Saint Boniface

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Message  Arthur Mer 30 Déc 2009, 9:56 am



SAINT BONIFACE (680- 755 )



PAR G. KURTH



PRÉFACE

Voici un des plus grands saints de l'Église et un des plus grands hommes de l'histoire, et je suis le premier à raconter sa vie aux lecteurs de langue française ! L'Allemagne, l'Angleterre, la Hollande l'ont étudié et écrite à l'envie ; les lettres française ne la connaissent que par quelques pages de Mignet, d'Ozanam et de Montalembert, admirables il est vrai, mais qui n'en présentent qu'un rapide résumé.



Et cependant saint Boniface appartient à la France dans une large mesure. S'il a créé l'Église d'Allemagne, il a régénéré l'Église des Gaules, et il est difficile de dire laquelle de ces deux grandes oeuvres a été la plus féconde.


Au surplus, oserai-je le dire ? la science allemande elle-même ne s'est pas encore complètement acquittée de sa dette envers le civilisateur de la Germanie. Le grand saint attend toujours le grand historien qui tracera son portrait définitif, avec le tableau complet de son activité apostolique.


Sans doute, on ne peut qu'applaudir au zèle avec lequel d'innombrables monographies se sont attachées à élucider les diverses parties de ce noble sujet, et au talent que plusieurs écrivains ont déployé en résumant à l'usage du public les résultats de tant d'efforts. Ils permettent d'espérer que le jour n'est plus éloigné où, armé de toutes les ressources de l'érudition contemporaine, un historien viendra qui édifiera à la mémoire du saint le monument définitif.


En attendant, on voudra bien me pardonner si ce modeste petit volume vient allonger la liste déjà considérable des histoires provisoires de saint Boniface. Je n'écris que pour les lecteurs français, qui le connaissent trop peu, et les Allemands eux-mêmes, je pense, me sauront gré de contribuer à répandre la gloire de leur patron national chez un peuple voisin.


Je n'ai pas l'ambition d'apprendre au public des choses inconnues, mais j'ai voulu que tout au moins il trouvât ici, sous une forme accessible à tout le monde, tout ce qui est possible de connaître aujourd'hui, et je puis dire que, pour cela, je ne me suis épargné aucun labeur.


Si j'étais parvenu à ressusciter la figure du saint dans sa vérité vivante, à donner au lecteur l'impression d'avoir vécu avec lui, mon livre répondrait au but que je me proposais en commençant de l'écrire, mais je n'ose me flatter d'y avoir réussi.


D'autre part, j'aurais singulièrement dépassé les proportions assignées à ce travail si je m'étais attaché, comme dans les travaux d'érudition, à justifier toutes mes assertions ou à discuter celle d'autrui.


Il suffira au lecteur de savoir que je n'avance rien dont je ne possède par devers moi la preuve, que j'ai lu et relu, plume à la main, toutes les sources, que je me suis mis soigneusement au courant de la vaste bibliographie du sujet, et qu'il n'est pas un seul des ouvrages signalés dans l'appendice de ce volume, auquel je n'aie consacré un examen attentif.


Chaque fois qu'il m'a été nécessaire d'y envoyer le lecteur, je l'ai fait de la manière la plus sommaire possible pour ne pas encombrer de notes bibliographiques le bas de mes pages, mais on trouvera dans la Bibliographie critique, à l'appendice de ce volume, toutes les indications que le lecteur consciencieux a le droit de demander à un historien.


J'ai voulu écrire ce livre à Fulda, auprès du tombeau du saint. J'y ai trouvé un milieu tout imprégné de son souvenir, une population qui garde son culte avec amour, des horizons grandioses, des solitudes suave, des paysages qui semblent faits pour les évocations historiques.


J'y ai passé quelques semaines heureuses à l'ombre du sanctuaire qui garde le plus grand trésor religieux de l'Allemagne, et des beaux arbres séculaires qui alignent autour de lui leurs solennelles avenues, si hospitalières au rêveur recueilli. Plus d'une fois, du haut de la colline où fut l'ermitage du saint, je me suis plu à contempler cette ville catholique s'endormant dans le calme du soir, pendant que la fumée s'élevait des toits et qu'au loin la longue ligne dentelée des faîtes de la Rön s'estompait dans le brouillard.


Nulle part le passé déjà lointain ne semblait plus rapproché de moi que dans ce cadre à la fois austère et doux. Il me semblait revivre les scènes idylliques dont on trouvera le récit dans ces pages :


Sturmi explorant sur son âne la vallée encore boisée, les moines défrichant la forêt et jetant les fondements de leur sanctuaire, le saint descendant, après sa méditation faite, du haut de la colline où j'étais, pour encourager et stimuler le zèle de ses religieux. Tout parle encore de lui dans cette paisible contrée, ou plutôt c'est lui qui parle du fond de son tombeau, et qui redit la parole gravée sur le socle de la belle statue que Fulda lui a élevée en 1842 :


Verbum Domini manet in aeternum.


Puisse ce petit livre, que je rapporte de mon pèlerinage au tombeau du grand apôtre, faire aimer aux lecteurs la belle figure qu'il retrace, et laisser dans leur âme quelque chose de la joie et de la paix dans lesquelles il a été écrit !


Fulda, le 4 septembre 1901.

Arthur

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Message  Arthur Jeu 31 Déc 2009, 9:52 am

CHAPITRE PREMIER

LA JEUNESSE DU SAINT


Appelée à la vie chrétienne par la charité sublime du grand pape saint Grégoire, la nation anglo-saxonne avait marché à pas rapides dans la voie de la civilisation. Les missionnaires n'avaient pas encore pu répandre la parole évangélique dans toutes les couches de ce peuple que déjà elle portait des fruits abondants parmi ses premiers auditeurs.


À peine un siècle s'était écoulé depuis qu'Augustin et ses quarante compagnons avaient mis le pied dans l'île de Thanet, et déjà le pays d'Hengist et d'Horsa méritait d'être appelé l'île des saints. Des foyers de civilisation s'allumaient de toutes parts. Les monastères, s'échelonnant le long des rivages et se dispersant jusqu'au fond des solitudes les plus inaccessibles, faisaient pénétrer partout la culture matérielle et intellectuelle.


L'Angleterre était tellement riche en vertus chrétiennes qu'elle pouvait verser sur le continent le trop-plein de ses ressources morales. Elle payait sa dette à la papauté en l'aidant à conquérir les peuples encore assis dans les ténèbres de la mort.


Ce qui distingua dès l'origine la foi anglo-saxonne, ce fut, si l'on peut ainsi parler, la vocation des missions étrangères. La passion pour les voyages, qui est propre à tous les peuples du nord, se sanctifiait dans les pèlerinages qui menaient les Anglo-Saxons en bandes nombreuses aux sanctuaires les plus vénérés du monde chrétien.


Rome surtout exerçait sur eux une attraction irrésistible. Le Saint-Siège, auquel ils étaient redevables de leur salut,était de leur part l'objet d'un tendre et ardent attachement. Ils furent, si l'on peut ainsi parler, les premiers des ultramontains, et en cela ils se distinguaient des Irlandais, leurs voisins, qui, non moins passionnés pour les missions, apportaient dans l'oeuvre de l'évangélisation un esprit plus personnel et une tendance plus nationale.


Mais ce que les Anglo-Saxons ne voulaient pas laisser aux Irlandais, c'était le culte des lettres et la soif du savoir. Jamais peuple barbare ne s'éprit d'un amour plus sincère et plus désintéressé de la science sacrée. Les femmes elles-mêmes, dans la solitude du cloître, s'adonnaient à l'étude des Livres Saints et des Pères, cultivaient la poésie et faisaient de la langue latine leur langue usuelle.


Ce triple amour des lettres, des missions étrangères et de la chaire romaine, qui est commun à toute la race, nous le retrouvons vivant et intense chez le grand homme qui est l'objet de ce récit. Winfrid, c'est le nom qu'il portait avant qu'il se fût fait, si l'on peut ainsi parler, le client du Saint-Siège, était né dans le royaume de Wessex, la plus récente conquête du christianisme chez les Anglo-Saxons.


Le Wessex semblait vouloir dépasser ses aînés dans la foi. Son roi Ceadwalla, après une carrière retentissante pleine de gloire et de triomphes, avait déposé la couronne et était allé mourir à Rome sous l'habit monastique. L'idéal religieux du christianisme semblait planer sur tout le royaume dans l'image de ce roi devenu moine romain.


Ni l'année ni le lieu de la naissance de Winfrid ne sont connus d'une manière exacte. Son biographe les a ignorés lui-même, sans doute parce que le saint, le seul homme qui pût les lui apprendre, avait voulu qu'on les ignorât. On suppose toutefois avec assez de raison qu'il est né dans le Devonshire, et l'on nomme d'ordinaire la petite ville de Crediton comme ayant eu l'honneur de lui donner le jour. Ce fut, selon toute apparence, vers 680.

Arthur

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Message  Arthur Lun 04 Jan 2010, 8:02 am


La famille de Winfrid était déjà chrétienne : elle était riche et de sang noble. Le saint ne s'en est pas expliqué non plus; mais la parenté qui le relie à des personnages d'illustre extraction en est une preuve suffisante. Il fut, selon l'expression des Livres Saints, Nazaréen dès le sein de sa mère, et marqué, à partir de l'âge le plus tendre, du sceau des élus.


La région où vivaient ses parents n'avait pas encore, à ce qu'il semble, d'organisation religieuse très complète, puisque, si les textes ne nous trompent, on n'y rencontrait pas de clergé à demeure. Les églises étaient encore rares; les grands propriétaires se contentaient d'ériger dans leurs domaines de hautes croix, au pied desquelles le peuple se réunissait tous les jours pour prier.


Par intervalles, des missionnaires sillonnaient le pays pour y prêcher la parole de Dieu et conférer les sacrements. Dans leurs tournées, ils trouvaient l'hospitalité sous le toit des parents de Winfrid.


L'enfant se plaisait dans la société de ces hommes apostoliques; ils s'entretenait avec eux des vérités du salut, il les questionnait sur le ciel et sur le chemin qui y mène. Dès lors il avait choisie sa voie, et il avait dit à Dieu :
" Vous serez mon calice et ma part d'héritage, pars calicis mei et hereditatis meae ".


À l'âge de quatre ou cinq ans, il suppliait son père de lui laisser embrasser la vie monastique. Jamais vocation religieuse ne fut pllus précoce ni plus solide, ne connut moins d'hésitations et de tâtonnements. Et, comme le bon laboureur de l'Évangile, une fois qu'il eut mis main à la charrue, il ne regarda plus en arrière.


Le père cependant résistait. Il aimait son fils, il était fier de lui; il rêvait de lui laisser son bien, il se flattait de lui voir remplir une carrière brillante dans le monde. Il employa tour à tour, vis-à-vis de l'enfant, les moyens de persuasion et d'intimidation, mais avec le même insuccès. Rien n'avait raison de l'irrésistible vocation de Winfrid.


Enfin, après une maladie qui parut d'abord mortelle, et au cours de laquelle il avait pu faire des réflexions sérieuses sur la vanité des choses terrestres, le père céda. Il réunit un conseil de famille, et, d'accord avec ses proches, il envoya l'enfant comme oblat à l'abbaye d'Exeter.


Le sacrifice paraît lui avoir été dur : au dernier moment, le coeur lui manqua, dirait-on, devant les pénibles formalités qui devaient en accompagner la consommation, et ce furent ses fidèles qui présentèrent son fils au pieux abbé Wolfhard. En leur présence, l'enfant, dit le biographe, exposa sa demande selon la formule que lui avaient apprise ses parents, et déclara que depuis longtemps son voeu était de se soumettre à la règle monastique. Il avait alors sept ans.

Arthur

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Message  Arthur Mar 05 Jan 2010, 8:23 am



L'abbé, après avoir pris conseil de ses moines, décida, d'accord avec eux, d'accueillir un postulant qui présentait des signes si évidents de vocation. Et c'est ainsi, dit le vieux biographe, qu'ayant renoncé dès ses plus tendres années à sa famille et aux richesses de ce monde pour l'héritage céleste, Winfrid reçut le centuple et la vie éternelle.


Le jeune oblat grandit dans l'étude de la science et dans la pratique de la vertu, préservé contre les tentations de son âge par le zèle soutenu qu'il apportait à l'accomplissement de ses devoirs. Lorsqu'il eut atteint les années de la jeunesse et appris tout ce qu'on pouvait lui enseigner à Exeter, sa soif de savoir n'était pas rassasiée.


Avec le consentement de son abbé, il quitta le doux foyer de son enfance monastique pour aller continuer ses études à l'abbaye de Nursling, au diocèse de Winchester, entre cette ville et Southampton. Il devint de la sorte l'élève de l'abbé Winbrecht et le diocésain de l'évêque Daniel. Tous deux étaient des gens de grand sens, de profonde expérience et, de plus, des lettrés consommés.


Toute sa vie il garda un vrai culte pour ces deux hommes que Dieu lui avait donnés pour maîtres de sa vie spirituelle. On verra plus loin les relations qu'il entretint jusque dans sa vieillesse avec le pontife, et une lettre de lui à Daniel montre quelle estime il professait pour le vieil abbé.


" Si j'osais, dit-il, vous demander un service, je vous prierais de bien vouloir m'envoyer le livre des Prophètes que mon vénéré maître, l'abbé Winbrecht, a laissé en quittant ce monde : on y trouve les six Prophètes écrits en caractères clairs et distincts; je ne puis m'en procurer un pareil dans ce pays, et mes yeux fatigués ne distinguent plus les écritures fines et liées. Vous ne sauriez rendre un plus grand service à ma vieillesse que de me procurer un manuscrit si net et si bien écrit. "


Winfrid vécut à Nursling des années heureuses. Si son existence y fut d'ailleurs ce qu'elle avait été à Exeter. Sa formation intellectuelle et sa formation religieuse y marchèrent de pair sans conflit et sans contradiction, sous des influences paternelles et intelligentes aux-quelles il s'abandonnait avec amour.


Outre celles de son abbé et de son évêque, il est indispensable d'en mentionner ici une autre qui dut être profonde, celle de saint Aldhelm. Adhelm est une des plus belle figure de l'Église anglo-saxonne.


Ce brillant et sympathique esprit, qui s'ouvrait avec un intérêt toujours jeune à toutes les choses du monde intellectuel, réalisait dans sa plénitude l'alliance du génie romain et du génie barbare, dont les traits se fondent dans sa physionomie avec les traits plus mobiles de l'esprit celtique, tel qu'il revivait dans les savantes écoles de l'Irlande.


Au point de vue littéraire surtout, Winfrid fut à beaucoup d'égards un élève d'Aldhelm, et rien n'est plus facile que de retrouver dans les écrits de ses premières années les traces irrécusables de cette filiation spirituelle.


Selon toute probabilité, le programme des études de Winfrid à Nursling aura comporté les sept arts libéraux, mais, à ce qu'il semble, avec une certaine prépondérance accordée à la poésie et à l'exégèse. Il ne paraît pas être resté sans notions de grec, à en juger d'après quelques mots empruntés à cette langue qui émaillent sa correspondance, mais c'est surtout le latin qui fut l'objet de son étude assidue.


Il apprit tout ce qu'on en savait pour lors dans les monastères anglo-saxons. La métrique, tout particulièrement, n'eut pas de secret pour lui : et Dieu sait si elle était devenue compliquée et abstruse, en un temps où la difficulté vaincue était en quelque sorte le seul mérite qui restât à la poésie savante.


Comme poète, Winfrid trahit à tous les points de vue le temps et le milieu d'où il sort : sa poésie est bien la combinaison de la décadence latine avec la barbarie saxonne.


La prédilection pour l'énigme et pour l'allégorie, le goût de l'allitération et de l'acrostiche, l'emploi de termes grecs en latin, les constructions étranges de poèmes à figures géométriques, toutes ces bizarreries se retrouvent au même degré chez Aldhelm comme chez Winfrid, et, chez l'un comme chez l'autre, ce qu'elles ont d'un peu puéril est racheté par les préoccupations d'ordre moral qui reparaissent au milieu de leurs jeux d'esprit pour les ennoblir.


On aurait tort d'en sourire; ils étaient pour les hommes d'alors un instrument de culture littéraire, et on ne s'expliquerait pas autrement la fidélité qu'un ascète comme Winfrid gardera à ces exercices de sa jeunesse, terminant une lettre au souverain pontife lui-même par une effusion lyrique en vers de sa façon.


Au surplus, ce ne sont pas les oeuvres des poètes profanes, mais les livres saints qui prirent le meilleur de l'esprit du jeune moine. L'exégèse d'alors roulait surtout sur l'explication du quadruple sens des écritures : littéral ou historique. allégorique, moral et anagogique.

Arthur

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Message  Arthur Ven 08 Jan 2010, 8:23 am


Winfrid approfondit cette étude difficile et y devint maître : il mérita que plus tard un des princes de l'Église d'Angleterre, saint Cutberth de Cantorbéry, le glorifiât d'avoir pénétré avec tant de bonheur les mystères de l'Écriture sainte.


Il les étudia toute sa vie, les emportant partout, dans ses courses de missionnaires et dans ses plus obscures retraites de moine, et jusque dans le suprême voyage qui devait être couronné par le martyre. Le seul luxe qu'il se permit, c'était de les posséder en lettres d'or; toute sa correspondance est remplie de citations qui attestent le plus intime commerce avec les oracles de la sagesse divine.


Au bout de quelques années, Winfrid avait acquis une telle maîtrise dans ses études que son abbé crut pouvoir lui confier la mission d'enseigner ce qu'il savait si bien. Il le chargea donc, à ce qu'il paraît, de la direction de l'école abbatiale. Winfrid apporta dans ces fonctions la conscience et le zèle qu'il mettait à tout; on peut ajouter qu'il prit la passion de son métier.


Une grammaire latine qu'il rédigea à l'usage de ses élèves nous est restée fortuitement, et il est intéressant de constater qu'une carrière si haute a débuté par des humbles travaux. Son enseignement était fort goûté; les disciples affluaient autour de la chaire du maître qui jetait de l'éclat sur le monastère de Nursling.


Il les charmait par son talent et les conquérait par sa bonté; tous les élèves que nous lui connaissons sont restés ses amis. Ses écrits didactiques se répandirent même au-delà des murs de son abbaye, et ses disciples les plus dociles comme les plus enthousiastes, ce furent peut-être ces pauvres religieuses qui, dans leur soif de savoir, se passaient de main en main les cahiers du maître et se mettaient de loin sous sa direction.


Ce qui est touchant dans la vie de ce professeur, c'est qu'il ne s'enferme pas dans les satisfactions intellectuelles de sa profession, c'est que le lettré en lui, ne supprime pas le missionnaire. Il ne garde pas sa science pour sa classe, et son biographe se plaît à nous le montrer prêchant les grands et les petits, et leur inculquant les vérités de la foi avec une éloquence dont le caractère était celui de l'homme lui-même : la douceur alliée à la force.


Ainsi, dès ses débuts, l'apôtre apparaissait dans le moine, et un lettré studieux mettait au service de l'un et de l'autre les trésors de la science sacrée. L'apôtre y trouvait des thèmes pour l'enseignement des multitudes, le moine y puisait des conseils de vie évangélique. Car la science des Écritures, dit le biographe, n'était pas chez Winfrid une vaine érudition; elle lui servait surtout à pratiquer les commandements de Dieu.


Ni ses études, ni le double labeur de l'enseignement et de la prédication n'empêchèrent Winfrid de vaquer, comme le dernier de ses frères, aux occupations de son état. Il fut un modèle de l'accomplissement de tous les devoirs monastiques.


Assidu aux offices, même à ceux de la nuit, zélé pour le travail des mains, chaste, humble, obéissant, charitable, doux et ferme à la fois, toujours maître de lui, il réalisait le type de ces natures fortes et sereines que les premiers siècles ont vues en si grand nombre sous le froc.


Un trait que son biographe a relevé chez lui, c'est qu'il ne buvait jamais de vin, ni aucune liqueur fermentée, et, cette pratique de l'abstinence totale, il devait l'introduire plus tard dans son monastère de prédilection, à Fulda. Peut-être y a-t-il dans ce trait d'austérité quelque chose de plus que l'amour de la mortification : il écrit quelque part que l'ivrognerie est le vice dominant de ses compatriotes, et l'horreur qu'elle lui inspire est comme la réaction généreuse du chrétien et du patriote contre un fléau national.

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Message  Arthur Lun 11 Jan 2010, 8:30 am



Lorsqu'il eut atteint l'âge canonique de trente ans, le choix de son abbé et de ses frères l'appela aux honneurs du sacerdoce. En ces temps reculés, les moines étaient encore compris dans l'ordre des laïques, et la prêtrise n'était conférée qu'à quelques-uns d'entre eux, pour la satisfaction des besoins religieux de la communauté. Winfrid fut donc, dans le sacerdoce comme dans l'enseignement, l'élu de ses frères. C'était vers 710.


À quelque temps de là, un concile dont les actes n'ont pas été conservés se réunissait en Wessex avec le concours du roi Ina. Les questions qui y furent traitées semblent avoir été de quelque importance, car les prélats réunis décidèrent de demander l'assentiment de Berchwald, archevêque de Canterbury.


Lorsqu'il s'agit de choisir l'homme qu'on députerait auprès du primat d'Angleterre, ce fut Winfrid qui eut l'honneur d'être proposé, non seulement par son propre abbé, mais encore par ceux de Tysbury et de Glastonbury. Le choix fut heureux. Winfrid s'acquitta à la grande satisfaction du concile de sa mission, qui paraît avoir été délicate.


Elle lui valut, avec la sympathie du prélat auquel il avait été député, la reconnaissance du roi et de tous les évêques du royaume. Il fut dès lors un personnage; plusieurs autres conciles voulurent l'avoir dans leur sein, et sa réputation se répandit partout.


Quand plus tard on le verra rester en correspondance avec les rois et les évêques de toute l'Angleterre, quand on verra des colonies entières de religieux et de religieuses quitter leur patrie à son seul appel pour aller partager ses travaux, il faudra se souvenir de cette popularité de bon aloi qui entourait le nom du pauvre moine de Nursling.


Ainsi s'ouvrait devant lui un brillant avenir dans sa patrie. Élevé au-dessus de ses frères par la science et par la vertu, ayant attiré sur lui l'attention de tout ce qu'il y avait de grand dans le Wessex, y compris le roi et les évêques, respecté, aimé, admiré, il pouvait entrevoir l'heure où la confiance publique irait le prendre dans sa cellule pour le placer sur un siège épiscopal.


Mais le coeur de Winfrid était étranger à l'ambition et insensible aux honneurs. Il avait un idéal plus élevé. Comme tant d'autres âmes généreuses, il avait entendu dès l'aurore de la vie cette parole qui dit à l'élu de Dieu :


" Sors de ton peuple et du pays de tes pères, et va dans la terre que je tai préparée ". Il se sentait pressé de porter l'Évangile aux peuples assis dans les ténèbres de la mort, et de travailler, dans la mesure de ses forces, à dilater le royaume de Dieu.


Quand cette seconde vocation était-elle éclose en lui ? Était-elle aussi ancienne que sa vocation monastique, ou bien était-elle née dans la méditation du cloître et pendant le cours de ses prédications populaires ? Dans quelle mesure le courant national qui entraînait hors de la patrie tant de ses compatriotes a-t-il agi sur lui ?


Nous l'ignorons, mais son biographe semble expliquer sa détermination par un progrès de sa vie religieuse et par le désir d'échapper aux honneurs dont il était menacé. Quoi qu'il en soit, la vocation de l'apôtre fut aussi ferme et aussi solide que l'avait été celle du moine. Elle fut mûre surtout : il était dans toute la plénitude de sa force et de son talent lorsqu'il décida à y obéir.


Comme toutes les vocations, elle passa par l'épreuve. Son abbé, à qui il s'en était ouvert, refusa d'abord de se séparer du meilleur de ses religieux, et ne céda qu'après une longue résistance. Alors Winfrid put partir.

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Message  Arthur Mar 12 Jan 2010, 8:22 am



Pas un instant il n'avait hésité sur son itinéraire. Le but de son voyage, c'était la Germanie, la terre des aïeux. Et aucune région de ce grand pays ne sollicitait davantage le zèle du missionnaire anglo-saxon que la Frise. Elle était située à l'opposite de l'île de Bretagne.


On n'avait que le canal à franchir pour voir apparaître les rives basses de cette région. Il semblait que de ses bords devait incessamment arriver à l'oreille des ouvriers évangéliques de l'île la parole du Macédonien à saint Paul : " Passe la mer et viens à notre secours " .


La Frise était d'ailleurs comme la terre classique du paganisme. Elle semblait résister à la Rome des papes avec la même furie d'indépendance qu'à la Rome des empereurs. Les armées franques n'étaient pas encore parvenues à la dompter. Les premiers missionnaires, saint Armand et saint Éloi, n'avaient fait qu'y passer; elle était comme tenue en réserve pour le zèle des Anglo-Saxons.


Dès 678, l'illustre archevêque d'York, Winfrid, qui fut, par ses épreuves, comme une image de saint Athanase et un précurseur de Thomas Becket, y avait reçu l'hospitalité chez le duc Aldigisil, païen humain et tolérant qui, en lui faisant accueil, avait encore le plaisir de braver les Francs, car Ebroïn l'avait invité à assassiner le généreux confesseur.


Depuis lors, plusieurs ouvriers évangéliques venus d'Angleterre avaient abordé en Frise, où ils avaient travaillé avec plus ou moins de succès. Mais le plus grand d'entre eux, celui à qui revient la gloire immortelle d'avoir appelé ce peuple à la vie chrétienne, ce fut Willibrord.


Depuis son retour de Rome, où il avait reçu du pape, avec le nom de Clément, la dignité épiscopale et la mission d'évangéliser la Frise, sa vie entière fut consacrée à ce peuple. C'est près de lui que Boniface voulait se rendre; c'est sous sa direction qu'il entendait s'initier aux labeurs et aux épreuves de sa rude mission.


C'était en 716. Les moines de Nursling firent en pleurant leurs adieux au frère qui les quittait. Ils avaient d'ailleurs supporté les frais de son voyage, et l'avaient muni de ressources qui lui étaient indispensables. Winfrid emportait des garanties auxquelles il tenait davantage : leurs prières. Une communauté de prières le rattachait aussi à l'archevêque de Canterbury, Berchwald, au moment où il entreprit sa mission.


Ce doux lien spirituel contracté entre des âmes qui s'engagent à se souvenir les unes des autres devant Dieu, c'est en Angleterre qu'il paraît avoir été noué tout d'abord et ce fut, pendant toute la vie de Winfrid, la forme de prédilection des relations d'amitié qu'il contractait.


Il partit enfin, emmenant trois compagnons de voyage et de labeur. Nos quatre voyageurs passèrent par Londres, qui était dès lors le grand entrepôt du commerce anglo-saxon; ils y prirent la mer et débarquèrent à Duurstede, la métropole commerciale des Pays-Bas. Winfrid se trouvait sur le théâtre de ses futurs combats : il allait pouvoir se consacrer tout entier au salut de ses semblables.

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Message  Arthur Mer 13 Jan 2010, 6:15 am


CHAPITRE II


PREMIÈRES ANNÉES DE MISSION


Au moment où Winfrid et ses compagnons mettaient le pied sur le sol de la Frise, toutes les circonstances semblaient s'être conjurées pour rendre leur mission impossible. Pépin d'Herstal était mort ( 714 ) et les Frisons, qui ne supportaient qu'à contrecoeur la suprématie du peuple franc, n'avaient pas attendu sa fin pour se soulever.


Pendant que le puissant maire du palais, terrassé par la maladie, agonisait à Jubille, ils lui avaient tué son fils en trahison, et à peine lui-même eut-il fermé les yeux que Radbod, leur duc, dressa l'étendard de la révolte. En peu de temps, tout le fruit des conquêtes de Pépin et des labeurs apostoliques de Willibrord sembla perdu.


Le vieil évêque abandonna sa chère mission, et, retiré dans son lointain couvent d'Echternach, il dut laisser une seule tourmente balayer, pour ainsi dire, l'oeuvre de sa vie entière.


C'est au milieu de ces tristes conjonctures que Boniface venait de débarquer à Duurstede. Elles ne l'effrayèrent pas. Sans tarder, il se rendit a Utrecht, où Radbod avait sa résidence, et il aborda directement le farouche barbare. Il doit lui avoir imposé, puisque ce prince lui permit de rester dans son pays et, ce semble, ne lui défendit pas d'y prêcher.


Mais Winfrid se convainquit bientôt qu'il n'y avait pour le moment rien à faire sur un sol que Willibrord, le vaillant ouvrier évangélique, s'était récemment vu contraint d'abandonner. Il regagna l'Angleterre et retourna dans son abbaye, où il fut reçu avec joie.


Tout porte à croire qu'il n'avait voulu faire qu'un voyage de reconnaissance, et qu'il ne rentrait dans sa patrie que pour préparer dans de meilleures conditions un départ définitif. C'est ce que laisse entendre son biographe, et c'est aussi ce qu'il dit lui-même dans une lettre adressée, peu de temps après son retour en Angleterre, à un jeune homme du nom de Nithard, dont il avait fait la connaissance sur le continent.


Il s'était convaincu de la nécessité d'avoir un point d'appui, et, comme il avait le sens rassis et l'esprit positif de sa race, il ne voulut pas reparaître chez les barbares en simple volontaire de l'Évangile. Il entendait se montrer à eux, revêtu du prestige d'une mission formelle de la part du chef de l'Église, et protégé, bien que de loin, par le bras puissant du duc des Francs.


Il eût pu sembler toutefois que sa nouvelle mission de Frise fût renvoyée dans le domaine des rêves. L'année même de son retour à Nursling, il eut la douleur de voir mourir son vieil abbé Winbrecht, et le choix des moines l'appela à lui succéder. Il refusa, se sentant appelé ailleurs. Le conflit ne dura guère, grâce à l'évêque diocésain, Daniel de Winchester, qui vint au secours de son ami et qui s'employa à faire élire à sa place l'abbé Étienne.

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Message  Arthur Jeu 14 Jan 2010, 8:28 am


Winfrid se retrouvait libre. Déjà le second hiver s'était écoulé depuis qu'il avait quitté la Frise, et maintenant, le printemps venu, il était comme l'oiseau qui ouvre l'aile pour regagner la patrie. Il partit enfin en 718, muni de lettres de recommandation qui lui avaient été données par Daniel, l'une pour le pape, l'autre, d'une teneur plus générale, et adressée à tous les représentants de la hiérarchie tant spirituelle que temporelle.


Cette fois, l'itinéraire du pieux voyageur indique d'emblée le plan mieux étudié de son voyage. Du port de Londres, un bateau le porta directement à Saint-Josse-sur-Mer en face d'Étaples, à l'embouchure de la Canche, où il devait retrouver des compagnons de voyage.



On se rassembla comme des hirondelles; ce n'étaient pas seulement les compagnons de ses futurs travaux qui suivirent Winfrid à Rome, mais aussi de nombreux pèlerins anglo-saxons, qui, fidèles à la coutume de leur nation, s'en allaient faire leurs dévotions au tombeau de saint Pierre. Winfrid, avec ses lettres de créance, était sans doute à la tête de la pieuse caravane.


On était à l'entrée de l'hiver 718, qui s'annonçait rigoureux. Les voyageurs se mirent en route à pied, s'arrêtant à tous les sanctuaires réputés, pour demander à Dieu un heureux et fécond voyage. De fait, et grâce, dit le vieux biographe, à la protection des saints, on arriva sans encombre à Rome. la première visite de Winfrid et de ses compagnons fut pour Saint-Pierre, où ils déposèrent leurs offrandes en remerciant le Christ de l'heureuse issue de leur voyage.


Quelques jours après, Winfrid était admis à L'audience du pape Grégoire II, et lui remettait la lettre de Daniel de Winchester. Le pape était un digne héritier du nom et du zèle de Grégoire I. Sa pensée s'était tournée depuis longtemps vers la race germanique, et, dès 716, il avait envoyé son légat en Bavière avec mission de réformer l'Église de ce pays.


Il reçut notre pèlerin le sourire aux lèvres, le garda auprès de sa personne pendant tout le reste de l'année, et eut avec lui de fréquents entretiens au cours desquels il put se convaincre quel vigoureux ouvrier le royaume de Dieu venait d'acquérir dans ce modeste moine de Bretagne.


Enfin, le jugeant suffisamment instruit de sa mission et pénétré des enseignements de la chaire, il le laissa partir au milieu du mois de mai 719, en le chargeant, par une lettre datée du 15 de ce mois, de porter la parole de Dieu aux peuples plongés dans les ténèbres de l'idolâtrie.

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Message  Arthur Mer 20 Jan 2010, 8:31 am



Conçue dans les termes les plus généraux, cette lettre d'investiture donnait une grande latitude à Boniface pour prêcher l'Évangile aux idolâtres, et montrait la confiance que dès lors il avait su inspirer au pape, qui l'appelait son collaborateur dans le ministère de la parole de Dieu. La bulle du souverain pontife contenait à l'usage du missionnaire une double recommandation : dans l'administration de sacrements, se conformer aux règles en vigueur dans la liturgie romaine, et dans les cas difficiles, en référer au Saint-Siège.


Comme pour exprimer par un symbole éloquent cette transformation qui s'accomplissait dans la personne du moine anglo-saxon devenu le familier de saint Pierre, le pape changea le nom de Winfrid en celui de Boniface, de même que précédemment il avait changé celui de Willibrord en celui de Clément.


Le futur apôtre entrait dans la hiérarchie catholique avec ce nom qu'il devait rendre célèbre; à partir de 719, il ne signa plus d'un autre, et peu à peu ses correspondants laissèrent tomber celui de Winfrid dans les lettres qu'ils lui adressaient.


Boniface regagna la Germanie en passant par la cour du roi lombard Luitprand, où il trouva une large hospitalité à Pavie, puis il visita successivement, sans s'y arrêter longtemps, la Bavière et la Thuringe, et il était en Franconie lorsqu'il apprit la mort du duc Radbod.


Ce redoutable ennemi des Francs et du christianisme venait d'expirer au moment où les ennemis coalisés de Charles Martel comptaient sur la diversion qu'il opérait au nord, pendant qu'eux-mêmes attaquaient au sud. La diversion n'eut pas lieu; Charles garda les mains libres du côté de la Frise, et de l'Église naissante de ce pays put respirer sous l'autorité plus humaine du duc Aldigisil II, successeur de Radbod, rallié dès le premier jour à la cause des Francs.


Boniface dut voir le doigt de Dieu dans la disparition du persécuteur au moment même où, revenu de Rome en Germanie, il se demandait quel pays il donnerait pour théâtre à ses premiers travaux. La Providence semblait lui répondre éloquemment en lui ouvrant l'accès à la Frise, qu'il avait une première fois abordée en vain.


Un rêve qu'il fit à cette époque le confirma dans sa croyance. Il lui sembla qu'il travaillait dans les moissons de Dieu, qu'il réunissait des gerbes qui étaient formées d'âmes d'élus, et qu'il les portait dans les greniers du royaume céleste. Tel est le récit qu'il fit lui-même à une religieuse d'Angleterre avec laquelle il correspondait.

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Message  Arthur Jeu 21 Jan 2010, 6:19 am



Arrivé en Frise, Boniface alla trouver à Utrecht son vénérable compatriote saint Willibrord, qui venait de rentrer dans son diocèse, et dont le labeur apostolique était rendu plus lourd encore par la récente persécution de Radbod. L'arrivée d'un auxiliaire jeune et vigoureux, qui lui apportait un écho de Rome, fut pour lui une consolation et un réconfort.


Boniface travailla trois ans avec le saint vieillard, détruisit les idoles, bâtit des églises, et convertit un bon nombre d'infidèles. Willibrord qui sentait arriver l'âge de la fatigue, crut avoir trouvé en lui le coadjuteur, voire même le successeur qu'il avait rêvé : d'accord avec son clergé, il voulut lui imposer les mains.


Boniface refus l'honneur, alléguant qu'il avait reçu du pape la mission d'un apôtre auprès des infidèles, qu'il ne pouvait pas s'y dérober en se confinant à jamais dans un seul diocèse, que d'ailleurs, il n'était pas digne de l'épiscopat, et qu'il n'avait pas même atteint l'âge canonique, qui était de cinquante ans.


Il supplia même Willibrord de lui donner son congé, sans doute pour éviter toute nouvelle demande de ce genre et Willibrord consentit à lui accorder ses lettres d'exeat. C'est ainsi qu'en 722, quittant le terrain qu'il avait arrosé de ses premières sueurs, Boniface regagna l'intérieur de l'Allemagne, prêt à se rendre partout où l'appelleraient les besoins des âmes.


Sur sa route, il lui arriva de s'arrêter dans la riante vallée de la Moselle à l'abbaye de Pfalzel ( Palatiolum ), près de Trèves, une de ces maisons religieuses, si fréquentes à cette époque, qui avaient assumé la charge spéciale de donner l'hospitalité aux missionnaires d'outre-Manche.


L'abbesse de ce monastère fondé dans un domaine royal était Addula, soeur, selon quelques érudits, de la princesse Irmine qui, à peu de distance de Pfalzel, présidait au gouvernement de l'abbaye d'Oeren. Addula, qui avait quitté le monde en devenant veuve, était en rapports avec l'Angleterre, et nous possédons une lettre de l'abbesse anglo-saxone Aelfled, lui recommandant une religieuse qui allait en pèlerinage à Rome.


Au moment où Boniface y fut reçu. elle avait auprès d'elle son petit-fils Grégoire, adolescent de 14 à 15 ans, fils de son fils Albéric, qui revenait du palais royal et qui vivait en habits laïques sous le toit de sa grand-mère. Au dîner, l'enfant, après avoir reçu la bénédiction de l'abbesse, fut chargé de faire à haute voix la lecture d'usage.


" As-tu bien compris ce que tu viens de lire ? lui demanda le saint lorsqu'il eut fini.

--- Oui, répondit l'enfant avec assurance.

--- Eh bien, redis-le nous. "


Là-dessus l'enfant se remit à lire tout haut le texte latin.

" Non, reprit le saint, c'est dans ta langue à toi que je te demande de nous redire ce que tu as appris dans le livre. "


L'enfant, tout confus, avoua qu'il ne pouvait. Alors le saint, lui faisant relire lentement le passage, lui expliqua au fur et à mesure, ainsi qu'à l'abbesse et aux commensaux, le sens de la page sacrée. C'était vraiment, ajoute l'historiographe qui nous a conservé ce charmant épisode, l'Esprit-Saint qui parlait par la bouche de Boniface, et la suite le montra bien, car à partir de ce moment l'enfant ne voulut plus le quitter.


" Je veux le suivre, dit-il à sa grand-mère, je veux devenir son disciple et apprendre de lui l'explication des livres divins. "


Ce fut en vain que l'abbesse essaya de le dissuader, alléguant, pour avoir raison de ce qu'elle prenait pour un caprice, que Boniface était un étranger, qu'on ne savait d'où il venait ni où il allait; l'enfant insista avec force :

" Si tu ne veux pas me donner un cheval pour partir avec lui, dit-il, je partirai à pied. "


L'entretien dura encore quelque temps sur ce ton, mais, à la fin, l'obstination de l'enfant l'emporta, et la grand-mère, tout émue et se disant qu'elle était en présence d'un appel de Dieu, consentit à se séparer de l'enfant aimé : elle lui donna des chevaux et les gens nécessaires à son service, et lui fit ses adieux, qui devaient être éternels
.

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Message  Arthur Lun 25 Jan 2010, 8:27 am


Grégoire ne quitta plus jamais le saint maître dont il avait fait choix dès l'aurore de la vie; ils travaillèrent ensemble, dit l'hagiographe, jusqu'au jour où le martyre vint couronner la carrière glorieuse de l'apôtre. Il y a bien des taches de sang et de boue sur la dynastie mérovingienne, mais une page comme celle que nous venons de transcrire y fait briller le sourire de la grâce divine.


Boniface avait, s'il est permis de s'exprimer ainsi, terminé son apprentissage de la vie missionnaire : le moment était venu pour lui de travailler sous sa propre responsabilité. Devant lui s'étendait le domaine à peu près illimité de l'activité évangélique.


Sur la rive droite du Rhin, toute la partie de l'Allemagne soumise à l'autorité des Francs était encore à moitié païenne; la Saxe l'était tout à fait. Son zèle ne s'effrayait pas à l'idée de les gagner l'une et l'autre. Mais il voulut procéder avec prudence et ne s'acheminer que par étapes vers le centre du paganisme germanique, où vivaient les ancêtres de son peuple.


Ce fut l'Allemagne franque à qui il demanda les prémices de son apostolat. Laissant de côté, pour le moment, l'Allémanie et la Bavière, qui vivaient sous l'autorité de princes chrétiens vassaux des Francs, il aborda cette vaste et montueuse région qui occupait le centre de l'Allemagne, la Hesse et la Thuringe.


C'était une terre de profondes forêts et d'antique barbarie. Elle avait déjà reçu la visite des missionnaires : les Irlandais surtout l'avaient évangélisée, et l'on y conservait avec respect le souvenir de saint Kilien.


Mais l'indifférence des rois mérovingiens pour la conversion de ces contrées, l'absence d'une organisation sérieuse du travail apostolique, l'austérité trop grande peut-être du clergé irlandais, qui semble n'avoir pas toujours compris les Germains.


Les fâcheuses dissidences liturgiques et disciplinaires qui mettaient souvent ses membres aux prises avec les prêtres du continent, telles étaient les raisons qui avaient jusqu'alors empêché la vie religieuse des chrétiens de Germanie de prendre un véritable essor. La foi naissante de ces peuples ne parvenait pas à se détacher du paganisme ambiant et menaçait à chaque instant d'y retomber.


Quand on pense que le saint rencontra dans ces parages des prêtres chrétiens qui participaient eux-même au culte du dieu Thor et à ses banquets sacrés, on se demande avec effroi quel devait être l'état moral et religieux des populations confiées à de pareils pasteurs. On ne voit pas trop ce qui les distinguait des païens; on voit l'abîme qui les séparait de l'Évangile.

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Message  Arthur Mar 26 Jan 2010, 8:00 am



Dans de pareilles conjonctures, ce fut un grand bonheur pour le saint de rencontrer d'emblée, dans le pays d'Amoeneburg où il commença son travail apostolique, deux personnages de marque qui se firent ses zêlés protecteurs. Dettic et Deorulf --- c'est ainsi qu'ils s'appelaient --- étaient chrétiens par le baptême et, au surplus, pleins de bonne volonté, mais assez ignorants et même à moitié idolâtres.


Boniface éclaira leurs intelligences, les amena à une conception plus haute et plus pure de leur religion, et se servit d'eux pour instruire et convertir un grand nombre de leurs compatriotes.


Le biographe passe rapidement sur ces premiers labeurs apostoliques, qui durent être particulièrement pénibles et difficiles. Seul en face d'un monde à soulever, menacé souvent dans sa sécurité personnelle, n'ayant autour de lui personne à qui il pût demander un conseil ou une direction, il voyait, à certaines heures, tout se conjurer contre son oeuvre, et Dieu même se dérober en quelque sorte.


Alors sur le point de succomber au trouble et au découragement, il ne trouvait de réconfort qu'au souvenir des amis qui priaient pour lui, là-bas, dans la patrie au delà des flots. Son bon vieux maître Daniel de Winchester dut plus d'une fois recevoir les confidences de l'exilé, qui lui soumettait ses doutes et qui lui demandait ses conseils.


C'est à une lettre de Boniface, aujourd'hui perdue, que répondent, vers cette date, les instructions de Daniel sur la manière d'évangéliser les barbares. Écoutons-les :


" Il ne faut pas, selon le vieil évêque, combattre directement les erreurs des païens ni contester la généalogie de leurs dieux; il faut procéder par questions discrètes et les faire s'expliquer sur leurs croyances. On les amènera d'abord à reconnaître que leurs dieux n'ont pas toujours existé, qu'ils sont nés par génération à la manière des hommes.


Et le monde, demandera-t-on, a-t-il existé de tout temps ? S'il a commencé, qui est-ce qui l'a créé ? Ce ne sont pas leurs dieux, à coup sûr; il n'y en avait pas avant qu'il existât, puisqu'ils n'auraient eu ni séjour ni moyen de vivre. S'ils disent qu'il n'a pas commencé, il faut leur montrer que cela est impossible, leur demander par qui il a été gouverné avant les dieux, comment ils s'y sont pris pour se l'assujettir, et quelle est l'origine du premier dieu ?


Les dieux et les déesses continuent-ils de se reproduire ? Si non, pourquoi ne le font-ils plus ? Quel embarras pour les hommes de trouver le plus puissant de ces dieux, et quelle crainte de l'offenser en ne lui offrant pas leurs hommages ! Puis, en vue de quoi adore-t-on les dieux ? Des biens qu'on en reçoit, ou de la félicité éternelle ? Si c'est en vue des biens, qu'on nous montre donc en quoi les païens sont plus favorisés que les chrétiens !


En quoi fait-on plaisir aux dieux par des sacrifices, puisqu'ils possèdent tout ? Pourquoi tolèrent-ils que les biens qu'on leur offre appartiennent à leurs fidèles ? S'ils en ont besoin, pourquoi ne les ont-ils pas pris eux-mêmes, et plus grands ? S'ils n'en ont pas besoin, comment espère-t-on les apaiser en leur offrant ce dont ils n'ont que faire ? Tout cela doit être exposé avec douceur et modération, non sur le ton d'une controverse passionnée et irritante.


" De temps en temps, une comparaison faite comme en passant entre ces rêves de la mythologie païenne et les doctrines du christianisme fera le plus grand bien : les païens seront plus honteux qu'irrités de cette réfutation indirecte de leur fausse croyance, et, au surplus, il est bon de leur montrer à l'occasion que si on combat leurs doctrines, ce n'est pas qu'on les ignore.


" On peut encore arrêter l'attention d'un auditoire païen devant cette autre question : Si les dieux sont tout-puissants, bienfaisants et justes, ils doivent récompenser leurs orateurs, et punir ceux qui les méprisent.


Mais alors comment expliquer la prospérité des chrétiens, qui leur ont presque enlevé le monde entier, et qui sont en possession des régions les plus riches et les plus fertiles, ne laissant aux sectateurs des dieux que les contrées glaciales où, chassés pour ainsi dire de toute la terre, ils ne gardent plus qu'un semblant de règne ?


On doit insister sur ce point que les chrétiens constituent presque l'humanité entière : qu'est-ce, en comparaison d'eux, que le petit troupeau des idolâtres restés fidèles à l'antique erreur ? Il ne faut pas laisser les païens sous l'empire de cette idée fausse, que le culte des dieux serait légitime parce qu'il existe de toute antiquité.


Oui, le monde entier a été livré aux idoles jusqu'à ce que Jésus-Christ soit venu enseigner la vérité. Cela est si vrai que les chrétiens eux-mêmes doivent laver leurs enfants dans les ondes du baptême, sinon ils ne seraient pas débarrassés de la souillure originelle. "


Telle était la méthode d'évangélisation que le vieil évêque de Winchester recommandait à son ancien disciple. Elle s'inspirait de l'esprit de saint Grégoire le Grand, qui, un peu plus d'un siècle auparavant, avait donné un programme semblable à saint Augustin. La méthode de saint Grégoire avait produit des fruits rapide en Angleterre, et les prélats de ce pays pouvaient la recommander avec une entière confiance à ceux des leurs qui évangélisaient à leur tour des pays barbares.

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Message  Arthur Mar 26 Jan 2010, 7:37 pm

En même temps que les conseils, Boniface, avons-nous dit, demandait des prières. Une active correspondance s'échangeait entre lui et les âmes saintes qui, du fond de la patrie, suivaient avec intérêt ses travaux apostoliques, et c'était toujours la même demande, et c'était toujours la même promesse : Oratio fiebat sine intermissione pro eo.


Du fond des cloîtres anglo-saxons, les religieuses qui avaient reçu les enseignements écrits du saint et qui étaient devenues ainsi disciples, lui écrivaient pour lui exprimer leur dévouement et pour lui promettre de toujours se souvenir de lui devant Dieu.


Et l'assurance de ce dévouement pur et profond, la pensée de ces prières virginales qui appelaient sur lui et sur son oeuvre la bénédiction de Dieu, soutenaient dans son rude labeur le courageux ouvrier de l'Évangile, à l'heure où il sentait la tentation s'approcher de lui sous la forme de la lassitude et du découragement.


Cependant, le moment était venu où le pape avait le droit d'être renseigné sur la marche des travaux entrepris sous ses auspices. Aussi, en 722, une lettre de Boniface, portée à Rome par son fidèle Bynnan, alla-t-elle annoncer au souverain pontife les premiers résultats de la mission de Germanie.


Ce fut pour le saint l'occasion de consulter le père commun des fidèles sur de nombreuses difficultés qui s'étaient offertes à lui au cours de son ministère quotidien : il répondait ainsi à la recommandation que le pape lui avait faite lors de son premier voyage au tombeau des apôtres. Bynnan revint avec une lettre de Grégoire II contenant la solution des doutes proposés, en invitant Boniface à aller le trouver à Rome.

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Message  Arthur Jeu 28 Jan 2010, 8:20 am



CHAPITRE III


L'ÉPISCOPAT




Grégoire II avait des vues sur Boniface. Depuis trois ans qu'il observait cet excellent ouvrier de l'Évangile, il avait pu se convaincre qu'il y avait dans le modeste missionnaire anglo-saxon l'étoffe d'un pasteur de peuples.


Son but,en l'appelant à Rome, était, après l'avoir dûment examiné au point de vue de la doctrine, de l'introduire dans la hiérarchie catholique et de le renvoyer, entouré d'un nouveau prestige et muni d'une autorité plus efficace, dans le domaine qu'il avait commencé de défricher. La mission de Germanie était devenue assez fructueuse pour mériter d'avoir son évêque à elle.


Boniface était loin de se douter des hautes destinées qui l'attendaient à Rome, pendant qu'il s'acheminait par la vallée du Rhône dans la direction de la Ville Éternelle, entouré d'un nombreux cortège de fidèles et d'amis qui avaient voulu faire avec lui le pèlerinage, dès lors si populaire, au tombeau du prince des Apôtres.


Arrivé à Rome, il courut d'abord faire ses dévotions devant la Confession de saint Pierre, puis il informa le souverain pontife de son arrivée. Le pape lui fit donner une prévenante hospitalité dans un des nombreux xénodoches de la ville, après quoi il l'invita à son audience.


Le biographe du saint a reproduit avec un soin particulier les détails de cette entrevue entre le chef de l'Église et l'apôtre de la Germanie, et, en vérité, il en valait la peine, car c'était de l'avenir d'une grande nation qu'il s'agissait. Le pape commença par interroger Boniface sur sa foi.


" Saint-Père, répondit l'apôtre, je ne suis qu'un étranger, et je n'ai pas l'habitude du langage qu'on parle ici, mais, je vous en prie, accordez-moi le temps de mettre ma profession de foi par écrit, et vous aurez un document qui vous renseignera sur ma doctrine. "


Cette demande fut agréée, et Boniface rédigea, on peut penser avec quelle sollicitude et quelle précision ! une profession de foi qui devait rassurer Grégoire II sur son orthodoxie et sur sa science. Le pape, l'ayant reçue, l'examina attentivement, et, satisfait de cette épreuve, il invita Boniface à une nouvelle entrevue au Latran.


L'apôtre se prosterna à ses pieds et lui demanda sa bénédiction, mais le pape le releva affectueusement, le fit asseoir près de lui, lui rendit sa déclaration et l'engagea à conserver sa foi intacte pour la transmettre dans le même état aux autres.


L'entretien, cette fois, se prolongea pendant presque toute la journée, et il est permis de croire qu'il acheva la formation apostolique de Boniface. Dans cette âme si pénétrée de la foi en la chaire romaine, les conseils et les exhortations du vicaire de Jésus-Christ devaient pénétrer pour s'y graver à tout jamais.


Au terme de cette entrevue mémorable, le pape révéla à l'apôtre son dessein jusqu'alors caché, qui était de l'élever à l'épiscopat. Boniface, nous dit son biographe, n'osa pas résister à la volonté du souverain pontife, et il obéit. Ces quelques mots peignent au vif l'âme du saint.


Quelques années auparavant, il s'était dérobé à toutes les sollicitations de Willibrord qui voulait l'avoir pour collègue ou pour successeur; aujourd'hui, la volonté du vicaire de Jésus-Christ était pour lui un ordre d'en haut, devant lequel toutes ses répugnances se taisaient.

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Message  ROBERT. Jeu 28 Jan 2010, 1:03 pm

Arthur a écrit:(...)Quand on pense que le saint rencontra dans ces parages des prêtres chrétiens qui participaient eux-mêmes au culte du dieu Thor et à ses banquets sacrés, on se demande avec effroi quel devait être l'état moral et religieux des populations confiées à de pareils pasteurs. On ne voit pas trop ce qui les distinguait des païens; on voit l'abîme qui les séparait de l'Évangile.


A lire cet extrait, on se croirait en plein aujourd’hui, avec le renouveau charismatique «catholique", les panthéistes d’Assise et tous les autres INTRUS païens et néo-païens… Saint Boniface 545542



Arthur a écrit: (...)C'est à une lettre de Boniface, aujourd'hui perdue, que répondent, vers cette date, les instructions de Daniel sur la manière d'évangéliser les barbares. Écoutons-les :

Excellente manière il va sans dire et éprouvée par Saint Grégoire le Grand et Saint Augustin… Il n’y a pas d’autre manière pour évangéliser nos païens d’aujourd’hui…
ROBERT.
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Message  Arthur Ven 29 Jan 2010, 6:55 am



Il ne faut pas se méprendre sur la nature de l'honneur que le pape faisait à Boniface, en lui ouvrant les rangs de la hiérarchie épiscopale. Il ne s'agissait pas de faire de lui un évêque comme un autre, ni de lui confier un des diocèses alors existant dans la chrétienté. Boniface devenait, si l'on peut parler ainsi, évêque de Germanie; son diocèse était immense, puisqu'il comprenait toute l'Allemagne transrhénane.


Il était l'égal des autres évêques pour la juridiction, il se distinguait d'eux en ce qu'il n'avait pas de siège épiscopal et qu'il devait créer lui-même son troupeau. Il n'était pas encadré dans la hiérarchie métropolitaine et ne devenait le suffragant de personne, mais il était rattaché directement à la chaire romaine.


C'est elle qui allait faire, par Boniface, la conquête de l'Allemagne, comme elle avait fait par Augustin celle de l'Angleterre. Pierre, le vieux pêcheur d'hommes, jetait de nouveau son filet pour quelque pêche miraculeuse.


L'ordination épiscopale de Boniface eut lieu à Rome même, le 30 novembre 722, jour de la fête de saint André, apôtre. Le saint, à cette occasion, prêta le serment des évêques suburbicaires; voici quelle en fut la formule :


" Moi Boniface, évêque par la grâce de Dieu, je promets à vous, bienheureux Pierre, prince des apôtres, et à votre vicaire le pape Grégoire , ainsi qu'à ses successeurs, par le Père, le Fils et l'Esprit-Saint, indivisible Trinité, et par votre corps très sacré, que je garderai la sainte foi catholique dans toute sa pureté et qu'avec la grâce de Dieu je persisterai dans l'unité de cette foi, dans laquelle se trouve sans doute possible le salut de tous les chrétiens.


Je promets que d'aucune manière et à la sollicitation de personne je ne contreviendrai à l'unité de l'Église universelle, mais que, comme je l'ai dit, je garderai la pureté de ma foi et mon concours en toutes choses à vous et aux intérêts de votre Église, qui a reçu de Dieu le pouvoir de lier et de délier, ainsi votre vicaire susdit et à ses successeurs.


Je promets de plus que, si je connais des évêques vivant contrairement aux antiques statuts des saints pères, je n'aurai avec eux aucune communion ni concert; bien plus, si je puis empêcher leur genre de vie, je m'y emploierai; sinon, j'en ferai fidèlement et sans tarder rapport à mon seigneur apostolique.


Que si --- ce qu'à Dieu ne plaise ! --- je faisais ou tentais quoi que ce soit de contraire à ces promesses, puissé-je être condamné au jour du jugement et encourir le châtiment d'Ananias et de Saphira, qui ont osé vous tromper sur leurs propres biens et vous dire des choses mensongères !


" Cette formule de serment, moi, Boniface, je l'ai signée de ma main, et après qu'elle a été posée sur votre corps très sacré, en présence de Dieu mon témoin et mon juge, j'ai prêté le serment auquel je promets de rester fidèle. "


En même temps, le pape remettait au nouvel évêque un recueil des canons des conciles, probablement celui de Denys le Petit, pour y recourir et s'y conformer dans l'exercice de ses fonctions. Il lui donnait aussi une lettre pour Charles Martel, le puissant duc des Francs, qu'il priait de protéger et de favoriser la mission de Germanie.


Enfin, il le munissait encore de recommandations spéciales pour les princes et les évêques dont il allait traverser les territoires, pour les Thuringiens qu'il allait évangéliser, et pour les Saxons, que le saint, semble-t-il, avait inscrits dès lors au programme de son apostolat.

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Message  Arthur Lun 01 Fév 2010, 8:21 am


Ainsi outillé, si l'on peut employer cette expression, Boniface prit le chemin du retour, et, dès 723, il était à la cour du duc Charles, auquel il remettait la lettre du pape. Charles Martel était alors l'unique protecteur du christianisme dans le monde, et son épée la seule qui fut tirée au service de la foi.


Sans doute, ce rude guerrier ne remplissait peut-être qu'à son insu le grand rôle que la Providence lui avait réservé dans l'histoire. Pour relever le trône de son père Pépin, pour se faire reconnaître, lui fils illégitime, comme le souverain de son peuple, pour résister à tant d'ennemis conjurés qui le forcèrent à passer sa vie presque tout entière sur les champs de bataille, il avait dû pactiser avec bien des abus, recourir à plus d'une mesure violente et ne pas se montrer trop scrupuleux dans l'exercice de son pouvoir.


L'Église, institution de paix et d'harmonie sociale, avait particulièrement souffert de ce règne orageux, qui avait confisqué une bonne partie des biens ecclésiastiques, distribué à des soudards les évêchés et les abbayes, créé un clergé mondain et guerrier qui introduisait jusque dans la hiérarchie sacrée la barbarie la plus effrénée.


Tout cela cependant ne saurait nous empêcher de reconnaître qu'en réorganisant la monarchie franque et en la faisant triompher de ses ennemis du dehors et du dedans, Charles Martel a sauvé le christianisme et la civilisation. On peut dire de lui ce qu'un évêque du Ve siècle écrivait de Clovis : l'Église catholique a triomphé partout où il a combattu.


Le duc des Francs fit bon accueil au missionnaire; il lui donna une lettre scellée de son sceau par laquelle il déclarait le prendre sous sa protection. C'était beaucoup, en ces temps de barbarie et de violences impunies, de mettre le bras temporel au service de la religion désarmée.


Boniface n'avait certes pas besoin de la force pour convaincre et pour convertir, mais il importait --- comme cela importera dans tous les temps --- que la force fût au service du droit pour l'empêcher d'être opprimé par les violents et par les malveillants.


Mieux que tout autre, Boniface s'est rendu compte de la grandeur du secours que lui prêtait ainsi le prince, et il s'en est exprimé plus tard en termes non équivoques, lorsqu'il écrivit à son vieil ami Daniel de Winchester que, sans un patronage si efficace, son apostolat était en grande partie entravé.


Désormais, l'avenir de la mission de Germanie était assuré. Ce n'était plus un simple missionnaire anglo-saxon, c'était un évêque venu du centre de la chrétienté, c'était un prince de l'Église, un représentant du pape et un protégé du souverain qui était auprès des barbares de la Germanie le porteur de l'Évangile. Boniface pouvait regagner avec confiance le théâtre de ses travaux.

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Message  Arthur Mer 03 Fév 2010, 8:13 am


L'année suivante ( 724 ), nous retrouvons le saint en Thuringe. Ce pays de montagnes et de forêts, depuis la destruction du royaume de Thuringe par les fils de Clovis, avait été partagé entre les Francs et les Saxons. La Thuringe septentrionale, échue à ces derniers, était restée plongée en pleine barbarie.


La Thuringe méridionale, tombée sous l'autorité des Francs, avait appris à connaître Jésus-Christ; du moins les grandes familles ralliées au régime nouveau, qui leur confiait l'administration du pays, étaient passées au christianisme, et saint Kilien, qui avait le premier évangélisé la contrée, avait même converti le duc Gosbert.


Mais des guerres malheureuses contre les Saxons étaient venues réduire la Thuringe à l'anarchie : la dynastie ducale avait disparu, le petit noyau de chrétiens avait été presque exterminé, et les Saxons victorieux, avec ce fanatisme païen qui leur était propre, voulurent, ce semble, forcer les survivants à l'apostasie. Cela ne dure pas, et la terreur des armes de Charles Martel venait de décider les Saxons à faire enfin la paix, mais l'état de la Thuringe chrétienne restait misérable.


Lorsque Boniface y entra, il y avait encore des chrétiens, mais il n'y avait plus de communautés chrétiennes, si l'on peut ainsi parler. La vie religieuse était extrêmement languissante. Les quelques prêtres francs ou scots répandus dans le pays pour l'évangéliser donnaient des exemples de relâchement et d'ignorance qui étaient plutôt un obstacle aux progrès de l'Évangile. Il n'y avait rien à attendre de pareils auxiliaires, et Boniface se voyait obligé de défricher seul son ingrat domaine.


Il s'y employa avec énergie, protégé par le sauf-conduit du prince, encouragé et consolé par les marques de sollicitude paternelle qu'il recevait du souverain pontife. Un certain nombre de grands, dont quelques-uns peut-être immigrés après la conquête franque, semblent avoir accueilli et favorisé l'apôtre; le pape les remercie et les félicite nommément dans la lettre qu'il remit pour eux à Boniface partant de Rome.


Une seconde lettre du pape, cette fois adressée à tout le peuple des Thuringiens, leur recommandait d'une manière instante d'honorer leur évêque comme un père et de prêter l'oreille à sa doctrine.


" Ce n'est pas pour la conquête de quelque lucre temporel que nous l'avons envoyé parmi vous, c'est pour le salut de vos âmes. Donc aimez Dieu et en son nom recevez le baptême, car le Seigneur notre Dieu a préparé à ceux qui l'aiment ce que l'oeil de l'homme n'a jamais vu et que son esprit n'a jamais conçu.


Quittez les oeuvres mauvaises et faites le bien. N'adorez pas les idoles et ne leur immolez pas de chair, car ce sont des pratiques qui ne sont pas agréables à Dieu. Agissez en tout selon ce que vous enseignera notre frère Boniface, et vous serez sauvés à jamais, vous et vos fils. Construisez aussi une maison qui servira de résidence à votre évêque et père, et des églises où vous irez prier, pour que Dieu vous pardonne vos péchés et qu'il vous donne la vie éternelle. "


Pendant qu'il s'adressait en ces termes aux Thuringiens, le pape envoyait à l'apôtre lui-même des félicitations qui devaient lui aller jusqu'au fond du coeur. Être loué par le souverain pontife était le plus précieux de tous les salaires que l'ouvrier de l'Évangile attendait ici-bas, puisque avec sa foi profonde dans la chaire de saint Pierre il y voyait le gage assuré des récompenses célestes.

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Message  Arthur Ven 05 Fév 2010, 6:47 am



La mission de Thuringe occupa Boniface pendant les années 724 et suivantes jusqu'en 731. Il raviva le christianisme languissant de cette terre si longtemps éprouvée; il réchauffa et stimula le zèle des grands qui faisaient profession de foi chrétienne; il confondit et réduisit au silence des prêtres fornicateurs qui prêchaient une doctrine mutilée à laquelle ils mêlaient leurs erreurs, il bâtit avec l'aide des fidèles les églises que réclamait Grégoire II.


Il dota enfin la Thuringe d'une fondation religieuse dont il fit la première forteresse du christianisme dans cette contrée. C'était son monastère de Saint-Michel d'Obrdruff, près de Gotha, sur la lisière septentrionale de la forêt de Thuringe.


Une antique légende veut que le saint, logeant une nuit sous la tente à l'endroit où devait plus tard s'élever le monastère, y ait eu une vision dans laquelle l'archange se serait montré à lui au milieu d'une grande lumière, et qu'il y ait été nourri miraculeusement le lendemain par un poisson qu'un oiseau lui apporta.


Le terrain lui fut abandonné par son propriétaire, un grand Thuringien du nom de Hugo. D'autres grands, parmi lesquels le biographe nomme Albolt, auraient augmenté la donation primitive. Il fallut disputer à la forêt l'emplacement de l'église et du monastère : chaque fondation de Boniface était une conquête qu'il faisait sur la barbarie du sol avant de la faire sur la barbarie des coeurs.


Les instructions du pape étaient remplies : les fidèles avaient leurs églises, et l'évêque sa résidence, qui était le monastère d'Ohrdruff lui-même. Ce qui manquait toujours, c'étaient les travailleurs qui auraient pris leur part des labeurs et des fatigues de l'évêque. Peut-être cette pénurie d'ouvriers aurait-elle condamné la mission de Thuringe à végéter misérablement, si l'apôtre ne s'était souvenu, à ce moment, de sa généreuse et catholique patrie.


Là vivaient à l'ombre des cloîtres bénédictins, et dans la paix de la famille monastique à laquelle il appartenait lui-même, des âmes consumées par un le feu sacré du zèle apostolique, et dont l'activité intrépide se trouvait à l'étroit dans les frontières de leurs pays et de leur peuple.


Pourquoi ne les appellerait-on pas sur ce continent où il trouveraient des hommes de leur race et de leur langue, et où les moissons blanchissaient dans l'attente du moissonneur? Boniface les appela, et ils accoururent à son appel.

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Message  Arthur Sam 06 Fév 2010, 9:55 am

Et ici l'on peut voir à quel point son souvenir était resté populaire parmi son peuple. Car c'est son pays, c'est l'Angleterre méridionale, c'est le Wessex qui lui envoya la plupart de ses collaborateurs. Pendant plusieurs années, nous assistons à l'exode calme et successif des missionnaires monastiques.


Ils arrivent nombreux, zélés, instruits, se répandant indifféremment dans toutes les missions qu'il a fondées, à la fois moines, prêtres, missionnaires et maîtres d'école, s'offrant à toute besogne, et ne se laissant rebuter par aucune, si pénible et si difficile qu'elle fût. Les femmes ne se montraient pas moins zélées que les hommes; elles passèrent le détroit en grand nombre, et voulurent prendre part de toutes les oeuvres apostoliques en Germanie.


Nos contemporains ont vu avec étonnement le cardinal Lavigerie ouvrir à des femmes les portes de ses séminaires des missions africaines, et les envoyer, sous la robe blanche de son ordre, partager les fatigues des Pères d'Alger. Ce spectacle, on le voit, n'est pas nouveau dans l'histoire de l'Église, les femmes missionnaires enrôlées par un Boniface ont le droit de revendiquer une part glorieuse dans les mérites de la conversion de l'Allemagne.


Il convient de suspendre, du moins pendant quelques instants, le cours de notre récit pour présenter aux lecteurs les principales physionomies de ce bataillon sacré de l'apostolat.


Voici d'abord Lull, le petit Lull comme on l'appelait dans son entourage, qui avait été l'élève de Boniface en Angleterre, et qui, resté tendrement attaché à son maître, l'avait suivi sur le continent où il fut associé à tous ses travaux. Nul ne parut au saint plus digne de lui succéder lorsqu'il se préoccupa de l'avenir du siège de Mayence qu'il laissait vacant en partant pour sa mission de Frise. Cette confiance du maître honore le disciple et suffit à marquer la place qu'il occupait dans l'affection du saint.


À côté de Lull, beaucoup d'autres figures appellent notre attention. C'est d'abord Eoban, qui, plus d'une fois, porta les lettres du saint en Angleterre et en rapporta celles de ses amis; il l'accompagna en Frise dans sa dernière mission, il y reçut de ses mains le caractère épiscopal, et il eut le bonheur d'être immolé avec lui.C'est ensuite Denehard, l'infatigable messager toujours sur les chemins d'Allemagne à Rome ou de Rome en Allemagne.


C'est Brchard, dont le saint fera un évêque de Würzbourg. C'est Wigbert qu'il mettra à la tête de son monastère d'Ohrdruff. Ce sont encore Wiethbert, Sola, Wittan, Meginhard, auxquels il réservera des postes de confiance, sans compter d'autres auxiliaires anglo-saxons non moins précieux qu'il ramènera ou appellera de Rome, comme Willibald et son frère Wunnibald, dont nous aurons à reparler.


Parmi les femmes, le premier rang appartient sans contredit à une parente du saint, la belle, gracieuse et savante Lioba. Cette créature exquise, qui semblait née pour faire la joie de tous ceux qui l'entouraient, était le type de la vertu aimable et souriante.


Toujours gaie et tendre, douce à tous ceux qui l'approchaient, et d'un dévouement sans bornes au maître qui l'avait appelée à lui, Lioba fut une des plus belles fleurs du christianisme naissant de Germanie. En grande faveur à la cour, chérie de l'impératrice Hildegarde qui eût voulu toujours l'avoir près d'elle, elle reçut du saint une preuve d'affection aussi austère que profonde : il voulut qu'après sa mort elle fût déposée dans son tombeau.


Et à côté de Lioba, que d'autres figures virginales et pures, pleines de cette candeur et de ce sourire qui n'appartiennent qu'aux vierges et aux anges ! Nous rencontrons ici les noms de Técla, qui fut une des meilleures auxiliatrices de Boniface, de Chunihild, la tante de Lull, et de Chunitrude, qui, comme Técla et Lioba, furent placées à la tête des fondations religieuses du saint, puis de Walburge, soeur de Willibald et Wunnibald, et supérieure, elle aussi, d'un des monastères nouveaux.


Ces noms sont les seuls que l'histoire ait retenus; il supposent toute une pléiade de nobles ambitions et de dévouements généreux qui se sont donnés sans retour, dès le premier appel du maître chéri.


Boniface accueillit avec joie tant de précieuses collaborations. Nous avons conservé une lettre de Wiethbert racontant aux moines de Glastonbury l'accueil qu'il a reçu de lui avec ses compagnons. " Sachez, très chers, leur écrit-il, que notre archevêque Boniface, quand il eut appris notre arrivée, daigna venir lui-même à notre rencontre un long espace de chemin et nous accueillit avec une extrême bienveillance. "

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Message  Arthur Lun 08 Fév 2010, 8:23 am

Désormais, l'oeuvre de l'apostolat de Germanie était assurée. Boniface put pourvoir à tous les besoins, réaliser tous les progrès. Ses premières fondations, Amoeneburg en Hesse et Ohrdruff en Thuringe, furent celle-là agrandie, celle-ci consolidée. De plus il édifia encore en Hesse le monastère de Fritzlar, non loin de la colline où il avait abattu le chêne sacré.


À ces trois monastères d'hommes vinrent se joindre sans retard trois monastères de femmes, tant fut abondant le concours que lui prêtèrent les religieuses anglo-saxonnes. Bischoffsheim sur la Tauber fut confié à la direction de Lioba; Técla fut mise à la tête des deux monastères de Kitzingen et d'Ochsenfurt.


La sollicitude active du légat ne cessa d'entourer ces premières créations de son zèle apostolique; il continuait de les diriger de loin, et, souvent, qu'il fût en voyage à Rome ou retenu au fond d'une solitude de Germanie par quelque occupation ardue, sa pensée s'échappait vers ces chers sanctuaires où tant de voix innocentes et pures s'élevaient dans le silence du désert pour prier Dieu.


Nous avons conservé un fragment de la lettre qu'il écrivit de Rome aux moines de Fritzlar après la mort de leur premier abbé Wiethbert. Avec la même sollicitude minutieuse que s'il était parmi eux, il fait entre eux une nouvelle répartition des charges, depuis les plus hautes, celles de l'enseignement et du gouvernement, jusqu'à celles de la cuisine.


" Travaillez tous, continue-t-il, chacun selon ses forces, à vous conserver dans la chasteté et à vous entre-aider dans la vie commune, et demeurez dans la charité jusqu'à notre retour, alors, tous ensemble, nous louerons Dieu de ses bienfaits. "


Les abbesses de ses trois monastères de femmes recevaient aussi ses paternelles instructions; il ne cessait de leur recommander, avec l'accent d'une émotion plus vive, de prier pour lui afin que Dieu le rendit digne de sa mission.


" Et puis, ajoutait-il, comme les jours sont mauvais, ne soyez pas imprudentes, comprenez quelle est la volonté de Dieu. Affermissez-vous dans la foi et agissez avec force; que toute votre action s'exerce en charité, et, conformément à l'Évangile, vous posséderez vos âmes dans la patience.

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Message  Arthur Mar 09 Fév 2010, 8:20 am


Ces centres monastiques, disséminés à travers l'Allemagne et reliés à la vigoureuse personnalité de leur fondateur, portaient au sein de la barbarie et maintenaient allumé au milieu de tous les orages le feu sacré de la foi chrétienne. Bien avant qu'une organisation hiérarchique régulière présidât à la vie religieuse de l'Allemagne, les monastères y devenaient des foyers de civilisation.


C'étaient les premières mailles d'un réseau de culture morale et intellectuelle qui devait progressivement envelopper tout ce pays. Si l'Allemagne est chrétienne aujourd'hui, elle le doit tout d'abord à ses moines. Au surplus, ce n'était pas seulement une foi meilleure qu'ils faisaient pénétrer dans les esprits, une loi plus pure qu'ils faisaient régner dans les coeurs; c'étaient encore tous les arts de la paix qu'ils apportaient en don de bienvenue à leur nouvelle patrie.


" Quand, dit un historien protestant, on voit Boniface envoyer en cadeau à un correspondant anglais un manteau brodé, on doit se dire qu'il sera sorti des ateliers de Lioba ou de Técla et quand on lit que la place qui s'étendait devant l'église de Fritzlar était garnie d'une vigne, on ne doit pas oublier que ce sont des mains monastiques qui l'ont plantée. "


Ainsi la foi romaine s'enracinait sur le vieux sol païen. Se tenant en contact permanent, d'une part avec la chaire romaine d'où lui viennent la sûreté infaillible de la doctrine et la force irrésistible de l'autorité, de l'autre avec les milieux monastiques de sa patrie d'où il tire ses collaborateurs, protégé d'ailleurs par l'ombre des princes francs qui lèvent derrière lui leur bras armé du glaive, Boniface arrive à l'apogée de sa puissance d'apostolat.


Ce qui intéresse, ce qui peint l'homme en même temps que l'apôtre, c'est qu'à l'heure où on pourrait le croire visité par les tentations de l'orgueil, nous le voyons tout entier à la sollicitude de n'être rien que l'ouvrier de saint Pierre.


Arbitre de la Germanie, il reste l'humble disciple de la chaire romain, et chacune de ses difficultés, qu'elle soit d'ordre dogmatique, ou moral, ou purement disciplinaire, est portée par lui au pied du Saint-Siège. Nous possédons encore une lettre qu'il reçut du souverain pontife vers la fin de l'année 726 ( 22 novembre ), touchant un grand nombre de cas difficiles qu'il avait soumis à son jugement.


Dans ce document mémorable, où l'on voit en quelque sorte Pierre conduisant son légat par la main, les réponses sont inspirées par cette sagesse profonde, faite de mansuétude et de fermeté, qui caractérise les oracles de la chaire romaine. Le pape rassure la conscience scrupuleuse de l'apôtre et résout avec largeur les difficultés qui lui sont soumises.


Il ne veut pas qu'on pousse jusqu'à l'excès la rigueur des dispositions canoniques touchant les empêchements de mariage : sans doute, il vaudrait mieux qu'ils fussent respectés entre tous ceux que se savent unis par les liens du sang, mais vis-à-vis de peuples si barbares il faut user de certaine mesure, et il suffira d'interdire le mariage jusqu'au quatrième degré inclusivement.


Il autorise la rupture du lien quand la femme est empêchée de rendre le devoir conjugal à son conjoint. Sans doute il ferait mieux de ne pas se remarier; il faudra le tolérer toutefois, à la condition qu'il ne laissera pas sans secours celle qu'il aura abandonnée. Le pape tranche, à la manière de saint Paul, et même en employant ses expressions, la question de l'emploi des viandes consacrées aux idoles.


Il décide que les lépreux doivent être admis au banquet eucharistique, mais séparément. si un prêtre est accusé sans qu'on puisse produire des témoignages décisifs contre lui, il pourra se laver par son seul serment. Le pape est plus rigoureux en ce qui concerne les oblats, qui, une fois donnés à Dieu, ne doivent plus retourner aux voluptés du siècle.


Il est d'une haute fermeté sur le chapitre des questions doctrinales. Le sacrement, dit-il, a une valeur absolue, qui ne saurait être diminuée par l'indignité du ministre qui le confère: il n'y a donc pas lieu de rebaptiser ceux qui ont reçu le baptême d'un prêtre indigne; il y a lieu, au contraire, de conférer le sacrement aux enfants qui, ayant été enlevés à leurs parents, ne se souviennent pas s'ils l'ont reçu.


De même, il ne faut pas qu'on administre le sacrement de confirmation deux fois. Les religieux ont tort de fuir leur maison lorsqu'une contagion y a éclaté, comme si l'on pouvait échapper à la main de Dieu.


Il n'est pas jusqu'à des questions de liturgie qui n'aient été posées par Boniface : ce n'est pas deux ou trois calices, répond le pape, qu'il faut placer sur l'autel quand on célèbre le sacrifice de la messe, mais un seul, comme a fait Jésus-Christ lorsqu'il institua l'Eucharistie.

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Message  Arthur Jeu 11 Fév 2010, 8:21 am


La dernière question que contenait la lettre du saint était peut-être celle qui troublait le plus profondément sa conscience morale. Il avait prêté serment au pape de n'avoir aucune communication avec les prêtres indignes. Voici toutefois que les nécessités de son apostolat le mettaient en contact inévitable par exemple à la cour du prince, avec de pareils prêtres, qui formaient l'entourage ordinaire de Charles Martel.


Que fallait-il faire ? Tenir son serment au risque de compromettre sa mission ( ce qui était, en somme, une autre manière de le violer ), ou communiquer avec les indignes malgré la teneur de la promesse solennelle qu'il avait jurée au pape ? Voici comment ce dernier tranquillisait l'apôtre :


" À la fin de ta lettre, tu nous exposes qu'il y a certains prêtres et évêques livrés à une multitude de vices, et dont la conduite est un opprobre pour le sacerdoce. Tu nous demandes si, quand ils ne sont pas formellement hérétiques, il t'est permis de manger ou de parler avec eux. Voici notre réponse. Tu dois, usant de l'autorité apostolique, les avertir, les réprimander et les ramener, si possible, à la pureté de la discipline ecclésiastique.


S'ils obéissent, ils sauveront leurs âmes et tu auras mérité ta récompense. En attendant, ne refuse pas de t'entretenir avec eux et de t'asseoir à la même table. Souvent, il arrive que ceux à qui la correction disciplinaire ne parvient pas à faire observer la loi de la vérité se laissent ramener au chemin de la justice par les exhortations familières de commensaux assidus.


Tu observeras la même règle à l'endroit des grands qui te prêtent leurs secours, et qui sont les protecteurs de ces mauvais prêtres.


" Voilà, frère très cher, continue le pape, ce que nous te mandons en vertu de notre autorité apostolique, et cela suffit. Pour le reste, nous implorons la miséricorde de Dieu, afin que celui qui t'a envoyé dans ces contrées à notre place et qui a fait, par ta bouche, pénétrer la lumière de la vérité dans l'épaisse forêt du paganisme, t'accorde un accroissement de sa protection. Nous lui demandons que tu reçoives la récompense de cette oeuvre de salut et qu'elle nous vaille à nous-mêmes le pardon de nos péchés.


Ces paroles furent pour Boniface comme le testament de Grégoire II. Ce grand pape mourut, en effet, le 11 février 731, après avoir eu la consolation de voir les premiers fruits de la mission de Germanie. Comme son illustre prédécesseur et homonyme, Grégoire I, avait ajouté l'Angleterre à la famille des peuples catholiques, il y avait, lui, ajouté l'Allemagne, et son nom est à jamais inséparable de celui de Boniface dans l'histoire de cette grande oeuvre.

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Message  Arthur Sam 13 Fév 2010, 9:32 am


CHAPITRE IV

L'ARCHIÉPISCOPAT


Le nouveau pontificat marque une nouvelle phase dans la carrière du saint. Grégoire III était à peine monté sur le trône que Boniface lui avait écrit pour le féliciter, pour le mettre au courant de ses travaux apostoliques et pour lui exposer ses difficultés. Le pape répondit en lui envoyant le pallium, insigne des plus enviés, qui l'élevait au rang d'archevêque et créait un lien particulier entre lui et le Saint-Siège ( 732 ).


Une si rare distinction n'était pas seulement l'hommage légitime rendu à celui qui avait si bien mérité de l'Église et de la papauté. Le programme des missions d'Allemagne se voyait, du coup, considérablement élargi par l'initiative du vicaire de Jésus-Christ.


Maintenant que le royaume de Dieu avait pris dans ce pays une telle extension, il ne convenait pas de le faire tenir dans les limites d'un seul diocèse, et Boniface ne pouvait plus, à lui seul, supporter le fardeau d'un gouvernement si vaste. Désormais ce qui avait été le diocèse de Germanie devenait une province ecclésiastique partagée en plusieurs diocèses, gouvernés par autant d'évêques institués par le saint.


Celui-ci, toujours sans siège fixe pour pouvoir plus librement s'occuper des intérêts généraux, devenait le métropolitain de toute l'Allemagne transrhénane. Il allait avoir à créer les nouveaux diocèses et à choisir les évêques appelés à devenir ses collaborateurs; le pape lui recommandait seulement de n'en ordonner que dans les localités suffisamment importantes, pour que le prestige de la dignité épiscopale ne fût pas diminué.


Boniface ne vit, dans l'honneur qui venait de lui être conféré, qu'une augmentation de sa responsabilité. " Nous avons, écrit-il à un archevêque anglo-saxon, à cause du pallium qui nous a été confié et que nous avons accepté, plus de souci à l'endroit de nos églises et de nos peuples que les autres évêques, qui n'ont à se préoccuper que de leur seul diocèse. " Et, consciencieux comme il l'était, il mit immédiatement la main à sa tâche nouvelle d'organisateur.

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