LIVRE TROISIÈME. DE LA CÈNE À L'ASCENSION. NUL DÉSACCORD ENTRE LES 4 ÉVANGÉLISTES. (Par Saint Augustin)
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NUL DÉSACCORD ENTRE LES QUATRE ÉVANGÉLISTES,
Par Saint Augustin.
CHAPITRE XIII. DE L'HEURE DE LA PASSION.
45. Saint Luc, après ces paroles de Pilate: "Je le corrigerai et le délivrerai," ajoute que la foule tout entière s'écria: "Fais-le disparaître et remets-nous Barabbas." Mais peut-être que jusque-là ils n'avaient pas encore dit: "Crucifie-le." D'après le même écrivain sacré: "Pilate leur parla de nouveau dans le but de délivrer Jésus; mais ils criaient: Crucifie, crucifie- le." C'était à la troisième heure. Enfin ajoute encore saint Luc: "Pilate leur parla une troisième fois et leur dit: Quel mal a-t-il donc fait ? Je ne trouve en lui aucun crime qui mérite la mort; je le corrigerai donc et le renverrai. Mais alors ils poussaient des cris plus effroyables, demandant qu'il fût crucifié, et leurs vociférations augmentaient (1)."
Cela suffit pour nous donner une idée de la grandeur du tumulte. Combien de temps s'écoula-t-il ensuite avant ces mots répétés pour la troisième fois: "Quel mal a-t-il donc fait ?" On peut le supposer aussi long que le demande la découverte de la vérité. Enfin ces instances à grands cris, ces vociférations toujours croissantes, quel motif leur donner, si ce n'est la résolution où ils voyaient Pilate de ne pas leur livrer le Sauveur ? Puisque telle était la disposition de Pilate, il est évident qu'il ne dut pas céder si promptement et que deux heures, et peut-être plus, se passèrent dans ces hésitations.
1 Luc, XXIII, 16-23.
Œuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Tome Vème, Commentaires sur l'Écriture, Bar-le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867. p. 114-256. Les deux premiers livres ont été traduits par M. l'abbé TASSIN, les deux derniers par M. l'Abbé BURLERAUX.
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46. Interroge encore saint Jean et vois à quelles hésitations Pilate se trouvait en proie et quelle répulsion il éprouvait pour le honteux ministère qu'on voulait lui faire remplir. Quoiqu'il ne dise pas tout ce qui a dû se dire et se passer, pendant deux heures et le commencement de la sixième, cet évangéliste est beaucoup plus explicite que les autres. Ainsi Jésus nous est montré victime de la flagellation, revêtu d'un manteau dérisoire, le jouet de railleries et de moqueries infâmes, (je pense que Pilate ne permit toutes ces indignités que pour calmer la fureur des J.uifs et soustraire Jésus à la mort.) Après ces détails, saint Jean continue: " Pilate sortit de nouveau et dit aux J.uifs: Voici que je vous l'amène, afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun crime. Jésus sortit donc portant la couronne d'épines et le vêtement de pourpre. Et Pilate leur dit: Voilà l'homme;" il espérait que son aspect ignominieux calmerait leur fureur. L'Evangile continue: "En le voyant, les pontifes et les ministres s'écrièrent: Crucifie, crucifie-le." Nous avons dit qu'il était alors la troisième heure. Remarquez ce qui suit: "Pilate leur dit: Prenez-le vous-mêmes et le crucifiez; car pour moi je ne le trouve coupable d'aucun crime. Les J.uifs lui répondirent: Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait le Fils de Dieu. En entendant cette parole, Pilate fut saisit d'une crainte plus violente; rentrant donc de nouveau dans le prétoire il dit à Jésus: Tu ne me réponds pas ? Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te crucifier, comme aussi de te délivrer ? Jésus lui répondit: Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir, s'il ne t'avait été donné d'en haut. Voilà pourquoi celui qui m'a livré entre tes mains est coupable d'un plus grand crime. Et Pilate n'en chercha que davantage l'occasion de le délivrer." Puisque telle était la disposition de Pilate, combien de temps, pensons-nous, ne dut pas se passer dans un échange de propositions de la part de Pilate et de refus de la part des J.uifs, jusqu'à ce qu'enfin le gouverneur fut vaincu par leurs protestations et crut devoir céder ?
Nous lisons ensuite: "Les J.uifs s'écriaient: Si tu le renvoies, tu n’es pas l'ami de César, car quiconque se fait roi est l'ennemi de César. En entendant ces paroles, Pilate fit sortir Jésus, et s'assit sur son tribunal, dans un lieu appelé Lithostrotos , en hébreu Gabbatha . On était à la veille de Pâque, vers la sixième heure."
Ainsi, depuis le moment où pour la première fois les J.uifs crièrent: "Crucifie-le," jusqu'à celui où Pilate s'assit sur son tribunal, deux heures se passèrent, en hésitation de la part de Pilate, et en tumulte de la part des J.uifs ; la cinquième heure était écoulée et la sixième commencée. "Pilate dit donc aux J.uifs: Voici votre roi. Ils s'écriaient: Enlève-le crucifie-le." Et cependant Pilate jusque là assez insensible à la crainte de la calomnie persistait dans son refus. En effet, c'est alors qu'il reçut le message de sa femme.
Saint Matthieu a anticipé sur le moment précis de ce fait, qui ne nous est raconté que par lui et qu'il a glissé dans sa narration à l'endroit qui lui a paru le plus convenable. Faisant donc un dernier effort, Pilate dit aux J.uifs: "Que je crucifie votre roi ? Les pontifes répondirent: Nous n'avons d'autre roi que César. C'est alors qu'il le leur livra pour le crucifier (1)." Pendant que Jésus monte au calvaire, pendant qu'il est crucifié avec les deux larrons, que ses vêtements sont partagés, que sa robe est tirée au sort, et qu'il est couvert d'ignominies, car les ignominies se mêlaient à ses autres souffrances, la sixième heure se passa, et les ténèbres, dont parlent saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, se répandirent sur toute la terre.
1 Jean, XIX, 4-16.
Œuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Tome Vème, Commentaires sur l'Écriture, Bar-le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867. p. 114-256. Les deux premiers livres ont été traduits par M. l'abbé TASSIN, les deux derniers par M. l'Abbé BURLERAUX.
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47. Arrière donc toute obstination impie; croyons que Notre-Seigneur Jésus-Christ a été crucifié à la troisième heure par la langue des J.uifs et à la sixième par la main des soldats. En effet, grâce au tumulte de la foule et aux hésitations cruelles de Pilate, deux heures et plus s'écoulèrent depuis le premier cri: "Crucifie-le." Saint Marc, qui se distingue par une extrême concision, a voulu en quelques mots nous faire connaître la volonté de Pilate et ses efforts pour délivrer le Sauveur. Après avoir dit: "Ils crièrent de nouveau: Crucifie-le;" quand ils avaient déjà crié pour qu'on leur remit Barrabas, il ajoute: "Pilate leur disait: Quel mal a-t-il donc fait (1) ?"
Ces quelques paroles résument tout ce qui s'est fait. Et pour nous faire mieux comprendre sa pensée, au lieu de la formule: Pilate leur dit, il s'exprime ainsi: "Pilate leur disait: Quel mal a-t-il donc fait? " Ces mots: Pilate leur dit, laisseraient croire qu'il ne parla qu'une fois, tandis que ceux-ci: "Il leur disait," pour peu qu'on veuille les comprendre, nous laissent voir que cet échange de paroles a duré jusqu'au commencement de la sixième heure.
Rappelons-nous donc la brièveté du récit de saint Marc, en comparaison de celui de saint Matthieu; la brièveté du récit de saint Matthieu, en comparaison de celui de saint Luc, et enfin la brièveté du récit de saint Luc, en comparaison de celui de saint Jean, quand surtout chacun de ces évangélistes raconte des circonstances que les autres passent sous silence. Et le récit même de saint Jean, qu'il est concis en comparaison de ce qui s'est passé et du temps qu'il a fallu à ces événements pour se dérouler! A moins donc de faire preuve de folie ou d'aveuglement, il faut admettre que deux heures et plus ont pu s'écouler pendant cet intervalle.
1 Marc, XV, 13, 14.
Œuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Tome Vème, Commentaires sur l'Écriture, Bar-le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867. p. 114-256. Les deux premiers livres ont été traduits par M. l'abbé TASSIN, les deux derniers par M. l'Abbé BURLERAUX.
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48. Prétendre que saint Marc aurait pu, s'il en était ainsi, assurer qu'il était trois heures quand il était trois heures et que les J.uifs demandaient à grands cris le crucifiement, et rapporter que le Sauveur fut crucifié par eux dans ce moment-là même, n'est-ce pas imposer trop orgueilleusement des lois aux historiens de la vérité ?
Pourquoi ne pas dire que si on racontait soi-même ces événements, tous les autres devraient les raconter dans le même ordre et de la même manière ? Celui qui en serait là, daignera du moins soumettre sa manière de voir à celle de saint Marc, qui a cru devoir placer chaque fait à la place qui lui était désignée par l'inspiration divine. Le souvenir des écrivains sacrés n'est-il pas soumis à l’impulsion de Celui qui, d'après le témoignage de l'Ecriture, gouverne à son gré l'Océan ? La mémoire, en effet, est une faculté qui flotte de pensées en pensées, et il n'est au pouvoir de personne d'en rappeler les souvenirs comme et quand il le veut. Si donc il est vrai de dire que ces écrivains, aussi saints que véridiques, se sont entièrement abandonnés dans le récit de leurs souvenirs, à l'action toute puissante de DIEU, POUR QUI LE HASARD N'EST RIEN; est-ce à un homme encore exilé et si éloigné du regard de Dieu, de soutenir que tel fait devait être placé dans tel ordre, quand on ignore pourquoi Dieu a voulu le placer dans tel autre ? "Si," dit saint Paul, "notre Evangile est voilé, il ne l'est que pour ceux qui périssent." Après ces mots: "Pour les uns nous sommes une odeur de vie pour la vie, et pour les autres une odeur de mort pour la mort," il ajoute aussitôt: "Mais qui est capable de le comprendre (1)?" c’est-à-dire: qui est capable de comprendre avec quelle justice tout cela s'opère ? Le Seigneur exprime la même pensée: "JE SUIS VENU AFIN QUE CEUX QUI NE VOIENT PAS, VOIENT, ET QUE CEUX QUI VOIENT, DEVIENNENT AVEUGLES " (2) ?
Telle est, en effet, la profondeur des richesses de la science et de la sagesse divines, que le Tout-Puissant tire d'une seule et même masse des vases d'honneur et des vases d'ignominie; et puis n'a-t-il pas été dit à la chair et au sang: "O homme qui es-tu pour oser répondre à Dieu (3)? " Qui donc en ce point comme en tout autre connaît la pensée de Dieu; qui a été son conseiller (4), quand il dirigeait le cœur et les souvenirs des évangélistes, quand il les couronnait, au faite de l'Eglise, d'une autorité si sublime, que ce qui peut paraître en eux contradictoire, fait tomber les uns dans l'aveuglement, et les livre justement aux horreurs de la concupiscence du cœur et du sens réprouvé (5); et détermine les autres à réformer leur manière de voir, comme le vent de la justice mystérieuse du Tout-Puissant ? Aussi un prophète dit-il au Seigneur: "Vos pensées sont devenues trop profondes; l'homme imprudent ne les connaîtra pas et l'insensé n'y pourra rien comprendre (6)."
1 II Cor. IV ; II,16.
2 Jean, IX, 39.
3 Rom. IX, 21-20.
4 Rom. XI, 33, 34.
5 Rom. I, 21-28.
6 Ps. XCI, 6, 7.
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49. Ceux qui liront ces lignes tracées par moi, avec l'aide du Tout-Puissant, et dont j'ai reconnu l'à-propos en cet endroit, je les prie de les rappeler à leur souvenir dans toutes les difficultés de ce genre, afin de m'en épargner la répétition. Si donc on étudie ce passage de l’évangile, sans aucun parti pris d'impiété, on comprendra facilement qu'en y mentionnant la troisième heure, saint Marc a voulu qu'on se souvint de l'heure précise à laquelle les J.uifs ont crucifié le Sauveur, eux qui voulaient rejeter la honte de ce crime sur les Romains, sur leurs princes ou sur leurs soldats.
Nous lisons: "Ils le crucifièrent, partagèrent ses vêtements et les tirèrent au sort pour savoir à qui ils appartiendraient" De qui est-il question dans cet endroit ? N'est-ce pas des soldats, comme saint Jean le déclare formellement ? Afin donc de faire retomber, non pas sur les soldats, mais sur les J.uifs, la pensée d'un si grand crime, saint Marc écrit ces paroles: "Il était la troisième heure et ils le crucifièrent." Comment ne pas voir alors que les auteurs véritables du crucifiement, ce sont ceux qui l'ont réclamé à la troisième heure par leurs vociférations multipliées et non les soldats qui n'ont accompli le crime qu'à la sixième heure.
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50. Dans ces paroles de saint Jean: "On était à la veille de Pâque, à la sixième heure," quelques auteurs ont voulu voir la troisième heure, celle à laquelle Pilate s'assit sur son tribunal. Dans cette opinion le crucifiement aurait eu lieu à l'expiration de la troisième heure; trois heures se seraient écoulées pendant que Jésus était suspendu à la croix, après quoi il rendit le dernier soupir; de cette manière ce ne serait qu'à partir de l'heure de sa mort, ou la sixième heure, jusqu'à la neuvième, que les ténèbres couvrirent toute la face de la terre.
Voici comment ils appuient leur système. Ce jour qui était suivi du sabbat était la veille de la Pâque des J.uifs, parce que les Azymes commençaient à ce sabbat. Or, la Pâque véritable, non pas celle des J.uifs, mais des chrétiens, celle qui s'accomplissait dans la passion du Sauveur, avait déjà commencé sa préparation ou sa vigile, à partir de la neuvième heure de la nuit, puisque c'est à partir de ce moment que les J.uifs se sont préparés à immoler le Sauveur. Et en effet, le mot parasceve, que nous traduisons par la veille, signifie préparation. Dès lors, à partir de la neuvième heure de la nuit jusqu'au crucifiement, on arrive à la sixième heure de la préparation selon saint Jean, et à la troisième heure du jour selon saint Marc. Il suit de là que la troisième heure dont parle saint Marc, sous forme de récapitulation, ne fut pas celle où les J.uifs crièrent: "Crucifie, crucifie-le; " il appelle troisième heure celle où Jésus fut attaché à la croix.
Quel fidèle n'adopterait pas cette solution, si quelque chose nous faisait clairement comprendre que c'est à la neuvième heure de la nuit que commença la préparation de notre Pâque, c'est-à-dire la préparation de la mort de Jésus-Christ ? Dirons-nous que cette préparation commença au moment où Jésus fut garrotté par les J.uifs ? Mais on n'était alors qu'à la première partie de la nuit ? Est-ce quand le Sauveur fut conduit à la maison de Caïphe, où il rendit témoignage en présence du prince des prêtres ?
Mais le coq n'avait pas encore chanté, et c'est au moment où il chantait que Pierre renia son Maître ? Est-ce quand Jésus fut traduit devant Pilate ? Nous savons par l'Ecriture que cette tradition ne se fit que le matin. Il ne nous reste donc plus qu'à voir le commencement de la préparation de la Pâque ou de la mort de Jésus-Christ, dans ce cri lancé par les princes des prêtres : "Il est digne de mort." Cette exclamation se trouve à la fois en saint Marc et en saint Matthieu (1); ce qu'ils racontent du reniement de saint Pierre n'est qu'une récapitulation de ce qui avait été fait auparavant. En effet rien n'empêche de conclure qu'il pouvait être la neuvième heure de la nuit, quand les J.uifs, comme je l'ai dit, demandèrent la mort du Sauveur; depuis ce moment jusqu'à celui où Pilate s'assit sur son tribunal, il s'écoula environ six heures, non pas du jour mais de la préparation à l'immolation du Sauveur ou à la véritable Pâque; cette sixième heure, qui correspondait à la troisième heure du jour, était écoulée quand le Sauveur fut suspendu à la croix.
Quelle que soit donc l'opinion qu'on embrasse, soit cette dernière, soit celle qui voit dans la troisième heure de saint Marc l'heure à laquelle les J.uifs demandèrent le crucifiement de Jésus-Christ, et méritèrent ainsi d'être regardés comme les véritables auteurs du crime, plutôt que les soldats qui l'exécutèrent de leurs propres mains; comme nous l'avons vu, ce fut plutôt le Centurion qui s'approcha du Sauveur, que les amis qu'il avait envoyés à sa rencontre (2); il nous semble avoir résolu suffisamment cette question de l'heure de la passion, question qui soulève l'arrogance des raisonneurs orgueilleux et trouble l'ignorance des faibles.
1 Matt. XXVI, 66; Marc, XIV, 64.
2 Voir ci-dessus. liv. II, ch. 20.
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CHAPITRE XIV. DES DEUX LARRONS CRUCIFIÉS AVEC JÉSUS.
51. Saint Matthieu continue: "Alors furent crucifiés avec lui deux larrons, l'un à droite, l'autre à gauche (1)." Saint Marc et saint Luc rapportent le même fait (2). Saint Jean ne laisse aucun doute sur ce point, quoiqu'il ne donne pas aux crucifiés le nom de voleurs; voici ses paroles: "Et avec lui deux autres, l'un d'un côté et l'autre de l'autre, et Jésus au milieu (3)." On ne pourrait voir de contradiction que si saint Jean désignait comme innocents ceux que les autres évangélistes flétrissent du nom de voleurs.
1 Matt. XXVII, 38.
2 Marc, XV, 27; Luc, XXIII, 33.
3 Jean, XIX, 18.
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CHAPITRE XV. BLASPHÈMES VOMIS CONTRE JÉSUS EN CROIX.
52. Saint Matthieu raconte: "Les passants le blasphémaient et disaient en branlant la tête: Toi qui détruis le temple, et qui le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même; si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix." Saint Marc s'exprime à peu près dans les mêmes termes. Saint Matthieu continue: "En même temps les princes des prêtres, les scribes et les anciens du peuple raillaient, se disant entre eux: Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même. S'il est le roi d'Israël, qu'il descende de la croix et nous croirons en lui. Il met sa confiance en Dieu; s'il le veut, que Dieu le délivre maintenant, lui qui a dit: Je suis le Fils de Dieu (4)." Saint Marc et saint Luc, sans employer les mêmes termes expriment la même idée, l'un omettant ce que l'autre rapporte (5). Quant aux princes des prêtres qui insultèrent Jésus crucifié, nous les trouvons signalés dans ces deux évangélistes, quoique d'une manière différente. Saint Marc ne parle pas des anciens; saint Luc parle en général des princes, sans désigner les princes des prêtres en particulier; d'un seul mot il stigmatise aussi tous les principaux de la nation, prêtres, scribes et anciens du peuple.
4 Matt. XXVII, 39-43.
5 Marc, XV, 29-32; Luc, XXIII, 35-37.
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CHAPITRE XVI. BLASPHÈMES DES LARRONS.
53. Nous lisons en saint Matthieu: "Les larrons eux-mêmes, qui étaient crucifiés avec lui, le couvraient d'invectives (6)." Cette circonstance est aussi rapportée par saint Marc, quoique dans des termes un peu différents. La narration de saint Luc présenterait quelque opposition, si l'on oubliait une manière de parler assez fréquente.
"L'un des deux voleurs, attachés comme lui à la croix, dit saint Luc, lui adressait ces blasphèmes: Si tu es le Christ, sauve-toi, et nous aussi. Mais l'autre se mit à réprimander son complice et à lui dire: Ni toi, non plus, tu n'as donc aucune crainte de Dieu, toi qui subis la même condamnation. Et encore pour nous c'est justice, car nous n'avons que ce que nous avons mérité; pour lui, il n'a fait aucun mal. Et il disait à Jésus: Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez entré dans votre royaume. Jésus lui répondit: En vérité, je te le dis, tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis (1)." Saint Matthieu avait dit: "Les voleurs qui étaient crucifiés avec lui, le blasphémaient;" saint Marc: "Et ceux qui étaient crucifiés avec lui, lui adressaient des injures;" comment donc se peut-il que saint Luc nous dise qu'un seul des deux le blasphémait et que l'autre garda le silence et crut en lui ? Ne devons-nous pas croire que saint Matthieu et saint Marc, dans le but d'abréger le récit, emploient le pluriel pour le singulier? Nous trouvons également, dans l'épître aux Hébreux, cette forme plurielle: "Ils fermèrent la gueule des lions," quand il n'est question que de Daniel; nous y lisons également: "Ils ont été sciés (2), " quand il ne s'agit que d'Isaïe. Les paroles mises au pluriel par le psalmiste: "Les rois de la terre se sont levés et les princes se sont réunis," etc, se retrouvent au pluriel dans les Actes des Apôtres, quand l'idée exigeait le singulier; car les rois y désignent Hérode, Pilate est désigné par le mot princes (3).
Au lieu donc de calomnier l'Evangile, que les païens se rappellent comment leurs auteurs ont fait parler les Phèdre, les Médée et les Clytemnestre, qui auraient du s'exprimer au singulier. Quoi de plus ordinaire, par exemple, que d'entendre dire à quelqu'un: Les paysans m'insultent, quand il n'y en a qu'un pour l'insulter ? Saint Luc serait assurément en contradiction avec les autres en disant qu'un seul voleur lança des blasphèmes, si des paroles des autres auteurs on était forcé de conclure que tous deux blasphémèrent Jésus. Mais il faut remarquer que dans l'un il n'est question que des voleurs, et dans l'autre, de ceux qui étaient crucifiés avec lui, sans addition du mot: "Tous deux." Sans doute cette formule aurait suffi dans le cas où tous deux auraient réellement blasphémé; mais l'usage a permis aussi d'employer la forme plurielle quoiqu'un seul ait commis ce crime.
6 Matt. XXVII, 44.
1 Luc, XXIII. 39-43.
2 Héb. XI, 33-37.
3 Ps. II, 2; Act. IV, 26, 27.
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Par Saint Augustin.
CHAPITRE XVII. DU BREUVAGE OFFERT À JÉSUS.
54. Saint Matthieu continue: "Or depuis la sixième heure jusqu'à la neuvième, toute la terre fut couverte de ténèbres (1)." Ce fait nous est également attesté par les deux autres évangélistes (2). Saint Luc explique même la cause de ces ténèbres, c'est-à-dire que le soleil s'obscurcit. Saint Matthieu ajoute: "Vers la neuvième heure Jésus poussa un grand cri en disant: Eli, Eli, lamina, sabactani; ce qui veut dire: Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m'avez-vous abandonné ? Quelques-uns de ceux qui étaient là présents, entendant ces paroles, disaient: Voilà qu'il appelle Elie." Saint Marc n'emploie pas exactement les mêmes mots, mais il exprime exactement la même pensée. Saint Matthieu reprend: "Et l'un deux accourant, trempa une éponge dans du vinaigre, la fixa au bout d'un roseau et lui offrait à boire."
Saint Marc s'exprime ainsi: L'un d'entre eux accourant, remplit une éponge de vinaigre, la fixa sur un jonc et lui offrait à boire en disant: Attendons et voyons si Elie viendra le délivrer." Ce n'est pas sur les lèvres de celui qui présentait l'éponge que saint Matthieu met ces paroles, mais sur les lèvres des assistants: "Et les autres disaient: laisse, voyons si Elie viendra le délivrer;" de là nous pouvons conclure que tous ont tenu ce langage.
Saint Luc avant de raconter les insultes du voleur rapporte cette circonstance du vinaigre: "Ils se raillaient de lui, dit-il, et les soldats s'approchant lui offrirent du vinaigre en disant: Si tu es le roi des J.uifs, sauve-toi toi-même (3)."Il voulait ainsi exprimer ce qui avait été dit et fait par les soldats. Peu importe du reste qu'il n'ait pas spécifié que ce vinaigre ne lui fut offert que par un seul soldat; nous avons vu plus haut que la coutume permettait d'employer le pluriel pour le singulier. Saint Jean parle aussi du vinaigre: "Ensuite Jésus sachant que tout le reste était accompli, et voulant accomplir l'Ecriture s'écria: J'ai soif. Et il y avait là un vase plein de vinaigre; aussitôt ils en remplirent une éponge qu'ils fixèrent autour d'une tige d'hysope et l'approchèrent de sa bouche (1)."
Saint Jean rapporte de Jésus cette parole: "J'ai soif", et parle d'un vase rempli de vinaigre; si les autres ont gardé le silence sur ces détails, il n'y a pas là de quoi nous étonner.
1 Matt. XXVII, 45-49.
2 Marc, XV, 33-36; Luc, XXIII, 44-46.
3 Luc, XXIII, 36.
1 Jean, XIX, 28-29.
Œuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Tome Vème, Commentaires sur l'Écriture, Bar-le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867. p. 114-256. Les deux premiers livres ont été traduits par M. l'abbé TASSIN, les deux derniers par M. l'Abbé BURLERAUX.
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CHAPITRE XVIII. DES DERNIÈRES PAROLES DU SAUVEUR.
55. Nous lisons dans saint Matthieu: "Jésus poussant de nouveau un grand cri, rendit l'esprit (2)." Saint Marc dit également: "Jésus ayant jeté un grand cri, expira (3)." Saint Luc nous fait connaître les paroles prononcées par le Sauveur en jetant ce grand cri: "Et jetant un grand cri, Jésus dit: Mon Père je remets mon âme entre vos mains, et en disant ces mots il expira (4)." Saint Jean ne parle pas de ces premières paroles prononcées par Jésus et rapportées par saint Matthieu et par saint Marc: "Eli, Eli;" il omet également ces mots rapportés par saint Luc: "Mon Père, je remets mon âme entre vos mains ;" ce cri du reste n'est que celui dont parlent saint Matthieu et saint Marc, sans préciser les paroles qui furent prononcées; et pour nous le faire comprendre, saint Luc a eu soin de dire que Jésus prononça ces mots avec un grand cri.
Mais saint Jean est le seul qui nous cite cette parole proférée par le Sauveur après avoir trempé ses lèvres dans le vinaigre: "Tout est consommé." Voici comment s'exprime saint Jean: "Jésus, ayant pris le vinaigre, dit: Tout est consommé, puis il inclina sa tête et rendit l'esprit (5)." C'est après avoir dit: "Tout est consommé" et avant d'incliner la tête, que fut jeté ce grand cri, omis par saint Jean, et cité par les trois autres évangélistes. En effet, l'ordre naturel nous indique assez clairement que le Sauveur dut prononcer ce mot: "Tout est consommé," quand se furent accomplies en lui toutes les prophéties dont il était l'objet et dont il attendait l'accomplissement avant de mourir, lui qui mourait quand il le voulait; ce n'est qu'alors que se recommandant à son Père il rendit l'esprit. Mais quel que soit l'ordre que l'on croit devoir établir, il faut avant tout se garder avec soin de voir entre les évangélistes la moindre opposition, parce que l'un tait ce que l'autre dit, ou parce que l'un dit ce que l'autre tait.
2 Matt XXVII. 50.
3 Marc, XV, 37.
4 Luc, XXIII, 46.
5 Jean, XIX, 30.
Œuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Tome Vème, Commentaires sur l'Écriture, Bar-le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867. p. 114-256. Les deux premiers livres ont été traduits par M. l'abbé TASSIN, les deux derniers par M. l'Abbé BURLERAUX.
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CHAPITRE XIX. LE VOILE DÉCHIRÉ.
56. "Et voici, dit saint Matthieu, que le voile du temple se déchira en deux parties, de haut en bas (1)." Saint Marc dit de même: "Et le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu'en bas (2)." Saint Luc dit aussi: "Et le voile du temple se déchira dans le milieu (3);" mais cet évangéliste ne suit pas le même ordre que les autres. En effet, voulant ajouter le miracle au miracle, après avoir dit que le soleil s'obscurcit, il ajoute aussitôt: "Et le voile du temple se rompit par le milieu." Il anticipe ainsi sur ce qui se passa au moment de la mort du Sauveur et dont il fait une récapitulation générale, embrassant tout à la fois et le breuvage de vinaigre, et le grand cri et la mort elle-même, toutes choses qui arrivèrent avant le déchirement du voile du temple, après la diffusion des ténèbres.
En effet, saint Matthieu après avoir dit: "Jésus jetant de nouveau un grand cri rendit l'esprit," ajoute aussitôt: "Et voici que le voile du temple se rompit; " c'était affirmer assez clairement que le voile ne se brisa que quand Jésus eut rendu l'esprit. S'il n'eût pas dit: "Et voici;" s'il se fût contenté de dire: "Et le voile du temple se rompit," on ne saurait si le texte de saint Matthieu et de saint Marc ne sont pas une simple récapitulation, tandis que saint Luc aurait suivi l'ordre naturel, ou vice versa; mais ces expressions dissipent tous les doutes.
1 Matt. XXVII, 51
2 Marc, XV, 38.
3 Luc, XXIII, 45.
Œuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Tome Vème, Commentaires sur l'Écriture, Bar-le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867. p. 114-256. Les deux premiers livres ont été traduits par M. l'abbé TASSIN, les deux derniers par M. l'Abbé BURLERAUX.
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CHAPITRE XX. DE L'ÉTONNEMENT DU CENTURION.
57. Saint Matthieu continue: "Et la terre trembla, des rochers se fendirent, des sépulcres s'ouvrirent, et les corps de plusieurs saints qui y étaient endormis ressuscitèrent; et étant sortis de leurs tombeaux ils vinrent à la ville sainte après sa résurrection et se firent voir de plusieurs." Quoique saint Matthieu soit le seul qui nous rapporte ces circonstances, nous n'avons pas à craindre qu'il soit en contradiction avec les autres évangélistes. Il ajoute: "Quant au Centurion et ceux qui gardaient Jésus avec lui, à la vue du tremblement de terre et de tout ce qui se passait, ils éprouvèrent une grande crainte et s'écrièrent: Il était vraiment le Fils de Dieu (1)." Saint Marc s'exprime ainsi: "Le Centurion, qui se tenait en face, voyant que Jésus était mort en jetant un aussi grand cri, se dit: Vraiment cet homme était le Fils de Dieu (2)." Saint Luc: "Le Centurion voyant ce qui s'était passé, glorifia Dieu en disant: Vraiment cet homme était un juste (3)."
D'après saint Matthieu la cause de l'admiration du Centurion et de ceux qui l'accompagnaient ce fut le tremblement de terre; d'après saint Luc, ce fut d'entendre Jésus pousser un grand cri en expirant, ce qui montrait que le moment de sa mort était en son plein pouvoir. Or, je dis qu'il n'y a en tout cela aucune ombre de contradiction; en effet, saint Matthieu ne mentionne pas seulement le tremblement de terre, il ajoute: "Et ce qui s'était passé." Or rien ne pouvait mieux confirmer le récit de saint Luc, puisque si, d'après ce dernier, le Centurion admira la mort du Sauveur, c'est que cette mort devait compter parmi les merveilles qui s'étaient passées. Saint Matthieu ne détaille pas tous ces prodiges, admirés par le centurion et par les soldats; mais les narrateurs n'étaient-ils pas libres de signaler à leur gré tel miracle plutôt que tel autre ? Quelle contradiction peut-il y avoir si l'un nous parle de tel prodige et l'autre de tel autre, puisque ce sont tous ces prodiges qui ont soulevé l'admiration ?
Selon saint Matthieu le centurion dit: "Vraiment il était le Fils de Dieu;" selon saint Marc, il se serait écrié: " Cet homme était vraiment le Fils de Dieu." Mais il est facile de remarquer qu'il n'y a pas plus de contradiction ici que nous n'en avons trouvé dans beaucoup de passages examinés précédemment et que peut se rappeler le lecteur; que ces paroles expriment la même pensée et qu'elle ne change pas, quoiqu'un des évangélistes dise cet homme, tandis que l'autre ne le dit pas. Mais n'y a-t-il pas une opposition véritable entre ces deux évangélistes et saint Luc qui prête au Centurion les paroles suivantes: "Celui-ci était juste," sans lui faire dire qu'il était le Fils de Dieu ?
Et d'abord rien n'empêche de croire que le Centurion a réellement dit du Sauveur qu'il était juste et aussi Fils de Dieu, quoique chaque évangéliste ait omis de citer ces paroles tout entières. Ou bien on peut répondre aussi que saint Luc a voulu donner la raison qui a fait dire au Centurion que Jésus était Fils de Dieu. Peut-être en effet qu'il ne le croyait pas égal à son Père et qu'il ne voyait en lui qu'une filiation spirituelle et morale à cause de sa sainteté même, comme on dit de beaucoup de justes qu'ils sont les enfants de Dieu.
D'un autre côté, saint Luc par cette expression générale: "Le Centurion voyant ce qui s'était passé," résume tous les prodiges qui venaient de s'accomplir à l'heure même. Si donc il n'en spécifie qu'un, c'est qu'il les regarde tous comme ne formant qu'un seul et même tout. Saint Matthieu adjoint au Centurion les soldats qui l'accompagnaient, tandis que les autres gardent le silence sur ce point; mais nous avons déjà dit, que sans impliquer aucune contradiction, l'un peut dire ce que l'autre tait. Enfin saint Matthieu dit des assistants qu'ils furent saisis d'une grande crainte, tandis que saint Luc dit du Centurion qu'il glorifia Dieu; mais il est facile de comprendre que c'est par sa crainte elle même, qu'il glorifia Dieu.
1 Matt. XXVII, 51-54.
2 Marc. XV, 39.
3 Luc, XXIII, 47.
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CHAPITRE XXI. LES SAINTES FEMMES AU CALVAIRE.
58. Selon Saint Matthieu: "Il y avait aussi là, mais éloignées, plusieurs femmes qui étaient venues de la Galilée avec Jésus, pour le servir; de ce nombre étaient Marie-Magdeleine, Marie mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée (1)." Selon saint Marc: "Il y avait là des femmes qui regardaient de loin; de ce nombre étaient Marie-Magdeleine, Marie mère de Jacques le mineur et de Joseph et Salomé. Pendant qu'il était dans la Galilée elles le suivirent pour le servir; et plusieurs autres encore qui étaient venues avec Jésus à Jérusalem (2)."
Je ne vois pas que l'on puisse relever la moindre contradiction entre ces deux textes, car qu'importe que tel auteur se contente de constater la présence de certaines femmes, tandis qu'un autre les désigne par leur nom ? La vérité n'a rien à y voir. Voici le récit de saint Luc: "Et la foule de ceux qui assistaient à ce spectacle et qui voyaient ce qui ce passait, s'en allait en se frappant la poitrine. Tous ceux qui étaient de la connaissance de Jésus se tenaient aussi présents, ainsi que les femmes qui l'avaient suivi depuis la Galilée, et tous contemplaient ce spectacle (1)." On voit que sur la présence des femmes, saint Luc est parfaitement d'accord avec les deux évangélistes précédents, quoiqu’aucune d'elles ne soit ici désignée par son nom. Quant à la foule de ceux qui étaient présents et qui se frappaient la poitrine, saint Luc est d'accord, en cela, avec saint Matthieu, quoique ce dernier ne parle que du centurion et de ceux qui étaient avec lui.
Il n'y a qu'un seul point qui particularise le récit de saint Luc, c'est celui où il parle des connaissances ou amis de Jésus; quant aux femmes, il avait précédemment constaté leur présence, avant la mort du Sauveur: "Auprès de la croix de Jésus, se tenaient, dit-il, la mère, de Jésus et la sœur de sa mère, Marie de Cléophas et Marie-Magdeleine. En apercevant devant lui sa mère et le disciple qu'il aimait, il dit à sa mère: Femme, voilà votre Fils. Ensuite il dit au disciple: Voilà ta mère; et dès cette heure le disciple la prit avec lui (2)." Si saint Matthieu et saint Marc n'avaient pas désigné nominativement Marie-Magdeleine, nous pourrions dire que parmi ces femmes les unes se tenaient au loin et les autres assez près de la croix de Jésus; du reste saint Jean est le seul qui mentionne la présence de la Sainte Vierge. Mais comment admettre avec saint Matthieu et saint Marc que Marie-Magdeleine se tenait au loin près des autres femmes, et avec saint Jean, qu'elle se trouvait au pied de la croix ? A moins qu'on n'admette que ces femmes étaient tout près, parce qu'elles étaient assez rapprochées pour voir Jésus et en être vues, et qu'elles étaient éloignées en comparaison de la foule qui, avec le Centurion, environnait la croix ? On pourrait peut-être dire aussi que les femmes qui accompagnaient la mère du Sauveur, se retirèrent dès que Jésus eut recommandé Marie à son disciple, pour se soustraire à la pression de la foule et contempler de plus loin ce qui se passait. Voilà ce qui nous explique pourquoi les autres évangélistes qui ont parlé de ces femmes après la mort du Sauveur, nous les représentent debout, assez loin de la croix.
1 Matt. XXVII, 55.
2 Marc, XV, 40, 41.
1 Luc. XXIII, 48-43.
2 Jean, XIX, 25-27.
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CHAPITRE XXII. JOSEPH D'ARIMATHIE.
59. Saint Matthieu continue: "Quand le soir fut venu, un homme riche de la ville d'Arimathie, nommé Joseph et qui était aussi disciple de Jésus, vint trouer Pilate et lui demanda le corps de Jésus; Pilate commanda qu'on le lui donnât (1)." Voici le texte de saint Marc: " Quand le soir fut venu, comme on était à la préparation qui précède le sabbat, arriva Joseph d'Arimathie, noble décurion, qui, lui aussi, attendait le royaume de Dieu. Il alla sans crainte trouver Pilate et lui demanda le corps de Jésus. Or, Pilate s'étonnait que Jésus fut déjà mort; il appela donc le centurion et lui demanda si la mort était bien réelle; sur l'affirmation du centurion il donna le corps à Joseph (2)." Saint Luc raconte ainsi le même fait: "Et voici qu'un homme appelé Joseph, lequel était décurion, homme de bien et juste et n'avait pas consenti à leurs desseins et à leurs actions, né à Arimathie, ville de Judée et attendant, lui aussi, le royaume de Dieu, alla trouver Pilate et lui demanda le corps de Jésus (3)."
Après avoir parlé du brisement des jambes infligé à ceux qui avaient été crucifiés avec le Seigneur, et du coup de lance porté au côté du Sauveur, saint Jean, qui seul nous apprend ces détails, rapporte en ces termes la suite des événements: "Après cela Joseph d'Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret, parce qu'il craignait les J.uifs, vint demander à Pilate l'autorisation d'enlever le corps de Jésus. Il vint donc et enleva ce corps (4)." Dans tout cela il n'y a lieu à aucune contradiction. Mais peut-être serait-on tenté de demander pourquoi saint Jean seul fait la remarque que Joseph d'Arimathie n'était que secrètement le disciple de Jésus, parce qu'il craignait les J.uifs: en effet s'il en était ainsi, on s'étonne qu'il ait eu la hardiesse de demander le corps du Sauveur, ce que n'osa faire aucun de ceux qui étaient ses disciples déclarés.
Or cette démarche s'explique facilement, si on se rappelle que la dignité dont il était revêtu, lui donnait un libre accès auprès de Pilate: d'un autre côté, comme il ne s'agissait que de rendre les derniers devoirs à un mort, il ne se crut obligé d'avoir aucun souci des J.uifs, dont il craignait la haine, toutes les fois qu'il s'agissait, pour lui, d'aller entendre les prédications de Jésus.
1 Matt. XXVII, 57, 58
2 Marc, XV, 42-45.
3 Luc, XXIII, 50-52. Jean, XII, 38.
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CHAPITRE XXIII. SÉPULTURE DE JÉSUS.
60. Saint Matthieu ajoute: " Ayant reçu le corps, Joseph l'enveloppa dans un linceul propre et le plaça dans un sépulcre neuf qu'il avait taillé dans la pierre; il approcha ensuite une grande pierre de l'ouverture du tombeau et se retira (1)." Voici saint Marc: "Joseph acheta un linceul, en enveloppa le corps, qu'il déposa ainsi dans un tombeau, taillé dans la pierre; puis il en ferma l'entrée avec une pierre (2)." Selon saint Luc: "Joseph ayant descendu le corps, l'enveloppa d'un linceul et le plaça dans un tombeau taillé, qui n'avait encore servi à personne (3)."
Tous ces textes sont dans une harmonie parfaite; cependant saint Jean nous apprend que Joseph fut aidé dans l'œuvre de la sépulture par Nicodème. Voilà pourquoi il commence ainsi son récit: "Nicodème qui, dès le commencement, était venu trouver Jésus pendant la nuit, vint aussi, apportant environ cent livres d'une composition de myrrhe et d'aloës." Parlant ensuite des deux à la fois il continue: "Ils prirent ensemble le corps de Jésus, et l'enveloppèrent de linceuls, avec des aromates, ainsi que les J.uifs ont coutume d'ensevelir. Or dans le lieu où Jésus avait été crucifié se trouvait un jardin et dans ce jardin un sépulcre tout neuf, où nul n'avait encore été mis. Comme c'était le jour de la préparation des J.uifs pour le sabbat, et que ce sépulcre était proche, ils y placèrent Jésus (4)."
Quelle contradiction peut-on trouver dans ce texte ? Les Évangélistes, qui ne parlent pas de Nicodème, ne disent pas non plus que Joseph d'Arimathie ait été seul pour ensevelir le Sauveur. A moins qu'on ne prétende que, quand Joseph eut enveloppé le corps dans un linceul, Nicodème se présenta à son tour, avec un nouveau linceul et l'employa également; c'est là en effet ce qui semble indiqué par saint Jean, quand il parle des linceuls ou linges. Mais en supposant qu'on n'eût employé qu'un seul linceul, saint Jean aurait pu encore mettre le mot linge au pluriel; car outre le linceul il y avait le suaire qui cachait la tête et les bandelettes qui enveloppaient le corps tout entier et qui toutes devaient être de lin. De là le mot latin lintea, linges.
1 Matt. XXVII, 69, 60.
2 Marc, XV, 46.
3 Luc, XXIII, 63.
4 Jean, XIX, 39-42.
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CHAPITRE XXIV. CIRCONSTANCES DE LA RÉSURRECTION.
61. Nous lisons en saint Matthieu: "Or il y avait là Marie-Magdeleine et l'autre Marie, assises contre le sépulcre (1)." Saint Marc raconte ainsi le même fait: "Or Marie-Magdeleine et Marie de Joseph regardaient où on plaçait Jésus (2)." C'est absolument la même pensée dans des termes différents.
1 Matt. XXVII, 61.
2 Marc, XV, 47.
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CHAPITRE XXIV. CIRCONSTANCES DE LA RÉSURRECTION.
62. Saint Matthieu continue: "Le lendemain, qui était le jour du Sabbat, les princes des prêtres et les pharisiens se réunirent auprès de Pilate et lui dirent: Seigneur, nous nous sommes rappelé que cet imposteur a dit, lorsqu'il était encore en vie: Je ressusciterai après trois jours. Commandez donc que le sépulcre soit gardé jusqu'au troisième jour, dans la crainte que, peut-être, ses disciples ne viennent dérober son corps, et ne disent ensuite au peuple: Il est ressuscité d'entre les morts, et qu'ainsi il ne s'accrédite une erreur pire que la première. Pilate leur répondit: Vous avez une garde, allez donc et faites-le garder comme vous l'entendrez. Ils s'en allèrent ainsi, et s'assurèrent du sépulcre en scellant la pierre qui en fermait l'entrée et en y laissant des gardes (3)." Saint Matthieu seul nous fait connaître cette circonstance, mais les autres Évangélistes ne disent rien qui puisse contredire.
3 Matt. XXVII, 62-66.
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CHAPITRE XXIV. CIRCONSTANCES DE LA RÉSURRECTION.
63. Le même auteur ajoute: "Cette semaine étant passée, lorsque le premier jour de la semaine suivante commençait à luire, Marie-Magdeleine et l'autre Marie vinrent pour visiter le sépulcre. Et voilà qu'il se fit un grand tremblement de terre, car un Ange du Seigneur descendit du ciel, vint renverser la pierre et s'assit dessus. Son visage était brillant comme un éclair et ses vêtements blancs comme la neige. Et les gardes en furent saisis de frayeur et devinrent comme morts. Mais l'Ange s'adressant aux femmes, leur dit: Pour vous, ne craignez point, car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié. Il n'est point ici; il est ressuscité, comme il l'avait dit. Venez voir le lieu où le Seigneur avait été mis. Puis hâtez-vous d'aller dire à ses disciples: Il est ressuscité et il vous précède en Galilée, c'est là que vous le verrez. Voilà ce que je vous annonce. Elles sortirent aussitôt du sépulcre, saisies de crainte et transportées de joie, et elles coururent porter ces nouvelles à ses disciples. Et voilà que Jésus se présenta à elles et leur dit : Je vous salue. Et elles s'approchèrent de lui, embrassèrent ses pieds et l'adorèrent. Alors Jésus leur dit: Ne craignez point: allez, dites à mes frères qu'ils se rendent en Galilée: c'est là qu'ils me verront. Quand elles furent parties, quelques-uns des gardes vinrent à la ville et rapportèrent aux princes des prêtres tout ce qui s'était passé. Et s'étant assemblés avec les anciens, et ayant délibéré ensemble, ils donnèrent une grosse somme d'argent aux soldats et leur dirent: Publiez que ses disciples sont venus la nuit, et l'ont dérobé pendant que vous dormiez. Si cela vient à la connaissance du gouverneur, nous l'apaiserons et nous vous mettrons en sûreté (1)." Saint Marc raconte le même fait (2).
Mais on peut demander comment, selon saint Matthieu, l'ange se tenait assis sur la pierre du sépulcre après qu'elle eut été renversée. En effet, saint Marc nous dit que les saintes femmes entrèrent dans le sépulcre et y virent un jeune homme assis, vêtu d'une robe blanche, et qu'elles furent saisies d'étonnement. On peut d'abord supposer que saint Matthieu ne dit rien de ce second ange qu'elles virent en entrant, et que saint Marc ne dit rien de celui qu'elles virent assis hors du tombeau.
Dans cette interprétation il faudrait admettre la présence de deux anges, qui tous deux leur parlèrent de Jésus, l'un assis en dehors sur la pierre et l'autre assis à droite du sépulcre dans l'intérieur du tombeau. Au moment où elles allaient entrer, l'ange qui était assis au-dehors les encouragea en ces termes: "Venez et voyez le lieu où le Seigneur avait été placé." Étant donc entrées, elles virent l'autre ange dont saint Matthieu ne parle pas et qui, selon saint Marc, était assis à droite et devait leur adresser à peu près le même lamage. Quoiqu'il en soit, il est certain que la pierre dans laquelle avait été creusé l'endroit de la sépulture, était précédée d'une sorte de barrière à travers laquelle on arrivait au tombeau; de cette manière l'ange que saint Marc nous représente assis à droite du sépulcre peut fort bien être celui que saint Matthieu nous représente assis sur la pierre que le tremblement de terre avait renversée à l'entrée du tombeau c'est-à-dire du sépulcre qui était creusé dans la pierre.
1 Matt. XXVIII, 1-15.
2 Marc, XVI, 1-11.
Œuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Tome Vème, Commentaires sur l'Écriture, Bar-le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867. p. 114-256. Les deux premiers livres ont été traduits par M. l'abbé TASSIN, les deux derniers par M. l'Abbé BURLERAUX.
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64. On peut aussi se demander comment saint Marc a pu dire, en parlant des saintes femmes: "Elles s'enfuirent hors du tombeau; car la crainte et la frayeur les avait saisies; elles ne parlèrent à personne parce qu'elles étaient tremblantes de crainte." Saint Matthieu dit, au contraire: " Elles sortirent aussitôt du sépulcre, saisies de crainte et d'une grande joie et coururent tout annoncer aux disciples." Mais il nous semble que l'on concilie parfaitement ces deux passages, en admettant que ces femmes n'osèrent rien répondre à ce que les anges leur disaient, ni rien dire aux gardiens qu'elles voyaient morts de frayeur. Quant à cette joie dont parle saint Matthieu, elle peut se concilier facilement avec la crainte dont parle saint Marc. Nous devons admettre que ces deux sentiments envahirent simultanément leur cœur, lors même que saint Matthieu ne parlerait pas de la crainte, ce qui n'est pas; car il dit expressément: "Elles sortirent aussitôt du sépulcre saisies de crainte et d'une grande joie." Cette question est ainsi parfaitement résolue.
Œuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Tome Vème, Commentaires sur l'Écriture, Bar-le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867. p. 114-256. Les deux premiers livres ont été traduits par M. l'abbé TASSIN, les deux derniers par M. l'Abbé BURLERAUX.
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65. Il y a aussi à examiner une importante question relative à l'heure de l'arrivée des femmes au tombeau. Voici le texte de saint Matthieu: "Le soir du sabbat, lorsque le premier jour de la semaine suivante commençait à luire, Marie-Magdeleine et l'autre Marie vinrent pour visiter le sépulcre." Saint Marc dit au contraire: "Et le premier jour de la semaine, de grand matin, elles viennent au tombeau, au moment où le soleil se levait." Les deux autres Évangélistes, saint Luc et saint Jean formulent la même pensée: "De grand matin," dit saint Luc; "Le matin, quand les ténèbres régnaient encore," dit saint Jean. C'est absolument le sens de ces paroles de saint Marc: "De grand matin, quand le soleil se levait," c'est-à-dire, quand le ciel commençait à blanchir du côté de l'Orient; c'est ce qui a lieu à l'approche du soleil, quand se produit le phénomène de l'aurore. Saint Jean a donc pu dire: "Quand les ténèbres régnaient encore," car ce n'est qu'à mesure que le soleil monte à l'horizon, que les ténèbres se dissipent insensiblement et disparaissent. Ces paroles: "De grand matin," ne doivent donc pas s'entendre en ce sens que le soleil eût déjà été sur la terre.
C'est ainsi que nous parlons quand nous voulons que quelque chose se fasse de très bonne heure. Si nous disons le matin, nous entendons que ce soit avant que le soleil darde pleinement ses rayons sur la terre; nous ajoutons de grand matin, quand nous désignons le moment où le ciel commence seulement à blanchir. De même après que le coq a fait entendre tous ses chants du matin, nous disons; il est matin; mais quand le soleil ne fait encore que rougir ou blanchi, nous disons, de grand matin. Il importe donc peu que saint Marc ait dit: "le matin:" Saint Luc: "au premier rayon du jour," ou qu'ils aient ajouté de grand matin, quand le jour commençait seulement à poindre. Saint Jean a parfaitement exprimé cette pensée en disant: "Le matin, quand les ténèbres n'avalent pas encore disparu, au lever du soleil," c'est-à-dire quand, à son lever, le ciel commence à s'éclairer.
Mais comment concilier avec ces passages, celui de saint Matthieu qui sans parler du matin se contente de dire: "Le soir du sabbat, quand le premier jour de la semaine suivante commençait à luire ? " Si saint Matthieu mentionne la première partie de la nuit, c'est pour signifier la nuit même à la fin de laquelle les femmes vinrent au tombeau. Et s'il donne ce nom à la nuit tout entière, c'est que dès le soir il était permis d'apporter des aromates, puisque le sabbat était passé. Comme elles ne pouvaient en apporter durant le sabbat, n'était-il pas naturel de faire commencer la nuit au moment où elles reprenaient le droit de faire ce qu'elles voulaient que fût d'ailleurs l'instant précis où elles le feraient ? Ces mots: "Le soir du sabbat," signifient donc la nuit du sabbat ou la nuit qui suivit le jour du sabbat. C'est ce qu'exprime parfaitement le texte : "Le soir du sabbat, quand le premier jour de la semaine suivante commençait à luire." Ce texte n'a de sens qu'autant qu'il désigne la nuit tout entière et pas seulement le commencement de la nuit; car ce n'est pas au commencement de la nuit mais à la fin que commence à luire le premier jour de la semaine.
D'ailleurs, comme le commencement de la seconde moitié de la nuit est la fin de la première moitié, ainsi le jour termine la nuit entière. Il en résulte donc encore qu'à moins d'entendre par soir la nuit qui finit avec le jour, on ne peut dire que le soir finit quand le jour commence à luire. De plus il est assez ordinaire, dans le langage de la Sainte Écriture, de prendre la partie pour le tout; de prendre le soir du jour précédent pour la nuit tout entière qui se termine par le point du jour. Or, c'est au premier point du jour que les femmes vinrent au tombeau, et par là même durant la nuit désignée par le soir. Ce mot, nous l'avons dit, désigne la nuit tout entière; c'était donc venir pendant cette nuit que de venir à quelque moment que ce fût de la nuit. Elles vinrent dans la seconde partie. Or le soir qui finit à l'aube du premier jour de la semaine désignant la nuit tout entière, en venant durant cette nuit, elles vinrent le soir ; et elles vinrent cette nuit, puisqu’elles vinrent durant la dernière partie de cette nuit même.
Œuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Tome Vème, Commentaires sur l'Écriture, Bar-le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867. p. 114-256. Les deux premiers livres ont été traduits par M. l'abbé TASSIN, les deux derniers par M. l'Abbé BURLERAUX.
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66. N'en est-il pas ainsi des trois jours qui s'écoulèrent depuis la mort jusqu'à la résurrection du Sauveur ? Pour que l'on puisse les compter, il faut, suivant l'usage assez ordinaire, prendre la partie pour le tout. Jésus-Christ avait dit en personne: "Comme Jonas a été trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, de même le Fils de l'homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre (1)." Que l'on compte depuis le moment de sa mort ou de sa sépulture, on n'arrive pas à trouver les trois jours entiers. Mais il en est autrement si on suit la règle déjà si souvent exposée: le jour intermédiaire ou le sabbat forme un jour tout entier, la veille du sabbat ou préparation et le premier jour de la semaine ou le dimanche sont également comptés comme deux jours, parce qu'on prend la partie pour le tout. Ce principe résout sur-le-champ les difficultés inextricables que rencontrent tous ceux qui veulent s'en tenir à la rigueur de la lettre et qui ignorent combien de difficultés fait disparaître dans l'Écriture la locution qui prend la partie pour le tout. Ainsi, d'après eux, la première nuit comprendrait les trois heures, depuis la sixième jusqu'à la neuvième, pendant lesquelles le soleil s'est obscurci; les trois autres heures, depuis la neuvième jusqu'au coucher du soleil, et durant lesquelles cet astre se montra de nouveau à la terre constitueraient le premier jour. Vient ensuite la nuit qui précède le sabbat, puis le sabbat tout entier, ce qui constitue déjà deux nuits et deux jours. Après le sabbat vient la nuit du premier jour de la semaine ou du dimanche, le jour même où le Sauveur est ressuscité; cela fait seulement deux nuits, deux jours et une nuit, quand même on prendrait cette nuit dans toute son intégrité et quand nous n'aurions pas démontré que le point du jour de la résurrection en est la dernière partie.
Ainsi donc, sans tenir compte des six heures de la passion, pendant trois desquelles le soleil s'obscurcit, pour briller pendant les trois autres, on obtiendra mieux les trois jours et les trois nuits. Car, en prenant, avec l'Ecriture, la partie pour le tout, nous comptons la fin du jour de la mort et de la sépulture ou du vendredi avec la partie de la nuit qui précède le sabbat, pour un jour et une nuit; nous avons ensuite le sabbat avec son jour tout entier et sa nuit tout entière; enfin la nuit du dimanche qui suit le samedi et commence le jour du dimanche, qui forme le troisième jour, et ainsi nous obtenons trois jours et trois nuits. Nous trouvons quelque chose de semblable dans une circonstance de la vie du Sauveur, quand il monte sur la montagne. Saint Matthieu et saint Marc nous disent: "Six jours après," ils ne tiennent pas compte des parties de jours; saint Luc en tient compte et dit: "Huit jours après (1)."
1 Matt. XII, 40.
1 Ci-dessus, liv. II, ch. 56. n. 113.
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67. Occupons-nous maintenant de considérer comment tout le reste concorde avec saint Matthieu. Saint Luc affirme clairement que les femmes virent deux anges, au moment où elles vinrent au tombeau. Les deux autres Évangélistes nous en ont mentionné chacun un; saint Matthieu parle de celui qui était assis en dehors du tombeau, et saint Marc de celui qui était assis à droite dans l'intérieur du sépulcre. Voici maintenant le récit de saint Luc: "Or, ce jour était celui de la préparation, et le sabbat allait commencer. Les femmes qui étaient venues de Galilée avec Jésus, virent le sépulcre et comment on y avait placé le corps de Jésus. Et s'en étant retournées, elles préparèrent des aromates et des parfums et elles se tinrent en repos le jour du sabbat, selon la loi. Mais le premier jour de la semaine, ces femmes vinrent au tombeau de grand matin, et apportèrent les parfums qu'elles avaient préparés. Et elles virent que la pierre qui était au-devant du sépulcre en avait été ôtée. Et étant entrées, elles ne trouvèrent point le corps du Seigneur Jésus. Elles en étaient dans la consternation, quand deux hommes parurent tout-à-coup devant elles avec des robes éclatantes. Et comme elles étaient saisies de frayeur, et qu’elles se tenaient le front courbé vers la terre, ils leur dirent: Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? Il n'est point ici, il est ressuscité. Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu'il était encore en Galilée, et qu'il disait: Il faut que le Fils de l'homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu'il soit crucifié et qu'il ressuscite le troisième jour. Et elles se ressouvinrent en effet des paroles de Jésus. Et étant revenues du sépulcre, elles racontèrent tout ceci aux onze et à tous les autres (1)."
Comment donc ces deux anges furent-ils vus assis, l'un au dehors, selon saint Matthieu et l'autre à droite dans l'intérieur, selon saint Marc, tandis que saint Luc nous les représente tous les deux en face des saintes femmes, quoique tenant à peu près le même langage ? Nous pouvons admettre qu'en arrivant auprès du tombeau elles virent, assis au dehors, sur la pierre, l'ange dont nous parle saint Matthieu; puis franchissant la barrière qui faisait au tombeau une sorte de vestibule, et en séparait l'entrée du tombeau lui-même, elles pénétrèrent dans le vestibule et aperçurent l'ange assis à droite sur la pierre qui avait fermé le sépulcre, c'est l'Ange de saint Marc; enfin elles examinèrent attentivement le lieu où avait été déposé le corps du Sauveur et alors, tout à fait dans l'intérieur, elles aperçurent deux autres anges qui leur parlèrent à peu près de la même manière, pour soutenir leur courage et affermir leur foi ; ce sont les deux anges dont parle saint Luc.
1 Luc, XXIII, 64; XXIV, 12.
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68. Reste maintenant à voir si le texte de saint Jean peut s'accorder avec ce qui précède. Le voici: "Le premier jour de la semaine, Marie-Magdeleine vint au sépulcre de grand matin, lorsqu'il faisait encore obscur; et elle vit que la pierre avait été ôtée. Elle courut donc et vint trouver Simon Pierre et cet autre disciple que Jésus aimait et elle leur dit: Ils ont enlevé le Seigneur du sépulcre, et nous ne savons où ils l'ont mis. Pierre sortit aussitôt, pour aller au sépulcre et cet autre disciple avec lui. Ils couraient tous deux ensembles; mais cet autre disciple devança Pierre et arriva le premier au tombeau. Et s'étant baissé, il vit les linceuls qui étaient à terre; mais il n'entra pas. Simon-Pierre qui le suivait, arriva et entra dans le sépulcre; il vit aussi les linceuls qui y étaient, et le suaire qu'on lui avait mis sur la tête, lequel n'était pas avec les linceuls, mais plié dans un lieu à part. Alors cet autre disciple qui était arrivé le premier au sépulcre y entra aussi; et il vit et il crut. Car ils ne savaient pas encore, comme l'Ecriture l'enseigne, qu'il fallait qu'il ressuscitât d'entre les morts. Les disciples après cela rentrèrent chez eux. Mais Marie se tenait dehors, près du sépulcre, versant des larmes.
Comme elle pleurait ainsi, elle se baissa et regardant dans le sépulcre, elle vit deux anges vêtus de blanc, assis au lieu où avait été le corps de Jésus, l'un à sa tête et l'autre aux pieds. "Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répondit: Parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis. Ayant dit cela, elle se retourna et elle vit Jésus qui se tenait là, sans qu'elle sût que ce fût lui. Jésus lui dit: Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Elle, croyant que c'était le jardinier, lui dit: Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis, et je l'emporterai. Jésus lui dit : Marie. Elle, se retournant, lui répondit: Rabboni; c'est-à-dire Maître. Jésus lui dit: Ne me touche point, car je ne suis pas encore monté vers mon Père; mais va trouver mes frères et dis-leur: Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Marie-Magdeleine vint donc dire aux disciples J'ai vu le Seigneur et il m'a dit ces choses (1)." Dans ce narré de saint Jean, tout est parfaitement d'accord quant au jour et au temps ou l'on vint au sépulcre ; comme saint Luc, il nous parle aussi de deux anges. Néanmoins saint Jean nous les représente debout, tandis que saint Luc nous les montre assis; en outre il y a dans ce récit de saint Jean bien des circonstances dont ne parlent pas les autres évangélistes, la suite des événements ne paraît pas la même; sans un examen plus approfondi on pourrait croire qu'il y a là contradiction.
1. Jean, XX, 1-18.
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69. Ainsi donc, ne faisant qu'un seul récit des quatre Évangiles combinés, indiquons, autant que le Seigneur nous en fera la grâce, dans quel ordre a pu se succéder tout ce qui est arrivé dans les premiers moments qui ont suivi la résurrection. Tous s'accordent à dire que c'est le premier jour de la semaine et de grand matin, que l'on vint au tombeau. A ce moment s'était déjà accompli ce qui ne nous est rapporté, que par saint Matthieu, le tremblement de terre, le renversement de la pierre et la frayeur qui se saisit des gardes et les jeta à demi-morts contre terre. D'après saint Jean on vit accourir au tombeau Marie-Magdeleine, sans aucun doute la plus ardente de toutes les femmes qui avaient servi le Sauveur; c'est pour ce motif sans doute que saint Jean ne nomme qu'elle et ne parle pas de celles qui l'accompagnaient. Elle vint donc et bientôt elle s'aperçut que le tombeau était ouvert; sans chercher à se rendre un compte plus exact de l'état des choses, bien persuadée qu'on a enlevé le corps de Jésus, elle court l'annoncer à Pierre et à Jean. Saint Jean est en effet le disciple que Jésus aimait.
Ces deux Apôtres coururent aussitôt au sépulcre; saint Jean arriva le premier, se baissa, reconnut les linceuls, mais n'entra pas. Pierre se présenta bientôt après, pénétra dans le tombeau, vit les linceuls et à côté d'eux le suaire qui avait été placé sur la tète de Jésus. Saint Jean entra ensuite, remarqua les mêmes circonstances, et crut, comme Marie-Magdeleine, que le corps de Jésus avait été enlevé. "Car ils ne savaient pas encore, comme l'enseigne l'Ecriture, qu'il fallait qu'il ressuscitât d'entre les morts." Ils retournèrent ainsi dans leur demeure.
Mais Marie-Magdeleine se tenait auprès du sépulcre en versant de larmes. Elle n'avait pas quitté cet endroit qui précédait le sépulcre de pierre et dans lequel elles étaient entrées. Or, il y avait là un jardin, comme saint Jean nous l'atteste. C'est alors qu'elles virent un ange assis à droite sur la pierre qui avait fermé le tombeau; c'est de cet ange que nous parlent saint Matthieu et saint Marc. " Il leur dit: Pour vous, ne craignez rien; car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié; il n'est point ici; il est ressuscité comme il l'a dit; venez et voyez le lieu où le Seigneur avait été placé. Allez vite et dites à ses disciples qu'il est ressuscité, voilà qu'il vous précède en Galilée, c'est là que vous le verrez, je vous l'assure." Saint Marc s'exprime à peu près de la même manière. A ces paroles Marie, qui pleurait, se courba, jeta ses regards sur le tombeau et, comme le rapporte saint Jean, elle aperçut deux anges, assis et vêtus de blanc; l'un était à la tète et l'autre au pied du sépulcre où Jésus avait été déposé. "Ils lui dirent: Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répond: Parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis." On doit croire qu'alors les anges s’étaient levés, en sorte qu'ils apparaissaient debout, comme saint Luc nous l'atteste. Or, comme ces femmes étaient saisies de crainte et courbées vers la terre: "Pourquoi, leur dirent les anges, cherchez-vous parmi les morts, celui qui est plein de vie; il n'est point ici, mais il est ressuscité: rappelez-vous ce qu'il vous a dit, quand il était encore en Galilée: Il faut que le Fils de l'homme soit livré entre les mains des pécheurs et qu'il soit crucifié, mais il ressuscitera le troisième jour. Et le souvenir de ces paroles leur revint à l'esprit.
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