L'ART ET LA MORALE

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Message  Roger Boivin Ven 02 Sep 2011, 7:41 pm

Et maintenant, pour ne pas afficher une sévérité qui aux yeux de plus d'un pourrait paraître excessive, nous ferons cette déclaration que nous avons eu plus d'une fois occasion de faire aux artistes eux-mêmes : En nous prononçant comme ci-dessus, nous avons en vue les œuvres, uniquement les œuvres. Les intentions des peintres les regardent ; nous ne prétendons pont les juger, bien que pour un grand nombre, hélas, l'évidence s'impose. Quant aux autres, si nous pouvions sonder les cœurs, nous sommes très persuadé que nous aurions plus d'une surprise. Ce que nous appelons franchement immoral aura paru peut-être à son auteur tout juste libre ou même légitime. Dans certains milieux et dans certaines circonstances, le sens moral subit d'étranges déviations.

Il arrive à l'artiste, à force de s'abstraire dans sa spécialité, de ne plus voir dans les objets que la forme et dans les faits qu'une matière à peindre. Tout son être est concentré dans son regard ; tout son objet se ramasse en surface. Le monde, dirait-on, n'est pour lui qu'un écran que le soleil crible de rayons et où il suit complaisamment, avec le désintéressement de tout, sauf la volupté de ses yeux, les jeux variés de la lumière et de l'ombre. Quand il regarde, les objets lui apparaissent comme des images d'eux-mêmes, et de là naît cette « indifférence au contenu » que d'honnêtes artistes affichent d'une façon naïve. Le regard est par lui-même indifférent ; la forme n'est en soi ni bonne ni mauvaise : s'ils viennent à tout absorber, l'être moral n'est pas touché, n'est pas ému.

Mais ce que les artistes en question devraient se dire, c'est qu'ils sont seuls à concevoir les choses ainsi. S'ils traitent le réel comme une image, le public fait l'inverse, il traite l'image comme du réel. Il ne la voit pas seulement, il la vit. Et qui des deux a raison ? Il nous semble à nous que ce n'est pas l'artiste.

« Vous êtes nés pour l'art, disait Flaubert, si les accidents du monde, dès qu'ils sont perçus, vous apparaissent transposés comme l'emploi d'une illusion à décrire, tellement que toutes les choses, y compris votre existence, ne vous semblent pas avoir d'autre utilité. » - Sans vouloir nier le secours énorme que serait pour l'artiste une telle disposition, peut-on admettre qu'elle soit son tout ? Et l'art n'est-il vraiment qu'une contemplation vague, hors la vie, de formes flottantes et d'actions sans but ? - A nos yeux, le concevoir ainsi, c'est le détacher de sa source, l'isoler de la vraie nature vivante, en couper la racine féconde pour n'en garder que le feuillage, vite flétri. En tout cas, ce qui est bien certain, c'est que cet état d'esprit est très loin, nous le répétons, de celui de la foule. Là où l'artiste n'a vu peut-être qu'un effet, elle voit une chose, et la qualité de cette chose, qui importe peu, prétend-il, à l'artiste, importe au spectateur et agit sur lui. Or a-t-on le droit de négliger cette action, quand on présente son œuvre à l'appréciation du public ?...
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Message  Roger Boivin Ven 02 Sep 2011, 11:16 pm

Mais en dehors de cette inconscience qu'on rencontre souvent chez les artistes, il faut signaler les théories qu'on oppose parfois aux critiques.

En effet s'il en est - c'est trop certain - qui érigent la sensualité en système, qui en font, à la suite de Musset, Hugo, Théophile Gauthier et tant d'autres, une chose honorable, presque sacrée, qu'on peut étaler sans honte et pratiquer sans déshonneur, il en est beaucoup aussi - le plus grand nombre sans doute - qui sentent le besoin d'expliquer autrement leurs hardiesses et d'en apporter quelques excuses.

Il en est qui prétendent qu'il faut exprimer la vie telle qu'elle est, dans ses manifestations les plus viles comme dans les plus nobles. Cela existe-t-il, oui ou non : c'est la seule question qu'il vous permettent. Tout ce qui a le droit d'être a le droit d'être connu, pensent-ils, et l'ignorance ne peut profiter à personne.

Nous connaissons cette théorie ! C'est elle qui a déversé des flots de boue sur notre littérature. Et comme la littérature et les arts vont de pair ; comme ces messieurs de la brosse, de la plume et de l'ébauchoir voisinent un brin et se prêtent des idées l'un à l'autre, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'une même inspiration les dirige.

Une simple observation suffira, pensons-nous, à leur répondre. Êtes-vous historiens, savants, ou bien êtes-vous artistes ? le but de l'historien et du savant c'est le vrai ; - le but de l'artiste c'est le beau, et par conséquent le choix dans le vrai. L'homme de science étudie le mal et en tire un bien ; l'artiste le propose et n'en peut attendre qu'un mal. L'homme de science, quand il prend pour objet une chose perverse, la traite comme un élément étranger ; l'artiste nous met en société avec elle, et par là nous expose à son influence. Puisque l'art est une sympathie, disions-nous, il ne peut se comporter comme s'il était une étude. Tout ce qui n'est pas beau, fût-il vrai, n'est pas du domaine de l'art.

Et ici qu'on ne nous arrête pas sur une misérable équivoque. Il ne s'agit pas de savoir si le laid peut être un élément du beau : si le peintre peut tirer partie d'une verrue et le statuaire d'une bosse ; l'affirmative est très certaine, plus d'un exemple célèbre en pourrait être au besoin fourni, et il faut dire la même chose, évidemment, qu'il s'agisse de verrue à l’œil ou à la conscience, de gibbosité matérielle ou morale. Nous avouerons sans difficulté que Shakespeare a eu le droit de représenter des assassins et Eugène Delacroix des courtisanes ; mais le tout est dans la façon. Ce dont il s'agit, c'est la signification générale d'une œuvre. Nous demandons si une œuvre prise de la réalité, mais dont la signification générale est le laid, demeure encore, comme telle, dans le domaine de l'esthétique, et nous répondons hardiment : Non !

Or l'immoral, comme tel, c'est laid, quelque vrai que cela puisse être.

Sans doute la beauté plastique pourra être entière, tous les attraits de la forme pourront subsister ; mais la forme n'est pas tout, dans une œuvre. L'idée, l'inspiration, la chose exprimée ont une part dans l'impression qu'elle fait éprouver, et si cette idée est mauvaise, si cette inspiration est vicieuse, si la chose exprimée c'est le mal, par conséquent le désordre, par conséquent le laid, le fond de l'ouvrage est vicié, et il devient inesthétique dans la mesure de son immoralité.


Dernière édition par roger le Sam 03 Sep 2011, 8:20 am, édité 1 fois
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Message  Gérard Ven 02 Sep 2011, 11:46 pm

roger a écrit:Sleep

Bravo au somnambule qui a laissé ce message...alors que visiblement vous dormiez !
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Message  Roger Boivin Sam 03 Sep 2011, 8:24 am

Quand on analyse le sentiment du beau, en effet, on découvre qu'il est constitué avant tout par le repos de l'âme dans l'harmonie. Tout ce qui tend, d'une façon ou d'une autre, à troubler cette harmonie est donc, de soi, antiesthétique. Qui ne voit, dès lors, que si le mal apparaît comme la dominante d'un œuvre, si cette œuvre blesse le sens moral ou excite des impressions malsaines, le contre-coup de ce désordre, affectant le sentiment du beau en vertu de l'unité de notre être, en brisera l'harmonie et par suite l'affaiblira.

Qu'on laisse donc à la science, à l'histoire, dont l'objet est le vrai chacune dans son domaine, le soin de s'occuper du mal dans la mesure nécessaire. Que la psychologie l'étudie, que la pathologie s'en inquiète, que la morale elle-même le fréquente de loin pour en graduer les culpabilités et rechercher les remèdes, rien de mieux. Ces délicates études ont alors une raison d'être. Mais dans les arts représentatifs, que peut bien faire l'étalage complaisant du vice ? L'artiste n'y trouve plus son objet propre ; il n'y rencontre que des éléments épars de beauté : l'ensemble, avec cette note discordante de l'immoralité, et, dans la mesure où elle est admise, l'ensemble n'est pas beau. Donc il n'est pas fait pour l'art.

Et puis, quand même tout cela ne serait pas ; quand même le mal moral demeurerait, en soi, du ressort de l'artiste, il faudrait encore le lui interdire.

Certes le domaine de l'art est assez vaste, les beaux et grands sujets assez nombreux pour qu'on soit inexcusable de s'attacher, comme à plaisir, à des imaginations corruptrices. Car, il faut bien que les peintres en question se le disent, elles sont corruptrices les représentations qu'ils nous tracent. Leurs scènes d'alcôve ou de boudoir ne sont pas faites pour élever les cœurs et les porter au bien. Que peuvent faire de pareils tableaux, si ce n'est exercer en faveur du vice une sorte de propagande ? Croit-on qu'on puisse impunément remuer ainsi le fond malsain de notre nature, de cette nature à qui le mal est cher, quoi qu'on fasse, et qui ne porte qu'avec peine le joug fastidieux du devoir ?
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Message  Roger Boivin Sam 03 Sep 2011, 3:40 pm

Tous les sophismes n'empêcheront pas ceci : c'est que le vice est contagieux, que sa force de séduction est immense. La maladie est plus contagieuse que la santé : ainsi la passion est plus contagieuse que la vertu ; car celle-ci consiste en un juste équilibre, et celle-là dans un ébranlement, essentiellement communicable. Quiconque est homme doit savoir cela ; il sert fort peu de faire l'esprit fort en face d'une vérité humiliante. Les attitudes fanfaronnes n'y changent rien : nous savons ce qu'il sont, la plupart du temps, ces chroniqueurs complaisants de la perversité humaine, et nous savons aussi ce que serait la société si des exhibitions de cet ordre devenaient la règle. L'atmosphère impure dans laquelle elles nous feraient vivre aurait vite détruit en nous ce qui reste de délicatesse d'âme et d'élévation.

Sans compter que ce qui rend plus dangereuse encore la libre peinture du vice, c'est la grandeur même de l'art ! c'est l'autorité qui sait prendre ! Tout ce qu'elle touche de son doigt la Muse le magnifie, le consacre ; on la sent tellement faite pour exalter le bien ; l'art dont elle est l'inspiratrice apparaît tellement comme un sacerdoce que lorsqu'elle propose un exemple, une doctrine, on est tout disposé à les recevoir de ses mains. Les formes attachantes dont elle sait revêtir toutes choses, les prestiges qu'exerce sa baguette de fée lui livrent presque sans défense notre imagination séduite. Si elle exerce cette puissance au sujet du mal, elle saura lui donner à nos yeux des couleurs d'innocence. Pour elle, décrire le mal sans commentaire, c'est le réhabiliter.

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Message  Roger Boivin Sam 03 Sep 2011, 4:06 pm

Dira-t-on qu'à côté du mal on peut mettre le correctif qu'il appelle ? On peut, en effet, essayer de tourner contre lui les sympathies du spectateur qui, s'il devient hostile, ne sera plus tenté. Par exemple, à la peinture de la volupté on peut joindre le souvenir des maux qu'elle engendre ; sur les traces du crime on peut faire marcher le châtiment. Si l'on fait ainsi, et si le correctif est assez puissant pour qu'au total l'impression de l’œuvre soit bonne, nous avons convenu plus haut que l'artiste est en règle. Mais combien c'est là chose difficile ! Entre l'attrait prodigieux du mal et celui du bien qui le redresse, qui peut prévoir avec sécurité de quel côté sera la victoire ?

En littérature, il est relativement plus facile de diriger vers un but donné les sympathies de l'auditoire ; l'auteur dispose pour cela de plus nombreuses ressources, et cependant que de mal n'ont-ils pas fait, ces drames, ces romans à thèse prétendue morale ! A l'apparition du roman de Dostoïevski : Crime et Châtiment, un étudiant de Moscou assassina un prêteur sur gages dans des conditions identiques à celles que le romancier imagine. « Certes, écrit le vicomte de Vogüé, l'intention de Dostoïevski n'est pas douteuse, il espère détourner de pareilles actions par le tableau du supplice intime qui les suit ; mais il n'a pas prévu que la force excessive de ses peintures agirait en sens opposé, qu'elle tenterait ce démon de l'imitation qui habite les régions déraisonnables du cerveau. (1)

Si l'on veut détourner les hommes du mal, il n'y a encore qu'un procédé efficace, c'est de les porter au bien. L'artiste, à vrai dire, n'y est pas obligé ; mais que du moins il n'agisse pas en sens inverse. S'il n'est pas essentiel à l'art de flatter directement le sens moral, il lui est essentiel de ne rien blesser dans l'homme, même et surtout le sens moral.

(1) Le roman russe : Distoiewki.

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Message  Roger Boivin Sam 03 Sep 2011, 4:18 pm

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III


Nous arrivons à la seconde catégorie d’œuvres d'art dont nous avons promis de nous occuper : ce sont celles qui ne représentent rien d'immoral en soi ; mais où se rencontre cependant, pour une raison ou pour une autre, un danger pour le spectateur.

Le danger dont nous parlons pourrait être envisagé dans divers ordres de choses, et c'est en littérature avant tout qu'il aurait lieu de le poursuivre ; toutefois puisque nous nous sommes placés, dans cette étude, au point de vue des arts plastiques que les moralistes ont moins fréquemment traité, nous mentionnerons simplement le danger spécial qu'on y constate : nous voulons parler du nu.




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Message  Roger Boivin Sam 03 Sep 2011, 4:53 pm

Le nu, en soi, est chaste comme la nature ; il est saint, étant de Dieu, et il n'a point à se cacher d'être. Il devait se montrer sans honte sous le ciel. Dans l'art, si l'on se place au même point de vue, il en est de même. La glorification de l’œuvre de Dieu, de son chef-d’œuvre, ne devrait que mériter toute louange, ne devrait exciter que l'admiration. Pourquoi serait-il coupable de figurer ce que le Créateur a trouvé bon de faire ? Une œuvre d'art ayant pour sujet la forme humaine, est-elle autre chose qu'un hymne à Dieu, un cri d'admiration écho de celui qui retentit au paradis terrestre, quand Jéhovah, content de son œuvre, se félicita lui-même et dit : C'est bien !

Tout cela, en soi, est parfaitement juste. Mais par malheur, les choses en soi ne gouvernent pas ce monde.

La nature humaine n'est pas intacte : voilà ce qu'il n'est pas permis d'oublier dans une question de cette nature. Ceux qui essaient de le faire par orgueil et qui nient la chute originelle ne voient-ils pas qu'en réalité ils se privent ainsi d,une gloire ? Ils ne peuvent refuser à l'évidence l'aveu de leur présente bassesse ; ils ne font donc qu'une chose : renier leur ancienne grandeur.

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Message  Roger Boivin Sam 03 Sep 2011, 5:14 pm

Seule la révélation chrétienne sait tout concilier en cette matière. Pour elle la chair a été bénie de Dieu au premier jour ; à la fin des temps, alors que Dieu la reconstituera selon des lois nouvelles, au sein d'un monde régénéré, elle doit reconquérir et voir multiplier sa gloire. Mais à l'heur présente il lui convient de rester dans l'ombre. Elle est non pas maudite, mais suspecte : la sagesse consiste, à son égard, à la tenir perpétuellement soumise, et, autant que les nécessités de la vie le permettent, à la mettre en oubli. C'est à quoi tend, au point de vue qui nous occupe, ce sentiment délicat qui s'appelle la pudeur.

La pudeur n'est pas un préjugé, c'est le signe de la noblesse persistante de l'âme humaine dans sa décadence, de l'âme humaine qui ne se résigne pas à la perte de son empire sur la chair, et qui sent le besoin de dissimuler sa défaite. Oublier cela, c'est : ou faire l'ange hors de saison, ou se rapprocher de la bête qui obéit sans remords à tous les instincts de nature et qui, n'ayant pas la royauté de l'intelligence, ignore en même temps les hontes de l'esclavages des sens.

De plus, la pudeur est pour l'humaine vertu une sauvegarde nécessaire. Là où elle est absente, elle ne pourrait être remplacée que par une hauteur d'âme inaccessible au commun des hommes.

Quand on parle des Grecs chez qui s'alliait, dit-on, le culte des grandes pensées et l'amour de la forme humaine, on oublie de citer leurs vices, et la façon dont ils honoraient, dans les temples de Vénus et ailleurs, cette beauté qu'ils prétendaient chercher dans la représentation du corps humain.

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Message  Roger Boivin Sam 03 Sep 2011, 7:47 pm

Non, il faut prendre l'humanité telle qu'elle est et ne pas prétendre ignorer ses faiblesses. Il est possible que dans des conditions spéciales la nudité soit moins périlleuse ; l'artiste, en particulier, familiarisé de bonne heure avec ce spectacle et absorbé par la préoccupation du travail, peut y rencontrer moins de danger : il y en trouve , les défendeurs du nu l'avouent sans peine. On sait ce que sont, en général, les ateliers où des jeunes peintres sont admis à fréquenter des modèles ! Mais accordons, si l'on veut, que ce péril soit minime ; il doit l'être, à la vérité, lorsque l'âge est venu et que l'artiste aime son travail. Un peintre de nu s'est représenté lui-même, en face de son modèle, dans une attitude grave, presque religieuse ; nous croyons de bon cœur qu'il n'a pas menti. Mais les autres ? Mais le spectateur, le public ?

Le public est ici bien plus exposé que l'artiste. Ce dernier a devant lui la réalité, et la réalité, vue ainsi, est rarement attrayante ; le public, lui, est en face d'une fiction séduisante.

L'artiste a transformé le réel ; il en a fait une poésie ; il a épuré les lignes, nuancé les carnations, essayé enfin de faire trouver belle, de glorifier la forme humaine. Or là est précisément le péril.

Le public, dans la majorité des cas, est trop peu ami de l'art pour l'art, de la forme pour la forme, il est trop peu initié pour extraire la quintessence de pensée et d'habilité technique déposée par l'auteur dans son œuvre. Entrez au hasard dans un Salon, un jour de grande affluence, observez ce qu'on regarde, et vous verrez que les groupes se forment, chuchotent, s'éternisent non pas devant les ouvrages les plus beaux, mais devant ceux qui les amusent. Quelque ordinaire que soit une toile, au point de vue du talent dépensé, si l'artiste a eu le bon esprit de s'emparer d'une anecdote, d'un fait divers un peu piquant, c'est là d'instinct que va la foule.

Mettez ces gens-là en face d'une étude de nu, qu'y verront-ils ? La ligne ? Le coloris ? La pensée ? Le style ? Non, ils verront avant tout la nudité troublante, et pour peu que leur imagination soit prédisposée à la chose, dans leur âme la tentation germera.
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Message  Roger Boivin Sam 03 Sep 2011, 9:12 pm

Les peintres vous diront que ce n'est pas pour cette catégorie du public qu'ils travaillent. C'est bien ; mais puisqu'en fait ils sont là et qu'ils constituent le grand nombre, peut-être serait-il bon d'en tenir un peu de compte. Est-il sage de placer sous les yeux de tous ce qui ne peut convenir qu'à une élite ? Voilà une question qui a son importance. Telle anatomie qu'on a en carton ou qu'on expose dans un atelier de peintre serait fort déplacée comme frontispice d'un journal illustré. Or c'est un vrai journal illustré, aujourd'hui, que notre exposition annuelle de peinture. On le feuillette périodiquement, comme périodiquement on se rend aux courses, au bois, au concert, au théâtre. Question de mode, au fond, que tout cela ! Il faut bien se tenir au courant de ce qui se passe ; il faut bien que les conversations mondaines trouvent quelque chose à mettre sous la dent, ne fût-ce qu'une douzaine de malheureux peintres. En mai on parle du printemps et de la peinture, des marronniers qui bourgeonnent et de l'art qui progresse, comme en hiver on parle des grands froids, des jeunes premières et du Wagnérisme. Ne trouvez-vous pas que des idées de cette envergure sont une faible défense pour les âmes, quand elles se trouvent en face de redoutables nudités ?

On nous dira que cet état de choses apporte avec lui son remède, que là comme partout l'habitude joue son rôle. Quand on a folâtré, dans son enfance, au jardin des Tuileries, fréquenté le Luxembourg, passé chaque matin et chaque soir devant l'Opéra et d'autres bâtisses dont la nudité garde les portes ; quand on a brassé nos revues d'art, nos livres illustrés, nos catalogues de ventes, ou simplement jeté les yeux sur les affiches de nos murs, on est sans doute blasé sur bien des choses ; tout au moins est-on plus disposé à passer devant elles sans les voir. Mais qui ne voit que ce n'est là qu'un palliatif ? Au fond le danger persiste, et même ce dépérissement de la pudeur ne laisse pas d'être regrettable à un point de vue plus élevé. La noblesse, la délicatesse des sentiments ne peut qu'y perdre ; c'est une porte ouverte après bien d'autres à l'envahissement toujours menaçant du matérialisme, je dis du matérialisme des mœurs, celui qui relègue au second plan les choses de l'âme et qui laisse prendre à la chair une importance dangereuse à laquelle elle n'a point droit.


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Message  Roger Boivin Sam 03 Sep 2011, 9:14 pm

Ces considérations générales résolvent-elles entièrement la question du nu ? Pas encore. Puisque le nu n'est pas mauvais en soi, mais seulement dangereux, il y a lieu de discuter dans quelle mesure la considération du danger doit arrêter le peintre : on ne peut pas supprimer tout ce qui est dangereux.

Dirons-nous que l'art n'étant pas chose indispensable, il y a lieu de lui donner pour bornes les limites mêmes du danger ? Ce serait aller, selon nous, beaucoup trop vite en besogne. L'Église a exclu des catalogues de l'index les poètes licencieux de la Grèce et de Rome, à cause, dit-elle, de « l'élégance de la forme » : preuve évidente qu'à ses yeux tout n'est pas dit contre les choses d'art quand on en a constaté le péril.

Si l'art n'est pas indispensable à la vie, il lui est grandement utile. Nous le disions tout à l'heure, tout ce qui nous élève a son prix, tout ce qui met en éveil l'intelligence humaine est un allié de la vie morale. Si donc le nu est à un degré ou à un autre une nécessité de l'art, dans cette mesure il faut l'admettre, et ne pas sacrifier cette grande chose à la crainte d'un péril que chacun, s'il le veut, est en mesure de conjurer.

Telle est donc la nouvelle question qui se pose : Quel est le rôle du nu, dans les arts plastiques ; quel est son degré de nécessité ?
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Message  Roger Boivin Sam 03 Sep 2011, 11:14 pm

Une première chose dont il faut convenir, en se basant sur le témoignage des maîtres, c'est que le nu est la grande école de l'art. Là en effet se trouvent les vraies difficultés au point de vue technique. Celui qui n'est pas initié de bonne heure aux mystères de structure de la machine humaine, à l'emmanchement des membres, au jeu compliqué des articulations et des muscles, au balancement des lignes et aux délicatesses changeantes des carnations, celui-là ne peut pas prétendre à être peintre, du moins dans la complète acceptation du mot. Fût-il même formé, il lui sera bon, presque nécessaire, de s'entretenir la main en peignant sur nature, de temps à autre, quelque bon morceau, comme le musicien arrivé ne laisse pas d'exécuter des gammes ; comme Liszt transposait, dit-on, une fugue de Bach chaque matin avant déjeuner.

Cela étant, on ne saurait contester aux artistes le droit de faire du nu, à titre d'étude, en dépit des inconvénients qu'il présente. Ces inconvénients, c'est au directeur d'école, aux chefs d'atelier, et plus tard à la bonne volonté de chaque artiste à y prendre garde ; ils ne doivent entraver d'aucune façon, dans les circonstances ordinaires, le libre développement d'un art précieux.

Il est seulement à craindre que cette concession n'en entraîne une foule d'autres. Car que faire de ses études, une fois peintes ? Les garder chez soi serait fort louable ; c'est ce que conseillait Savonarole aux nombreux artistes dont il était le protecteur à Florence. Mais si ce luxe était à leur porté, combien de jeunes peintres aujourd'hui y trouveraient leur compte ? travailler pour la muse ou pour l'avenir, c'est très bien ; mais en attendant il faut vivre, et si nos Zeuxis en herbe sont riches d'idéal, ils le sont d'ordinaire assez peu d'écus. Que faire alors ? vendre ce qui peut être vendu, et pour cela le présenter aux expositions annuelles, ce qui a de plus l'avantage, en cas de succès, d'établir votre réputation.

En vérité, quelque répugnance que nous y trouvions, nous ne voyons pas trop qu'on puisse refuser ce droit à un artiste. Seulement la morale aura lieu de poser ici ses conditions.
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Message  Roger Boivin Dim 04 Sep 2011, 2:45 pm

D'abord, pourquoi choisir comme prétexte à une étude de nu un sujet plus ou moins obscène, une histoire plus ou moins égrillarde ? On peut donner de bons coups de pinceau sans que Léda et le Cygne soient en cause, sans rappeler les caprices lubriques de tel ou tel monstre connu. Faute d'observer cette règle, tel peintre qui eût pu nous offrir une étude passable fait un tableau délictueux.

Et puis, n'y a-t-il pas certaine façon de poser une figure (1), certaine allure à lui donner qui peut atténuer, et beaucoup, l'impression fâcheuse qu'elle est exposée à produire ? Une certaine discrétion de coloris, un heureux artifice de lumière peuvent y aider infiniment. En somme, l'artiste ayant le sentiment du danger auquel il expose les âmes faibles, doit s'efforcer d'y parer avec toutes ses ressources, et un péril prochain, comme disent les moralistes, de faire un péril lointain.


Mais suffira-t-elle à nos artistes, la concession que nous venons de faite ? A quelques-uns d'entre eux, peut-être ; à la très grande majorité, non. Ce qu'ils revendiquent, à l'égard du nu, ce n'est pas seulement la liberté de l'étude, c'est la liberté de travail. Ils veulent cultiver le nu pour lui-même ; ils le considèrent non comme un chemin, mais comme un but, comme une branche de l'art légitime au même titre que le paysage ou la nature morte. On y voit un danger ? C'est tant pis ; car on ne peut enlever à l'art ce qu'il a de meilleur, et ce qu'il a de meilleur, c'est le nu. « C'est chose dite, s'écrie l'un d'eux, le nu est le sommet de l'art ! »

Voilà une affirmation qu'on ne peut laisser passer sans contrôle. les conséquences qu'on en tire sont trop graves pour qu'on puisse s'en désintéresser.


(1) En rapport, voir ceci ( cliquer sur le l’adresse ) : https://messe.forumactif.org/t2402p45-anarchie-dans-l-art#47558 ( roger ) .
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Message  Roger Boivin Dim 04 Sep 2011, 4:20 pm

Or demandez aux artistes sérieux leur manière de voir en cette matière, il se peut que leur première réponse soit celle que je viens de dire ; mais gardez-vous d'arrêter là votre expérience. Tandis que vous parlez de l'art, il se peut fort bien que votre peintre ne songe tout d'abord qu'au métier. Or au point de vue métier, nous l'avons dit, la réponse n'est pas douteuse. La plus belle draperie du monde ne coûte pas l'emmanchement d'une rotule, le modelé d'une hanche ou d'un bras. Comment dissimuler, ici, les incorrections du dessin, la timidité d'un crayon novice ? - Mais cette vérité, qu'on y prenne garde, ne décide absolument rien relativement à la valeur du nu, en esthétique. Le difficile et le beau sont deux, en peinture comme en tout le reste. Les morceaux à casse-cou, en musique, ne sont pas les plus beaux morceaux. Si les artistes, à un moment donné, s'y exercent, c'est dans le but de se rompre au métier ou de se montrer habiles : ils ne croient point, de cette sorte, atteindre le sommet de l'art.

Il ne faut donc pas accorder au nu une importance de premier ordre pour cette unique raison qu'il est techniquement plus difficile. La difficulté est un obstacle à vaincre ; mais quand il est vaincu, le travail de l'artiste n'est pas achevé, il commence. La technique n'est qu'un instrument.

Au-dessus, bien au-dessus de ce qui s'apprend à l'école, de ce que peut donner au dernier des peintres la pratique persévérante du pinceau, il y a ce qui ne s'apprend pas, ou plutôt ce que donne à une nature suffisamment douée le commerce des maîtres, de la nature, joint à l'habitude de la méditation ; il y a ce qu'on peut appeler l'art véritable, quoi qu'en puissent penser les grimauds de la couleur et de la plume : il y a l'inspiration.

Or le nu est-il plus favorable à l'inspiration, et par là est-il esthétiquement supérieur aux autres genres ? Nous croyons pouvoir dire hardiment : non !
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Message  Roger Boivin Dim 04 Sep 2011, 4:54 pm

Examinez les œuvres des maîtres, soit dans l'antiquité, soit dans les temps modernes : vous vous convaincrez qu'à égalité de génie et de réussite, les figures drapées ne sont pas inférieures. - « Sur dix marbres, dit l'auteur que nous citions plus haut, à peine en est-il un dont le nu ne fasse pas le charme. » Cette affirmation est d'abord très exagérée, car elle écarte systématiquement toute une époque brillante de la sculpture : mais fût-elle exacte, que prouverait-elle ? Il ne s'agit pas de compter des statues, il faut les comparer. Or la Victoire du Louvre vaut la Vénus de Médici ; le Moïse de Michel-Ange est supérieur au David du même artiste, et si l'on dit qu'en ce dernier cas l'âge du sculpteur explique la différence, qu'on aille à la Sixtine et que l'on compare, parmi toutes ces œuvres de même inspiration et de même date, les figures vêtues aux nudités. Les vingt jeunes hommes sont assurément admirables ; la Création d'Adam et la Chute d'Ève sont sans prix ; mais tout cela est-il supérieur aux Sibylles drapées, aux Prophètes ? C'est un problème. Ces dernières fresques sont moins intéressantes peut-être pour le praticien, elles sont tout aussi grandes pour l'artiste, preuve que le nu, au point de vue élevé de l'esthétique, n'est pas en soi un genre supérieur.

Nous allons plus loin et nous lui trouvons, sous divers rapports, une infériorité manifeste.

Il est clair, tout d'abord, que la draperie offre à l'art de précieuses ressources. Maint exemple célèbre prouve quel parti un artiste de sentiment peut tirer de ces plis qui, en accompagnant la forme, en enrichissant les combinaisons de lignes, en doublant l'effet des attitudes, renforcent l'expression et contribuent au plus haut point à faire de l’œuvre d'art une création véritable.


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Message  Roger Boivin Dim 04 Sep 2011, 7:50 pm

On possède un dessin de la Transfiguration où Raphaël avait préparé le nu du Christ avant de jeter la draperie volante. Que l'on compare l'effet de ce dessin à celui de la toile définitive : Légèreté, souplesse, élan, noblesse, presque toutes les qualités maîtresses de cette figure sont dues au jet habile du vêtement. Et cela ne peut étonner aucun artiste ; ils le savent si bien qu'ils n'ont garde, le plus souvent, de se priver d'une telle ressource. Seulement, au lieu de rester un voile, la draperie devient un accessoire ; elle courtise la ligne, le coloris et refuse à la pudeur ses services, afin que personne n'ignore par quel sentiment ces artistes sont mus. En vérité, n'est-ce pas pousser trop loin un parti pris injustifiable ? N'est-ce pas confondre la hardiesse avec la fanfaronnade, la puissance avec la brutalité ?
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Message  Roger Boivin Dim 04 Sep 2011, 9:33 pm

Autre considération spécialement applicable à notre art et à notre époque. Nous faisons partie d'une société chrétienne ; grâce à Dieu, malgré les tristesses de l'heure présente, nous ne sommes pas tout à fait païens. Ceux mêmes qui ne croient pas subissent l'influence d'une civilisation tout entière issue du christianisme ; ils partagent donc, plus ou moins, la gêne qu'éprouvera toujours une âme chrétienne devant de complètes nudités. Oh ! sans doute, on cache avec soin ce sentiment-là ! On craindrait de paraître un naïf, un béotien, lâchons le gros mot : un bourgeois, et cette éventualité est terrible ! Alors on admire sur commande, on prend des airs de connaisseur ; mais au fond, malgré certaines complaisances qu'on ne s'avoue pas à soi-même, on demeure gêné. Or nous demandons si ce sentiment n'est pas de nature à troubler la jouissance esthétique. - Nous le disions à propos de la peinture immorale, l'admiration veut l'apaisement de l'âme, son épanouissement parfait sous la radieuse caresse de la beauté. Tout ce qui la distrait, tout ce qui la trouble dans cette exquise jouissance équivaut à un élément de laideur, puisqu'il combat, en fait, l'impression du beau. Aussi peut-on dire sans hésiter que l'émotion du public, en face des meilleurs nus, est rarement une émotion esthétique. « On aime ça », disent les peintres. « Cela se vend, donc on l'apprécie. » Oui, mais encore faut-il voir par quel sentiment on l'achète, et souvent, nous osons le dire, ce sentiment relève de la physiologie plus que de l'art (1).


(1) Ce qui tend à le prouver, c'est que précisément cela ne se vend pas autant qu'on pourrait le croire, étant donné le succès que cela recueille aux Salons. N'est-ce pas une preuve que le sentiment dans lequel on l'admire n'est pas franchement avouable, ou en tout cas, qu'on n'a aucune hâte de le faire partager autour de soi ? Or cette dernière pensée est à elle seule une grave critique ; car elle prouve que parmi nous le nu est considéré comme anti-social et par conséquent comme anti-esthétique.
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Message  Roger Boivin Dim 04 Sep 2011, 9:47 pm

Un contemporain du Titien, parlant d'une de ses Vénus du palais Pitti, disait : « Elle est si belle qu'elle excite à l'amour. » C'était à cela en effet que la destinait le riche patricien qui l'avait commandée à l'artiste ; le résultat n'avait été que trop atteint. - La volonté du Titien y était-elle pour quelque chose ? Avait-il eu dessein, lui le disciple de l'idéal, de se faire le complice d'une passion perverse, je ne sais. Mais voilà toujours à quoi avait abouti son habilité prodigieuse : tout ce qu'il avait déposé de réelles beautés dans son œuvre devait demeurer sans effet.

Ne croit-on pas que tel est, presque fatalement, le résultat d'une œuvre semblable ? Il faut être bien sûr de son art pour affronter le nu sans risquer de faire tort à l'impression élevée qu'on veut produire. Seul peut-être avec quelques anciens, le Buonarroti
a pu réaliser ce tour de force. Grâce à l'austérité absolue de sa pensée, à la sublimité de ses conceptions, à la fierté sauvage de son ciseau, il a su éviter, dans la plupart des cas, de susciter dans les âmes un trouble quelconque. Son admiration extasiée de la machine humaine est tellement intense qu'elle passe au spectateur, et l'on ne peut voir là que des prodiges de science, de puissance créatrice. L'impression voulue est produite, le sentiment s'impose et le nu disparaît.



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Message  Roger Boivin Dim 04 Sep 2011, 11:13 pm

Mais qui donc , aujourd'hui, fait du nu à la façon de Michel-Ange ? Notre esthétique n'est plus la même. Le dessin, ce spiritualisme de l'art, est en baisse. La voix des sens parle plus haut. Au lieu de ces grandioses conceptions qui sortent tellement de l'humanité qu'elles ont le droit, semble-t-il, d'oublier ses faiblesses, et qui, transcendantes à la société dont nous sommes, font fi de ses convenances sans les blesser, nos peintres, en se tenant, comme c'est leur droit, tout proche de la réalité, ne peuvent guère nous offrir, en fait de nu, qu'une transposition de la réalité sur la toile. Et cela ne peut pas être chaste, cela doit nécessairement choquer. Quel effet voulez-vous que produisent toutes ces femmes à leur toilette, toute ces baigneuses, ces naïades de boulevard, et tous ces personnages qui sommeillent, se lèvent, se couchent en ouvrant leur alcôve sur Paris ? Tout cela n'est pas dans nos mœurs, Dieu merci ! Tout cela choque le regard, puisque c'est la reproduction trait pour trait d'une réalité inacceptable. On ne peut avoir en le regardant que le sentiment d'un délit, d'où cette conclusion qui nous paraît inéluctable : tout cela est inesthétique.

Et quand même nos peintres visent plus haut, quand ils font de la haute mythologie ou de la décoration symbolique, il est rare que leurs procédés changent beaucoup ; le sujet n'est presque toujours qu'un prétexte. C'est le même modèle, inerte ou lascif, qui caresse des colombes sous le nom de Vénus, qui tient un arc comme la chaste Diane ou qui fait semblant de s'éveiller quand on lui dit qu'il s'appelle l'Aurore. Peut-on prendre au sérieux ces divinités à cinq francs la pose ? Elles jouent leur rôle de leur mieux ; mais on devine qu'elles ont laissé leurs habits sur un meuble. Qu'en peut penser le spectateur ?
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Message  Roger Boivin Lun 05 Sep 2011, 8:27 am

Un peintre nous disait : « Il n'y a d'art véritable que le nu ; car le costume altère les formes. L'homme, ce n'est pas le monsieur en redingote dont l'épiderme a peur de l'air et dont les membres sont atrophiés ; c'est la créature saine et forte, bien adaptée à son milieu, libre d'allure et souple de formes : c'est la Vénus et le Gladiateur. » Fort bien ; mais si tel est l'homme de la nature, tel n'est pas l'homme de la société, du moins de la société civilisée et chrétienne. Or c'est ce dernier que vous nous offrez, sous une rubrique ou sous une autre. N'essayez donc pas de le faire nu, il ne saurait être que déshabillé.


Chose étrange, cette distinction si simple n'est pas encore tombée dans l'esprit de nos artistes. Ils ne voient pas que le nu ne peut-être acceptable, même pour l'art, que dans des conditions de pensée et d'inspiration absolument transcendantes. Transportez-vous en esprit hors de la société, hors de toute conventions humaines ; peignez l'homme dans son prototype, tel que l'a conçu le Créateur, ou dans son individualité profonde, tel qu'en chaque cas particulier la nature cherche à le produire, à la bonne heure ! Votre œuvre sera discutable aux yeux de la prudence chrétienne ; mais du moins ce sera une œuvre, au lieu d'être simplement un morceau.


Et puis enfin, fût-il pleinement esthétique, fût-il même le « sommet de l'art », nous ne saurions conseiller le nu à l'homme qui a souci de la morale chrétienne.

Croyez-vous, dirions-nous à cet homme, que la chair n'ait pas sur nous assez d'empire ? Croyez-vous que cette société des âmes que vous créez par l'admiration, il soit bon de l'orienter là, de la faire vivre là, sous cette fascination, mère des pires folies et des crimes ? La nature porte là de tout le poids de ses tendances les plus impérieuses ; le monde tourne sur ce pivot, et en tournant s'enivre et s'affole ! Jésus-Christ le savait, et c'est pourquoi lui, le plus beau des enfants des hommes, lui le Créateur de la chair, il nous a dénoncé la chair comme l'ennemie qu'il faut vaincre. Il l'a maudite, parce qu'elle nous tue ; il l'a attachée à la croix comme l'esclave rebelle qui doit mourir. Et vous, artistes, vous en faites l'idole, vous en faites le rêve, la vision ardente, obsédante, et perpétuelle. Elle est le tout de votre art comme le tout de la vie ! Est-ce là faire œuvre sociale et chrétienne ? Si l'on sort de vos Salons l'âme hantée de visions lascives ; si vos songes troublants flottent sous les paupières du jeune homme, le soir, et apprenne à la jeune fille, à la femme le secret des coquetteries malsaines, des impudeurs élégantes plus pernicieuses cent fois que les autres, avez-vous travaillé pour le bien ?

« Le talent impose des devoirs » ; le premier de ces devoirs est de ne pas pousser au mal, sous de vains prétextes, la multitude des âmes tentées.
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Message  Roger Boivin Lun 05 Sep 2011, 2:46 pm

Rassemblons en quelques brèves propositions toutes ces délicates matières.

L'art n'est pas indépendant de la Moral. Comme tout ce qui est de l'homme, il a sa règle, qui est de ne point écarter l'homme de sa fin personnelle et sociale. Il est d'autant plus nécessaire d'y songer que, de par l'histoire, et en raison de sa nature même, l'art se montre exposé à verser dans le sensualisme.

Par contre, cette limite respectée, l'artiste est entièrement libre. Il n'est pas tenu de poursuivre activement une œuvre morale. Un tel but est évidemment louable ; bien plus, l'art, considéré en lui-même, ne saurait en abstraire sous peine de devenir un vain métier ; mais il y atteint forcément par cela seul qu'il n'y est pas contraire ; car le beau est ami du bien et tend de soi à le promouvoir.

Parle-t-on d'immoralité, elle peut se manifester de deux manière :

1° par l'excitation au mal ;
2° par sa libre peinture.

La première façon se juge d'elle-même. La seconde ne peut se couvrir que de vains prétextes.

Tout œuvre dont la signification générale est mauvaise est une œuvre immorale ; elle est d'ailleurs, comme telle - sans préjudice des beautés de détail qu'elle renferme - en dehors du domaine de l'art.

Quant au danger que des œuvres, morales en elles-mêmes, peuvent faire courir, nous l'avons envisagé spécialement dans cette branche de l'art - qui ne devrait pas en être une - qu'on appelle le nu.

Le nu est en soi parfaitement chaste. Sa représentation est un hommage au Créateur. Mais dans le fait, il présente un danger redoutable. Ce n'est pas une raison pour en proscrire l'étude ; car cette étude est une nécessité de l'art, et la considération d'un danger, dans une chose d'ailleurs bonne en soi, ne suffit pas pour la proscrire. - Nous avons même concédé à l'artiste, bien qu'à regret et moyennant certaines conditions, le droit d'exposer publiquement ses études.

Mais le genre nu ne nous semble pas pouvoir bénéficier de cette tolérance. Au point de vue d'une morale chrétienne, on ne saurait l'approuver, particulièrement de la façon dont on le traite presque fatalement à notre époque. - Aucune nécessité d'ailleurs n'y oblige. Le nu n'est pas « la somme de l'art » ; il offre même plus d'un élément d'autorité, notamment dans une société chrétienne. Et quand cela ne serait pas, la gravité de l'intérêt en cause devrait encore le défendre au chrétien.

Voilà ce qui nous a semblé bon de dire, sur un sujet bien souvent discuté, et comme on a pu le voir, fort complexe. Les uns vont nous trouver sévère : ce sont les artistes ; d'autres nous trouveront lâche, ce sont ces chrétiens timorés qui, contents d'une heureuse ignorance, ne se rendent point compte des exigences de l'art, et moins encore des nécessités de vie de ses adeptes. De toute part, ici, il faut donc s'attendre aux critiques. Qu'importe, si l'on travaille pour la vérité !

______________________________________________________________________________________


FIN
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Message  Roger Boivin Lun 05 Sep 2011, 5:07 pm

Un grand merci à Eric qui m'a déniché et aimablement fait parvenir ce livre, L'ART ET LA MORALE ; ce qui m'a permis cet immense et pieux plaisir de pouvoir le publier ici.
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Message  Roger Boivin Lun 05 Sep 2011, 10:58 pm

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Message  Eric Lun 12 Sep 2011, 1:39 pm

roger a écrit:Un grand merci à Eric qui m'a déniché et aimablement fait parvenir ce livre, L'ART ET LA MORALE ; ce qui m'a permis cet immense et pieux plaisir de pouvoir le publier ici.
C'est une belle épopée qu'a vécu ce petit livre du R.P. Sertillanges avant que d'arriver chez toi au Québec !

Je me réjouis grandement que tu aies eu le courage et la patience de publier ici cette brochure (pas si facile à trouver).
Un grand merci à toi, Roger, pour la mise en ligne de ce bon document !
Dieu te le rende au centuple, mon cher frère.

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