De la Nativité de Jésus-Christ (Méditation du P. Judde, S.J.)
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De la Nativité de Jésus-Christ (Méditation du P. Judde, S.J.)
De la Nativité de Jésus-Christ
(Méditation du P. Judde, S.J., 1876)
La vertu singulière du Sauveur, dans ce mystère , c'est la pauvreté.
Nous en considérerons les qualités. Elle est pénible.
Elle est humiliante.
Elle est libre et toute volontaire.
PREMIER POINT. Pauvreté pénible. Il souffre, et souffre beaucoup de sa pauvreté.
1 . Il n'a quoi que ce puisse être pour la propreté ni pour la commodité : point de maison , point
de chambre ni de meubles , point de berceau.
2.° Il manque du nécessaire en plusieurs choses : point de feu dans la nuit d'une saison rigoureuse ,
et dans une cabane ouverte à toutes les injures de l'air.
3.° Dans le nécessaire qui lui reste , rien que de vil et de grossier : de mauvais langes pour se couvrir,
une crèche et de la paille pour reposer, deux animaux pour le réchauffer de leur haleine.
L'état de Jésus-Christ, dans la crèche, est passager , à la vérité ; il ne sera pas toujours là ; mais , comme dans l'incarnation il épouse l'humilité, dans sa naissance il épouse la pauvreté : ce sera sa compagne fidèle ; elle le suivra en Egypte , à Nazareth, dans le cours de ses prédications , et jusque sur le Calvaire. ïl naît de parens pauvres; ils ne sortiront point de leur condition, ni lui non plus : c'est un état fixe et permanent.
La pauvreté religieuse , que l'on regarde , avec raison , comme un grand sacrifice , mesurons-la à celle-ci : que de différence ! combien de choses sou- vent superflues , en tout genre ! de quel nécessaire manque-t-on? et dans le nécessaire, combien, quelquefois , de recherches d'amour-propre , quand on le peut ! et quand on ne le peut pas , combien de plaintes , peut-être, et de murmures !
Cependant, la souffrance est comme essentielle à la pauvreté. La première idée qu'on se forme d'un homme pauvre , c'est un homme qui souffre ; c'est Job sur un fumier, après la perte de tous ses biens ; ou c'est une de ces personnes qui , se trouvant au-dessous de leurs affaires , savent à peine , pour le besoin présent même , où trouver de quoi subsister. Qu'il en est aujourd'hui dans cette affligeante situation !
Ne pourrait-on pas , avec raison , se moquer de notre pauvreté , si l'on savait en quoi nous la faisons consister ? Ne nous regarderait-on pas comme des enfans de famille qui n'ont rien qu'avec dépendance , mais à qui il ne manque rien du nécessaire , et à qui on accorde même beaucoup de petits soulagemens ? Ne pourrait -on pas nous dire : N'êtes-vous pas nourris , logés raisonnablement ?
Si le monde savait, avec cela, ce qu'on a , en religion , de petites douceurs , de petites pensions et de présens, et la facilité qu'ont les supérieurs à don- ner des permissions d'en user, que penserait-il ? Je n'oserais condamner tout-à-fait ces usages comme des crimes , pourvu qu'on soit dans la disposition sincère et effective de s'en voir privé, et qu'on n'en use pas comme de son propre bien. Mais ceci même a beaucoup plus d'étendue qu'on ne s'imagine
ordinairement ; et dés qu'on met quelque différence , soit dans la pensée , soit dans l'affection , soit dans l'usage, entre les biens communs de la maison
et ces petits biens que l'on regarde comme plus d'à demi à soi, il est bien difficile qu'on ne tombe dans le vice de propriété. Quoi qu'il en soit , il sera tou- jours vrai, encore une fois, que ce n'est là guère que la pauvreté des enfans de famille , et souvent quelque chose de moins.
Or , pouvons-nous croire que ce soit à une pauvreté pareille qu'aient été faites les promesses de Jésus-Christ; le centuple de consolations célestes, les places de distinction dans la gloire , ce droit de juger les riches au dernier jour du monde ? De si grandes prérogatives supposent nécessairement de grandes privations.
Le séculier à qui manquent souvent bien des choses , peut-il être jugé par le religieux à qui rien ne manque , ou qui voudrait ne manquer de rien ? Juger les autres hommes, c'est être chargé d'actions et de vertus qui les condamnent, d'un détachement qui condamne leurs insatiables désirs , d'un dénûment qui condamne leur abondance. Pour être juge avec Jésus-Christ, pour être placé dans la gloire auprès de lui , il faut l'avoir suivi de prés, avoir été pauvre comme lui (1).
La pauvreté religieuse , à le bien prendre , n'est autre chose qu'une grande grâce ; elle délivre de
rembarras et du danger des richesses , qui nous eussent partagés , occupés , et vraisemblablement
damnés , comme beaucoup d'autres. Point de peines à amasser ni à défendre ; point de craintes de
perdre ; point de chagrin d'avoir perdu ; et pour le salut , point d'acquisitions injustes, de possessions
pleines d'orgueil, de dispensations criminelles. Or, cette grâce ne demande-t-elle pas quelque reconnaissance ?
Et quelle autre reconnaissance plus juste , que de ne pas vouloir jouir des avantages de la pauvreté et des
richesses tout à la fois, ne manquer de rien et n'être ni coupable , ni embarrassé de rien ! Au moins donc,
1.º Quand les mauvais temps, l'incommodité d'une maison, ou , si vous voulez , un peu de dureté dans les
supérieurs et d'avarice dans les officiers , nous donnera occasion de souffrir quelque chose, de manquer de
quelque chose, souffrons et dissimulons. Que jamais on ne nous entende nous plaindre de n'être point , ou assez bien nourris , ou assez proprement vêtus , ou assez commodément logés. Un pauvre qui serait comme nous , trouverait qu'on lui donne trop.
2.° Maintenant que , par la retraite et par les réflexions qu'elle nous donne occasion de faire, nous connaissons nos devoirs mieux que jamais, faisons une exacte revue des choses dont nous pouvons nous passer. Que le nombre en est grand quelquefois ! La nature veut toujours avoir ; dans son empressement on demande , on reçoit. Les premières envies sont elles passées, on connaît l'inutilité de ce qu'on a désiré avec passion. Mais alors, ou bien le respect humain retient, ou bien je ne sais quelle espèce d'àvarice ; avoir pour avoir. Le mérite de s'abstenir est passé , mais il reste le mérite de se défaire de ce qu'on a ; il n'est pas moindre , peut-être ; mais il ne faut donc pas différer.
3.° Pour toutes les choses dont nous ne pouvons
absolument nous passer, que toujours par quelque
endroit il paraisse que nous sommes pauvres ; qu'il
n'y ait ni propreté exquise , ni recherche de pure
vanité. Mais que ce ne soit pas selon l'usage des
gens relâchés , ni au conseil de notre amour-propre
que nous fassions ces réformes ; il nous passerait mille
choses que la grâce ne passe point et ne doit point passer.
Allons à la crèche de notre roi, de notre maître ;
apprenons-y ce que c'est qu'une pauvreté souffrante et pénible.
Quand nous aurons fait tout ce que le devoir et la piété nous inspirent , de lui à nous la distance
sera toujours infinie.
(1) Vos qui secuti estis me,... sedebitis et vos.... judicantes , etc. Matth. 19, 28.
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Re: De la Nativité de Jésus-Christ (Méditation du P. Judde, S.J.)
SECOND POINT. Pauvreté humiliante ; elle le rend méprisable et dépendant.
1.º Il est pauvre, et personne ne le plaint , on n'y fait point d'attention ; on le regarde comme le fils d'un pauvre artisan , il manque de beaucoup de choses ; c'est l'ordre , c'est son état. De là vient que sans aucune pitié , on l'exclut de tous les logis de Bethléem (2). Il n'y avait de place que pour les riches.
2.° La pauvreté le rend dépendant de tout le monde. De lui-même il ne peut se soulager. Ses larmes annoncent assez ses grands besoins ; mais ceux qui voudraient le secourir ne le peuvent , et ceux qui le pourraient , n'en ont pas la volonté.
La pauvreté religieuse, par cet endroit, est rarement semblable à la sienne. Les personnes raisonnables nous respectent d'avoir tout quitté pour Jésus-Christ, à moins qu'il ne paraisse que nous nous en repentions. C'est le retour a nos intérêts qui nous rendrait méprisables, et qui pourrait donner occasion à nos parens de se plaindre de notre importunité. Qui ne demande rien , vit dans une noble indépendance , et le pauvre d'affection n'a besoin de rien ou de très-peu de chose.
Mais s'il arrivait pourtant jamais que l'humilité de notre état nous attirât quelques rebuts, quelque sorte de mépris de la part du monde ; qu'on put s'imaginer sans fondement que nous nous repentons d'avoir tout quitté ; que dans nos voyages nous fussions mal reçus , mal logés , mal servis , ou bien que dans nos familles ( cela peut arriver ), on nous regardât comme des étrangers ; que nous en reçussions peu d'amitié ; que ceux mêmes à qui nos biens seraient demeurés , s'oubliassent au temps d'une maladie extraordinaire , ou d'un besoin que nous jugerions réel et pressant, n'allons pas ici pren- dre le haut ton, ou faire savoir qui nous sommes ou qui nous avons été , menacer d'en intéresser d'autres dans notre querelle. Louons Dieu, au contraire , et souvenons-nous que c'est ainsi qu'a été traité Jésus-Christ, notre Sauveur, le maître de toutes choses. Quel bonheur de lui ressembler , d'être méconnus , oubliés , être rebutés comme lui ! il est venu dans son propre héritage , et les siens ne l'ont pas reçu (3).
Pour la dépendance , comme c'est la première chose à quoi nous oblige essentiellement notre état de pauvreté, et que nous ne saurions l'ignorer , dépendons de nos supérieurs , à l'exemple de Jésus-Christ. Auguste porte un édit ; c'est un prince infidèle, mais il est en place ; c'est toujours Dieu qu'il représente : il faut donc obéir à quiconque est revêtu de l'autorité. Dieu parle aussi-bien par les princes et par leurs ministres que par nos supérieurs. Tout ce qui nous viendrait de là , quelque onéreux qu'il pût être , il faudrait le respecter , ne pas s'en plaindre , y acquiescer. C'est Jésus-Christ qui nous le prescrit par son exemple. La déplorable conduite que celle d'un religieux, ou d'une religieuse, ou de toute autre personne dépendante , qui aimerait mieux consentir à offenser Dieu, et quelquefois grièvement , que de se soummettre à la volonté de ses supérieurs , ou dont l'orgueil croirait s'abaisser trop en leur demandant une permission ! Si ce que nous demandons est raisonnable , nous le refusera- t-on ? et s'il ne l'est pas, comment osons-nous vouloir l'obtenir ? La ridicule chose que de se passer , par indépendance , de ce que nous pourrions demander avec humilité ! N'est-ce pas là sacrifier au démon de l'orgueil ? Et quelle récompense attendons-nous d'un Dieu si pauvre et si humilié, si soumis et si obéissant dans la pauvreté ? Pour mortifier cette disposition bizarre et pratiquer en même temps la pauvreté , il faut demander humblement , et se passer de ce qu'on n'aura point eu permission d'avoir.
(2). Non erat eis locus in diversorio. Luc. 2, 7.
(3). In propria venit, et sui eum non receperunt. Joan. I, II;
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Re: De la Nativité de Jésus-Christ (Méditation du P. Judde, S.J.)
TROISIÈME POINT. Pauvreté volontaire.
Ce n'est point par hasard que Jésus-Christ naît d'une mère pauvre , qu'il vient au monde hors de
son pays et loin de ses connaissances, qu'il arrive à Bethléem lorsque les logis étaient déjà occupés.
Tout cela était ainsi ordonné par la Providence , puisque tout cela avait été prédit si long-temps auparavant ;
et la Providence , à cet égard, n'était autre que le choix volontaire qu'avait fait Jésus-Christ de la pauvreté,
pour satisfaire la justice de Dieu et pour nous donner l'exemple. S'il eût voulu sortir de cet étal de pauvreté,
les anges qui annoncèrent aux bergers sa naissance , eussent-ils manqué de le servir , comme ils firent
depuis dans le désert ?
La pauvreté des religieux a été volontaire , s'il est vrai,
comme je le suppose, qu'ils ne soient point
entrés en religion par nécessité , c'est-à-dire, pour
n'avoir point eu de ressource dans le monde. Pour
être méritoire, il faut qu'elle ait été volontaire, ou
qu'elle le soit devenue depuis , par le changement
d'idées et d'affection. Car , c'est des pauvres d'esprit
et de cœur qu'il est dit que le royaume de Dieu
est à eux. Les saints fondateurs veulent que nous
aimions la pauvreté avec la même tendresse qu'on
aime une mère. C'est l'expression dont plusieurs se
servent ; et cet amour de mère, ils le font consister
à avoir même de la joie lorsqu'on ressent les effets
de la pauvreté. Nous n'avons parlé jusqu'ici que
de la souffrir, maintenant on veut que nous la chérissions.
Ainsi pensèrent et agirent la plupart de ceux qui
commencèrent ces instituts modernes, ces saints évêques,
ces prêtres respectables, tous ces pieux fondateurs et ces
illustres fondatrices qui furent les maîtrès ou les pères spirituels,
ou les mères , en Notre- Seigneur Jésus-Christ , de tant de
communautés ! séculières ou régulières ; quelle fut leur estime et
leur affection pour la pauvreté !
On trouve dans l'histoire des fondations de sainte Thérèse ,
une image assez naturelle de ce qui se fait ! dans toutes les autres.
On manquait de tout , et on était content ; c'est qu'on aimait la pauvreté.
On sait combien ils avaient de consolation et de
joie lorsque , voyageant dans des endroits où ils
avaient été autrefois respectés et connus par leurs
grands biens et par leur pouvoir, ils y étaient oubliés,
méconnus, et y souffraient le froid , la faim et la soif,
et des rebuts insultans et injurieux ; c'étaient comme
des jours de fête et de triomphe pour eux . . . Grand
abus de croire qu'ils n'eussent pas su se procurer les
mêmes commodités que nous ; mais ils s'oubliaient
eux-mêmes volontiers , pour ne penser qu'à se former
sur la pauvreté de Jésus-Christ et à lui procurer des
disciples et des imitateurs. El si aujourd'hui on manque
quelquefois même du nécessaire , n'est-ce point que Dieu punit
notre peu de zèle a nous maintenir dans une exacte
discipline ? N'est-ce point qu'il refuse de prendre
en main nos intérêts , parce que nous y pensons
trop nous-mêmes ?
Quant à leur délicatesse sur les devoirs les plus
minces de la pauvreté , elle allait jusqu'au scrupule ,
jusqu'à la minutie. Ils regardaient comme une
espèce de sacrilège, de perdre, de gâter la moindre
partie des biens qui avaient été offerts à Dieu. Ce
que nous disons de cette petite chambre du prophète
Elizée, où il n'y avait qu'un pauvre lit, un siège
de bois, une table et un chandelier , ils se faisaient
un devoir de l'observer à la lettre, et ne craignaient
point qu'on pût les démentir. Enfin , pour leurs
permissions , on a vu, dans des communautés, des
personnes cassées de vieillesse , et connues ou par
leur science , ou par leur naissance , se traîner et faire
plusieurs fois le tour d'une maison pour demander la
permission de donner une image, de prêter un livre ,
etc. Que cela est grand , quand on le fait avec un esprit
intérieur, par amour pour Jésus-Christ , et pour imiter
sa sainte pauvreté ! Mais à quelle école avaient-ils appris
tout cela ? à la crèche, en méditant les mêmes sujets
que nous. Méditons-les donc bien, ils pourront produire
les mêmes effets.
FIN
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