmes point de maris, mais ils seront semblables aux Anges 1 .
» Lorsqu'il dit que les hommes n'auront point de femmes, les femmes point de maris, il montre assez qu'il y aura différence de sexe. On ne dirait pas d'une pierre, ou d'un morceau de bois, qu'ils ne se marieront point, car ces choses-là ne sont pas de nature à se marier; mais on le dit de ceux qui peuvent se marier, et qui, avec la grâce et la puissance du Christ, ne se marient point.
» Que si vous me demandez comment donc nous serons semblables aux anges, puisqu'il n'y a parmi eux ni mâle ni femelle, je vous répondrai en peu de mois : Le Seigneur nous promet, non point la nature des anges, mais leur vie et leur béatitude. C'est dans ce sens que Jean-Baptiste, avant d'avoir eu la tête tranchée; fut appelé ange 2, et que l'on dit que, même en ce monde, tous les saints et les vierges de Dieu mènent déjà la vie des anges. Ainsi, quand le Christ nous dit: Ils seront semblables aux anges, il nous promet que nous leur ressemblerons, mais non pas que notre nature sera changée en la leur.
» Maintenant, dites-moi …
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(1) Matth. XXII.29. 30. — (2) Luc. VII. 27.
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Re: Sainte Paule de Rome, veuve.
LETTRE LXXXVI.Pages 429-431.À LA VIERGE EUSTOCHIUM,Épitaphe de Paula, sa mère.SUITE
» Maintenant dites-moi : Comment expliquez-vous ce passage où il est dit dans l'Évangile que Thomas toucha les mains du Seigneur ressuscité, qu'il vit son côté percé d'une lance 1, que Pierre aperçut le Christ debout sur le rivage et mangeant un morceau de poisson rôti et un rayon de miel 2 ?
» S'il se tenait debout, il avait des pieds assurément. S'il montra son côté percé d'une lance, il avait certainement une poitrine et un ventre, car les côtés y sont attachés, et ne sauraient subsister sans eux.
» S'il parla, il avait donc une langue, un palais et des dents, car, de même que l'archet touche les cordes d'un instrument musical, de même la langue touche les dents, et articule la voix.
» S'il donna ses mains à toucher, il fallait aussi qu'il eût des bras.
» Puis donc qu'il avait toutes les parties qui composent le corps, il s'ensuit qu'il avait un corps entier, un corps parfait, et non point un corps de femme, mais un corps d'homme, c'est-à-dire, du même sexe que celui qu'il avait quand il mourut.
» Vous me direz peut-être : Nous mangerons donc après la résurrection? Comment, les portes étant fermées, Jésus-Christ put-il entrer, puisque cela est contre les lois de la nature des corps solides et épais ?
» — Je vous répondrai: N'allez point, à cause du manger, n'allez point insulter à la foi de la résurrection, car, après que le Sauveur eut ressuscité la fille du chef de la synagogue commanda qu'on lui donnât à manger 1. Il est encore écrit que Lazare qui avait été quatre jours dans le tombeau, assista à un festin avec Jésus-Christ, ce qui arriva de peur que ces deux résurrections ne passassent pour des chimères 2.
» Que si vous prétendez que le Christ avait un corps spirituel et aérien, parce qu'il entra, les portes étant fermées, il avait donc aussi, avant sa passion…
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(1) Joan. XX. 26. — (2) Ibid. XXI. 13. —(1) Marc. V. 43. — (2) Joan. XII. 2.
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LETTRE LXXXVI.Pages 431-433.À LA VIERGE EUSTOCHIUM,Épitaphe de Paula, sa mère.SUITE
» Que si vous prétendez que le Christ avait un corps spirituel et aérien, parce qu'il entra, les portes étant fermées, il avait donc aussi, avant sa passion, un corps spirituel, puisque, contre les lois de la nature des corps pesants, il marcha sur la mer.
» Il faudra croire également que l'apôtre Pierre qui marcha aussi sur les eaux, avait un corps spirituel, au lieu que la puissance et la vertu de Dieu ne paraissent jamais d'une manière plus éclatante que lorsqu'il fait quelque chose contre les lois naturelles.
» Et afin que vous sachiez que la grandeur des miracles est moins une preuve du changement de la nature que de la toute-puissance de Dieu, celui qui, par la foi, marchait sur les eaux, allait être, par son infidélité, submergé bientôt, si la main du Seigneur ne l'eût soutenu, en lui disant: homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté 3 ?
» Au reste, je m'étonne que vous endurcissiez votre front, lorsque le Seigneur a dit : Mets ici ton doigt, et touche mes mains; étends ta main, mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais deviens fidèle 4. Et ailleurs : Voyez mes mains et mes pieds, et reconnaissez que c’est moi-même. Touchez et voyez, car un esprit n'a pas de la chair ni des os, comme vous voyez que j'en ai. Et après leur avoir dit cela, il leur montra ses mains et ses pieds1. Vous entendez parler et de chair et de pieds et de mains, puis vous m'alléguez et les globes de Stoïciens, et les corps composés d'air, et d'autres rêveries semblables.
» Que si vous me demandez pourquoi se trouve possédé du démon un enfant…
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(3) Matth. XIV. 31. — (4) Joan. XX. 27. — (1) Luc. XXIV. 39.
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LETTRE LXXXVI.Pages 433-435.À LA VIERGE EUSTOCHIUM,Épitaphe de Paula, sa mère.SUITE
» Que si vous me demandez pourquoi se trouve possédé du démon un enfant qui n'est coupable d'aucun péché, ou bien à quel âge nous ressusciterons, puisque nous mourons à divers âges, vous saurez, malgré vous, que les jugements de Dieu sont un abîme profond 2, et que l'Apôtre s'écrie: O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont impénétrables et que ses voies sont incompréhensibles, car qui est celui qui a a connu les desseins du Seigneur, ou qui a été son conseiller 3?
» Or, la diversité des âges n'empêche point que nos corps ne soient véritablement les mêmes. Comme, en effet, nos corps se renouvellent chaque jour et croissent ou diminuent incessamment, nous serions donc des hommes nouveaux toutes les fois que nous changeons de constitution; j'aurais été autre à l'âge de dix ans, autre à trente, autre à cinquante; je serais encore autre maintenant que toute ma tête est blanchie?
» Il faut donc, suivant la tradition des Églises et suivant l'Apôtre Paul, il faut répondre que à la résurrection, nous serons des hommes parfaits et que nous aurons la mesure et la plénitude de l'âge du Christ, qui est celui auquel les Juifs croient qu'Adam fut créé, et auquel nous lisons que ressuscita le Sauveur Jésus. »
Je rapportai encore, pour confondre cet hérétique, plusieurs passages de l'un et de l'autre Testament.
Dès ce jour, Paula eut tellement en horreur ce personnage et tous les partisans des mêmes rêveries, qu'elle les appelait hautement les ennemis de Dieu. J'ai rapporté ceci, non point comme pensant réfuter, par ce peu de mots, une erreur à laquelle il faudrait répondre par plusieurs volumes, mais j'ai voulu montrer la foi d'une femme si admirable, qui a mieux aimé s'attirer des inimitiés mortelles de la part des hommes, que d'irriter la colère de Dieu par des amitiés dangereuses.
Je dirai donc, pour reprendre mon discours, qu'il n'y eut jamais esprit aussi docile que le sien. Elle était lente à parler et prompte à écouter 1, se rappelant le précepte: Écoute, ô Israël, et garde le silence 2. Elle savait par cœur l'Écriture sainte, et, quoiqu'elle en aimât le sens littéral, qu'elle disait être le fondement de la vérité, elle s'attachait davantage néanmoins au sens mystique, et s'en servait comme du comble de l'édifice de son âme.
Elle me pria même avec instance de permettre qu'elle et sa fille lussent, devant moi, l'ancien et le nouveau Testament, afin que je pusse les leur expliquer. Comme je refusais, m'en croyant incapable, ses vives et assidues sollicitations me décidèrent enfin à lui enseigner ce que j'avais appris, non point de moi-même, c'est-à-dire de la présomption, qui est le pire des maîtres, mais des plus grands hommes de l'Église.
Lorsque j'hésitais sur quelque endroit et que j'avouais ingénument ne pas l'entendre, elle ne se contentait pas de cela, et me contraignait, par ses demandes réitérées, à lui dire quelle était celle d'entre plusieurs explications différentes que je regardais comme la meilleure.
Je dirai une chose encore que peut-être les ennemis de Paula trouveront incroyable…
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(2) Ps. XXXV. 7. — (3) Rom. XI. 33. — (1) Jac, I. 19. — (2) Deut. XXVII. 9.
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Re: Sainte Paule de Rome, veuve.
LETTRE LXXXVI.Pages 437-439.À LA VIERGE EUSTOCHIUM,Épitaphe de Paula, sa mère.SUITE
Je dirai une chose encore que peut-être les ennemis de Paula trouveront incroyable. La langue hébraïque, que je sais un peu, l'ayant étudiée avec beaucoup de soin et d'application dès ma jeunesse, et l'étudiant encore avec une infatigable assiduité, de peur que, si je l'abandonne, elle ne m'abandonne aussi, Paula voulut l'apprendre et y parvint de telle manière qu'elle chantait les psaumes en hébreu, et parlait cette langue sans y rien mêler de la langue latine. C'est ce que nous voyons faire aujourd'hui encore à sa sainte fille Eustochium, qui fut toujours si attachée à sa mère, si soumise à ses volontés que sans elle jamais elle ne se coucha, jamais elle ne fit un pas, jamais elle ne prit la moindre nourriture. Elle n'eut même jamais en son pouvoir la plus petite pièce de monnaie, et se réjouissait, au contraire, de voir sa mère donner aux pauvres le peu qui lui restait de biens, regardant comme le plus bel héritage et les plus grandes richesses la piété envers une telle mère.
Je ne dois point oublier de dire quelle fut l'allégresse de Paula, quand elle apprit que Paula, sa petite-fille, issue de Laïta et de Toxotius, ou plutôt accordée par le ciel au vœu que ses parents avaient fait de consacrer à Dieu sa virginité, commençait, dès le berceau, parmi les jouets de l'enfance, à chanter l'alléluia, d'une voix bégayante, et à prononcer à demi les noms de son aïeule et de sa tante. La seule chose qui lui fit souhaiter de retourner dans sa patrie, c'était le désir de voir son fils, sa bru et sa petite fille servir Dieu, en renonçant au siècle. Une partie de ses vœux furent accomplis, car sa petite fille est destinée à prendre le flammeum Note (34) qui la consacrera au Christ, puis sa bru, se vouant à une éternelle chasteté, imite, par sa foi et par ses aumônes, les actions de sa belle-mère, et s'efforce de reproduire dans Rome ce que Paula a pratiqué dans Jérusalem.
Que faisons-nous, ô mon âme? Pourquoi appréhendes-tu d'en venir à sa mort? J'ai déjà rendu ce livre trop prolixe, dans la crainte que j'ai d'arriver à la conclusion, comme si, en m'occupant toujours des louanges de Paula, et en ne parlant pas de sa mort, je pouvais la retarder ! Jusqu'ici nous avons navigué par des vents favorables, et notre vaisseau a sillonné de sa course facile les vagues onduleuses. Maintenant, il se jette contre des écueils, et les flots qui s'élèvent nous menacent, elle et moi, d'un naufrage inévitable, en sorte que je suis contraint de dire : Maître, sauvez-nous, nous périssons 1; et encore: Levez-vous; pourquoi dormez-vous, Seigneur 2 ? Qui pourrait, on effet, sans répandre des larmes, raconter la mort de Paula?
Elle tomba donc gravement malade, ou plutôt elle obtint ce…
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(1) Matth. VIII. 25 ; Marc. IV. 38; Luc. VIII. 24. — (2) Ps. XLIII. 23.
Note (34) : FLAMMEUM. — Le flammeum était un voile couleur de flamme que portaient les nouvelles mariées, et servant alors aux vierges qui se consacraient au Seigneur.
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Re: Sainte Paule de Rome, veuve.
LETTRE LXXXVI.Pages 439-443.À LA VIERGE EUSTOCHIUM,Épitaphe de Paula, sa mère.SUITE
Elle tomba donc gravement malade, ou plutôt elle obtint ce qu'elle désirait, et c'était de nous quitter, pour s'unir à Dieu plus étroitement. Pendant cette maladie, la piété filiale qu'Eustochium lui avait toujours témoignée parut plus que jamais aux yeux de tout le monde. On la vit alors attachée au chevet de son lit, la rafraîchir avec un éventail, lui soutenir la tête, lui donner des oreillers, lui frotter les pieds, lui réchauffer l'estomac avec sa main, disposer sa couche avec soin, tempérer par de l'eau froide l'eau chaude qu'elle devait boire, lui mettre sa nappe, devancer les ancelles dans tout ce qui était de leur devoir, et s'imaginer que, si une autre faisait quelque chose, c'était autant que l'on était à sa récompense. Combien de fois ne courut-elle pas du lit de sa mère à la crèche du Sauveur, et avec combien de soupirs et de gémissements ne le suppliait-elle pas de ne point la priver d'une compagnie si aimée, de ne point permettre qu'elle survécût à sa mère, et de trouver bon qu'elles fussent portées en terre dans le même cercueil !
Mais, hélas ! combien est fragile et caduque la nature de l'homme ! Si la foi que nous avons en Jésus-Christ ne nous élevait pas vers le Christ, et si l'éternité n'était promise à l’âme, nos corps seraient de même condition que ceux des bêtes. Le juste meurt comme l'impie, l'homme de bien comme le méchant, l'homme chaste comme l'impudique, celui qui offre des sacrifices comme celui qui n'en offre pas, l'homme vertueux comme le pécheur, le parjure comme celui qui craint de faire de faux sacrements. Les hommes, ainsi que les bêtes, sont réduits en cendres et en poussière.
Que tardé-je davantage, et pourquoi prolonger ma douleur, en différant de la dire? Cette femme si sage sentait bien que la mort était là, et que, tout son corps étant déjà saisi d'un froid glacial, il ne lui restait qu'un peu de chaleur qui, dans sa poitrine sainte, faisait encore palpiter son cœur; et néanmoins, comme si elle eût abandonné des étrangers, pour aller vers des proches, elle murmurait ces versets : Seigneur, j'ai aimé la beauté de votre maison, et le lieu où réside votre gloire 1 Puis encore : Combien sont aimables vos tabernacles, ô Dieu des vertus ! mon âme soupire après la maison du Seigneur, et ses désirs la font tomber en défaillance 1. Et encore : J’aime mieux être la dernière dans la maison de mon Dieu que de demeurer dans les tentes des pécheurs 2.
Comme je lui demandai pourquoi…
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(1) Ps. XXV. 8. — (1) Ps. LXXXIII. 2. 3. — (2) Ibid. 11.
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Re: Sainte Paule de Rome, veuve.
LETTRE LXXXVI.Pages 443-447.À LA VIERGE EUSTOCHIUM,Épitaphe de Paula, sa mère.SUITE
Comme je lui demandai pourquoi elle se taisait, pourquoi elle ne voulait pas répondre, comme je lui demandai encore si elle sentait quelque douleur, elle me répliqua, en grec, que rien ne lui faisait de la peine, qu'elle ne voyait rien que de calme et de tranquille. Elle se tut, depuis lors, et, les yeux fermés, comme méprisant déjà toutes les choses mortelles, elle répéta jusqu'au dernier soupir les mêmes versets, mais de telle manière qu'à peine pouvions-nous entendre ce qu'elle disait.
Tenant un doigt contre sa bouche, elle exprimait sur ses lèvres le signe de la croix. Elle avait perdu tout sentiment, et soupirait après la mort. Son âme, qui s'efforçait de se détacher du corps, changea en louanges du Seigneur ce râlement par lequel finit la vie des hommes. Il se trouva là et l'évêque de Jérusalem, et les Pontifes d'autres cités, et des prêtres nombreux, et une multitude infinie de lévites.
Tout le monastère était plein de vierges et de moines. Aussitôt que Paula entendit la voix de l'époux qui lui disait: Lève-loi; viens, ma bien-aimée, ma toute belle, ma colombe, car voilà que l'hiver est passé, et s'en est allé; la pluie s'est écoulée 3, elle répondit joyeuse : On a vu des fleurs sur la terre, le temps de la moisson est arrivé 4 ; et encore : J'espère voir les biens du Seigneur, dans la terre des vivants 5.
On n'entendit point alors ces gémissements, ces cris lugubres qui d'ordinaire accompagnent la mort des personnes du siècle; mais des chœurs nombreux chantaient les psaumes en diverses langues. Paula fut portée en terre par des évêques, qui chargèrent son cercueil sur leurs épaules; d'autres pontifes précédaient le convoi, des flambeaux et des cierges à la main; d'autres encore guidaient les chœurs de ceux qui chantaient des psaumes. Elle fut déposée au milieu de l'Église de la crèche du Sauveur.
Les habitants de toutes les cités de la Palestine vinrent en foule à ses funérailles. Quelle cellule put retenir les moines les plus cachés au désert? Quelle vierge resta dans son asile secret ? Il se fût imaginé qu'il commettait un sacrilège, celui qui n'eût pas rendu les derniers devoirs à une telle femme. Les veuves et les pauvres, comme autrefois pour Dorcas, montraient les vêtements que leur avait donnés Paula 1 , et tous les nécessiteux criaient qu'ils avaient perdu leur mère et leur nourrice.
Ce qu'il y eut d'admirable, c'est que la pâleur de la mort n'avait point changé son visage; il respirait au contraire je ne sais quoi de si grave et de si majestueux qu'on eût dit non pas qu'elle était morte mais qu'elle était endormie !
On chantait par ordre des psaumes en hébreu en grec en latin et en syriaque non seulement pendant trois jours, et jusqu'à ce que son corps eût été déposé sous l'Église, près de la crèche du Seigneur, mais encore pendant une semaine entière tous ceux qui arrivaient considérant ses funérailles comme les leurs propres et s'imaginant qu'ils se pleuraient eux-mêmes. La vénérable vierge Eustochium sa fille qui se voyait comme sevrée de sa mère ne pouvait souffrir qu'on la séparât d'elle; puis elle baisait ses yeux se collait à son visage, embrassait tout son corps et voulait être ensevelie avec sa mère.
Le Christ le sait, Paula ne laissa pas à sa fille la moindre pièce de monnaie…
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(3) Cant. II. 10. 11. — (4) Ibid. 12. — (5) Ps. XXVI. 13. — (1) Act. IX. 39.
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Re: Sainte Paule de Rome, veuve.
LETTRE LXXXVI.Pages 447-449.À LA VIERGE EUSTOCHIUM,Épitaphe de Paula, sa mère.SUITE
Le Christ le sait, Paula ne laissa pas à sa fille la moindre pièce de monnaie ; au contraire, comme je l'ai déjà dit,, elle la laissa chargée de beaucoup de dettes, et, qui plus est, de l'entretien d'un nombre infini de frères et de sœurs qu'elle ne pouvait nourrir sans beaucoup de peine, ni abandonner sans impiété. Est-il rien de plus admirable que de voir une femme d'une illustre famille, et qui possédait jadis des richesses immenses, porter la vertu et la foi jusqu'à distribuer tout aux pauvres, et se réduire presque à la dernière indigence?
Que d'autres se vantent de l'argent et de l'or qu'ils jettent dans le corban Note (35) du Seigneur, et des magnifiques présents qu'ils appendent aux autels, nul n'a plus donné aux pauvres que celle qui ne s'est rien réservé. Maintenant, elle jouit de ces richesses et de ces biens que l'œil n'a jamais vus, que l'oreille n'a jamais entendus, et que le cœur de l'homme n'a jamais compris 1. C'est notre sort que nous déplorons, et il semblerait que nous enviions sa gloire, si nous pleurions plus long-temps celle qui règne dans l'éternité.
Soyez-en paix, Eustochium; vous êtes enrichie d'une grande succession. Le Seigneur est votre partage, et ce qui doit vous causer plus de joie encore, votre mère a été couronnée par un long martyre ; car, ce qui fait les martyrs, ce n'est pas seulement le sang versé pour la confession de la foi, mais la vie immaculée d'une âme qui sert Dieu avec amour, est elle-même un martyre quotidien. La couronne de ceux-là est composée de roses et de violettes ; la couronne de ceux-ci est faite de lis.
Voilà pourquoi il est dit dans le Cantique des cantiques : Mon bien-aimé est blanc et vermeil 1 , ce qui montre que ceux qui triomphent pendant la paix obtiennent les mêmes récompenses que ceux qui triomphent pendant ]a guerre.
Votre mère entendit, comme Abraham, Dieu qui lui disait: Sors de ton pays, et quitte ta parenté, et viens dans la terre que je te montrerai 2. Elle l'entendit aussi dire par Jérémie: Fuyez du milieu de Babylone, et sauvez vos âmes 3.
Elle sortit donc de son pays, et, jusqu'à sa mort, elle n'est pas retournée dans la Chaldée. Elle n'a pas regretté les chaudières ni les viandes empoisonnées de l'Égypte 4, mais, entourée de chœurs de vierges, elle est devenue concitoyenne du Sauveur, et, de la petite ville de Bethléhem, étant passée au royaume des cieux, elle dit maintenant à la véritable Noémi : Ton peuple est mon peuple, et ton Dieu est mon Dieu 5.
Pénétré de la même douleur que vous, j'ai dicté en deux nuits ce livre que je vous adresse; car, toutes les fois que j'ai voulu y travailler et accomplir la tâche promise, mes doigts sont restés immobiles, ma main est tombée, mon esprit s'est trouvé sans force. Mais ce langage inculte témoigne assez, par le manque d'élégance et de grâce, quelle est l'affliction de l'écrivain.
Adieu, Paula; soutiens, par tes prières...
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(1) I. Cor. II. 9. — (1) Cant. V. 10. — (2) Gen. XII. 1. — (3) Jerem. LI. 6. — (4) Exod. XVI. 3. — (5) Ruth. I. 16.
Note (35) : CORBAN. — Trésor où l’on mettait les offrandes.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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Re: Sainte Paule de Rome, veuve.
Fin.LETTRE LXXXVI.Page 451À LA VIERGE EUSTOCHIUM,Épitaphe de Paula, sa mère.SUITE
Adieu, Paula; soutiens, par tes prières, l'extrême vieillesse d'un homme rempli de vénération pour toi; ta foi et tes œuvres t'unissent au Christ; ainsi, près de lui, tu obtiendras plus facilement ce que tu demanderas.J’ai élevé un monument plus durable que l’airain.Horace. III Ode XXX. I.
et que nulle vétusté ne pourra détruire. J'ai gravé ton éloge sur sa tombe, et l'ai joint à ce volume, afin que partout où pénétrera mon discours, le lecteur sache que tu as été louée, que tu as été inhumée à Bethléhem.Suit l'inscription du tombeau.Celle qu'engendra Scipion, que les Paulus mirent au monde;
Le sang des Gracques, l'illustre descendante d'Agamemnon
Gît dans ce tombeau. Les anciens la nommèrent Paula;
Elle est mère d'Eustochium. La première du sénat romain,
Elle rechercha la pauvreté du Christ et les champs de Bethléhem.À l'entrée de la grotte.Vois-tu cette tombe étroite, creusée dans le roc?
C'est la demeure de Paula qui possède le royaume céleste.
Son frère, ses proches, Rome, sa patrie, ses richesses avec ses enfante,
Elle abandonna tout, et vint se cacher dans l'antre de Bethléhem.
Car ici est votre crèche, ô Seigneur; car ici les Mages,
Chargés de mystiques présents, adorèrent le Dieu-homme.
La sainte et bienheureuse Paula s'endormit le sept d'avant les calendes de février, le troisième jour de la semaine, après le coucher du soleil. Elle fut inhumée le cinq d'avant les mêmes calendes, sous le sixième consulat d'Honorius Auguste Note (36), et le premier d'Aristænétus. Elle demeura cinq ans à Rome, dans sa sainte manière de vivre, et vingt ans à Bethléhem. Elle vécut en tout cinquante-six ans, huit mois, vingt et un jour.
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Note (36) : SOUS LE CONSULAT D’ HONORIUS. etc. — Cela correspond à l'année 406, la neuvième du règne d'Arcadius et d'Honorius.
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
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