La Dévotion au Sacré-Coeur de Jésus

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Message  Roger Boivin Ven 10 Juin 2022, 10:40 am

Victor Dillard, S. J.
AU DIEU INCONNU
1938

Chapitre XXVIII
Tui amoris ignem.
Le feu de votre amour.

On vous appelle feu, et charité, et amour. Et l'on dit que vous exprimez, que vous personnalisez l'immense amour du Père pour le Fils, et par là même l'immense amour de Dieu pour les hommes. Je voudrais bien, ô Saint-Esprit, que vous m'appreniez à comprendre cet amour, et que vous m'aidiez à surmonter toutes les difficultés que je rencontre quand je m'efforce d'acquérir une véritable dévotion au Sacré-Coeur de Jésus-Christ.

Quantité de choses m'agacent et m'offusquent dans cette dévotion qui devrait m'aider à sonder les insondables richesses de l'amour du Christ pour nous.  Et j'ai l'impression que les hommes ont ajouté du leur aux révélations de Jésus, qu'ils se sont mêlés de décorer et soi-disant d'embellir la doctrine, pour vulgariser, la faire parler davantage aux sens.

J'ai rencontré certains excellents catholiques qui prêchaient les promesses du Sacré-Coeur comme un talisman infaillible pour réussir non seulement en l'autre vie, mais en ce monde même. Ne déclarait-on pas pendant la grande guerre que la victoire sourirait à la France le jour où les drapeaux arboreraient l'insigne du Sacré-Coeur ? C'est un peu de cette façon qu'aujourd'hui on entend ici ou là parler de la communion des neuf premiers vendredi du mois - après lesquels on serait tranquille pour la vie - ou de l'emblème du Coeur de Jésus présidant à chaque foyer.

Or cette invasion d'emblèmes a donné lieu à d'horribles invasions de laideur, et la littérature édifiante, hélas, s'est mise à l'unisson de ces caricatures. Il y a tout un style de prières au Sacré-Coeur qui décourage mes velléités de dévotion, style pieux du XVIIe siècle, qui s'est conservé comme les traditions de couvent, et notre dévotion ne peut pas se déprendre aujourd'hui de tout le surérogatoire dont une piété romancée a voulu la parer.

Si bien qu'on ne sait plus bien maintenant distinguer l'essentiel de la dévotion au Sacré-Coeur de ses accessoires historiques. La forme a réagi sur le fond, en nous inclinant à insister sur tel ou tel aspect plus sentimental ou plus parlant. J'ai l'impression que nous aimons à nous  dire « victimes » et « réparateurs », et que ces fonctions nous amènent inconsciemment à jouer un rôle qui flatte un peu notre amour-propre. Nous nous séparons de la foule des pécheurs pour nous inscrire à l'état-major du Christ, pour aider ce Sauveur impuissant à sauver les âmes qui le repoussent. Nous apportons nos mérites comme prix de rédemption, nous offrons des souffrances que nous soulignons parfois avec une humilité satisfaite, et nous lui disons que nous, au moins...

Etiamsi omnes...
Et si aportierit me mori tecum...


Seigneur, je voudrais bien parvenir à décanter ma dévotion au Sacré-Coeur. Je sais bien que tout ce qui me choque en elle provient chez les autres d'excellentes intentions, d'idées parfaitement justes, de révélations auxquelles on a voulu rester fidèle. Je sais que mes répugnances sont le bonheur et la dévotion de plus humbles que moi, et que les plus laides de vos images provoquent parfois les prières qui vous touchent le plus. Je sais cela. Mais pourtant je sais bien aussi que ce sont là des accessoires.  Sans vouloir orgueilleusement renoncer à la piété sensible pour ne plus vivre que par l'esprit, je crois bien tout de même qu'il est impossible de trier nova et vetera, de distinguer dans cette dévotion le sensible accidentel du fond éternellement nouveau.

Aides-moi, ô Saint-Esprit, à opérer ce triage délicat, à trouver l'équilibre exact entre réalisme grossier et idéalisme intellectuel, à comprendre une dévotion au Sacré-Coeur qui puisse être moderne et actuelle sans cesser pour cela d'être humble et authentique.

Vous le pouvez, Esprit-Saint, car c'est votre rôle à vous de nous enseigner l'amour. Ignem accende : l'on vous dit vous-même feu et brasier, révélateur de l'essence divine qui n'est faite que de charité, amour de Dieu pour lui-même et amour de Dieu pour les hommes. Puisque l'amour de Dieu, c'est vous, apprenez-nous donc ce qu'est l'amour de Jésus-Christ, l'amour même de son Coeur ?

Car ces deux amours ne sont pas distincts, et Jésus nous a aimés et nous aime du même amour que le Père a pour nous. Jésus nous aime en vous et par vous en nous donnant son Coeur.

Si vous vouliez me faire comprendre un instant le mystère de cet amour de Dieu pour nous, je sais bien que j'aurais compris le Sacré-Coeur. Mais cela, c'est difficile. Parce qu'il ne s'agit pas là d'une intelligence spéculative de ces choses, d'une mesure quelconque intellectuelle de cet amour, latitudo et longitudo. Il s'agit de réaliser en moi l'amour divin, le Hoc sentite in vobis. Il s'agit d'être saisi moi-même soudain par cette écrasante vérité qui devrait secouer tout mon être : Dieu m'aime, Dieu m'aime, sic Deus dilexit mundum ! Si j'étais pris tout d'un coup par cette conscience de l'amour de Dieu, je sais bien que les hommes, alors, me seraient inexplicables. Le feu de cet amour - car il n'y a pas moyen de parler autrement lorsqu'on l'a une fois senti - contrastant effroyablement avec l'indifférence froide des attitudes humaines, le sans-dieuisme de notre civilisation, l'affairement de nos inimaginables préoccupations terrestres : si je savais, si je voyais cela, ô Saint-Esprit, je me demande comment je pourrais vivre.

Et cela, cette réalisation lucide de l'impuissance du tout-puissant, Jésus-Christ l'a vécue au Jardin des Olives. Son écrasement, sa sueur de sang, c'était cela. C'était le drame intérieur non d'un homme angoissé par la souffrance qui le presse, mais d'un Dieu qui n'est qu'amour et qui se heurte à l'obstacle de la liberté humaine, obstacle qu'il a voulu, liberté qu'il a créée telle, parce que son amour divin libre ne peut être rassasié que par un amour humain librement donné.

O Seigneur, devant le mystère de cet amour, je vois bien qu'aucune figure, aucune image, aucun sensible ne me permettront jamais de vous répondre. J'essaie de balbutier mon amour, et dès que je l'exprime il me paraît mesquin et ridicule comme une caricature d'amour, comme les oripeaux rouges de la dévotion populaire. Vous donnez quelque chose, à vous ? moi ? Réparer quelque chose pour vous ? moi ?  Seigneur, faites-moi taire, arrêtez les constructions burlesques et les calculs de mes raisonnements enfantins. Prenez-moi par le tréfonds de l'âme, par le centre de moi-même, par ma définition à moi aussi qui est amour. Et que je me donne en vous, que je me perde en vous, que j'aime en vous toutes les âmes dans une indicible coïncidence avec l'amour total de votre Coeur très saint.

Et trui amoris
Ignem accende.
Amen.
Roger Boivin
Roger Boivin

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Date d'inscription : 15/02/2009

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