TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Page 1 sur 5
Page 1 sur 5 • 1, 2, 3, 4, 5
TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
LES SAINTS(es) MARTYRS CHRÉTIENS
TOME II
LE TROISIÈME SIÈCLE
DIOCLÉTIEN
Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis
les origines du christianisme jusqu'au XXe siècle
TRADUITES ET PUBLIÉES Par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Moine bénédictin de Saint-Michel de Farnborough************
PRÉFACE
Notre premier volume était consacré aux martyrs des deux premiers siècles. Dans le second, nous donnons les passions du IIIe siècle et celles de la grande persécution de Dioclétien. Les réflexions et les renseignements, qui servaient d'introduction au précédent volume peuvent s'appliquer aussi bien à celui-ci, car le régime politiques, la procédure, les détails du jugement, de la condamnation et die la mort sont les mêmes. Nous donnerons seulement en plus une étude sur les condamnés ad metalla, qui furent plus nombreux au lue siècle. et surtout durant la persécution de Dioclétien. Pour n'être pas sanglant, le martyre de ces obscurs chrétiens n'en fut que plus long et plus douloureux. Nous ne répéterons pas ce que nous disions dans cette introduction et qui n'a pas été très bien compris par quelques-uns, ou peut-être pas assez clairement expliqué par nous. Afin que l'autorité de cette collection soit plus grande, nous en avons écarté un certain nombre de pièces qui ne nous semblent pas présenter des garanties suffisantes d'authenticité. Libre à d'autres de se montrer moins sévères, c'est affaire d'appréciation.
Pour prévenir tout malentendu, nous répéterons que dire de certains actes qu'ils sont interpolés, ce n'est pas rejeter du même coup l'existence ou le martyre d'un saint. Prenons pour exemple sainte Cécile ; nous ne pensons pas qu'un seul historien admette aujourd'hui l'authenticité de ses actes; on peut s'en rapporter là-dessus à son plus illustre historien, Dom Guéranger. Mais ce n'est pas à dire que l'existence ou le martyre de la sainte patricienne, ni même que certains éléments de son procès ne soient pas authentiques. Ainsi des autres. En les admettant en appendice, nous avons bien pensé laisser entendre qu'à notre avis ils renfermaient' bien des traits véridiques et pouvaient servir à l'édification du lecteur. Il nous semble, du reste, que l'accueil fait à cette collection dans les revues les plus sérieuses comme les Analecta bollandiana (1), la Revue des Questions historiques (2), l'Ami du Clergé (3), la Revue du Clergé français (4), le Canoniste contemporain (5), la Revue historique (6), les Études des Pères Jésuites (7), la Revue de l'Instruction publique en Belgique (8), etc., est une preuve que ces principes de critique n'ont pas été jugés trop rigoureux. On pourra, en outre, constater, quand on le voudra, que l'Église, en ces matières de légendes et d'actes des saints, ouvre elle-même la porte aux corrections et aux amendements. On sait que Sa Sainteté le Pape Léon XIII a fait retoucher et corriger à fond quelques-unes des légendes du bréviaire. Ses prédécesseurs firent de même ; on peut s'en assurer par l'étude de l'histoire du bréviaire. (1) Et la commission historico-liturgique, récemment établie à Rome, a surtout pour but cette révision.
Il nous paraissait donc juste de donner une place à part aux actes qui défient la critique et sont admis même par les plus sévères. Notre but, nous le dirons encore, est de ramener le public, surtout le public catholique, à la lecture et à l'étude des actes des martyrs. Tous y trouveraient, nous en sommes convaincu, de grandes et utiles leçons: Pour les fidèles il est à peine besoin de le dire, l'exemple des martyrs les encouragera à supporter les épreuves de cette vie, et à lutter vaillamment contre leurs adversaires. Que sont leurs combats et leurs difficultés à côté de ceux des grands martyrs du IIIe siècle, un Cyprien, un Pionius, un Vincent, une Agnès? Mais surtout il leur sera une démonstration de l'opération de Dieu dans l'âme de ses fidèles, du secours surnaturel qui vient fortifier leur faiblesse, de la grâce de l'Esprit-Saint qui habite en eux, de la toute-puissance de la prière.
Mais en dehors de ce cercle malheureusement trop restreint, nous voudrions convier à cette lecture mime ceux qui, indifférents ou hostiles, pourraient y trouver, à défaut d'une lumière surnaturelle qu'ils ne cherchent pas, et qui peut-être les cherche, des pages d'une richesse incomparable au point de vue de la psychologie historique, de l'esthétique, de la littérature ou même de l'art chrétien. Le lecteur me permettra de mettre sous ses yeux un récit tout à fait curieux, qui a parfois les allures d'une idylle ancienne, mais qui contient aussi les actes d'un martyr. C'est la légende d'un cabaretier d'Ancyre en Galatie, nommé Théodote, rédigée par un contemporain. Je vais la résumer ici (1).
1. Tome XXI, p. 204, année 1902.
2. 1er avril 1902.
3. 18 sept. 1902.
4. 15 juillet 1902.
5. Avril 1902, p. 253.
6. Tome LXXIX, juillet-août 1902, p. 341-342.
7. 5 mars 1902, p. 627, et 20 sept. 1902, p. 808-814.
8. Tome XLV, 1902, p. 249
1. Cf. en particulier BATIFFOL, Hist. du bréviaire romain, Paris, 1893, surtout le ch. VI,
et Dom SUIBERT BAUMER, Gesch. der romischen Breviers, Fribourg-en-Brisgau;
Dom G. MORIN, Les leçons apocryphes de bréviaire romain, Revue Bénédictine de
Maredsous, juin 1891, p 260-281.
A SUIVRE... LÉGENDE DE THÉODOTE D'ANCYRE.
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Théotecne avait obtenu le gouvernement de Galatie. C'était un débauché, cruel par instinct, méchant par nature ; de plus, il était apostat. Il devait sa place à sa réputation de méchanceté et s'était engagé à procurer l'abjuration de ses anciens coreligionnaires. Avant son arrivée, la terreur de son nom dépeupla les Églises les fugitifs remplirent les solitudes et couvrirent les sommets des montagnes. Ses courriers, qui le précédaient, répandaient des menaces de plus en plus précises jusqu'à ce que l'on connût le texte de la commission qui donnait au gouverneur les plus larges pouvoirs. Les églises seraient démolies, les prêtres et les fidèles mis ne demeure de sacrifier aux idoles. Les obstinés seraient mis en prison ainsi que leurs famille, et leur supplice abandonné à l'arbitraire du président en outre, leurs biens étaient confisqués au profit du trésor. Pendant ce temps la province était livrée à l'abandon. Tandis que les chrétiens les plus en vue étaient arrêtés et mis en prison, des bandes envahissaient les maisons qu'elles pillaient ; toute résistance, une simple plainte contre ces violences, constituaient le crime de rébellion. Les chrétiens se tenaient cachés, les chrétiennes s'attendaient aux pires outrages. Des calomnies et des trahisons achevaient de rendre le séjour des villes insupportable. La fuite présentait d'autres périls ; dans certaines régions les vastes solitudes n'offraient aucune ressource pour vivre, ou bien la grossièreté des aliments qu'elles fournissaient aux fugitifs faisait préférer à ceux-ci les chances du retour dans leurs maisons.
Dans ces circonstances, Théodote s'ingéniait à secourir les fugitifs et les prisonniers ; il ensevelissait les cadavres des frères malgré le péril qu'on encourait pour cette action, enfin son cabaret servait de lieu de réunion à plusieurs. Son zèle ingénieux déguisait, sous prétexte d'affaires, les démarches de sa charité. Théotecne avait ordonné de souiller par des rites idolâtriques tout ce qui peut servir d'aliment, le pain et le vin surtout, afin que les chrétiens ne pussent désormais offrir l'oblation eucharistique. Théodote achetait directement ces denrées à des chrétiens et les leur revendait au fur et à mesure de leurs besoins; ainsi la maison du cabaretier servait tout à la fois de lieu de prière, d'hospice pour les voyageurs et d'église pour l'oblation du sacrifice.
Vers ce temps-là, un ami de Théodote nommé Victor fut accusé par les prêtres païens d'avoir dit qu'Apollon avait violé sa propre soeur, Diane, devant l'autel de Délos ; crime inouï que les hommes, qui n'oseraient cependant le commettre, honoraient dans celui qui s'en était souillé. On s'efforça d'obtenir l'apostasie de Victor, mais Théodote le visitait pendant la nuit et fortifiait son courage. Le martyr se montra d'abord intrépide dans la torture, les fidèles lui appliquaient déjà comme un titre son nom de Victor (vainqueur) lorsque, au dernier moment, on le vit hésiter ; il demanda un délai pour réfléchir. Aussitôt les licteurs cessèrent de le frapper, il fut ramené en prison, où il mourut de ses blessures, laissant une mémoire douteuse.
Théodote fit alors un voyage à Maltes, qui est un bourg situé à quarante milles d'Ancyre. La rivière d'Halys passe en cet endroit, où elle est fort profonde et impétueuse les bourreaux venaient d'y jeter le corps du martyr Valentin; que les gens de Médrion avaient brûlé après lui avoir fait subir de nombreux supplices. Théodote put retirer le corps du saint et alla se cacher dans une grotte ouverte à l'Orient, d'où sortait un des affluents de l'Halys, à deux stades environ de Malos.
A SUIVRE...
Dernière édition par Monique le Jeu 23 Avr 2020, 9:46 am, édité 1 fois
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Dieu permit qu'il rencontrât des frères qui, après l'avoir salué, le comblèrent d'actions de grâces comme le bienfaiteur de tous les affligés. Ils lui rappelaient en détail quelles obligations ils avaient à sa charité ; comment, arrêtés et livrés au préfet par leurs parents pour avoir renversé un autel de Diane, il les avait, avec beaucoup de peines et de dépenses, délivrés de leurs chaînes. Théodote, regardant cette rencontre comme une heureuse occasion de mérite, les pria de partager son repas avant de continuer leur route. On s'assit sur l'herbe ; car il y avait là du gazon et tout alentour des arbres chargés de fruits mêlés aux arbres des forêts. Ajoutez-y le doux parfum de mille fleurs, les joyeux accents du rossignol et de la cigale au lever de l'aurore, et les chants variés des oiseaux. Il semblait que la nature avait réuni dans ce lieu tout ce qu'elle a de splendeurs pour embellir une solitude.
Dès qu'on fut assis, le saint envoya au village voisin quelques-uns de ses compagnons, pour inviter le prêtre à venir manger avec eux et à bénir les voyageurs; quant à lui, il ne prenait jamais son repas sans qu'un prêtre l'eût béni. En entrant dans le village, ceux qu'il avait envoyés rencontrèrent un prêtre qui sortait de l'église, après la prière de l'heure de Sexte. Ce prêtre, les voyant harcelés par des chiens, aida à les écarter, et, saluant les étrangers, les pria, s'ils étaient chrétiens, d'entrer chez lui, afin qu'ils pussent jouir ensemble des douceurs de la charité mutuelle qui les unissait dans le Christ. Ils répondirent : « Nous sommes chrétiens ; et c'est pour nous une joie de rencontrer des frères. » Alors le prêtre murmura en souriant : « O Fronton (c'était son nom), les visions qui s'offrent à toi dans le sommeil ne t'ont jamais trompé ; mais combien celle de cette nuit est surprenante ! J'ai vu deux hommes qui vous ressemblaient et me disaient qu'ils apportaient un trésor à ce pays. Puisque c'est bien vous que j'ai vu en songe, allons, remettez-moi le trésor. »
Ils dirent: « Vrai, nous avions mieux que tous les trésors, un homme d'une vertu singulière, Théodote, que tu verras si tu veux. Mais auparavant, père, montre-nous le prêtre de ce village. » Fronton répondit : « C'est moi. Mieux vaut l'amener dans ma maison ; car il ne convient pas, dans un lieu où il y a des chrétiens, qu'on laisse un homme dans les bois. » Il vint donc trouver le saint, le salua par le saint baiser de tous les frères, et les pria de venir dans sa maison. Théodote s'en excusa, parce qu'il avait hâte de rentrer à Ancyre. « La carrière, disait-il, y est ouverte aux combats des chrétiens pour leur foi je dois être prêt à secourir des frères menacés. » Après le pas, l'athlète du Christ dit au prêtre avec un léger sourire : « Que ce lieu me parait convenable pour y déposer de saintes reliques ! Qui peut t'arrêter ? » Le prêtre répondit : « Charge-toi de me procurer l'objet du travail que tu m'imposes (il parlait des saintes reliques) ; ensuite tu accuseras mes retards car il faut d'abord les avoir, avant de songer à leur élever un temple. » Théodote dit : « Cela c'est mon affaire, ou plutôt celle de Dieu, de te fournir des reliques; mais à toi d'apporter tout ton zèle à la préparation de l'édifice. C'est pourquoi père, ne laisse pas languir ce travail, je t'en conjure, mène-le à sa fin le plus tôt possible ; car les reliques t'arriveront bientôt. » En parlant ainsi, il détacha de son doigt un anneau, le remit au prêtre et lui dit : « Que Dieu nous soit témoin à toi et à moi que bientôt tu recevras des reliques. » Cela fait, il s'éloigna et revint à la ville.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Il y avait à Ancyre sept vierges formées à la vertu dès l'enfance. On leur avait inspiré l'amour de la continence , et la crainte de Dieu. Théotecne les fit arrêter, et ne put jamais par les tortures les faire tomber dans son impiété. Enfin, dans le transport de sa colère, il ordonna qu'on les abandonnât à de jeunes gens, pour outrager leur pudeur, au mépris de la religion. Conduites devant ces bourreaux d'un nouveau genre, elles disaient : « Seigneur Jésus-Christ, tant qu'il a été eu notre pouvoir de garder intacte notre virginité, tu sais avec quel zèle, nous l'avons préservée jusqu'à ce jour ; mais aujourd'hui ces jeunes débauchés ont reçu tout pouvoir sur nos corps. » Pendant qu'elles priaient et pleuraient, celui de la bande qui paraissait le plus impudent prit à part la plus âgée de ces vierges, nommée Técusa. Mais Técusa, lui embrassant les pieds et versant un torrent de larmes : « Mon fils, dit-elle, qu'espères-tu gagner avec moi ? Quelle jouissance te flattes-tu de goûter avec une chair déjà morte, consumée, comme tu vois, par la vieillesse, les jeûnes, les maladies et les tourments? »
Elle avait, en effet, dépassé sa soixante-dixième année, et ses compagnes étaient à peu près du même âge. « Il vous serait honteux, continuait-elle, d'aimer une chair que la mort, pour ainsi dire, a déjà frappée, et que vous verrez bientôt déchirer par les bêtes sauvages et les oiseaux ; car déjà le gouverneur a prononcé que nous ne recevrions pas la sépulture. Que dis-je? à notre place recherchez le Seigneur Jésus-Christ ; il répondra à votre amour par de grandes faveurs. » Ainsi parlait Técusa, en pleurant ; soudain elle déchira son voile, et montrant au jeune homme ses cheveux blancs : « Ah ! du moins, mon fils, s'écria-t-elle, respecte l'ornement de ma vieillesse. Peut-être as-tu une mère dont la tête a blanchi sous le poids des années ; que son souvenir, vivante ou morte, nous défende. Laisse-nous pleurer et garde pour toi l'espérance que notre Sauveur Jésus-Christ te récompensera pansa grâce ; car ce n'est pas vainement qu'on espère en lui. » A ces paroles de Técusa, les jeunes gens, calmés et compatissants, se retirent en pleurant.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Théotecne, ayant appris son échec, renonça à ce moyen ; mais il ordonna qu'on les fit prêtresses de Diane et de Minerve. En cette qualité, elles devaient laver tous les ans les images des déesses dans un étang voisin. On touchait au jour anniversaire de cette purification des dieux. Chaque idole, selon l'usage, devait être portée sur un chariot séparé. Le gouverneur, en tête du cortège, fit conduire à l'étang les sept vierges pour y être lavées de la même manière que les statues. On les avait contraintes à se tenir debout, toutes nues, sur les chariots, afin qu'elles fussent plus exposées à l'insolence de la populace, Derrière elles venaient les idoles. Les habitants de la cité se précipitaient en foule à leur spectacle. Au milieu de cette multitude, on entendait les sons des flûtes et des cymbales; on voyait des troupes de femmes courir les cheveux épars comme des bacchantes. Le bruit confus des pas ébranlait la terre, et se mêlait aux éclats retentissants des instruments de musique. Cependant les idoles s'avançaient, et le peuple accourait en foule pour les voir, quoique le plus grand nombre fussent attirés par le martyre des vierges. Les uns avaient pitié de leur vieillesse; quelques-uns admiraient leur constance, d'autres leur modestie; tous, en les voyant couvertes de blessures, versaient des larmes. Théotecne, fruit impie d'une race de vipères, fermait la marche.
Cependant Théodote, le martyr de Dieu, était agité d'une grande inquiétude au sujet des saintes vierges ; il craignait que quelqu'une d'entre elles, par une faiblesse trop ordinaire à son sexe, ne vînt à défaillir dans le combat. Il demandait donc à Dieu, dans une ardente prière, de vouloir bien les assister à l'heure du danger. A ce dessein, il se tint renfermé dans une petite maison près de la Confession des Patriarches, et appartenant à un pauvre homme nommé Théocharis. Polychronios, neveu de la vierge Técusa, Théodote le jeune, fils d'une de ses parentes, et quelques autres chrétiens s'étaient réunis à lui dans ce réduit. Ils étaient en prière depuis les premières heures du jour, et l'on était déjà à l'heure de sexte, quand la femme de Théocharis vint leur annoncer que les vierges venaient d'être noyées dans l'étang . A cette nouvelle, le saint se releva un peu sur le pavé où il est prosterné ; puis à genoux, les mains au ciel et le visage inondé de larmes, il s'écria : « Je te rends grâces, ô Seigneur, de n'avoir pas voulu que mes larmes fussent inutiles » Il demanda ensuite à cette femme les circonstances du martyre, dans quelle partie de l'étang, si c'était au milieu ou sur le rivage, qu'il avait eu lieu. La femme de Théocharis, qui, elle aussi, était sortie de la ville avec les autres, et s'était trouvée présente au lieu même du supplice, répondit : « Les conseils et les promesses de Théotecne ont été inutiles ; Técusa le repoussait avec mépris.
A leur tour, les prêtresses de Diane et de Minerve, ayant voulu leur offrir la couronne et la robe blanche, supposant que ces vierges allaient participer à leur sacerdoce en l'honneur des démons, furent rejetées de même. Alors le consulaire a commandé qu'on attachât des pierres au cou des sept vierges, et les a fait conduire sur une petite barque jusqu'à l'endroit où les eaux de l'étang sont le plus profondes. C'est à deux cents pas environ du bord ; c'est là qu'elles ont été noyées. » Là-dessus, le saint demeura dans sa retraite jusqu'au soir, délibérant avec Polychronios et Théocharis sur le moyen de retirer de l'étang ces précieuses reliques. A la tombée du jour, un jeune homme vint dire que Théotecne avait placé des soldats près de l'étang pour garder les corps. Le saint en fut très affligé ; car il paraissait évident qu'on ne pourrait les recueillir qu'avec beaucoup de difficulté, soit à cause de ces soldats qui les gardaient ,soit à cause de la grosseur des pierres, telles, assurait-on, que l'attelage d'un char aurait eu peine à remuer chacune d'elles. Quand la nuit fut venue, Théodote, laissant ses compagnons seuls dans leur retraite, se dirigea vers la Confession des Patriarches ; mais les impies en avaient muré la porte, pour empêcher les chrétiens d'y entrer. Il se prosterna donc à rentrée, près de l'abside, et pria quelque temps. De là il se rendit à la Confession des Pères, qu'il trouva également murée, et il pria prosterné. Mais tout à coup il entend derrière lui un grand bruit ; il croit que ce sont des hommes qui en veulent à sa vie, et il revient à la demeure de Théoeharis. Il s'y endormit bientôt ; mais, après quelques instants de sommeil, la bienheureuse Técusa lui apparut et lui dit : « Théodote, mon fils, tu dors, et tu ne sembles pas songer à nous. As-tu donc oublié le soin que j'ai pris de ton enfance et comment, contre l'attente de tes parents, je t'ai formé à la vertu ? Pendant ma vie, tu m'honorais comme ta mère et tu m'entourais d'affection ; mais aujourd'hui que je suis morte, tu as oublié qu'un fils doit servir sa mère jusqu'à la fin. Ne laisse pas nos corps devenir au fond des eaux de l'étang la proie des poissons, d'autant plus que, toi aussi, dans deux jours tu auras un grand combat à soutenir. Lève-toi donc, et va à l'étang ; mais garde-toi du traître.» Et elle disparut.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Théodote se leva, et raconta sa vision aux frères. Tous partagèrent sa douleur, et demandèrent avec larmes à Dieu d'aider le saint à retrouver les corps. A la pointe du jour, ils envoyèrent, pour reconnaître plus exactement les lieux, Théocharis avec le jeune homme qui avait annoncé la présence des soldats sur les bords de l'étang. Ce jeune homme était chrétien; les deux envoyés devaient examiner ce que devenaient les soldats ; car on soupçonnait qu'ils s'étaient retirés à cause de la fête de Diane, que les impies célébraient ce jour-là. Théocharis avec Glycérius (c'était le nom du jeune homme) partirent, et revinrent bientôt annoncer que les soldats étaient demeurés à leur poste. C'est pourquoi les chrétiens passèrent tout le jour dans leur retraite. Le soir seulement ils sortirent ; tous étaient encore à jeun. Ils étaient armés de faux tranchantes, avec lesquelles, s'avançant au milieu de l'eau, ils devaient couper les cordes qu'on avait attachées au cou des vierges pour les noyer. Il faisait nuit noire, sans lune ni étoiles. Cependant ils arrivent au lieu ordinaire d'exécutions, lieu d'horreur par où personne n'osait passer après le coucher du soleil. Il était rempli de têtes coupées et fichées sur des pieux, de restes de cadavres consumés par le feu et qui jonchaient la terre. Les chrétiens furent saisis de frayeur; mais ils entendirent une voix qui disait : « Approche sans crainte, Théodote. » A ces mots, leur frayeur redouble, chacun marque son front du signe de la croix. Tout à coup une croix lumineuse leur apparaît, lançant ses rayons en traits de flammes du côté de l'Orient. A cette vue, la joie mêle à la crainte; ils tombent à genoux et adorent, tournés vers le lieu où leur apparaissait la croix.
La prière achevée, ils reprennent leur route; mais l'obscurité était si grande qu'ils ne se voyaient pas l'un Vautre. C'était pour l'entreprise une grande difficulté, qu'augmentait encore une pluie abondante ; car sur la terre détrempée et gluante ils ne trouvaient partout que des sentiers glissants, où ils avaient peine à se soutenir. Ainsi, au milieu des ténèbres, la fatigue m'était pas moindre que la crainte. Ils s'arrêtèrent une deuxième fois pour prier ; car ils sentaient le besoin d'implorer le secours de Dieu dans un si pressant danger. Bientôt une lumière éclatante parut à leurs regards et leur indiqua le chemin. En même temps deux hommes vêtus de robes éclatantes, beaux vieillards à la baie et aux cheveux blancs, se montrèrent et dirent : « Courage, Théodote. Le Seigneur Jésus a écrit ton nom entre les martyrs ; c'est la récompense de la prière que tu lui as faite avec larmes pour recouvrer les saints corps. Il nous a envoyés pour te recevoir ; c'est nous qu'on appelle du nom de Pères. Va donc à l'étang ; tu y trouveras saint Sosandre, qui par l'éclat de son armure épouvantera les gardes. Mais tu ne doit pas amener avec toi un traître. » Suivant donc la lumière qui les précédait, ils arrivèrent à l'étang. Ce flambeau ne cessa de les guider jusqu'au moment où ils eurent enlevé les saintes reliques. Voici comment le fait arriva.
Les éclairs se multipliaient, le tonnerre grondait, la pluie tombait par torrents, le vent enfin soufflait avec une telle violence, que les soldats préposés à la garde des corps saints prirent la fuite. Il est vrai que la tempête n'était pas la seule cause de leur fuite. Une vision les avait saisis d'effroi. Ils avaient vu un homme d'une taille gigantesque et couvert d'une armure terrible; le bouclier, la cuirasse, le casque et la lance jetaient de tous côtés la flamme. C'était le saint et glorieux martyr Sosandre, qui par son aspect avait épouvanté les gardes, et les avait réduits à chercher un asile sous les cabanes voisines. D'autre part, la violence du vent avait repoussé l'eau de l'étang sur le rivage opposé, en sorte que le bassin était à sec et laissait voir les corps des vierges. Avec leurs serpes ils coupèrent les cordes, tirèrent les corps et les mirent sur des chevaux. Ils les portèrent ainsi jusqu'à l'église des Patriarches, près de laquelle ils les ensevelirent. Les noms de ces sept vierges étaient Técusa, Alexandra et Phaine. Ces trois premières étaient nonnes. Les autres étaient Claudia, Euphrasia, Matrona et Julitta.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Le lendemain, dès la pointe du jour, toute la ville s'occupait de l'enlèvement des vierges car la nouvelle s'en était promptement répandue partout. Aussi dès qu'un chrétien paraissait, on le traînait à la question. Un grand nombre furent ainsi arrêtés pour être déchirés par la dent des bêtes. Théodote en fut à peine instruit, qu'il voulut se livrer lui-même ; les frères l'en empêchèrent. Cependant Polychronios, voulant se renseigner, se déguisa en paysan et vint au Forum. Il fut pris et amené au gouverneur. Battu de verges, menacé de mort, il ne put soutenir la vue du glaive déjà tiré contre lui, et céda à la crainte. Il avoua que les reliques des vierges avaient été retirées de l'étang par Théodote, et indiqua le lieu où il les avait cachées. Les corps saints furent donc retirés de leur sépulcre et brûlés. Ainsi nous sûmes que Polychronios était traître, et que c'était de lui que l'apparition avait dit : « Prends garde au traître. » Quelques-uns des nôtres annoncèrent à Théodote l'action de Polychronios et la destruction des reliques des vierges.
Théodote dit adieu à ses frères, les exhorta à ne point cesser leurs prières, mais à demander pour lui avec instance la couronne des vainqueurs; et il se prépara aux supplices dont il était menacé. Les frères ne le quittèrent plus. Après avoir prié longtemps avec eux, il s'écria tout à coup : « Seigneur Jésus-Christ, espérance de ceux qui n'ont plus d'espoir, accorde-moi d'achever cette carrière de combats, et reçois l'effusion de mon sang comme un sacrifice d'agréable odeur pour le salut de tous ceux qui sont persécutés à cause de ton nom. Allège leur fardeau, apaise la tempête, afin qu'ils jouissent tous du repos et de la paix. » Les larmes se mêlaient à la prière. En l'entendant, les frères pleuraient; ils se jetaient à son cou et lui disaient :
« Adieu, très douce lumière de l'Église ! Théodote, adieu ! Échappé aux douleurs de cette vie, tu vas être reçu au sein de la lumière céleste, dans la gloire des Anges et des Archanges, dans l'immuable clarté de l'Esprit-Saint, et de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est assis à la droite de son Père. Ces biens seront la couronne du glorieux et grand combat que le ciel te prépare. Mais pour nous, condamnés à demeurer au milieu des incertitudes de l'avenir; ton départ de cette vie ne nous laisse que les regrets, les gémissements et les larmes. » Le saint embrassa tous les frères et leur recommanda, lorsque le Père Fronton viendrait de Malos avec l'anneau, de lui donner ses restes, s'ils pouvaient les dérober: A ces mots, il marqua tout son corps du signe de la croix, il se rendit au stade. Il rencontra en route deux citoyens qui le pressèrent de s'enfuir au plus tôt, en lui criant : « Sauve-toi ! » Ils étaient de ses amis et croyaient le servir en multipliant leurs instances. « Les prêtresses de Minerve et de Diane, et le peuple avec elles, lui disaient-ils t'accusent devant le consulaire, parce que tu détournes tous les chrétiens d'adorer des pierres inanimées ; ils te chargent en outre d'autres crimes sans nombre ; Polychronios, en particulier, dit que tu as furtivement dérobé les corps saints. Puisqu'il en est encore temps, sauve-toi, Théodote ; ce serait folié de te livrer de toi-même aux tourments. » Le martyr leur répondit : « Si vous vous croyez de mes amis, et que vous voulez me faire plaisir, ne n'importunez pas par vos prières et n'accusez pas mon zèle. Allez plutôt dire aux magistrats : Voici ce Théodote que les prêtresses et la ville entière accusent ; il est à la porte » En parlant ainsi, il prenait les devants, et bientôt se présentait à ses accusateurs. Il se tint debout sans trembler, et regarda avec un sourire les instruments de torture : un grand feu, des chaudières bouillantes, des roues et plusieurs autres instruments de supplice. Loin d'en être effrayé, le martyr montrait la joie dont il était rempli.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Théotecne lui dit : « Tu échapperas à tous ces tourments, si tu te laisses persuader par mes conseils. Si tu consens à être sage et à sacrifier, tu seras déchargé des griefs dont la ville entière et les prêtresses t'ont accusé devant moi. Tu jouiras de mon amitié plus qu'aucun autre, et tu seras chéri de nos victorieux empereurs ; ils te feront l'honneur de t'écrire et de recevoir tes lettres au besoin. Seulement abjure ce Jésus que Pilate, lorsque ni toi ni moi n'étions encore au monde, a fait crucifier en Judée. N'hésite pas à prendre le conseil que te dicte la sagesse. Tu parais être un homme prudent et expérimenté ; et c'est le propre du sage d'agir avec prévoyance et maturité ; renonce donc à ta folie, et en même temps délivres-en les autres chrétiens.
Ce faisant, tu deviendras un grand personnage; car je te ferai prêtre d'Apollon, le plus grand des dieux, à cause des biens qu'il prodigue aux hommes, soit en leur révélant l'avenir par ses oracles, soit en guérissant leurs infirmités par son habileté dans la médecine. C'est toi qui consacreras les prêtres, toi qui nommeras aux différentes charges et dignités, toi qui porteras aux pieds des magistrats les vœux et les prières de la patrie, toi enfin qui, pour les grands intérêts de la cité, enverras des députations aux empereurs. Avec la puissance en main, tu verras venir à toi et les richesses, et les nobles clientèles, et les grands honneurs, avec les splendeurs de la gloire. Veux-tu des trésors? Je t'en donnerai.» A ces paroles du gouverneur, le peuple acclamait, félicitant Théodote, et le pressant d'accepter ces offres.
Mais le saint répondit à Théotecne : « Avant tout je demande au Seigneur Jésus-Christ, mon maître, que tu viens de traiter avec mépris comme un homme vulgaire, la grâce de réfuter tes erreurs sur les dieux, et ensuite de t'exposer en peu de mots les miracles du Seigneur Jésus-Christ et le mystère de son incarnation ; car il est à propos que je prouve ma foi en présence de nombreux témoins, par mes paroles et par mes œuvres. Et d'abord, pour les actions de vos dieux, il est honteux de les dire ; je les dirai néanmoins à votre confusion. Celui que vous appelez Jupiter, et que vous honorez comme le principal de vos dieux, a poussé son outrage contre les enfants et les femmes à un tel excès de débauche, qu'il mérite à bon droit d'être regardé comme le principe et la fin de tous les maux.
Votre poète Orphée dit, en effet, que Jupiter tua Saturne, son père, épousa Rhéa, sa mère, dont il eut une fille, Proserpine, qui fut elle aussi l'objet de ses infâmes amours. Il épousa encore sa sœur Junon, comme fit Apollon, qui viola sa sœur Diane, à Délos, devant l'autel. Mars s'abandonna aux mêmes fureurs contre Vénus, Vulcain contre Minerve : toujours des sœurs victimes des passions de leurs frères. Vois maintenant l'ignominie des dieux que tu honores. Les lois ne puniraient-elles pas l'homme coupable de ces excès ? Et cependant vous osez vous glorifier des hontes de vos dieux ; vous ne rougissez pas d'adorer des corrupteurs de la jeunesse, des adultères. des empoisonneurs ; et vos poètes nous redisent leur histoire avec orgueil.
« Mais la puissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, les miracles et le mystère de son incarnation, tout cela a aussi été écrit, et longtemps davance, par les prophètes et par des hommes que l'Esprit-Saint éclairait ; mais on n'y trouve rien dont on doive rougir : tout y est chaste. Ces prophètes sont les témoins de ce que nos temps ont vu s'accomplir : un Dieu descendant du ciel pour apparaître au milieu des hommes, et par de merveilleux prodiges, des miracles ineffables, guérissant les malades, rendant les hommes dignes du royaume des cieux. Sa passion, sa mort et sa résurrection ont été pareillement décrites avec la plus grande exactitude par les mêmes prophètes. Les Chaldéens, les Mages. les plus sages de la Perse, en sont les témoins, eux qui, instruits par le mouvement des astres, ont connu sa naissance selon la chair, et qui, les premiers, l'ayant reconnu pour Dieu, lui ont offert leurs présents comme à un Dieu. Il a fait d'ailleurs des miracles sans nombre et des plus grands : il a changé l'eau en vin; avec cinq pains et deux poissons, il a rassasié cinq mille hommes dans le désert ; sa parole guérissait les malades ; il marchait sur les eaux comme il eût fait sur la terre ferme. La nature du feu a reconnu sa puissance; à sa voix, des morts sont ressuscités ; d'une seule parole il a donné la vue à des aveugles de naissance ; il a rendu des boiteux prompts et agiles ; il a rappelé à la vie des morts ensevelis depuis quatre jours. Quelle parole pourrait suffire à raconter tous les prodiges qu'il a faits, et par lesquels il a démontré qu'il était Dieu, et non pas un homme ? »
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Pendant ce discours du martyr, toute la multitude des idolâtres s'agitait furieuse comme une mer démontée. Les prêtres déchiraient leurs vêtements et, les cheveux épars, mettaient en pièce leurs couronnes. Le peuple braillait, accusait le consulaire lui-même d'oublier les droits -de la justice contre un homme qui avait mérité la flagellation et la mort, pour avoir ouvertement blasphémé contre la clémence des dieux, avec l'impudente ostentation d'un rhéteur. On devait sur-le-champ le faire étendre sur le chevalet, et venger par son supplice les dieux outragés. Théotecne, surexcité par ces clameurs, ne se contient plus; il ordonne d'élevés le saint sur le chevalet ; lui-même descend de son tribunal, pour torturer de ses propres mains le martyr. Au milieu de ce tumulte, l'athlète du Christ est seul tranquille. Il attend debout, on dirait que ce n'est point contre lui, mais contre un étranger, que, la tempête est soulevée.
Cependant tous les instruments de torture sont mis en oeuvre ; on n'épargne ni le feu, ni le fer avec ses ongles déchirants. De tous côtés à la fois les bourreaux se sont jetés sur Théodote, l'ont dépouillé de ses vêtements ; puis ils l'ont étendu sur le chevalet ; après quoi, se partageant en deux bandes, ils lui déchirent les flancs ; chacun y met toute sa force, sans craindre la fatigue. Le martyr, d'un visage joyeux et avec un sourire, les regardait faire. La douleur des tourments arrivait à son âme sans y causer le moindre trouble ; ses traits n'en étaient pas altérés, et il ne cherchait pas à se soustraire aux cruautés du tyran ; car il avait pour aide et pour soutien Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cependant les bourreaux s'épuisaient à frapper ; mais quand les uns étaient hors de combat, d'autres les remplaçaient. L'invincible athlète demeurait immobile, l'âme attachée au Dieu de l'univers. Théotecne fit verser sur ses flancs déchirés un vinaigre très violent, puis il y fit appliquer des lampes ardentes. Le saint, dont le vinaigre irritait les plaies, et auquel arrivait d'ailleurs l'odeur de ses chairs que la flamme avait brûlées, laissa voir à ses narines un léger frémissement.
Aussitôt Théotecne, descendant de son tribunal : « Eh ! Théodote, lui dit-il, qu'est donc devenue l'indomptable fierté de tes discours ? je te vois céder aux tourments avant d'avoir été vaincu. Certes, si tu n'avais pas blasphémé les dieux, si tu avais consenti à adorer la toute-puissance de leurs bras, tu n'aurais pas été soumis à tous ces supplices. C'est bien à toi surtout, simple cabaretier, dans une condition vile et méprisable comme est la tienne, que je dois conseiller de ne plus parler contre les empereurs, qui ont droit sur ta vie ! » Le martyr répondit : « Ne te trouble pas d'un frémissement de mes narines ; il est dû uniquement à la fumée de mes chairs que tu brûles. Excite plutôt tes hommes à accomplir tes ordres avec moins de mollesse ; car je m'aperçois qu'ils relâchent. Invente de nouveaux supplices, des machines nouvelles pour la torture, afin d'éprouver ma constance ; ou plutôt reconnais que c'est le Seigneur qui me soutient. Par sa grâce je ne vois en toi qu'un esclave, et je méprise tes sacrilèges empereurs : tant est puissante la force dont le Seigneur le Christ a rempli mon âme ! Si c'était pour mes crimes que tu m'eusses arrêté, j'aurais pu trembler ; la crainte aurait eu ses droits ; mais aujourd'hui, préparé, comme je le suis, à tout souffrir pour la foi du Christ, je ne puis redouter tes menaces. » A ces paroles, Théotecne lui fit broyer les mâchoires avec des pierres, afin de lui casser les dents. Le martyr disait : « Quand tu me ferais couper la langue et tous les organes de la voix, les chrétiens n'ont pas besoin de parler pour que Dieu les exauce. »
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Cependant les licteurs s'étaient épuisés à déchirer son corps; le gouverneur leur commanda de descendre Théodote du chevalet et de l'enfermer dans la prison, où on le réserverait pour une nouvelle torture. Mais comme on lui faisait traverser le Forum, il montrait ses chairs en lambeaux, et donnait ses blessures comme le signe de sa victoire. Il invitait tous ses concitoyens à venir voir ce spectacle pour apprendre dans ses souffrances la puissance du Christ. « Voyez, disait-il, combien est admirable la vertu du Christ ; comment, à ceux qui s'exposent aux tourments pour sa gloire, il sait donner l'impassibilité, rendant même la faiblesse de nos corps inattaquable à la flamme ; il inspire à des hommes de néant le courage de mépriser les menaces des princes et les édits portés par les empereurs contre la piété. Et cette grâce, Dieu, le Seigneur de tous les êtres, la donne sans acception de personnes à tout le monde : aux hommes sans naissance, aux esclaves, aux hommes libres, aux barbares. » En parlant ainsi, il montrait les plaies dont on l'avait couvert, et il ajoutait : «Il est juste que ceux qui croient au Christ lui fassent les sacrifices qu'aujourd'hui j'offre à sa gloire ; car c'est lui qui le premier a souffert pour chacun de nous. »
Cinq jours après, Théotecne fit dresser son tribunal au milieu de la ville, en un lieu exposé aux regards de la foule, et il ordonna qu'on lui amenat le martyr : ce qui fut aussitôt exécuté. En le voyant s'avancer, il lui dit : « Approche-toi plus près de nous, Théodote. Je vois que tu n'as pas été sourd aux leçons qui t'ont été données, que tu es devenu meilleur, et que tu as renoncé à ton premier orgueil. C'est contre toute raison que tu as attiré sur toi de si affreux tourments, quoi que je fisse pour t'y soustraire. Maintenant donc, déposant cette insensibilité d'un coeur opiniâtre, reconnais la souveraine autorité des dieux tout-puissants ; et que je puisse enfin te faire jouir des bienfaits que je t'avais promis tout d'abord: Je suis prêt encore à te les accorder si tu sacrifies. Choisis donc ce qu'il y a pour toi de plus avantageux : tu vois ici d'un côté des flammes déjà allumées, un glaive aiguisé pour toi et les gueules des bêtes qui s'ouvrent pour te dévorer. Crains de t'y exposer ; ton premier supplice n'est que l'ombre de celui qui se prépare. » Le martyr répondit sans trembler : « Eh quoi ! Théotecne, espères-tu inventer contre moi quelque chose d'assez fort pour résister à la puissance de Jésus-Christ mon maître? Quoique mon corps ait déjà, comme tu le vois, été mis en lambeaux par les coups dont tu l'as déchiré, éprouve de nouveau ma constance ; applique ces mêmes membres à de nouveaux supplices, afin de voir jusqu'à quel point, tout brisés qu'ils sont, ils peuvent encore souffrir. »
Alors pour la seconde fois Théotecne fit étendre le saint sur le chevalet ; et des deux côtés les licteurs, comme autant de bêtes sauvages, se mirent à sonder les plaies des anciennes blessures, plongeant plus profondément leurs ongles de fer dans les flancs du martyr. Mais lui, élevant la voix, confessait généreusement sa foi. Le gouverneur, voyant que ses efforts étaient inutiles, que les bourreaux étaient épuisés, le fit descendre du chevalet pour le rouler sur des morceaux de briques rougies au feu. Ces fragments embrasés, pénétrant dans les chairs, causèrent à Théodote une douleur très aiguë. « Seigneur Jésus-Christ, s'écria-t-il, espérance de ceux qui ont perdu tout espoir, exaucez ma prière et adoucissez-moi ce supplice ; car c'est pour votre saint nom que je souffre. »
Théotecne comprit bientôt que l'épreuve des briques embrasées n'aurait pas plus de succès que les précédentes ; il fit suspendre de nouveau le martyr sur le chevalet, et élargir de plus en plus ses plaies. Mais Théodote était devenu comme insensible ; il lui semblait que les bourreaux n'appliquaient plus sérieusement leurs tortures, que ce n'était qu'un jeu. Cependant de tout son corps la langue seule était restée intacte ; les impies la lui avaient laissée, espérant qu'elle serait instrument de son apostasie. Ils ne savaient pas qu'ils lui laissaient bien plutôt le moyen de rendre un hommage plus éclatant à la vérité ; car cette langue louait Dieu sans cesse.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
A la fin, incapable d'inventer de nouveaux supplices, et voyant d'ailleurs ses bourreaux fatigués et impuissants, tandis que la contenance du martyr semblait se fortifier de plus en plus. Théotecne prononça la sentence. Elle était ainsi conçue : « Théodote, le protecteur des Galiléens, l'ennemi des dieux, a refusé d'obéir aux ordres des invincibles empereurs, et a méprisé ma personne. En vertu de mon pouvoir, je veux qu'il soit décapité, et que son corps, séparé de sa tête, soit brûlé, de peur que les chrétiens ne le recueillent et ne lui donnent la sépulture. »
Quand cette sentence eut été prononcée, une foule nombreuse d'hommes et de femmes sortirent de la ville avec le martyr, pour voir la fin de ce drame sanglant. Arrivé au lieu du supplice, le martyr commença une prière; il disait :
« Seigneur Jésus-Christ, Créateur du ciel et de la terre, qui n'abandonnez jamais ceux qui espèrent en vous, je vous rends grâces d'avoir daigné m'appeler à être le citoyen de votre cité céleste et à participer à votre royaume. Je vous rends grâces de m'avoir accordé de vaincre le dragon et d'écraser sa tête. Donnez enfin le repos à vos serviteurs, arrêtez en moi la violence de vos ennemis. Donnez la paix à votre Église, en l'arrachant à la tyrannie du diable. » Il dit Amen, et se retournant, vit les frères qui pleuraient : « Frères, leur dit-il, ne pleurez pas ; glorifiez plutôt Notre-Seigneur ,Jésus-Christ, qui me fait achever heureusement ma course par le triomphe sur l'ennemi. Bientôt au ciel, je prierai Dieu pour vous avec confiance. » Comme il disait ces paroles, sa tête tomba.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Alors on éleva un vaste bûcher, et les bourreaux y jetèrent le corps du martyr, prenant soin d'y réunir de nombreux aliments pour la flamme. Mais, par un effet de cette providence divine qui veille avec amour sur les hommes, on vit tout à coup au-dessus du bûcher une lumière qui l'enveloppait d'un si vif éclat, que ceux qui devaient y mettre le feu n'osaient approcher ; ainsi le corps resta intact au milieu du bûcher. Des soldats prévinrent Théotecne de ce prodige ; il leur ordonna de demeurer au lieu où le corps descendu du bûcher avait été placé, afin de le garder. Ils demeurèrent donc.
Sur ces entrefaites, le prêtre Fronton arriva du bourg de Malos, selon la promesse qu'il en avait faite à Théodote. Il portait avec lui l'anneau que le saint martyr lui avait donné en gage pour obtenir des reliques. Il amenait en même temps avec lui un bidet chargé d'outres de vin vieux : car ce bon homme avait une vigne qu'il cultivait lui-même. Comme il approchait de la ville, à la nuit tombante, le bidet fourbu s'abattit au lieu même où était étendu le corps du saint martyr. Les gardes survinrent et dirent au prêtre : « Où vas-tu si tard ? Il fait nuit. Viens donc et demeure avec nous ; ton âne trouvera ici largement de quoi paître; l'herbe est abondante; même, si tu veux le laisser aller dans les champs cultivés, personne ne t'en empêchera ; reste donc avec nous, tu y seras mieux qu'à l'auberge. »
Cédant à leurs instances, le prêtre détourna son âne de la grande route, et entra sous une hutte que les soldats s'étaient construite le jour précédent avec des branches de saule fixées en terre et rattachées entre elles par des, roseaux. Près de la hutte était le corps du martyr, sur lequel on avait étendu des rameaux et du foin afin de le couvrir. Cependant les chefs des soldats, revenus du bain, se mirent à boire, mollement couchés sur des tapis qu'ils avaient déployés à terre sur un lit de paille. Ils invitèrent le prêtre à boire avec eux.
Mais lui, de son côté, après avoir déchargé son âne, demanda un vase, le remplit de son vin et dit aux soldats : « Goûtez et dites ce que c'est que ce vin ; peut-être ne le trouverez-vous pas mauvais. » Il accompagnait ces paroles d'un léger sourire ; en même temps il leur présentait le vase plein de vin. L'arome, le goût de la liqueur, les transportent, et ils demandent au vieillard combien ce vin; d'années. « Cinq ans », répond le vieillard. Les soldats ajoutent : « Permets-nous d'en boire encore ; nous avons grand soif. » Le vieillard reprit avec gaieté « Allez-y gaiement, buvez autant que vous pourrez. » A ces mots, un des plus jeunes de la troupe, nommé Métrodore, laisse éclater un rire joyeux, et dit: « Des coups pareils ! jamais de ma vie je ne les oublierai, pas même si l'on me faisait boire dans les eaux du Léthé. Les tourments réunis de tous les chrétiens ne sont pas comparables aux coups qu'il m'a fallu endurer l'autre jour, à cause de ces femmes qu'au nous a enlevées de l'étang. Mais toi, généreux étranger, verse largement de cette excellente eau du Maron ; avec elle je boirai l'oubli de mes douleurs. » Fronton dit : « J'ignore quelles sont les femmes dont tu parles ; quant à la fontaine de Maron, je sais qu'elle est là tout près. » « Métrodore, dit un autre soldat nommé Apollonius, prends garde que ces eaux de Maron, comme tu les appelles, ne te causent quelque grand malheur. N'oublie pas que tu dois garder cet homme d'airain qui avait enlevé les femmes de l'étang. »
Le prêtre alors dit : « J'ai eu tort de ne pas amener avec moi un interprète qui m'expliquât votre langage. Je ne comprends rien encore à ce que vous dites. Quelles sont ces femmes arrachées à un étang ? Quel est cet homme d'airain que vous gardez? Avez-vous apporté une statue en ces lieux ? ou vos paroles ne sont-elles que des énigmes par lesquelles vous vous jouez d'un rustique ? » Métrodore voulait répondre ; mais un troisième, nommé Glaucentius, le prévint et dit : « Ne t'étonne pas. »
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
D'airain ou de fer, peu importe, cela veut dire un homme plus dur et plus fort que l'airain, ou le fer, ou toute autre matière. Le fer et l'airain cèdent au feu; le diamant lui-même. Mais nous avons un homme que ni le fer, ni le feu, ni les ongles n'ont pu entamer. Je ne comprends pas encore clairement, répondit le prêtre, ce que tu veux dire : est-ce d'un homme ou de toute autre chose qu'il s'agit ? Je n'en sais rien, dit Glaucentius ; mais si c'est un homme, jamais autre n'a soutenu de pareils combats. Il était notre concitoyen, nous avons ici sa maison, sa famille, son bien ; mais les faits ont montré qu'il n'avait pas la nature humaine. Battu, mis en pièces, brûlé dans tous ses membres, il ne répondait pas une parole à ceux qui le tourmentaient; mais il demeurait ferme dans sa résolution, comme un roc. Cet homme s'appelait Théodote ; il était chrétien, et jamais aucun effort n'a pu l'amener à changer sa religion. Sept vierges avaient été noyées dans les eaux de cet étang, et l'ordre était donné d'y laisser leurs cadavres ; Théodote les enleva secrètement et les ensevelit. Mais quand il sut qu'un grand nombre de chrétiens avaient été arrêtés à cette occasion et livrés au magistrat pour être condamnés, il se livra lui-même et avoua tout ce qu'il avait fait.
Il ne voulait pas que d'autres souffrissent des supplices qui n'étaient que pour lui, en même temps qu'il craignait que la peur ne les fit renoncer à leur religion. En vain le gouverneur lui offrit des richesses, des dignités, des honneurs, au point de lui promettre la souveraine sacrificature, s'il voulait abjurer la foi des chrétiens et sacrifier aux dieux ; Théodote s'est ri des magistrats et de leurs honneurs, il a insulté les dieux, foulé aux pieds les lois des empereurs, et n'a pas daigné répondre une seule parole au gouverneur. On l'a flagellé, torturé ; sous les coups il paraissait insensible, et lui-même nous affirmait qu'il ne sentait aucun mal. Il se moquait de ceux qui le frappaient, leur reprochant leur mollesse ; quant au gouverneur lui-même, il le traitait de vil esclave.
Tandis que les bourreaux s'épuisaient à le tourmenter, lui, comme si les coups lui eussent donné une nouvelle vigueur, chantait des hymnes, jusqu'à ce qu'enfin le gouverneur lui ait fait trancher la tête et ait ordonné de brûler son cadavre. Pour nous, déjà malheureux à son occasion, nous craignons beaucoup qu'il ne nous attire encore quelque mésaventure. Quand le bûcher a été allumé, il s'est tait autour des flammes des signes prodigieux qu'aucune parole ne saurait raconter. Nous avons vu une grande lumière défendre les approches du bûcher, et la flamme n'a pu atteindre le corps de Théodote. Alors on nous a donné l'ordre de le garder, de peur des chrétiens. En achevant ces mots, le jeune soldat montrait au prêtre le lieu où était déposé le cadavre.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Fronton comprit que c'était Théodote même qu'il cherchait ; il rendit grâces à Dieu, et le pria de l'aider à enlever le corps. Radieux, il offrit encore de son vin aux soldats, les invitant à puiser eux-mêmes largement et sans crainte, jusqu'à ce qu'enfin ils roulèrent ivres-morts. Le prêtre se leva alors, prit avec respect le saint corps, le mit sur son âne et dit : « Maintenant, Ô martyr, accomplis les promesses que tu m'as faites » En même temps il lui mit au doigt son anneau ; puis il replaça les branches d'arbre et la paille dans l'état où elles avaient d'abord été mises pour recouvrir le saint, afin que les gardes ne soupçonnassent pas qu'on eût rien déplacé. Au point du jour, le prêtre à peine levé se mit à chercher son bidet. Il faisait un grand bruit ; il disait, en frappant dans ses mains et en pleurant : « J'ai perdu mon bidet ! » Les gardes, qui ne savaient ce qui s'était passé, crurent qu'il parlait sérieusement ; et ils étaient d'ailleurs bien persuadés que le cadavre du saint était encore sous la paille.
Mais pendant ce temps l'ânesse, conduite par un ange, s'en allait au bourg de Malos par des chemins détournés; elle s'abattit sous son précieux fardeau dans le lieu où est maintenant la Confession du saint et illustre martyr Théodote. Cependant des chrétiens venus de Malos au-devant du prêtre lui annoncèrent que son ânesse était arrivée seule apportant de saintes reliques, et ils lui indiquèrent le lieu où elle s'était arrêtée. Alors le prêtre, qui jusque-là avait feint de pleurer la perte de son ânesse, revint lui-même à Malos, tandis que les gardes restaient à leur poste, toujours dans la persuasion que les restes du saint étaient encore sous la paille. Ce fut ainsi que les reliques du glorieux martyr furent transportées à Malos. Dieu, voulant glorifier les combats de son serviteur, avait tout conduit de cette manière merveilleuse.
Tous ces détails, Nil, le dernier de vous tous, les a recueillis avec le plus grand soin pour vous les transmettre, mes bien-aimés frères. J'ai été en prison avec lui, et j'ai connu par moi-même chacune des choses que je vous ai racontées. Avant tout j'ai voulu être vrai, afin que, recevant ce récit avec confiance et pleine certitude, vous méritiez d'avoir part avec le saint et glorieux martyr Théodote, et avec tous les saints qui ont combattu pour la piété en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui gloire et puissance avec le Père et le Saint-Esprit dans tous les siècles ! Amen.
Tel est ce précieux récit, digne d'avoir été raconté dans les foyers chrétiens de Malos, de Cos ou de Samos. Nous sommes déjà loin du temps où les littérateurs faisaient suivre leurs citations de quelques exclamations destinées à en relever le prix. Le récit de Nil se passe sans peine d'un pareil commentaire et nous en apprend plus sur la vie chrétienne de cette époque que bien des livres gros ou petits.
Et c'est dans la plupart des actes que l'on trouverait de ces traits et de ces renseignements de première valeur pour l'historien ou le critique. Mais encore une fois leur lecture a un intérêt plus haut. L'Église, dès les temps les plus reculés, donnait rang dans sa liturgie, parmi les offices sacrés, aux actes des martyrs: c'est assez dire la vertu qu'elle leur attribuait pour l'édification des fidèles.
A SUIVRE...LES CHRÉTIENS CONDAMNÉS AUX MINES
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
LES CHRÉTIENS CONDAMNÉS AUX MINES
1. De la condamnation aux mines.
Un bas-relief grossier fut découvert,il y a quelques années, en Andalousie par un ingénieur de la société minière de Linarès, qui aperçut des lavandières frottant leur linge sur un bloc de grès trouvé la veille à Palazuelos et qu'elles avaient apporté au ruisseau à cause des aspérités, qui les aidaient à savonner. Cette pierre fut enlevée et déposée au bureau de la société des mines. Les aspérités de la pierre étaient précisément le bas-relief représentant des hommes en marche munis des outils de mineurs. Malgré son état déplorable, on distingue encore neuf personnages debout, dont cinq au premier plan marchant de front. L'un d'eux, le premier du rang, est d'une taille disproportionnée à celle de ses compagnons; il porte sur l'épaule gauche une masse et, à bout de bras, dans la main droite, un récipient contenant probablement l'huile destinée à l'éclairage de la mine Le vêtement des mineurs se compose, semble-t-il, d'une blouse courte formant de gros plis à la ceinture. Au-dessus dépasse le tablier,qui fait le tour du corps (1). Ce fragment ne peut être attribué en toute certitude à un artisan chrétien, néanmoins rien ne s'oppose à voir dans les neuf personnages des « frères en Christ » condamnés au travail des mines.
Il faut descendre aux temps du moyen âge pour trouver l'image d'un chrétien détenu dans ces galeries (2) ; néanmoins un monument antique paraît s'y rapporter, au jugement de M. DE ROSSI. C'est un verre gravé, trouvé par Boldetti (3) dans une catacombe de la voie Appienne ou de la voie Ardéatine. Il représente un adolescent,la tête rasée, et le front marqué au fer rouge, mais la marque des condamnés a été changée en une croix équilatérale. L'adolescent porte la corde au cou. Autour du petit sujet cette acclamation triomphale :LIBER NICA
Libre [et] victorieux.
La condamnation aux mines (ad metalla) est une des peines les plus graves appliquées aux chrétiens. Les anciens la tenaient à peine pour moins cruelle que la mort, « proxima morti », dit Callistrate (1),et Ulpien fait observer que les gouverneurs des provinces ont le droit de condamner à mort et aux mines : « Qui universas provincias regunt, jus gladii habent, et in metallun dandi potestas eis permissa est (2)» Les condamnés de droit public et les esclaves eussent dû seuls fournir le personnel employé aux travaux, mais l'arbitraire des empereurs leur adjoignit souvent des personnages illustres (3) et des chrétiens.
1. DAUBRÉE, Bas-relief trouvé à Linarés (Espagne), représentant des mineurs antiques en tenue de travail, dans la Revue archéologique, 1882, t I, p. 193 et fig. E. LE BLANT, Les Persécuteurs et les Martyrs (Paris, 1893, in-8°), p. 284 suiv. et fig. La reproduction de ce petit bas-relief est donnée au frontispice du présent volume.
2. FR. WEY, Rome, descriptions et souvenirs, 3 édit., p. 127.
3. La reproduction de ce fond de coupe sera donnée sur la feuille de titre de l'un des volumes du présent recueil. BOLDETTI, Osservazioni sopra i cimiteri de santi Martiri (Borna, 1720, in-folio), p. 60. DE ROSSI, Bullettino di archeologia cristiana, 1868, p. 25 et fig.
1. L. 28 pr. De poenis (Digest., 1. XLV, tit. XIX).
2. L. 6, § 8, De officio praesidis (Digest., 1. I, tit XVIII).
3. SUÉTONE, Caligula, XXVII; PLINE, Epist., X, 66-68.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Un document ancien, et qui contient quelques traits dignes d'attention, le Martyrium Clementis (4), rapporte que, vers le commencement du second siècle de l'ère chrétienne, l'évêque de Rome, Clément, fut déporté au-delà du Pont-Euxin, dans une ville de la Chersonèse. Il y rencontra deux mille chrétiens condamnés depuis de longues années à l'extraction du marbre. En l'absence de toute indication positive, on ne peut fixer une date à ce fait ; cependant le repos accordé aux chrétiens par Nerva invite à reporter ces condamnations aux années de persécution de Domitien. Il est vrai que l'historien Dion avance que tous les exilés de Domitien furent rapatriés par Nerva, mais il se peut que les forçats aient été exceptés de cette mesure, peut-être parce que leur labeur profitait à l'État (1). Quoi qu'il en soit, la durée de la condamnation aux mines était prévue par la loi : sauf modification apportée par le juge, elle était de dix années (2).
Nous mettons le pied sur un terrain plus solide lorsque nous rencontrons le premier texte authentique ayant rapport à notre sujet. Il s'agit de la lettre dans laquelle l'évêque de Corinthe, Denys, remercie le pape Soter et l'Église romaine des aumônes adressées aux frères condamnés aux mines (3). La libération des forçats chrétiens de Sardaigne sous Commode, rapprochée de ce texte, prouve que la condamnation aux mines fut appliquée aux chrétiens sous le règne de Marc-Aurèle (4). A Rome, cette condamnation était prononcée par le préfet de la ville (5) ; dans les provinces par le proconsul, nous en avons un exemple sous le règne de Valérien. Les condamnations portées alors (257) envoyèrent aux mines d'Afrique plusieurs groupes de chrétiens avec lesquels l'évêque de Carthage, exilé lui-même à Curube, se mit aussitôt en relations épistolaires. Des intermédiaires sûrs portaient aux forçats des lettres et des secours (1). Une de ces lettres porte la suscription suivante : « A Nemesianus, Félix, Lucius, un autre Félix, Litteus, Polianus, Victor, Jader, Datif, mes collègues dans l'épiscopat, et aussi à mes collègues dans la prêtrise, et aux diacres, et à tous les autres fidèles qui, dans les mines, rendent témoignage à Dieu le Père tout-puissant et à Jésus-Christ, Notre-Seigneur, notre Dieu, notre protecteur (2). »
Les lettres écrites par les confesseurs à saint Cyprien nous laissent comprendre qu'ils avaient été séparés les uns des autres et répartis entre plusieurs mines. « La première est de Némésien, Datif, Félix et Victor : ils remercient saint Cyprien des encouragements qu'il leur donne, ils lui accusent réception des secours qu'il leur a envoyés, en son nom et en celui, de Quirinus, par le sous-diacre Hérennien et par les acolytes Lucain, Maxime et Amantius (3) ; ils terminent en lui parlant « au nom de tous ceux qui sont avec eux » (4). La lettre suivante est écrite par Lucius « au nom de tous ses compagnons d'infortune (5) » .
4. F.-X. FUNK, Opera pp. apost. (Tubingae, 1881, in-8°), t. II ,prolog. p. VII. Cf. Les Martyrs, t. I, p. 186 suiv. TILLEMONT, Mém. pour l'Hist. eccl. t. II, p. 564.
1. Voyez plus bas la distinction faite par la liturgie de Milan entre : in metallis et in exiliis constitutis.
2. MODESTIN, ad Digest., XLVIII, XIX, 23.
3. Adelphois uparkhousin en metallois. EUSÈBE, Hist. eccl., IV, 23.
4. DE ROSSI, Bullettino di areli. crust., 1868, p. 18.
5. Digeste, XLVIII, XIX, 8, § 5. Cf. ULPIEN, 1. 6, § 8. De officio praesidis Digest., l. I, tit. XVIII.
1. S. CYPRIEN, Opp. Epist. Lucii, inter Cyprianicas, LXXIX.
2. Ibid. LXXVII.
3. En 258 probablement.
4. S. CYPRIEN, Epist. LXXVIII.
5. Idem, Epist. LXXIX
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Il ne s'y trouve pas un qui indique que saint Cyprien ait déjà pu avoir de leurs nouvelles par Némésien ; bien plus, Lucius accuse aussi réception des lettres qu'il a reçues des mains du sous-diacre Hérennien et des trois acolytes (1), ainsi que les objets qu'ils lui remettaient (2), exactement comme si Némésien n'avait pas accusé réception de ces offrandes. La troisième réponse est de Félix (il y avait aux mines deux évêques de ce nom), Jader, Polien, tant en leur nom qu'au nom des prêtres « et de tous ceux qui sont avec eux dans la mine de Sigus (3) » : comme les précédents, ils accusent réception des lettres et de l'offrande qu'ils ont reçues du sous-diacre Hérennien et de leurs frères Lucain et Maxime (4).
Le troisième acolyte, Amantius, n'est pas nommé; il paraît qu'il n'avait pas suivi ses collègues jusqu'à Sigus. Les trois réponses portent de la manière la plus complète le cachet d'actes émanant d'individus qui agissent isolément, qui sont éloignés les uns des autres, qui ignorent les réponses faites par leurs coreligionnaires : leur analyse prouve donc l'existence d'au moins trois mines (5) dans lesquelles les martyrs étaient distribués. L'absence d'Amantius aux mines de Sigus me fait supposer que ce point avait été le terme de l'itinéraire suivi par les courageux consolateurs des infortunés condamnés. Je suppose qu'ils s'étaient rendus d'abord à des mines à l'est de Bagaï (Bâr'âi), ensuite aux mines de cuivre au pied du Djebel-Sidi-Rgheïs, et, en dernier lieu, aux mines de Rgheïs. Celles-ci sont nommées dans la source où j'ai puisé ces détails, il n'y a donc pas d'incertitude quant à elles.
Quelle était la nature des mines de Sigus ? Le texte ne le dit pas. Quelques auteurs ont cru, pouvoir conclure d'un passage de saint Cyprien ainsi conçu : « Quelle merveille y a-t-il qu'étant, comme vous êtes, des vases « d'or et d'argent, on vous ait envoyés aux mines, c'est-à-dire au lieu qui recèle l'or et l'argent (1) ? » que c'étaient des mines de ces métaux (2) ; mais véritablement ce passage ne saurait être considéré comme la preuve du fait en question, et je pourrais même dire, maintenant qu'il est bien établi que Némésien et ses compagnons travaillaient dans trois mines différentes, qu'évidemment ces paroles ne doivent pas recevoir le sens , qu'on leur a donné. Il n'est pas impossible toutefois, que les Romains aient exploité une mine d'argent à l'est de Bagaï: ; celle du Djebel-Sidi-Rgheïs était certainement une mine de cuivre.
1. S. CYPRIEN, Epist. LXXIX.
2. Idem, Epist. LXXIX.
3. Idem, Epist. LXXX.
4. Ibidem.
5. La réponse de l'évêque Litteus n'est pas connue.
1. S. CYPRIEN, Epist. LXXVII.
2. Vie de S. Cyprien, L. VI, c. VII, p. 505, in-4°, Paris, 1717.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Quant à la mine de Sigus, si, véritablement le nom de 'Aïn-Nh'âs vient, comme le veut la tradition, du voisinage de mines de cuivre, dans cette région, on pourrait en conclure, que le metallum Siguense était une mine de cuivre, et il faudrait en rechercher avec soin les traces entre Gonça (Sigus) et Bir-St'al ou 'Aïn-Nh'âs, intervalle qui n'embrasse pas un espace considérable. Si les grès plongeant au nord entre Constantine et Sigus, en approchant de cette dernière ville, sont réellement les grès qui jouent un rôle important entre Philippeville et Constantine, c'est-à-dire le maçigno ou grès à fucoïdes, il pourrait se faire que les anciennes mines de Sigus se trouvassent dans les couches de cette formation (1) ».
A Chemtou, la carrière était exploitée surtout à ciel ouvert; on y voit cependant la trace de deux grandes galeries, à l'entrée de l'une desquelles se trouve une inscription. On peut encore se rendre compte aujourd'hui de la façon dont cette exploitation était conduite. On commençait par déterminer, à l'aide de sondages, la partie de la carrière qu'on se proposait d'attaquer, puis on commençait le travail; mais il semble qu'on ait procédé autrement qu'on ne le fait actuellement à Chemtou, « au lieu de jeter à terre un bloc de marbre informe et de le tailler ensuite, ce qui a l'avantage d'éviter le travail de l'équarrissage pour les morceaux que l'on reconnaît contenir des défauts, mais l'inconvénient de perdre une certaine quantité de marbre, les Romains taillaient le bloc sur place et ne le détachaient qu'après lui avoir donné la forme à peu près définitive qu'il était destiné à recevoir dans la carrière. Cette méthode était appliquée pour les colonnes mêmes, et l'on en voit encore la trace sur les flancs de la montagne. Il y a là une immense niche mesurant environ 4 mètres de hauteur sur autant de largeur, d'où ont été tirées des colonnes dont on peut aisément se représenter la dimension : la courbe en est encore marquée dans le marbre de la carrière (2). »
Nous possédons donc encore trois des réponses qui furent faites à Cyprien par les chrétiens qui vécurent dans ces mines. Ils lui disent entre autres choses : « Les autres forçats s'unissent à nous pour te remercier devant Dieu, très cher Cyprien, de ce que par tes lettres tu as réconforté les cœurs accablés, guéri les membres déchirés. par les verges, brisé les entraves des pieds, aplani la chevelure des têtes rasées par moitié, éclairé les ténèbres de la prison, nivelé les mines, présenté un parfum de fleurs exquises aux narines (empestées) et fait évaporer l'épaisse fumée (qui emplit les galeries de mine). »
1. H. JOURNEL, Richesse minérale de l'Algérie, in-4°, Paris, 1849, t. I, p. 270-271.
2. R. CAGNAT. Rapport sur une mission en Tunisie, dans Archives des Miss. scientif., 3e série., t. XI, 1885, p. 103 sq.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
» Cyprien leur avait envoyé des secours par l'intermédiaire d'Hérennien, sous-diacre, accompagné de Lucien, Maxime et Amantius, acolytes; un autre évêque, nommé Quirin, avait joint ses bienfaits à ceux que les envoyés de Cyprien de Carthage étaient chargés de répandre sur les forçats. Les lettres écrites par les condamnés sont des pièces remplies de dignité et tout à fait simples et modérées de tons, elles nous les font voir tout remplis des idées de résignation et livrés à la prière.
Sous le règne de Maxence nous rencontrons des chrétiens condamnés aux mines parmi les martyrs dont Eusèbe avait rassemblé les Actes La condamnation aux mines a frappé quelques-uns des fidèles les plus signalés de ce temps. Le pape saint Clément, le pape Pontien, et peut-être le futur pape Calliste, enfin un grand nombre d'évêques. La présence de Pontien dans les mines de Sardaigne paraît attestée par l'épisode célèbre où Marcia, concubine de l'empereur Commode, s'honora en usant de son influence sur l'esprit de son amant pour obtenir la grâce des chrétiens déportés dans les mines de Sardaigne (1).
La persécution de Dioclétien remplit les mines de chrétiens, et la paix de l'Église n'amena pas l'abandon de cette pénalité. Les mines de Phaenos en Palestine revirent des confesseurs pendant la persécution des empereurs ariens Constance et Valens. Vers l'année 356, les ariens s'emparèrent du sous-diacre Eutychios, fidèle à la doctrine de la consubstantialité du Verbe et partisan d'Athanase; après l'avoir battu, ils l'envoyèrent à Phaenos, qu'il ne put atteindre, la mort le prit avant.
Plus tard encore, sous l'épiscopat de saint Pierre d'Alexandrie, successeur d'Athanase (373), plusieurs catholiques furent envoyés aux mines de Palestine, d'autres aux mines de la Proconnèse (îles de Marmara). On envoya aussi à Phaenos un diacre de Rome qui avait apporté à l'évêque Pierre des lettres du pape de Rome (2).
1. Epist. LXXVIII, LXXIX, LXXX.
2. EUSÈBE, De mart. Palaest. VII, 3, 4 ; VIII, 1.
A SUIVRE... II. Du régime des mines et des forçats.
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
II. Du régime des mines et des forçats.
Le droit criminel romain appliquait la condamnation ad metalla à toute espèce de mine, pierre, minerai métallique, soufre, calcaire ; la seule distinction qu'il recala, se trouvait dans le poids des chaînes, qui variait, plus pesant si la condamnation portait : in metallum (1), moins accablant si elle portait in opus metalli. Il est moins certain que l'on ait tenu compte de l'aggravation résultant de la nature du minerai, par exemple : les sulphurarii, les calcarii (2).
La condamnation frappait les femmes comme les hommes, la formule juridique in ministerium metallicorum (3) n'influait , pas sur les conséquences légales de la peine. Celle-ci entraînait la mort civile (4) et, par conséquent, l'esclavage. De là, les sévices extraordinaires et la rasure de la moitié de la tête (5). Quant à la légalité de la mesure à l'égard des chrétiens, elle ne faisait de difficulté pour personne (6).
Un document épigraphique d'une importance capitale, datant du premier siècle de notre ère et découvert en 1876 en Portugal dans le Metallum Vipascense (Aljustrel, province d'Alentejo, district de Beja), nous initie à l'administration des mines. Nous n'entrerons ici dans le détail que de ce qui peut s'appliquer aux condamnés ad metalla (7).
Autour d'un puits de mine en exploitation se formait vite une agglomération plus ou moins considérable. C'était cette population de gagne-petit qui se retrouve partout où un groupe d'hommes est appelé à stationner pour un temps. Sous la république, l'exploitation des mines était entièrement libre, et l'État parait s'être médiocrement préoccupé de leur régime intérieur et des conditions économiques de ceux qui y vivaient et de ceux qui en vivaient. Sous l'empire, tout cela fut changé, un mouvement continu de concentration se produit qui finit par remettre les mines aux mains des empereurs (1). Depuis cette époque le fisc exerce un contrôle rigoureux sur les fermiers.
1. HIPPOLYTE, Philosophumena, IX, 11; DE ROSSI, Bull. di arch. crist., 1866. p. 6, 7 ; 1868, p. 18. Pour les condamnations du règne de Septime Sévère, cf. TERTULLIEN, Apologet.,c. XXXIX, De pudicitia, infime.
2. THÉODORET,Hist. eccl., l. IV, C. XIX. Pour d'autres martyrs, voyez C. ARNOLD, Historia christianorum ad metalla damnatorum, dans C. Thomas, Historia sapientiae et stultitiae, in-12, 1693. p. 173 sq.
1. C'est le cas des chrétiens d'Afrique sous Valérien. Canaux, Epist. LXXVII : « in metallo constitutis ».
2. Voyez cependant E. LE BLANT, Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions, 19 octob. 1894.
3. ULPIEN, ad Digest., XLVIII, XIX, § 8.
4. MARCIEN, ibid., 17.
5. CYPRIEN, loc. supr. cit.
6. E. LE BLANT, Bases juridiques des poursuites dirigées contre les martyrs, dans les Persécuteurs et les Martyrs, p. 5 suiv.
7. La table de bronze d'Aljustrel, rapport adressé à M. le Ministre de l'Intérieur par AUGUSTO SOROMENHO, professeur dhistoire à l'Ecole supérieure des lettres, etc., Lisbonne, 1877, 12 pp. CR. GIRAUD, dans le Journal des savants, cahier d'avril 1877, p. 240 suiv. BRUNS, dans la Zeitschrift fur Bërgrecht, XIX, 1878, p. 217 suiv. J. FLACH, La table de bronze d'Aljustrel, étude sur l'administration des mines au Ier siècle de notre ère, dans la Revue du Droit historique français et étranger, 1878, p. 269 et 645, et tirage à part 1879, 70 pp. G. BLOCH, dans la Revue archéologique, t. XXXVIII, 1879, p. 58 suiv. DARESTE, Séances et travaux de l'Acad. des Sc. mor. et pol., XI, 1879, p. 441 suiv. E. CAILLEMER, dans la Revue critique, 880, p.186 suiv. C. Ré, dans l'Archivio giuridico, t. XXIII, 1879, 827 suiv. EESTACIO DA VEIGAA, A. Tabula de bronze de Aljustrel, lida, deduzida e comentada em 1876. Memoria presentada a Academia Real das Sciencias de Lisboa, Lisbonne, 1880, 71 pp. E. HUMER et MOMMSEN, dans lEphemeris epigraphica, t. III, fasc. 3. J.-J. BINDER; Die Bergwerke im romischen Staatshaushalte, 1880-1881. BUCHELIER, 1877 et 1885. G.-G. DIETERICH, Beiträge zur Kenntniss des römischen Staal pächtersystems, 1877. G. DEMELIUS, Zur Erklärung der lex metalli Vispascensis, dans la Zeitschrift der Savignystiftung, IV, 1883, p. 33 suiv. E. HUBNER, Corp. Inscr. lat., t. II, Suppl.1892, n°5181, p. 788-802. Cf. R. CAGNAT, Sur les mines et carrières de la Tunisie dans, l'antiquité, dans Revue générale des Sciences, 1896, 30 nov., p. 1054-1056. 3. TOUTAIN, Sur la métallurgie et lexploitation des mines au VIe siècle en Italie, dans Bull. de la Soc. des Antiq. de France, 1898, p. 133-145. BOECKH, Uber die Laurischen Silbergwerke in Attika, 1885. J.-J. BINDER, Laurion, die attische Begwerke un Alterthum, Laibach, 1885, in-8°.
1. J. MARQUARDT, Römische Staatsverwaltung, t. II, p. 252. O. HIRSCHFELD , Untersuchungen auf dem Gebiete der Römischen Verwaltungsgeschichte, t. I (1876), p. 73-74. J. FLACH, loc. cit., p. 274 suiv.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
A partir du second siècle, on fait plus encore, on tend à substituer partout l'exploitation directe par l'État à la location. Ceci explique comment et pourquoi on y envoyait des fournées de condamnés politiques. Les mines étaient placées sous la direction d'un procurator Caesaris, secondé par un nombreux personnel : subprocurator, commentariensis (secrétaire), tabularius (comptable), dispensator (intendant), arcarius (caissier) (1). Il faut mentionner, en outre , un « corps d'ingénieurs », comme nous dirions aujourd'hui (2), un tribunus militum ou un centurion qui présidait aux fouilles (3), enfin une garde de soldats, ou, tout au moins, un officier pour maintenir la discipline parmi les condamnés (4), dont le nombre s'élevait parfois à deux mille (5). Le fisc avait adopté le système du fermage en totalité ou en partie pour chaque mine, le contrat était dressé par le procurator metallorum et ratifié par l'empereur (6) ; le fermier ou conductor pouvait être tenu par une clause du bail de prendre toujours l'Etat pour premier acquéreur (1), son rôle se réduisait donc à celui d'un fermier d'impôts qui perçoit les redevances et tient la place d'un publicain : hi qui salinas et cretifodinas et metalta habent publicanorum loco sunt (2). L'État, s'attribuant le monopole de tous les métiers qu'appelle la vie courante d'une agglomération, louait le droit d'exercer les professions de cordonnier, de coiffeur, de foulon à ceux qui voulaient tenir boutique, et en retour il interdisait, sous peine d'amande ou de confiscation, l'installation d'une maison de commerce faisant à l'un de ses adjudicataires une concurrence quelconque.
Outre les professions de cordonnier, de coiffeur, de foulon, le fisc affermait encore celles de commissaire-priseur (auctionnator), de crieur public (praeco), de maître des bains publics (balneator). Ces fermiers étaient obligés de se conformer à un tarif que l'État leur fixait. L'auctionnator et le praeco sont payés proportionnellement à la valeur des objets qu'ils ont vendus, le balneator varie ses prix suivant le sexe de ses clients ; de plus, il ne peut rien réclamer de la part des enfants, des soldats, des employés, etc. Son établissement de bains doit être ouvert à des heures déterminées, soit du jour, soit de la nuit. L'eau froide doit couler à profusion, l'eau chaude doit s'élever jusqu'à un niveau déterminé. Les chaudrons dont il fait usage doivent être lavés, nettoyés et graissés au moins chaque mois.
Le cordonnier aura toujours un assortiment de chaussures et de clous.
Le coiffeur prendra à son service des garçons perruquiers.
Cette situation est tout à fait digne d'attention, car, outre que nous savons que les chrétiens ont vécu sous ce régime, nous y voyons, observe très bien M. Flach, qu'à a sa naissance, le monopole se présenta sous l'aspect le plus séduisant. Il semblait le moyen de tout concilier, ou plutôt de porter à sa plus haute puissance le soin des intérêts du fisc. En écartant la crainte de toute concurrence, il attirait les artisans dont il avait besoin, et, en même temps qu'il constituait pour le fisc une source nouvelle de revenus, il lui permettait, au moyen d'une stricte réglementation, de préserver les habitants (ses contribuables, ne l'oublions pas) des prétentions exagérées que les divers fournisseurs n'auraient pas manqué d'avoir.
« Il semble naturel d'admettre, après les observations que la lecture de l'inscription d'Aljustrel vient de nous suggérer, qu'il devait y avoir autant de fermiers que de professions distinctes soumises au monopole (1). »
1. O. HIRSCRFELD, loc. cit., p. 274 suiv.
2. J. MARQUARDT, loc. cit., p. 256.
3. LETRONNE, Recueil des inscript. grecques et latines d'Egypte, t. I, p. 429-453. BRUZZA, Iscrizioni dei marmi grezzi, dans les Annali dell' Inst., 1870, n° 237-258.
4. DE ROSSI, Dei Cristiani condannati alle cave dei marmi nei secoli della persecuzioni e della cura ch'ebbe di loro la Chiesa romana, dans le Bullettino, 1868, p. 24 suiv.; MAX BUDINGER, Untersuchungen zur römische Kaisergeschichte, t. III (1870), p. 324 suiv.
5. FRANZ, Corp. inscr. graec., t. III, p. 321, col. 1. Cf. EUSÈBE,. Hist. eccl., VIII. PAUL SILENT., Descr. S. Sophiae, vs. 625 sq.
6. L. 1, § 1. De officio procur. Caesar., I, 19.
1. O. HIRSCHFELD, loc. cit., p. 83.
2. GAIUS, I. 13 pr. De publicanis et vectigal., 39, 4. (Cf. l. I, pr. Quod cujuscunque univers., 3, 4.)
1. J. FLACH, loc. cit., p, 270. BURNS, loc. cit., p. 378.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
Un autre paragraphe déclare les maîtres d'école affranchis des charges que le procurator impose aux habitants : Ludi magistros a procuratore metattortim immunes esse.
Les textes en si petit nombre qui nous sont parvenus concernant la présence des chrétiens dans les mines gagnent beaucoup à ces recherches, bien qu'en apparence elles ne s'y rapportent que d'une manière indirecte.
L'accroissement continu du nombre des chrétiens dans l'empire ne permet pas de douter que, outre les condamnés, il se soit trouvé des fidèles parmi les petites colonies qui s'établissaient autour des puits de mine (1). La charité est ingénieuse, et la pensée de procurer quelque soulagement ou d'apercevoir les confesseurs dut, un peu partout, attirer les frères. Nous savons qu'il existait des mines activement exploitées en Chersonèse, en Cilicie, en Palestine, dans la Thébaïde, en Égypte, en Afrique, en Sardaigne, et que des chrétiens y furent amenés et descendus; il est très probable que les mines d'Espagne reçurent leur contingent de « frères ».
C'était tantôt le marbre, comme en Chersonèse, le cuivre à Pheenos, l'or et l'argent à Sigus, le plomb à l'état de galène argentifère à Linarès (2). Les mines de Palestine paraissent avoir été les plus effrayantes de toutes. Dans certains puits, le supplice ne se prolongeait guère, la mort survenait après peu de jours (3).
Le mélange de brigands et de condamnés de droit commun pouvait inspirer des inquiétudes pour le maintien de l'ordre, et afin de prévenir les révoltes, on avait multiplié à l'endroit des prisonniers les précautions et les traitements barbares.
Il est probable qu'à chaque reprise de la persécution, les victimes condamnées aux mines étaient d'abord soumises à d'odieuses vexations, mais avec le temps on finissait par se relâcher un peu de ces sévérités. La correspondance de saint Cyprien nous fait connaître ce qu'était le séjour, dans l'intérieur des galeries. On avait mêlé les sexes, confondu l'âge et le rang, en sorte que les évêques, les vieillards, les prêtres se trouvaient pêle-mêle avec des jeunes filles, des enfants (1), dans une obscurité moite que ne dissipait pas la clarté fumeuse des torches (2). Les confesseurs recevaient une ration de pain insuffisante (3), point de vêtements (4) ; pour la nuit, ils s'allongeaient sur le sol (5) ; jamais de bains (6), et surtout nul moyen de célébrer le saint sacrifice (7).
Avant d'être descendus dans la mine, les condamnés étaient passibles d'autres sévices. En 257, en Afrique, on les battit de verges (8), on les marqua au front (9), on leur riva des entraves aux pieds (10); ce dernier supplice était singulièrement douloureux, si, comme c'est probable et comme cela se pratiquait à l'égard des esclaves dans les chiourmes les plus sévères, une chaîne trop courte, partant du cou ou des reins du condamné et rejoignant les anneaux des pieds, empêchait le forçat de se redresser jamais à sa taille (1).
1. EUSÈBE, De martyrib. Palaest., C. X, XI.
2. Et encore Aïn-Smara en Numidie. Cf. E. La BLANT, dans les C. r. de l'Acad. des Inscr., 19 oct. 1894. On trouvera une statistique des mines de l'empire dans BLAISE GARAFOLO, De antiquis auri, argenti, stanni, aeris, ferri plumbique fodinis Blasii Caryophiti opusculum. 1757, in-4°, XX-152 pp., qu'il faut compléter avec les inscriptions, les monnaies. Cf. G. DAUBRÉE, Aperçu historique sur lexploitation des mines dans la Gaule, 1881; ROBERT MOWAT, Eclaircissements sur les monnaies des mines, dans la Revue de Numismatique, 1894, p. 373-416.
3. S. ATHANASE, Ad solitarios epistola.
1. CYPRIEN, Epist. LXXVII.
2. Ibid., LXXVII.
3. Ibid., LXXVII.
4. Ibid.
5. Ibid.
6. Ibid.
7. Ibid.
8. Ibid.
9. PONTIUS. Vita Cypriani, 7.
10. CYPRIEN, Epist. LXXVII.
1. PLAUTE, Captivi, III, 75-77.
A SUIVRE...
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
En 307, en Palestine, on raffina sur ces mauvais traitements. Silvain, prêtre de Gaza, et ses compagnons ne partirent pour rejoindre la mine qu'après avoir eu les nerfs d'un des jarrets brûlés au fer rouge (2), d'autres eurent à subir une mutilation outrageante (3). L'année suivante, le proconsul Firmilien de Césarée vit arriver un convoi de condamnés, « la catène », envoyé des mines de porphyre de la Thébaïde aux mines de cuivre de la Palestine. A leur passage à Césarée, Firmilien leur fit brûler les jointures du pied gauche, et pour se conformer, disait-il, à un ordre de l'empereur, il fit crever l'oeil droit à tous avec un poignard, puis on cautérisa au fer rouge les orbites vidés. Le convoi reprit sa route. Ils étaient quatre-vingt-dix-sept hommes aveu leurs femmes et leurs enfants (4). Des fidèles de Césarée subirent le même traitement (5). En Égypte, on tortura les chrétiens dans les galeries de mine, ensuite on les remonta au jour et on- les envoya en cet état renforcer les mineurs de Palestine et ceux de Cilicie (6).
On ne saurait omettre à cette place un curieux récit concernant les forçats chrétiens de la mine de cuivre de Phaenos en Palestine. A la fin de l'année 309, on accorda aux détenus quelque adoucissement ; ils purent, en dehors des heures de travail, s'assembler, prier et construire même des oratoires. Ceci n'était pas sans exemple, puisque le martyrium Clementis rapporte que, peu après son arrivée en Chersonèse, le saint homme fit beaucoup de conversions, renversa les temples des dieux, abattit les bois sacrés et bâtit un grand nombre d'églises. Par suite de cette sorte de lassitude qui s'empara des bourreaux pendant les dernières années de la persécution de Dioclétien, on ne peut être surpris de les voir accorder aux forçats chrétiens une mitigation de leur peine en les autorisant à tenir des assemblées.
« Ce devait être un étrange. spectacle que ces églises improvisées, où ne se rencontraient que des borgnes et des boiteux, et où des voix brisées par la fatigue, enrouées par la longue humidité des souterrains, chantaient avec une ferveur surhumaine les louanges de Dieu ! »
Ces pauvres gens avaient alors parmi eux trois évêques, Silvain, jadis prêtre à Gaza, leur compagnon de misère depuis deux ans; avec lui deux Égyptiens, Pelée et Nil, beaucoup de prêtres, des clercs, un, lecteur, Égyptien lui aussi, qui avait nom Jean. C'était un aveugle à qui les bourreaux avaient néanmoins brûlé les yeux éteints, afin qu'aucune souffrance ne lui fût épargnée. On raconte qu'il savait de mémoire les Livres saints. Dans les réunions des forçats, Jean remplissait sa fonction de lecteur et il avait cette coquetterie de prendre l'attitude et le son de voix de celui qui tient un livre ouvert devant lui. Eusèbe le vit ainsi. Un rapport adressé à l'empereur Maximin fut suivi de l'ordre de disperser les pauvres frères ; on les répartit en plusieurs troupes qu'on mit en marche vers Chypre, vers le Liban et vers d'autres mines de Palestine.
Les évêques Nil et Pelée, le prêtre (Helio ?), le laïque Patermuthios,signalés comme turbulents, furent envoyés au général commandant les légions en Palestine : celui-ci les fit brûler vifs . On garda les vieillards, les malingres et tous ceux que leurs mutilations rendaient impropres à un déplacement ; parmi eux se trouvaient Jean le lecteur et l'évêque Silvain, devenu impotent. Ne pouvant rien faire et séparés des travailleurs, ils jeûnaient et priaient ; ils étaient trente-neuf, on coupa la tête à tous le même jour. Parmi ces fidèles de la mine de Phaenos, tous n'appartenaient pas à la même communion ; les uns suivaient Pierre d'Alexandrie, d'autres avaient pris parti pour le schismatique Mélèce de Lycopolis. Il semble résulter des informations transmises par saint Épiphane et par Photius que Patermuthios appartenait à la communion de Pierre, tandis que les évêques Pelée, Nil et le prêtre Elle (Helio ?) étaient du parti de Mélèce (1).
2. EusÈBE, De mart. Palaest., VII. 3.
3. Ibid., VII, 4.
4. EUSÈBE, De mart. Palaest., VIII, 1.
5. Ibid., VIII, 3.
6. Ibid., VIII, 13.
1. S. VAILLÉ , Les martyrs de Phounon, dans les Échos d'Orient,
1898-1899, pp. 66-70. Cf. LAGRANCE, Phounon, dans la Revue biblique 1898, p. 114.
A SUIVRE... III. Du rang hiérarchique des condamnés aux mines.
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
III. Du rang hiérarchique des condamnés aux mines.
L'Église accordait par anticipation le titre de martyr à ceux qui étaient condamnés aux mines, comme pour montrer que la grandeur du supplice équivalait au seul témoignage parfait et définitif, l'oblation de la vie; peut-être voulait-elle faire voir aussi qu'il n'y avait plus rien de terrestre désormais chez ceux qui rendaient une semblable confession. Ce titre de martyr ne s'accordait pas alors à la légère. Les chrétiens de Lyon emprisonnés sous le règne de Marc-Aurèle refusaient énergiquement qu'on leur appliquât ce titre avant que la mort eût scellé leur persévérance dans la foi (1) ; à Rome, la concession du titre de martyr faisait l'objet d'une enquête, premier modèle de nos modernes procès de canonisation (2), et nous voyons cependant, à Carthage, saint Cyprien donner aux condamnés aux mines le titre de martyrs : in metallis constitutis, martiribus Dei patris (3). Sans doute, ils n'avaient pas encore perdu la vie dans la caesura ou le puteus (4); mais la mort en exil, en prison ou par suite des tourments supportés pour la foi fut tenue de très bonne heure dans l'Église pour un titre suffisant à la qualification de martyr (5).
La liturgie de Milan a conservé une prière :pro fratribus in carceribus,
in vinculis,
in metallis,
in exiliis constituais
(6)
Le Missale Gothicum contient une oraison pro exulibus ainsi conçue : Unianimes (sic) et uins corporis in spiritu Dei... depreçemur pro fratribus et sororibus nostris captivitatibus elongatis, carcetribus deentis, METALLIS DEPUTATIS,... etc. (1).
Les anciennes liturgies présentent quelques autres mentions du même genre.
1. EUSÈBE, Hist. eccl., V, 1.
2. DE ROSSI, Roma sotterranea, t. II, p. 59-61.
3. Epist. LXXVII. Il a d'ailleurs une tendance à prodiguer ce titre Voy. Epist. LXVII ; DE ROSSI, Bullettino di arch. crist., 1874, p. 107.
4. Officine, puteus, et dans les carrières de marbre : caesura. Cf. DE ROSSI, Bullett.,1868, p. 23 ; 1879, p. 55-56.
5. TILLEMONT, RAYNAUD, dans ANSALDI, De martyribus sine sanguine adversus Dodwellum in qua et nonnulla Romani martyrologii loca ab cruninationibus Baelii vindicantur, Milan, 1744, p. 44 suiv.
6. Cf. Auctarium Solesmense, Solesmes, 1900, p. 37. MOZZONI, Tavol. di storia eccl., sec. II, nota 53. [/size]
A SUIVRE... IV. De quelques reliques des condamnés aux mines.
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: TOME II - LE TROISIÈME SIÈCLE DIOCLÉTIEN par le R. P. DOM H. LECLERCQ
IV. De quelques reliques des condamnés aux mines.
Il existe encore de nos jours des reliques de ces martyrs ; ce sont d'abord les matériaux extraits par eux des gisements de la Grèce, de la Sardaigne, de l'Afrique et de l'Asie, où ils furent employés, et qu'on expédiait dans les emporia ou docks de Rome et des grandes villes de l'Empire. Des quartiers de marbre bruts ont été retrouvés sur les berges du Tibre à Ostie, d'autres à Porto, d'autres à Rome ; ils portaient encore les chiffres ou les sigles que leurs propriétaires y avaient peints (2).
A Rome, nous savons que des fidèles furent employés à déblayer et à creuser l'emplacement où s'élevèrent les thermes de Dioclétien, à la construction desquels ils furent également employés.
L'Apologie pour Origène fut adressée par Pantphile de Césarée aux fidèles condamnés aux mines (3) ; enfin, on a retrouvé depuis peu d'années dans les mines de Simittu, (4) en Tunisie, une inscription chrétienne ainsi libellée (5) :officina inventa a Diotimo Aug. nostri liberto...
Cette modeste inscription a peut-être réjoui un instant le chrétien inconnu qui l'a tracée, vers le IIIe siècle de notre ère. Cette affirmation de la foi, dans les souterrains où vivaient les chrétiens, a pu donner lieu à des monuments plus importants, mais aucune trace n'en a été relevée jusqu'à ce jour.
1. MURATORI, Liturgia romana vetus, t. II, p. 585.
2. HENZEN, Annali dell' Istituto di correspondenza archeologica, anno 1843, p. 333-338. Cf. DE ROSSI, Bullettino, 1868, p. 22 suiv.
3. DE ROSSI, loc. supr. cit., p. 21.
4. PHOTIUS, Bibliotheca, cod. CXVIII.
5. DELATTRE, Inscriptions de Chemtou (Simittu), Tunisie, dans la Revue archéologique, avril, juill. 1881, mai, octobre 1882, p. 244. DE ROSSI, Bullett., 1879, p. 54 ; 1883, p. 82, et Corp. inscr. lat., t. VIII. Supp. no 14600 (Ephem. epigr. t. V. ne 488) avec de notables variantes. Cf. Jahrbücher d. Vereins von Altesthumsfr. im Rheinland, t. LVIII, p. 87. BRUZZA, dans les Studie e Documenti di Storia e Diritto (1889, 2e fascicule). Dès cette époque la mine de Simittu s'appauvrissait. Saint Cyprien, écrivant à Démétrius, lui dit : « Minus de effossis et fatigatis montibus eruuntur marmorum crustae, » On cherchait des gisements nouveaux, comme le prouve l'Officina inventa a Diotime agente in rebus. J. TOUTAIN, Association franç. pour l'avancement des sciences. Tunis, II, 1896, p. 792, et S. GSELL dans Mélanges d'arch. et d'Hist., 1898, p. 105. Cf. BRUZZA, Iscrizioni dei marmi grezzi, dans Annali de l'Instituto, 1870, p. 149 sq. R. CAGNAT, Archives des missions scientifiques, 1885, p. 112, n° 190. Voyez encore sur les mines : TERRIER, Mémoire sur les mines de Sunium et la côte de l'Attique depuis la baie de Vari jusqu'à la presqu'île de Courouni, dans Archiv. des miss. scientif., 2e série, t. III, 1866, p. 55 suiv. H. SALADIN, Rapport de 1885, dans Nouv. archiv. des miss. scientif., t. II,1892, p. 385 suiv.
A SUIVRE... COMMENT LE CHRISTIANISME FUT ENVISAGÉ DANS L'EMPIRE ROMAIN
Monique- Nombre de messages : 13764
Date d'inscription : 26/01/2009
Page 1 sur 5 • 1, 2, 3, 4, 5
Page 1 sur 5
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum