LIVRE DE LA VIE DE SAINT MALACHIE († 2 novembre 1148), PAR SAINT BERNARD.
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LIVRE DE LA VIE DE SAINT MALACHIE († 2 novembre 1148),
PAR SAINT BERNARD, ABBÉ DE CLAIRVAUX.
Par Saint Bernard.
CHAPITRE XXXI. Malachie revient à Clairvaux pour
y mourir le jour et à l'endroit qu'il avait désiré.
70. Quand il est arrivé chez nous du fond de l'Occident, nous l'avons reçu comme le vrai Soleil levant, venu du haut du ciel pour nous visiter. De quels flots de lumière ce radieux soleil n'a-t-il pas inondé notre cher Clairvaux ! Quel jour de fête pour nous que celui de son arrivée parmi nous ! Ce fut un jour de bonheur que le Seigneur fit luire pour nous, aussi fut-il rempli de joie et d'allégresse. Tout faible et tout chancelant que j'étais, comme je me suis précipité avec ardeur et transport au devant de lui! Comme je me suis jeté avec bonheur dans ses bras ! Et comme j'étais heureux d'étreindre dans les miens cet homme que le ciel m'envoyait comme une grâce. Comme j'avais le visage et le cœur gai, ô mon Père, quand je vous fis entrer dans la demeure de ma mère et dans la chambre de celle qui m'a donné le jour !
Quelles bonnes heures j'ai passées avec vous, mais qu'elles se sont vite écoulées ! Mais lui, quel était-il en arrivant à nous ? Notre saint voyageur montrait à chacun un visage gai et affable, il était pour tous d'une amabilité incroyable. Quel hôte bon et aimable c'était pour nous qu'il venait visiter du bout du monde, non point pour voir chez nous, mais pour nous montrer en lui un autre Salomon ! Enfin, nous avons entendu ses sages paroles, nous avons joui de sa présence et nous l'avons gardé au milieu de nous.
Quatre ou cinq jours à peine s'étaient écoulé depuis le commencement de notre bonheur, que, le jour de la fête de saint Luc, évangéliste, après avoir célébré la messe avec sa piété et sa sainteté habituelles, il fut pris de la fièvre et se mit au lit. Nous étions tous aussi malades que lui. A notre bonheur succédait l'inquiétude; pourtant nos craintes n'étaient point encore extrêmes, parce que de temps en temps la fièvre semblait baisser. Il fallait voir l'empressement de tous mes frères, soit à donner soit à recevoir. C'était pour eux un bonheur de le voir, mais c'en était un bien plus grand encore de lui rendre quelques services; l'un et l'autre étaient doux et salutaires.
C'étaient pour chacun de nous un acte d'humanité et en même temps un véritable profit, à cause de la grâce que tous nous recevions en échange. Tout le monde était empressé à le servir, plein d'ardeur à préparer ce qui était nécessaire, à aller chercher les médicaments, à tenir prêtes les potions calmantes et à le presser de les prendre. Mais lui disait: "Tout ce que vous faites-là est inutile, néanmoins pour vous être agréable je veux bien me prêter à faire tout ce que vous exigez de moi." Il savait bien que sa fin approchait.
SERMONS DU TEMPS, DE SAINT BERNARD, ABBÉ DE CLAIRVAUX. Tome III TRADUCTION NOUVELLE
PAR M. L'ABBÉ CHARPENTIER, PARIS, LIBRAIRIE LOUIS DE VIVÈS, ÉDITEUR, 9, Rue Delambre, 9, 1866.
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PAR SAINT BERNARD, ABBÉ DE CLAIRVAUX.
Par Saint Bernard.
CHAPITRE XXXI. Malachie revient à Clairvaux pour
y mourir le jour et à l'endroit qu'il avait désiré.
71. Comme les religieux qui étaient auprès de lui, le pressaient de prendre ce qu'ils lui offraient, et disaient avec un peu plus d'espoir dans l'âme, qu'il ne fallait point désespérer de la vie et que rien en lui n'annonçait une mort prochaine, il leur répondit: "Il faut que Malachie quitte ce corps cette année même, et, continua-t-il, le jour que j'ai toujours désiré, comme vous le savez, être celui de ma mort, approche. Je sais bien en qui j'ai placé mes espérances et je suis sûr de ne point être frustré dans mon attente, puisque déjà la moitié de mes vœux est accomplie. Celui qui m'a fait la grâce de m'amener ici comme je le désirais, ne peut me refuser de m'y faire trouver la fin que j'ai toujours souhaitée. Pour ce qui est de ce misérable corps, c'est ici qu'il doit reposer; quant à mon âme, Dieu, qui sauve ceux qui mettent leur espérance en lui, saura pourvoir à son sort. J'espère beaucoup dans le jour où on fait tant de prières pour les morts."
Or, le jour dont il parlait n'était plus éloigné. Cependant il demande qu'on lui fasse les onctions saintes. Tout le couvent allait se mettre en marche pour lui porter l'Extrême-Onction avec solennité, mais lui ne voulut pas permettre qu'on montât jusqu'à sa cellule, (il habitait sur la terrasse qui règne au haut de la maison,) et il descendit à la communauté. Il reçut l'onction sainte et le Viatique au milieu des religieux qui priaient pour lui et après les avoir tous recommandés à Dieu, il regagna sa chambre. Il en était descendu sans être porté, il y remonta de même, tout en disant que la mort était à sa porte. Qui aurait jamais pu croire que cet homme allait mourir ? Dieu et lui seul le savaient. Il n'était point plus pâle qu'à l'ordinaire, et ne semblait pas plus affaibli. Son front n'était point ridé ni ses yeux creusés, ni ses narines contractées, ni ses lèvres serrées, ni ses dents arides, ni son cou amaigri et tiré, ni ses épaules courbées, ni sa chair mourante dans aucun de ses membres. Son corps même avait cette grâce, et son visage cette fraîcheur, que la mort même a respectées. Tel il fut durant sa vie, tel il paraissait après; on l'aurait cru plutôt vivant que mort.
SERMONS DU TEMPS, DE SAINT BERNARD, ABBÉ DE CLAIRVAUX. Tome III TRADUCTION NOUVELLE
PAR M. L'ABBÉ CHARPENTIER, PARIS, LIBRAIRIE LOUIS DE VIVÈS, ÉDITEUR, 9, Rue Delambre, 9, 1866.
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CHAPITRE XXXI. Malachie revient à Clairvaux pour
y mourir le jour et à l'endroit qu'il avait désiré.
72. Jusqu'à ce moment, nous n'avons eu qu'à laisser courir notre plume; mais arrivé là, elle s'arrête parce que Malachie a terminé sa course. Il est là inanimé et nous le sommes avec lui. D'ailleurs qui est-ce qui court volontiers au-devant de la mort ? Mais surtout quel homme est digne de raconter la tienne ô mon Père ? Qui est-ce qui voudrait en annoncer la nouvelle ? Mais comme nous l'avons aimé dans la vie, nous ne nous séparerons point de lui à la mort. Non, mes Frères, ne laissons pas seul à sa mort celui que nous avons suivi pas à pas dans la vie. Il est venu du fond de l'Écosse jusqu'ici au-devant de la mort, allons nous aussi et mourons avec lui.
Il faut raconter et dépeindre ici le spectacle que nous avons été obligés de voir de nos yeux. La grande tête de tous les saints était arrivée; mais, comme dit un vieux proverbe : " Un discours à contre temps est comme de la musique dans un deuil (Ecclésiastique XXII, 6)." Nous allons donc au chœur, nous chantons malgré nous, nous mêlons nos larmes à nos chants et nos chants à nos larmes; Malachie ne chantait pas, mais du moins il ne pleurait pas non plus. Pourquoi aurait-il versé des larmes puisqu'il s'approchait de la joie éternelle ? C'est à nous qui restons, que reste le deuil; Malachie seul était dans un jour de fête.
Car ce qu'il ne pouvait faire de corps il le faisait en esprit, selon ce qui est écrit: "C'est la pensée de l'homme qui sera tout occupée à confesser votre gloire, et le souvenir seul de cette pensée sera même pour lui comme un jour de fête (Psaume LXXV, 10)." L'instrument de son corps se brisait, l'organe de la voix faisait silence en lui, et refusait son service, il ne lui restait donc plus que sa pensée pour célébrer la solennité présente. Et pourquoi ce saint homme qui se trouvait sur le chemin de la grande fête des saints, ne l'aurait-il pas célébrée avec joie ? Il leur paie un tribut qui lui sera bientôt payé à lui-même: car un peu de temps encore à attendre et il sera un des leurs.
SERMONS DU TEMPS, DE SAINT BERNARD, ABBÉ DE CLAIRVAUX. Tome III TRADUCTION NOUVELLE
PAR M. L'ABBÉ CHARPENTIER, PARIS, LIBRAIRIE LOUIS DE VIVÈS, ÉDITEUR, 9, Rue Delambre, 9, 1866.
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CHAPITRE XXXI. Malachie revient à Clairvaux pour
y mourir le jour et à l'endroit qu'il avait désiré.
73. Vers le crépuscule du soir, quand déjà toute la solennité du jour était finie pour nous, Malachie s'approchait non pas du crépuscule, mais de l'aurore de la vie. Ne doit-on pas, en effet, appeler aurore le jour qui va poindre et succéder à la nuit ? La fièvre augmentait, une sueur abondante se répandit sur tous ses membres, afin qu'il eût comme passé à travers l'eau et le feu, quand il entrerait dans le lieu du rafraîchissement. Dès lors on commence à désespérer de le sauver; chacun reconnaît qu'il avait mal jugé de l'état du malade et ne doute plus que Malachie n'ait dit vrai au sujet de sa mort. On nous appelle, nous accourons en toute hâte, et lui, levant les yeux sur les assistants, s'exprime en ces termes: "J'ai vivement désiré manger cette pâque avec vous: grâce à la bonté de Dieu, je ne serai point trompé dans mes désirs." Voyez-vous cet homme plein de sécurité au sein même de la mort et déjà sûr de la vie éternelle avant même d'avoir quitté celle-ci ?
Mais il ne faut pas s'étonner qu'il en soit ainsi. En voyant venir la nuit qu'il avait appelée de tous ses vœux, et, derrière ses ombres, déjà le jour poindre à ses yeux, il semble triompher d'elle, insulter à ses ténèbres et s'écrier en quelque sorte: "Je ne dirai plus maintenant: Peut-être les ténèbres de la nuit vont-elles triompher de moi, car cette nuit est pleine de délicieuses clartés pour moi." Puis, nous consolant avec bonté, il nous dit: "Ayez soin de moi et moi, si Dieu m'en fait la grâce, je me souviendrai de vous: Or il me la fera certainement, car j'ai toujours eu foi en Lui et tout est possible à celui qui a la foi. J'ai aimé Dieu et je vous ai aimés or la charité ne peut périr." Puis levant les yeux au ciel, il continue: "Seigneur Dieu, conservez-les, en votre nom, non seulement eux, mais encore tous qui se sont à ma voix et par mon ministère consacrés à votre service." Alors imposant les mains sur chacun de nous, il nous bénit tous et nous ordonne d'aller prendre quelque repos, parce que son heure à lui n'était pas encore venue.
SERMONS DU TEMPS, DE SAINT BERNARD, ABBÉ DE CLAIRVAUX. Tome III TRADUCTION NOUVELLE
PAR M. L'ABBÉ CHARPENTIER, PARIS, LIBRAIRIE LOUIS DE VIVÈS, ÉDITEUR, 9, Rue Delambre, 9, 1866.
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CHAPITRE XXXI. Malachie revient à Clairvaux pour y mourir le jour et à l'endroit qu'il avait désiré.
74. Nous y allons en effet, et nous revenons auprès de lui vers le milieu de la nuit; car c'est l'heure où on nous a dit que la lumière a lui au milieu des ténèbres. La chambre était remplie de monde; toute la communauté était présente, sans compter beaucoup d'abbés qui étaient venus se joindre à nous. Pendant qu'il retournait dans la patrie, nous lui faisions cortège en chantant des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels.
Malachie évêque et légat du saint Siège, était dans sa cinquante-quatrième année quand il nous fut enlevé par les anges au jour et à l'endroit qu'il avait choisis et prédits, et s'endormit dans le Seigneur. On peut bien dire en effet qu'il s'endormit, car le calme et la paix que respirait son visage, étaient la preuve du calme et de la paix de sa mort. Tout le monde avait les yeux fixés sur lui, et nul ne put remarquer à quel moment il rendit le dernier soupir. Il était déjà mort qu'on le croyait encore en vie, et il respirait encore que déjà on croyait qu'il n'était plus, tant le passage de l'un à l'autre état fut insensible. C'était toujours la même vie dans la physionomie et la même sérénité sur le visage que s'il eût été endormi; on aurait dit que la mort, au lieu d'y porter atteinte, les avait plutôt augmentées.
Mais s'il n'était pas changé, nous l'étions nous, car en un instant, comme par une sorte d'enchantement, les larmes et les gémissements cessèrent parmi nous, la douleur fit place à la joie et les chants d'allégresse aux lamentations. Cependant on l'enlève de sa couche, pendant que nos voix montent au ciel; des abbés le chargent sur leurs épaules et le portent à la chapelle, La foi et l'amour éclatent en cette circonstance et les choses prennent naturellement le tour qu'elles devaient avoir; tout se passe selon l'ordre et la raison.
SERMONS DU TEMPS, DE SAINT BERNARD, ABBÉ DE CLAIRVAUX. Tome III TRADUCTION NOUVELLE
PAR M. L'ABBÉ CHARPENTIER, PARIS, LIBRAIRIE LOUIS DE VIVÈS, ÉDITEUR, 9, Rue Delambre, 9, 1866.
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y mourir le jour et à l'endroit qu'il avait désiré.
75. En effet, quelle raison pouvait-on avoir de pleurer plus longtemps Malachie, comme si sa mort n'avait point été une mort précieuse, et plutôt un sommeil qu'une mort, le port même de la mort et la porte de la vie ? Malachie, notre ami, dort seulement et moi je verserais des larmes ? Elles ne se justifieraient que par l'usage, non point par la raison. Si Dieu a donné à son serviteur bien-aimé un sommeil, mais un sommeil pendant lequel il se verra naître des enfants qui seront l'héritage du Seigneur et trouvera sa récompense dans le fruit de ses entrailles (Psaume CXXVII, 6), qu'y a-t-il là qui sollicite nos pleurs. Pourquoi pleurerai-je sur celui qui est enfin sorti de la vallée de larmes ? Il est au comble du bonheur, il triomphe, il entre dans la joie de son Seigneur, et moi je verserais sur lui des larmes ? J'envie son bonheur, mais je ne le lui envie pas.
Cependant on prépare les funérailles; on offre le saint sacrifice pour lui; enfin on accomplit tout ce qu'on a la coutume de pratiquer en pareil cas, avec la plus grande dévotion. A l'écart se tenait un enfant ayant un bras paralysé, qui lui nuisait beaucoup plus qu'il ne lui était utile. Quand je m'en aperçus, je lui fis signe de s'approcher, et lui prenant sa main paralysée, je la plaçai sur celle du saint évêque qui lui rendit la vie. Ainsi le don des miracles survivait dans ce mort, et la main d'un mort fut pour cette main morte elle-même, ce que les ossements d'Élisée avaient été pour le corps d'un mort (IV Rois XIII, 12). Cet enfant était venu de bien loin avec sa main morte et pendante, mais il la remporta saine et guérie quand il retourna dans son pays.
Lorsque toutes les cérémonies d'usage furent terminées, on confia à la terre le corps de Malachie dans la chapelle même de Marie la sainte mère de Dieu, où il aimait à venir prier, l'an de l'incarnation de Notre Seigneur onze cent quarante-huit, le troisième jour de novembre. Mais ce dépôt que vous nous avez confié, ô bon Jésus, vous appartient, ce trésor enfoui chez nous est bien votre trésor. Nous le conservons pour vous le rendre le jour où vous le réclamerez, je vous demande seulement qu'il ne quitte jamais ses hôtes et que nous ne cessions point d'avoir pour chef celui que nous avons eu pour commensal, en attendant que nous régnions tous ensemble lui et nous, avec vous dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.FIN
SERMONS DU TEMPS, DE SAINT BERNARD, ABBÉ DE CLAIRVAUX. Tome III TRADUCTION NOUVELLE
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