EXTRAITS DU TRAITÉ DE LA CHARITÉ PAR SAINT THOMAS D’AQUIN.

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EXTRAITS DU TRAITÉ DE LA CHARITÉ PAR SAINT THOMAS D’AQUIN. - Page 2 Empty Re: EXTRAITS DU TRAITÉ DE LA CHARITÉ PAR SAINT THOMAS D’AQUIN.

Message  ROBERT. Mer 08 Fév 2012, 4:49 pm

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LA CHARITÉ

QUESTION 23.


LA CHARITÉ CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME.

ARTICLE 5. La charité est-elle une vertu unique ? (suite)



SOLUTIONS : 1. La raison mise en avant dans la première difficulté vaudrait si Dieu et le prochain étaient "ex æquo" les objets de la charité. Mais il n'en est rien: Dieu est le principal objet de la charité; quant au prochain, il est aimé, en charité, à cause de Dieu [23].

2. Par la charité, Dieu est aimé pour lui-même; et c'est principalement cette seule et unique raison qui tient en haleine la charité, savoir: la divine bonté, qui est la réalité substantielle de Dieu, suivant le Psalmiste: "Louez le Seigneur, car il est bon". Quant aux autres motifs qui nous inclinent à l'aimer ou qui nous font un devoir de l'aimer, ils viennent en second et dérivent du premier [24].

3. Les amitiés humaines, dont parle le Philosophe, ont des finalités différentes et représentent des commerces amicaux qui sont bien distincts. Ce qui n'a pas lieu dans la charité. La comparaison n'a donc pas de raison d'être.






notes explicatives:





[23] Qu. 23, art. 5, sol. 1. — L'objection la plus sérieuse que l'on puisse faire à cette unité de la vertu de charité est prise de la charité surnaturelle pour le prochain. S'il y a deux objets, Dieu et le prochain, qui doivent être aimés de charité, n'est-ce donc pas qu'il y a deux espèces de charité, l'une visant Dieu et l'autre le prochain?

— Il n'en est rien. C'est par la même charité, par le même don "infus", que nous sommes rendus capables d'aimer Dieu et aussi le prochain, non pas ex-æquo, mais en subordination, en prolongement: aimant Dieu pour lui-même et principalement, nous aimons notre prochain pour Dieu, puisque Dieu l'aime et qu'épousant tous les amours de Dieu, nous devons logiquement aimer ses amis à cause de lui. Au surplus, par Sa charité, selon la forte et concise formule de saint Thomas, ce que nous aimons, dans notre prochain, c'est "Dieu lui-même", ou encore "pour que Dieu soit en lui" (proximus caritate diligitur, quia in eo est Deus, vel ut in eo sit Deus).



[24] Qu. 23, art. 5, sol. 2. — Tout ce qui est bonté déclenche l'amour. Mais, la qualité de l'amour se prend de la manière dont on envisage et apprécie cette bonté. C'est la bonté divine elle-même, telle qu'elle est en Dieu, possédée par lui et ne faisant qu'un avec son être, qui devient l'objet formel de l'amitié de la charité. Dieu est aimé à cause de sa bonté à lui et non à cause des bienfaits dont elle est la source et dont nous bénéficions. Ces bienfaits et la béatitude céleste escomptée peuvent tout d'abord nous rendre attentifs à Dieu; mais, à ce stade, notre attachement n'est encore motivé que par notre bien propre. Ces vues intéressées s'épurent avec la charité, quand nous en recevons le don: alors, nous en venons à la vénération du véritable amour: Dieu est aimé pour sa bonté souveraine. Cette fois, il nous est loisible, et en toute légitimité de charité, d'aimer les bienfaits qui nous viennent de Dieu, de nous réjouir d'avance de la félicité que nous goûterons avec lui: ces dons de l'amitié ne nous révèlent-ils pas l'infini de l'amabilité divine que notre charité aime pour elle-même ? — Voir, plus haut, ce qui a déjà été dit à ce propos, (note [3]).


"IIa-IIæ, qu.23, par H.D. Noble, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1936, et notes explicatives"
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Message  ROBERT. Jeu 09 Fév 2012, 3:33 pm

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LA CHARITÉ

QUESTION 23.


LA CHARITÉ CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME.



ARTICLE 6.

La charité est-elle la plus excellente des vertus ?

DIFFICULTÉS : 1. La vertu qui se trouve dans une puissance supérieure sera elle-même supérieure, de même que l'opération de cette puissance. Mais, l'intelligence est supérieure à la volonté, puisqu'elle la dirige. Donc, la foi, qui est dans l'intelligence, est supérieure à la charité qui est dans la volonté.


2. Ce par quoi un autre agit semble bien être inférieur à cet autre: le serviteur que le maître emploie à ses travaux est inférieur à celui-ci. Or, saint Paul dit que "la foi agit par l'amour". La foi est donc plus excellente que la charité.


3. Ce qui existe par quelque chose qui s'ajoute à une autre chose est plus parfait que cette dernière chose. Mais, l'espérance existe par quelque chose qui s'ajoute à la charité; car l'objet de la charité, c'est le bien, et l'objet de l'espérance c'est le bien difficile [à conquérir]. L'espérance est donc plus excellente que la charité.


CEPENDANT, saint Paul, après avoir énuméré la foi, l'espérance et la charité, dit: "De ces trois, la plus grande est la charité".




"IIa-IIæ, qu.23, par H.D. Noble, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1936, et notes explicatives"
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Message  ROBERT. Ven 10 Fév 2012, 9:36 am

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LA CHARITÉ

QUESTION 23.


LA CHARITÉ CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME.



ARTICLE 6.

La charité est-elle la plus excellente des vertus ? (suite)


CONCLUSION : Puisque les actes humains sont bons pour autant qu'ils sont conformes à la règle qui leur convient, il est nécessaire que la vertu humaine, principe des actes bons, consiste à atteindre la règle des actes humains. Or, il y a deux règles des actes humains : la raison humaine et Dieu. Mais, Dieu est la règle première, sur laquelle la raison humaine doit elle-même être réglée; c'est pourquoi les vertus théologales, qui consistent à atteindre la règle première, puisque leur objet, c'est Dieu, sont plus excellentes que les vertus morales et intellectuelles qui consistent à atteindre la raison humaine. C'est pourquoi, parmi les vertus théologales, celle-là sera plus excellente qui atteindra Dieu davantage. Or, toujours, ce qui est par soi, est plus grand que ce qui est par un autre. La foi et l'espérance atteignent Dieu sans doute, mais pour autant que, par lui, nous arrivent la connaissance de la vérité et la possession du bien, tandis que la charité atteint Dieu lui-même et pour rester en lui, et non pas pour que, de lui, quelque chose nous provienne [25]. Et c'est pourquoi la charité est plus excellente que la foi et l'espérance, et, par conséquent plus excellente que toutes les autres vertus morales qui atteignent la raison en tant que celle-ci établit le juste milieu dans les opérations ou les passions humaines [26].





notes explicatives:

[25] Qu. 23, art. 6, concl. — Jusqu'ici, nous avons vu que la charité est une vertu, une vertu distincte des autres vertus, enfin une vertu unique en son genre. Saint Thomas va montrer, dans cet article, que la charité est la plus excellente des vertus. Les deux derniers articles suivants (7 et 8) établiront son influence sur les autres vertus.


La charité, en tant que vertu théologale, excelle sur n'importe laquelle des vertus morales. Les vertus théologales nous mettent en règle avec Dieu; les vertus morales nous mettent en règle avec la raison. Or, Dieu est la règle première par laquelle la raison humaine doit être réglée: la raison de l'homme est une étincelle, un reflet de l'intelligence de Dieu; les normes morales vertueuses sont l'expression, en notre conscience, de la loi éternelle. Par les vertus théologales, nous atteignons Dieu; par les vertus morales nous nous élevons au plan raisonnable de la vie et de la conduite: voilà pourquoi les vertus théologales ont plus d'excellence que les vertus morales. Sans doute, les vertus morales "infuses" porteront nos actes au delà du plan raisonnable et leur feront rejoindre Dieu, comme nous le verrons plus loin (art. 8); mais, cette jonction sera établie par la charité: aimant Dieu dans l'union intime de la charité, le mobile raisonnable de toutes nos actions se transposera en celui même de la charité; tout ce que nous ferons deviendra offrande d'amour et preuve de fidélité.


— Saint Thomas note, en passant, que les vertus théologales l'emportent aussi sur les vertus intellectuelles. Il s'agit ici particulièrement de la foi qui, par la révélation, nous fait connaître, sur Dieu et sur la destinée de l'homme et du monde, des vérités qui dépassent la capacité de l'intelligence naturelle. Au surplus, la foi, dans l'ordre de la moralité surnaturelle, joue le rôle de syndérèse: non seulement elle précise les préceptes de la loi morale naturelle, mais elle y ajoute des préceptes nouveaux en rapport avec notre destinée éternelle. Au point de vue des directives de moralité, la vertu théologale de foi dépasse donc "l'habitus" naturel des premiers principes moraux.


— Parmi les vertus théologales, la charité est première, non pas dans l'ordre de genèse, mais dans l'ordre d'excellence. Dans l'ordre de genèse, la foi est la première vertu qui nous tourne vers Dieu. Elle est l'assentiment donné par notre esprit aux vérités révélées. Nous tenons comme certain, puisque la Vérité souveraine nous le garantit, tout ce qui nous est dit de Dieu, de son infinie perfection, de la béatitude surnaturelle à laquelle il nous prédestine, des moyens de rédemption et de grâce qu'il nous offre pour nous mener au salut, de la loi morale enfin qui est le programme même de sa volonté sur nous. La foi mettant, dans notre esprit, de telles certitudes, il faut bien que notre volonté, par la vertu théologale d'espérance, escompte la béatitude promise en même temps que le secours divin nécessaire pour y parvenir. La vertu théologale de charité nous fait aimer ce Dieu dont la foi nous révèle la bonté et dont notre espérance attend la possession. Nous l'aimons en lui-même et pour lui-même: une amitié de totale bienveillance s'empare de notre cœur; nous voulons le bonheur de Dieu; nous acclamons en lui tout le bien et la perfection qui lui reviennent.


— Au point de vue de la progression psychologique voici donc l'ordre des vertus théologales entre elles: foi, espérance, charité. Mais, la charité dépasse la foi et l'espérance, au point de vue de rapprochement de Dieu et de l'union réalisée avec lui. La foi nous donne de connaître quelque chose de Dieu et n'engage vis-à-vis de lui que notre intelligence; l'espérance nous fait envisager le bénéfice d'être heureux par lui et n'engage que notre désir de béatitude. Cette connaissance et cet espoir peuvent très bien laisser notre cœur libre à l'endroit de Dieu et pris à d'autres attraits. Celui qui a perdu la charité, par le péché mortel, conserve la foi et l'espérance; il n'a point péché mortellement contre ces deux dernières vertus. C'est donc que la foi et l'espérance sont loin de nous rapprocher de Dieu autant que la charité; car la charité nous établit en appartenance de Dieu, puisque notre amour s'absorbe et tient en lui toute notre vie. Par la seule foi et la seule espérance, nous demeurons encore distants de Dieu; nous ne nous intéressons que partiellement à lui et pour autant qu'il est source de profit pour nous : il nous révèle des vérités, il nous promet du bonheur, et nous n'avons en vue, à son propos, que cet enrichissement. Par la charité, nous nous attachons à Dieu pour lui-même, pour l'absolu de son amabilité infinie; nous sommes livrés à lui dans l'abandon et l'extase du cœur, dans la compénétration de notre vouloir dans tous ses vouloirs. C'est donc bien parce qu'elle est réalisatrice de l'union à Dieu que la charité l'emporte sur la foi et sur l'espérance. Ce n'est point en raison d'une différence d'objet; car, c'est le même Dieu qui est aimé par la charité, connu par la foi et attendu par l'espérance. La foi l'entrevoit mystérieusement, l'espérance ne fait que le désirer avec risque de le manquer; mais, la charité possède Dieu, puisque l'amour est captif de ce qu'il aime, identifié à lui dans les mêmes raisons de vouloir et de vivre.



[26] Qu. 23, art. 6, concl. — Saint Thomas peut donc conclure d'une façon générale: la charité est la plus excellente des vertus, car elle nous fait atteindre Dieu lui-même en nous unissant à lui, tandis que la foi et l'espérance nous font seulement recevoir de lui quelque chose: la connaissance de certaines vérités, l'espérance d'une béatitude promise. Il en est de même, ajoute-t-il, de la vertu de prudence qui impose la règle raisonnable aux actes de toutes les vertus morales: elle est plus parfaite que ces vertus elles-mêmes, qui ne font que participer à son discernement. La prudence dicte le moral, le raisonnable, en tout acte de sensibilité, en tout acte relatif à autrui. C'est pourquoi, toutes les vertus morales sont connexes dans la prudence: elles sont du moral prudentiel, c'est-à-dire du raisonnable appliqué. Les vertus morales "infuses" sont connexes dans la charité, parce que la prudence surnaturelle rectifie son discernement sur l'amour de Dieu. De la sorte et par l'entremise de la prudence, la justice, la force et la tempérance surnaturelles sont "informées" par la charité; elles produisent des actes qui participent de celle-ci, des actes expressifs de raisonnable sans doute, mais, au surplus, de ce raisonnable surajouté, l'accomplissement, à travers eux, de la volonté de Dieu très aimé.



"IIa-IIæ, qu.23, par H.D. Noble, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1936, et notes explicatives"

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Message  ROBERT. Ven 10 Fév 2012, 4:40 pm

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LA CHARITÉ

QUESTION 23.


LA CHARITÉ CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME.



ARTICLE 6.

La charité est-elle la plus excellente des vertus ? (suite)


SOLUTIONS : 1. L'opération intellectuelle s'accomplit en tant que ce qui est connu est dans l'intelligence; et c'est pourquoi la noblesse de l'opération intellectuelle se prend à la mesure [de la capacité] de l'intelligence. L'opération volontaire et l'opération de toute puissance affective s'accomplit en tant que celui qui veut ou désire tend à la réalisation comme au terme de son vouloir ou de son désir; c'est pourquoi la dignité de l'opération affective se mesure à la réalité qui en est l'objet. Les réalités inférieures à l'âme sont donc dans l'âme [qui les connaît] dans un mode d'être plus noble qu'elles ne le sont en elles-mêmes; car tout ce qui vient dans un autre participe à son mode. Au contraire, les réalités supérieures à l'âme sont dans un mode d'être supérieur à celui qu'elles ont dans l'âme [qui en prend connaissance]. Et c'est pourquoi, connaître les réalités inférieures à nous est plus noble que de les aimer; aussi le Philosophe a-t-il fait passer les vertus intellectuelles avant les vertus morales. Mais, l'amour des réalités qui nous sont supérieures et de Dieu principalement, est préférable à la connaissance que nous en avons. Aussi, la charité excelle-t-elle sur la foi [27].


2. La foi n'opère point par la charité, par manière d'instrument, comme le maître opère par son serviteur; la foi opère par la charité, comme par une forme qui lui est devenue propre. Par conséquent, la charité n'est pas, pour autant, inférieure à la foi [28].


3. Sans doute, le même bien est objet de la charité et de l'espérance; mais la charité réalise l'union à ce bien, tandis que l'espérance implique qu'on en reste à distance. Il suit qu'à la différence de l'espérance, la charité ne considère pas ce bien comme difficile à conquérir: ce qui nous est uni n'est plus difficile à atteindre. Il ressort de tout ceci que la charité est plus parfaite que l'espérance.[29]






notes explicatives:




[27] Qu. 23, art. 6, sol. 1. — Voici une sérieuse difficulté à reconnaître la prééminence de la charité sur la foi, s'il est vrai que l'intelligence est supérieure à la volonté et par conséquent les vertus de l'intelligence à celles de la volonté. C'est la foi, semble-t-il, qui règle la charité: on n'aime Dieu que dans la mesure où on le connaît. Or, ce qui règle et mesure n'est-il pas supérieur à ce qui est réglé et mesuré ?



Quand on parle, pour les comparer, de l'intelligence et de la volonté, il faut distinguer deux plans de réalités connues et voulues: les réalités qui ne dépassent pas le niveau naturel de l'intelligence et de la volonté, telles les choses créées; puis, les réalités qui dépassent ce niveau, tels les objets surnaturels. Les choses qui ne dépassent pas la portée naturelle de l'intelligence et de la volonté sont atteintes sous un mode plus parfait par l'intelligence que par la volonté. Que sont les choses créées ? Des individualités concrètes. Or, de celles-ci, l'intelligence abstrait l'intelligible; puissance spirituelle, elle accapare en elle-même les choses qu'elle connaît pour les transposer en son mode immatériel, sous forme de concepts, d'idées, de lois universelles. Ainsi, les sciences qui s'occupent d'objets matériels (par exemple la minéralogie) et les savoirs techniques (par exemple l'art culinaire) ennoblissent singulièrement, par les lois générales que découvrent les premières, par les procédés intelligents qu'appliquent les seconds, les réalités qui sont objet de leur investigation et de leur application. Quant à la volonté, elle tend vers les réalités telles qu'elles sont en elles-mêmes, pour les désirer, les aimer en leur singularité même. On n'aime pas dans l'abstrait, mais dans le réel. De la sorte, tandis que l'intelligence ennoblit, en les traduisant en idées, les réalités qu'elle connaît, la volonté est au niveau des réalités qu'elle vise; elle les désire, les aime et aspire à jouir d'elles, telles qu'elles sont, dans leur individualité même. C'est pourquoi la valeur de ce qui est aimé mesure la dignité de l'amour.


— Cependant, cette prééminence de l'intelligence sur la volonté, quant au mode d'atteindre les choses créées implique une imperfection, à un autre point de vue; la volonté atteint plus immédiatement les choses dans leur réalité individuelle que l'esprit ne les atteint dans ses concepts abstraits et universels. Individuum est ineffabile: l'individu, en tant que tel, n'est pas complètement traduisible en termes de raison; tandis que la volonté cherche la réalité individuelle et l'amour l'étreint en tout ce qu'il y a en elle de bien concret. Ce qui ne veut pas dire que l'amour devienne connaissance et éclaire son objet par suppléance. Non, tous les motifs d'aimer sont formulés par l'intelligence; mais, l'amour, dans son adhérence unitive, va au delà de l'attrait même qui consciemment le sollicite. Il y a de l'inexprimable dans tout amour. D'où l'impuissance, chez celui qui aime, d'exprimer adéquatement son sentiment par des termes de raison, par des mots trop universels et trop employés par tous. POUR SE DIRE, UN GRAND AMOUR A PLUS BESOIN DE SILENCE QUE DE PAROLES.



— Mais, revenons à l'objection faite. Il reste que l'intelligence atteint les réalités créées selon un mode plus parfait que le mode selon lequel la volonté les atteint, pour autant qu'un mode d'être abstrait et universel est plus parfait qu'un mode d'être concret et particulier. Mais, s'il s'agit de réalités qui dépassent la capacité naturelle de l'intelligence et de la volonté, Dieu par exemple, voici que la volonté prend sa revanche et qu'elle les atteint plus parfaitement que l'intelligence. La foi ne nous donne qu'une connaissance incomplète et amoindrie des réalités divines qu'elle nous livre en formules mystérieuses. Tout amour va au delà des raisons d'aimer, pour s'unir à ce qu'il aime, dans sa réalité individuelle et totale: il se donne tout entier à celui qu'il aime, présent ou absent, connu totalement ou partiellement, contemplé à découvert ou à peine entrevu sous le voile du mystère. Tel est le cas de la charité. Chez le juste de la terre, la mesure de son amour pour Dieu déborde la mesure de la connaissance qu'il en a. Les motifs d'aimer Dieu sont ceux que lui présentent les "énigmes" de la foi. Mais, son cœur franchit le mystère: il aime son Dieu, dès ici-bas, à travers les manifestations d'amabilité qu'il en sait; et il l'aime jusqu'en lui-même, dans sa réalité infinie et inexprimable.


— Pour ce motif, on comprend qu'au ciel la foi ne puisse plus subsister, quand nous serons mis en face de Dieu par la vision béatifique. La foi est une connaissance imparfaite et médiate. La "lumière de gloire" se substituera à elle, dans notre esprit, pour une connaissance parfaite et immédiate. Quant à la charité, elle subsistera au ciel. Elle y aura le même procédé, le même mouvement intime, que sur la terre; de même qu'ici-bas, nous aimons Dieu en lui-même, malgré l'essentielle déficience de la connaissance que nous en avons, de même, au ciel, ce sera lui que nous aimerons, notre connaissance étant, cette fois, aussi riche que notre amour, puisque nous verrons immédiatement celui que nous avons toujours aimé en lui-même, pour tout lui-même (1-2, qu. 67, art. 6). Par là, s'explique encore qu'en ce monde la perfection de la vie spirituelle ne soit pas égale à la perfection de Ia connaissance de Dieu. Il est des âmes qui, sans lumières extraordinaires, sans théologie savante, sont unies à Dieu, plus intensément que d'autres, dont l'intelligence religieuse est plus cultivée. Notre esprit, lorsque la foi l'illumine, n'a qu'un rôle: faire connaître l'amabilité de l'être aimé; mais c'est l'amour qui unit à l'être aimé. Par la charité, l'amour joint immédiatement notre âme à Dieu. Que ce soit au ciel ou sur la terre, c'est la charité qui noue le lien de l'indissoluble et spirituelle union (voir 2-2, qu. 27, art. 4, sol. 3).




[28] Qu. 23, art 6, sol. 2. — Quand saint Paul affirme que "la foi opère par la charité", il veut dire simplement que la foi devient opérante par la charité. Celle-ci vient appuyer la certitude de la croyance: on croit spontanément en ceux qu'on aime. L'amour que nous avons pour Dieu, renforce notre assentiment aux vérités qu'il nous révèle. De plus, la charité organise notre vie morale sous le régime de l'esprit de foi. Tout cela prouve que la charité n'est pas une vertu inférieure à la foi; au contraire, c'est la charité qui vivifie la foi et en fait une vertu parfaite et agissante (voir plus loin, art. 8 de la présente question).




[29] Qu. 23, art. 6, sol. 3. — La charité est supérieure à l'espérance; car il est meilleur d'aimer un ami pour lui-même, que d'espérer seulement quelque chose de lui. Au surplus, à la différence de la charité, l'espérance ne nous unit pas à Dieu: elle nous en laisse éloignés, même à propos de la béatitude qu'elle escompte. Cette béatitude est promise, certes, mais elle est difficile à conquérir. D'ailleurs, elle ne sera obtenue que par les mérites de la chanté. Et puisque, seule, la charité est la garantie du mérite surnaturel qui appelle la récompense de la béatitude, comment être en sécurité d'obtenir celle-ci, si l'on ne possède que l'espérance sans la chanté (voir 1-2, qu. 65, art. 4). Comme on le sait, l'amour, qui est au principe de l'espérance, n'est qu'un amour imparfait, en comparaison de l'amour parfait de la charité. L'espérance procède d'un amour de convoitise, elle est seulement l'expectative d'être rendu heureux par la possession de Dieu; mais, avec la seule espérance, sans la charité, on n'aime pas Dieu pour lui-même, ou bien on ne l'aime plus, s'étant attiré sa disgrâce, puisque le retrait de la charité n'a pu être motivé que par le péché. Dans l'âme en état de grâce, l'espérance, englobée et vivifiée par la charité, n'est ni éliminée ni absorbée. Aimer Dieu, dans la totale complaisance en son honneur infini, ne s'oppose point au désir d'être heureux par lui, puisque cette béatitude sera le don de son amitié. Mais, l'espérance va être renforcée par la charité. Quand un ami nous promet quelque chose et se fait fort de nous l'octroyer, nous en espérons l'échéance avec plus de fermeté que si cette promesse venait de quelqu'un que nous tenons à distance, indifférents à lui, et même que nous traitons en ennemi, quand nous l'offensons par le péché. L'amour affermit la confiance et la rend spontanée (voir 2-2, qu. 17, art. 8).


En tout ceci, il n'y a rien qui infirme la supériorité de la charité sur l'espérance: par la première, nous sommes unis à Dieu, abandonnés à lui, heureux de son bonheur; par la seconde, si la charité n'est plus, nous restons en nous-mêmes, éloignés de Dieu par le cœur, désireux seulement de ne pas manquer la félicité céleste: amour de nous-mêmes plutôt qu'amour de Dieu, amour imparfait, inférieur à l'amour parfait de la charité.



"IIa-IIæ, qu.23, par H.D. Noble, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1936, et notes explicatives"
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Message  ROBERT. Sam 11 Fév 2012, 3:44 pm

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LA CHARITÉ

QUESTION 23.


LA CHARITÉ CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME.



ARTICLE 7. Sans la charité, peut-il y avoir de véritable vertu ?


DIFFICULTES : 1. Le propre de la vertu est d'accomplir des actes bons. Mais ceux qui n'ont pas la charité accomplissent certains actes bons, comme de donner des vêtements à ceux qui sont nus, de nourrir les affamés, et autres bonnes œuvres semblables. Il y a donc véritable vertu sans la charité.


2. La charité ne peut pas être sans la foi; car, dit l'Apôtre "elle procède d'une foi sincère". Or, chez les infidèles, peut se rencontrer une vraie chasteté, puisqu'ils domptent leurs concupiscences; une vraie justice, puisqu'ils jugent équitablement. Sans la charité, il peut donc y avoir véritablement de la vertu.


3. La science et l'art sont des vertus, comme le disent les Éthiques. Or, ces vertus, on les trouve chez des hommes pécheurs qui n'ont pas la charité. Il peut donc vraiment y avoir de la vertu sans la charité.


CEPENDANT, l'Apôtre dit: "Quand je distribuerais toutes mes ressources pour nourrir les pauvres, quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, cela ne m'est profitable en rien". Mais, la vraie vertu, d'après la Sagesse, est grandement profitable: "Elle apprend la sobriété, la prudence et la justice: et il n'y a rien, dans la vie, de plus utile aux hommes". Donc, sans la charité, il ne peut y avoir de vraie vertu.



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Message  ROBERT. Sam 11 Fév 2012, 8:25 pm

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LA CHARITÉ

QUESTION 23.


LA CHARITÉ CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME.



ARTICLE 7. Sans la charité, peut-il y avoir de véritable vertu ? (suite)



CONCLUSION : La vertu est ordonnée au bien comme on l'a établi précédemment. Or le bien, c'est principalement la fin; car ce qui est moyen pour la fin, n'est appelé bon qu'en raison de son ordonnance à la fin. Donc, de même qu'il y a deux sortes de fins, l'une dernière, l'autre prochaine, de même il y a deux sortes de bien: l'un dernier, l'autre prochain et particulier. En réalité, le principal et ultime bien de l'homme, c'est de posséder Dieu: "C'est mon bien d'adhérer à Dieu", dit le Psalmiste; et c'est à cela qu'est ordonné l'homme par la charité. Quant au bien secondaire et, pour ainsi dire, particulier de l'homme, il est double: l'un, qui est véritable bien, puisqu'il a de quoi, en lui-même, être ordonné au principal bien qui est la fin dernière; l'autre qui est bien selon les apparences, mais sans l'être vraiment, car il éloigne du bien final.



Ainsi donc, il est clair que la vertu absolument véritable, est celle qui est ordonnée au bien principal de l'homme; la vertu étant selon le Philosophe "la disposition de ce qui est déjà parfait, à ce qu'il y a de mieux". C'est pourquoi il ne peut y avoir de vraie vertu sans la charité. Mais, si l'on envisage la vertu par rapport à une fin particulière, il peut y avoir vertu sans charité, en tant qu'elle se rapporte à ce bien particulier.




Si ce bien particulier n'a que l'apparence et non la réalité du bien, la vertu qui ordonnera l'action à la conquête de ce bien, ne sera pas une vertu véritable, mais un faux-semblant de vertu. Ainsi, comme le dit saint Augustin, "on ne tiendra donc pas pour vertu vraie, la prudence des avares ruminant leurs divers genres de lucre, la justice des avares faisant fi des biens d'autrui par peur qu'il leur arrive de graves dommages, la tempérance des avares refrénant la convoitise de sensualités trop dispendieuses, la force des avares qui, pour fuir la pauvreté, passeraient, comme dit Horace, à travers la mer, les rochers et les flammes". Mais, si ce bien particulier est un vrai bien, par exemple la défense de la cité ou quelque œuvre semblable, la vertu [qui s'y ordonne] sera une vertu véritable, mais elle demeurera imparfaite, à moins qu'elle ne se réfère au bien final et parfait. De tout ce qui vient d'être dit, il faut conclure qu'absolument parlant, il n'y a pas de vraie vertu sans la charité [30]






note explicative:


[30] Qu. 23, art. 7 concl, — L'article précédent a marqué l'excellence de la charité sur les autres vertus théologales et morales. Mais au surplus, la charité a influence directe sur elles; pas de véritable vertu sans la charité (art. 7); c'est la charité qui, consacre les autres vertus en leur donnant leur visée définitive (art.8).



Tout d'abord, pas de véritable vertu, sans la charité. Saint Thomas parle en théologien, en regard de la conscience surnaturelle, éclairée par la foi et établie dans la grâce. A quoi sert la vertu, sinon à ordonner au bien ? Or, le bien suprême auquel est suspendue notre vie et vers lequel doit tendre tout ce qu'il y a en nous de puissance de bien, c'est Dieu. La chanté nous unit à Dieu; elle se doit d'orienter vers lui tous nos actes vertueux et par conséquent toutes les vertus, principes de ces actes. Par là, ces actes seront aussi bons que possible. Le bien, auquel nous livre la charité, n'a pas son pareil dans les biens terrestres ; les vertus "infuses" qui accompagnent, en notre âme, le don de la charité, sont les moyens d'y aboutir et visent une perfection inaccessible aux vertus naturelles. Celles-ci laissent l'homme au plan terrestre, sans relation avec une vie divine suréminente. Devenir un élu de Dieu, un saint, est tout de même quelque chose de plus que de rester un honnête homme.



— Est-ce à dire que les vertus morales naturelles soient sans valeur ? Non pas. Cajetan nous avertit ici de prendre garde à notre langage (ne apud philosophes et mundi hujus sapientes risum excites). Si, en théologiens, nous sommes attentifs à la destinée finale des âmes qui est de gagner la béatitude éternelle, nous devrons dire: pas de véritable vertu sans la charité. Mais, si raisonnant humainement, en faisant abstraction de l'ordre surnaturel, pour ne considérer que les fins honnêtes naturelles et les biens que la raison qualifie comme valables, cette fois, nous pouvons parler de vertus humaines parfaites, relativement à leur bonté morale naturelle. Tel incroyant, ou encore tel croyant qui ne vit point de la charité, parce qu'il est en état de péché mortel, peut fort bien accomplir des actions moralement bonnes. Il y a des païens qui sont justes et équitables, courageux et désintéressés, modérés dans leurs ambitions, fidèles à leur parole, hommes de cœur et de conscience. Il y a des chrétiens qui désobéissent habituellement à certaines lois divines positives, comme celle de la sanctification du dimanche ou celle du devoir pascal, mais qui, au demeurant, sont serviables, probes et se montrent bons citoyens, fidèles époux, pères dévoués. Chez les premiers, les vertus sont réelles et dirigent positivement leur conduite; mais la foi et la charité font défaut. Chez les seconds, la foi s'ajoute à leurs vertus naturelles pour renforcer encore les pratiques d'honnêteté dans lesquelles ils persévèrent; mais il leur manque la charité, pour que leur âme ait son envergure totale, dans -l'amour du souverain Bien. Ainsi donc, chez celui qui ne vit pas de la charité, il peut y avoir d'excellentes dispositions et habitudes vertueuses, et par suite, des actions vertueuses proprement dites, encore qu'il manque à celles-ci, pour être parfaitement vertueuses, d'être ordonnées à Dieu. Seule, la charité réalise activement cette ordonnance par le moyen des vertus morales «infuses». C'est elle qui donne à celles-ci d'être de "véritables" vertus (voir 1-2, qu. 63, art 2; qu. 65, art. 2).


"IIa-IIæ, qu.23, par H.D. Noble, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1936, et notes explicatives"

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Message  ROBERT. Dim 12 Fév 2012, 11:27 am

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EXTRAITS DU TRAITÉ DE LA CHARITÉ PAR SAINT THOMAS D’AQUIN. - Page 2 Sans-t10


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LA CHARITÉ

QUESTION 23.


LA CHARITÉ CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME.




ARTICLE 7. Sans la charité, peut-il y avoir de véritable vertu ? (suite)



SOLUTIONS : 1. Celui qui n'a pas la charité peut agir d'une double façon. Ou bien il agit en raison de son défaut même de charité, par exemple, quand il fait quelque chose qui se rapporte à ce qui exclut en lui la charité. Un tel acte est toujours mauvais. Comme le dit saint Augustin, l'infidèle, en faisant acte d'infidélité, commet toujours un péché, vêtirait-il un pauvre ou ferait-il autre chose, s'il accomplit cet acte en l'ordonnant à prouver son infidélité.


— Ou bien celui qui n'a pas la charité agit, non point sous l'inspiration de son manque de charité [et en voulant offenser Dieu], mais en vertu de quelque don de Dieu qui est en lui, soit la foi, soit l'espérance, ou simplement en vertu d'une bonne disposition naturelle, car ce qu'il y a de bon dans la nature humaine n'est pas totalement enlevé par le péché. Ainsi donc, sans la charité, il peut y avoir un acte qui, de lui-même, soit bon, non pas cependant parfaitement bon, parce qu'il lui manque l'obligatoire ordonnance à la fin ultime [31].



2. La fin est, dans l'ordre de l'action, ce qu'est le principe dans l'ordre de la connaissance spéculative; de même qu'il ne peut y avoir de science véritable sans une exacte intelligence du principe premier et indémontrable, de même il ne peut y avoir véritable justice et véritable chasteté, s'il manque l'obligatoire ordonnance à la fin et cela, par la charité, quelle que soit d'ailleurs la rectitude [de la conscience] vis-à-vis d'autres fins [32].



3. La science et l'art visent, par définition, un bien particulier et non pas la fin ultime de la vie humaine; à la différence des vertus morales qui font l'homme complètement bon. La raison invoquée [pour la science et l'art, de pouvoir se passer de la charité], ne s'applique donc pas aux vertus morales [33].






notes explicatives:


[31] Qu. 23. Art.7, sol.1 — Que penser d'un acte moralement bon oui serait fait en dehors de la charité ?

— S'il est accompli avec l'intention d'offenser Dieu, il est mauvais. Saint Thomas cite le cas de l'infidèle qui accomplirait un acte d'aumône et de bienfaisance en voulant afficher, par là, son hostilité envers la religion. Si un acte moralement bon est fait hors de la charité, mais avec l'intention de bonté morale raisonnable qu'il comporte, ou encore parce que la foi le prescrit, cet acte est bon, les dispositions qui y acheminent sont vertueuses; mais, comme il a été dit dans la note précédente, cette bonté et cette vertu n'ont pas leur perfection totale, puisque la charité ne les ordonne pas à la fin suprême. Notons l'importance de l'intention dans la qualification morale de nos actions: il arrive que beaucoup de celles-ci se présentent avec les dehors de la vertu et n'en sont pourtant que la caricature: il y a des actes de courage qui n'ont d'autres motifs que la vanité ou la prime d'argent qui les récompense; il y a des manifestations de zèle religieux qui ne sont qu'hypocrisie; il y a des attitudes de tempérance qui ne sont pas de bon gré et qui renoncent au plaisir pourtant convoité parce que celui-ci coûte trop cher. Dans la conscience morale naturelle, les motifs valables des actes vertueux sont souvent mélangés à des motifs mesquins, égoïstes et utilitaires. En purifiant notre cœur, la charité fait tomber ces vues intéressées et les remplace par le motif le plus parfait de l'action bonne et vertueuse : la volonté de Dieu bien-aimé.




[32] Qu. 23, art. 7, sol. 2. — L'amour du souverain Bien l'emporte sur l'amour d'un bien particulier, fût-ce la pratique de la justice et de toutes les vertus naturelles. C'est pourquoi, si l'on regarde ce Bien suprême, seules apparaîtront, comme vertus véritables, celles qui le visent, c'est-à-dire la charité et les vertus surnaturelles. Le véritable savant n'est pas celui qui s'enferme dans le cadre de sa spécialité, mais celui qui, pour mieux savoir, remonte aux principes et aux sources; de même, le véritable vertueux n'est pas celui qui limite son ambition morale à certaines actions en elles-mêmes excellentes, mais celui qui accomplit ces actions-là et toutes les autres, en les orientant vers Dieu, terme dernier où se joignent tous les appels de la charité.


[33] Qu. 23 art. 7, sol. 3. — Ce n'est pas le lieu d'établir la distinction des vertus intellectuelles et des vertus morales (voir 1-2, qu. 58), ni de montrer pourquoi et comment les vertus morales sont connexes dans la prudence (ibid., qu. 65, art. 1; de Virtutibus, qu. 1, art. 2). Notons toutefois que les vertus morales "infuses" sont connexes dans la charité. Dans la conscience morale naturelle, c'est la vertu de prudence qui, sous l'impulsion d'une volonté décidée au total accomplissement raisonnable du bien, discerne et dicte, dans la conduite pratique, les actes vertueux conformes à cette fin. Dans la conscience surnaturelle, la prudence "infuse" juge de tous nos actes vertueux, sous l'impulsion de la charité et à son service. Quand on aime Dieu de tout son cœur, il n'y a plus qu'à s'aviser, avec un lucide discernement, de le lui prouver de toutes les manières possibles. Sous l'empire de cet amour, stimulant la prudence, nos vertus "infuses" se doivent de faire converger vers Dieu toutes nos actions. D'elles-mêmes, celles-ci ne visent que leur objet propre et ne réclament point de devenir autant de témoignages d'amour de Dieu. Au fait, sans penser à lui, nous pouvons accomplir nos labeurs quotidiens, être serviables pour autrui, refréner nos passions de colère et de sensualité: par là nous réalisons une conduite morale valable. Mais, pour que nous aimions Dieu et le servions fidèlement par nos labeurs, notre respect de la justice et la modération de nos passions, il faut nécessairement que notre charité donne, comme motif — au moins implicite, — à nos actes vertueux son propre motif. Car, il est impossible de dire à Dieu: "Je vous aime", sans ajouter: "Tout ce que je suis, tout ce que je fais, est à vous". La charité surnaturelle implique cette ordonnance de tout l'homme vers Dieu. Saint Paul nous montre la charité escortée de toutes les vertus, et ne faisant tellement qu'un avec elles, que chacun de leurs actes est représenté comme une de ses œuvres: "La charité est patiente, elle est bonne, elle n'est pas envieuse ni inconsidérée, elle ne s'enfle pas d'orgueil, elle ne fait rien d'inconvenant, elle ne cherche point son intérêt, ne s'irrite point, ne tient pas compte du mal; elle ne prend pas plaisir à l'injustice, mais elle se réjouit de la vérité; elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout" (I Cor. XIII, 4-7).



— Les vertus morales "infuses" sont donc connexes, c'est-à-dire liées ensemble dans la charité, impliquées dans notre amour de Dieu (de Virtutibus, qu. 1, art. 2; 1-2, qu. 65, art. 1, 3 et 5). C'est pour Dieu, par adhésion à la volonté divine, que nous devons pratiquer les vertus de justice, de tempérance et de force. De cette façon, positive et immédiate, nous nous montrons les amis de Dieu. La preuve en est que les fautes qui blessent les vertus morales blessent la charité et dénoncent sa défaillance. Par sa puissance d'amour, la charité stimule les actes vertueux et en même temps repousse les péchés qui offensent Dieu ( de Caritate , qu. 1, art. 7, ad 2). Quand nous dénigrons notre prochain, donnons libre cours à nos sensualités, négligeons d'accomplir nos devoirs d'état par mollesse et peur de l'effort, ce n'est pas seulement le bien moral de la justice, de la tempérance ou de la force que nous délaissons; c'est Dieu que nous délaissons en l'offensant; nous manquons à notre devoir, mais, plus encore, nous manquons à la charité pour Dieu, montrant clairement que nous ne l'aimons pas. Toute faute morale grave est donc contraire à la charité, parce qu'elle implique ce refus d'amour. On comprend, dès lors, que Dieu nous retire sa grâce. Pourquoi nous garderait-il le don de l'amitié, puisque nous ne voulons plus l'aimer? Pourquoi nous conserverait-il le gage du ciel et de l'éternelle béatitude, quand nous lui préférons nos plaisirs et, en définitive, ne voulons plus de lui ? (voir de Caritate, qu. 1, art. 7, ad 8)



"IIa-IIæ, qu.23, par H.D. Noble, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1936, et notes explicatives"


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Message  ROBERT. Dim 12 Fév 2012, 3:31 pm

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LA CHARITÉ

QUESTION 23.


LA CHARITÉ CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME.


ARTICLE 8.


La charité est-elle forme des vertus ?


DIFFICULTES :1. La forme d'une chose est exemplaire ou essentielle. Mais la charité n'est pas forme exemplaire des autres vertus; car alors il faudrait que toutes les autres vertus fussent de la même espèce que la charité. De même, la charité n'est pas forme essentielle des autres vertus, car elle ne se distinguerait plus de celles-ci. Donc, la charité n'est en aucune façon la forme des vertus.


2. Il est dit de la charité qu'elle est la racine et le fondement des autres vertus. Saint Paul parle de ceux "qui sont enracinés dans la charité, basés sur elle". Or, ce qui est racine et base a plus raison de matière que de forme; car c'est là ce qui vient en premier dans les choses qui naissent et grandissent. La charité n'est donc pas forme des vertus.


3. Selon Aristote, on ne peut pas être à la fois forme, fin et cause efficiente. Mais on dit de la charité qu'elle est fin et mère des vertus. Elle ne doit donc pas être dite forme des vertus.



CEPENDANT, saint Ambroise affirme que la charité est forme des vertus.





"IIa-IIæ, qu.23, par H.D. Noble, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1936, et notes explicatives"
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Message  ROBERT. Lun 13 Fév 2012, 9:56 am

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LA CHARITÉ

QUESTION 23.


LA CHARITÉ CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME.


ARTICLE 8.

La charité est-elle forme des vertus ? (suite)


CONCLUSION. En morale, la forme d'un acte lui vient principalement de sa fin: la raison en est que la volonté est le principe des actes humains dont l'objet et pour ainsi dire la forme est la fin. Or, toujours, la forme d'un acte suit la forme de l'agent qui produit cet acte. Il faut donc qu'en morale, ce qui donne à un acte son ordonnance à la fin, lui donne aussi sa forme. Or, il est manifeste, d'après ce qu'on vient de dire (art. précédent), que la charité ordonne les actes de toutes les autres vertus à la fin ultime. Dès lors, elle donne forme aux actes de toutes les autres vertus. Et c'est pour cela qu'elle est dite forme des vertus; et, si l'on parle ici des vertus, il faut l'entendre des actes de ces vertus, car les vertus ne sont dites « formées » que pour des actes qui tiennent, de la charité, leur forme. [34]






note explicative:


[34] Qu. 23, art. 8, concl. — Voici la raison décisive de l'excellence et de l'influence de la charité sur toutes les autres vertus: elle en est la forme. La forme d'un être, c'est ce qui le caractérise en propre et le distingue de tout autre. La forme d'un acte volontaire lui vient du but que la volonté se propose d'atteindre. Si je veux agir pour une fin moralement bonne, mon acte est bon; si je veux agir pour une fin mauvaise, mon acte est mauvais. Non seulement la fin voulue donne à une action sa forme morale, mais elle spécifie celle-ci: si je veux être fort dans une phase difficile de ma vie, tous les actes, que je déploie dans ce but et qui, matériellement, peuvent être très divers, deviennent des actes de force. La chanté est une volonté ardente qui se porte amoureusement vers Dieu, et c'est en vue de ce but suprême qu'elle enrôle tous les actes vertueux. "Caritas, ex hoc ipso quod trahit alias virtutes ad suum finem, format virtutes" (de Caritate, qu. 1. art. 3, sol. 16). Aimant Dieu, nous ne voulons plus vivre, penser, aimer et agir que pour lui: telle est la fin qui prime tout. Cette forme du vouloir passera donc dans tous les actes du vouloir. Ceux-ci en seront pénétrés et, pour autant, les vertus elles-mêmes, puisque leur raison d'être est d'aboutir à des actes en plein rendement. La charité, informatrice des vertus, transforme les actions vertueuses en autant d'œuvres d'amour.



— C'est par l'intermédiaire de la prudence "infuse" que la charité "informe" les autres vertus. La charité pose la fin sur laquelle la prudence se rectifie; ainsi rectifiée, le discernement prudentiel dicte les actes mesurés sur cette fin et ordonnés à elle. Non seulement la charité stimule ces actes, mais elle les imprègne d'une nouvelle forme: elle en fait des actes d'amour de Dieu. Sans doute, ceux-ci, en eux-mêmes, sont d'abord qualifiés moralement par leur objet immédiat; par exemple, ce sont des actes de patience, d'humilité, de mortification, de tempérance, de force, de justice; ils sont nos travaux et nos démarches, nos charges et nos responsabilités; mais ils ont, comme première et essentielle qualité, d'être des actes de charité. Dieu les regarde sous cet angle; à travers eux, il voit notre cœur qui les lui offre. Ce n'est pas précisément leur valeur humaine qui les désigne à l'attention divine, mais avant tout, l'amour qui les anime et l'intensité même de cet amour. La charité est nommée, à juste titre, "la racine, le fondement des autres vertus". Elle les porte et les nourrit de sa sève. Saint Paul ne demande-t-il pas aux Ephésiens de demeurer "fondés et enracinés dans la charité" (Éphésiens, III, 17) ? La charité mérite aussi le nom de "mère des autres vertus". C'est elle qui conçoit et enfante avec fécondité toutes les actions vertueuses qui sont les œuvres mêmes de l'amour (voir, dans le présent article, sol. 2 et 3). Par sa propre perfection et par celle des actes vertueux qu'elle commande, la charité réalise la sainteté chez l'ami de Dieu. Elle est "le lien de la perfection" (Col. III, 14).




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Message  ROBERT. Lun 13 Fév 2012, 4:45 pm

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LA CHARITÉ

QUESTION 23.


LA CHARITÉ CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME.



ARTICLE 8.

La charité est-elle forme des vertus ? (suite)



SOLUTIONS. 1. La charité n'est pas dite forme des autres vertus par mode exemplaire ou essentiel, mais plutôt par mode actif, en tant qu'elle impose aux autres vertus sa forme, c'est-à-dire, comme l'exprime la conclusion du présent article, en tant qu'elle réfère à sa fin les actes des autres vertus.


2. On compare la charité à la base [d'un édifice] ou à la racine [d'une plante], pour signifier que, par elle, sont soutenues et nourries toutes les autres vertus, mais non pas en donnant aux mots base et racine la signification de causes matérielles.


3. On dit que la charité est fin des autres vertus, parce qu'elle les ordonne toutes à sa propre fin. Et parce qu'une mère est celle qui conçoit en elle-même par un autre, de ce chef on peut dire que la charité est mère des autres vertus parce qu'en voulant la fin ultime, elle conçoit, en les commandant, les actes des autres vertus.




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