A propos des chapelets ou rosaires en tant qu'objet..
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A propos des chapelets ou rosaires en tant qu'objet..
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CHAPITRE XXXIV.
Des biens spirituels agréables qui peuvent être l'objet clair et distinct de la volonté. — Combien il y en a de sortes.
Nous pouvons réduire à quatre tous les genres de biens, dont la volonté peut distinctement se réjouir. Les premiers nous portent à la dévotion, les seconds nous y provoquent, les troisièmes nous dirigent vers ce but, enfin les derniers nous y perfectionnent. Nous en traiterons dans l'ordre qui vient d'être énoncé.
Les biens qui produisent la dévotion : sont les images, les portraits des saints, les oratoires et les cérémonies religieuses. Il peut se glisser beaucoup de présomption et de vanité dans les images et les tableaux des saints. Néanmoins ils ont une grande importance relativement au culte divin, et ils sont d'une grande utilité pour exciter la volonté à la ferveur. L'approbation de notre Mère la sainte Église et l'usage qu'elle en fait, en sont une preuve incontestable. Aussi est-il toujours fort à propos de s'en servir pour sortir de notre tiédeur. Mais, hélas ! on ne voit que trop souvent des personnes d'une piété mal entendue, placer leur satisfaction dans la peinture et dans la décoration extérieure, au lieu de s'attacher à l'objet de ces représentations.
La sainte Église se propose une double fin dans le culte des images : d'abord d'honorer par elles les saints, puis d'exciter la volonté et de réveiller la dévotion des fidèles. Quand les images pieuses font atteindre ce but, elles sont d'un grand profit et leur usage est vraiment utile. C'est pourquoi on doit choisir de préférence celles dont la représentation est plus saisissante, et porte la volonté à une dévotion plus ardente. On doit placer ce motif en première ligne, et reléguer au second rang l'habileté du travail et la valeur de l'ornementation ; comme je l'ai dit, plusieurs personnes font le contraire, et considèrent dans l'image plutôt sa valeur et sa beauté artistique, que l'objet invisible quelle représente. Quant à la dévotion intérieure et spirituelle, il n'en est pas question ; ces soi-disant dévots dépensent toute leur affection dans une recherche curieuse où se complaisent les sens. La joie et l'amour de la volonté restent alors absorbés dans ce plaisir, tandis que la véritable vie de l'esprit, qui détruit l'affection aux choses sensibles et distinctes, se perd absolument par cette conduite.
N'y a-t-il pas de quoi gémir, en voyant l'usage étrange, adopté par certaines personnes de notre temps, encore éprises des vanités de ce monde ? Elles ornent les images des saints de vêtements inventés par la mode, et s'en font un passe-temps pour contenter leur légèreté. Elles osent les affubler de parures qui seraient répréhensibles pour elles-mêmes, et contre lesquelles les saints ont toujours protesté. Le démon est d'accord avec ces personnes pour canoniser ainsi leurs vanités, en couvrant de leur luxe les statues des saints ; n'est-ce pas là plutôt leur faire une insolente injure ? C'est ainsi que s'éteint la piété solide et sérieuse, qui tend à rejeter toute vanité et à en éloigner même l'apparence. La dévotion ne consiste plus maintenant qu'en des ornements superflus, et en des soins curieux à l'égard des images et des statues artistement sculptées, dans lesquelles l'âme met la joie de son cœur.
Vous verrez d'autres personnes qui ne se lassent pas d'entasser images sur images ; elles exigent qu'elles soient travaillées de telle manière, placées de telle et telle sorte et non pas autrement ; à tout prix leurs sens doivent être satisfaits, et en résumé la dévotion de leur cœur est presque nulle. Leur attachement à ces objets ressemble à celui de Michas et de Laban pour leurs idoles ; le premier sortit de sa maison en jetant les hauts cris parce qu'on les lui enlevait ; et le second, après avoir parcouru un long chemin, et s'être mis dans une violente colère à leur sujet, bouleversa toute la tente de Jacob pour les retrouver.
Une piété vraie fait de l'invisible l'objet principal de sa dévotion ; elle n'a pas besoin d'un grand nombre d'images, et encore s'en sert-elle fort peu. Dans ce choix, elle donne la préférence à celles qui élèvent la pensée vers les choses futures, au lieu de l'abaisser vers les inanités d'ici-bas. Si elle les pare, c'est avec modestie et cependant selon leur dignité actuelle, gardant pour elle-même une semblable ligne de conduite. Elle évite ainsi, non seulement que ses désirs soient émus par la figure de ce monde, mais encore elle ne veut pas que ces images lui en rappellent même le souvenir, offrant à ses regards des ajustements conformes aux frivolités humaines.
Loin d'attacher son amour aux images dont elle se sert, elle s'afflige fort peu si on les lui enlève, car son unique ambition est de considérer dans le sanctuaire intime de son cœur, l'image vivante qui est le Christ crucifié, et elle se réjouit en lui de se voir privée de tout. Lui soustrait-on les moyens les plus efficaces en apparence pour la porter à Dieu, sa paix n'en est pas troublée. D'ailleurs il y a une plus grande perfection à conserver une joyeuse tranquillité dans la privation de ces secours, qu'à s'y attacher passionnément. Je ne nie pas qu'il ne soit bon d'avoir recours aux images, pour favoriser la ferveur, au contraire, j'engage à choisir toujours celles qui nous y portent davantage ; mais c'est une imperfection d'y être attaché avec esprit de propriété, au point de s'attrister si on nous les retire.
Plus le cœur tient à une image ou à un secours sensible, moins il peut s'élever vers Dieu dans l'oraison. Parmi les images, celles qui représentent leur sujet avec plus de fidélité, provoquent sans doute davantage la dévotion ; il convient donc de préférer les unes aux autres, uniquement en vue de ce motif. Mais il faut toujours éviter l'esprit de propriété, afin que l'âme traverse ces intermédiaires sans s'y arrêter, et monte vers Dieu, libre de tout obstacle. Cette manière d'agir retire aux sens les secours sensibles, dans la jouissance desquels ils s'absorbent. Tous ces moyens sont des degrés, qui nous sont donnés pour gravir la montagne de la perfection ; malheureusement, ils deviennent par notre faiblesse un obstacle non moins considérable, peut-être, que l'attache à tout autre objet.
Quelque difficile qu'il puisse être de comprendre cette doctrine du dénûment et de la pauvreté d'esprit indispensable à la perfection, en ce qui concerne le culte des images, au moins sera-t-on forcé de reconnaître l'imperfection très commune qui se glisse dans le choix des rosaires ou des chapelets. Il est fort rare de trouver une personne qui n'ait à déplorer quelque faiblesse à ce sujet. On désire les avoir de telle forme et non de telle autre d'une certaine couleur, d'un métal de préférence à un autre, avec tel ou tel ornement, etc. Cependant Dieu n'écoute pas plus favorablement les prières faites avec celui-ci qu'avec celui-là ; la matière de l'objet n'est donc d'aucune importance. Les seules prières assez puissantes pour pénétrer les cieux, sont celles d'une âme simple et droite, dont l'unique prétention est le bon plaisir divin, et qui n'estime un chapelet qu'en raison des indulgences dont il est enrichi. Telle est la nature de notre vaine cupidité, qu'elle est ingénieuse à se forger des chaînes de tout. Aussi pouvons-nous la comparer au ver rongeur qui attaque les parties saines, et n'épargne dans son travail destructeur ni le bon ni le mauvais.
Que signifie votre prédilection pour ce chapelet artistement travaillé, et pourquoi voulez-vous qu'il soit de cette matière et non pas d'une autre, si ce n'est pas pour chercher à satisfaire ainsi votre goût ? Pourquoi choisissez-vous cette image de préférence à celle-là, par le motif futile de son prix et de sa beauté, sans songer si elle allumera en vous le feu de l'amour divin ? Certes, si vous employiez toute l'énergie de votre joie à plaire uniquement au Seigneur, ces accessoires vous seraient tout à fait indifférents. Qu'il est douloureux de voir des personnes spirituelles attachées au détail de ces moyens, à la forme et au travail de ces objets, ne se préoccuper que de satisfaire leur curiosité et leur vaine frivolité ! Jamais vous ne les verrez contentes ; elles laissent les uns pour prendre les autres, c'est un échange continuel où l'esprit de dévotion se perd. Croyez-le, l'attache de la propriété ne change pas de caractère pour changer d'objet ; elle est toujours mauvaise, soit qu'elle se porte sur ces biens spirituels ou sur les biens temporels. Dieu seul connaît la grandeur des dommages que les âmes en éprouvent !
Vie et oeuvres spirituelles de Saint Jean de la Croix - tome III, p. 179 :
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Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
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