Saint Boniface

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Message  Arthur Sam 27 Mar 2010, 9:12 am


CHAPITRE VIII

L'ARCHEVÊCHÉ DE MAYENCE ( 745 - 754 )



Il y avait plus d'un quart de siècle que Boniface était évêque, et treize ans qu'il était revêtu du pallium archiépiscopal.


Chef de l'Église de Germanie tout entière, il est resté jusque-là sans siège fixe, parce qu'il devait, selon les instructions réitérées des souverains pontifes, être présent sur tous les points de son immense province pour y remplir son rôle de créateur et d'organisateur.


Maintenant que ce programme était rempli, et que l'Église de Germanie entrait dans une phase d'existence régulière et organique, il devenait nécessaire de lui donner la constitution hiérarchique de toutes les autres contrées.


La réforme de l'Église franque, qui avait restauré en Gaule la juridiction métropolitaine, comme on l'a vu plus haut, appelait comme complément la création d'une métropole de l'Allemagne.


Cette question avait préoccupé Boniface et les pères des conciles réformateurs depuis 742, et la mort de Raginfried de Cologne, survenue en 745, sembla en fournir la solution. Cologne parut à Boniface le poste qui répondait le mieux aux besoins du gouvernement archiépiscopal.


Ce n'était pas seulement la plus grande ville de l'Allemagne, c'était encore un centre d'opération pour les conquêtes apostoliques qu'il rêvait toujours de faire d'une part chez les Frisons, ses plus anciens catéchumènes, de l'autre, chez les Saxons, vers lesquels l'entraînaient d'anciennes et ardentes aspirations de missionnaire.


L'épiscopat franc se rallia à cette manière de voir; les princes Pépin et Carloman y adhérèrent de leur côté, et dans l'automne de 745, Boniface put informer le pape Zacharie de ce couronnement de son oeuvre de réformateur : il était métropolitain de Cologne !


Le pape en témoigna sa satisfaction à son légat par une lettre datée du 31 octobre 745, dans laquelle il le félicita des arrangements pris, et exprima sa reconnaissance envers les deux souverains pour cette preuve de leur sollicitude à l'endroit des intérêts religieux.


Ce n'est pas toutefois sans de vives oppositions que Boniface avait pu enfin se voir pourvu d'un siège métropolitain.


Une partie du clergé franc, de ce clergé simoniaque et dévergondé, qui haïssait autant qu'il redoutait le sévère réformateur, avait montré la plus grande hostilité à cette mesure, et il est probable que c'est à Cologne même qu'elle avait été combattue avec le plus d'acharnement.


Et ce qui caractérise bien la situation religieuse de l'empire franc, même après toutes les réformes décrétées par les conciles, c'est que les opposants finirent par l'emporter.


Boniface ne paraît pas même avoir été intronisé à Cologne, et dans tous les cas, il renonça si complètement à son nouveau siège que, quelque temps après, il se laissa donner celui de Mayence.


L'échec fut sensible, non seulement pour la personne de Boniface, mais aussi pour l'oeuvre de réforme. L'organisation hiérarchique des diocèses de l'empire franc en province ecclésiastiques était une des maîtresses pièces de son oeuvre, et la voilà qui semblait sur le point de s'effondrer.


Car, en même temps que la métropole colonaise sombrait dans la tempête, les sièges archiépiscopaux de Sens et de Reims disparaissaient également.


Le pape, qui avait déjà accordé le pallium aux titulaires de ces trois sièges, fut aussi stupéfait qu'indigné d'un revirement aussi brusque, aussi peu justifié. Il n'y put rien changer toutefois, et l'organisation métropolitaine de l'Église franque resta provisoirement inachevée.


Il n'y eut en tout que deux métropoles : Rouen pour la Gaule, et Mayence au lieu de Cologne pour la Germanie.

Arthur

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Message  Arthur Lun 29 Mar 2010, 8:20 am

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Tout cet ensemble de faits, mal connus et mal expliqués, et qui doit s'être passé de 744 à 745, peut être considéré comme la revanche des évêques prévaricateurs qui ne voulaient pas du contrôle des métropolitains, et qui, pour colorer leur irréductible opposition, ne craignaient pas d'invoquer les prétextes les plus hautement injurieux pour le Saint-Siège.


Boniface n'était pas de ceux qui boudent les événements, mais plutôt de ceux qui s'en accommodent, et qui, des plus fâcheux, s'entendent à tirer encore quelque bien. Il ne marchanda pas son dévouement à l'église de Mayence.


Il y trouva, non le repos de sa vieillesse, mais de nouveaux et méritoires labeurs; il y fut d'ailleurs suivi par les épreuves. Une des plus sensibles, on peut le croire, et qui frappa dès le début de son nouveau pontificat, ce fut la retraite de Carloman.


À la fleur de l'âge et au comble de la puissance, ce prince disait adieu à toutes les joies de ce monde pour aller, comme les rois anglo-saxons, se cacher sous le froc monastique dans une abbaye italienne ( 747 ). C'était le plus sincère et le plus généreux protecteur de Boniface qui disparaissait.


Peu de temps après, son vaste diocèse était mis à feu et à sang par Grifon, qui, rêvant sans doute de se tailler une part dans l'héritage de son frère, venait de s'allier avec les Saxons païens et d'envahir la Thuringe.


Ce fut une désolation amère pour le vieux pasteur qui voyait ses églises incendiées, ses fidèles massacrés et sommés d'abjurer, et le frère de ses rois présider lui-même à l'oeuvre sauvage des destructeurs.


D'autres tribulations continuaient de lui venir du clergé lui-même.


À chaque pas il voyait son oeuvre entravée et compromise par des multitudes de clercs venus on ne savait d'où, sans doctrine, sans moeurs, et, si l'on peut ainsi parler, sans état civil, dont beaucoup étaient des aventuriers de bas étage, et qui ne cessaient de semer l'ivraie dans les moissons de l'Église d'Allemagne.


L'ignorance et l'abjection morale de ces misérables étaient extrêmes, si l'on peut prendre à la lettre tout ce que Boniface écrivait à leur sujet au pape.


Il y en avait qui offraient des sacrifices aux faux dieux, d'autres pratiquaient jusqu'à des vices contre nature; les moins condamnables encore étaient ceux qui se bornaient à troubler la conscience des fidèles, comme ce Scot du nom de Samson, qui enseignait que le sacrement du baptême est inutile au salut.


Boniface était obligé de soutenir une lutte perpétuelle contre ces faux prophètes; il s'en plaignait au pape qui l'encourageait et le réconfortait.


Une fois pourtant, le souverain pontife dut donner tort à son légat. Celui-ci avait considéré comme nul, et par conséquent réitéré le baptême conféré en Bavière par un prêtre tellement ignorant qu'il employait cette formule : Baptizo te in nomine patria et filia et spiritus sancti.


Deux des acharnés contradicteurs du saint, Sidonius et Virgile, réclamèrent à Rome, et Zacharie s'émut :


" Saint frère, écrivit-il à Boniface, si le prêtre qui confère le baptême se borne à enfreindre les lois de la langue par ignorance du latin, mais n'introduit d'ailleurs ni erreur ni hérésie, nous ne saurions consentir à ce qu'on rebaptise; renoncez donc à votre pratique et tenez-vous-en à la tradition des pères. "


On retrouve dans cet épisode à la fois la scrupuleuse conscience du saint, qui tremblait devant la moindre incorrection liturgique, et la ferme raison de la chaire romaine, qui s'attachait au fond des choses et qui savait être indulgente à propos.


Le Virgile dont il vient d'être parlé est-il le même qui a causé au saint d'autres embarras encore, en essayant d'indisposer contre lui le duc Odilon de Bavière, et en soutenant, sur la dualité du genre humain, une doctrine qui alarmait l'orthodoxie vigilante de Boniface ?


La question est obscure et, au surplus, d'un intérêt médiocre. Ce qui attirera davantage l'attention du lecteur, ce sont les idées qui mettaient ce personnage aux prises avec le légat du pape.


" Est-il vrai, écrit-il celui-ci à Boniface, qu'il soutienne cette doctrine perverse et impie qu'il y a sous la terre un autre monde, une autre humanité, un autre soleil et une autre lune ?


Si oui, réunissez un concile, chassez-le de l'Église, privez-le de l'honneur du sacerdoce. Nous-même, en écrivant au duc, nous envoyons à Virgile une citation à comparaître devant nous, pour qu'il s'explique et qu'il soit frappé des peines canoniques, s'il se trouve, après enquête, qu'il est coupable d'erreur. "


On a eu singulièrement tort de voir dans les idées attribuées ici à Virgile la doctrines des antipodes, et de faire un crime à Boniface et au pape de la réprobation dont ils les frappent.


Il ne s'agit, en somme, que d'une opinion assez extravagante, qui n'allait à rien moins qu'à troubler les idées des fidèles sur l'unité du genre humain et sur l'efficacité de la Rédemption.


Et les historiens se seraient épargné bien des livres, si plus d'un d'entre eux ne s'était laissé séduire par l'espoir de trouver ici un argument contre l'infaillibilité du souverain pontife.


Au surplus, si notre Virgile est le même qui, peu de temps après, devint archevêque de Salzbourg, et dont le nom figure au catalogue des saints, il faudra convenir que les accusations portées contre son orthodoxie étaient peu fondées, ou bien qu'il n'a pas tardé à abjurer ses erreurs.

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Message  Arthur Mar 30 Mar 2010, 8:22 am


Tout entier aux sollicitudes et aux labeurs de son ministère, et, en grande partie, confiné désormais dans son archidiocèse, Boniface laissa passer, sans y prendre part, les plus importants événements de la politique d'alors.


On a supposé qu'il a été le principal négociateur franc auprès du pape dans la grosse question de l'avènement de Pépin. C'est une erreur.


Boniface, étranger au royaume franc par son origine, l'était plus encore à la politique par la tournure de son esprit, et les choses temporelles restaient étrangères à ses préoccupations.


Dans sa vaste correspondance, où il s'ouvre si familièrement à ses amis de tout ce qui lui tient au coeur, il n'y a pas de place pour les affaires d'État, et les drames politiques ont beau agiter les milieux qui l'entourent, ils passent sans laisser de trace dans le livre de sa vie.


Ce n'est pas qu'il se soit personnellement désintéressé de ce qui touchait de si près à un prince qu'il aimait, et on sait qu'un de ses disciples, Burchard de Würzbourg, de concert avec Fulrad de Saint-Denis, a négocié en cour de Rome le changement de dynastie.


Mais la part de Boniface lui-même dans cette importante affaire ne dépassa pas celui d'un témoin sympathique, et son nom n'est pas prononcé dans les sources qui nous en font le récit.


Si, la chose décidée, il sacra solennellement Pépin à Soissons, il le fit en qualité de légat du pape, et parce qu'il convenait que le représentant de la plus haute autorité religieuse du monde chrétien donnât lui-même, de la part du souverain pontife, la couronne au roi des Francs.


Le rôle purement honorifique joué par lui dans une cérémonie officielle ne saurait être invoqué comme une preuve de sa participation effective à un événement qui passionnait à tel point ses contemporains. Il n'était, lui, que l'ouvrier du royaume de Dieu.


Rarement un homme a été placé si près des puissants et a si peu approché d'eux; jusqu'au dernier moment il garde sa répugnance pour les cours, où il rencontrerait les prêtres indignes dont la société est pour sa conscience la pire des angoisses.


Aussi, pendant que Pépin gravit les marches du trône d'où il vient de faire descendre le dernier Mérovingien, ce sont des questions d'un tout autre genre, ce sont des difficultés d'ordre moral, ce sont des problèmes de liturgie et de droit canon, ce sont des cas relatifs à la discipline ecclésiastique qui sont soulevés dans la correspondance de Boniface avec le souverain pontife.

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Message  Arthur Mer 31 Mar 2010, 6:24 am



Qu'on ne se figure pas cependant, parce qu'on ne voit plus le grand athlète apparaître si souvent sur la scène de l'histoire, que son activité soit diminuée, ou que son enthousiasme pour la propagation de l'Évangile se soit refroidi.


Le poids de l'âge, à la vérité, pèse lourdement sur ses épaules, et plus d'une fois déjà il a rêvé de renoncer à son diocèse, mais c'est afin de pouvoir reprendre son rôle de missionnaire et de mieux remplir sa mission de légat.


Et, en attendant, il reste vaillamment à la tâche, s'acquittant de ses devoirs d'évêque avec l'ardeur et le dévouement qu'il apportait à tout ce qu'il faisait.


C'est à ces années de vieillesse qu'il convient, semble-t-il, de rapporter aussi la rédaction de ses sermons, ou du moins de ceux que la tradition lui a toujours attribués.


C'est une série de quinze instructions sur les principaux mystères de la foi, et sur les préceptes de la morale chrétienne, faites à un auditoire récemment converti et encore novice.


Ils rappellent en plus d'un endroit, même dans les termes, l'inspiration qui a dicté l'Indiculus superstitionum et les canons des grands conciles de 742 à 747.


L'éloquence en est simple et claire, pleine de chaleur et d'onction, populaire sans bassesse et sans trivialité; elle fait penser aux homélies de saint Césaire d'Arles, bien qu'elles n'aient pas la richesse d'idées, ni le tour vif et imagé de l'aimable prédicateur gaulois.


On voit que la grande préoccupation de l'orateur, c'est de relever le niveau moral de son auditoire, et de faire arriver graduellement à la notion de la vie surnaturelle. Les considérations dogmatiques cèdent le premier rang à la prédication des vertus chrétiennes.


L'orateur recommande de fuir l'idolâtrie et la superstition; il inculque à chaque catégorie de ses auditeurs les devoirs spéciaux de leur état et les devoirs généraux du chrétien.


S'il décrit parfois le châtiment du pécheur, plus souvent il rappelle le souvenir du Ciel, et presque tous ses discours se terminent sur cette pensée consolante. Il exhorte fréquemment son auditoire à la joie.


" Purifions-nous de toute iniquité du corps et de l'âme. Vivons dans la chasteté et dans la charité de Dieu et des hommes.


Servons Dieu avec joie en toute oeuvre bonne, dans la miséricorde et dans la piété, dans la justice et dans la patience, et dans l'espérance en la bonté du Seigneur, sachant avec certitude que tout le bien que nous aurons fait par os aumônes, par notre humilité, par notre obéissance à ses préceptes, il nous le rendra dans la félicité éternelle. "


Et ailleurs : " Celui qui ne se préoccupe que de la vie présente vit semblable aux animaux. Les animaux ne pensent qu'à boire, à manger et à dormir. De même celui qui a soin de son corps plus que de son âme, qui aime plus son ventre et ses sens que la chasteté et la justice.


Il faut savoir, mes très chers, que nous sommes chrétiens précisément pour nous souvenir du Ciel et de la félicité éternelle, et pour penser davantage à notre âme qu'à notre corps.


Car notre corps ne durera que quelques années dans ce monde; notre âme, au contraire, si nous faisons le bien, règnera à jamais dans le Ciel. "

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Message  Arthur Mar 06 Avr 2010, 8:16 am

Cependant, les forces du saint évêque fléchissaient enfin sous le poids des années et des labeurs. On ne le revoyait plus aux conciles.


Il prit le parti de profiter de l'autorisation que Zacharie, il est vrai, à regret, lui avait accordée de se choisir un successeur, et pour préparer les voies, il donna la consécration épiscopale à son fidèle Lull, dont il fit son chorévêque en attendant qu'il pût lui céder son siège épiscopal.


Pensait-il, maintenant qu'il était pourvu d'un auxiliaire, à déposer l'administration de son diocèse pour la lui confier, ou voulait-il, en partageant sa responsabilité avec son fidèle disciple, serrer le lien qui le rattachait au siège de Mayence ?


On ne sait, mais l'Église n'y perdait rien, et les dernières années que l'apôtre passa dans son diocèse furent remplies, aussi fécondes que les premières.


Peu de temps après, le 15 mars 752, le pape Zacharie expirait, et avait pour successeur Étienne III. La nouvelle vint rejoindre Boniface dans la tournée qu'il faisait alors à travers son diocèse, pour relever les trente églises que les Saxons venaient de lui brûler dans une nouvelle invasion.


Ce fut pour lui une occupation aussi pénible que laborieuse, puisque, pendant plusieurs mois, il ne trouva pas le temps d'écrire au nouveau pape pour lui offrir ses félicitations.


La lettre qu'il lui envoya en 753 est bien touchante : on y voit que jusque dans les derniers temps de sa vie, son amour et son dévouement pour le Saint-Siège ne se sont pas refroidis.


On sent vibrer dans les paroles du vieillard cette foi qui l'a conduit, dès ses jeunes années, au tombeau des apôtres, et qui lui a fait trouver sa gloire à n'être qu'un instrument aux mains de la papauté :


" Je prie Votre Sainteté de m'accorder l'amitié et l'union avec le siège apostolique, afin que, disciple fidèle de Votre Piété, je puisse vous être un serviteur fidèle et dévoué, comme je l'ai été de vos trois prédécesseurs.


Ils n'ont cessé de me fortifier et de m'aider par leurs exhortations et par l'autorité de leurs lettres; je prie Votre Piété de faire de même, pour que je sois en état de mieux remplir vos préceptes paternels.


Car si j'ai pu, au cours des trente-six années que j'ai rempli ma légation romaine, rendre quelques services à l'Église de Dieu, je veux en faire autant et même davantage.


Pour les fautes et erreurs que j'ai pu commettre par parole et par action, je déclare me remettre en toute soumission et humilité au jugement de l'Église Romaine. "


Un sacrifice qui dut paraître bien dur à l'homme qui parlait ce langage au pape, ce fut de ne pouvoir porter ses hommages à Étienne III, lorsque, dans l'hiver de 753-754, ce souverain pontife passa les Alpes et vint implorer le secours du roi des Francs contre les Lombards.


Sa mauvaise santé l'en avait empêché. Un indice de ce genre était un avertissement. Il le comprit, et, sentant que le nombre de ses jours était compté, il voulut mettre ordre à toutes ses affaires avant de quitter ce monde.


Il n'en avait pas de plus chères que l'avenir de son diocèse et celui de ses fidèles coopérateurs.


Pourvoir aux intérêts de celui-là en s'assurant d'un successeur digne de sa confiance, et de ceux-ci en les recommandant à la protection du prince, tel fut l'objet de ses suprêmes préoccupations et de sa dernière démarche auprès du roi.


Pendant qu'il s'adressait lui-même à Pépin, il écrivait à Fulrad, abbé de Saint-Denis, le priant d'user de son influence à la cour pour faire accueillir sa double requête.


Nous avons conservé ses deux lettres. dans la première, il demande au roi l'autorisation de se donner comme successeur son chorévêque Lull, qui sera, dit-il, pour les prêtres un chef, pour les religieux un docteur, pour les fidèles un apôtre et un prédicateur de la foi catholique.


Mais la principale raison qu'il fait valoir aux yeux de Pépin pour justifier ce choix, c'est l'intérêt de cette multitude de prêtres, de religieux et de religieuses qui, à sa voix, sont accourus du fond de la Bretagne pour travailler avec lui, et qui maintenant, dispersés au milieu de l'étranger, dirigent les paroisses en qualité de prêtres ou, sous le froc monastique, instruisent les enfants.


Plusieurs d'entre eux sont vieux et cassés; tous mènent une vie chétive, aux frontières des païens, ayant à peine de quoi se nourrir, et ne pouvant pas même se procurer des vêtements si on ne vient à leur secours, et si on ne se charge de leur entretien comme il a fait.


" Si la charité du Christ, écrit-il à Pépin, vous inspire d'accéder à mon désir, veuillez me le faire savoir, pour que je puisse avec plus de joie ou vivre à votre service ou mourir. "


Pépin fit une réponse favorable à la demande du saint vieillard, qui le remercia en termes émus. La joie lui rendait des forces.


" Je crois, écrivit-il au prince, qu'avec la miséricorde de Dieu je pourrai de nouveau être à votre service. Dites-moi si vous voulez que j'aille à votre prochain plaid; je me ferai un devoir de me conformer à votre volonté. "


C'est ainsi qu'au roi comme au pape le généreux pontife offrait sans marchander les fatigues et les efforts de ses dernières années.


La vigueur de la volonté restait intacte dans ce corps de septuagénaire, et il ne pensait pas au repos; il était résolu à mourir debout. À une telle existence était réservée une fin digne d'elle.

Arthur

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Message  Arthur Mer 07 Avr 2010, 8:27 am


CHAPITRE IX

LE MARTYRE


Plus puissant que jamais, la force mystérieuse qui a soutenu l'apôtre de la Germanie au cours de sa glorieuse carrière va se ranimer au moment où il en atteint le terme, comme le flambeau expirant qui jette un plus vif éclat au moment où il s'éteint.


La vocation du missionnaire, la plus sublime qu'il y ait au monde, avait été l'idéal de sa jeunesse et la gloire de son âge mûr; c'est pour la suivre qu'il avait tout quitté et qu'il était venu passer son existence sur le continent dans les tribulations de l'exil.


Ses grands travaux en Hesse et en Thuringe n'étaient, dans sa pensée, que le prélude d'entreprises apostoliques plus importantes encore.


Ce qu'il avait rêvé, c'était de conquérir à Jésus-Christ la terre des aïeux, l'ancienne Saxe, comme il l'appelait d'un nom qui semble exprimer toute sa tendresse pour le sol où était le berceau de son peuple.


Pénétrer là, porter la lumière de l'Évangile à des hommes qui étaient pour lui les aînés de sa race et ses frères de prédilection, c'était, tout nous autorise à le croire, le voeu le plus cher de son apostolat. Chacune des étapes de sa vie avait semblé le rapprocher d'eux.


Au retour de son second voyage à Rome, d'où il rapporta le titre d'évêque de Germanie, il nourrissait le projet de visiter les Saxons, et déjà il s'était fait donner par le pape une lettre pour eux.


Devenu archevêque, il se crut plus près encore de son but, et c'est alors qu'il s'adressa par une espèce de circulaire à ses compatriotes de Bretagne, leur demandant des prières pour la conversion de la Saxe. " Ayez pitié, leur écrivait-il, de ces hommes qui vous disent : " Nous sommes de votre " chair et de votre sang. "


Et déjà un évêque de son pays, en le félicitant de son projet, lui écrivait : " J'apprends que vous pensez nuit et jour à la conversion des Saxons. Qui ne se réjouirait d'une si douce nouvelle ? Ö allégresse ! tout notre peuple converti au Christ ! Courage ! hâtez-vous de faire de si belles moissons ! "


Mais, on l'a vu, le beau rêve de Boniface n'avait pas été réalisé. De l'apôtre, les papes avaient fait un organisateur et un réformateur; il avait dû créer la hiérarchie de l'Allemagne et régénérer celle de la Gaule. Et puis était venue l'expérience de la vie, qui avait soufflé sur l'idéal de la jeunesse.


Les Saxons avaient le fanatisme païen du duc Radbod, qui avait empêché la mission du saint en Frise.


Ils haïssaient le christianisme, ils portaient le fer et le feu dans ses jeunes colonies voisines de leurs frontières, et ils réservaient à la vieillesse de l'apôtre la douleur de les voir incendier les églises qu'il avait édifiées à la sueur de son front.


Aussi, lorsqu'il eut à bâtir son grand monastère hessois, le saint n'avait-il pas voulu du site admirable de Hersfeld, que lui avait d'abord proposé son disciple Sturmi : cette solitude, si séduisante qu'elle fût, lui paraissait trop voisine des féroces pillards saxons.


Et non sans regrets, il avait finalement renoncé à son projet de prédilection.


Il ne craignait pas la mort, mais il n'avait pas, comme saint Adalbert, cette espèce d'exaltation religieuse qui cherche le martyre pour lui-même, et s'il ne refusait pas de donner son sang pour l'Évangile, il voulait avant tout travailler au salut éternel des peuples. Et ici, il trouvait une porte fermée.


Alors le zèle sacré qui dévorait son coeur, se repliant en quelque sorte sur lui-même, revint aux barbares qu'il avait évangélisés dans sa jeunesse.


La Frise, à moitié païenne encore, lui était chère depuis les jours déjà lointains où, à côté de son saint compatriote Willibrord, il y avait semé la parole de Dieu.


Son coeur était toujours resté sur ces rivages dont les flots lui apportaient comme le murmure de sa patrie, et où semblait le rappeler le souvenir d'une tâche inachevée.


Car, si la foi catholique rayonnait maintenant au coeur de ce pays, si Utrecht avec son siège épiscopal y était désormais le solide boulevard de la civilisation, les régions septentrionales, celles qui s'étendaient le long de la mer du Nord au delà du Zuyderzée, alors le lac Almere, renfermaient toujours des peuplades aussi obstinément païennes que du temps de Radbod.


Les conquérir à leur tour à l'Évangile, soumettre la Frise entière au joug léger de Jésus-Christ, c'était pour Boniface mettre le sceau à son oeuvre, c'était rattacher d'une manière glorieuse les dernières années de sa carrière aux premières, dans un acte suprême de dévouement au Dieu qui avait réjoui sa jeunesse.


Ce n'était donc pas une mort volontaire et prévue, comme l'ont écrit des admirateurs peu réfléchis ou des historiens privés de l'intelligence des choses religieuses, c'était à la conquête pacifique d'une nouvelle province du royaume de Dieu que le saint vieillard marchait.


Et cette dernière entreprise fut préparée avec toutes les précautions exigées par la prudence et par la dignité. Boniface avait le pressentiment qu'il n'en reviendrait pas; son âge et ses infirmités rendaient, en effet cette prévision bien vraisemblable.


Les mesures qu'il prit furent celles d'un homme dont les jours sont comptés, et qui n'a plus rien à attendre que la mort.

Arthur

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Message  Arthur Ven 09 Avr 2010, 8:27 am



Déjà, on l'a vu, il avait pourvu aux besoins du siège de Mayence et aux intérêts de son clergé; il restait à régler quantité d'autres affaires ecclésiastiques qui, sans doute, furent l'objet d'un dernier concile diocésain. Cela fait, il se mit en devoir de prendre congé de ses plus intimes.


Il manda sa chère Lioba pour lui faire ses adieux, la conjurant de ne pas quitter, quand il ne serait plus, le sol d'exil que la Providence lui avait assigné comme séjour.


Puis il donna ses dernières instructions à son fidèle Lull : " Je pars, lui dit-il, je ne puis renoncer à ce voyage tant désiré. Mon dernier jour approche; bientôt, affranchi de la prison de ce corps, j'irai recueillir la récompense éternelle.


Pour toi, fils très cher, achève la construction des églises que j'ai commencées en Thuringe; attache-toi à ramener les peuples des voies de l'erreur où ils sont engagés; mets la dernière main à la basilique de Fulda, et transportes-y mon corps fatigué par le long pèlerinage de la vie. "


Puis il le chargea des derniers préparatifs de son expédition : " Tu mettras dans mes bagages, lui dit-il, une caisse de livres, et dans cette caisse mon linceul. " Lull fondit en larmes en recevant ces suprêmes recommandations, et le saint interrompit l'entretien.


Quelques jours après, le saint s'embarquait sur le Rhin avec un cortège composé d'une cinquantaine de prêtres et de clercs, parmi lesquels il y avait quelques hommes armés.


La présence de ces derniers est une preuve que le légat de Germanie n'entendait pas courir aveuglément au martyre, comme on l'a supposé, et que son voyage était celui d,un apôtre et non d'un ascète qui veut se débarrasser de la vie. C'était au printemps de 753.


Le cours du fleuve porta d'abord nos voyageurs jusqu'à Utrecht, où Boniface retrouva son cher Grégoire, abbé du monastère de Saint-Martin, ainsi que son fidèle Eoban, qui, à cette date, administrait le diocèse en qualité de chorévêque depuis la mort du successeur inconnu de saint Willibrord.


Boniface, selon toute apparence, donna cette fois le siège épiscopal lui-même à Eoban, et dut se persuader que, de ce côté, il pouvait entrevoir l'avenir avec sécurité.


La fondation du siège de saint Willibrord à Utrecht avait eu, si l'on peut parler ainsi, quelques antécédents.


Pendant les premières années du VIIe siècle, le célèbre évêque de Tongres, saint Amand, hardi explorateur apostolique dont on retrouve les traces dans les contrées de l'Europe les plus diverses, avait prêché la parole de Dieu à Utrecht et y avait fondé une petite chapelle consacrée à saint Martin.


Après son départ, cet oratoire fut donné par le roi Dagobert à l'évêque de Cologne, avec la charge d'y continuer l'apostolat d'Amand et de travailler à la conversion de la Frise.


Cologne était, en effet, de toutes les villes éipscopales de langue germanique, la plus rapprochée d'Utrecht; elle se souvenait d'ailleurs d'avoir été la métropole de toute la seconde Germanie, dont Utrecht faisait partie, et, entre les deux villes, le Rhin offrait un admirable moyen de communication.


Mais, soit indifférence, soit impuissance, Cologne ne fit rien pour réaliser les vues de Dagobert, et les Frisons restèrent païens jusqu'à l'arrivée de Willibrord.


Celui-ci consacra à la Frise sa vie entière. Il convertit une grande partie de ses habitants, et il y implanta la civilisation chrétienne.


Lorsqu'il mourut, la Frise formait un florissant diocèse dont Utrecht était la tête, et la chrétienté frisonne, réunie sous la houlette d'un pasteur à elle, était un fleuron de plus au front de l'Église romaine.


Lorsque les fruits de ce long labeur apostolique furent arrivés à maturité, Cologne voulut moissonner ce qu'elle n'avait pas semé, et revendiqua la Frise comme relevant d'elle en vertu de la donation de Dagobert Ier.


S'il est permis de risquer ici une conjecture, c'est la mort du prédécesseur d'Eoban qui aura déterminé cette intervention de la ville rhénane, en lui fournissant l'occasion d'exhumer des dispositions depuis longtemps caduques.


Pareille prétention était inadmissible, puisqu'elle n'allait à rien moins qu'à supprimer le diocèse d'Utrecht, qui avait coûté tant de sueurs à Willibrord et à Boniface lui-même.


Aussi ce dernier s'empressa-t-il de réclamer auprès du pape Étienne III en homme qui a conscience de son bon droit. Après avoir demandé au souverain pontife de lui envoyer les instructions du pape Sergius Ier, qui avait créé le diocèse d'Utrecht pour saint Willibrord, il ajouta avec sa soumission ordinaire au Saint-Siège :


" Si Votre Sainteté a une autre manière de voir, daignez me la communiquer, pour que je m'y conforme. "


Nous ne possédons pas la réponse du pape à cette lettre, mais les antécédents que nous venons de rappeler, ainsi que la paisible continuation des travaux apostoliques de Boniface en Frise, nous autorisent à croire que le souverain pontife se sera prononcé dans le sens désiré par son légat.

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Message  Arthur Lun 12 Avr 2010, 8:00 am



Boniface, en effet, ne s'était pas laissé arrêter dans ses travaux apostoliques par l'intervention malencontreuse du siège de Cologne.


Pendant qu'il soumettait le débat au jugement du pape, il poursuivait ses courses à travers les plaines basses et marécageuses de la Frise, prêchant la parole de Dieu, renversant les idoles et bâtissant des sanctuaires chrétiens.


Interrompue par l'hiver de 753-754, que le saint passa probablement à Utrecht, la mission fut reprise avec une nouvelle ardeur au printemps de 754.


Cette fois, franchissant le lac Almere, qui constituait alors, entre les deux parties de la Frise, une démarcation élargie depuis par la formation du golfe de Zuyderzée, il pénétra dans cette partie du pays qui était restée presque entièrement païenne, et où il se trouvait à la lettre en pays de mission.


Toute la contrée était coupée de cours d'eau et de canaux à travers lesquels circulait la petite flottille du saint, chargée de ses provisions de voyages et de ses livres.


Les terres, basses et comme flottantes, semblaient émerger à peine hors des eaux, comme prêtes à y redescendre à chaque instant. Là vivait, dans une sauvage indépendance, une population amphibie que l'ennemi n'atteignait jamais et que l'apôtre se proposait bien d'atteindre.


C'était la vraie vie qui semblait commencer pour le vieillard rajeuni : la vie du missionnaire avec sa beauté sublime et ses héroïques souffrances.


Il goûtait, au soir de sa carrière, ces joies fortes et puissantes de l'ouvrier évangélique longtemps séparé de sa tâche, et qui y revient avec le ravissement de l'exilé rentrant dans sa patrie.


L'histoire nous a conservé les noms des généreux auxiliaires qui l'accompagnaient dans cette dernière campagne : ce sont d'abord Eoban, évêque d'Utrecht, puis les prêtres Wintrung et Walther, les diacres Hamund, Scirbalt et Bosa, les moines Wacchar, Gundaeccer, Illehaere et Hathawulf.


Ces noms sont obscurs et barbares; que le lecteur toutefois ne s'étonne pas de les voir mentionner ici; ils sont inscrits au Livre de vie, et l'histoire ne déroge pas en les reproduisant.


On était arrivé aux premiers jours de juin 754, et les sueurs de Boniface avaient été fécondes.


Il avait baptisé un grand nombre d'infidèles, et il leur avait donné rendez-vous à tous, pour leur administrer la confirmation, à Dokkum, localité située à peu de distance de la mer, à l'extrémité septentrionale de la province actuelle de Frise, où la rivière de Bordine séparait pour lors l'Ostergau du Westergau.


La flottille de la mission était venue mouiller dans le voisinage; toute l'escorte avait mis pied à terre et avait dressé ses tentes sur le bord de la rivière, où l'on attendait les néophytes.


Ce fut une armée de païens qui se présenta à leur place. Les succès de l'Évangile avaient exaspéré le fanatisme de tout ce qui restait d'idolâtres dans cette partie encore barbare de la Frise, et ils avaient juré la mort du saint.


Et pendant que les nouveaux chrétiens, impuissants ou terrifiés, se tenaient chez eux, c'étaient des meurtriers qui venaient au rendez-vous de l'homme de paix.


Ils ne le prirent point au dépourvu. Boniface était prêt à comparaître devant son Juge. En attendant l'arrivée de ses néophytes, il lisait dans un des livres qu'il avait apportés dans ses bagages.


Surpris par l'attaque imprévue des barbares, la poignée d'hommes armés qui voyageait avec lui se jetèrent au-devant d'eux et essayèrent de défendre le camp.


De ce nombre furent deux frères, Childebrand, maître d'hôtel du saint, qui se précipita à demi habillé au-devant de l'ennemi, et son frère le diacre Hamund. Tous deux avaient à peine mis le pied hors de la tente qu'ils tombèrent sous les coups des meurtriers.


Le saint lui-même, groupant autour de lui ses clercs, et muni des reliques qui ne le quittaient pas, s'élança au milieu des siens et les conjura de renoncer à la lutte, les exhortant à mettre leur confiance en Dieu et à se réjouir du martyre qui allait leur valoir la récompense céleste.


Les païens, ivres de rage, ne se laissèrent pas désarmer par tant de douceur et de magnanimité, et une des leurs premières victimes, ce fut le saint vieillard lui-même.


Si l'on peut en croire un écrivain du pays, un témoin oculaire rapporte qu'au moment de recevoir le coup mortel, Boniface éleva au-dessus de sa tête le livre qu'il portait.


L'épée du meurtrier entama profondément le volume et fendit la tête du martyr; le sang jaillit sur la couverture; il tomba. Les siens au nombre de cinquante-deux, partagèrent son sort.


( On conserve encore aujourd'hui un de ces pathétiques volumes à la bibliothèque de Fulda; il est entaillé dans tous les sens, et sur les fragments de sa couverture de bois, on prétend voir la trace de taches de sang. La tradition veut que ce soit le livre même que le saint portait lorsqu'il reçut le coup mortel. )


Les barbares, après s'être acharnés sur eux, se jetèrent sur les bateaux, croyant y découvrir des quantités d'or et d'argent. Ils ne trouvèrent que des boîtes de reliques, des livres qu'ils lacérèrent çà et là, des provisions qu'ils s'empressèrent de gaspiller.


Ils se gorgèrent de vin, et comme il arrive en pareil cas, ces furieux exaltés par le goût du sang en vinrent bientôt aux prises : plus d'entre eux périt victime du forfait dont il avait été l'instrument.


Ainsi mourut saint Boniface. Autrefois, écrivant aux abbesses de ses trois couvents de femmes, il leur avait dit :


" Priez le Dieu miséricordieux pour qu'il me confirme par son Esprit souverain, lui qui a voulu que je fusse appelé, quoique indigne, le pasteur de son peuple. afin que, quand viendra le loup, je ne prenne pas la fuite comme un mercenaire, mais qu'à l'exemple du bon pasteur je défende les brebis et leurs agneaux, "


Les prières de Lioba et de ses soeurs avaient été exaucées : le bon pasteur avait donné sa vie pour son troupeau.

Les chrétiens de Frise ne tardèrent pas à le venger. Une armée réunie à la hâte pénétra les cantons païens, massacra la population guerrière, pilla et rançonna le reste.


Les fidèles recueillirent pieusement les restes sacrés des martyrs, ainsi que la petite bibliothèque de la mission dont les volumes furent retrouvés de ci, de là, et ils emportèrent à Utrecht de si saintes reliques. Seule la tête d'Eoban, séparée de son tronc, n'avait pu être retrouvée.


Pendant que les restes des compagnons du saint étaient confiés à la terre, on garda son corps avec le grabat sur lequel il avait été exposé, pour l'enterrer dans le tombeau qu'on lui préparait à la cathédrale. C'est là, semblait-il, qu'il devait reposer, au milieu du peuple pour lequel il était mort et dont il devenait le patron céleste.


Mais déjà la funèbre nouvelle était parvenue à Mayence, et Lull avait envoyé des religieux et des fidèles, sous la conduite de Hadda, compatriote du saint, avec mission de réclamer les reliques.

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Message  Arthur Mar 13 Avr 2010, 8:17 am


La population d'Utrecht opposa d'abord quelque résistance à cette revendication; on prétendait que le roi Pépin avait lancé un édit défendant de transporter le corps du saint ailleurs qu'à Utrecht.


Finalement, toutefois, l'opposition céda, et les délégués de l'archevêque de Mayence purent emporter le précieux trésor. On remonta le Rhin, et en route on rencontra des moines de Fulda qui, envoyés par Sturmi, s'étaient portés au-devant du maître vénéré.


Le 4 juillet, trente jours après sa mort, ses restes rentraient dans sa ville archiépiscopale, où l'attendaient des multitudes en larmes accourues de toute part.


Lull était revenu en hâte de la cour royale, où il était allé sans doute pour obtenir l'autorisation de ramener les reliques à Mayence, et il rentrait tout juste à temps pour rendre les derniers devoirs à son saint prédécesseur.


C'était, on l'a vu, la dernière volonté du saint de reposer dans sa chère solitude de Fulda. Mais la population de Mayence ne voulait pas se laisser enlever les restes de son archevêque.


La situation était embarrassante, surtout pour Lull qui était placé dans l'alternative, ou de violer formellement les dernières volontés de son maître et bienfaiteur, ou de paraître trahir les intérêts de son siège épiscopal et les voeux de tout son peuple.


Un diacre de l'église de Mayence trancha la difficulté en racontant que le saint lui était apparu dans une vision et lui avait ordonné de dire à Lull qu'il voulait être enterré à Fulda.


Lorsque le diacre eut attesté par serment la réalité de sa vision, Mayence céda comme avait cédé Utrecht, et les moines de Fulda purent emporter dans leur monastère la dépouille glorieuse de leur fondateur.


La translation fut l'occasion d'un de ces concours extraordinaires de peuple comme les provoquaient au moyen âge tous les grands événements religieux.


Suivi d'une vraie flottille d'embarcations portant la foule des fidèles qui avaient voulu faire cortège à leur évêque, le vaisseau chargé de ses précieux restes remonta le Mein jusqu'à Hochheim, où l'on mit pied à terre.


Après y avoir passé la nuit, le pieux cortège, ayant à sa tête Lull lui-même, gagna la solitude de Fulda, marquant par des croix de pierre, selon la coutume du temps, les diverses étapes de son itinéraire, et grossi en chemin par des foules toujours nouvelles venant remplacer celles qui repartaient.


C'est ainsi qu'au son des psalmodies sacrées,le cortège arriva enfin comme en triomphe au lieu marqué pour le dernier repos de l'apôtre de la Germanie. Les restes sacrés du saint y furent déposés dans le choeur de l'église en présence de l'évêque; ils y reposent encore dans l'attente de la résurrection glorieuse.


Son culte se répandit rapidement. Environ deux ans après sa mort ( 756 ), un concile d'Angleterre le plaçait avec saint Grégoire le Grand et saint Augustin parmi les patrons de la Grande-Bretagne, et dès le IXe siècle, nous le voyons vénéré dans toutes les régions de la langue allemande.


Sa tombe est restée le centre religieux de l'Allemagne, et ce pays n'a pas de sanctuaire plus national. C'est là que se réunissait tous les ans la conférence des évêques prussiens, qui y venaient s'inspirer de ses leçons et de ses exemples.


Son nom est le plus grand nom de l'Église catholique dans ce pays; il en symbolise les gloires et la fécondité; la société pour la protection des missions catholiques à l'intérieur est placée sous son patronage.

Arthur

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Message  Arthur Jeu 15 Avr 2010, 8:37 am


CHAPITRE X

CONCLUSION


Quel était-il, cet homme extraordinaire qui prend une telle place dans l'histoire du christianisme et de la civilisation, et dont l'influence sur les destinées du peuple allemand n'a pas d'égale que celle de Charlemagne ?


Fut-il un homme de génie ? Si le génie suppose avant tout un ensemble de dons intellectuels hors pairs, Boniface ne fut pas un homme de génie.


On ne peut pas dire qu'il y ait rien de transcendant dans son esprit. Sans doute, il compta, sous le rapport du talent et de la science, parmi les hommes les plus remarquables de son temps.


Esprit judicieux et pondéré, en qui les facultés de la raison primaient celles de l'imagination, doué au surplus d'une rare puissance de travail et d'une endurance qui le rendait pour ainsi dire invincible, il était fait pour réussir dans les grandes entreprises.


Il fut d'ailleurs un lettré en possession de tout ce qu'on savait alors, un professeur sans égal, un organisateur admirable et un admirable manieur d'âmes et l'on peut dire que sous tous les rapports.


Même comme écrivain et comme orateur, il fut à la hauteur de ce que son temps a produit d'esprits distingués. Mais, s'il les égala, il ne les dépassa point, et ce n'est pas à sa supériorité intellectuelle qu'il doit sa grande signification historique.


Ce qui fait sa vraie grandeur, c'est son caractère, c'est-à-dire la trempe et la direction de sa volonté illuminée par la conscience.


L'harmonieux équilibre des qualités morales et intellectuelles au service du bien, telle est la condition de la vertu, et quand la vertu se rencontre dans un homme à un degré héroïque, elle s'appelle la sainteté.


C'est la sainteté qui constitue la grandeur de Boniface. On peut dire qu'il est grand dans la mesure même où il est saint.


On ne le comprendra pas si l'on refuse à reconnaître, au coeur même de sa vie, à la source de toute son activité sur terre, un principe surnaturel qui en est, si l'on peut employer cette expression, le premier mobile.


Ce n'est pas une âme selon la nature, mais une âme selon la grâce qui a habité l'enveloppe mortelle de ce grand serviteur de Dieu. Il fut de ceux qui, pour parler comme les Livres Saints, ont dépouillé le vieil Adam et sont devenus des hommes nouveaux.


Sa vie entière, depuis le berceau jusqu'à la tombe, sa précoce vocation monastique, son exil volontaire, sa longue et féconde mission de Germanie, son glorieux martyre, tout porte le cachet de cette influence d'en haut à laquelle il a toujours correspondu, tout s'explique par l'ardeur et par l'intensité de sa foi.


Toute sa carrière n'est que l'application de cette parole de l'apôtre : Justus ex fide vivit.


C'est cette foi elle-même qui a d'emblée orienté son coeur et sa conscience vers le siège infaillible qui est le gardien. La ferveur romaine de Boniface est d'ailleurs un trait qui lui est commun avec tous les fidèles d'Angleterre.


Le roi Oswy était bien l'interprète de toute la nation, le jour où, dans le célèbre débat sur la date de Pâques, il prononçait ces paroles expressives :


" Je vous dis que Pierre est le portier du ciel, et que je veux en toutes choses lui obéir selon mon pouvoir, de peur que, lorsque j'arriverai au seuil du paradis, il n'y ait personne pour m'en ouvrir les portes, si celui qui en tient les clefs se détourne de moi. "


Ce sont les mêmes accents que nous avons si souvent entendus sur les lèvres du saint, soit que dans ses lettres aux souverains pontifes il les assure de sa soumission au Saint-Siège,soit qu'il demande à ses amis d'Outre-Manche de lui copier en lettres d'or les Épîtres de saint Pierre, pour qu'il ait toujours sous les yeux la parole de celui dont il est envoyé.


Et saint Pierre, pour lui, revit dans chacun de ses successeurs. Tout souverain pontife peut compter de sa part sur le même dévouement enthousiaste.


Ce n'est pas ici la servile soumission de l'esclave, c'est la soumission volontaire et aimante d'un fils pieux; c'est, comme on l'a bien dit, le noble dévouement du bon soldat qui chérit le drapeau sous lequel il sert, et qui versera pour le servir jusqu'à la dernière goutte de son sang.


Mais, comme tous ceux qui aiment, ce dévot de la chaire romaine veut que l'objet de son amour soit respecté. Lorsqu'il voit le prestige de la papauté menacé ou compromis, il n'hésite pas, il parle au pape le ferme langage d'une haute conscience, et, comme Paul, il peut dire dans des conjonctures douloureuses : In faciem ei restiti.


Et ce qui est aussi beau que l'intrépide franchise du missionnaire qui articule de graves reproches, c'est la magnanimité de celui qui les reçoit : il les repousse parce qu'il les trouve injustes, mais il apprécie le courage du saint, et de la même plume qui le gourmande, il lui envoie les nouvelles marques de sa faveur.


Si l'on s'est bien rendu compte de la place prise dans la vie du saint par ce principe surnaturel dont nous avons essayé de faire apprécier l'influence, on comprendra que son action se soit élevée à un degré qui est au-dessus de la nature.


Sans doute, la vigueur d'un tempérament heureusement doué, l'endurance et l'extraordinaire ténacité du génie anglo-saxon ont bien servi dans sa carrière le vaillant ouvrier de l'Évangile, mais ces qualités ne l'auraient pas préservé des défaillances de la volonté, si la lumière de la foi n'avait toujours fait briller devant ses yeux la beauté immaculée de l'éternel idéal.


C'est cette lumière qui a éclairé l'âme de l'apôtre, qui a été en quelque sorte son étoile polaire dans les ténébreux fourrés où il a dû s'enfoncer. Il n'a jamais perdu de vue le but glorieux qu'elle lui a assigné.


Pas un instant la boussole de sa volonté n'a dévié; pas une fois, au cours de ses longues épreuves, il n'a douté de sa mission; à travers toutes les déceptions de la vie, la foi est restée jeune et radieuse dans l'âme vierge du septuagénaire, et c'est le coeur plein de joie et d'espérance qu'il se laisse conduire par elle à la mort.


Telle est la flamme surnaturelle qui brûle comme un chaud et lumineux foyer dans le sanctuaire de sa conscience. Aucune obscurité n'y règne, aucun nuage n'y passe sur la beauté de la loi de Dieu, qui règne en souveraine dans son coeur.


Sa volonté est en parfaite conformité avec cette loi sainte. Il la chérit avec tendresse, il en adore tous les commandements, même les plus rigoureux, et l'on sent que, comme le prophète, il redit continuellement à Dieu : " Votre loi est parfaite, elle est très belle et très bonne; elle porte sa justification en elle-même. "


La seule chose qui puisse troubler la sérénité de son âme, c'est la crainte d'en enfreindre les dispositions. Sa vie entière, on l'a vu, il s'est demandé s'il n'avait pas violé en quelque manière le serment qu'il avait prêté au pape Grégoire II, d'éviter les prêtres scandaleux.

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Message  Arthur Ven 16 Avr 2010, 8:19 am



Et, bien que le souverain pontife ait pris lui-même la peine de le rassurer à cet endroit, bien que les amis auxquels il s'est adressé lui aient tenu le même langage, toujours cette pensée amère est revenue le troubler.


Il a beau se dire et s'entendre répéter qu'en somme, il a obéi aux lois supérieures de la charité, en ayant avec les mauvais prêtres les relations purement extérieures qu'exige le salut de son troupeau.


Comme saint Martin après qu'il eut, pour sauver des existences humaines, communié avec les Ithaciens, il ne pourra pas s'absoudre lui-même, il aura besoin de s'entendre justifier au nom du Ciel.


Cette admirable délicatesse de la conscience morale, qui tremble devant l'ombre de la faute, peut paraître à quelques-uns de l'exagération ou du scrupule.


Mais il est permis de se demander ce que serait ce monde, s'il n'y devait plus paraître de temps en temps des hommes tourmentés par l'idée de la perfection, et s'efforçant de réaliser en eux-mêmes l'idéal qu'ils voudraient faire triompher partout.


L'idéal lui-même finirait par se ternir et par s'éclipser, et c'est un des grands services rendus à l'humanité par les saints, que d'en conserver la notion intacte et féconde.


Ce qui est beau, c'est de voir le rayonnement de cette conscience illuminées par la foi, les vertus naturelles s'épanouir et atteindre leur plus belle floraison.


S'il est humble, chaste, mortifié, si tous les actes de sa vie sont déterminés par des motifs de foi, s'il n'y a pour lui qu'une chose nécessaire, ce n'est pas à dire que ses semblables ne trouveront en lui qu'un ascète austère, trop préoccupé de Dieu pour s'intéresser aux hommes.


La vertu ne le rend ni pédantesque ni maussade; sévère pour lui-même, il sait sourire aux plaisirs d'autrui.


Ce fervent de " l'abstinence totale ", qui ne connaît pas le goût d vin, en envoie deux tonnelets à un de ses correspondants, pour lui procurer le plaisir d'une bonne journée passé entre amis.


Son goût si vif pour les vers, le seul luxe qu'il semble s'être permis, est un autre trait de son caractère qui n'est pas moins digne d'intérêt.


Il ne se dérobe à aucune des bonnes et saintes affections naturelles; il a gardé un culte pour ses vieux maîtres, il est profondément attachés à ses amis, et la patrie dont il s'est exilé volontairement et pour toujours ne cesse d'avoir une des meilleures parts de son coeur.

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Message  Arthur Sam 17 Avr 2010, 9:28 am


Il y avait dans tout son être quelque chose de cordial et d'affectueux qui ne s'exhalait pas volontiers en démonstrations, mais que sentaient tout ceux de son entourage et qui faisait le charme des relations familières avec lui.


Aussi possédait-il à un haut degré l'art de s'attacher les âmes. Ce don si nécessaire à qui est appelé à diriger ses semblables par la persuasion, c'est une de ses grandes forces.


Il lui suffit, nous l'avons vu, d'un appel adressé à ses compatriotes anglo-saxons pour leur faire passer la mer et les amener auprès de lui, collaborateurs et disciples dévoués. Pour tous ceux qui l'approchaient, il était un père bien-aimé, à qui il était doux d'obéir.


Sur son ordre, saint Sturmi fit à trois reprises la fatigante et périlleuse exploration de la Buchonie; quand il revenait las et découragé, un entretien avec son bon maître lui rendait le courage et la force.


Les enfants s'éprenaient de lui comme les adultes : qu'on se souvienne du petit Grégoire de Pfalzel, qui, l'ayant vu une fois, ne voulut plus se séparer de lui, et lui fut toute sa vie un fils dévoué.


Quelle tendre confiance et quel religieux respect il a inspirés aux pieuses femmes qui se sont nourries de ses enseignements, et qui, du fond de l'île de Bretagne, ont fait leur directeur spirituel du maître en exil !


Il manquerait quelque chose à son portrait sans ce virginal entourage de dévouements féminins, dont l'idéale noblesse achève de peindre l'âme haute et pure qui les a inspirés.


Toutefois, pour retracer dans toute sa vérité cette sainte physionomie, ce n'est pas dans les côtés humains et sympathiques de sa nature, ni dans la puissante activité de son apostolat, ni même dans le glorieux combat du martyre qu'il faut l'observer.


Il n'y a là que les manifestations extérieures d'une grandeur morale dont le principe de vie est autre part.


Pour entendre la respiration de son âme, pour pénétrer dans l'intimité de son être et y surprendre en quelque sorte son coeur sans voile, il faut le suivre dans sa cellule du Bischofsberg.


Il faut l'accompagner dans cette retraite sacrée où, dépouillant tout ce qui fait sa grandeur mortelle, il redevient le simple moine d'Exeter, méditant sur la loi de Dieu et se plongeant dans la contemplation de l'éternité.


C'est là, dans le têt-à-tête avec son Créateur, où s'échangent des paroles ineffables à travers le silence de l'infini, c'est là qu'apparaît enfin le vrai Boniface, que se révèle à nous le secret de sa force féconde et de ses hautes vertus.


La prière et la solitude sont la vraie atmosphère de son âme, et le regard ému qu'il fixe sur la beauté de la loi de Dieu est l'acte par excellence de sa vie.


Les heures bénies qu'il passe dans ces célestes effusions sont rares sans doute dans son existence d'apôtre et d'ouvrier, mais elles sont les seules heures qu'il ait vraiment vécues dans l'exil d'ici-bas, car " un seul jour passé dans le sanctuaire du Seigneur vaut mieux que mille dans les palais des mortels."

FIN. DEO GRATIAS

SAINT BONIFACE , PRIEZ POUR NOUS.

Arthur

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