LES DÉVIATIONS DE L'ART.

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Message  Roger Boivin Lun 12 Sep 2011, 10:58 pm

.

Texte tiré, des pages 310 à 343, d'un ouvrage de
Mgr L.-A. Paquet de l'université Laval :

ÉTUDES et APPRÉCIATIONS
Nouveaux fragments apologétiques
Québec 1934

Nihil Obstat : Arthur Robert, can. Censor. Quebeci die 12a jul. 1934.
Permis d'imprimer : Camille Roy, P. A., V. G. S. S. Q. Québec, le 13 juillet 1934.
Imprimatur : J.-M. Rod. Card. Villeneuve. O. M. I. Arch. Quebec. Quebeci, die 27a jul. 1934.

VOICI :

LES DÉVIATIONS DE L'ART
(1)

I

Parmi les maux dont la société est menacée et qui lui ont déjà porté les atteintes les plus graves, il faut placer l'oubli ou le mépris des règles morales qui gouvernent les productions artistiques.

Que de pièces de théâtre venues d,autres pays, et jouées chez nous par des acteurs étrangers, nous donnent le spectacle d'un art moins soucieux de sa dignité que de l'exploitation lucrative des bas instincts de l'homme, et où les principes fondamentaux de la famille sont attaqués et mis en péril ! Notre conscience chrétienne s'en est, plus d'une fois, émue et justement indignée.

D'autre part, les journaux et les revues d'Europe nous ont apporté, il y a quelques mois, les échos des discutions très vives, des protestations énergiques provoquées par l'apparition de certains écrits dont plusieurs critiques éminents crurent devoir, du point de vue moral, blâmer la lettre ou l'esprit. (2)

(!) Etude présentée à la Société royale du Canada, en mai 1924.

(2) Nous voulons parler surtout de deux romans, l'un nettement pornographique, l'autre fortement imprégné de sensualisme.

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Message  Roger Boivin Lun 12 Sep 2011, 11:14 pm

Ces discussions se sont élargies ; et le problème, d'ailleurs très ancien et très souvent agité, des relations de l'art avec la morale s'est posé, devant le public, dans toute son ampleur. Nous avons eu, à ce propos, des expressions d'opinions plus qu'étranges, et bien propres à alarmer, je ne dirai pas le sens catholique, mais la plus simple et la plus élémentaire honnêteté. On nous permettra d'en reproduire ici quelques-unes où la hardiesse de l'idée, poussée jusqu'à la licence, se donne très libre carrière.

Nous pourrions emprunter des textes à plus d'une nation. Ceux que nous allons citer (1) sont d'écrivains français interrogés par le directeur d'une revue de France, ou personnellement mis en cause par des fermes censeurs.

" Français rejoints, dépassés, par des nations qui ont grandi dans le domaine des réalisations matérielles, nous n'avons plus qu'une supériorité, notre pensée libre, le courage de notre intelligence, générateur de toutes les bravoures, grâce à quoi nous allons plus vite et plus loin que nos concurrents dans le domaine des conceptions intellectuelles. Entraver cet élan d'audace de la pensée des Français, leur arracher la libre discussion, la libre description, la libre opinion, ce serait achever le désastre de la grande guerre " ( Claude Breton ).

(1) D'après la Documentation catholique, 24 février, 3 mars et 10 mars 1923, et 23 fév. 1924.


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Message  Roger Boivin Lun 12 Sep 2011, 11:33 pm

- " Non, non, la liberté de penser et d'écrire doit être totale " ( Marcel Batilliat ).

- " Nous qui avons lutté toute notre vie pour que l'écrivain, sous sa responsabilité de citoyen, disposât d'une liberté totale de penser et d'écrire, nous ne voyons pas sans inquiétude la résurrection d'une censure indirecte " ( Romain Coolus ).

- " Je suis pour la liberté d'écrire absolue, sans aucune réserve. Le premier soin des hommes, quand on leur donne une liberté, est d'ailleurs d'en abuser " ( Roland Dorgelès ).

- " La liberté d'écrire doit rester entière chez nous. L'écrivain doit relever exclusivement de l'opinion publique et de la critique littéraire. L'établissement d'une censure, sous quelque forme que ce soit, serait particulièrement funeste en notre époque " ( Ernest-Charles ).

- " Je pense qu'il ne faut pas remettre en question un droit qui paraissait définitivement acquis : le droit de tout publier. La liberté d'écrire est le plus grand bien. Par conséquent, il n'est pas d'autre bien au nom duquel on puisse, sans attentat, limiter cette liberté " ( Léon Frapié ).

- " Il va de soi que je suis partisan de l'entière liberté d'écrire et même de la licence pour les écrivains " ( Abel Hermant ).

- " Morte est la liberté de pensée, si elle n'a licence de tout dire, sous la réserve comme sous la garantie des lois " ( Victor Marguerite ).
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Message  Roger Boivin Lun 12 Sep 2011, 11:52 pm

- " L'entière liberté d'écrire n,est pas sans dangers, mais ce sont dangers féconds, ceux qui viennent du libre jeu des forces opposées, et non de l'ignoble abdication de l'esprit " ( Romain Rolland ).

Enfin ( d'après George Pioch ), " ce qui importe et seulement importe, c'est de garder la beauté où tend l'oeuvre d'art des coups de la morale ; c'est de nous insurger contre tout ce qui, peu ou prou, nous peut ramener à ce qu'il y eut de plus imbécile et plus vile en France : l'ordre moral. Il n'y a, dans tout ce qui ressortit à l'art, qu'une justice, qu'une vérité : l'Art. " (1)

Ces textes sont significatifs. Et personne, parmi ceux qui ont à cœur l'honneur artistique et littéraire, et la santé morale des âmes et des sociétés, ne niera l'extrême gravité de la question si témérairement résolue par des esprits vains et osés, et où les lois les plus essentielles de la conscience deviennent l'objet du plus audacieux mépris.

(1) Un autre contemporain, Edm. de Haraucourt, tout en répudiant la pornographie, demande que " l'art reste libre ", qu'il s'applique, s'il a quelque souci moral, à ne pas dépasser " l'étiage des mœurs. " - De son côté. Maurice Barrès qui jeta sur les lettres françaises tant de lustre, et dont les sympathies catholiques ne souffrent aucun doute, réclame pour l,artiste le droit de peindre autre chose que " des situations édifiantes, " de " représenter ce qui vit, palpite, s'affole, " de " remuer les passions, " d'évoquer " le monde immense des émotions de l'âme et des affections du cœur " sur lesquelles cependant il appelle le contrôle de la raison.
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Message  Roger Boivin Mar 13 Sep 2011, 7:00 am

Rappelons brièvement, au début de cette étude, la véritable théorie de l'art, et les principes qui la dominent et la régissent. Après quoi, nous indiquerons les erreurs maîtresses d'où ont surgi, comme de leur source, les courants d'opinions pernicieuses professées par tant d'artistes et d'hommes de lettres, et déplorées par les gens de bien. Puis, nous justifierons l'attitude prise, relativement aux dérèglements de l'art, par l'Eglise. Enfin, nous clorons ce travail en répondant, le plus clairement possible, aux arguments qu'invoquent les partisans de la liberté de tout représenter et de tout dire.
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Message  Roger Boivin Mar 13 Sep 2011, 7:21 am

II
L'art, conformément à la doctrine de saint Thomas d'Aquin, (1) peut se définir " l'ensemble des règles propres à diriger l'homme dans l'exécution de ses ouvrages ".

Il se distingue de la science qui a pour objet l'universel, l'absolu, et dont le caractère est spéculatif et immanent, tandis que l'art s'exerce sur une matière particulière et contingente et incline, par sa nature pratique, à quelque opération du dehors.

D'après une division bien connue, les arts sont mécaniques ou libéraux, selon que le corps ou l'esprit joue, dans l’œuvre artistique, un rôle plus ou moins marqué. (2)

Les arts mécaniques prennent le nom de métiers, et on appelle artisans, ceux qui s'y adonnent ; le nom d'artistes, d'autre part, est réservé par l'usage aux ouvriers d'un ordre supérieur, dont le talent s'applique à la culture des arts libéraux. Le métier vise, par un travail bien ordonné, quelque chose de matériellement utile, la réalisation extérieure d'une œuvre secondaire, - bâtiment, vêtement, éclairage, etc., - qui n'est qu'un moyen, pour l'homme, de s'élever plus haut, et d'alimenter sa vie aux sources spirituelles du vrai, du bon et du beau.




(1). Som. théol. I-II, Q. LVII, art. 3-4.

(2). Ibid., art. 3 ad 3.


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Message  Roger Boivin Mar 13 Sep 2011, 7:33 am

L'homme saisit le vrai par l'intelligence qui s'y ajuste et le reflète fidèlement : d'où naissent les travaux de la science. Il se porte vers le bien par les inclinations honnêtes qui sont la force de sa volonté et l'honneur de sa vie, et qui font éclore, dans tous les domaines de l'activité morale, des actes de vertu et de sainteté. Il perçoit le beau par l'exercice combiné de sa raison et de son imagination ; et cette perception, en développant dans son âme le sens et le goût esthétique, donne naissance aux arts libéraux qu'on dénomme très justement les beaux-arts.
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Message  Roger Boivin Mar 13 Sep 2011, 7:52 am

Qu'est-ce donc que le beau ? et comment s'incarne-t-il dans les ouvrages de l'homme ? et par quel lien se rattache-t-il à Dieu et à la science ?

La scolastique ( d'après laquelle les substances corporelles se composent de deux éléments dont l'un, qui est formel, influe sur l'autre de façon à lui imprimer une nature et des qualités spécifiques ), la scolastique veut que le beau consiste dans le resplendissement de la forme sur la matière, sur les parties diverses et proportionnées qu'elle présente, sur les forces et les actions propres aux êtres et qui se déploient, sous l'influence de leur principe, harmonieusement.

Cette description atteint la beauté dans les trois caractères essentiels que lui assigne saint Thomas, (1) l'intégrité, la proportion et l'éclat : l'intégrité, par laquelle les choses acquièrent, sans diminution d'elles-mêmes, la perfection organique ou inorganique à laquelle elles ont droit ; la proportion, qui confère aux parties d'un tout, à ses attibuts ou à ses actes, l'harmonie d'où résulte l'unité de l'ensemble ; l'éclat provenant de l'influence prépondérante de la forme, (2) du rayonnement de l'idéal, dont tous les êtres subsistants portent l'empreinte, sur leur nature, leurs forces et leurs développements.


(1). Som. théol. I, Q. XXXIX, art. 8.

(2). Cf. ibid., I, Q. V, art. 4 ad 1.

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Message  Roger Boivin Mar 13 Sep 2011, 9:46 am

Parcourons du regard, à travers tout ce qui existe, les diverses manifestations du beau : le lac aux contours gracieux, aux eaux pures et calmes où se mire le ciel étoilé ; la moisson drue et ondée sous le vent qui l'incline et le soleil qui la mûrit ; l'oiseau qui chante dans le feuillage, ou s'élève et s'ébat dans l'air et la lumière ; l'homme supérieur par sa raison à tout ce qui l'entoure, dont le front s'éclaire des rayons du génie, et dont l'âme se traduit par un cachet merveilleux d'énergie intellectuelle et de beauté morale ; Dieu enfin, dont rien n'égale l'immortelle splendeur, ni l'infinie perfection dans l'unité de l'essence et l'harmonieuse trinité des personnes.

Partout le beau porte avec soi les éléments constitutifs que l'expérience, la tradition et le goût, lui ont reconnus.

Or, c'est le propre de l'art, créé par l'esprit humain, d'imiter les créations de l'intelligence divine. (1) L'art s'applique à réaliser dans les œuvres de l'homme ce qu'il y a de plus admirable dans les œuvres de la nature. Il remplit donc d'autant mieux sa mission qu'il marque plus profondément ses ouvrages des traits essentiels et caractéristiques du beau, qu'il leur communique dans une mesure plus large, et d'une façon plus géniale, l'intégrité, le rythme, et l'éclat. L'éclat surtout : la splendeur de la forme, le relief des qualités et le brillant des couleurs, d'où jaillit la puissance des types, la perfection achevée des modèles. Qu'il s'agisse de peinture, de sculpture, d'architecture, de musique, de poésie, de roman, d'éloquence, (2) l'artiste s'élève d'autant plus haut qu'il s'inspire davantage de la grandeur de l'idéal. " A ce point de vue de l'idéal, dit l'abbé Vallet, (3) l'art est supérieur à la nature, et la poésie à l'histoire. La nature ne produit que des individus imparfaits et éphémères, tandis que l'art néglige les traits accidentels, réussit à faire vivre l'espèce dans son immuable et idéale beauté. " C'est également l'idée exprimée par Taine, lorsqu'il écrit : " Le propre d'une œuvre d'art est de rendre le caractère essentiel, ou, du moins, un caractère important de l'objet, aussi dominateur et aussi visible qu'il se peut, et, pour cela, l'artiste élague les traits qui le cachent, choisit ceux qui le manifestent, corrige ceux dans lesquels il est altéré, refait ceux dans lesquels il est annulé. " (4)

On peut voir par là combien haute est la vocation de l'art, et par quels rapports nécessaires les œuvres esthétiques se rattachent à l'auteur premier de tout bien et à l'archétype de toute beauté.


(1). S. Thomas, In politic. I, 1. I, Prolog.

(2). L'éloquence tient sans doute de la science par la doctrine qui en est le fond, mais elle tient de l'art par la manière persuasive dont elle présente cette doctrine. ( Som. théol. I-II, Q. LVII, art. 3 ad 3. )

(3). L'idée du beau dans la philosophie de saint Thomas d'Aquin ( Paris, 1883 ), pp. 91-92. - Cf. R. P. Félix, Le Progrès par le Christianisme ( 1867 ). Première Conférence : L'objet et la nature de l'art.

(4). Philosophie de l'art ( 2e éd. ), t. I, p. 39. - Cet ouvrage offre de l'intérêt en ce qui regarde l'histoire de l'art et de ses évolutions, mais il est empreint du naturalisme de l'auteur.

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Message  Roger Boivin Mar 13 Sep 2011, 2:08 pm

Saint Thomas, dans sa Somme théologique,(1) se demande si Dieu est la cause exemplaire de toute chose. Et, dans sa réponse d'une rare élévation de doctrine, l'angélique docteur démontre en effet que les formes des créatures, si admirablement hiérarchisées, préexistent dans l'esprit divin, que les perfections créées remontent, avec l'ordre qui y règne, jusqu'à la pensée divine d'où elles sont issues et qui en forment l'idéal souverain. Un être n'est beau que par le reflet diversement nuancé de cet idéal.(2) Un artiste n'est grand que par ce qu'il a su mettre, de l'idée divine, dans son œuvre humaine. La loi suprême de l'esthétique consiste moins dans un réalisme excessif et souvent répugnant que dans la part de l'idéalisme empruntée par l'art à l'exemplaire divin. C'est une des fonctions de l'art de mener les hommes à Dieu par le rayonnement du Beau, qui est lui-même la splendeur du Vrai.

C'est une autre de ses fonctions, - et non la moins utile, - ­­­­­d'orienter l'âme vers son Créateur par le chemin du Bien.

Le beau est subordonné au bien qui est la règle et la mesure des êtres, parce qu'il en marque le but et en façonne la destinée. Le beau résulte de la cause formelle par laquelle s'épanouit l'essence des choses ; le bien appartient à la cause finale (3) qui meut toutes les autres causes, et à laquelle toute forme constitutive est assujettie. Aussi Dieu a-t-il tout créé finalement pour sa gloire (4) ; et les créatures vraiment belles, et les œuvres où se traduit cette beauté, ne sauraient rien offrir au regard qui les détourne de leur fin dernière : loin de là, elles sont faites, en définitive, pour cette fin.


(1). I, Q. XLIV, art. 3.

(2). Cf. Vers l'éternelle Beauté par le R. P. Ad. Munier, S. J., ouvrage honoré d'un Bref de Pie X.

(3). S. Thom., Som. théol., I, Q. V, art. 4 ad 1.

(4). Id., ibid. I, Q. XLIV, art. 4.
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Message  Roger Boivin Mar 13 Sep 2011, 5:27 pm

Et voilà également pourquoi, entre les différentes formes, matérielles et spirituelles, du beau, règne une hiérarchie nécessaire. " La beauté intellectuelle, comme la beauté physique, écrit l'abbé Vallet, (1) est un moyen par rapport à la beauté morale. Cette dernière est le terme que doit avoir devant les yeux tout artiste, vraiment digne de ce nom, et vers lequel, directement ou indirectement, il doit faire converger ses efforts. " (2) " Qu'est-ce, fait observer Louis Veuillot (3) en parlant des mauvais romans, qu'est-ce qu'un tableau de la vie humaine où ne paraît pas un véritable homme de bien ? Ce défaut est radical. L'absence de la vertu préserve le vice du contraste qui fait ressortir sa laideur ; le vice n'est pas châtié, le lecteur reste privé de leçon. L’œuvre, dès lors, manque aux conditions fondamentales de la bonne création littéraire : elle n'est pas vraiment honnête. Ce qui n'est pas vraiment honnête n'est pas vraiment beau. "

C'est ce que comprirent, chacun à sa manière, et dans un degré plus ou moins marqué, les plus grands artistes chrétiens : les Dante, les Racine, les Tasse, les Raphaël, les Gounod. L'ordre moral, pour eux, dominait les préoccupations de l'art, en conditionnait les conceptions et la mise en œuvre. Ils eussent cru trahir leur génie en ne le tournant point vers Celui en qui réside la raison suprême du monde, et de qui émane toute vérité, toute beauté et toute grâce.


(1). Ouv. cit., p. 319.

(2). Cf. Saint Thomas, Som. théol. II-II, Q. CXLV, art. 2, et Q. CLXXX, art. 2 ad 3.

(3). Pages choisies par Albalat ( nouv. éd. ), p. 221.
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Message  Roger Boivin Mar 13 Sep 2011, 5:45 pm


Lamennais, dans un passage justement admiré et que nous ne pouvons que résumer ici,(1) nous fait voir comment le temple chrétien synthétise en quelque sorte tous les arts : l'architecture d'où il est né, la sculpture qui en réalise les formes, la peinture qui en complète le sens et en rehausse l'éclat, l'appel des cloches qui y convient le peuple, le rythme des chants qui l'y retiennent, le son grave de l'orgue déroulant majestueusement ses accords, l'éloquence du prédicateur animant de son souffle toutes ces voix et toutes ces harmonies. Or, nulle part ailleurs n'apparaissent plus visiblement les destinées véritables, spirituelles, de l'art. Et c'est vers Dieu que monte spontanément la pensée et la prière des fidèles dont l’œil suit avec transport les élévations merveilleuses de l'ogive ou se repose tendrement sur une figure de madone ; dont l'oreille s'ouvre avec émotion aux effluves pénétrants de la musique sacrée, aux promesses, aux invitations, aux menaces d'une parole chaude, onctueuse ou véhémente ; et dont l'âme se sent saisie et remuée jusqu'en ses profondeurs par ces diverses manifestations de l'esthétique religieuse.


(1). De l'art et du beau, ch. II : http://www.archive.org/stream/delartetdubea00lame#page/14/mode/2up




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Message  Roger Boivin Mar 13 Sep 2011, 6:03 pm

III


La religion qui enseigne à l'homme les hautes certitudes de la vérité, et qui ne lui apprend le vrai, fondement du beau, qu'en vue de le porter au bien, constitue pour l'art un admirable foyer d'inspiration.

Les païens manquèrent de cette lumière. Et, chez eux, " l'art réduit à masquer le vide de l'idée religieuse sous le rythme de la phrase, sous la grâce et la pureté de la ligne, loin de recevoir d'elle cet accroissement de force, ce ressort, cette puissance qui lui permettent de s'élever de l'admiration de la forme jusqu'à la vision de la beauté parfaite, et de mettre dans ses oeuvres quelque chose de cette perfection idéale qui éveille en nous l'idée de l'infini et du divin. C'est là, précisément, ce que le Christianisme allait apporter à l'art. " (1)

Nous n'insisterons pas sur ce fait considérable, démontré par l'histoire de tant de chefs-d’œuvre et de monuments chrétiens.

Ce qu'il faut plutôt noter, c'est que les artistes actuels, que le mépris, le préjugé, ou la passion, détournent de l'horizon religieux, se traînent dans l'ornière de l'antique naturalisme païen. Ils refusent de se laisser guider par les dogmes de la foi ; ils obéissent aux dogmes d'une incroyance aveugle qui fausse leur pensée, qui égare leur goût et leur plume.


(1). Renucci, L'influence de la religion dans l'art ( 3e éd. ), p. 12-13.
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Message  Roger Boivin Mar 13 Sep 2011, 9:16 pm

Ces faux dogmes peuvent se réduire à trois : l'intégrité originelle des races humaines ; la théorie d'une liberté sans frein ; la prétention que l'erreur et le mal ont des droits.

L'une des vérités fondamentales du Christianisme, c'est que l'homme déchu, ( par suite du péché d'Adam, de l'état d'innocence et de grâce surnaturelle où Dieu voulut le créer ) (1), porte avec lui, dès sa naissance, l'héritage d'une nature affaiblie dans ses facultés et fortement inclinée au mal. Rien de plus formellement énoncé, depuis les plaintes de Job jusqu'à celle de saint Paul, dans les pages sacrées de la Bible.

C'est cette condition faite à l'homme par la faute primitive, et aggravée par des siècles de défaillance morale et d'ignorance religieuse, qui nous a valu l'inestimable bienfait de la Rédemption.

Le rationalisme nie le péché d'origine et ses conséquences : pour lui, la raison humaine n'a subi aucune éclipse, et le cœur humain n'apporte en naissant que des germes de vertu. C'est la doctrine bien connue de Jean-Jacques Rousseau, (2) et de toute sa postérité de libres viveurs et de libres penseurs. (3) L'homme est naturellement bon : on a tort de gêner ses appétits, de violenter ses penchants. A une nature si éloignée de ce qui est malhonnête, l'art peut se permettre, sans scrupules, d'offrir tous les spectacles et de parler tous les langages.

Cette thèse rationaliste est le renversement de tout le système chrétien : la négation de l'une de nos croyances les mieux établies ; un défi insolent porté aux définitions et aux anathèmes de l'Eglise ; le contrepied d'un fait dont l'expérience atteint profondément tous les hommes, et dont la tyrannie courbe sous sa loi humiliante les âmes les plus nobles et les volontés les plus désireuses de suivre la loi du Christ.


(1). Les parenthèses dans cette phrase, c'est moi, roger, qui les ai rajoutées, afin d'en faciliter la lecture.

(2). Voir l'Emile de cet auteur.

(3). Cf. F. Brunetière, La renaissance du paganisme dans la morale contemporaine ( Discours de combat, lib. Perrin, Paris. )

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Message  Roger Boivin Mer 14 Sep 2011, 12:08 am

La conscience, éclairée par la foi, atteste le désordre originel, et les maladies de l'intelligence, de la volonté, et des sens, qui en ont été la suite. Elle déplore et condamne l'illusion dont se bercent, surtout à notre époque, nombre d'artistes très peu soucieux de ménager, dans leurs œuvres, les délicatesses de la vertu, parce qu'ils en ont perdu la notion exacte, et qu'ils confondent la passion avec le bien, le succès avec le devoir.

De là cette autre thèse, non moins désastreuse pour les âmes et pour les peuples, que l'homme, l'artiste, le lecteur, le spectateur, jouissent d'une liberté absolue à laquelle seules les convenances de l'intérêt et les exigences de l'opinion peuvent mettre un frein.

Autant vaudrait dire que les préceptes de la morale sont supprimés ; que l'humanité ne relève d'aucune autorité supérieure à elle-même ; qu'il ne faut reconnaître ni foi ni loi.

La liberté est une belle et noble chose ; mais l'idée inexacte, erronée, que l'on s'en fait, mène aux pires excès. On ne distingue pas, dans certains milieux, la faculté physique de poser un acte, et la discipline morale à laquelle cette faculté est soumise. Si nous avons le pouvoir de faire le mal, nous avons, par contre, le devoir de l'éviter. Et nous évitons le mal, tout en pouvant le commettre, lorsque nous observons les règles tracées à la conscience par la droite raison, par les préceptes émanés de Dieu, de L'Evangile et de l'Eglise.
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Message  Roger Boivin Mer 14 Sep 2011, 12:47 am

Rien, fait observer Léon XIII, (1) ne saurait être dit ou imaginé de plus absurde et de plus contraire au bon sens que cette assertion : l'homme, étant libre par nature, se trouve exempt de toute contrainte juridique. Au contraire, le fait même de notre liberté naturelle, sujette à tous les écarts, réclame impérieusement l'empire et les directions d'une loi. C'est la loi qui guide l'homme dans ses actions, et c'est elle qui, par la sanction des récompenses et des peines, l'invite à bien faire et le détourne du péché.

D'où il appert que l'art ne saurait s'autoriser d'une liberté sans bornes ; que la liberté morale de tout écrire, de tout sculpter, et de tout peindre, réclamée par des voix audacieuses, n'existe pas ; que les artistes sont justiciables de la loi, de la loi naturelle gravée au fond des consciences, de la loi religieuse, et de la loi civile ; qu'une censure de ces divers tribunaux peut légitimement les atteindre ; et que, pour y échapper, ils n'ont qu'un moyen, d'ailleurs très sûr et très honorable : consulter les lumières de la saine raison, les prescriptions de la foi, et le sens commun de la tradition chrétienne.

Partout, au sein des classes qui forment le monde social, la liberté se voit enclose, par des lois et des règlements, dans de justes limites. La nature matérielle elle-même où l'homme exerce son activité, n'est-elle pas soumise à un régime de coercition ? N'a-t-elle pas des digues pour contenir ses torrents ? des voiles pour protéger sa pudeur ? des cages de fer pour claquemurer ses fauves ? Pourquoi l'art qui s'inspire de la nature, et dont s'honore la société, se déroberait-il à tout contrôle, à toute loi et à toute censure compétente ?

Revendiquerait-il, par hasard, le droit de s'égarer, d'égarer et de scandaliser le public ?


(1). Encycl. Libertas prœstantissimum.
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LES DÉVIATIONS DE L'ART. Empty Re: LES DÉVIATIONS DE L'ART.

Message  Roger Boivin Mer 14 Sep 2011, 8:14 am

Il n'y a pas, quoi qu'on prétende, de droit à l'erreur et au mal. Le contraire est un non-sens. Dans une solide étude sur les droits de la vérité, le R. P. Philippe, rédemptoriste, écrivait récemment (1) : " Dire que la vérité seule a des droit, c'est déclarer tout à la fois que l'intelligence, faite pour posséder la vérité, a le droit de n'être pas induite en erreur ;c'est dire surtout que l'objet connu a le droit de n'être pas connu autrement qu'il n'est et celui d'être connu tel qu'il est. L'infirmité de l'intelligence humaine peut être telle qu'elle ne conçoive pas dans sa perfection l'essence d'un être. Il n'en reste pas moins que ce qu'elle conçoit doit être conforme à ce qui est. Qui ne voit la conclusion que l'on doit tirer immédiatement de là ? Une conception de l'intelligence qui ne répond à aucune réalité objective, ne correspond à rien, c'est-à-dire que pour elle le néant a pris la place de l'objet. Or, c'est une vérité de la Palisse, le néant ou le non-être ne peut avoir de droits, puisqu'il n'est pas.

L'erreur n'a pas de droits, et le mal issu d'une erreur pratique, n'en a pas davantage. Le droit n'implique pas seulement la faculté d'agir ; il exige, de la part de cette faculté, une action conforme à la loi morale et au jugement éclairé de la raison. Et lorsque les actes humains se portent vers le mal, l'énergie déréglée d'où ils procèdent fonctionnent en marge du droit ou mieux contre lui. Elle blesse très souvent les droits de l'homme ; par le fait même du désordre qu'elle entraîne, elle s'insurge contre les droits de Dieu.

L'essence du bien et de la vérité, dit Léon XIII (2), ne peut changer au gré de l'homme, mais elle demeure toujours la même, et, non moins que la nature des choses, elle est immuable. Si l'intelligence adhère à des opinions fausses, si la volonté choisit le mal et s'y attache, ni l'une ni l'autre de ces facultés n'en est grandie, toutes deux déchoient de leur dignité propre et se corrompent. Il n'est donc pas permis de mettre au jour et d'exposer aux yeux des hommes ce qui est contraire à la vertu et à la vérité, et bien moins encore de couvrir cette licence du manteau et de la tutelle des lois.


(1). Docum. cathol. ( 24 mars 1923 ).

(2). Encycl. Immortale Dei.
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Message  Roger Boivin Mer 14 Sep 2011, 4:17 pm

IV


C'est donc avec raison qu'on appelle déviations de l'art les œuvres où l'habilité technique, même parfois la plus marquée, se dépare et se déshonore par des expressions d'idées malsaines, des descriptions lubriques, des apologies du vice, des représentations indécentes, scandaleuses, perversement suggestives.

Et l'Eglise, établie par le Rédempteur des hommes, non seulement pour garder intact le dépôt de la foi, mais aussi pour protéger la morale dans tous les domaines, manquerait gravement à son devoir, si elle ne surveillait d'un œil attentif le mouvement artistique et ne proscrivait, au besoin, l'art coupable. Elle use de cette vigilance. Elle montre ce courage.

Son attitude, vue d'un seul angle, peut paraître sévère ; elle n'est que prudente, clairvoyante et juste.

Les règles de l'Index, si souvent attaquées par les apôtres d'une tolérance licencieuse ou frivole, ont été maintes fois l'objet d'études justificatrices et vengeresses. La législation ecclésiastique, telle que remaniée dans le Code de Droit Canonique sous Pie X, maintient, en substance, dans toute sa rigueur l'antique discipline. (1)

Tout récemment le Saint-Office, dans une communication faite aux évêques, (2) invitait les Ordinaires à prendre des mesures envers les écrivains oublieux du sens catholique dans leur appréciation des œuvres littéraires ou artistiques.

Il marquait, par là même, les devoirs et les responsabilités de l'art. Voici ses paroles :

Il arrive assez fréquemment que certains écrivains, même parmi ceux que l'on considère comme de bons catholiques, dans des journaux ou des revues, louent, exaltent, approuvent des livres, des écrits, des peintures, des sculptures, ou autres productions de la pensée et de l'art contraires à la doctrine catholique ou au sens chrétien, productions parfois formellement condamnées par le Saint-Siège. Or, il est aisé de comprendre quels graves scandales pour les fidèles, quels dommages pour la foi et les mœurs peuvent résulter d'écarts semblables, lorsqu'ils passent inaperçus et impunis sous les yeux des pasteurs des âmes.

Et le Saint-Office, par la voix de son Eminentissime Secrétaire, pressait les évêques de prévenir pareil malheur par l'action la plus prompte et le contrôle le plus énergique.


(1). C. D. C., 1. III, tit. XXIII.

(2). Lettre du 15 mars 1923.
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Message  Roger Boivin Mer 14 Sep 2011, 5:18 pm

Rien de plus opportun, ni de plus raisonnable.

Nous avons énoncé plus haut, en étudiant la nature de l'art, les principes généraux qui régissent et rehaussent ce domaine. Ces principes, justement appliqués, dictent à l'art des limites que celui-ci ne peut convenablement franchir.

Interrogeons à ce sujet l'incomparable penseur que nous nous plaisons à citer, et dont le sentiment, toujours si pondéré, mérite particulièrement qu'on s'y arrête : saint Thomas d'Aquin.

Dans sa Somme (1), l'angélique Docteur formule une distinction importante entre la faculté de bien agir et le bon usage de cette faculté, et il déclare (2) que " pour bien user de son art, l,artiste a besoin d'une vertu morale qui perfectionne sa volonté et qui la dirige dans l'exécution des œuvres artistiques. "

Pourquoi cela ?

C'est que, d'après le même Docteur, (3) il faut considérer dans celui qui se consacre aux travaux de l'art, tout ensemble l'artiste et l'homme. L'artiste, comme tel, vise une fin immédiate particulière, le triomphe de son art dans la réalisation d'une œuvre bien faite ; l'homme, en sa qualité d'homme, tend vers un but plus élevé et commun à tous ses semblables : la possession de Dieu, terme de toute vie humaine, la conquête du ciel par l'observation des préceptes moraux et des ordonnances divines. Or, fait remarquer saint Thomas, " toute fin particulière relève de la fin commune qui la conditionne ". Partant, une œuvre d'art, pour n'être pas défectueuse, doit non seulement ne pas pécher contre les règles essentielles de l'esthétique, mais encore ne pas heurter les lois de la conscience par lesquelles l'homme s'achemine vers sa fin dernière.

Ce raisonnement nous offre, en même temps qu'un témoignage de première valeur, la raison fondamentale des sévérités de l'Eglise contre les dérèglements de l'art.


(1). I-II, Q. LVII, art. 3.

(2). Ibid., ad 2.

(3). I-II, Q. XXI, art. 2 ad 2.


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Message  Roger Boivin Mer 14 Sep 2011, 5:28 pm

Universelle par son but et dans son essence, la loi morale gouverne tout dans le monde. Elle est, pour nous, l'expression de la loi éternelle.(1) Elle participe à l'empire absolu de Dieu, à la souveraineté générale de sa Providence. Elle domine, directement ou indirectement, la nature entière. L'homme lui est soumis avec toutes ses facultés, dans tous ses actes et dans toutes ses œuvres, œuvres scientifiques, œuvres sociales, œuvres politiques, œuvres artistiques. Ce que l'Eglise demande à l'artiste, c'est que, tout en soignant les travaux de son art, il ne dépouille pas sa qualité d'homme et (s'il a été baptisé) sa qualité de chrétien, créé par Dieu, fait définitivement pour Dieu, et assujetti dans son existence à toutes les divines volontés.

Et si la volonté de Dieu, les lois de l'ordre moral, les nécessités du salut, exigent de l'art le sacrifice de certaines hardiesses, de certaines crudités, de certaines peintures voluptueuses et fascinatrices, le sacrifice de ce qui captive l'imagination mais ravale l'esprit, de ce qui flatte les sens mais souille le cœur, de ce qui remue les passions sans pouvoir les contenir, de ce qui soulève les flots du mal sans pouvoir les calmer, de ce qui favorise une popularité de mauvais aloi mais tourne en dérision la vertu, l'artiste conscient de lui-même n'hésite pas à consentir ce que sa vocation lui prescrit. Il se classe, de ce fait, parmi les hommes de devoir. Il se hausse, par la noblesse de ses concepts et la dignité de son œuvre, jusqu'à l'idéal de la pensée divine, et il se grandit, par là même, non seulement aux yeux de Dieu, mais dans la conscience de l'humanité, dans l'estime des générations, et dans les jugements de l'histoire.


(1). Som. théol. I-II, Q. XCI, art. 2.

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Message  Roger Boivin Mer 14 Sep 2011, 7:25 pm

" L'art, a dit Ernest Hello,(1) est une ascension. Sa loi est de monter, et cette vérité générale explique ses tendances vraies ou fausses. Poussé par sa nature vers le type éternel des choses, il tend du côté de l'idéal. Son œil pénètre dans les choses pour scruter ce qu'il y a d'essentiel en elles. Il cherche par où elles tiennent à la vérité, et c'est par là qu'il les regarde. L'art est le souvenir de la présence universelle de Dieu. " Ces mots, en apparence énigmatiques, ne manquent pas d'une réelle profondeur. Ils s'accordent avec l'idée et la description véritable du beau, du beau divin répandu dans les créatures, et que l'artiste dont le regard n'est pas obnubilé, s'applique à bien saisir et à mettre en tout son relief.

Ils font également comprendre pourquoi s'imposent à l'art un devoir négatif et une tâche positive : un devoir négatif, tracé formellement par l'Eglise, qui est de ne blesser en rien, dans les écrits ou les représentations, la vérité qui rayonne de Dieu et la morale que cette vérité implique ; une tâche positive par laquelle l'artiste, selon les convenances du sujet qu'il traite, communique à son œuvre, tantôt un cachet expressément religieux, tantôt des traits de beauté et de vérité naturelle où se reflète en quelque façon, par la pureté des lignes, la lumière du regard, la richesse du coloris, les étincelles du ciel, la splendeur divine elle-même. C'est ce qui a fait dire au Père Félix(2) que " l'idéal de Dieu, pareille à un lustre suspendu sur le monde, éclaire d'un reflet de l'invisible toutes les beautés visibles ", et que, " par cette irradiation, elle ouvre au génie artistique les perspectives de l'infini. "


(1). L'homme, p. 380.

(2). Ouv. cit. pp. 124 et suiv.

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Message  Roger Boivin Mer 14 Sep 2011, 7:49 pm

V


Les partisans de l'absolue liberté de l'art se retranchent derrière des prétextes, des arguments, des raisonnements, dont il n'est pas difficile, croyons-nous, de montrer l'inanité.

La religion réprouve leurs procédés. Ils s'attaquent à la religion, et ils s'emportent contre l'Eglise qu'ils représentent comme hostile aux progrès artistiques. Est-il rien de moins fondé ?

Ceux qui ont visité la ville des Papes, les musées, les galeries, la bibliothèque du Vatican, et qui se sont arrêtés devant les superbes monuments d'architecture dus à la magnificence pontificale, savent jusqu'à quel point l'Eglise est désireuse d'associer au triomphe de la vérité et de la sainteté, sur le théâtre central de son action, les plus glorieuses manifestations de l'art.

Ce souci date des premiers siècles chrétiens. Il inspira le respect contenu et vigilant dont on ne cessa d'entourer les chefs-d’œuvre de l'art païen. Et à travers les persécutions prises pour garantir l'humaine faiblesse des séductions de cet art, tous les âges ont vu transparaître le ferme dessein d'épargner et de conserver, dans les œuvres du génie antique, ce qui mérite de l'être, et de faire servir ces œuvres, sagement interprétées ou heureusement transformées, à la glorification de Dieu.
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Message  Roger Boivin Mer 14 Sep 2011, 8:18 pm

Le célèbre mouvement de la renaissance des XVe et XVIe siècles n'a pas été exempt de graves écarts. (1) Il atteste, du moins, hautement combien le sens du beau, dans la pensée ecclésiastique, s'harmonise avec le culte du vrai et du bien.

Il existe un document de Léon XIII,(2) qui est un modèle de style, où le grand Pape, humaniste autant que théologien, s'est plu à célébrer les gloires de la littérature gréco-latine.

De son côté, Benoît XV, à l'occasion du sixième centenaire de la mort de Dante Alighieri, n'a pas cru, naguère, pouvoir s'abstenir de faire, dans une lettre solonnelle, l'éloge (3) de ce poète italien si justement renommé. Le Souverain Pontife exalte dans Alighieri l'artiste et le chrétien, artiste d'autant plus remarquable qu'il a su s'inspirer de doctrines plus élevées.

Il convient, dit-il, d'admirer la prodigieuse ampleur et la pénétration de son génie. Mais il faut se souvenir également qu'une grande part de sa force a été puisée dans la foi divine ; ce qui explique que Dante soit redevable de la beauté de son œuvre principale autant aux splendeurs variées de la vérité révélée qu'à toutes les ressources de l'art.


(1). Nous en parlons dans notre volume de Droit public de l'Eglise, L'Eglise et l'Education, Ie P., ch. IX.

(2). Bref Plane quidem, 20 mai 1885.

(3). Encycl. In prœclara summorum, 30 avril 1921.

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Message  Roger Boivin Mer 14 Sep 2011, 8:19 pm

Non, il n'est pas juste d'affirmer que l'Eglise n'a aucun souci des formes artistiques, qu'elle s'oppose à la culture de l'art : elle n'en méprise que les déchéances ; elle n'en proscrit que les abus.

Ces abus, nos adversaires refusent de les admettre. Ils réclament, pour les hommes d'art et de lettres la liberté des peintures vives et des accents passionnels, d'une mise en scène scabreuse, désinvolte, où s'étalent tous les désordres et toutes les convoitises, des luttes violentes d'instincts, d'appétits et d'intérêts qui amorcent la curiosité et assurent à l'artiste les plus éclatants succès.

" Je pourrais répondre, c'est le Révérend Père Janvier qui parle, (1) que Fra Angelico atteint au sommet de l'art sans recourir à cet étalage de nudité, en faveur aujourd'hui ; que Bossuet est un écrivain sans rival, bien qu'il ait toujours été d'une pudeur scrupuleuse ; que le génie de Racine s'est surpassé dans Esther et Athalie, bien qu'il n'y ait introduit aucune des intrigues capables d'émouvoir les sens. Il me semble plus simple de trancher la question en rappelant que l'art est sujet de la religion ; que, en cas de conflit, il doit soumettre ses lois à celles de l'Evangile. "


(1). Docum. cath. (10 mars 1923), p. 640.
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Message  Roger Boivin Jeu 15 Sep 2011, 8:00 am

Pour être véridique, ne faut-il pas, réplique-t-on, dépeindre la nature telle qu'elle est, dans tout ce qu'elle a de réel, dans ses faiblesses comme dans sa puissance, dans son péché comme dans sa vertu, dans ses laideurs comme dans sa beauté ?

Hâtons-nous de le dire, l'imitation de la nature n'exige pas que l'on aille jusque là. Il y a des misères, des faiblesses, des laideurs naturelles que l'honnête homme ne nie pas, mais que, sans tomber dans le mensonge, il recouvre pudiquement d'un voile. " Si l'art, d'ailleurs, ne peut exactement imiter la nature, il peut faire mieux qu'elle ; s'il ne peut l'égaler, il peut la surpasser. Il y a quelque chose de mieux que le réel, c'est l'idéal ; que le particulier, c'est l'universel ; que l'individu, c'est l'espèce. "(1) C'est l'idée même de saint Thomas, lorsqu'il enseigne(2) que la nature fournit à l'art des sujets de travail, des principes d'inspiration, et que l'artiste s'en sert pour exécuter, d'après l'exemplaire conçu par sa pensée, son œuvre propre. L'art véritable consiste dans " l'unité harmonieuse de l'idéal et de la nature ; c'est la nature couverte des reflets de l'idéal ou l'idéal réfléchi dans la nature ; et c'est le propre du génie artistique de saisir la proportion où ces deux choses doivent s'unir pour faire éclater la splendeur de l'ordre, c'est-à-dire la beauté même. "(3)


(1). Vallet, ouv. cit., p. 277.

(2). In politic., 1. I, Prol.

(3). Félix, ouv. cit. 5e Conf. : le Réalisme dans l'art.

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