TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ

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Message  Monique Ven 15 Mai 2020, 8:00 am

COMMENT LE CHRISTIANISME FUT ENVISAGÉ DANS L'EMPIRE ROMAIN
 

Les problèmes d'histoire doivent gagner beaucoup à être étudiés avec les mêmes procédés rigoureux et délicats qui sont d'usage dans les sciences naturelles ou physiques. Une conclusion historique, de même qu'une définition d'ordre scientifique, est le résultat de descriptions minutieuses innombrables. Pour conduire ces opérations avec la précision nécessaire, une enquête visuelle est préférable à tout autre procédé, mais lorsqu'il s'agit des temps passés, il faut se borner à des confrontations aussi exactes que possible sur les états successifs de la religion, de la philosophie, de la politique, de toutes les branches de la pensée et de l'action humaine. L'histoire, disait M. FUSTEL de Coulanges, n'est pas l'art de disserter à propos des faits; elle est une science dont l'objet est de trouver et de bien voir les faits. Seulement il faut bien entendre que les faits matériels et tangibles ne sont pas les seuls qu'elle étudie. Une idée qui a régné dans l'esprit d'une époque a été fait historique. La manière dont un pouvoir a été organisé est un fait, et la manière dont les contemporains comprennent et acceptent ce pouvoir est aussi un fait (1)

On s'est demandé si les chrétiens, par leur opposition à la religion de l'empire romain, n'avaient pas attiré sur eux des traitements rigoureux, nous ne disons pas légitimes, mais légaux, du moins au jugement des hommes qui les y appliquèrent. C'est cette question de psychologie antique que l'on essaiera de traiter.

A Rome, l'État ou la chose publique, respublica, était un être réel et vivant, constant et éternel. C'était l'idée que l'on s'en faisait et que l'on devait s'en faire. Tout était sous la surveillance de l'État, la religion, la vie privée, même la morale. Contre l'État l'homme perdait ses droits individuels (1). Cela entraînait à des violences de toute sorte, à des crimes sans nombre ; mais ces brutalités de l'État étaient une partie de sa force. Une autre partie résidait dans la notion de l'État impersonnel, notion qui se maintint au temps de l'Empire. Ainsi la notion politique en ce temps était rigoureusement théorique. Par-dessus l'empereur despote éclate le sigle nationale S. P. Q. R., senatus populusque romanus (2), et plus haut encore plane la respublica, l'État.


Les empereurs n'y font aucun obstacle. Trajan, Adrien; Septime-Sévère, Valérien, Constance font une mention fréquente de la République (3) et se considèrent volontiers comme ses mandataires (1). Cela tient à ce que la délégation, de quelque nom qu'on appelle le régime qui l'exerce, n'est, comme le dit Cicéron, qu'une des formes de la République (2).




 
1. FUSTEL DE COULANGES, Hist. des Instit. polit. de l’anc. France, t. I (1891), p. 169.

1. CICÉRON, De legibus, III, 3 : « Salas populi suprema lex esta. » La même chose ailleurs : « Caiphas consilium dederat Judaeis : Quia expedit unum hominem mori pro populo. » (JEAN, XVIII, 14.)

2. WILMANNS, Exempla inscriptionum latinarum, nos 64, 644, 922, 923, 935, 938, 943, 952, 987, 1073, 1377. — Voy. Acta Arvalium, dans WILMANNS, t. II, p. 289.

3. SPARTIEN, Adrianus, 4 et 8 ; JULES CAPITOLIN Albinus, 12 ; TREBELLIUS, Valerianus, 6; Vopiscus, Aurelianus, 9 et 13 ; TREK. POLLION, Claudius, 7 et 14; AMMIEN MARCELLIN, XV, 8; HENZEN, n° 6501; ORELLI, n° 5192 ; — voyez aussi le nom de la république dans les textes législatifs; ULPIEN, au Digeste, L, 15, 1 ; IV, 6, 5; XXVII, 1,18. Cf. FUSTEL DE COULANGES, ouvr. cité, t. 1, p. 149 sqq. Comparez
l'exergue des monnaies en France en 1805. En face : Napoléon empereur ; au revers : République française.

1. « Pro bono reipublicae natus. » (MOMMSEN, Inscript. helveticae,

n° 312, 315, 316, 317, etc. — MAMERTIN, Paneg. Maximini, e. 3.)

2. De Republica, I, 26.


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Message  Monique Sam 16 Mai 2020, 7:36 am

Une pratique de sept siècles avait recommandé un système qui fonctionnait si doucement et si régulièrement depuis le temps des rois jusqu'à l'époque des Césars (3). La même délégation en vertu de laquelle les rois et les consuls gouvernaient régla l'exercice de l'autorité des empereurs. C'était un axiome des jurisconsultes de l'époque impériale que « Si l'empereur peut tout, c'est parce que le peuple lui confère et met en lui toute sa puissance » (4), et parmi tant de serviles concessions, celle qui eût dépouillé la République romaine ne fut jamais réclamée, jamais offerte. Comme au temps des rois (5) et au temps des consuls (6), la même lex regia de imperio renouvelle à chaque nouveau prince la délégation (7), mais ce n'était plus qu'une cérémonie de pure forme. « L'empire ne fut pas considéré comme héréditaire, au moins durant les trois premiers siècles (8).

Chaque prince reconnut qu'il devait l'empire à la délégation que le sénat lui en avait faite (1). Ce point de droit était incontesté (2). L'acte de délégation consommé, le pouvoir venait aux mains du roi, du consul ou de l'empereur, absolu, presque sans limites; c'était ce pouvoir que l'on appelait imperium. Quand l'empire fut fait, il n'eut qu'à recueillir les bénéfices d'un droit politique que créaient les textes et les précédents. L'empereur hérita de tout l'arbitraire, de toute la puissance, de toute la force. Il était chef de l'administration, de l'armée, de la religion, c'est-à-dire des sources de la discipline romaine. Il présidait le sénat, réglait le rang social et la capitation de chacun, tout cela sans appel et sans recours. Il était source de la justice, source de la législation. Il était divin, et l'aigle qui s'envolait de son bûcher funèbre l'emportait, de plein droit, parmi les dieux (3). Ainsi « il n'y eut jamais en Europe de monarchie plus omnipotente que celle qui hérita de l'omnipotence de la République. On ne connut pas plus de limites à la puissance effective du prince qu'on n'en avait connu à la souveraineté théorique du peuple. Il ne fut pas nécessaire d'alléguer aux hommes un prétendu droit divin. La conception du droit populaire, poussée à ses dernières conséquences par le génie autoritaire de Rome, suffit à constituer la monarchie absolue. »

Très habilement, les princes lièrent leur destinée à celle de l'État par lequel ils étaient et pour lequel ils voulaient être, au moins le disaient-ils. En l'an 12 avant Jésus-Christ, Auguste prit le titre de Souverain Pontife et consacra dans sa maison du Palatin un nouveau sanctuaire à Vesta. Dès lors, à l'origine même du pouvoir nouveau, on confondit le foyer domestique du prince avec le feu de la République (1), image de la perpétuité de l'État (2).

Il n'y eut en cela ni substitution, ni fiction; comme les dernières grandes conquêtes étaient, ou peu s'en faut, contemporaines de l'empire, les provinces initiées soudain après de longs déchirements intérieurs au doux régime de la paix romaine, adoptèrent avec empressement toute la civilisation romaine, un peu au hasard, sans discernement de ce qui leur convenait et de ce qu'il fallait refuser (3). L'Asie, la Gaule, l'Espagne, ne se conduisirent pas autrement. Parmi tous les présents qu'on leur fit, elles trouvèrent le culte de l'empereur et ne furent pas les moins ferventes à le pratiquer. En Asie Mineure, le culte d'Auguste et de Livie était la religion dominante (4) ; ce culte répandu dans tout l'empire, sauf à Rome, avait commencé en Espagne, à Tarragone (1), où l'on trouve aussi le premier temple consacré à l'Éternité (2) Tarragone était la première ville de l'Espagne citérieure et donnait le branle à tout le pays, comme Lyon, dans la Gaule, métropole administrative, politique, financière, de trois provinces, sorte de ville fédérale dans laquelle le culte de Rome et d'Auguste formait le lien religieux d'une immense agglomération. En Grèce, en Egypte, en Afrique, dans la Grande-Bretagne, la Pannonie, la Thrace, on trouve le même culte (3). L'idée faisait son chemin, pour l'exprimer on créa une formule nouvelle, l'aeternitas imperii (4), « expression d'une amphibologie voulue qui pouvait s'appliquer au pouvoir du souverain aussi bien qu'au territoire qu'il gouvernait. Le foyer de Vesta devint ainsi le symbole non seulement de l'indestructibilité de l'État romain, mais de celle du principat (1).





3. CICÉRON, Ad familiares, I, 9, 25 ; In Rullum, II, 11, 12 ; De Republica, II, 13, 17, 21 ; TITE-LIVE, VI, 41, 42 ; IX, 38, 39 ; XXVI, 2 ; XXVII, 22;
DENYS D'HALICARNASSE, IX, 41; X, 4; — TACITE, Annales, VI, 22.

4. GAIUS, Institutes, I, 5 ; ULPIEN, au Digeste, I, 4, 6.

5. CICÉRON, De Republica, II, 13, 17, 21.

6. CICÉRON, Ad familiares, I, 9, 25.

7. ULPIEN, au Digeste, I, 4, 6 ; Corp. inscr. lai., VI, 930 ; Wm-
MANNS, n° 917 ; ORELLI,t. 1, p. 567 ; FUSTEL DE C., ouvr. cité,
p. 154, note 2.

8. « Neque enim hic, ut gentibus quae regnantur, certa dominorum
domus. » TACITE, Hist. 1, 16.

1. TACITE, Hist., IV, 3; DION CASSIUS, LXIII, 29; LXIV, 8; LXVI,

1 ; LXXIII, 11-13 ; LAMPRIDE, Vie d'Alexandre Sévère, 6-8 ; JULES CAPITOLIN, Verus, 3.

2. FUSTEL DE C., ouvr. cité, p. 154 et suiv. Voyez LACOUR-GAYET, Antonin le Pieux et son temps, chap. II tout entier sur l'équilibre politique,

3. Voyez l'exposé des droits de l'empereur dans FUSTEL DE C., ouvr. cité, p. 157 et suiv. Pour le culte des empereurs morts :
Claude ORELLI, n° 65, 3651 ; Vespasien, 3853 ; Trajan, 65, 3898 ; Adrien, 3805 ; Septime Sévère, 2204 ; Commode, HENZEN, 6052;
cf. aussi 5480, 3135. Pour Antonin et Marc, voy. JULES CAPITOLIN, Pius, 13 ; Marcus, 18.

1. MOMMSEN, Corp. inscr. lat.. I2, p. 317, Comment. diurna, 28 avril.

2. VISSOWA, Hermès, XXII (1887), p. 44; LE MÊME, Die Säcularfeier des Augustus (1894), p. 9, cité par FRANZ CUMONT, L'éternité des empereurs romains,
dans la Revue d'histoire et de littérature religieuses, I (1896), p. 436.

3. FUSTEL DE C., ouvr. cité, liv. I, ch. vu. — JOSÈPHE, Ant. XIV, X,
22-23 ; STRABON, XVII, III, 24 ; TACITE, Ann. IV, 55.

4. ECKEEL, Doctr. numm. vet., VI, p. 101 ; TACITE, Annal., IV, 37, 55-56 ; DION CASSIUS, LI, 20 ; Corp. inscr. gr., n° 2696, 2943, 3524, 3990 c, 4016, 4017,
4031, 4238, 4240 d, 4247, 4266, 4363, 4379 c, e, f, h, i, k; LE BAS, laser., III, n° 621, 627, 857-859, 1611; WADDINGTON Explic. des Inscr. de LE BAS,
p. 207-208, 238-239, 376 ; PERROT, De Galatia prov. rom., p. 129, 150 suiv. ; Exploration de la Galatie, p. 31-32, 124; Corp. inscr. atticarum, III,
n° 63 et 253; BOECKH, nos 2741, 3415, 3461, 3494, 4039 ; WADDINGTON, n° 1266.

1. TACITE, Ann., 1, 78 ; QUINTILIEN, Instit. oral., VI, 3, 77 ; MARQUARDT, Römische Staatsverwaltung, t. I, p. 258 ; BEURLIER, Le culte impérial (1891),
p. 18, n. 5. Voyez encore Corp. inscr. lat., II, n°  2221, 2224, 2334, 3395, etc. Voyez aussi 2105, et encore 160, 397, 473, 2244, 3329, 4191, 4199, 4205, 4239, 4250.

2. COHEN, Monnaies, Octave Auguste, n° 727 ; Tibère, n° 166 ; à Mérida, COHEN, Auguste, 585-6 ; Tibère, 78-80.

3. DE BOISSIEU, Inscriptions antiques de Lyon (1854), p. 467 ; AUG. BERNARD, Le temple d'Auguste et la nationalité gauloise (1863); A. DE BARTHÉLEMY,
Les assemblées nationales dans les Gaules, dans la Revue des Quest hist. (juillet 1868), p. 14, 22; GUIRAUD, Les assemblées provinciales dans l'Empire romain ;
ALLMER, Musée de Lyon, t. II ; TITE-LIVE, Epitome, 137 ; SUÉTONE, Claude, 2 ; DE CASSIUS, LIV, 32; ORELLI, nos 1435, 1667, Auguste ; 3796, Tibère ; 699, Caligula ;
753, Vespasien ; HENZEN, n° 7421, Domitien ; ORELLI, 789, Trajan; 1718, Antonin ; cf. nos 204, 277, 401, 608, 805, 1989, 2389, 2489, 5208; JULLIAN, Inscript. de Bordeaux,
n° 1 ; BERNARD, ouvr. cité, p. 61 ; LEBÈGUE, Epigraphie de Narbonne (1887), p. 117 ; HERZOG, Append., n° 104. Pour le flamen local, voy. HERZOG, Append., no 1 ;
ORELLI, n° 2489 ; WILMANNS, Exempla, nos 128, 129 ; HENZEN, n° 5997 (Corp. inscr. lat., XII, nos 3180, 3207, cf. p. 382), 6931; MOMMSEN, Inscr. helveticae, nos 3,
118, 119, 142; — Grèce— FOUCART, Inscript. de Laconie, nos 176, 179, 244 ; — Egypte — PHILO, Legatio, 22 ; — Afrique. — L. RENTER, Inscr. de l'Algérie, no 3915 ;
HENZEN, 6901. — Grande-Bretagne — TACITE, XII, 32 ; XIV, 31 ; HENZEN, 6488 ; — Pannonie — Corp. inscr. lat., III, nos 3343, 3485, 3626 ; — Thrace — DUMONT,
Inscript. de Thrace, no 29 ; Bull. de corr. hellénique (1882), p. 181. Cf. MOMMSEN, Staatsrecht (1877), II, p. 732 suiv.; MARQUARDT, Staatsverwaltung, III,
p. 443 suiv. (cd. Wissowa, p. 463 suiv.)

4. SUET. Nero, 30; HENZEN, Acta fratrum Arvalium, 1874, p. LXXXI, 66 apr. J.-C. Cf. ann. 86, 87, 90, HENZEN, p. 110. Même expression sur les monnaies :
COHEN, Septime-Sévère, Caracalla et Géta, no 5; Julie, Sept-Sév. et Carac. nos 1-3; Julie, Carac. et Géta. nos 1-3; Géta, Sept.-Sév. et Carac., nos 1-2 ;
Sept.-Sév. et Carac., no 1;  Philippe père, n° 12 ; Philippe fils, n° 6 ; Carus, nos 30-32. — Cf. Corp. inscr. lat., II, 259.

1. De là l'expression d'HÉRODIEN, II, III, 1, à propos de Pertinax, proclamé empereur : « o de epeiper idruthe en te basileio estia. »



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Message  Monique Dim 17 Mai 2020, 7:27 am

Au moins à partir du IIe siècle, le feu, pris sans aucun doute à l'autel de la déesse, précédait en toute circonstance l'empereur, et était considéré comme l'insigne le plus caractéristique de sa puissance » (2). Certains empereurs paraissent avoir un peu répugné à cette apothéose (3) le sénat était moins réservé (4); à partir du second siècle jusqu'à la fin du troisième, le dogme de la corrélation entre l'État et l'empereur s'affermit. L'Auguste participe aux privilèges de la respublica. Le terme augustus (5)
devint le titre impérial (1) exclusivement réservé à l'empereur (2) et à ses successeurs.

Tout empereur fut donc un Auguste. Cela signifiait que l'homme qui gouvernait l'Empire était un être plus qu'humain, un être sacré. Le titre d'empereur marquait sa puissance, le titre d'Auguste sa sainteté (3). Les hommes lui devaient la même vénération, la même dévotion qu'aux dieux (4).

Cette collation d'un titre religieux à un simple mortel peut étonner les hommes de nos jours, qui ne manquent pas d'y voir le témoignage de la plus basse servilité. On devrait remarquer cependant que ni Tacite, ni Suétone, ni Juvénal, ni Dion Cassius, ne marquent par aucun indice que ce titre ait surpris les hommes de ce temps, moins encore qu'il les ait indignés. Des centaines d'inscriptions, fort librement écrites par des particuliers, attestent que les Romains et les provinciaux l'adoptèrent d'enthousiasme.

Pour le comprendre, il faut se reporter aux idées des anciens. Pour eux, l'État ou la Cité avait toujours été une chose sainte et l'objet d'un culte. L'État avait eu ses dieux et avait été lui-même une sorte de dieu. Cette conception très antique n'était pas encore sortie des esprits. Elle y régnait toujours, comme ces vieilles traditions auxquelles l'âme humaine se plie sans regarder d'où elles viennent. Les contemporains de César Octavien trouvèrent naturel de transporter à l'empereur le caractère sacré que l'État avait eu de tout temps. L'État, en même temps qu'il mettait en lui toute sa puissance et tous ses droits, mit aussi en lui sa sainteté. Ainsi le prince fit partie de la religion nationale. Il y eut association religieuse entre l'État et l'empereur. Depuis longtemps des temples étaient élevés à l'Etat romain considéré comme Dieu, Romae Deae (1). On y joignit désormais l'empereur régnant, à titre d'Augustus (2). La dédicace fut alors ROMAE ET AUGUSTO, « à Rome et à l'Auguste », comme si l'on eût dit « à l'Etat qui est un dieu et à celui qui, parce qu'il le représente, est un être sacré » (3).

L'origine orientale du dogme politique de la divinité des empereurs ne fait plus doute aujourd'hui (4) ; il semble qu'on doive y rattacher plusieurs éléments destinés à rendre ce dogme manifeste. D'abord, la notion d'éternité, si étroitement unie à celle de la divinité, s'appliqua à tout ce qui approchait l'Auguste. « On parle de la Virtus aeterna Augusti, de la Victoria aeterna qu'il remporte, de la Pax aeterna qu'il maintient, de la Felicitas aeterna que la protection céleste lui assure, et de la Concordia aeterna qui règne entre lui et son épouse ou ses parents (5). » En si beau chemin on ne s'arrête plus ; an temps de Dioclétien, qui marque la limite des faits qui nous intéressent, l'idée est parvenue à son dernier progrès, l'Auguste porte le titre de Avis et d'Hercules, le cérémonial officiel de la cour impose l'adoration de l'empereur.




2. F. CUMONT, ouvr. cité, p. 437 et notes 3, 4, 5. — « La plus ancienne mention de cet usage se trouve dans DION, LXXI, 35, 5, propos de Marc-Aurèle ; les dernières paraissent être le texte d'Eutychianus relatif à Julien.
Fragm. Hist. gr., IV, p. 6, col. 2, meta lampadon basilikon, et CORRIPE, De laud. Just., II, 299.» Cf. BEURLIER, ouvr. cité, p. 50. — CUMONT fait observer (p. 442, note 4), « qu'il ressort des textes (HÉnonIEN, II, 3, 2, etc.)
que le feu était porté devant les empereurs même pendant le jour, et il ne s'agit nulle part de flambeaux, mais de « pur » ou de phos ». La coutume existait à Rome dès le temps des Antonins. HÉRODIEN, I, 8, 4 ; I, 16, 4 ;
II, 3, 2; II,6,12; VII,6,2.

3. Vespasien, voy. COHEN, Monnaies, t. II, p. 271, nos 1 et 2 ; SUÉTONE, Vesp., 22. — Titus, COHEN, ouvr. cité, p. 342, n° 3 ; Claude interdit prskunein auto mete thusian oi poien, DION, LX, 5.

4. COHEN, t. II, p. 299, no 250 (en 77 ou 78 apr. .1.-C.) — Titus : COHEN, nos 145, 146 ; Domitien : COHEN, n° 280, 281; Trajan: COHEN, t. III, p. 4, nos 9, 10, 11; t. VII, p. 434.

5. DION CASSIUS, LIII, 16 ; SUÉTONE, Auguste, 7.

1. HENZEN, 5393, 5400 (Tibère) ; 55407 (Néron) ; 5455 (Adrien),
5580; — JULES CAPITOLIN, Gordiani, 8; TREBELLIUS POLLLION, Claudius; Vopiscus, Tacitus, 4 ; Numerianus, 13.

2. De même le titre d'Augusta était réservé à l'impératrice. SUÉTONE, Claude, 11 ; Néron, 28 ; Domitien, 3; TACITE, XII, 26 ; JULES CAPITOLIN, Pius, 5.
3. C'est ce que dit Ausone, Panégyrique de Gratien : Potestate imperator, Augustus sanctitate.

4. Imperator cum Augusti nomen accepit, tanquam praesenti et incorporali deo fidelis est praestanda devotio. (VÉGÉCE, édit. Lang. II, 5.) — Notons toutefois que l'empereur n'était pas un dieu. Il ne devenait tel qu'après sa mort,
s'il obtenait du sénat la consecratio. La qualité d'Auguste s'acquérait le premier jour du principat et disparaissait le dernier jour. Elle était attachée à l'exercice effectif de la puissance tribunitienne.

1. Sur les temples élevés à la Ville de Rome, voir PoLYBE, XXXI, 16 ; TITE-LIVE, XLIII, 6 ; Bull. de corresp. hell. (1883), p. 462.

2. SUÉTONE, Auguste, 52 ; Temple in nulla provincia, nisi communi suo Romaeque nomine, recepit. DION CASSIUS, LI, 20.

3. FUSTEL de C., ouvr. cité, p. 162-164.

4. F. CUMONT., ouvr. cité, p. 441.

5. F. CUMONT, ibid., p. 440. Chacun de ces termes est appuyé de plusieurs textes.


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Message  Monique Lun 18 Mai 2020, 8:11 am

Les textes sur lesquels nous venons d'établir cet état de choses s'échelonnent depuis l'époque des Antonins (1) jusqu'à la fin de l'époque des persécutions; néanmoins il se pourrait que l'origine de ces notions remontât aux premières heures du christianisme, qu'elles fussent contemporaines dans les esprits du rêve d'empire oriental de Néron (2). L'esprit romain n'était guère tourné à l'abstraction ou au symbolisme, il n'inventait rien ou presque rien, il calquait, c'est tout. Le feu de Vesta, devenu depuis Auguste l'emblème de la souveraineté et de l'éternité impériale, pourrait bien n'avoir été qu'un symbole emprunté aux anciens Perses (3) ; quoi qu'il en soit, le feu de Vesta n'était lui-même que le simulacrum coelestium siderum (4), il éveillait l'idée d'une relation plus haute pour la puissance souveraine, relation avec le feu céleste qui brille dans les astres.

C'était encore une conception orientale que celle qui représentait les rois comme une image, pour quelques-uns peut-être même, une émanation du Soleil sur la terre; nous la retrouvons dans la notion impériale à Rome. « Sol est non seulement le protecteur des empereurs (conservator) et leur compagnon (comes), mais entre eux et lui il existe une relation mystique, mal définie, qui leur donne un caractère divin (1) ». Ce nouvel aspect du dogme se répandit dès le temps de Néron (2) ; on en trouve des témoignages jusqu'au temps de Théodore (3), vers le milieu du ? siècle ; depuis Gordien III, la figure de l'empereur s'identifie avec Sol lui-même (4). Cette déification de l'empereur appartient, comme l'une de ses plus monstrueuses erreurs, à histoire de l'esprit humain,mais elle ne nous intéresse ici que dans ses conséquences politiques. L'empereur romain possédait en sa personne la Majesté, qui, dans l'ancienne langue de la République, désignait autrefois l'omnipotence de l’État (5). Ainsi un parallélisme parfait tendait à faire partager aux empereurs tous les droits et tous les honneurs accumulés sur la Ville de Rome par sept siècles de superstition.



1. Ce fut alors que l'autorité législative passa tout entière dans les mains du prince. Capitolin, Antonius Pius, 12. A partir de cette époque, l'empereur a tout à sa disposition et ne s'occupe plus d'aucun contrepoids. Voir par exemple Digeste, XLVIII, 7, 7; Code Justinien, VI, 33, 3 ; Fragmenta Vaticane, 195.

2. SUÉTONE, Néron, 40 ; cf. TACITE, Ann., XV, 36 ; Hist., II, 9.

3. Voir la démonstration dans FR. CUMONT, ouvr. cité, p. 441 et suiv.: La similitude non seulement de l'observance des Césars avec la pratique des rois asiatiques, mais encore des croyances religieuses que l'une et l'autre expriment, est frappante, et 1 on ne peut douter que les doctrines perses, plus ou moins transformées à l'époque hellénistique et adaptées en Italie aux habitudes indigènes, l'ont dès l'origine inspirée. Déjà Procope (Bell. Pers., II, 24) identifie le feu honoré par les rois iraniens avec la Vesta occidentale.

4. FLORUS, I, II, 3.

1. F. CUMONT, ouvr. cité, p. 444. Il est à peine nécessaire de signaler la ressemblance entre ce régime et la monarchie en France sous Louis XIV; tout s'y retrouve, jusqu'au soleil et au testament cassé en séance du parlement qui rappelle le caelum decretum, ainsi que parle

Tacite (Annales, I, 73), par lequel, à la mort des empereurs, le sénat décidait si les honneurs divins leur seraient accordés ou refusés.,

« Cette formalité, dit M. FUSTEL de C., avait un effet pratique de grande importance. Elle voulait dire, si les honneurs divins étaient accordés, que les actes du prince mort étaient ratifiés et devenaient valables pour tout l'avenir, et si les honneurs divins étaient refusés, que tous les actes de son principat étaient frappés de nullité. » (I, p. 165, note 3 de la page précédente.)

2. BEURLIER, Culte des empereurs, p. 48-49. Cf. BLANCHET, Les monnaies romaines (1896), p. 14.

3. FR. CUMONT, ouvr. cité, p. 444 et suiv., et notes 3, 4 et 1 de la

page 445.

4. COHEN, Gordien le Pieux, nos 11 à 15, 220, 221 ; Valérien père,

nos 11-12 ; Gallien, nos 38-43, 50, 51; Quintille, n° 6 ; Aurélien, nos 52-53 ; Probus, n° 148 ; Carin, n° 54 ; Philippe père, n° 12; Philippe fils,

n° 6 ; Tetricus fils, n° 6 ; Tetricus père, n° 41 ; Valabathe, n° 2.

5. CICÉRON, Divinatio in Caecilium, 22: « civilitatis majesta s» TITE-LIVE, III, 69 : « romana majestas » ; CICÉRON, Pro Balbo, 16 ; Oratoriae partitiones, 30 ; De inventione, II, 17 : « majestas populi » ; voyez

encore TITE-LIVE, II, 23 ; II, 36 ; VIII, 30 : « majestas consularis,
majestas dictatoria. »


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Message  Monique Mar 19 Mai 2020, 7:05 am

Non seulement ils se partagent la Majesté, mais encore l'Invincibilité (1), l'Eternité (2), la Destinée (3), et peu à peu ce n'est plus seulement la destinée de la Ville, mais celle de l'Empire tout entier qui est liée à la destinée d'Auguste. On tendait, et c'était logique, à donner à la divinité impériale son double caractère nécessaire : l'universalité et l'éternité (4).

Ce que l'historien pense de ces doctrines importe peu, pourvu qu'il les rapporte exactement ; mais après avoir démontré la situation objective du régime, il doit chercher ce que les hommes de ce temps en ont pensé, et ceci est encore l'histoire, c'est cet état psychologique d'une société qui provoque l'état politique de cette même société.

Avec nos habitudes politiques, nous pourrions être tentés de croire que, dans l'Empire, les esprits sérieux s'indignaient de cette mascarade olympique. C'est une erreur: ni Thraséa, ni Corbulon, ni Tacite, ni Juvénal, ne condamnent les institutions romaines, dont le jeu régulier pourtant leur procure Néron après Auguste, Domitien après Tibère, Commode après Marc, et les autres.

Et ce n'est pas, à Rome, qu'un coup de force eût dépouillé une fois pour toutes le peuple de sa puissance. La délégation faisait, à chaque changement de règne, la matière d'un acte « clair, long, précis, qui énumérait en détail tous les droits du prince, toutes les anciennes attributions de l’État que l'État lui déléguait. Cette Lex Regia était comme la charte de la monarchie absolue. Le sénat, qui la rédigeait, ne manqua pas toujours d'indépendance. Dans cet espace de trois siècles où il se rencontra plus d'un interrègne, il fut assez souvent en situation de faire ce qu'il voulait; il n'essaya jamais de diminuer l'autorité impériale. Il renouvela à chaque génération l'acte de constitution du despotisme (1), » Parmi les prérogatives de la monarchie, celles-là même qui nous paraissent exorbitantes, ne sont en ce temps jamais contestées dans leur principe.

Ainsi cette loi de Majesté, véritable Loi des suspects qui aura ses Camille Desmoulins et ses Fouquier-Tinville, paraît tout à fait sage à Tacite, qui ne met pas en doute que l'homme hostile à l'autorité publique ne soit justement mis à mort. Aux yeux des hommes de ce temps le droit terrible de vie et de mort sur tous était la consécration logique de la notion impériale, aussi les Lois Cornéliennes n'admettent aucune exception dans le cas de lèse-majesté (2). Malgré cet excès de puissance et les abus qui en découlent dans la pratique, les documents publics et privés, œuvres des poètes, des historiens, des jurisconsultes, correspondances intimes, panégyriques officiels et satires malicieuses, numismatique, épigraphie, art monumental, s'accordent à témoigner des sentiments bienveillants des populations à l'égard des institutions et de leur loyalisme à l'égard de l'État. Ce que le paganisme comptait d'hommes excellents s'accommodait du régime. Tacite fit toute sa carrière dans l'administration, depuis Vespasien jusque sous Trajan (1).




1. PRELLER, Röm. Mythol., II 3, p. 256, n. 5. Cf. AMMIEN, XIV, 6, 3.

2. COHEN, nos 460 sqq. ; Corp. inscr. lat., III, 1422 ; VII, 370. 392 VIII, 1427, 6965, 11912 ; Bull. archéol., 1893, p. 189.

3. PETER, dans ROSCHER, Lexic. Myth., I, p. 1515 suiv.

4. FR. CUMONT, ouvr. cité, p. 450, note 2.

1. FUSTEL DE C., ouvr. cité, I, p. 167.

2. AMNIEN MARCELIN, XIX, 12. Ce droit avait été conféré légalement par le sénat à Auguste. DION, LIII, 17. Cf. TACITE, Annal. I, 72 ; SUÉTONE, Domitien, 12. L'Empire apporta cette aggravation que l’État se confondant avec la personne du prince, on ne distingua pas les offenses personnelles des crimes publics. D'ailleurs le sens religieux était satisfait par tout ce qui sortait de l'empereur. L'expression la plus relevée de sa puissance, c'est-à-dire ses lois, étaient saintes. « Sanctissimas et salutiferas leges. » (Acta S. Asclae, I ; Boll. 23 janvier); « salubre praeceptum ». Acta S Cypriani, § I. Voyez Le BLANT, Les Actes dos martyrs (1882), p. 75-76.

1. TACITE, Hist. I, 1.


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Message  Monique Mer 20 Mai 2020, 7:36 am

Il n'y a que peu de cas à faire des boutades satiriques et des morceaux oratoires ; ces sortes d'écrits ne comptent presque pas ; les inscriptions sont plus sincères et partout elles dénotent un attachement raisonné aux institutions qui donnaient des garanties à l'intérêt privé. Car tel fut le principal mobile des sentiments; on ne jugea pas le régime au point de vue abstrait, mais on reçut tout ce qu'il donnait de sécurité et de profit avec une grande reconnaissance et on ne lui demanda que d'assurer les mêmes bienfaits. On appelait le prince des noms les plus divers, et il n'est pas conforme à une véritable psychologie de refuser à tous ces témoignages la sincérité : c'est ainsi qu'on le nommait « père et patron des peuples », « leur espoir et leur salut », le « pacificateur du monde », le « conservateur du genre humain », le « garant de toute sécurité » (2).

Par un revirement, peu justifié dans les faits, Rome et les provinces s'étaient prises à haïr les institutions républicaines dont l'Empire avait hérité, en les aggravant en réalité, bien qu'on estimât alors que la tyrannie d'un seul fût moins oppressive que le gouvernement d'une aristocratie (1). Les empereurs eurent le bénéfice de ce mouvement qui se soutint sans perdre presque rien de sa vivacité pendant des siècles (2). Les sujets leur témoignaient non seulement du dévouement, mais de l'affection, presque de la tendresse. Lorsque Caligula tombe malade, la foule anxieuse stationne la nuit autour du palais, certains offrent aux dieux leur vie pour sauver la sienne, et, l'empereur guéri, ils tiennent l'engagement (3). Quand il sort de Rome, on n'entend parler que de vœux faits aux dieux pour son retour (4). A l'avènement de ce scélérat, les Romains immolèrent en son honneurs plus de 160.000 victimes (5). Les bons et les mauvais princes provoquent les mêmes manifestations. De simples particuliers qui n'ont jamais vu César se vouent, « à la divinité et à la majesté » de Caligula, de Domitien, de Trajan, de Marc, de Septime-Sévère (6) ; ils élèvent un temple, un autel aux dieux pour obtenir au prince santé, guérison, victoire. Des villes entières prennent de semblables engagements.

Voici une formule de la Lusitanie : « Serment des habitants d'Aritium. De ma propre et libre volonté. Tous ceux que je saurai être ennemis de l'empereur Caius César, je serai leur ennemi. Si quelqu'un met en péril son salut, je poursuivrai celui-là par les armes, sans trêve, sur terre et sur mer. Je n'aurai, ni moi, ni mes enfants, pour plus chers que le salut de l'empereur. Si je manque à mon serment, que Jupiter et le divin Auguste et tous les dieux immortels m'enlèvent ma patrie, mes biens, ma santé, et que mes enfants soient frappés de même » (1).




2. ORELLI-HENZEN : Nos 606, 642, 712, 912, 1033: PATRI PATRIAE ; no° 601, 1089 : FVNDATORI PAC IS ; nos 323, 859, 1035 : PAC ATORI ORBIS. Corp. inscr. lat., II, nos 1670, 1969 : PAC ATORI PAC IS ; n° 1071 : FVNDATORI PVBLICAE SECVRITATIS ; n° 1030 : RESTITVTORI ORBIS; n° 795 : CONSERVATORI GENERIS HVMANI; ibidem, II, n° 2054. ORELLI, nos,1089: 1090, RESTITVTOR LIBERTATIS PVBLICAE. ALLMER, n° 31 : PAC ATORI ET RESTITVTORI ORBIS ; n° 32 : VERAE LIBERTATIS AVCTOR. Cf. Corp. inscr. lat., XII, nos 5561, 5563, et voy. n° 5456. ORELLI, n° 689 : SALVTI PERPETVAE AVGVSTAE LIBERTATIQVE PVBLICAE POPVLI ROMANI PROVIDENTIAE TIBERII CAESARIS AVGVSTI NATI AD AETERNITATEM ROMANI NOMINIS. Cf. PLINE, Hist. nat., XXV, 2.

1. TACITE, Annales, 1, 2 ; VELLEIUS, II, 126. DION CASSIUS, LVI, 44. Voyez FUSTEL DE C., ouvr. cité, t. I, p. 173, et tout le ch. II du livre II : Comment le régime impérial fut envisagé par les populations. G. BOISSIER, La religion romaine, liv. I, ch. II et III.

2. DION CASSIUS, LIV, 32. tes eortes (à Lyon) en kai non peri ton tou Augoustou bomon telousi. DE BOISSIEU, Inscr. de Lyon. ORELLI, nos 184, 660, 4018 ; HENZEN, nos 5233, 5965, 5968, 6944, 6966; G. BOISSIER, La religion romaine, l. I, ch. II, § 5, ad finem.

3. SUÉTONE, Caius, 14 et 27 [2].

4, SUÉTONE, ibid., 14.

5. SUÉTONE, ibid., 14.

6. Corp. inscr. lat., XII, nos 1851, 1782, 2391, 4323, 4347. MOMMSEN. Inscript. helveticae, no 133. Corp. inscr. lat., VIII, 4218, 4219 ; BRAMBACH, nos 9 439, 692, 693, 711, 721. Corp. inscr. lat., II, 1115. 1171, 1173, 2071.



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Message  Monique Jeu 21 Mai 2020, 7:26 am

Voici une formule en Gaule « Le peuple de Narbonne s'engage par vœu perpétuel à la divinité d'Auguste. Bonheur à l'empereur César Auguste, père de la patrie, grand pontife, à sa femme, à ses enfants, au sénat, au peuple romain, et aux habitants de Narbonne qui se sont liés par un culte perpétuel à sa divinité. Le peuple de Narbonne a dressé cet autel dans le forum de la ville et a décidé que sur cet autel, chaque année, le 8 des calendes d'octobre, anniversaire du jour où la félicité du siècle l'a donné au monde pour le gouverner, six victimes lui seront immolées, l'acte de supplication sera dressé à sa divinité, le vin et l'encens lui seront offerts » (2). Le culte de l'empereur n'était pas seulement publier. Les statuettes des empereurs avaient leur place entre les dieux pénates. Auguste, Livei, Marc-Aurèle, eurent les leurs dans ce sanctuaire intime de la famille (3). Les impératrices étaient associées à cette superstitieuse adoration. Livie et Faustine eurent leur sacerdoce particulier (4).

Le sentiment de satisfaction qui avait accueilli l'avènement du nouveau régime explique cet empressement à l'égard de son représentant; il faut ajouter que les manifestations excessives qu'il provoqua furent spontanées (1) ; le sacerdoce chargé de desservir le nouveau culte était recherché à l'égal des plus hautes dignités par les hommes considérables de chaque cité, ayant parcouru déjà toute la série des honneurs officiels (2). Mais dans une société aussi profondément divisée qu'était le monde antique les grands et les humbles ne pouvaient prier ensemble. Il se forma donc dans chaque cité, « presque dans chaque bourgade », des confréries en l'honneur d'Auguste, dont les prêtres annuels, au nombre de six, portaient le titre de « sévirs d'Auguste », seviri Augustales (3).

De tout ceci on tirera une conclusion, mais si simple qu'il semblera puéril de l'énoncer. C'est que les hommes de ce temps étaient fort superstitieux. On peut chercher autre chose, mais ce n'est pas nécessaire, et pour notre dessein cela explique tout. La religion officielle sous l'empire paraissait à beaucoup de bons esprits, aux indifférents et à la foule piétiste, contenir tout autant de vérité qu'aucune autre. Elle avait du surnaturel, qui n'était, à vrai dire, que du merveilleux, elle avait des miracles.



2. LEBÈGUE, Epigraphie de Narbonne (1887), p. 117 ; HERZOG, Appendix, n° 1; ORELLI, n° 2489 ; WILMANNS, n° 104; Corp. roser. lat., XII, p. 530. Ce texte est donné et commenté en partie par FUSTEL DE C., ouvr. cité, t. I, p. 180, note 2. Cf. ALLMER, nos 75, 137 ; LEBÈGUE, nos 42, 44 ; HERZOG, nos 106, 107, 108. Corp. inscr. lat., XII, p. 935.

3. TACITE, Annales, I, 73 ; JULES CAPITOLIN, Marcus, 18. Cf. Dion Cassius, LVIII, 4. Voyez FUSTEL DE C., ouvr. cité, I, p. 186.

4. JULES CAPITOLIN, Marcus, 26. Cf. ORELLI-HENZEN, nos 868, 3253, 8365, 5472.

1. FUSTEL DE C., ouvr. cité, p. 185 et note 1.

2. FUSTEL DE C., ibid., p. 185, note 2. G. BOISSIER, La religion romaine, liv. I, ch. II, §. 4 ; Corp. inscr. lat., III, 3288.

3. A Lyon, ORELLI, nos 194, 2322, 4020, 4077, 4242 ; HENZEN, 5231, 7256, 7260 ; à Vaison, HENZEN, 5222 ; à Arles, ORELLI, 200 à Avenches, ORELLI, nos 72, 375 ; HENZEN, 6417 ; à Nîmes, Gansu, 2298 HENZEN, 5231; à Genève, Gauss, 260; à Vienne, Allmer, t. II, p. 300 à Cologne, BRAMBACH n° 442 ; à Trèves, ibid., 804 [ « et dans presque toutes les villes de la Narbonnaise,. Corpus, t. XII, p. 940, et des trois Gaules »]. C. JULLIAN, ap. FUSTEL. DE C., ouvr. cité, t. I, p. 186, note 1. Cf. EGGER, Examen, critique des historiens d'Auguste. 2e appendice ; HENZEN, Annales de corresp. archéolog., 1847, et Dict. des antiq. DAEEHEEET-SAGLIO.



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Message  Monique Ven 22 Mai 2020, 6:54 am

Vespasien (1), Marc-Aurèle (2) en faisaient ; César croyait aux prodiges, Tibère aux astrologues. Septime-Sévère notait jour par jour sur un livre les oracles qui le concernaient personnellement. On assiégeait les tréteaux des devins, ou bien on en prenait chez soi à demeure (3); c'était l'âge d'or des charlatans. Alexandre d'Abonotique conseillait Marc-Aurèle (4). On sacrifiait partout, on avait des idoles dans chaque rue, pour chaque circonstance (5). Un fait caractérise cet état des âmes et en même temps a dû servir à l'encourager et à l'exciter. Les oracles, plusieurs oracles du moins, qui s'étaient tus vers la fin de la république romaine ou sous les premiers empereurs, recommençaient à parler. On les avait quittés, on revenait à eux (6). Les contemporains Lucien, Plutarque, Pausanias, Aristide, au second siècle ; Spartien, Jules Capitolin, Dion Cassius, plus tard, sont pleins d'histoires merveilleuses; ils nous montrent la vogue nouvelle des officines délaissées, les sorts de Préneste et les automates d'Antium renaissent en Italie, tandis qu'en Grèce, en Asie, en Égypte, en Afrique les oracles se font entendre : Apollon Didyméen à Milet, Apollon de Clare à Colophon, Apollon Diradiate à Argos, Apollon de Délos, Apollon de Patare, de Myrine, de Séleucie, Dionysios de Delphes, Jupiter d'Héliopolis, de Stratonice, de Gaza, Sérapis de Memphis, de Canope, Deus Lunus de Néocésarée, Dea Coelestis de Carthage (7); et du pèlerinage fait au sanctuaire de ces divinités on rapporte toujours quelque amulette, pierre chaldéenne, l’œuf druidique ou toute autre imposture inoffensive que l'on porte religieusement sur soi.

Nous devons prendre garde de verser dans l'histoire de la religion romaine, c'est seulement l'histoire du régime impérial qui doit nous retenir ; mais il se trouve que ce régime politique est coordonné à la religion, et cette remarque contient en germe les dispositions législatives que nous allons avoir à exposer et l'état psychologique qui provoque ces dispositions.

Toutefois nous ne devons pas confondre les pensées de ce temps-là avec la doctrine du droit divin des rois, qui n'a appartenu qu'à une autre époque. Il ne s'agit pas ici d'une autorité établie par la volonté divine ; c'était l'autorité elle-même qui était divine. Elle ne s'appuyait pas seulement sur la religion; elle était une religion. Le prince n'était pas un représentant de Dieu; il était dieu. Ajoutons même que, s'il était dieu, ce n'était pas par l'effet de cet enthousiasme irréfléchi que certaines générations ont pour leurs grands hommes. Il pouvait être un homme fort médiocre, être même connu pour tel, ne faire illusion à personne et être pourtant honoré comme un être divin. Il n'était nullement nécessaire qu'il eût frappé les imaginations par de brillantes victoires ou touché les cœurs par de grands bienfaits. Il n'était pas dieu en vertu de son mérite personnel il était dieu parce qu'il était empereur. Bon ou mauvais, grand ou petit, c'était l'autorité publique qu'on adorait en sa personne. Cette religion n'était pas autre chose, en effet, qu'une singulière conception de l’État (1).



1. TACITE, Hist., IV, 81.

2. JULES CAPITOLIN, Marcus, 24. Cf. RENAN, Marc-Aurèle, p. 274.

3. TACITE, Annales, II, 27; II, 32 ; III, 22 ; XII, 22 ; XIV, 9 ; XVI, 30; DION CAsslus,passim ; SPARTIEN, Hadrien, 3 ; Sept.-Sev., 2 ; JULES CAPITOLIN, Gordiani, 20.

4. LUCIEN, Alexandre ou le faux prophète, passim (31-57).

5. SPON, Miscellanea eraditae antiquitatis (1685), p. 101. DEZOBRY, Rome au siècle d'Auguste, t. II, p. 67 suiv.

6. F. DE CHAMPAGNY, Les Antonins, t. III, p. 50.

7. JULIEN GIRARD, L'Asclepieion d'Athènes (1881).

1.FUSTEL DE COULANGES, Hist. des lnstit. de lanc. France, t. I, p. 191 et 192. Les textes que j'ai cités ne sont pas les seuls, on les retrouvera tous dans différents travaux très récents sur cette question. Voyez : GUIRAUD sur les provinces, DUFOURCQ sur les martyrs, et plusieurs autres. MOMMSEN a soutenu la théorie d'après laquelle les chrétiens auraient été poursuivis : pour le crime de lèse-majesté ; 2° en vertu du pouvoir de police, coercitio, appartenant aux magistrats (Historische Zeitschrift, t. LXIV, 1890, p. 339-424; The Expositor, juillet 1893). Cette thèse a été combattue par L. GUÉRIN, Nouvelle Revue historique du droit français et étranger, 1895, p. 601-646 et 713-737.


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Message  Monique Sam 23 Mai 2020, 7:13 am

C'est sous ce principe politique que le monde romain vécut et prospéra durant trois siècles, c'est-à-dire pendant la période entière des persécutions. Toutes les sources dont l'histoire reçoit le témoignage s'accordent à démontrer « l'attachement universel des diverses classes de la société au gouvernement impérial et ne laissent voir aucun symptôme d'antipathie » (1). Cette étrange série de souverains que furent les empereurs ne laissait pas, chemin faisant, de s'avancer vers son but (2). Tout l'empire se divisait en provinces impériales et en provinces sénatoriales. Dès le troisième siècle, les provinces sénatoriales avaient disparu devant le vœu spontané des populations de passer sous l'administration tutélaire de l'empereur (3).

Une des conséquences principales de ce fait fut une sorte d'uniformité. Je dis une sorte d'uniformité, car les documents nous apprennent avec quelle souplesse la domination romaine combinait ses principes irréductibles avec les susceptibilités provinciales. Ceci créa, en un certain sens, dans chaque région une sorte de glose authentique du droit romain dont il faut tenir compte suivant que les exigences de l'étude nous transportent sur divers points du territoire de l'Empire (1).

Néanmoins, à l'époque où Rome étendit son pouvoir sur l'Asie, la Syrie, l'Afrique, l'Espagne, la Gaule, son Droit était arrivé à un degré plus avancé de l'évolution que celui qu'elle trouvait en vigueur dans ces provinces qui n'avaient pas dépassé le droit patriarcal et le droit théocratique. Elle leur apporta un système législatif qui impliquait une conception différente de l'individu et de la société, inspiré qu'il était par l'équité naturelle et l'intérêt général. Le principe était que l'autorité publique, représentant la communauté des hommes, eût seule l'autorité législative, et que sa volonté, exprimée suivant certaines formes régulières, fût l'unique source de la loi (2). La source du Droit était donc l'autorité publique représentée sous la République par le consul ou le préteur, dont l'édit avait force de loi aussi longtemps que le magistrat restait en fonction. Sous l'Empire, l'édit du prince eut la même valeur pendant sa vie entière. Si le sénat le ratifiait après la mort de chaque empereur, l'édit, le décret ou le rescrit, devenait loi (3).

L'autorité publique était aussi représentée par le sénat dont les sénatus-consultes furent comme autant de lois ayant vigueur dans tout l'Empire (1). Le Droit fut donc éminemment modifiable (2) et sa perpétuelle amélioration fut le principal souci de tous les bons empereurs (3). Néanmoins, au cours de cette longue élaboration, l'objet garde son caractère essentiel, c'est-à-dire cette « qualité dont toutes les autres, ou du moins beaucoup d'autres, dérivent suivant des liaisons fixes (4) ». Les empereurs, même les plus indignes, se sont maintenus dans l'axe du Droit séculaire. Il continue, sous leur règne, à être l'œuvre de l'autorité publique se faisant l'expression de l'intérêt général et de l'équité naturelle.



1. FUSTEL DE C., ouvr. cité, I, p. 170.

2. Peut-être le sénat fut-il le principal ouvrier de sa propre déchéance, grâce à un fonctionnement qui lui donnait le droit d'anéantir ou de consacrer pour l'avenir les édits de chaque empereur défunt. De la sorte les seules mesures vraiment sages subsistaient et parfois celles qui concouraient au bien de l'Etat et de l'Empire, mais au détriment du sénat. Les actes de Tibère, de Caligula, de Néron, de Domitien furent cassés (DION CASSIUS, LX, 4) ; ceux d'Adrien faillirent l'être (SPARTIEN, Adr. 27), enfin ceux de Commode (LAMPRIDE, Comm. 17). Il faut ajouter les princes qui ne régnèrent qu'un temps très court : Galba, Othon, Vitellius, Géta, Caracalla, Macrin.

3. TACIT., Annal., I, 76. On trouvera tout le détail dans FUSTEL DE C., ouvr. cité, t. I, liv. II, ch. III, p. 197 et suiv. Sur l'érection de statues aux gouverneurs, après leur exercice, voy. RENIER, Mélanges d'épigr., p. 107. Sur l'heureuse condition des provinces, voy. DESJARDINS, Pays gaulois et Patrie romaine (1876) ; G. BOISSIER, Provinces orientales de l'Empire romain, dans Revue des Deux Mondes, 1er juill. 1874, et MOMMSEN et MARQVARDT, Handbuch., passim.

1. Un des cas les plus caractéristiques de cette modération se passa en Judée.

2. Ut quodcunque populus jussisset, id jus ratumque esset.
C'est le principe déjà eltprimé par TITE-LIVE, VII, 17. Il l'est ensuite par Cicéron, par Gains, par Pomponius. Voy. FUSTEL DE C., I, p. 299.

3. Quod principi placuit legis habet vigorem, utpote quum lege regia populus ei et in eum omne suum imperium et potestatem conferat. ULPIEN, au Digeste, I, 4, 1 ; GAIUS, I, 5 ; JUSTINIEN, Institutes, I, 2, 6.

1. GAIUS, I, 4; Digeste, V, 3, 20; Voy. TACIT. Annal., XI, 24; XVI, 7 ; Acta. PTOLEMAEI ap. JUSTIN. Apolog. II : huius modi forma iudicii non conVenit temporibus Imperatoris Pii, nec philosophi Caesaris filii, nec Senatui Romano.

2. Sauf les parties qui entraient à un moment donné dans une grande codification, comme l'Edit perpétuel, sous Hadrien ; les codes de Théodose, de Justinien.

3. Courroux, Antoninus, 12 ; LAMPBIDE, Alexander, 17 ; Digeste, XXXVII, 14, 17.

4. TAINE, Philosophie de l'Art, l. I, ch. I, paragr. 5.


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Message  Monique Dim 24 Mai 2020, 8:04 am

Le peuple en est averti, il y consent, il s'en trouve bien et accepte la sanction rigoureuse qui sert d'équilibre à ce concept. La société ayant fait alliance avec son gouvernement ne répugnait pas à tune certaine vindicte implacable dont elle lui donnait la charge et qui devait, dans la pensée des hommes de ce temps, assurer par l'excès de la rigueur un repos que l'on ne voulait pas laisser troubler. Il arriva donc que l'empereur réalisa dans sa personne une manière d'hypostase. Il était dieu et comme tel participait à la divinité de l’État ; en outre il était le délégué de l’État fut que tout délit qui portait atteinte à l'empereur tirait du fait de cette hypostase une double malice : il était à la fois révolte et sacrilège.

Pour se faire une idée de la situation réelle que faisait aux chrétiens dans l'opinion leur attitude à l'égard des édits impériaux, il suffit de rappeler les appellations qui leur étaient adressées; on les nomme : « factieux », « impies », « sacrilèges », « coupables de lèse-religion », ennemis « du genre humain », « des princes », « de l’État », « de la majesté ». Ces accusations partent de tous les côtés en même temps, à Rome, en Afrique, en Asie, en Gaule (1), et nous les relevons non seulement dans des écrits d'une rigueur historique discutable, comme ceux de Tertullien, mais dans les pièces de procédure régulière et aussi de procédure improvisée, comme c'est le cas pour plusieurs martyrs.

A Smyrne, le proconsul Quadratus dit à Polycarpe « Jure par le Génie de César, repens-toi, dis : Plus d'athées (2) » ! À Rome, dans le procès de saint Justin : « Que ceux qui n'ont pas voulu sacrifier aux dieux et obéir à l'ordre de l'empereur », dit la sentence (3); en Afrique, les martyrs Scillitains sont condamnés comme ayant refusé de rendre à l'empereur les honneurs religieux (4); en Asie, Pionius, pour s'être montré, dit le proconsul sacrilegae mentis (cœur impie)(5); en Asie encore, on dit à l'évêque Acace: « Tu profites des lois romaines, tu dois aimer nos princes... mais afin que l'empereur en reconnaisse la sincérité, offre-lui avec nous un sacrifice » (1).



1. Ces imprécations font l'objet de deux paragraphes du livre I des Origines
et antiquitates christianae de MAMACHI (ed. Matranga,1842), p. 96 et 97, cap. n, §§ XVIII, XIX.
Voyez KORTHOLT.

2. PASSIO POLYCARPI, § IX.

3. PASSIO JUSTINI, § V. Les actes des martyrs Scilitains (cd. Baronius) contiennent
cette addition à la sentence telle qu'elle est donnée par les meilleures versions :
« ...christianos se esse confitentes, et Imperatori honorem et dignitatem dace recusantes. »

4. ACTA SCILLITANORUM, § V.

5. PASSIO PIONII, Acta sincera, p. 217.

1. ACTA AGHATI, § I.



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Message  Monique Lun 25 Mai 2020, 8:25 am

En Afrique, Lucien et Marcien sont condamnés en qualité de « transgresseurs des lois » (2) ; la sentence rendue contre saint Cyprien est plus explicite : « Tu as longtemps vécu en sacrilège, tu a réuni autour de toi beaucoup de complices de ta coupable conspiration, tu t'es fait l'ennemi des dieux de Rome et de ses lois saintes ; nos pieux et très sacrés empereurs, Valérien et Gallien, Augustes, et Valérien, très noble César, n'ont pu te ramener à la pratique de leur culte. C'est pourquoi, fauteur de grands crimes, porte-étendard de ta secte, tu serviras d'exemple à ceux que tu as associés à ta scélératesse : ton sang sera la sanction des lois » (3). Dans l'état d'esprit du monde romain tourné à la superstition, la secte sur laquelle planait l'accusation d'athéisme était exécrable entre toutes. C'était celle qui retentissait de toutes parts contre les chrétiens : « On nous appelle athées », écrit saint Justin (4), et quelques années après : « On appelle les chrétiens athées et, impies » (5). « On nous accuse d'athéisme », dit Athéna gore (6). On propose à l'évêque Polycarpe de crier : « A bas les athées » (7). Lucien dit que le Pont est rempli a d'athées et de chrétiens » (8). Vettius Epagathus interpelle un légat impérial : « Je demande qu'on me permette de plaider la cause de mes frères ; je montrerai clairement que nous ne sommes ni athées, ni impies » (9).

Au troisième siècle, Minucius Felix nomme l'athéisme parmi les accusations dirigées contre les fidèles (1). Enfin au commencement du ive siècle, Licinius accuse Constantin d'avoir embrassé la foi athée (2). L'athée comme le parricide encouraient la peine de mort (3). Cette accusation terrible avait son fondement dans l'aversion affichée par les chrétiens pour les temples, les statues, les autels (4). A de telles gens on imputait tous les crimes et on attribuait tous les maux. Par-dessus tout on les, tenait pour des magiciens, et, de ce chef, on leur portait quelque chose de la haine fanatique que les gens de bien vouent à ce qui est mal, un sentiment analogue à celui d'un paysan à l'égard du sorcier dont il se gare en attendant qu'il l'assomme.



2. ACTA LUClANI ET MARCIANI, § VII.

3. ACTA CYPRIANI, § IV.

4. JUSTIN, I Apol., 6.

5. II Apol., 3.

6. ATHÉNAGORE, Legat. pro Christ., 3

7. EusÈBE, Hist. eccl. IV, 15.

8. Lucien, Alexander, 25, 38.

9. EUSÈBE, H. e., V, 1.

1. Octavius, 8, 10.

2. EUSÈBE, Vit. Constantini, 15.

3. JUSTIN, Apol. II, 3 ; ATHÉNAGORE, ch. IV et suiv. ; PASSIO POLYCARPI, § IX,
et le faux rescrit de Marc-Aurèle à la suite de Justin. LUCIEN, Peregr., 21; Alexander, 38.

4. MINUC. FEL. Octav. 10, 32 ; CELSE dans ORIGÈNE, VII, 62 ; cf.

VIII, 17 et suiv.





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Message  Monique Mar 26 Mai 2020, 7:20 am

Il ne faut se représenter la société chrétienne pendant les trois premiers siècles de son existence ni comme une troupe d'agneaux, ni comme un parti révolutionnaire. Ces jugements en bloc ne s'appliquent souvent ni aux individus ni au groupe qu'ils prétendent atteindre. La note juste à appliquer à une société humaine est infiniment plus complexe. Pour la trouver, il faut de longs et patients efforts. Celui qui tourne son labeur sur cet objet a besoin, pour faire admettre ses conclusions - si tant est qu'il en tire, de réclamer de ceux qui désirent le suivre un effort d'attention non moins pénétrant et non moins persévérant qu'a été le sien.(1)

L'état politique du monde était alors des plus tristes. Toute l'autorité était concentrée à Rome (2). A chaque changement de règne, un poids colossal menaçait de s'appesantir sur le monde antique qui le ferait définitivement disparaître. L'avilissement des âmes était effroyable. De temps en temps le monde, sous les bons princes, reprenait un peu d'équilibre ; puis soudain, la monarchie romaine lâchait sur le genre humain quelque bête affreuse : Caligula, Néron, Domitien, Commode, Caracalla, Hercule, et, à ce moment, les vieux Romains impassibles, résignés, regardaient le monde qui recommençait à s'enfoncer. S'ils prévoyaient la catastrophe finale, ils n'en parlaient guère, sans doute parce qu'ils comptaient sortir à temps, à leur heure, par la porte du suicide, dédaigneux de savoir quand et comment le reste finirait.

Les chrétiens, témoins des mêmes péripéties, se conduisaient d'autre manière. Un parti nombreux et bruyant nous a laissé l'expression de ses sentiments à l'égard du régime. L'auteur de l'Apocalypse d'Esdras, dont la vogue fut grande parmi les chrétiens (1), annonce la fin de l'empire : « Tu vas disparaître, ô aigle, et tes ailes horribles et tes ailerons maudits, et tes têtes perverses, et tes ongles détestables, et tout ton corps sinistre, afin que la terre respire, qu'elle se ranime, délivrée de la tyrannie, et qu'elle recommence à espérer en la justice et en la pitié de celui qui l'a faite » (2). Aux cris vengeurs partis de Rome (?) répondent des voix chrétiennes à Alexandrie. Elles apostrophent Rome en ces termes :

« O vierge, molle et opulente fille de Rome latine, passée au rang d'esclave ivre de vin, à quels hymens tu es réservée ! Combien de fois une dure maîtresse tirera tes cheveux délicats (1) ! » « Instable, perverse, réservée aux pires destins, principe et fin de toute souffrance, puisque c'est dans ton sein que la création périt et renaît sans cesse, source du mal, fléau, point où tout aboutit pour les mortels, quel homme t'a jamais aimée ? Qui ne te déteste intérieurement ? Quel roi détrôné a fini en paix chez toi sa vie respectable ? Par toi le monde a été changé dans ses plus intimes replis... Autrefois existait au sein de l'humanité l'éclat d'un brillant soleil : c'était le rayon de l'unanime esprit des prophètes, qui portait à tous la nourriture et la vie. Ces biens, tu les as détruits. Voilà pourquoi, maîtresse impérieuse, origine et cause des plus grands maux, l'épée et le désastre tomberont sur toi... Écoute, ô fléau des hommes, l'aigre voix qui t'annonce le malheur (2). »



1. RENAN, L'Eglise chrétienne, p. 305, chap. XVI.

2. Pendant les fréquentes vacances de l'empire, on ne voit aucun indice d'une tendance à la décentralisation. A la mort d'un empereur, les légions devancent assez souvent le sénat dans le choix du successeur. (Voy. TACITE, Annal., XII, 69) ; mais si, « le sénat et les armées peuvent être souvent en désaccord sur l'empereur à choisir, ils ne semblent jamais être en désaccord sur la nécessité d'avoir un empereur ». (FUSTEL DE C., p. 172, note de la page précéd.)

1. Voy. MONTAGUE RHODES James, Introduction to the fourth Book of Esdra, dans Texts and Studies t. III, n° 2. Les principaux testimonia sur ce livre dans la littérature chrétienne sont : Oracles Sybill., III,, 46-52 ; Assomption de Moyse, X, 28 ; Apocalypse, I, 15 ; VII, 9 ; XIV, 1, 2, 6, 13 ; xzx, 6 ; sa, 12 ; xaz, 2, 23 ; Ps. BARNABÉ, Epître, IV, 7, 8 (14) ; VI, 20, 21; XII, 1; CLEM. D'ALEx. Strom. I, XXI, p. 394 ; III, XVI, p.556; Constitut. apostol. (ed. Pitra), II, XIV; VIII, VII; TERTULLIEN, de praescr. III; contr. Marcion., l. IV; CYPRIEN à Demetr.; COMMODIEN, Instr., liv. II, I, 28, Carm. apolog., v. 941 suiv. et RENAN, Origines, t. V, p. 370 et suiv.

2. Ps.-Esdras, ap. RENAN, ouvr. cité, 368.

1. Carm. Sib., III, 356-362. L'auteur est judéo-chrétien, son christianisme est incontestable; voyez le vers 256.

2. Ibid., V, 227 suiv.


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Message  Monique Mer 27 Mai 2020, 6:59 am

Vers le milieu du ? siècle, les imprécations de la sibylle chrétienne ne sont pas moins retentissantes : Oh [Rome] ! comme tu pleureras, dépouillée de ton brillant laticlave et revêtue d'habits de deuil, ô reine orgueilleuse, fille du vieux Latinus ! Tu tomberas pour ne plus te relever. La gloire de tes légions aux aigles superbes disparaîtra. Où sera ta force ? Quel peuple sera ton allié, parmi ceux que tu as asservis à tes folies (3) ? » « Tous les fléaux, guerres civiles, invasions, famines, annoncent la revanche que Dieu prépare à ses élus. C'est surtout pour l'Italie que le juge se montrera sévère. L'Italie sera réduite en un tas de cendre noire, volcanique, mêlée de naphte et d'asphalte. L'Adès sera son partage. Rome subira tous les maux qu'elle a faits aux autres ; ceux qu'elle a vaincus triompheront d'elle à leur tour (1). » Cela se passera en l'année 948 de Rome ou 195 de Jésus-Christ.

En Afrique, en Gaule, en Asie, on propageait sous le couvert du millénarisme des rêves d'incendie universel. Ces mouvements étaient si réels que la police romaine s'en inquiéta ; elle organisa une surveillance sur cette publicité révolutionnaire (2), les livres sibyllins qui annonçaient la destruction de l'empire furent condamnés et on porta la peine de mort contre leurs détenteurs (3). Ces sentiments ne se sont pas bornés à de platoniques imprécations de la part de quelques rêveurs anonymes. De très bonne heure des chrétiens avérés, les martyrs, avaient provoqué un débat où leur attitude était décrite et appréciée suivant l'esprit romain.

« Je ne sais, dit Pline, si c'est le nom [de chrétien] lui-même, abstraction faite (le tout crime, ou les crimes inséparables du nota que l'on punit. En attendant, voici la règle que j'ai suivie envers ceux qui m'ont été déférés comme chrétiens. Je leur ai posé la question s'ils étaient chrétiens ; ceux qui l'ont avoué, je les ai interrogés une seconde, une troisième fois, en les menaçant du supplice; ceux qui ont persisté, je les ai fait conduire à la mort; un point en effet est hors de doute pour moi : c'est que, quelle que fût la nature délictueuse ou non du fait avoué, cet entêtement, cette inflexible obstination méritaient d'être punis (4) ».



3. Ibid., VIII, 70 et suiv., 139 et suiv., 153 et suiv.

1. RENAN, Origines, t. VI, p. 534.

2. JUSTIN, Apolog., II, 14.

3. JUSTIN Apolog., I, 44 ; voy ORIGÈNE, contr. Cels., V, 61; LACTANCE, Div. instit., VIII, 15.

4. PLINE A TRAJAN, Lettr. X, 97.


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Message  Monique Jeu 28 Mai 2020, 7:05 am

On connaît la réponse de Trajan et il ressort de cette jurisprudence que le fait délictueux n'est pas la profession du christianisme que chacun pourra exercer aussi longtemps qu'il n'aura pas été dénoncé, mais c'est le refus d'adresser des supplications aux dieux de l'empire, parmi lesquels on a placé l'image de l'empereur. C'est toujours le double crime de sacrilège et de révolte. Nous le retrouvons dans les Actes des martyrs. Il est indispensable, si l'on veut bien entendre ces documents, de se représenter la valeur des réponses faites par les accusés à leurs juges. En les lisant, nous n'éprouvons aucune difficulté pour entendre le langage des saints qui avaient la même foi religieuse que nous. Tout est clair pour nous là où il n'y avait qu'incohérence pour les contemporains non instruits de la foi chrétienne.

Un préfet de la ville s'écrie pendant un interrogatoire : « Je n'y comprends plus rien du tout » (1) ; des juges témoignent d'une inintelligence complète du sens caché des réponses qui leur sont faites, d'autres entament la controverse avec le désir avoué d'éclairer certains bruits qu'ils ont recueillis sur la religion chrétienne (2). Il faut avoir cette remarque présente en lisant les interrogatoires, afin d'interpréter comme devaient le faire des juges païens une réponse menaçante qui leur était fréquemment adressée. L'idée d'une vie future était souvent étrangère aux païens (3) ; dès lors la perspective invoquée d'un jugement suivi d'une peine éternelle leur apparaissait comme une menace déguisée, un cri séditieux vers une revanche dont la victime léguait l'exécution à ceux de son parti. A Smyrne, par exemple, l'évêque Polycarpe « Tu me menaces d'un feu qui brûle une heure, et s'éteint aussitôt. Ignores-tu le feu du juste jugement et de la peine éternelle qui est réservé aux impies » (4) ?

En Afrique, Saturus dit à la foule : « Remarquez bien nos visages, afin de nous reconnaître au jour du jugement»; et quand les condamnés défilèrent devant la loge du procurateur : « Tu nous juges, mais Dieu te jugera » (1), à propos de quoi le peuple s'exaspéra et réclama un supplément de torture à cause de cette menace. En Asie, l'évêque Acacd réplique : « Comme tu auras jugé, tu seras jugé toi-même; et comme tu auras agi, l'on agira envers toi » (2): Certains interrogatoires contiennent des réponses d'une extrême vivacité. Il est plus d'un témoignage certain qui nous montre les chrétiens s'emportant en paroles acerbes contre les persécuteurs, lorsque leur indignation ne se traduisait pas, comme l'affirme Prudence, par des actes matériels :


Martyr ad ista nihil; sedenim

Infremit, inque tyranni oculos

Sputa jacit (3).


Voici les paroles de saint Cyprien au proconsul Démétrianus : « Si je me suis tu devant ta voix impie et tes aboiements contre Dieu, c'est que le Seigneur nous ordonne de garder dans notre coeur la vérité sainte et de ne pas l'exposer aux outrages des chiens et des pourceaux » (4). Et le diacre Pontius rappelle et glorifie cette invective : « Si, au lieu d'être exilé d'abord, le saint, dit-il, eût immédiatement subi le martyre, qui eût triomphé des païens en leur rejetant les blasphèmes dont ils nous poursuivent » (5).



1. ACTA APOLLONI.

2. ACTA SCILLITANORVM, PASSIO PHILEAE, ACTA ACATII

3. Voyez. les grands recueils épigraphiques.

4 PASSIO POLYCARPI

1. PASSIO PERPETUAE ET FELICITATIS.

2. ACTA DISPUTATIONIS ACATII.

3. Peristeph. Hymn. III, S. Eulaliae, § 126-128.
« Le martyr garda le silence ; mais il frémit et cracha au visage du président. »

4. Liber ad Demetrianum, § I.

5. Vite et passio S. Cypriani, § 7.


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Message  Monique Ven 29 Mai 2020, 6:54 am

C'est principalement aux armées que se produisent les cas de révolte ouverte provoqués par la qualité de chrétien. C'est la seule raison que donnent Maximilien pour se dérober à la conscription, Dasius pour refuser le titre de roi des Saturnales, le soldat à propos duquel Tertullien écrivit le traité De la Couronne et qui refusa le donativum. La susceptibilité des juges en tout ce qui se rapportait à la personne des empereurs grandissait de plus en plus (1). Procope, Alphée et Zachée, d'autres encore, sont condamnés pour une parole à double sens ; mais ce ne sont là que des équivoques provoquées à plaisir. Il y a un cas de révolte formelle contre les empereurs, accompagné d'invectives violentes contre leur personne. Les martyrs Taraque, Probe et Andronic subirent plusieurs interrogatoires que l'on résume ici : « Frappez-le sur la bouche pour avoir dit que les empereurs se trompent. Je le dis et je le répète, ils se trompent, car ils, sont hommes. » Andronic : « Honore nos princes et nos pères, en te soumettant aux dieux. Vous les appelez bien vos pères, car vous êtes les fils de Satan. » Taraque : « Sacrifie aux dieux qui gouvernent tout. Il n'est bon ni pour nous, ni pour eux, ni pour ceux qui leur obéissent, que le monde soit gouverné par des êtres qu'attend le feu éternel. » Andronic : « Tête scélérate, oses-tu maudire les empereurs qui ont donné au monde une si longue et si profonde paix ? « Je les maudis et je les maudirai, répondit le martyr, ces fléaux publics, ces buveurs de sang, qui ont bouleversé le monde. Puisse la main immortelle de Dieu, cessant de les tolérer, châtier leurs amusements cruels, afin qu'ils apprennent à connaître le mal qu'ils ont fait à ses serviteurs (2) ! »

Les sources écrites que nous possédons pour la période des persécutions contiennent un grand nombre de faits qui corroborent ceux que l'on vient de réunir. Il semble difficile de se dérober à cette conclusion que les chrétiens eurent dans tout l'empire, au moins dans certains cas, l'apparence de rebelles et de sacrilèges au jugement de ceux qui se voyaient à l'œuvre. A tel point que Domitien supposa quelques compétitions à l'empire et s'inquiéta de ce règne de «Chrestos » qu'on disait si proche (1). Un demi-siècle plus tard, mêmes alarmes auxquelles répond saint Justin par ces mots : « Si vous nous entendez dire que nous attendons le Règne, vous imaginez qu'il s'agit de quelque chose de terrestre et d'humain (2). Sous Dioclétien la méprise subsiste : un martyr répond à l'interrogatoire « Ceux-là se montrent fidèles et dévoués au Roi suprême qui accomplissent ses commandements et savent mépriser la torture. « De quel Roi parles-tu ? » demande le magistrat (3). « On demande à un martyr le lieu de sa naissance : « Jérusalem », répond le fidèle, adoptant le langage mystique. Le juge, qui ne connaît que Aelia Capitolina, s'agite, s'inquiète, flaire un complot dans lequel les chrétiens doivent fonder une ville rivale et ennemie de Rome (4).



1. « Ce qu'était le crime de lèse-majesté, nous le savons par plus d'un témoignage. La révolte, les actes violents ne le constituaient pas seuls. Un mot imprudemment murmuré (Paul., Sentent. V, 29, 1; ARNOB. Adv. Gentes, IV, 34), une parole contre cette felicitas temporum que les textes, les inscriptions, les médailles impériales proclament et vantent sous tant de règnes, c'en était assez pour courir à la mort. » EDM. LE BLANT, Les persécuteurs et les martyrs (1893), p. 54.

2. ACT. PROBI, TARACRI ET ANDRONICI.

1. EUSÈBE, Hist. eccl., III, 19.

2. JUSTIN, Apol. I, § 11.

3. Passio s. pollionis, § 2.

4. EUSÈBE, De martyrib. Palaest, § 11.


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Message  Monique Sam 30 Mai 2020, 8:22 am

Il est d'usage d'opposer à ces remarques une objection tirée des écrits des Pères, du nombre des martyrs et des ouvrages des apologistes. Mais on doit observer au préalable que cette objection n'infirme en rien les conclusions que nous tirons au point de vue spécial de la conscience païenne, où nous nous sommes placés.

A l'exemple de Notre-Seigneur, saint Paul, saint Pierre, saint Luc, saint Clément se montrent loyalistes irréprochables (1) ; mais la doctrine contenue dans leurs écrits, si elle se révélait dans la conduite de la vie, ne parvenait pas jusqu'aux païens. Les protestations de dévouement à l'empire laissaient sceptiques : « Que celui qui nie être chrétien prouve son dire par des actes, écrit Trajan, c'est-à-dire en adressant des supplications à nos dieux » ; et encore : « Tu profites des lois romaines, tu dois aimer nos princes. Qui donc aime l'empereur autant que les chrétiens ? Nous prions tous les jours pour lui, demandant à Dieu de lui donner une longue vie, un gouvernement juste, un règne paisible ; nous prions ensuite pour le salut des soldats et la conservation de l'empire et du mondes.(2) Je te loue de ces sentiments ; mais, afin que l'empereur en connaisse la sincérité, offre-lui avec nous un sacrifice (3). » Quant à ces prières que l'on énumérait et que l'on rappelait avec tant de complaisance, elles ne pouvaient être, aux yeux des païens, qu'un dernier blasphème et une révolte ouverte. En effet, il s'agissait bien moins de prier pour l'empereur que de prier l'empereur ; cette distinction fut établie pratiquement de très bonne heure : « J'ai cru devoir les faire relâcher, quand ils ont invoqué après moi les dieux et qu'ils ont supplié par l'encens et le vin votre image », écrivit Pline à l'empereur (4). Quant au nombre des martyrs, outre que les contemporains n'avaient pas l'esprit tourné aux statistiques, l'impression qu'il eût pu faire était neutralisée d'avance par le jugement que l'on portait sur cette fureur.



1. Rom., XIII, 1-7; I Petr., II, 13 suiv. ; IV, 14-16 ; CLEM., 1re aux Corinth. 61 ; Actes, ch. XIII, suiv. passim.

2. Voy. MANGOLD, De Ecclesia primaeva pro Caesaribus ac magistratibus preces fundente.

3. ACTA DISPUTATIONIS ACHATII.

4. PLINE, Epist. X, 97.


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Message  Monique Dim 31 Mai 2020, 6:17 am

Ce qui nous parait digne d'admiration parut folie aux païens. Sous la plume de Lucien, l'héroïque beauté du martyre de saint Ignace n'est plus que le boniment d'un charlatan (1). Les plus indulgents voyaient dans le martyre une bravade ; Pline l'appelle obstination inflexible (2); Epictète, un fanatisme endurci (3). Aelius Aristide s'exprime à peu près de même (4). Marc-Aurèle écrivit cette note sur son carnet de Pensées : « Disposition de l'âme toujours prête à se séparer du corps, soit pour s'éteindre, soit pour se disperser, soit pour persister. Quand je dis prête, j'entends que ce soit par l'effet d'un jugement propre, non par pure opposition comme chez les chrétiens, me kata philen pataxin, os oi Khristianoi ; il finit, que ce soit un acte réfléchi, grave, capable de persuader les autres, sans mélange de faste tragique (5). » Lucien dit de même, sur un ton différent : « Si, vous tenez tant à vous faire griller, faites-le chez vous, à votre aise et sans cette ostentation théâtrale. »

A presque tous, le courage des martyrs chrétiens apparaissait comme une folle; obstination, une affectation d'héroïsme tragique, un parti pris de mourir, qui ne méritait que le blâme (6). Avec le temps on notera des marques de sensibilité de plus en plus nombreuses de la part des bourreaux, une sorte de lassitude de tuerie; mais l'opinion publique restera sceptique et railleuse à l'égard des martyrs. Le regain de superstition qui signala le paganisme du second siècle (7) suffit à donner l'explication des phénomènes du martyre qui eussent entraîné la conversion d'esprits non prévenus. Tout ce qui relevait de l'intervention surnaturelle était qualifié de magie (1).

La magie constituait un chef d'accusation redoutable. Les chrétiens en étaient assaillis avec une fréquence très significative au point de vue de l'histoire des charismes dans la primitive Eglise (2). Ils pratiquaient les exorcismes ouvertement, à coup sûr, à tel point que Tertullien en fait la gageure : « Que l'on amène devant nos tribunaux, disait-il, un homme qu'agite l'esprit malin ; le premier venu d'entre nous forcera celui-ci de parler, d'avouer qu'il n'est qu'un démon, tandis qu'il se prétend un Dieu (3) Le charlatanisme ou la puissance diabolique donnaient à une classe d'individus méprisable entre toutes la faculté d'imiter les prodiges des chrétiens. Les uns et les autres n'étaient aux yeux des hommes de ce temps que des magiciens, passibles de tous les supplices, eux et leurs complices. Il suffit de signaler à cette place l'importance donnée à ce crime dans le chapitre d'histoire de déviation mentale dont nous réunissons ici les principaux éléments. Son étendue réclame une étude séparée.



1. LUCIEN, Peregr. passim.

2. PLINE, Epist. X, 97.

3. ARRIEN, Epict. Dissert., IV, VII, 6.

4. Orat. XLVI, p. 402 suiv.

5. Pensées, XI, 3.

6. Voy. TACITE, V, 5.

7. CAPITOLIN, Ant. Pius, 3, 9. Lucien, Demonax, 1;
PHILOSTRATE, Soph. II, I, 12-16.

1. LE BLANT, Les persécuteurs et les martyrs.
L'accusation de magie, p. 73 suiv.

2. MINUCIUS, Octavius, VIII et IX; TERTULL.
ad Uxorem, II, 4, 5.

3 TERTULL. Apolog. XXIII. Cf. XXVII, XXXIII,
et de Corona, XI.


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Message  Monique Lun 01 Juin 2020, 6:18 am

L'impassibilité des martyrs et, parfois, des faits surnaturels évidents, donnaient lieu à cette folle clameur, mais c'étaient surtout les signes symboliques et les réunions nocturnes des initiés qui faisaient perdre toute mesure. Les conciliabules nocturnes furent illicites dès les premiers temps de Rome. Une déclamation attribuée à Porcius Latro contient ces mots : « On lit dans la loi des Douze tables que nul ne doit former dans la ville des réunions nocturnes; puis la loi Gabinia a décrété que, selon l'usage des ancêtres, on punirait de mort celui qui provoquerait, à Rome, des assemblées (1). » La législation paraît n'avoir reçu aucun changement sur ce point particulier (2) ; à l'époque qui nous occupe, nous lisons ce texte d'Ulpien : « Que celui qui aura organisé une réunion illicite soit puni comme on punit ceux qui introduisent des troupes en armes dans les temples et autres lieux publics (3). » Ce texte se rattache à un autre, relaté au livre VIIe de Officio proconsulis, qui montre que le crime visé ici tombait sous la loi de majesté (4).

Enfin il importe de rappeler que les paroles de Tertullien sur le loyalisme des chrétiens (5), l'insistance de cet écrivain et de plusieurs contemporains à rappeler leurs prières pour l'empereur et les différents corps de l'Etat, ne s'expliquent pas sans des reproches de trahison formulés contre la secte des chrétiens (6).

Incontestablement la démarche la plus grave tentée pair les chrétiens à l'égard du gouvernement fut le mouvement apologétique organisé par divers personnages notables appartenant à l'Église. Ici encore, pour saisir la portée exacte de cette tentative d'accommodement, pour bien comprendre ce qu'elle eut de factice, d'improvisé, combien peu cet engagement de quelques porte voix répondait aux sentiments de l'Église tout entière, il faut observer combien piteuse fut la fin et comment on s'entendit pour que désormais il n'en fût plus question.



1. Declam. in Catil. c. XIX.

2. Tit. Liv. XXXIX, 8 et suiv, ; SÉNÈQUE LE RHÉTEUR, Controv. :III, 8 ;
GAIUS, Digest., L, I, quod cuiuscumque (III, 10) PLINE, Epist. X, 43, 94, 97.

3. Digest. L, I, de colles. et corpor. (XLVII, 22).

4. Digest. L. I, § 1 (XLVIII, 4).

5. TERTULL., Apolog. 35. Cf. ad Scapul. 1. La Bure, dans Rev. des
Quest. Hist. (1876), p. 239.

6. Apolog., 30. ACTA ACATII. CLEM. I ad Corinth. et MANGOLD, De Ecclesia
primaeva pro Caesaribus. ac magistratibas preces fundente, p. 10.


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Message  Monique Mar 02 Juin 2020, 6:28 am

Nous avons vu, de notre temps, des choses analogues, et la tentative de réconciliation entre l'Eglise et un gouvernement qui se propose un but opposé au sien, n'a pas eu plus de succès dans un cas que dans l'autre.

Le mouvement apologiste sortit d'une idée fausse appliquée par des esprits logiques. Tertullien exprime bien cette idée quand il dit : « L'empire durera autant que le monde (1) » ; il eut dû ajouter, pour donner la pensée entière de quelques-uns : et le monde ne durera qu'autant que durera l'empire. Il le dit ailleurs : « Nous savons que la fin des choses créées, avec les calamités qui doivent en être les avant-coureurs, n'est retardée que par le cours de l'empire romain (2) Ces cris d'une âme  « embourgeoisée » étonnent chez Tertullien, mais ils nous apprennent jusqu'à quel point les chrétiens se montraient sensibles au soupçon que nous pouvons appeler, d'après le langage contemporain, de loyalisme. Le détail du mouvement apologiste n'appartient pas à cette recherche. L'empire rêvé par Méliton, avec ses airs d'idylle, est à peu près aussi exécutable que cette Salente, objet d'un autre rêve épiscopal ; mais rien n'est plus périlleux que le jugement trop concis que l'on porte parfois sur ces sortes de conceptions très complexes ; ce qui doit seulement être relevé ici, c'est l'accueil fait à ces avances qu'une extrême charité gardait seule d'une extrême platitude.

Dans l'empire il restait des esprits clairvoyants qui sentaient tout accommodement impossible entre l'empire et l'Église : « Un pouvoir éclairé et plus prévoyant, disait Celse aux chrétiens,vous détruira de fond en comble, plutôt que de périr lui-même par vous (1)». L'apologie de Méliton était adressée à Antonin et à Marc-Aurèle ; la première de Justin également à Marc-Aurèle, celle d'Athénagore au même Marc-Aurèle, et dans tout le manuscrit des carnets, l'empereur n'a pas écrit un seul mot en réponse. Même dans ce mouvement il y eut des sons discordants, ce fut l'apologie de Tatien. Quant aux arguments invoqués, l'obéissance à tout nouveau prince, l'exactitude à payer l'impôt, ils étaient largement balancés par les refus continuels des soldats chrétiens de sacrifier.



1. TERTULLIEN, Ad Scapulam, 1. Voy. ce que nous avons dit sur l'aeternitas imperii.

2. TERTULL. Apolog. 32. ATRÉNAGORE, Legat. pro Christ. 37 : « Votre bonheur est notre intérêt, car il nous importe de pouvoir mener une vie tranquille en vous rendant de grand coeur l'obéissance qui vous est due. »

1. ORIG. contr. Cels. VIII, 69, 71.


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Message  Monique Mer 03 Juin 2020, 6:56 am

Nous avons vu, de notre temps, des choses analogues, et la tentative de réconciliation entre l'Eglise et un gouvernement qui se propose un but opposé au sien, n'a pas eu plus de succès dans un cas que dans l'autre.

Le mouvement apologiste sortit d'une idée fausse appliquée par des esprits logiques. Tertullien exprime bien cette idée quand il dit : « L'empire durera autant que le monde (1) » ; il eut dû ajouter, pour donner la pensée entière de quelques-uns : et le monde ne durera qu'autant que durera l'empire. Il le dit ailleurs : « Nous savons que la fin des choses créées, avec les calamités qui doivent en être les avant-coureurs, n'est retardée que par le cours de l'empire romain (2). » Ces cris d'une âme « embourgeoisée » étonnent chez Tertullien, mais ils nous apprennent jusqu'à quel point les chrétiens se montraient sensibles au soupçon que nous pouvons appeler, d'après le langage contemporain, de loyalisme. Le détail du mouvement apologiste n'appartient pas à cette recherche. L'empire rêvé par Méliton, avec ses airs d'idylle, est à peu près aussi exécutable que cette Salente, objet d'un autre rêve épiscopal ; mais rien n'est plus périlleux que le jugement trop concis que l'on porte parfois sur ces sortes de conceptions très complexes ; ce qui doit seulement être relevé ici, c'est l'accueil fait à ces avances qu'une extrême charité gardait seule d'une extrême platitude.

Dans l'empire il restait des esprits clairvoyants qui sentaient tout accommodement impossible entre l'empire et l'Église : « Un pouvoir éclairé et plus prévoyant, disait Celse aux chrétiens, vous détruira de fond en comble, plutôt que de périr lui-même par vous (1)». L'apologie de Méliton était adressée à Antonin et à Marc-Aurèle ; la première de Justin également à Marc-Aurèle, celle d'Athénagore au même Marc-Aurèle, et dans tout le manuscrit des carnets, l'empereur n'a pas écrit un seul mot en réponse. Même dans ce mouvement il y eut des sons discordants, ce fut l'apologie de Tatien. Quant aux arguments invoqués, l'obéissance à tout nouveau prince, l'exactitude à payer l'impôt, ils étaient largement balancés par les refus continuels des soldats chrétiens de sacrifier.

Il y a plus. Des livres s'écrivaient, se colportaient parmi les chrétiens, qui renfermaient, sous couleur d'une revanche certaine, des assertions que l'on pouvait prendre pour des attaques contre le pouvoir. Ceux qui savaient lire entre les lignes croyaient pouvoir interpréter dans le sens de l'opinion publique ces paroles de Tertullien : « S'il nous était permis de rendre le mal pour le mal, une seule nuit et quelques flambeaux, c'en serait assez pour notre vengeance (2)». Beaucoup se résignaient avec peine à l'attitude imposée : « J'en sais un grand nombre qui, sous le poids des maux et des violences, aspireraient à se venger sur l'heure. Qu'ils n'en fassent rien, car le Seigneur a dit : « Attendez mon jour ; je rassemblerai les nations et les rois et je les accablerai de ma colère. Ce jour parera comme un gouffre de feu et les méchants seront consumés comme la paille (3) ».



1. TERTULLIEN, Ad Scapulam, 1. Voy. ce que nous avons dit sur l'aeternitas imperii.

2. TERTULL. Apolog. 32. ATRÉNAGORE, Legat. pro Christ. 37 : « Votre bonheur est notre intérêt, car il nous importe de pouvoir mener une vie tranquille en vous rendant de grand coeur l'obéissance qui vous est due. »

1. ORIG. contr. Cels. VIII, 69, 71.

2. TERTULL. Apolog. 37. « Lisez nos livres, disent Tertullien (Apol. 31) et Théophile ad Antolyc. I, 14), ils ne sont cachés à personne. »

3. CYPRIEN, De bono patientiae, 21, 22.



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Message  Monique Jeu 04 Juin 2020, 6:43 am

« Notre patience, écrivaient les Pères, nous vient de la certitude d'être vengés (1); elle amasse des charbons ardents sur la tête de nos ennemis (2). Quel grand jour que celui où le Très-Haut comptera ses fidèles, enverra les coupables aux enfers et jettera nos persécuteurs dans l'abîme des feux éternels (3) ! Quel spectacle grandiose, quelle joie, quelle surprise, quels éclats de rire ! Que je triompherai à contempler, gémissants dans les ténèbres profondes, avec Jupiter et leurs adorateurs, ces princes, si puissants, si nombreux, que l'on disait reçus au ciel après leur mort ! Quel transport de voir les magistrats, persécuteurs du saint nom de Jésus, consumés par des flammes plus dévorantes que celles de bûchers allumés pour les chrétiens (4). » Il faut donc accepter comme une vérité historique que les hommes de ce temps-là ont gardé à l'égard des chrétiens une incurable méfiance. Les dieux du paganisme n'avaient jamais déclaré une préférence pour le régime monarchique, dès lors les avances des chrétiens leur paraissaient n'avoir d'autre fondement que l'intérêt et le profit. On ne concevait pas de degrés de moralité entre deux régimes, et le christianisme lui-même n'en disait rien. Le principe chrétien : « Il faut reconnaître celui qui exerce le pouvoir », était la définition de la politique empirique, elle n'impliquait l'obéissance aux princes que comme un acte de résignation inspiré par l'indifférence plus que par le dévouements.

De là des mesures au sujet desquelles de savants hommes n'ont pu se mettre tout à fait d'accord. A quelque sentiment que l'on s'arrête dans la question des bases juridiques des poursuites dirigées contre les martyrs, il n'importe ici, puisque les textes, indépendamment de leur portée historique, Ont une valeur psychologique capitale au point de vue spécial où nous nous plaçons.

Une remarque à faire, c'est que Ies chrétiens sont tombés sous des accusations de droit commun. « Jamais nos ancêtres, disait un conta, n'ont reconnu les religions étrangères, et voici que des milliers de citoyens s'y sont adonnés. Les femmes sont, parmi eux, en grand nombre, et c'est là l'origine du mal. On tient d'obscènes réunions de nuit où les sexes sont confondus et le péril menace l'Etat lui-même. Que de fois pourtant nos pères, nos aïeux n'ont-ils point chargé les magistrats de poursuivre les superstitions étrangères, de chasser de la ville les prêtres de ces cultes et de brûler leurs livres, de proscrire tout rit, toute cérémonie qui ne serait point de la tradition romaine (1) ! »



1. CYPR. loc. cit., Exhort. mart. 11, 12 ; Ad Demetr. 17, 24.

2. TERTULL. De fuga, 12.

3. CYPRIEN, Epist., LVI, ad Thibarit., § 10.

4. TERTULL. De spectac. § 30 ; CYPRIEN, Ad Demetr. § 24. Ajouter le fait de déchirer un édit. Voy. LE BLANT, Les perséc. et les martyrs, ch. XI.

1. TIT. LIV, liv. XXXIX, c. 15 et 16. J'emprunte ce texte et plusieurs de ceux qui vont suivre aux dissertations de EDM. LE BLANT. On porte toutes les mêmes accusations contre les chrétiens : TERTULL. Apoll. C. I ; TATIAN. Adv. Graec. XXXIII ; MINUT. FELIX, Octav. VIII, IX ; X, 97 ; S. JUSTIN, Apolog. l,11; EUSÈB. H. E. V, 1. Et CICÉRON, De legib. II, 8 : « Que personne n'adore des dieux particuliers ; que les divinités nouvelles ou étrangères ne soient l'objet d'aucun culte privé; si l'Etat ne les a pas reconnus. »


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Message  Monique Ven 05 Juin 2020, 8:31 am

Ces paroles visaient l'existence des Bacchanales ; elles avaient été prononcées deux siècles avant la naissance du Christ, devant le sénat romain. Vers le même temps, le consul Aemilius Paulus brisa de sa propre main les portes du sanctuaire d'Isis et de Sérapis (1). Plus tard, les temples consacrés à ces divinités furent de nouveau détruits, tantôt sur l'ordre du sénat, tantôt sur l'ordre des augures, tantôt sur l'ordre d'Agrippa (2). Bacchus (3), Harpocrate, Alburnus (4), avaient été repoussés du Panthéon romain, le Christ avait été repoussé par le sénat malgré la présentation par Tibère (5).

Cet acte avait une portée religieuse tout à fait nulle, comme les résultats l'ont montré, mais il avait en même temps des conséquences légales très précises et terribles. « Honore partout et toujours les dieux, suivant l'usage de la patrie, et contrains les autres à le faire, disait Mécène à Auguste. Déteste et condamne au supplice les promoteurs des cultes étrangers ; tu ne le dois pas seulement par vénération pour les dieux, parce que l'homme qui les méprise ne respecte personne, mais aussi parce que l'introduction de divinités nouvelles porte la foule à suivre les lois étrangères. De là naissent les conjurations, les associations secrètes, si funestes au gouvernement d'un seul. Ne tolère donc ni ceux qui méprisent les dieux de l'empire, ni ceux qui s'abandonnent à la magie (6). »

Nous retrouvons le double souci et le double crime : la religion et l'État, le sacrilège et la révolte. Les termes qui servent à désigner les malheureux adeptes des cultes nouveaux ne diffèrent pas de ceux qui marquent les hommes accusés de conspiration, de meurtre, de magie ; ceux-ci sont appelés : « ennemi (1) », « ennemi public (2) », « ennemi de la patrie (3) », « ennemi des dieux et des hommes (4) », « ennemi du genre humain (5) » ; on prodigue aux chrétiens les mêmes titres « d'ennemi, ennemi public, ennemi des dieux, des empereurs, des lois, des murs, de toute la nature (6) », ennemi du genre humain (7). Ces imprécations seraient négligeables si elles n'étaient que l'expression des passions du moment ; il en est tout autrement, car elles résument un état. stable et expriment une situation juridique. Ceux qui sont l'objet de ces violentes invectives appartiennent à une nova superstitio, que l'on désigne encore par les termes de barbaron tolmema, de Xene kai kaine Threskeia, barbari peregrinique ritus. Tertullien nous apprend que l'hostis publicus est en quelque manière hors la loi, chacun a le droit de lui courir sus (8), et Marcien rapporte des constitutions qui ordonnent que les sacrilèges soient poursuivis et punis extra ordinem (9). Ceci légitimait en un sens les procédures tumultuaires, comme nous en voyons à Smyrne contre Polycarpe, à Carthage contre les cimetières chrétiens, qui perdaient sans doute aux yeux de la foule leur immunité, puisqu'ils ne recevaient que les corps de ces hommes dont la mémoire sacrilège était condamnée et abolie (10).



1 VAL. MAXIM. I, 3.

2. DION CASSIUS, XL, 47 ; XLII, 26 ; LIV, 6.

3. TIT. -LIV. XXXIX, 1-8; VAL. MAXIM. I, 3.

4. TERT. Apolog. V ; ad Nation. X ; adv. Marcion. I, 18.

5. TERT. Apolog V.

6. DION CASS. LIII, c. 36. Voy. SENEC. Epist. CVIII ;
TACIT. Annal. II, 85; SUÉT. Tibère, XXXVI.


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Message  Monique Sam 06 Juin 2020, 7:16 am

La multitude des témoignages privés démontre un état d'esprit presque identique dans tout l'empire à l'égard des chrétiens ; cependant ils ne contiennent rien d'aussi décisif que les quelques textes juridiques contemporains. Un seul eût suffi à nous instruire, il est du jurisconsulte (?) Tertullien : « Vous nous reprochez, dit-il aux païens, de ne pas adorer les dieux, de ne point sacrifier pour les empereurs. A coup sûr, nous n'offrons de sacrifices pour personne, puisque nous ne le faisons pas pour nous-mêmes, et que, d'ailleurs, nous ne reconnaissons pas vos dieux. Voilà pourquoi nous sommes poursuivis comme coupables de sacrilège et de lèse-majesté. C'est là le point capital de notre cause, ou pour mieux dire, elle est là tout entière » (1). Dans un autre écrit, le même Tertullien dit à Scapula : « Vous nous tenez pour des hommes sacrilèges nous sommes mis au ban à cause de l'accusation de lèse-majesté » (2). Un peu plus tard, Ulpien atteste que le sacrilège et la lèse-majesté se confondent pour ainsi dire en un même crime: Proximum sacrilegio crimen est quod majestatis dicitur (3).

La pénalité appliquée, aux chrétiens et dont les actes des martyrs et les écrits des Pères nous donnent le détail est une dernière indication sur l'opinion publique touchant les chrétiens.

Contre les novateurs en matière religieuse nous avons un texte du jurisconsulte Paul, au troisième siècle: « Ceux qui introduisent des cultes nouveaux et inconnus, c'est-à-dire non reconnus par l'État, à l'aide desquels naissent les séditions, ex quibus animi hominum moveantur, sont punis suivant leur condition : les honesti sont exilés, le petit peuple est condamné à perdre la tête » (4). On voit ici que les novateurs religieux sont tenus pour séditieux, et ce sentiment remonte beaucoup plus haut. Nous connaissons parmi les victimes de la persécution de Domitien un groupe de sénateurs et consulaires coupables de nouveautés : molitores novarum rerum (1). Le texte de Paul ne suffirait pas à expliquer les voies pénales pratiquées à l'égard des chrétiens, mais il est nécessaire de l'entourer des autres textes sous lesquels tombaient les chefs d'accusation : la lèse-majesté et le sacrilège. Il n'y a rien d'arbitraire dans ce rapprochement, car nous savons par Lactance, à qui sa situation chronologique permet de résumer la période entière des persécutions, que le droit contre les chrétiens a été l'objet d'une règlementation officielle.

Ce travail était dû à Domitius Ulpianus, conseiller d'Alexandre Sévère, qui compila et commenta les constitutions édictées par les empereurs (2). Ces constitutions ont été écartées par les compilateurs des Pandectes, au vie siècle. Nous n'avons pour suppléer à cette lacune que des indications fragmentaires très insuffisantes. Néanmoins, telles quelles, ces indications mises en oeuvre nous apprennent divers détails précis dont le groupement a autorisé le mot de variations à propos du système des poursuites dirigées contre les premiers chrétiens (3).



1. TERTULL. Apolog. X.

2. TERTULL., Ad Scapul., II.

3. ULPIEN., Ad Digest., L. I. Ad legem Juliam maiestatis (XLVIII, 4).

4. PAUL. Sentent., V, 21, 2, Cf. Digest., L. 30, De poenis (XLVIII,19).

1. SUÉTONE, Domit., 10 ; DION, LXVII, 13. Ces deux textes prouvent
le christianisme de Acilius Glabrio. Cf. P. ALLARD, Hist. des persécutions,
t. I, p. 109 et suiv.

2. LACTANCE, Divinae institutiones, L. V, c. 11. ULPIEN, De officio
proconsulis, liv. VII. Je répète que je n'ai pas à prendre parti entre
LE BLANT, ROSSI, MOMMSEN et d'autres. J'emploie seulement à un point
de vue psychologique des textes utilisés par eux au point de vue juridique.

3. LE BLANT, Les persécuteurs et les martyrs, ch. XV, p. 165 et suiv.


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Message  Monique Dim 07 Juin 2020, 7:50 am

Le caractère essentiel de la jurisprudence à l'égard des chrétiens pendant les deux premiers siècles est qu'on ne cherche pas à les faire abjurer. Au temps de Néron, les chrétiens étaient recherchés d'office, convaincus, exécutés (1) ; on ne saurait rien dire de la persécution de Domitien, mais sous Trajan, en Bithynie, nous voyons l'application stricte du droit commun : punition des obstinés, envoi des citoyens romains à Rome, torture appliquée aux seuls esclaves afin d'éclairer l'instruction, non pour procurer l'abjuration. Sans doute l'abjuration est reçue, mais la distinction sur ce point n'échappe à personne, et une conjecture magistrale nous a remis en possession du texte légal primitif (2).

Sous Marc-Aurèle tout est changé; on peut en trouver les preuves multipliées dans la lettre des fidèles de l'Église de Lyon (3) ; nous voyons que l'on interrompait par instants la série des tortures pratiquées sur Blandine et son jeune ami Ponticus pour leur dire : « Jurez », et qu'on reprenait, dès qu'ils avaient répondu : « Non ». Cette jurisprudence coïncide assez bien avec une phrase de Tertullien : « Vous violez contre nous toutes les formes de l'instruction criminelle. Vous torturez les autres accusés pour leur arracher un aveu; les chrétiens seuls sont mis à la question pour leur faire nier ce qu'ils confessent à grands cris » (4). A partir des dernières années du second siècle, on peut résumer presque toutes les causes par ce mot adressé à l'évêque Acace : « Je ne suis pas venu pour convaincre, mais pour contraindre » ; et cependant à la même époque les actes de Fructueux à Tarragone et de Cyprien à Carthage se rattachent par la procédure aux premières poursuites. Cette variété d'usages et de procédés est la règle dans l'empire, il ne faut jamais l'oublier.

A partir du procès de Lyon, on ne voit plus reparaître jusqu'à la persécution de Dioclétien l'accusation de moeurs infâmes, on la retrouve alors avec un retour à toutes les abominables rigueurs du passé. Ce dernier effort conduisit aux limites de l'arbitraire, non seulement l'arbitraire de la volonté impériale, mais celle de ses subordonnés. « Les vieilles immunités de caste consacrées pars les lois ne protègent plus les fils de l'Église; c'était miracle, dit un historien, que les personnages de distinction fussent alors exécutés par le glaive. Vierges ou mariées, toutes les chrétiennes sont condamnées à subir d'indignes outrages; la persécution, que d'anciens édits avaient restreinte à certaines classes de fidèles, se fait générale; la délation est encouragée, ordonnée même entre parents; d'infâmes décrets pressent les juges de trouver de nouveaux supplices (1). »

Or, nous savons que la loi de Majesté ignorait toute distinction de caste : Cum de eo quaeritur, dit Paul, nulla dignitas a tormentis excipitur (2). Sous Auguste, le préteur Gallius fut mis à la torture (3), et cette coutume traverse l'époque tout entière des persécutions, puisqu'au IVe siècle Ammien Marcellin écrit que « s'il s'agit de lèse majesté, les lois Cornéliennes n'exemptent aucun ordre de citoyens de souffrir des tortures sanglantes (4) ». Il ne faut donc pas se montrer surpris de voir les chrétiens appartenant aux classes privilégiées de la société soumis à la torture comme des esclaves. Être convaincu de christianisme entraînait la déchéance de toutes les immunités. En 250 , l'empereur décide que les chrétiens ingenui seront soumis au supplice du feu (5).



1. TERTULL. Ad Scapul.

2. BOISSIER, La lettre de Pline au sujet des chrétiens, dans la Revue archéologique, t. XXXI (1876), p. 119, 120. LE BLANT, Les actes des martyrs (1882), p. 41.

3. EUSÈBE, Hist., eccl., V, 1.

4. TERTULL. Apolog., C. II.

5. RUINART, Act. sinc., p. 162.


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Message  Monique Lun 08 Juin 2020, 6:06 am

En 258, les chevaliers romains convaincus de christianisme seront, aux termes du second édit de Valérien, dépouillés de leur dignité (1). Dioclétien et Maximien déclarent infâmes tous les fidèles et passibles de la torture, sans distinction de rang (2). Licinius dépouille de toute dignité ceux qui refit seront de sacrifier aux idoles (3). En pratique, on voit s'exécuter ces diverses constitutions. En Afrique (4), en Asie (5) nous voyons des femmes, des jeunes filles condamnées au déshonneur. L'énumération de ces faits, suivant les diverses époques, dans chaque province, pourrait composer la douloureuse et sainte histoire du, martyre; les proportions d'un travail de cette nature ne permettent autre chose pour le moment que d'en signaler l'intérêt.

On ne saurait donner au texte de Paul un commentaire plus décisif que celui dans lequel nous avons recueilli quelques faits entre un grand nombre d'autres. Il ne reste sur ce point qu'une remarque à faire. La diversité des tortures infligées aux fidèles dépend du bon plaisir du magistrat. Sur ce terrain, Ies sacrilèges ne sont que des oiselets entre les griffes d'un félin qui s'en amuse à son gré. Lors même qu'il ne s'agit plus de chrétiens,le magistrat choisit le supplice qui lui agrée le mieux. Tertullien et Lucien, Paul et Ulpien sont les témoins de ces coutumiers différents suivant les instincts des juges (6).


Il semble qu'une pensée unique a dirigé la répression, mais son application a varié. Tons. les princes, sans excepter les meilleurs, ont proclamé leur droit, quoique plusieurs renonçassent à l'exercer ou modérassent l'application de la loi de Majesté. Pour ce dernier cas on nomme Vespasien (1), Titus (2), Nerva (3), Trajan (4), Pertinax (5), Macrin (6), Alexandre Sévère (7) et Tacite (8). Or, leur règne coïncide avec des périodes d'accalmie dans l'histoire des persécutions. Cependant ils ne paraissent en aucune façon avoir changé quoi que ce soit à la jurisprudence en vigueur, ils se bornaient à ne pas en faire usage. La modération relative de quelques autres empereurs , par exemple : Septime-Sévère, qui ne proscrit que ceux qui se feront chrétiens (9), ou Valérien, qui ne frappe que les dignitaires de l'Église (10), cette modération n'implique en aucune façon un abandon du crime primitif, car ou voit Dioclétien supprimer tontes ces mesures restrictives.



1. CYPRIEN, Epist. LXXXII, Successo fratri.

2. De mort persec., XIII ; EUSÈBE. Hist. eccl., VIII, 2 et 4 ; cf. VII, 15; RUFIN, Hist. eccl., VIII, 2; S. BASILE Hom. in S. Julittam.

3. EUSÈBE. H. e., X, 8 ; Vit. Const., I, 54; de mart. Palaest., proem. et Chronic. ; RUFIN, H. e. X, 10. De mort. pers. X, XIII ; SULP. SEV. Hist. sacr. II, 33.

4. TERTULL.. Apolog. L ; CYPR., De mortalit., XV.

5. ACTA AGAPES, IRENES, ETC. ; PASSIO DIDYMI ET THEODORAE. Cf.

LE BLANT, Les pers. et les mart., ch. XVIII.

6. TERTULL. Ad Scapul. IV ; LUCIEN, De morte. Peregr. XXIV ; Lucius, LIV ; PAUL, Sentent, V, 29, 1; Digest. L. 6.

1. DION CASSIUS, LXVI, 9; EUTROP. VII, 13. Cf. SUIDAS, Ve Bespasianos.

2. DION CASSIUS, LXVI,19.

3. DION CASSIUS, LXVIII, 1 (édit. STURZ, tom. VI, p. 597, notes);

TILLEMONT, Hist. des emp., t. II, p. 137; DE ROSSI, Bull. arch. crist. déc. 1865, p. 94.

4. PLINE, Panégyr. XLII.

5. JULES CAPITOLIN, Pertinax, VI.

6. DION CASSIUS, LXXVIII, 12.

7. Cod. Just. L. I., ad leg. just. majest. (IX-8). Cf. L. 2, de reb.

eredit. (IV, 1).

8. Vopisc., Tacit. IX.

9. SPARTIAN. Sever., c. XVII. TILLEMONT, Hist. eccles., t. III,

p. 121-122.

10. Digeste (XLIX, 1.), L, 16, de appellationibus. ACTA PROCONSUL.

CYPRIANI. CYPRIEN, Epist. LXXXII, Successo fratri ; ACTA MONTANI, XII, XV, XX.


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Monique
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